L'OPÉRA DE PROVINCE

NOUVELLE PARODIE D'ARMIDE EN DEUX ACTES et EN VERS, MELÉS DE VAUDEVILLES.

Représentée pour la première fois, à Paris, le Mercredi 17 Décembre, 1777, et à Versailles, devant LEURS MAJESTÉS le Vendredi suivant, par les Comédiens Italiens Ordinaires du Roi.

Le prix est de 24 sols.

M. DCC. LXXVII. Avec Permission.

Par P. Y. BARRÉ, J. B. RADET et F. G. DESFONTAINES.

À PARIS, Chez VENTE, Libraire des Menus-Plaisirs du Roi et des Spectacles de Sa Majesté, au bas de la Montagne Sainte-Geneviève.

Représentée pour la première fois au théâtre du VAUDEVILLE, le 19 floréal, an 5, (8 mai 1797, v. st.)


Texte établi par Paul FIEVRE octobre 2022

Publié par Paul FIEVRE novembre 2022

© Théâtre classique - Version du texte du 30/04/2024 à 20:06:40.


PERSONNAGES.

ADÉLAÏDE, Directrice d'Opéra, Mde Trial.

HIRADOT, oncle d'Adélaïde, M. Suin.

RIGAUT, étudiant en Droit, M. Trial.

ISIDORE, ami de Rigaut, M. Narbonne.

MONSIEUR JOURDAIN, oncle de Rigaut, M. Nainville.

MONSIEUR MOUTON, Maître en Droit, M. la Ruette.

UN SUISSE, M. Gaillard.

Choeurs de Chanteurs, Chanteuses, Danseurs et Danseuses.

Plusieurs Garçons de Théâtre.

La Scène est à Reims en Champagne. Pendant les trois premières scènes le Théâtre est nue et dans la confusion, d'un spectacle naissant.


ACTE PREMIER.

SCÈNE PREMIÈRE.
Adelaïde, Julie, Clarice.

JULIE.

AIR : Madelon, qu'avez-vous donc ?

Votre air nous trouble et nous confond ;

Qu'avez-vous ? qu'avez-vous qui vous gêne ?

C'est peut-être un ennui profond,

Peut-être un accès de migraine.

ADÉLAÏDE.

5   Ah ! ah !

Ce n'est pas cela

Qui cause ma peine.

CLARICE.

Nous donnons Armide au plutôt :

Vous craignez, tant la chance est traîtresse,

10   Qu'on n'ait pas les yeux de Renaud

Pour les appas de sa maîtresse.

ADÉLAÏDE.

Ah ! ah !

Ce n'est pas cela

Qui fait ma détresse.

JULIE.

15   Vous n'éprouvez, Madame, aucun de ces obstacles

Qu'on éprouve partout à lever des Spectacles ;

Et je m'aperçois trop en assiégeant vos pas,

Qu'un chagrin sans motif a pour vous des appas.

ADÉLAÏDE.

Hélas !

CLARICE.

Tous les Rémois, dans leur ville embellie,

20   Semblent nous accueillir avec empressement ;

Chacun vous fait sa cour et croit en vous voyant,

Voir Vénus, sous vos traits, recruter pour Thalie.

De nos jeunes acteurs l'essaim se multiplie ;

Chaque jour voit signer un tendre engagement,

25   Et toujours la mélancolie....

ADÉLAÏDE.

N'en doute point, Clarice ; eh ! Qu'importe à mon coeur,

Des amants Champenois le peuple adorateur,

Ces conquêtes sans gloire et leur foule importune ?

En faire mille est moins flatteur,

30   Qu'il n'est cruel d'en manquer une.

JULIE.

Quel homme impunément a pu voir tant d'attraits ?

ADÉLAÏDE.

Votre amitié m'oblige à trahir mes secrets.

AIR : Nous avons une terrasse ; de la Fête du Château.

Mon coeur s'entend avec le vôtre,

Et vous me prouvez,

35   Combien vous l'éprouvez :

Or, écoutez l'une et l'autre,

Et taisez-vous, si vous pouvez.

L'autre jour donc, passez-moi l'heure,

Tranquille et seule en ma demeure,

40   Je me parlais confidemment,

Pensant à rien profondément ;

Lorsqu'une voix qui m'enleva

Jusqu'à moi soudain arriva.

Bis.

Le goût dictait ses sons intéressants

45   Je les recueille, et mon âme est saisie ;

Vers la maison d'où partaient ces accents,

Mon oeil s'échappe entre la jalousie :

Je vois sur la terrasse

En face,

50   Un jeune homme aimable et touchant :

Son air modèle

Trahit et de reste

Un chagrin funeste :

Son maintien l'atteste ;

55   Car d'un beau geste,

Qu'il pillait d'Oreste,

Ce blondin céleste

Accompagnait son chant.

AIR : Je suis Lindor.

C'était sur l'air d'une chanson commune :

60   « Oui, disait-il, j'eusse été Bachelier :

On me refuse, et je dois l'oublier ;

Un autre état convient à ma fortune. »

En écoutant sa voix flexible et tendre,

Mon coeur bientôt se sentit émouvoir ;

65   Et je trouvai du plaisir à le voir,

Quand je croyais n'en trouver qu'à l'entendre.

Ah ! disais-je, qu'il a d'appas !

Mais, non, peut-être il n'en a pas ;

Mon oeil est abusé, j'en veux être certaine :

70   Et j'ouvrais ma fenêtre, hélas !

Quand le cruel ferma la sienne.

CLARICE.

AIR : Tout roule aujourd'hui dans le monde.

Quel est-il ce héros, Madame,

Dont les traits ont su vous charmer ?

ADÉLAÏDE.

J'ai, pour oser nourrir ma flamme,

75   Commencé, par m'en informer.

Ce Rigaut qu'un autre accompagne,

Et qu'on arrête en son chemin,

Depuis huit jours est en Champagne

Pour apprendre le Droit Romain.

JULIE.

AIR : Non, je ne ferai pas.

80   Et pourquoi donc gémir ? Souffrez qu'on vous console :

L'amour se glissera sur les bancs de l'école ;

Paraissez : un regard suffit pour le dompter,

Et fût-ce un Procureur, il ne peut résister.

Je mets pourtant la chose au pis.

ADÉLAÏDE.

85   Non. Rigaut est dans l'âge où sans effort on aime,

Mais son indifférence extrême

Tient encor ses sens assoupis.

D'ailleurs, l'amour, dit-on, est pour lui peu de chose.

Ce dehors apprêté dont la douceur impose,

90   Cache un mortel fougueux, inquiet, agissant,

Et si je suis bien informée

C'est par ses soins déjà que la cabale armée

Cherche à déconcerter notre Opéra naissant :

Je fais pour le haïr un effort impuissant :

95   Oui, soit que je me couche ou soit que je me lève,

Je le vois : je le vois jusque dans mon sommeil ;

Et, comme bien des gens, toujours heureuse en rêve,

Je poursuis un bonheur qui fuit à mon réveil.

AIR: J'ai rêvé toute la nuit.

J'ai rêvé toute la nuit

100   Qu'ici par l'amour conduit,

Il cherchait à débuter

Et je le faisais,

Et je le faisais,

Il cherchait à débuter

105   Et je le faisais chanter.

CLARICE.

Mais, Madame...

ADÉLAÏDE.

Il suffit, n'en prenez pas la peine,

Vous m'allez consoler pour allonger la scène ;

M'en croirez-vous ? Abrégeons-la d'un mot.

J'aperçois mon oncle Hiradot :

110   Dissimulons mes feux, cachons à sa vieillesse

Mon amour naissant pour Rigaut,

Et les erreurs de ma jeunesse.

SCÈNE II.
Les précédents, Hiradot, une affiche à la main.

HIRADOT.

AIR : Jardinier, ne vois-tu pas ?

L'annonce que je tiens là

Peut-elle être plus riche ?

115   C'est pour dimanche, et déjà

Dans tous les coins, l'Opéra

S'affiche, s'affiche, s'affiche.

ADÉLAÏDE.

Le choix d'Armide, enfin, plaît-il en ce moment ?

Lit-on l'Annonce ?

HIRADOT.

Assurément.

120   Déjà même on s'échauffe et la dispute est vive ;

Chacun disserte : on s'invective,

On veut avoir un sentiment.

AIR : Tous les Bourgeois de Chartres.

Tous les bourgeois par clique,

Raisonneurs, beaux esprits,

125   Chacun à leur musique

Ont adjugé le prix.

Les vieux pensent qu'Armide était plus redoutable :

Les jeunes gens, du neuf épris,

Disent que les airs qu'elle a pris

130   La rendent plus aimable.

Enfin d'oisifs ici tous les cafés sont pleins ;

Le luxe règne à Reims comme à la Capitale ;

À fêter l'Opéra les Rémois sont enclins,

C'est le temps d'étaler son chant et sa morale,

135   Vous l'avez bien saisi.

ADÉLAÏDE.

AIR : De tous les Capucins du monde.

Oui ; mais je voudrais de rencontre

Enrôler une haute-contre,

Qui fit entendre en criant haut,

À des Auteurs tels que les nôtres,

140   Les beaux Opéra de Quinault,

Plus beaux depuis qu'ils en font d'autres.

HIRADOT.

Bon ! Qu'importe cela ?

Ne vous chagrinez pas sur cet article-là.

Attendu le grand bruit qu'un orchestre doit faire,

145   Le volume des voix n'est pas fort nécessaire.

Le Public étourdi par l'accompagnement,

Sourd aux cris du chanteur, n'entend que l'instrument :

S'agit-il d'un combat ? La timbale bruyante,

À frapper un coup sur aide une main tremblante;

150   Le Héros n'est-il plus ? Un lugubre basson

Sait faire autour de lui pleurer à l'unisson :

Avec une bergère est-ce l'amour qui lutte ?

Le plaisir modulé découle de la flûte,

Tandis qu'un violon, rival du flageolet,

155   Remonte, à sons aigus, jusques au chevalet.

ADÉLAÏDE.

Allez, quoiqu'il en soit, ces raisons sont frivoles,

Il faut que la musique, esclave des paroles,

Dans l'oreille attentive entrant avec les vers,

Partage ici les droits qu'elle a seule aux Concerts.

HIRADOT.

160   Avons-nous pour guider et le chant et la danse,

La main, je dis la main, d'un artiste éminent

Qui de droite et de gauche allant et revenant

Frappe sur un pupitre et dicte la cadence ?

ADÉLAÏDE.

AIR : Vaudeville des Chasseurs et de la Laitière.

Non, non,mon oncle, je vous jure,

165   Arrivera

Ce qui pourra ;

Sans qu'on nous marque la mesure,

Nous jouerons ici l'Opéra :

Ce moyen n'est rien moins qu'auguste :

170   Faut-il donc pour garder le ton,

Que ce soit à coups de bâton

Qu'une Déesse chante juste ?

Bis.

HIRADOT.

Passe pour le bâton, mais ce n'est pas là tout,

Le dessein de la toile est-il fait avec goût ?

ADÉLAÏDE.

AIR : Olire, Olire.

175   Lauriers par-ci, par-là ;

Bis.

On y voit une Lyre,

Ô Lyre , Ô Lyre !

On y voit une Lyre,

Ô Lyre !

HIRADOT.

180   Holà.

Tout ceci me paraît d'un assez bon augure,

Et malgré mon congé signé par la nature,

Chez vous, n'étant plus propre à l'emploi des amants,

Je ferai les Sorciers ou du moins les tyrans.

AIR : Valet chez une Fermière.

185   J'avais une basse taille

Qui faisait beaucoup d'effet,

Et, Et, Et, Et, Et ;

Mais quand longtemps on criaille,

Et qu'à tout moment on braille

190   Pour passer à certain trait ;

Il faut que la voix s'en aille

Et qu'il reste un jeu muet.

Quant à vous qui joignez la voix à la finesse,

Spectacle à part, il faut songer à vous,

195   Et franchement, vous auriez tout, ma nièce,

S'il ne vous manquait un époux.

ADÉLAÏDE.

AIR : De la double Octave.

Ah ! Du moins faudrait-il, si je donnais ma main,

Si quelqu'un forçait cet obstacle

Que ce fût un acteur divin,

200   Dont le gosier léger fit briller mon spectacle :

Qu'un chanteur mieux que ce Rigaut,

Me fasse en plein la double octave,

Et dans ses fers chéris, en volontaire esclave,

Votre nièce s'engage et l'épouse aussitôt.

HIRADOT.

205   Ce Rigaut pourrait-il ?... Tous nos acteurs s'avancent

Ils viennent aujourd'hui s'exercer sous nos yeux,

Mais en attendant qu'ils commencent,

Je veux par mes avis, en vétéran fameux...

SCÈNE III.
Les précédents, tous les Acteurs et toutes les Actrices entrent.

HIRADOT.

Allons, courage, amis. Les Rémois curieux

210   Témoignent aujourd'hui leur juste impatience :

Tout nous promet que nos efforts heureux

Mériteront leur indulgence.

Pour plaire à ce Public prêt à vous couronner,

Profitez des conseils que je vais vous donner.

AIR : Vaudeville de la Rosière.

215   Acteurs en chef, sans nul remord

Bravez les lois de Polymnie ;  [ 1 Polymnie : Muse de la Rhétorique et de l'éloquence.]

Le goût sans doute a toujours tort,

Puisque le goût défend qu'on crie :

Voici le mot : songez-y bien ;

220   Crier est tout, chanter n'est rien.

CHOEUR.

Voici le mot ; songeons-y bien ;

Crier est tout, chanter n'est rien.

HIRADOT.

Que toujours à ressorts montés,

Votre marche soit symétrique ;

225   Votre colère à pas comptés,

Votre désespoir méthodique;

Gesticulez ou mal, ou bien ;

Le geste ici n'entre pour rien.

CHOEUR.

Gesticulons, ou mal, ou bien,

230   Le geste ici n'entre pour rien.

HIRADOT au Choeur.

Pour vous, vos rôles sont aisés ;

Adossez-vous à la coulisse,

Et répétez, les bras croisés,

Ce qu'a dit l'acteur ou l'actrice ;

235   Qu'on chante mal, qu'on chante bien,

Quand c'est en choeur, on n'entend rien.

CHOEUR.

Qu'on chante mal, qu'on chante bien,

Quand c'est en choeur, on n'entend rien.

HIRADOT, aux Danseuses.

Et vous, Mesdames, n'allez pas

240   Suivre exactement Terpsichore.  [ 2 Terpsichore : Muse de la Danse.]

Entre nous, croyez qu'un faux pas

À vos talents ajoute encore :

Que Vénus danse ou mal, ou bien,

Vénus est belle, on ne dit rien.

CHOEUR.

245   Que Vénus danse ou mal, ou bien,

Vénus est belle, on ne dit rien.

ADÉLAÏDE.

AIR : Et ça fait toujours plaisir.

Je compte aussi sur leur zèle,

Notre succès est certain ;

Quand une troupe est nouvelle,

250   Le Spectateur est en train.

Une étoffe est toujours belle

Au sortir du magasin.

Qu'un spectacle magnifique

Charme un public incertain.

255   Nous attirons la pratique

Ainsi qu'un marchand malin ;

Il faut parer la boutique

Pour vider le magasin.

HIRADOT.

Amours froids, et pauvres Diables,

260   Zéphir lourd, Triton badin,

Plaisirs courts, Heures durables,

Très subalterne destin,

Et planètes habitables,

Tout se trouve au magasin.

JULIE.

265   Nous avons bien d'autres choses

Qu'on fait et défait soudain

Autre part les fleurs écloses

Meurent du soir au matin ;

Mais chez nous on voit les roses

270   Rajeunir au magasin.

SCÈNE IV.
Les précédents, Un Suisse, avec un tronçon de hallebarde à la main et dans le désordre d'un homme qui vient d'être, battu.

LE SUISSE.

AIR : Du Noël Suisse.

Li Tiaple m'emporte

Si reste à ton porte ;

Montame, entrera

Désormais qui foudra ;

275   Moi n'afoir pu tenir contre in Pourchois mutin

Qui repoussir tout seul mon pique avec son main;

TOUS LES ACTEURS, l'un après l'autre, avec un geste d'effroi.

Seul, est-il possible !

LE SUISSE.

Li être trop terrible.

Li Tiaple m'emporte, etc.

280   Or sti champion plus fort que quatre,

Quand li m'allongir coup sur coup,

Tir « moi fouloir entrer ou moi fouloir te battre,

Car de la Tirectrice être foisin beaucoup ».

ADÉLAÏDE.

Ciel ! C'est Rigaut !

À part.

Celui que j'aime !

LE SUISSE.

285   Li être là son nom : c'est lui-même.

HIRADOT, impétueusement.

Il est ici ? Courez. Avant qu'il soit dehors,

Qu'on le cherche à l'instant dans tous les corridors.

AIR : Sous le nom de l'Amitié.

Poursuivez ce Monsieur-là,

Chers amis, qu'on le prenne,

Bis.

290   Poursuivez ce Monsieur-là ;

Désormais qu'il apprenne

Si l'on force à l'Opéra :

Poursuivez, poursuivez, poursuivez ce Monsieur-là.

CHOEUR.

Poursuivons, poursuivons, poursuivons ce Monsieur-là.

Les acteurs sortent.

SCÈNE V.
Adelaïde, Hiradot, les actrices précédentes.

ADÉLAÏDE.

295   Le suivre ! Dans nos jeux, ah ! plutôt l'engager,

Le résoudre à les partager

Unir à nos talents sa voix enchanteresse !

HIRADOT.

Comment ! C'est donc celui...

ADÉLAÏDE, avec passion

Celui qui m'intéresse ;

Dont le chant...

HIRADOT, courant à la coulisse.

Qu'il soit libre. Arrêtez en ce cas,

300   Arrêtez, chers amis....

ADÉLAÏDE.

  Hé non ! Leur maladresse

Propice à nos desseins, va servir ma tendresse ;

Car Rigaut dont on suit les pas,

Autour d'eux tournera sans cesse,

Et leurs yeux complaisants ne l'apercevront pas.

305   Mais un soin différent nous presse :

Il faut contre ses sens armer l'illusion,

D'un spectacle magique embellir cet asile,

Et subjuguer ici son courage indocile,

Par les charmes unis de la séduction.

HIRADOT.

310   La chose à l'Opéra paraîtra difficile :

Mais le projet pourtant peut être exécuté ;

De ces murs dépouillés et tristes,

Par un aspect riant masquons la nudité :

Cessez, affreux chaos. Paraissez, Machinistes ;

315   Presto, faites éclore un pays enchanté.

AIR : Vaudeville du Maréchal.

Allons qu'on décore à rinçant ;

C'est le point le plus important.

Que l'art du Peintre nous acquitte

Au spectateur offrons ses soins ;

320   Satisfaisons les yeux au moins,

Et du reste on nous tiendra quitte ;

Tôt, tôt, tôt,

Courez tôt,

Montez, tôt,

325   Bon courage !

Nos succès seront votre ouvrage.

Arbres, accourez à ma voix,

Prendre racine dans du bois ;

Et que derrière chaque vase,

330   L'invisible bras d'un Triton,

Dans ces grands bassins de carton,

Fasse jaillir des flots de gaze ;

Tôt, tôt, tôt,

Courez tôt,

335   Montez tôt ;

Bon courage !

Nos succès seront votre ouvrage.

ADÉLAÏDE, au Décorateur.

Si le Peintre a fini les cieux,

Qu'on les arrange sous nos yeux ;

340   Numérotez tous les nuages,

Économisez les éclairs ;

Et quand mon char fendra les airs

N'allez pas lâcher les cordages :

Tôt, tôt, tôt,

345   Courez tôt,

Montez tôt,

Bon courage !

Nos succès feront votre ouvrage.

Le Théâtre change par degrés aux ordres d'Hiradot. La décoration représente des jardins enchantés embellis de statues et de cascades, comme le séjour aérien du troisième acte de la Belle Arsene.

HIRADOT.

Ah miracle ! Le fond est d'un goût que j'approuve ;

350   Ce ciel est d'un beau bleu, ces bois sont d'un beau vert ;

Surtout préparez le désert :

La scène, à l'Opéra de temps en temps s'y trouve.

ADÉLAÏDE, aux Danseuses.

Vous, ajoutez encore à ce prestige heureux :

Costumez-vous et que l'or brille,

355   Zéphirs, Démons, que tout s'habille ;

Enchaînons son esprit en amusant ces yeux.

Rigaut paraît dans le fond du Théâtre.

Quelqu'un paraît : c'est lui, je gage :

C'est lui-même en effet. Dans le piège il s'engage ;

Cachons nous. Qu'un moment il soit seul en ces lieux.

SCÈNE VI.
Rigaut, Isidore.

ISIDORE.

AIR : C'est une excuse.

360   Vous voilà deux torts, Dieu merci,

L'un à l'école et l'autre ici,

Ce n'est guère être sage:

RIGAUT.

Mon ascendant me fait la loi :

Ce fut toujours mon faible à moi

365   Que le courage.

ISIDORE.

AIR : De Monsieur de Catinat.

Oui, tout à l heure encor je m'en suis aperçu.

RIGAUT.

Dans ce combat enfin mon bras m'a-t-il déçu ?

ISIDORE.

D'accord : mais chaque fois le Suisse, à votre insu,

Me redonnait le coup dès qu'il l'avait reçu.

370   Quoi qu'il en soit, domptez ce fougueux caractère,

Trop de vivacité ne vous réussit guère.

Moi, je suis pacifique et tant mieux ; car enfin

Vous êtes Maître-ès-Arts, même un peu libertin :

Vous savez à ravir, jouer la Comédie,

375   Vous lisez couramment Cicéron en latin,

Et pourtant on vous congédie.

En Droit comme en amour, moi, je suis écolier ;

Je ne saurai jamais jouer dans un Proverbe ;

C'est tout au plus, je crois, si je conjugue un verbe...

RIGAUT.

380   Aussi vous voilà bachelier :

Mais moi chez l'Agrégé, je fais ce qui m'arrête ;

Mon oncle lui promit du muscat de son cru :

Ce vin est arrivé. Devinez. Je l'ai bu ;

Et ce vin, que j'ai bu, lui fait tourner la tête.

385   Il me poursuit dans Reims, et pour mieux le tromper,

Je me mets prudemment à l'ombre des coulisses.

Dans cet asile-ci, je suis sûr d'échapper ;

Viendra-t-il me chercher au milieu des actrices ?

ISIDORE.

AIR : Un Chanoine de l'Auxerrois.

Supposé que le Maître

390   En Droit

N'osât paraître,

En cet endroit,

Quel danger est le vôtre !

Craignons qu'un bien plus grand docteur,

395   L'oeil sous son bandeau séducteur,

N'en offusque le nôtre :

Oui, quoique habile en sa façon,

Ce maître en donnant la leçon,

Et, zon, zon, zon,

400   Gâte la raison,

Tout aussi bien qu'un autre.

Votre démarche enfin me paraît hasardée :

Les yeux d'Adélaïde ont un si grand pouvoir !

Quand on la voit...

RIGAUT, avec indifférence.

J'ai pu la voir ;

405   Mais je ne l'ai pas regardée.

ISIDORE.

AIR : De la ceinture.

Vous êtes jeune, et vous chantez,

Double raison ici pour plaire ;

L'une de ces deux qualités,

Peut vous y rendre nécessaire.

RIGAUT.

410   Non, non, ne craignez rien, je serai spectateur.

Dans ces lieux à l'instant, puisqu'on répète Armide,

Sur son mérite, il faut que je décide,

Et je vais critiquer à titre d'amateur.

Avec un air de confidence.

C'est moi qui des Journaux fomentant les querelles,

415   Des musiques du temps juge tort étranger,

Dans de petits pamphlets au bon goût infidèles,

Donne, injuste Paris, la pomme à l'une d'elles,

Tandis qu'en trois peut-être on peut la partager.

ISIDORE.

Restez-y donc tout seul ; attendez qu'on répète :

420   Mais pour moi que tout inquiète,

AIR : Landeriri.

Par cet escalier que voici

Conduisez-moi, mon cher ami,

Lon lan la derirete ;

Car je crains de me perdre ici,

425   Lon lan la deriri.

SCÈNE VII.

RIGAUT, seul, considérant la décoration.

AIR : de la Bequille.

Plus j'observe ces lieux,

Et plus je les admire :

Quel art ingénieux !

La toile ici respire :

430   Tout concourt à séduire

Dans cet endroit charmant,

Où le jour ne peut luire

Que la nuit seulement.

Apercevant un recueil d'Opéra.

AIR : Monsieur le Prévôt des Marchands.

Un recueil d'Opéra ! Lisons :

435   Toujours couchés sur des gazons,

Héros, qu'au Théâtre on nous donne

Vous reposez à qui mieux mieux :

Allez, l'Amour vous le pardonne

Et le Public ferme les yeux.

440   Oui toujours de l'acteur à ce théâtre-ci,

Par ses propres chansons la langueur est bercée :

C'est Atis... C'est Roland... C'est Titon... C'est Persée,

C'est l'aimable Renaud... et c'est moi-même aussi.

Il s'endort. On danse autour de lui. Plusieurs Danseuses le couronnent de fleurs et l'entourent de guirlandes. L'Orchestre joue l'air : Dodo, l'enfant do.

SCÈNE VIII.
Les mêmes, Adelaïde.

ADÉLAÏDE.

AIR : Ah ! mon cher ami, que j't'aime.

Enfin on le tient,

445   Rigaut m'appartient,

Le sommeil l'offre à ma rage.

Écoutons-là...

Pinçons-le là...

Courage !

450   Mais Dieux, quels traits!

Qu'il a d'attraits !

De grâce...

Je m'attendris... Ah !

Ma fureur s'en va,

455   L'amour se glisse à la place.

Une Reine autrefois, au milieu de sa Cour,

Honora d'un baiser la science endormie :

Les palmes : les lauriers sont les prix du génie ;

Restituons ce baiser à l'Amour.

AIR : Un moment, on m'attend; du Roi et le Fermier.

460   Un baiser ! Doucement :

Agissons décemment :

L'usage veut qu'on soit moins tendre

Près d'un amant

Fait récemment ;

465   N'allons pas trop innocemment,

Lui donner ce qu'il doit me prendre.

AIR : Que n'aviez-vous, coeur insensibles.

Dors, mort enfant, clos ta paupière,

Surtout songe à rêver de moi :

Tu le dois à la nuit dernière,

470   Où je revois si bien de toi.

AIR : de la Magnotte,

Accourez, messieurs les Zéphirs,

Habillés pour Armide ;

Volez, secondez les désirs

D'une amante timide :

475   Suivez mes lois ;

bis.

Je crains qu'il ne déloge,

En tapinois

bis.

Qu'on l'emporte à ma loge.

Quatre Danseurs habillés en Zéphirs emportent Rigaut.

SCÈNE IX.
Les précédentes, Adélaïde.

CLARICE.

AIR : Comme un oiseau.

Un repos si long, je vous jure

480   Me semble d'un fâcheux, augure,

Ah ! Croyez m'en :

Souffrez que le Droit se l'adjuge

Ce sommeil-là, promet un juge

Plus qu'un amant.

JULIE.

485   Tout ceci néanmoins nous met dans l'embarras :

La répétition trop longtemps se diffère ;

Ainsi que vous, Madame, on a plus d'une affaire,

Et tout le monde ne dort pas.

ADÉLAÏDE.

Écoutez-moi : différer de la sorte,

490   Pour notre bien commun, c'est agir à propos :

Dans ce rôle éclatant, vous tentez qu'il importe

De choisir un acteur taillé pour un héros

Nous en avons bien un préparé pour Armide ;

Mais on n'ose avec lui compter sur un succès :

495   Lui-même ici, tout l'intimide :

Peut-il chanter en France ? Il a le goût Français.

CLARICE.

Un autre obstacle nous arrête :

Nous attendions pour répéter ;

Le rôle de Renaud (daignât-il l'accepter)

500   Pourrait-il tout d 'un coup se loger dans sa tête ?

ADÉLAÏDE.

Vous raisonnez fort sagement ;

Quand on n'a pas d'amour, on a du jugement :

Mais moi qui l'aime ... et qui ? Moi, j'aimerais un traître ?

Qui fut mon ennemi, qui l'est encor, peut-être ?

505   Non, je dois le haïr : je le hais. Quel tourment !

Que ne puis-je appeler la Haine ?

La Haine à nos accents ne se fait pas prier ;

Mais après tout, est-ce la peine

Pour aussitôt la renvoyer ?

510   Du moins en m'en parlant, encouragez la mienne.

CLARICE.

AIR : Des billets doux.

L'Hymen est si capricieux,

Que mon coeur n'est pas curieux

De connaître sa chaîne :

Car on le voit dans un seul jour,

515   Le matin, frère de l'Amour

Et le soir, de la Haine.

JULIE.

Dès qu'on n'a pas de quoi payer,

On voudrait fuir un créancier,

Quand l'Aurore l'amène :

520   Mais au coup qu'il frappe à moitié,

On croit entendre l'Amitié,

Et l'on ouvre à la Haine.

CLARICE.

Lorsqu'en tête à tête on a vu

Une belle-mère et sa bru,

525   Que le hasard enchaîne ;

Sans calculer avec ses doigts,

On peut jurer qu'elles sont trois,

En y comptant la Haine.

JULIE.

Hé bien, nos chants, Madame ?

ADÉLAÏDE.

Au mieux !

530   Mais rien encor n'éteint les feux

De mon ardeur jalouse :

Oui, l'Amour m'attache à mon choix;

Pour cesser de l'aimer, je crois,

Il faut que je l'épouse.

ACTE II

SCÈNE PREMIÈRE.
Monsieur Jourdain, Monsieur Mouton, Garçons de Théâtre qui se précipitent au devant d'eux pour les empêcher d'entrer.

UN GARÇON DE THÉÂTRE.

535   On n'entre pas, Messieurs.

MONSIEUR MOUTON.

  Comment !

MONSIEUR JOURDAIN.

Nous n'y resterons qu'un moment.

UN GARÇON DE THÉÂTRE.

AIR : Des Folies d'Espagne.

Désobéir nous nuit et nous expose ;

L'ordre est précis, et Monsieur m'entend bien.

MONSIEUR MOUTON.

J'entends, je crois : donnons-leur quelque chose ;

540   Car en ces lieux rien ne se voit pour rien.

MONSIEUR JOURDAIN.

Tenez, laissez-nous.

UN GARÇON DE THÉÂTRE.

Grand merci.

SCÈNE II.
Monsieur Jourdain, Monsieur Mouton.

MONSIEUR JOURDAIN.

Vous croyez que Rigaut...

MONSIEUR MOUTON.

Je crois qu'il est ici.

MONSIEUR JOURDAIN.

Vous m'étonnez, sur ma parole :

Il s'est enfui depuis huit jours !

MONSIEUR MOUTON.

545   Il a de sa Licence interrompu le cours ;

Je l'ai même obligé de sortir de l'école.

Ni jugement, ni facultés ;

Querelleur, nonchalant, coeur lâche, esprit timide,

Incapable d'un goût solide,

550   Profond dans les futilités,

Petit sujet.

MONSIEUR JOURDAIN.

Fût-il, cent fois plus imbécile,

J'imaginais qu'ici tout était pour le mieux ;

Et franchement j'en connais mille,

Qui fameux à Paris, et reçus dans ces lieux,

555   Témoignent qu'en Champagne on n'est pas difficile.

MONSIEUR MOUTON.

Vraiment je le sais bien ; l'abus est déjà vieux.

AIR : L'autre jour étant assis..

Depuis qu'un intérêt vil

A mis les Arts en régies,

Le Droit Canon et Civil

560   S'achète au poids des bougies.

Cet usage est sacré :

Tout Récipiendaire

Est assez éclairé,

Sitôt qu'il nous éclaire.

AIR : Non, je ne ferai pas.

565   Au moins faut-il connaître et suivre cet usage.

MONSIEUR JOURDAIN.

Rigaut l'a fait. Madame a dû, par son message,

Recevoir un quartaut d'un vin très délicat,

Que je vous réservais pour qu'il fût avocat.

MONSIEUR MOUTON, avec empressement.

Heim ? Parlez.

MONSIEUR JOURDAIN.

Un quartaut.

MONSIEUR MOUTON.

Comment ! À mon adresse ?

MONSIEUR JOURDAIN.

570   Assurément, et du plus fin.

MONSIEUR MOUTON.

Le méchant ! Me le taire, et garder pour la fin

Le point surtout qui m'intéresse !

Un quartaut ! Le quartaut est en chemin ;

Mais nous l'aurons, et rien ne presse.

575   Ce cher enfant le sait et ne m'a pas instruit.

Hé bien ! tenez ; je suis pour ce que j'en ai dit.

Ce garçon-la promet. Il faut qu'on le ménage ;

Lorsque son feu l'emporte, il s'y livre d'abord ;

Mais il retient sans peine, il comprend sans effort,

580   Et pense beaucoup plus qu'on ne pense à son âge.

Muscat ?

MONSIEUR JOURDAIN.

Oui. Je le crois.

MONSIEUR MOUTON.

Tant mieux. Je n'en ai plus.

D'ailleurs son caractère est heureux, et paisible ;

Il a de l'âme, il est sensible ;

Et c'est-là franchement le ressort des vertus.

MONSIEUR JOURDAIN, avec humeur.

585   Il s'agit bien...

MONSIEUR MOUTON.

  Mais sans scrupule

Je puis en parler sur ce ton.

MONSIEUR JOURDAIN.

Permettez-moi, Monsieur Mouton,

Son éloge est très ridicule.

Deux mots. Vous l'hébergiez. Rigaut est délogé :

590   C'est le fait. Trêve au reste. Où s'est caché l'infâme ?

MONSIEUR MOUTON.

Dans ce spectacle-ci je le crois engagé,

Pour y chanter on l'a gagé ;

Il soupire aux pieds d'une femme.

MONSIEUR JOURDAIN.

Suivez-moi donc. Allons. Je prétends l'y chercher,

595   De ces bras séducteurs je prétends l'arracher.

Mais qu'est-ce ?

SCÈNE III.
Les précédents, Julie, Clarice, Danseurs et Danseuses.

JULIE.

AIR : Voilà la petite Laitière.

Voici, Voici la charmante retraite

Où l'Amour

A fixé sa Cour.

600   Voici, voici la charmante retraite

Où l'Amour

A fixé sa Cour.

CLARICE.

Si l'Hymen qui cherche en secret,

Et son exil, et sa défaite :

605   Si l'Hymen un jour l'égarait ;

Il ne faut pas qu'on le regrette,

Chez nous on le retrouverait.

TOUTES DEUX ENSEMBLE.

Voici, voici la charmante retraite

Où l'Amour

610   A fixé sa Cour.

bis.

On les entoure de guirlandes et l'on danse d'autour d'eux.

MONSIEUR MOUTON.

Mais on se moque, je crois :

Quel est cet insolent délire ?

MONSIEUR JOURDAIN, furieux.

Morbleu, Mesdames, laissez-moi;

Je ne suis pas ici pour rire.

CLARICE.

AIR : Laissez paître vos bêtes.

615   Laissez, laissez-nous faire,

Souffrez ces fers galants ;

Les noeuds qu'ici l'on serre,

Sont tous des noeuds coulants.

Ils s'agitent et secouent leurs guirlandes pour s'en débarrasser.

JULIE.

Soyez plus doux,

620   Et comme nous,

Goûtez le parfum séducteur

De ces fleurs, ( qui sont sans odeur. )

TOUTES DEUX ENSEMBLE.

Laissez, laissez-nous faire,

Souffrez ces fers galants ;

625   Les noeuds qu'ici l'on ferre,

Sont tous des noeuds coulants.

MONSIEUR JOURDAIN.

Je ne me trompe point ; sur mon honneur, c'est elle.

La rencontre est heureuse, et je veux l'aborder.

Ouais ! On dirait qu'elle veut m'éluder :

630   Attendez, s'il vous plaît ; un mot, Mademoiselle :

Me reconnaissez-vous ?

JULIE.

Qui, vous, Monsieur ?

MONSIEUR JOURDAIN.

Oui, moi.

De me remettre, à tort votre grandeur dédaigne ;

J'ai là certain billet...

JULIE.

Ah, ah, j'y suis, je crois.

Vous logiez à Paris.

MONSIEUR JOURDAIN.

Certes.

JULIE.

À la Bonne-Foi.

MONSIEUR JOURDAIN.

635   Je n'ai jamais eu cette enseigne.

JULIE.

C'est pourtant chez vous que j'ai pris,

Si je m'en souviens bien, plusieurs bagues de prix.

MONSIEUR JOURDAIN.

Comment !

JULIE.

* AIR : Laisses-nous donc dormir.

N'en soyez point en peine ;  [ 3 * On passe ce couplet à la représentation.]

640   Gardez-vous de crier,

Car dès cette semaine

Je dois me marier ;

Un bel anneau paiera

Toutes ces bagues-là.

MONSIEUR JOURDAIN.

645   Je ne suis point un bijoutier, morbleu ;

Vous voulez m'abuser ; en feignant de le croire :

Mais puisque je vous joins nous allons voir beau jeu :

Je suis Marchand d'étoffe, et voilà mon mémoire.

AIR : Sans cesse de la Ville, à la Cour ; de la Fête du Château.

Il est signé de vous.

JULIE, ironiquement.

D'accord :

650   Avec un nom l'on est bien fort.

MONSIEUR JOURDAIN, lisant.

Or donc, avoir fourni d'abord,

En fait d'habits de caractères :

« Une robe à grandes fleurs d'or,

Pour jouer les bergères.

655   Item, six lés de satin blanc,

Pour être Vestale un moment. »

JULIE.

De l'argent de ce satin-là

Vous méritez que je vous frustre ;

Car au sortir de l'Opéra,

660   Il n'avait plus son lustre.

MONSIEUR JOURDAIN.

« Un juste de Vénus fort cher

Vu qu'il était couleur de chair ;

De plus, un grand manteau tigré,

Pour jouer parfois la Sauvage » .

JULIE.

665   Oh, c'en toujours contre mon gré,

Que j'en ai fait usage.

MONSIEUR JOURDAIN.

Total...

Julie disparaît avec les Choeurs qui si retirent en dansant.

SCÈNE IV.
Monsieur Mouton, Monsieur Jourdain.

MONSIEUR MOUTON.

Quelle vertu dans ce mot tout-puissant !

MONSIEUR JOURDAIN.

Sans l'indigne neveu dont la perte m'occupe,

670   De cette beauté-là je ne serais pas dupe ;

Mais je suis agité d'un soin bien plus pressant.

Courons, Monsieur Mouton, et cherchons votre élève.

MONSIEUR MOUTON.

Ainsi que vous, Monsieur, je m'y sens excité.

Mais je crains bien qu'ici par l'amour arrêté,

675   Il ne renonce au Droit....

MONSIEUR JOURDAIN.

  Il faudra qu'il l'achève.

AIR : Des Bossus.

Pour Avocat, sans doute il le sera :

Oui, sur les bancs, Rigaut retournera ;

Fût-il muet, le Barreau l'entendra:

S'il devient sourd tandis qu'il plaidera,

680   J'ai des écus; du moins il jugera.

Ils sortent.

SCÈNE V.
Rigaut en cuirasse et couronné de fleurs ; Adélaïde, une baguette à la main et dans le costume d'Armide ; actrices et Danseuses.

RIGAUT.

Mon cher oncle m'attend, et sa fureur s'allume !

C'en est fait. Je vais braver tout ;

Contre un large Quinault j'ai troqué ma coutume;

Me voilà sur la scène en dépit de mon goût ;

AIR : Vous voulez me faire chanter.

685   Vous voulez me faire chanter,

Je cède à votre envie :

Mais ces habits, lourds à porter,

Ne m'iront de la vie.

L'étroit maillot où l'on m'a mis,

690   Me serre à perdre haleine :

Un parvenu, dans ses habits,

Est toujours à la gêne.

AIR : Monsieur Charlot.

Ai-je bon air ?

ADÉLAÏDE.

Non le Dieu de la Thrace

695   N'a pas, sous sa cuirasse,

Un regard aussi fier.

Qu'il est joli !

Qu'il est gentil !

Il ressemble à Renaud, l'on dirait que c'est lui.

CHOEUR.

700   Qu'il est joli !

Qu'il est gentil !

Il ressemble à Renaud, l'on dirait que c'est lui.

RIGAUT.

L'éloge est trop flatteur, et je n'osais l'attendre.

Lui ressembler m'enorgueillit !

705   Je suis certain d'être aussi tendre,

Et je suis aussi beau, si l'amour embellit.

ADÉLAÏDE.

AIR : C'est que je suis aise.

Cet amour qui vient d'éclore,

Vivra-t-il ?

RIGAUT.

J'en fais le voeu

Sur : cette main que j'adore

710   Laissez m'en sceller l'aveu :

Ça que je la baise,

Que je la rebaise.

ADÉLAÏDE.

Non.

RIGAUT.

Qui donne un désir

Doit un plaisir.

ADÉLAÏDE, RIGAUT.

DUO.

AIR : du Duo de Monsieur de la Garde.

715   Nous nous aimons ; mais c'est peu de s'aimer,

Il faut, pour nous accoutumer

Au noeud que nous allons former,

Voir si nous pouvons à la fois

Unir nos goûts comme nos voix :

720   L'hymen est un duo charmant

Qu'il faut chanter également ;

Car si l'on sort

D'un tendre accord,

L'humeur s'éveille et l'amour dort ;

725   Mais je vous vois partager ma langueur ;

Ah ! si vous aviez la rigueur

De m'ôter jamais votre coeur,

À la perte de vos appas

Hélas !

730   Je ne survivrais pas.

ADÉLAÏDE, choquée d'une caresse familière.

AIR : Toujours va qui danse.

Finissez, vous me fâcherez ;

Un peu plus de prudence ;

L'Amour compte autant de degrés

Que la Jurisprudence.

RIGAUT.

735   J'ai fait la moitié du chemin

Dans tous les deux, je pense ;

Et je puis sans autre examen

Passer à la Licence.

ADÉLAÏDE.

Votre ardeur se porte à l'excès,

740   Rigaut ; vous oubliez que la toile est levée,

Et que tous les bourgeois, sachant notre arrivée,

Ont forcé le portier pour juger nos essais.

RIGAUT, promenant ses regards dans la Salle.

Il fallait poliment leur défendre l'accès.

Voilà, quand on répète et que la foule abonde,

745   Comme un Opéra meurt avant que d'être au monde.

ADÉLAÏDE.

Espérons mieux. Vous cependant,

Exercez-vous en attendant :

Et sans suivre une marche exacte,

Pour aller tout de suite au plus intéressant,

750   Commencez par le cinquième acte.

Elle veut s'éloigner.

RIGAUT.

AIR : Du haut en bas.

Vous me quittez !

ADÉLAÏDE.

Un soin intéressant m'appelle.

RIGAUT.

Vous me quittez !

ADÉLAÏDE.

C'est en vain que vous m'arrêtez ;

755   Votre amitié tendre et fidèle

Ne doit point refroidir mon zèle.

RIGAUT.

Vous me quittez !

AIR : De la bonne aventure.

Et ce soin intéressant ?

ADÉLAÏDE.

Vous rirez, j'en jure ;

760   D'un funeste changement

Mon coeur craint l'injure :

Dans ces lieux est en crédit,

Un certain berger qui dit

La bonne aventure

765   Au gué !

La bonne aventure.

RIGAUT.

Vous l'allez consulter ! Vous de frayeur atteinte !

Vous, qui, dit-on, jusqu'à ce jour...

ADÉLAÏDE.

Vous m'apprenez à connaître l'amour...

RIGAUT.

770   L'amour m'apprend à connaître la crainte.

Je sais, ainsi que vous, ce madrigal heureux,

Peu fait pour excuser un projet si timide.

Mais enfin vous plaisez : vous êtes belle, Armide,

Il suffit. Je vous aime et je ferme les yeux.

ADÉLAÏDE, à sa suite.

AIR : Est-ce que ça se demande ?

775   Témoins complaisants et discrets

De notre amour extrême,

Mesdames, calmez les regrets

Du Chevalier que j'aime :

Présentez-lui, pour l'égayer,

780   Guirlande sur guirlande

Tout seul il pourrait s'ennuyer,

Je vous le recommande.

SCÈNE VI.
Rigaut, Suite d'Adélaïde.

On l'enchaîne de fleurs. Les amants heureux varient leurs groupes et leurs attitudes voluptueuses pour occuper agréablement Rigaut.

CLARICE.

AIR : Dans cet heureux asile ; Albanese.

Dans cet heureux asile

Nous jouissons d'un sort tranquille,

785   Car pour exécuter

La danse facile

Qu'on vient d'inventer,

Il ne faut que trotter,

Bondir, bondir, bondir et sauter :

790   Lorsque la paix emprisonne

Bellone,

Les guerriers complaisants

Sont nos courtisans

Les plus séduisants,

795   Et Plutus à son tour nous donne

De doux présents.

Dans cet heureux asile,

etc.

RIGAUT.

AIR : Dedans nos bois il y a un ermite.

Vos pas légers, vos chants sont faits pour plaire ;

Mais dans ce moment-ci,

800   Souffrez, qu'au moins tranquille et solitaire,

Je me recueille ici.

Sur tous les airs que mon rôle renferme

Je ne suis pas ferme

Moi,

805   Je ne suis pas ferme.

Les Choeurs se retirent.

SCÈNE VII.
Rigaut, Monsieur Jourdain, Monsieur Mouton.

MONSIEUR MOUTON, dans le fond du Théâtre.

AIR. Vaudeville du Bûcheron ; Richard qui faites grand tapage.

Quoi sous cet attirail fantasque

Est-ce lui ? Peut-on avancer ?

MONSIEUR JOURDAIN, furieux.

Oui, c'est lui-même. Il est en masque

C'est avec moi qu'il va danser.

MONSIEUR MOUTON.

810   Tenez, je suis pour l'indulgence :

Craignons de le pousser à bout :

Trop de pétulance ;

Gâte tout.

RIGAUT, qui les aperçoit.

Grands Dieux ! Rêvai-je ou si je veille ?

815   L'oncle et l'agrégé !... C'en est fait.

MONSIEUR MOUTON

Laissez-moi lui parler, vous serez satisfait

Tout Doreur ; que je suis, je raisonne à merveille,

Et vous allez en voir l'effet.

AIR : Allons ! mon Cousin l'allure.

Il est donc vrai qu'ici

820   Mon ami !

Vous avez une allure ?

À Cujas dans l'oubli,

Mon ami !

Vous faites cette injure,

825   Mon ami !

Peut-on être ainsi

Parjure,

Mon ami ?

Peut-on être ainsi

830   Parjure ?

MONSIEUR JOURDAIN, avec emportement.

Oui, c'est bien-là le ton, et ces discours mielleux ;

Sont des ménagements que le traître mérite !

Retirez-vous. C'est moi. Réponds-moi, malheureux ?

Que deviens-tu ? Qu'apprends-je ? Et quelle est ta conduite ?

835   Où faut-il te chercher ? Où suis-je en ce moment ?

RIGAUT, avec emphase.

Dans les jardins d'Armide, et je suis son amant.

MONSIEUR JOURDAIN.

L'insolent ! Il se moque ! Hé non, laissez-moi faire.

MONSIEUR MOUTON.

Mon cher Monsieur Jourdain, ne nous emportons pas.

MONSIEUR JOURDAIN.

Scélérat ! Tu paieras mes pas.

840   Et ton Armide aussi sentira ma colère.

Eh ! Quelle est cette Armide ? Allons : réponds et tôt.

Que fait-elle ?

MONSIEUR MOUTON.

Hé non, non. Chimère !

C'est l'Opéra d 'Armide où Monsieur fait Renaud :

C'est celle qu'on connaît, dont Quinault est le père.

MONSIEUR JOURDAIN.

845   Qu'il soit son père ou non, j'ai le crédit qu'il faut :

De retour à Paris, nous écrirons. J'informe ;

Et dans trois jours, sans autre forme

On enferme Armide et Quinault.

MONSIEUR MOUTON.

Entendons-nous plutôt et tâchons de connaître....

MONSIEUR JOURDAIN, d'un ton très-élevé.

850   Et que n'ai-je pas fait ? Il le sait, le bourreau !

C'est pour lui que trente ans courbé sur un bureau,

J'ai, pistole à pistole, amassé mon bien-être.

J'ai tout sacrifié, pour l'asseoir au Barreau,

Mon repos, mon plaisir, et mon honneur peut-être.

AIR : De tous les Capucins du monde.

855   Car enrichi dans les affaires,

J'ai pour imiter mes confrères,

(Et le Ciel m'en punit, je crois )

J'ai, par un intérêt trop tendre,

Blessé la Justice cent fois

860   Afin qu'un jour il put la rendre.

RIGAUT, d'un ton affectueux.

Écoutez-moi, cher oncle, et vous vous calmerez :

Vous m'envoyez à Reims y prendre mes degrés ;

J'y vais : je me présente. On m'exclut de la classe :

Oui, Monsieur, on m'a fait ce refus outrageant.

865   J'ai, pour consoler ma disgrâce,

Bu le vin de Monsieur, et mangé votre argent.

Bientôt sans asile, indigent,

L'Amour m'accueille ici, lorsque Cujas me chasse

Et j'y suis. Voilà tout dans le plus simple aveu.

870   Le reste est aussi simple, et n'a rien qui surprenne :

À parler en public, si ma mémoire est saine,

Vous destiniez votre neveu ;

J'ai pris le parti de monter sur la scène,

Pour ne pas tromper votre voeu.

MONSIEUR JOURDAIN.

875   Vous l'entendez. Mais quel langage !

Comme il compte ses torts avec sécurité !

Comme il donne au mensonge un air de vérité !

MONSIEUR MOUTON, impatiemment.

Et ne pas plaider ! Quel dommage !

MONSIEUR JOURDAIN.

Allons, étouffez-moi ce ridicule feu.

880   Qu'on se hâte avec nous de regagner mon gîte ;

Qu'on désarme à l'instant le courroux qui m'agite,

ou le Héros verra beau jeu.

AIR : Comme v'là qu'est fait.

Quitte-moi cet habit étrange.

RIGAUT.

Renoncer au penchant que j'ai !

885   Croyez que cet amour m'arrange.

MONSIEUR JOURDAIN.

Oui, l'amour l'a bien arrangé !

Il a perdu la tête. Approche :

Et par tes yeux,

Pour juger mieux,

890   Consulte ce miroir de poche ;

Regarde-toi.

RIGAUT.

Mais en effet,

Com'me v'là fait !

Com'me v'là fait !

895   Mon oeil s'ouvre ; j'abjure une erreur trop funeste ;

Dont tôt ou tard je me mordrais les doigts :

Mon oncle enfin, je sens tout ce que je vous dois :

Le, casque tombe et mon chapeau me reste ;

Je suis prêt à partir.

MONSIEUR JOURDAIN.

Fuyons, car j'aperçois...

SCÈNE VIII.
Les précédens, ADÉLAÏDE.

ADÉLAÏDE.

AIR : Où allez-vous, Monsieur l'Abbé? O

900   Où courez-vous, Monsieur Rigaut ?

Seriez-vous donc assez nigaud,

Pour préférer Bartole ?

RIGAUT.

Hé bien.

ADÉLAÏDE.

À notre aimable école

905   Vous m'entendez bien.

AIR : Sans un petit brin d'amour.

Sans un petit brin d'amour,

Peux-tu donc fuir de ce séjour ?

Sans un petit brin d'amour

Te perdrai-je en un jour ?

910   Rigaut ! Rigaut ! au nom de ta maîtresse,

Mon coeur, hélas !

Ne prétend pas :

Un autre nom suffit à ma tendresse ;

Rigaut ! Les coeurs n'ont point d'états.

915   Sans un petit brin d'amour,

Peux-tu donc, etc.

RIGAUT.

AIR : Jusques dans la moindre chose.

Jusques dans la moindre glose,

Votre nom fera tracé ;

Dans l'étude...

ADÉLAÏDE, furieuse, l'arrête.

920   Va, d'un vain souvenir mon amour te dispense.

Cruel ! Voilà ma récompense.

Il part sans pousser un soupir,

Il part en bravant mes alarmes,

Après être venu pour insulter mes charmes,

925   Forcer la porte et s'assoupir.

Je déraisonne : je m'égare ;

Le coeur d'un tigre est moins barbare.

RIGAUT.

Ne faites point semblant de perdre la raison ;

Vous savez faire encore une comparaison.

ADÉLAÏDE.

AIR : Vaudeville d'Épicure.

930   Ingrat, sans toi je ne puis vivre,

Je vais mourir subitement ;

Tous les soirs j'irai te poursuivre

Jusques dans ton appartement.

RIGAUT.

Gardez-vous de cette folie :

935   Quand je cède au sommeil trompeur,

L'ombre d'une femme jolie,

Ne me fait pas l'ombre de peur.

ADÉLAÏDE, tombant sur un banc de gazon.

AIR : Sentir avec ardeur.

Le jour fuit de mes yeux,

Mon coeur se déchire :

940   Cruels adieux !

RIGAUT.

Ah, Dieux !

Quel affreux martyre !

MONSIEUR JOURDAIN.

Bon ! Bon ! C'est pour rire.

ADÉLAÏDE.

Je cède à mes douleurs...

945   Ma parole expire...

Plus de clameurs...

Je meurs.

MONSIEUR JOURDAIN.

Sortons sans répondre à cela.

RIGAUT.

Oui-dà,

950   Oui-dà,

Ça s'dit comm'ça ;

Mais comment tiendrait-on à ça,

Madame, holà !

J'suis encor là :

955   Sa pâleur me trouble,

Son pouls qui redouble,

S'en va grand'pas,...

Et ne revient pas.

Ah ! ça, Madame, ici cessons de badiner :

960   Ce qui me faisait rire, à présent m'intimide ;

Est ce vous qui mourez, ou bien si c'est Armide ?

MONSIEUR JOURDAIN.

Sortons d'ici sans lanterner :

De ces morts d'Opéra, faut-il se chagriner ?

Pour quitter une femme on n'est pas homicide.

MONSIEUR MOUTON.

AIR : Babet, que t'es gentille !

965   Sortons, quel myrte vaut

Le laurier d'une thèse ?

MONSIEUR JOURDAIN.

Où Thémis parle, il faut

Que Cupidon se taise.

RIGAUT.

Adieu donc, ma foi,

970   Pour le coup de moi

Cujas enfin dispose ;

Car dans ce moment plein d'effroi,

Ou son suppôt me fait la loi,

Je sens qu'en m'éloignant de toi,

975   Mon coeur plaide ta cause,

Mon coeur plaide ta cause.

Jourdain Mouton emmènent Rigaut, qui fait encore plaisamment quelques efforts pour revenir sur ses pas.

SCÈNE IX.

ADÉLAÏDE seule, revenue de son évanouissement.

De l'habit de Renaud, trop déplorable effet !

Il me laisse. Il fuit le perfide !

Il a fini son rôle avant de l'avoir fait :

980   Il agit en Renaud, agissons en Armide.

AIR : Ciel ! l'Univers.

Oui, c'en est fait : ma fureur va dissoudre

L'ouvrage ici par mes mains commencé ;

Qu'ainsi que d'un coup de foudre,

Tout le Théâtre écrasé

985   S'en aille en poudre,

Tombe embrasé.

Brisez,

Obéissez :

Que tout s'efface

990   En ma disgrâce,

Mettez, de grâce,

Le feu

Dans ce lieu.

Plusieurs Garçons de Théâtre accourent armés de torches allumées et se préparent à mettre le feu.

SCÈNE X ET DERNIÈRE.
Adélaïde, Hiradot, Julie, Clarice, Danseurs, Dansèuses Pompiers, etc.

HIRADOT.

Au feu ! Courez, amis ; éteignez promptement.

À Adélaïde.

995   Quel Démon vous possède, et quel emportement !

Quoi, pour un intérêt si mince

Immoler un spectacle attendu par le Goût !

Est-ce à l'Opera de Province

D'oser mettre le feu partout ?

ADÉLAÏDE.

1000   L'Amour au désespoir..... L'Amour dans sa colère....

HIRADOT.

Oubliez pour toujours cette erreur d'un moment :

Montrant le Public.

Désormais voilà votre amant,

C'est à lui seul qu'il vous faut plaire,

Il sait s'attacher constamment :

1005   Quand Melpomène ailleurs l'invite

Par une heureuse nouveauté  [ 4 Mustapha, Tragédie nouvelle de M. de Champfort.]

S'il se permet une infidélité,

Jamais, du moins, il ne nous quitte.

ADÉLAÏDE.

Votre conseil doit l'emporter.

1010   Oui, redoublons d'efforts lorsqu'on nous encourage :

Du départ d'un amant que j'allais regretter

Que le Public nous dédommage ;

Empêchons-le de nous quitter,

Et puisqu'il est ici pour nous voir répéter,

1015   Profitons du moment pour briguer son suffrage.

VAUDEVILLE.

AIR : J'offre ici mon savoir-faire.

HIRADOT.

À titre de machiniste,

Je cultive un art qui vous plaît ;

Le Théâtre le plus triste

S'embellit, grâce à mon sifflet :

1020   Je promets plus d'un changement ;

Messieurs, qu'ici la foule abonde :

En montrant son sifflet.

Mais au son de cet instrument,

Que jamais l'écho ne réponde.

CLARICE.

Je suis simple confidente

1025   Mon rôle est toujours fort discret :

Muette et partant prudente,

Je sais comme on garde un secret :

Avec moi daignez éclater,

Et certain du plus grand silence,

1030   Si la pièce a su vous flatter

Mettez-moi dans la confidence.

JULIE.

En évitant la présence

De ce marchand à qui je dois,

Si de la reconnaissance

1035   J'ai tant soit peu fraudé les droits :

Pardonnez, dès qu'il s'agira

De les acquitter où vous êtes,

J'avouerai, quoiqu'à l'Opéra,

Qu'il est doux de payer ses dettes.

ADÉLAÏDE, au Public.

1040   D'entrer sans cesse en colère

La Critique se fait un jeu :

Contre un Auteur qui veut plaire

Elle attise partout son feu :

Mais si, lorsqu'il a réussi,

1045   La gaieté n'a point à se plaindre,

En daignant applaudir ici,

Messieurs, c'est à vous de l'éteindre.

Les acteurs qui sont sur la scène reprennent en choeur les quatre derniers vers du Vaudeville, et font place au ballet qui doit terminer la pièce.

 


J'ai lu par ordre de Monsieur le Lieutenant-Général de Police, l'Opéra de Province, Parodie d'Armide ; et je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru devoir en empêcher la représentation et l'impression. A Paris, ce 29 Novembre 1777.

Signé, SUAUD,

Vu l'Approbation, permis de représenter et d'imprimer, ce 10 Novembre 1777. Signé, LE NOIR.


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Notes

[1] Polymnie : Muse de la Rhétorique et de l'éloquence.

[2] Terpsichore : Muse de la Danse.

[3] * On passe ce couplet à la représentation.

[4] Mustapha, Tragédie nouvelle de M. de Champfort.

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