******************************************************** DC.Title = L'OPÉRA DE PROVINCE, COMÉDIE. DC.Author = BARRÉ, RADET, DESFONTAINES DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Parodie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 30/11/2022 à 17:31:43. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/BARRE-DESPRES-PIIS-RESNIER_OPERADEPROVINCE.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9785660m DC.Source.cote = BnF LLA 8-YTH-13078 DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** L'OPÉRA DE PROVINCE NOUVELLE PARODIE D'ARMIDE EN DEUX ACTES et EN VERS, MELÉS DE VAUDEVILLES. Représentée pour la première fois, à Paris, le Mercredi 17 Décembre, 1777, et à Versailles, devant LEURS MAJESTÉS le Vendredi suivant, par les Comédiens Italiens Ordinaires du Roi. Le prix est de 24 sols. M. DCC. LXXVII. Avec Permission. Par P. Y. BARRÉ, J. B. RADET et F. G. DESFONTAINES. À PARIS, Chez VENTE, Libraire des Menus-Plaisirs du Roi et des Spectacles de Sa Majesté, au bas de la Montagne Sainte-Geneviève. Représentée pour la première fois au théâtre du VAUDEVILLE, le 19 floréal, an 5, (8 mai 1797, v. st.) PERSONNAGES. ADÉLAÏDE, Directrice d'Opéra, Mde Trial. HIRADOT, oncle d'Adélaïde, M. Suin. RIGAUT, Etudiant en Droit, M. Trial. ISIDORE, ami de Rigaut, M. Narbonne. MONSIEUR JOURDAIN, oncle de Rigaut, M. Nainville. MONSIEUR MOUTON, Maître en Droit, M. la Ruette. UN SUISSE, M. Gaillard. Choeurs de Chanteurs, Chanteuses, Danseurs et Danseuses. Plusieurs Garçons de Théâtre. La Scène est à Reims en Champagne. Pendant les trois premières scènes le Théâtre est nue et dans la confusion, d'un spectacle naissant. ACTE PREMIER. SCÈNE PREMIÈRE. Adelaïde, Julie, Clarice. JULIE. AIR : Madelon, qu'avez-vous donc ? Votre air nous trouble et nous confond ; Qu'avez-vous ? qu'avez-vous qui vous gêne ? C'est peut-être un ennui profond,Peut-être un accès de migraine. ADÉLAÏDE. Ah ! ah ! Ce n'est pas celaQui cause ma peine. CLARICE. Nous donnons Armide au plutôt :Vous craignez, tant la chance est traîtresse,Qu'on n'ait pas les yeux de Renaud Pour les appas de sa maîtresse. ADÉLAÏDE. Ah ! ah !Ce n'est pas celaQui fait ma détresse. JULIE. Vous n'éprouvez, Madame, aucun de ces obstacles Qu'on éprouve partout à lever des Spectacles ;Et je m'aperçois trop en assiégeant vos pas, Qu'un chagrin sans motif a pour vous des appas. ADÉLAÏDE. Hélas ! CLARICE. Tous les Rémois, dans leur ville embellie,Semblent nous accueillir avec empressement ; Chacun vous fait sa cour et croit en vous voyant,Voir Vénus, sous vos traits, recruter pour Thalie.De nos jeunes acteurs l'essaim se multiplie ;Chaque jour voit signer un tendre engagement,Et toujours la mélancolie.... ADÉLAÏDE. N'en doute point, Clarice ; eh ! Qu'importe à mon coeur,Des amants Champenois le peuple adorateur,Ces conquêtes sans gloire et leur foule importune ?En faire mille est moins flatteur, Qu'il n'est cruel d'en manquer une. JULIE. Quel homme impunément a pu voir tant d'attraits ? ADÉLAÏDE. Votre amitié m'oblige à trahir mes secrets. AIR : Nous avons une terrasse ; de la Fête du Château.Mon coeur s'entend avec le vôtre,Et vous me prouvez,Combien vous l'éprouvez : Or, écoutez l'une et l'autre,Et taisez-vous, si vous pouvez.L'autre jour donc, passez-moi l'heure,Tranquille et seule en ma demeure,Je me parlais confidemment, Pensant à rien profondément ;Lorsqu'une voix qui m'enlevaJusqu'à moi soudain arriva. Bis.Le goût dictait ses sons intéressantsJe les recueille, et mon âme est saisie ; Vers la maison d'où partaient ces accents,Mon oeil s'échappe entre la jalousie :Je vois sur la terrasseEn face,Un jeune homme aimable et touchant : Son air modèleTrahit et de resteUn chagrin funeste :Son maintien l'atteste ;Car d'un beau geste, Qu'il pillait d'Oreste,Ce blondin célesteAccompagnait son chant. AIR : Je suis Lindor.C'était sur l'air d'une chanson commune :« Oui, disait-il, j'eusse été Bachelier : On me refuse, et je dois l'oublier ; Un autre état convient à ma fortune. »En écoutant sa voix flexible et tendre,Mon coeur bientôt se sentit émouvoir ;Et je trouvai du plaisir à le voir, Quand je croyais n'en trouver qu'à l'entendre.Ah ! disais-je, qu'il a d'appas !Mais, non, peut-être il n'en a pas ;Mon oeil est abusé, j'en veux être certaine :Et j'ouvrais ma fenêtre, hélas ! Quand le cruel ferma la sienne. CLARICE. AIR : Tout roule aujourd'hui dans le monde.Quel est-il ce héros, Madame,Dont les traits ont su vous charmer ? ADÉLAÏDE. J'ai, pour oser nourrir ma flamme,Commencé, par m'en informer. Ce Rigaut qu'un autre accompagne,Et qu'on arrête en son chemin,Depuis huit jours est en ChampagnePour apprendre le Droit Romain. JULIE. AIR : Non, je ne ferai pas.Et pourquoi donc gémir ? Souffrez qu'on vous console : L'amour se glissera sur les bancs de l'école ;Paraissez : un regard suffit pour le dompter,Et fût-ce un Procureur, il ne peut résister.Je mets pourtant la chose au pis. ADÉLAÏDE. Non. Rigaut est dans l'âge où sans effort on aime, Mais son indifférence extrêmeTient encor ses sens assoupis.D'ailleurs, l'amour, dit-on, est pour lui peu de chose.Ce dehors apprêté dont la douceur impose,Cache un mortel fougueux, inquiet, agissant, Et si je suis bien informéeC'est par ses soins déjà que la cabale arméeCherche à déconcerter notre Opéra naissant :Je fais pour le haïr un effort impuissant :Oui, soit que je me couche ou soit que je me lève, Je le vois : je le vois jusque dans mon sommeil ;Et, comme bien des gens, toujours heureuse en rêve,Je poursuis un bonheur qui fuit à mon réveil. AIR: J'ai rêvé toute la nuit.J'ai rêvé toute la nuitQu'ici par l'amour conduit, Il cherchait à débuterEt je le faisais,Et je le faisais,Il cherchait à débuterEt je le faisais chanter. CLARICE. Mais, Madame... ADÉLAÏDE. Il suffit, n'en prenez pas la peine,Vous m'allez consoler pour allonger la scène ;M'en croirez-vous ? Abrégeons-la d'un mot.J'aperçois mon oncle Hiradot :Dissimulons mes feux, cachons à sa vieillesse Mon amour naissant pour Rigaut,Et les erreurs de ma jeunesse. SCÈNE II. Les précédents, Hiradot, une affiche à la main. HIRADOT. AIR : Jardinier, ne vois-tu pas ?L'annonce que je tiens làPeut-elle être plus riche ?C'est pour dimanche, et déjà Dans tous les coins, l'OpéraS'affiche, s'affiche, s'affiche. ADÉLAÏDE. Le choix d'Armide, enfin, plaît-il en ce moment ?Lit-on l'Annonce ? HIRADOT. Assurément.Déjà même on s'échauffe et la dispute est vive ; Chacun disserte : on s'invective,On veut avoir un sentiment. AIR : Tous les Bourgeois de Chartres.Tous les bourgeois par clique,Raisonneurs, beaux esprits,Chacun à leur musique Ont adjugé le prix.Les vieux pensent qu'Armide était plus redoutable :Les jeunes gens, du neuf épris,Disent que les airs qu'elle a prisLa rendent plus aimable. Enfin d'oisifs ici tous les cafés sont pleins ;Le luxe règne à Reims comme à la Capitale ;À fêter l'Opéra les Rémois sont enclins,C'est le temps d'étaler son chant et sa morale,Vous l'avez bien saisi. ADÉLAÏDE. AIR : De tous les Capucins du monde.Oui ; mais je voudrais de rencontreEnrôler une haute-contre,Qui fit entendre en criant haut,À des Auteurs tels que les nôtres,Les beaux Opéra de Quinault, Plus beaux depuis qu'ils en font d'autres. HIRADOT. Bon ! Qu'importe cela ?Ne vous chagrinez pas sur cet article-là.Attendu le grand bruit qu'un orchestre doit faire,Le volume des voix n'est pas fort nécessaire. Le Public étourdi par l'accompagnement,Sourd aux cris du chanteur, n'entend que l'instrument :S'agit-il d'un combat ? La timbale bruyante,À frapper un coup sur aide une main tremblante;Le Héros n'est-il plus ? Un lugubre basson Sait faire autour de lui pleurer à l'unisson :Avec une bergère est-ce l'amour qui lutte ?Le plaisir modulé découle de la flûte,Tandis qu'un violon, rival du flageolet, Remonte, à sons aigus, jusques au chevalet. ADÉLAÏDE. Allez, quoiqu'il en soit, ces raisons sont frivoles,Il faut que la musique, esclave des paroles,Dans l'oreille attentive entrant avec les vers,Partage ici les droits qu'elle a seule aux Concerts. HIRADOT. Avons-nous pour guider et le chant et la danse, La main, je dis la main, d'un artiste éminentQui de droite et de gauche allant et revenantFrappe sur un pupitre et dicte la cadence ? ADÉLAÏDE. AIR : Vaudeville des Chasseurs et de la Laitière.Non, non,mon oncle, je vous jure,Arrivera Ce qui pourra ;Sans qu'on nous marque la mesure,Nous jouerons ici l'Opéra :Ce moyen n'est rien moins qu'auguste :Faut-il donc pour garder le ton, Que ce soit à coups de bâtonQu'une Déesse chante juste ? Bis. HIRADOT. Passe pour le bâton, mais ce n'est pas là tout,Le dessein de la toile est-il fait avec goût ? ADÉLAÏDE. AIR : Olire, Olire.Lauriers par-ci, par-là ; Bis.On y voit une Lyre,Ô Lyre , Ô Lyre !On y voit une Lyre, Ô Lyre ! HIRADOT. Holà. Tout ceci me paraît d'un assez bon augure,Et malgré mon congé signé par la nature,Chez vous, n'étant plus propre à l'emploi des amants,Je ferai les Sorciers ou du moins les tyrans. AIR : Valet chez une Fermière.J'avais une basse taille Qui faisait beaucoup d'effet,Et, Et, Et, Et, Et ;Mais quand longtemps on criaille,Et qu'à tout moment on braillePour passer à certain trait ; Il faut que la voix s'en ailleEt qu'il reste un jeu muet.Quant à vous qui joignez la voix à la finesse,Spectacle à part, il faut songer à vous,Et franchement, vous auriez tout, ma nièce, S'il ne vous manquait un époux. ADÉLAÏDE. AIR : De la double Octave.Ah ! Du moins faudrait-il, si je donnais ma main,Si quelqu'un forçait cet obstacleQue ce fût un acteur divin,Dont le gosier léger fit briller mon spectacle : Qu'un chanteur mieux que ce Rigaut,Me fasse en plein la double octave,Et dans ses fers chéris, en volontaire esclave,Votre nièce s'engage et l'épouse aussitôt. HIRADOT. Ce Rigaut pourrait-il ?... Tous nos acteurs s'avancent Ils viennent aujourd'hui s'exercer sous nos yeux,Mais en attendant qu'ils commencent,Je veux par mes avis, en vétéran fameux... SCÈNE III. Les précédents, tous les Acteurs et toutes les Actrices entrent. HIRADOT. Allons, courage, amis. Les Rémois curieuxTémoignent aujourd'hui leur juste impatience : Tout nous promet que nos efforts heureuxMériteront leur indulgence.Pour plaire à ce Public prêt à vous couronner,Profitez des conseils que je vais vous donner. AIR : Vaudeville de la Rosière.Acteurs en chef, sans nul remord [Note : Polymnie : Muse de la Rhétorique et de l'éloquence.]Bravez les lois de Polymnie ;Le goût sans doute a toujours tort,Puisque le goût défend qu'on crie :Voici le mot : songez-y bien ;Crier est tout, chanter n'est rien. CHOEUR. Voici le mot ; songeons-y bien ;Crier est tout, chanter n'est rien. HIRADOT. Que toujours à ressorts montés,Votre marche soit symétrique ;Votre colère à pas comptés, Votre désespoir méthodique;Gesticulez ou mal, ou bien ;Le geste ici n'entre pour rien. CHOEUR. Gesticulons, ou mal, ou bien,Le geste ici n'entre pour rien. HIRADOT au Choeur. Pour vous, vos rôles sont aisés ;Adossez-vous à la coulisse,Et répétez, les bras croisés,Ce qu'a dit l'acteur ou l'actrice ;Qu'on chante mal, qu'on chante bien, Quand c'est en choeur, on n'entend rien. CHOEUR. Qu'on chante mal, qu'on chante bien,Quand c'est en choeur, on n'entend rien. HIRADOT, aux Danseuses. Et vous, Mesdames, n'allez pas[Note : Terpsichore : Muse de la Danse.]Suivre exactement Terpsichore. Entre nous, croyez qu'un faux pasÀ vos talents ajoute encore :Que Vénus danse ou mal, ou bien,Vénus est belle, on ne dit rien. CHOEUR. Que Vénus danse ou mal, ou bien, Vénus est belle, on ne dit rien. ADÉLAÏDE. AIR : Et ça fait toujours plaisir.Je compte aussi sur leur zèle, Notre succès est certain ;Quand une troupe est nouvelle,Le Spectateur est en train. Une étoffe est toujours belle Au sortir du magasin.Qu'un spectacle magnifiqueCharme un public incertain.Nous attirons la pratique Ainsi qu'un marchand malin ;Il faut parer la boutiquePour vider le magasin. HIRADOT. Amours froids, et pauvres Diables,Zéphir lourd, Triton badin, Plaisirs courts, Heures durables,Très subalterne destin,Et planètes habitables, Tout se trouve au magasin. JULIE. Nous avons bien d'autres choses Qu'on fait et défait soudainAutre part les fleurs éclosesMeurent du soir au matin ;Mais chez nous on voit les rosesRajeunir au magasin. SCÈNE IV. Les précédents, Un Suisse, avec un tronçon de hallebarde à la main et dans le désordre d'un homme qui vient d'être, battu. LE SUISSE. AIR : Du Noël Suisse.Li Tiaple m'emporteSi reste à ton porte ;Montame, entreraDésormais qui foudra ;Moi n'afoir pu tenir contre in Pourchois mutin Qui repoussir tout seul mon pique avec son main; TOUS LES ACTEURS, l'un après l'autre, avec un geste d'effroi. Seul, est-il possible ! LE SUISSE. Li être trop terrible.Li Tiaple m'emporte, etc.Or sti champion plus fort que quatre, Quand li m'allongir coup sur coup,Tir « moi fouloir entrer ou moi fouloir te battre,Car de la Tirectrice être foisin beaucoup ». ADÉLAÏDE. Ciel ! C'est Rigaut ! À part.Celui que j'aime ! LE SUISSE. Li être là son nom : c'est lui-même. HIRADOT, impétueusement. Il est ici ? Courez. Avant qu'il soit dehors,Qu'on le cherche à l'instant dans tous les corridors. AIR : Sous le nom de l'Amitié.Poursuivez ce Monsieur-là,Chers amis, qu'on le prenne, Bis.Poursuivez ce Monsieur-là ; Désormais qu'il apprenneSi l'on force à l'Opéra : Poursuivez, poursuivez, poursuivez ce Monsieur-là. CHOEUR. Poursuivons, poursuivons, poursuivons ce Monsieur-là. Les acteurs sortent. SCÈNE V. Adelaïde, Hiradot, les actrices précédentes. ADÉLAÏDE. Le suivre ! Dans nos jeux, ah ! plutôt l'engager, Le résoudre à les partager Unir à nos talents sa voix enchanteresse ! HIRADOT. Comment ! C'est donc celui... ADÉLAÏDE, avec passion Celui qui m'intéresse ;Dont le chant... HIRADOT, courant à la coulisse. Qu'il soit libre. Arrêtez en ce cas, Arrêtez, chers amis.... ADÉLAÏDE. Hé non ! Leur maladresse Propice à nos desseins, va servir ma tendresse ;Car Rigaut dont on suit les pas,Autour d'eux tournera sans cesse,Et leurs yeux complaisants ne l'apercevront pas.Mais un soin différent nous presse : Il faut contre ses sens armer l'illusion,D'un spectacle magique embellir cet asile,Et subjuguer ici son courage indocile,Par les charmes unis de la séduction. HIRADOT. La chose à l'Opéra paraîtra difficile : Mais le projet pourtant peut être exécuté ;De ces murs dépouillés et tristes,Par un aspect riant masquons la nudité :Cessez, affreux chaos. Paraissez, Machinistes ;Presto, faites éclore un pays enchanté. AIR : Vaudeville du Maréchal.Allons qu'on décore à rinçant ;C'est le point le plus important.Que l'art du Peintre nous acquitteAu spectateur offrons ses soins ;Satisfaisons les yeux au moins, Et du reste on nous tiendra quitte ;Tôt, tôt, tôt,Courez tôt,Montez, tôt,Bon courage ! Nos succès seront votre ouvrage.Arbres, accourez à ma voix,Prendre racine dans du bois ;Et que derrière chaque vase,L'invisible bras d'un Triton, Dans ces grands bassins de carton,Fasse jaillir des flots de gaze ; Tôt, tôt, tôt,Courez tôt,Montez tôt ; Bon courage !Nos succès seront votre ouvrage. ADÉLAÏDE, au Décorateur. Si le Peintre a fini les cieux,Qu'on les arrange sous nos yeux ; Numérotez tous les nuages, Économisez les éclairs ; Et quand mon char fendra les airsN'allez pas lâcher les cordages : Tôt, tôt, tôt,Courez tôt, Montez tôt,Bon courage !Nos succès feront votre ouvrage. Le Théâtre change par degrés aux ordres d'Hiradot. La décoration représente des jardins enchantés embellis de statues et de cascades, comme le séjour aérien du troisième acte de la Belle Arsene. HIRADOT. Ah miracle ! Le fond est d'un goût que j'approuve ;Ce ciel est d'un beau bleu, ces bois sont d'un beau vert ; Surtout préparez le désert : La scène, à l'Opéra de temps en temps s'y trouve. ADÉLAÏDE, aux Danseuses. Vous, ajoutez encore à ce prestige heureux : Costumez-vous et que l'or brille,Zéphirs, Démons, que tout s'habille ; Enchaînons son esprit en amusant ces yeux. Rigaut paraît dans le fond du Théâtre.Quelqu'un paraît : c'est lui, je gage : C'est lui-même en effet. Dans le piège il s'engage ;Cachons nous. Qu'un moment il soit seul en ces lieux. SCÈNE VI. Rigaut, Isidore. ISIDORE. AIR : C'est une excuse. Vous voilà deux torts, Dieu merci, L'un à l'école et l'autre ici,Ce n'est guère être sage: RIGAUT. Mon ascendant me fait la loi :Ce fut toujours mon faible à moiQue le courage. ISIDORE. AIR : De Monsieur de Catinat.Oui, tout à l heure encor je m'en suis aperçu. RIGAUT. Dans ce combat enfin mon bras m'a-t-il déçu ? ISIDORE. D'accord : mais chaque fois le Suisse, à votre insu, Me redonnait le coup dès qu'il l'avait reçu.Quoi qu'il en soit, domptez ce fougueux caractère, Trop de vivacité ne vous réussit guère.Moi, je suis pacifique et tant mieux ; car enfinVous êtes Maître-ès-Arts, même un peu libertin :Vous savez à ravir, jouer la Comédie, Vous lisez couramment Cicéron en latin, Et pourtant on vous congédie.En Droit comme en amour, moi, je suis écolier ;Je ne saurai jamais jouer dans un Proverbe ;C'est tout au plus, je crois, si je conjugue un verbe... RIGAUT. Aussi vous voilà bachelier : Mais moi chez l'Agrégé, je fais ce qui m'arrête ;Mon oncle lui promit du muscat de son cru : Ce vin est arrivé. Devinez. Je l'ai bu ; Et ce vin, que j'ai bu, lui fait tourner la tête.Il me poursuit dans Reims, et pour mieux le tromper, Je me mets prudemment à l'ombre des coulisses.Dans cet asile-ci, je suis sûr d'échapper ; Viendra-t-il me chercher au milieu des actrices ? ISIDORE. AIR : Un Chanoine de l'Auxerrois.Supposé que le MaîtreEn Droit N'osât paraître,En cet endroit,Quel danger est le vôtre ! Craignons qu'un bien plus grand docteur,L'oeil sous son bandeau séducteur, N'en offusque le nôtre :Oui, quoique habile en sa façon,Ce maître en donnant la leçon,Et, zon, zon, zon, Gâte la raison, Tout aussi bien qu'un autre.Votre démarche enfin me paraît hasardée : Les yeux d'Adélaïde ont un si grand pouvoir !Quand on la voit... RIGAUT, avec indifférence. J'ai pu la voir ; Mais je ne l'ai pas regardée. ISIDORE. AIR : De la ceinture.Vous êtes jeune, et vous chantez,Double raison ici pour plaire ; L'une de ces deux qualités,Peut vous y rendre nécessaire. RIGAUT. Non, non, ne craignez rien, je serai spectateur. Dans ces lieux à l'instant, puisqu'on répète Armide,Sur son mérite, il faut que je décide,Et je vais critiquer à titre d'amateur. Avec un air de confidence.C'est moi qui des Journaux fomentant les querelles,Des musiques du temps juge tort étranger, Dans de petits pamphlets au bon goût infidèles,Donne, injuste Paris, la pomme à l'une d'elles,Tandis qu'en trois peut-être on peut la partager. ISIDORE. Restez-y donc tout seul ; attendez qu'on répète :Mais pour moi que tout inquiète, AIR : Landeriri.Par cet escalier que voiciConduisez-moi, mon cher ami,Lon lan la derirete ;Car je crains de me perdre ici,Lon lan la deriri. SCÈNE VII. RIGAUT, seul, considérant la décoration. AIR : de la Bequille.Plus j'observe ces lieux,Et plus je les admire :Quel art ingénieux !La toile ici respire :Tout concourt à séduire Dans cet endroit charmant,Où le jour ne peut luireQue la nuit seulement. Apercevant un recueil d'Opéra. AIR : Monsieur le Prévôt des Marchands.Un recueil d'Opéra ! Lisons :Toujours couchés sur des gazons, Héros, qu'au Théâtre on nous donneVous reposez à qui mieux mieux :Allez, l'Amour vous le pardonneEt le Public ferme les yeux.Oui toujours de l'acteur à ce théâtre-ci, Par ses propres chansons la langueur est bercée :C'est Atis... C'est Roland... C'est Titon... C'est Persée,C'est l'aimable Renaud... et c'est moi-même aussi. Il s'endort. On danse autour de lui. Plusieurs Danseuses le couronnent de fleurs et l'entourent de guirlandes. L'Orchestre joue l'air : Dodo, l'enfant do. SCÈNE VIII. Les mêmes, Adelaïde. ADÉLAÏDE. AIR : Ah ! mon cher ami, que j't'aime.Enfin on le tient,Rigaut m'appartient, Le sommeil l'offre à ma rage. Écoutons-là...Pinçons-le là...Courage !Mais Dieux, quels traits! Qu'il a d'attraits !De grâce...Je m'attendris... Ah ! Ma fureur s'en va, L'amour se glisse à la place. Une Reine autrefois, au milieu de sa Cour,Honora d'un baiser la science endormie :Les palmes : les lauriers sont les prix du génie ; Restituons ce baiser à l'Amour. AIR : Un moment, on m'attend; du Roi et le Fermier.Un baiser ! Doucement : Agissons décemment : L'usage veut qu'on soit moins tendrePrès d'un amantFait récemment ; N'allons pas trop innocemment, Lui donner ce qu'il doit me prendre. AIR : Que n'aviez-vous, coeur insensibles.Dors, mort enfant, clos ta paupière,Surtout songe à rêver de moi : Tu le dois à la nuit dernière,Où je revois si bien de toi. AIR : de la Magnotte,Accourez, messieurs les Zéphirs,Habillés pour Armide ;Volez, secondez les désirsD'une amante timide :Suivez mes lois ; bis.Je crains qu'il ne déloge,En tapinois bis.Qu'on l'emporte à ma loge. Quatre Danseurs habillés en Zéphirs emportent Rigaut. SCÈNE IX. Les précédentes, Adélaïde. CLARICE. AIR : Comme un oiseau.Un repos si long, je vous jureMe semble d'un fâcheux, augure, Ah ! Croyez m'en :Souffrez que le Droit se l'adjugeCe sommeil-là, promet un jugePlus qu'un amant. JULIE. Tout ceci néanmoins nous met dans l'embarras : La répétition trop longtemps se diffère ;Ainsi que vous, Madame, on a plus d'une affaire,Et tout le monde ne dort pas. ADÉLAÏDE. Écoutez-moi : différer de la sorte,Pour notre bien commun, c'est agir à propos : Dans ce rôle éclatant, vous tentez qu'il importeDe choisir un acteur taillé pour un hérosNous en avons bien un préparé pour Armide ;Mais on n'ose avec lui compter sur un succès : Lui-même ici, tout l'intimide : Peut-il chanter en France ? Il a le goût Français. CLARICE. Un autre obstacle nous arrête : Nous attendions pour répéter ; Le rôle de Renaud (daignât-il l'accepter)Pourrait-il tout d'un coup se loger dans sa tête ? ADÉLAÏDE. Vous raisonnez fort sagement ; Quand on n'a pas d'amour, on a du jugement :Mais moi qui l'aime ... et qui ? Moi, j'aimerais un traître ?Qui fut mon ennemi, qui l'est encor, peut-être ? Non, je dois le haïr : je le hais. Quel tourment ! Que ne puis-je appeler la Haine ?La Haine à nos accents ne se fait pas prier ;Mais après tout, est-ce la peinePour aussitôt la renvoyer ? Du moins en m'en parlant, encouragez la mienne. CLARICE. AIR : Des billets doux.L'Hymen est si capricieux,Que mon coeur n'est pas curieuxDe connaître sa chaîne : Car on le voit dans un seul jour,Le matin, frère de l'Amour Et le soir, de la Haine. JULIE. Dès qu'on n'a pas de quoi payer,On voudrait fuir un créancier,Quand l'Aurore l'amène :Mais au coup qu'il frappe à moitié, On croit entendre l'Amitié,Et l'on ouvre à la Haine. CLARICE. Lorsqu'en tête à tête on a vuUne belle-mère et sa bru,Que le hasard enchaîne ; Sans calculer avec ses doigts,On peut jurer qu'elles sont trois,En y comptant la Haine. JULIE. Hé bien, nos chants, Madame ? ADÉLAÏDE. Au mieux !Mais rien encor n'éteint les feux De mon ardeur jalouse : Oui, l'Amour m'attache à mon choix;Pour cesser de l'aimer, je crois,Il faut que je l'épouse. ACTE II SCÈNE PREMIÈRE. Monsieur Jourdain, Monsieur Mouton, Garçons de Théâtre qui se précipitent au devant d'eux pour les empêcher d'entrer. UN GARÇON DE THÉÂTRE. On n'entre pas, Messieurs. MONSIEUR MOUTON. Comment ! MONSIEUR JOURDAIN. Nous n'y resterons qu'un moment. UN GARÇON DE THÉÂTRE. AIR : Des Folies d'Espagne.Désobéir nous nuit et nous expose ;L'ordre est précis, et Monsieur m'entend bien. MONSIEUR MOUTON. J'entends, je crois : donnons-leur quelque chose ; Car en ces lieux rien ne se voit pour rien. MONSIEUR JOURDAIN. Tenez, laissez-nous. UN GARÇON DE THÉÂTRE. Grand merci. SCÈNE II. Monsieur Jourdain, Monsieur Mouton. MONSIEUR JOURDAIN. Vous croyez que Rigaut... MONSIEUR MOUTON. Je crois qu'il est ici. MONSIEUR JOURDAIN. Vous m'étonnez, sur ma parole : Il s'est enfui depuis huit jours ! MONSIEUR MOUTON. Il a de sa Licence interrompu le cours ; Je l'ai même obligé de sortir de l'école.Ni jugement, ni facultés ;Querelleur, nonchalant, coeur lâche, esprit timide,Incapable d'un goût solide,Profond dans les futilités, Petit sujet. MONSIEUR JOURDAIN. Fût-il, cent fois plus imbécile,J'imaginais qu'ici tout était pour le mieux ;Et franchement j'en connais mille,Qui fameux à Paris, et reçus dans ces lieux,Témoignent qu'en Champagne on n'est pas difficile. MONSIEUR MOUTON. Vraiment je le sais bien ; l'abus est déjà vieux. AIR : L'autre jour étant assis..Depuis qu'un intérêt vilA mis les Arts en régies,Le Droit Canon et CivilS'achète au poids des bougies. Cet usage est sacré : Tout RécipiendaireEst assez éclairé,Sitôt qu'il nous éclaire. AIR : Non, je ne ferai pas.Au moins faut-il connaître et suivre cet usage. MONSIEUR JOURDAIN. Rigaut l'a fait. Madame a dû, par son message,Recevoir un quartaut d'un vin très délicat,Que je vous réservais pour qu'il fût avocat. MONSIEUR MOUTON, avec empressement. Heim ? Parlez. MONSIEUR JOURDAIN. Un quartaut. MONSIEUR MOUTON. Comment ! À mon adresse ? MONSIEUR JOURDAIN. Assurément, et du plus fin. MONSIEUR MOUTON. Le méchant ! Me le taire, et garder pour la finLe point surtout qui m'intéresse !Un quartaut ! Le quartaut est en chemin ;Mais nous l'aurons, et rien ne presse.Ce cher enfant le sait et ne m'a pas instruit. Hé bien ! tenez ; je suis pour ce que j'en ai dit.Ce garçon-la promet. Il faut qu'on le ménage ; Lorsque son feu l'emporte, il s'y livre d'abord ;Mais il retient sans peine, il comprend sans effort,Et pense beaucoup plus qu'on ne pense à son âge. Muscat ? MONSIEUR JOURDAIN. Oui. Je le crois. MONSIEUR MOUTON. Tant mieux. Je n'en ai plus.D'ailleurs son caractère est heureux, et paisible ;Il a de l'âme, il est sensible ; Et c'est-là franchement le ressort des vertus. MONSIEUR JOURDAIN, avec humeur. Il s'agit bien... MONSIEUR MOUTON. Mais sans scrupule Je puis en parler sur ce ton. MONSIEUR JOURDAIN. Permettez-moi, Monsieur Mouton,Son éloge est très ridicule.Deux mots. Vous l'hébergiez. Rigaut est délogé : C'est le fait. Trêve au reste. Où s'est caché l'infâme ? MONSIEUR MOUTON. Dans ce spectacle-ci je le crois engagé,Pour y chanter on l'a gagé ; Il soupire aux pieds d'une femme. MONSIEUR JOURDAIN. Suivez-moi donc. Allons. Je prétends l'y chercher,De ces bras séducteurs je prétends l'arracher. Mais qu'est-ce ? SCÈNE III. Les précédents, Julie, Clarice, Danseurs et Danseuses. JULIE. AIR : Voilà la petite Laitière. Voici, Voici la charmante retraiteOù l'AmourA fixé sa Cour.Voici, voici la charmante retraite Où l'AmourA fixé sa Cour. CLARICE. Si l'Hymen qui cherche en secret,Et son exil, et sa défaite :Si l'Hymen un jour l'égarait ; Il ne faut pas qu'on le regrette,Chez nous on le retrouverait. TOUTES DEUX ENSEMBLE. Voici, voici la charmante retraiteOù l'AmourA fixé sa Cour. bis. On les entoure de guirlandes et l'on danse d'autour d'eux. MONSIEUR MOUTON. Mais on se moque, je crois : Quel est cet insolent délire ? MONSIEUR JOURDAIN, furieux. Morbleu, Mesdames, laissez-moi;Je ne suis pas ici pour rire. CLARICE. AIR : Laissez paître vos bêtes.Laissez, laissez-nous faire, Souffrez ces fers galants ; Les noeuds qu'ici l'on serre,Sont tous des noeuds coulants. Ils s'agitent et secouent leurs guirlandes pour s'en débarrasser. JULIE. Soyez plus doux,Et comme nous, Goûtez le parfum séducteurDe ces fleurs, ( qui sont sans odeur. ) TOUTES DEUX ENSEMBLE. Laissez, laissez-nous faire,Souffrez ces fers galants ; Les noeuds qu'ici l'on ferre, Sont tous des noeuds coulants. MONSIEUR JOURDAIN. Je ne me trompe point ; sur mon honneur, c'est elle.La rencontre est heureuse, et je veux l'aborder.Ouais ! On dirait qu'elle veut m'éluder : Attendez, s'il vous plaît ; un mot, Mademoiselle : Me reconnaissez-vous ? JULIE. Qui, vous, Monsieur ? MONSIEUR JOURDAIN. Oui, moi.De me remettre, à tort votre grandeur dédaigne ;J'ai là certain billet... JULIE. Ah, ah, j'y suis, je crois.Vous logiez à Paris. MONSIEUR JOURDAIN. Certes. JULIE. À la Bonne-Foi. MONSIEUR JOURDAIN. Je n'ai jamais eu cette enseigne. JULIE. C'est pourtant chez vous que j'ai pris,Si je m'en souviens bien, plusieurs bagues de prix. MONSIEUR JOURDAIN. Comment ! JULIE. * AIR : Laisses-nous donc dormir.[Note : * On passe ce couplet à la représentation.]N'en soyez point en peine ;Gardez-vous de crier, Car dès cette semaineJe dois me marier ;Un bel anneau paieraToutes ces bagues-là. MONSIEUR JOURDAIN. Je ne suis point un bijoutier, morbleu ; Vous voulez m'abuser ; en feignant de le croire : Mais puisque je vous joins nous allons voir beau jeu :Je suis Marchand d'étoffe, et voilà mon mémoire. AIR : Sans cesse de la Ville, à la Cour ; de la Fête du Château.Il est signé de vous. JULIE, ironiquement. D'accord :Avec un nom l'on est bien fort. MONSIEUR JOURDAIN, lisant. Or donc, avoir fourni d'abord,En fait d'habits de caractères :« Une robe à grandes fleurs d'or,Pour jouer les bergères.Item, six lés de satin blanc, Pour être Vestale un moment. » JULIE. De l'argent de ce satin-làVous méritez que je vous frustre ;Car au sortir de l'Opéra,Il n'avait plus son lustre. MONSIEUR JOURDAIN. « Un juste de Vénus fort cherVu qu'il était couleur de chair ;De plus, un grand manteau tigré,Pour jouer parfois la Sauvage » . JULIE. Oh, c'en toujours contre mon gré, Que j'en ai fait usage. MONSIEUR JOURDAIN. Total... Julie disparaît avec les Choeurs qui si retirent en dansant. SCÈNE IV. Monsieur Mouton, Monsieur Jourdain. MONSIEUR MOUTON. Quelle vertu dans ce mot tout-puissant ! MONSIEUR JOURDAIN. Sans l'indigne neveu dont la perte m'occupe,De cette beauté-là je ne serais pas dupe ; Mais je suis agité d'un soin bien plus pressant.Courons, Monsieur Mouton, et cherchons votre élève. MONSIEUR MOUTON. Ainsi que vous, Monsieur, je m'y sens excité.Mais je crains bien qu'ici par l'amour arrêté,Il ne renonce au Droit.... MONSIEUR JOURDAIN. Il faudra qu'il l'achève. AIR : Des Bossus.Pour Avocat, sans doute il le sera :Oui, sur les bancs, Rigaut retournera ;Fût-il muet, le Barreau l'entendra:S'il devient sourd tandis qu'il plaidera,J'ai des écus; du moins il jugera. Ils sortent. SCÈNE V. Rigaut en cuirasse et couronné de fleurs ; Adélaïde, une baguette à la main et dans le costume d'Armide ; actrices et Danseuses. RIGAUT. Mon cher oncle m'attend, et sa fureur s'allume !C'en est fait. Je vais braver tout ;Contre un large Quinault j'ai troqué ma coutume;Me voilà sur la scène en dépit de mon goût ; AIR : Vous voulez me faire chanter.Vous voulez me faire chanter, Je cède à votre envie :Mais ces habits, lourds à porter,Ne m'iront de la vie.L'étroit maillot où l'on m'a mis,Me serre à perdre haleine : Un parvenu, dans ses habits,Est toujours à la gêne. AIR : Monsieur Charlot.Ai-je bon air ? ADÉLAÏDE. Non le Dieu de la ThraceN'a pas, sous sa cuirasse, Un regard aussi fier.Qu'il est joli !Qu'il est gentil !Il ressemble à Renaud, l'on dirait que c'est lui. CHOEUR. Qu'il est joli ! Qu'il est gentil !Il ressemble à Renaud, l'on dirait que c'est lui. RIGAUT. L'éloge est trop flatteur, et je n'osais l'attendre.Lui ressembler m'enorgueillit !Je suis certain d'être aussi tendre, Et je suis aussi beau, si l'amour embellit. ADÉLAÏDE. AIR : C'est que je suis aise.Cet amour qui vient d'éclore,Vivra-t-il ? RIGAUT. J'en fais le voeu Sur : cette main que j'adoreLaissez m'en sceller l'aveu : Ça que je la baise,Que je la rebaise. ADÉLAÏDE. Non. RIGAUT. Qui donne un désirDoit un plaisir. ADÉLAÏDE, RIGAUT. DUO. AIR : du Duo de Monsieur de la Garde.Nous nous aimons ; mais c'est peu de s'aimer, Il faut, pour nous accoutumerAu noeud que nous allons former,Voir si nous pouvons à la foisUnir nos goûts comme nos voix : L'hymen est un duo charmant Qu'il faut chanter également ;Car si l'on sortD'un tendre accord,L'humeur s'éveille et l'amour dort ; Mais je vous vois partager ma langueur ; Ah ! si vous aviez la rigueurDe m'ôter jamais votre coeur,À la perte de vos appasHélas ! Je ne survivrais pas. ADÉLAÏDE, choquée d'une caresse familière. AIR : Toujours va qui danse.Finissez, vous me fâcherez ;Un peu plus de prudence ;L'Amour compte autant de degrésQue la Jurisprudence. RIGAUT. J'ai fait la moitié du chemin Dans tous les deux, je pense ;Et je puis sans autre examenPasser à la Licence. ADÉLAÏDE. Votre ardeur se porte à l'excès,Rigaut ; vous oubliez que la toile est levée, Et que tous les bourgeois, sachant notre arrivée,Ont forcé le portier pour juger nos essais. RIGAUT, promenant ses regards dans la Salle. Il fallait poliment leur défendre l'accès.Voilà, quand on répète et que la foule abonde,Comme un Opéra meurt avant que d'être au monde. ADÉLAÏDE. Espérons mieux. Vous cependant,Exercez-vous en attendant :Et sans suivre une marche exacte,Pour aller tout de suite au plus intéressant,Commencez par le cinquième acte. Elle veut s'éloigner. RIGAUT. AIR : Du haut en bas.Vous me quittez ! ADÉLAÏDE. Un soin intéressant m'appelle. RIGAUT. Vous me quittez ! ADÉLAÏDE. C'est en vain que vous m'arrêtez ;Votre amitié tendre et fidèle Ne doit point refroidir mon zèle. RIGAUT. Vous me quittez ! AIR : De la bonne aventure.Et ce soin intéressant ? ADÉLAÏDE. Vous rirez, j'en jure ;D'un funeste changement Mon coeur craint l'injure : Dans ces lieux est en crédit,Un certain berger qui ditLa bonne aventureAu gué ! La bonne aventure. RIGAUT. Vous l'allez consulter ! Vous de frayeur atteinte !Vous, qui, dit-on, jusqu'à ce jour... ADÉLAÏDE. Vous m'apprenez à connaître l'amour... RIGAUT. L'amour m'apprend à connaître la crainte. Je sais, ainsi que vous, ce madrigal heureux,Peu fait pour excuser un projet si timide.Mais enfin vous plaisez : vous êtes belle, Armide,Il suffit. Je vous aime et je ferme les yeux. ADÉLAÏDE, à sa suite. AIR : Est-ce que ça se demande ?Témoins complaisants et discrets De notre amour extrême,Mesdames, calmez les regretsDu Chevalier que j'aime : Présentez-lui, pour l'égayer,Guirlande sur guirlande Tout seul il pourrait s'ennuyer,Je vous le recommande. SCÈNE VI. Rigaut, Suite d'Adélaïde. On l'enchaîne de fleurs. Les amants heureux varient leurs groupes et leurs attitudes voluptueuses pour occuper agréablement Rigaut. CLARICE. AIR : Dans cet heureux asile ; Albanese.Dans cet heureux asileNous jouissons d'un sort tranquille,Car pour exécuter La danse facileQu'on vient d'inventer,Il ne faut que trotter,Bondir, bondir, bondir et sauter :Lorsque la paix emprisonne Bellone,Les guerriers complaisantsSont nos courtisansLes plus séduisants,Et Plutus à son tour nous donne De doux présents.Dans cet heureux asile, etc. RIGAUT. AIR : Dedans nos bois il y a un ermite.Vos pas légers, vos chants sont faits pour plaire ;Mais dans ce moment-ci,Souffrez, qu'au moins tranquille et solitaire, Je me recueille ici.Sur tous les airs que mon rôle renfermeJe ne suis pas fermeMoi,Je ne suis pas ferme. Les Choeurs se retirent. SCÈNE VII. Rigaut, Monsieur Jourdain, Monsieur Mouton. MONSIEUR MOUTON, dans le fond du Théâtre. AIR. Vaudeville du Bucheron ; Richard qui faites grand tapage.Quoi sous cet attirail fantasqueEst-ce lui ? Peut-on avancer ? MONSIEUR JOURDAIN, furieux. Oui, c'est lui-même. Il est en masque C'est avec moi qu'il va danser. MONSIEUR MOUTON. Tenez, je suis pour l'indulgence : Craignons de le pousser à bout :Trop de pétulance ;Gâte tout. RIGAUT, qui les aperçoit. Grands Dieux ! Rêvai-je ou si je veille ? L'oncle et l'agrégé !... C'en est fait. MONSIEUR MOUTON Laissez-moi lui parler, vous serez satisfait Tout Doreur ; que je suis, je raisonne à merveille,Et vous allez en voir l'effet. AIR : Allons ! mon Cousin l'allure.Il est donc vrai qu'iciMon ami ! Vous avez une allure ?À Cujas dans l'oubli,Mon ami !Vous faites cette injure,Mon ami ! Peut-on être ainsiParjure,Mon ami ? Peut-on être ainsiParjure ? MONSIEUR JOURDAIN, avec emportement. Oui, c'est bien-là le ton, et ces discours mielleux ;Sont des ménagements que le traître mérite !Retirez-vous. C'est moi. Réponds-moi, malheureux ?Que deviens-tu ? Qu'apprends-je ? Et quelle est ta conduite ?Où faut-il te chercher ? Où suis-je en ce moment ? RIGAUT, avec emphase. Dans les jardins d'Armide, et je suis son amant. MONSIEUR JOURDAIN. L'insolent ! Il se moque ! Hé non, laissez-moi faire. MONSIEUR MOUTON. Mon cher Monsieur Jourdain, ne nous emportons pas. MONSIEUR JOURDAIN. Scélérat ! Tu paieras mes pas.Et ton Armide aussi sentira ma colère. Eh ! Quelle est cette Armide ? Allons : réponds et tôt.Que fait-elle ? MONSIEUR MOUTON. Hé non, non. Chimère !C'est l'Opéra d'Armide où Monsieur fait Renaud :C'est celle qu'on connaît, dont Quinault est le père. MONSIEUR JOURDAIN. Qu'il soit son père ou non, j'ai le crédit qu'il faut : De retour à Paris, nous écrirons. J'informe ;Et dans trois jours, sans autre formeOn enferme Armide et Quinault. MONSIEUR MOUTON. Entendons-nous plutôt et tâchons de connaître.... MONSIEUR JOURDAIN, d'un ton très-élevé. Et que n'ai-je pas fait ? Il le sait, le bourreau ! C'est pour lui que trente ans courbé sur un bureau,J'ai, pistole à pistole, amassé mon bien-être.J'ai tout sacrifié, pour l'asseoir au Barreau,Mon repos, mon plaisir, et mon honneur peut-être. AIR : De tous les Capucins du monde.Car enrichi dans les affaires, J'ai pour imiter mes confrères,(Et le Ciel m'en punit, je crois )J'ai, par un intérêt trop tendre,Blessé la Justice cent foisAfin qu'un jour il put la rendre. RIGAUT, d'un ton affectueux. Écoutez-moi, cher oncle, et vous vous calmerez :Vous m'envoyez à Reims y prendre mes degrés ;J'y vais : je me présente. On m'exclut de la classe :Oui, Monsieur, on m'a fait ce refus outrageant. J'ai, pour consoler ma disgrâce, Bu le vin de Monsieur, et mangé votre argent.Bientôt sans asile, indigent,L'Amour m'accueille ici, lorsque Cujas me chasseEt j'y suis. Voilà tout dans le plus simple aveu. Le reste est aussi simple, et n'a rien qui surprenne : À parler en public, si ma mémoire est saine,Vous destiniez votre neveu ; J'ai pris le parti de monter sur la scène,Pour ne pas tromper votre voeu. MONSIEUR JOURDAIN. Vous l'entendez. Mais quel langage ! Comme il compte ses torts avec sécurité ! Comme il donne au mensonge un air de vérité ! MONSIEUR MOUTON, impatiemment, Et ne pas plaider ! Quel dommage ! MONSIEUR JOURDAIN. Allons, étouffez-moi ce ridicule feu.Qu'on se hâte avec nous de regagner mon gîte ; Qu'on désarme à l'instant le courroux qui m'agite,ou le Héros verra beau jeu. AIR : Comme v'là qu'est fait.Quitte-moi cet habit étrange. RIGAUT. Renoncer au penchant que j'ai !Croyez que cet amour m'arrange. MONSIEUR JOURDAIN. Oui, l'amour l'a bien arrangé !Il a perdu la tête. Approche :Et par tes yeux,Pour juger mieux,Consulte ce miroir de poche ; Regarde-toi. RIGAUT. Mais en effet,Com'me v'là fait !Com'me v'là fait !Mon oeil s'ouvre ; j'abjure une erreur trop funeste ; Dont tôt ou tard je me mordrais les doigts :Mon oncle enfin, je sens tout ce que je vous dois :Le, casque tombe et mon chapeau me reste ;Je suis prêt à partir. MONSIEUR JOURDAIN, Fuyons, car j'aperçois... SCÈNE VIII. Les précédens, ADÉLAÏDE. ADÉLAÏDE. AIR : Où allez-vous, Monsieur l'Abbé? OOù courez-vous, Monsieur Rigaut ? Seriez-vous donc assez nigaud,Pour préférer Bartole ? RIGAUT. Hé bien. ADÉLAÏDE. À notre aimable écoleVous m'entendez bien. AIR : Sans un petit brin d'amour.Sans un petit brin d'amour, Peux-tu donc fuir de ce séjour ?Sans un petit brin d'amourTe perdrai-je en un jour ?Rigaut ! Rigaut ! au nom de ta maîtresse, Mon coeur, hélas !Ne prétend pas : Un autre nom suffit à ma tendresse ;Rigaut ! Les coeurs n'ont point d'états.Sans un petit brin d'amour, Peux-tu donc, etc. RIGAUT. AIR : Jusques dans la moindre chose.Jusques dans la moindre glose,Votre nom fera tracé ;Dans l'étude... ADÉLAÏDE, furieuse, l'arrête. Va, d'un vain souvenir mon amour te dispense. Cruel ! Voilà ma récompense.Il part sans pousser un soupir,Il part en bravant mes alarmes,Après être venu pour insulter mes charmes,Forcer la porte et s'assoupir. Je déraisonne : je m'égare ;Le coeur d'un tigre est moins barbare. RIGAUT. Ne faites point semblant de perdre la raison ;Vous savez faire encore une comparaison. ADÉLAÏDE. AIR : Vaudeville d'Épicure.Ingrat, sans toi je ne puis vivre, Je vais mourir subitement ;Tous les soirs j'irai te poursuivreJusques dans ton appartement. RIGAUT. Gardez-vous de cette folie :Quand je cède au sommeil trompeur, L'ombre d'une femme jolie,Ne me fait pas l'ombre de peur. ADÉLAÏDE, tombant sur un banc de gazon. AIR : Sentir avec ardeur.Le jour fuit de mes yeux, Mon coeur se déchire :Cruels adieux ! RIGAUT. Ah, Dieux !Quel affreux martyre ! MONSIEUR JOURDAIN. Bon ! Bon ! C'est pour rire. ADÉLAÏDE. Je cède à mes douleurs...Ma parole expire... Plus de clameurs...Je meurs. MONSIEUR JOURDAIN. Sortons sans répondre à cela. RIGAUT. Oui-dà,Oui-dà, Ça s'dit comm'ça ;Mais comment tiendrait-on à ça,Madame, holà !J'suis encor là :Sa pâleur me trouble, Son pouls qui redouble,S'en va grand'pas,...Et ne revient pas.Ah ! ça, Madame, ici cessons de badiner :Ce qui me faisait rire, à présent m'intimide ; Est ce vous qui mourez, ou bien si c'est Armide ? MONSIEUR JOURDAIN. Sortons d'ici sans lanterner :De ces morts d'Opéra, faut-il se chagriner ?Pour quitter une femme on n'est pas homicide. MONSIEUR MOUTON. AIR : Babet, que t'es gentille !Sortons, quel myrte vaut Le laurier d'une thèse ? MONSIEUR JOURDAIN. Où Thémis parle, il fautQue Cupidon se taise. RIGAUT. Adieu donc, ma foi,Pour le coup de moi Cujas enfin dispose ; Car dans ce moment plein d'effroi,Ou son suppôt me fait la loi,Je sens qu'en m'éloignant de toi,Mon coeur plaide ta cause, Mon coeur plaide ta cause. Jourdain Mouton emmènent Rigaut, qui fait encore plaisamment quelques efforts pour revenir sur ses pas. SCÈNE IX. ADÉLAÏDE seule, revenue de son évanouissement. De l'habit de Renaud, trop déplorable effet !Il me laisse. Il fuit le perfide !Il a fini son rôle avant de l'avoir fait :Il agit en Renaud, agissons en Armide. AIR : Ciel ! l'Univers.Oui, c'en est fait : ma fureur va dissoudreL'ouvrage ici par mes mains commencé ;Qu'ainsi que d'un coup de foudre,Tout le Théâtre écraséS'en aille en poudre, Tombe embrasé.Brisez,Obéissez : Que tout s'effaceEn ma disgrâce, Mettez, de grâce,Le feuDans ce lieu. Plusieurs Garçons de Théâtre accourent armés de torches allumées et se préparent à mettre le feu. SCÈNE X ET DERNIÈRE. Adélaïde, Hiradot, Julie, Clarice, Danseurs, Dansèuses Pompiers, etc. HIRADOT. Au feu ! Courez, amis ; éteignez promptement. À Adélaïde.Quel Démon vous possède, et quel emportement ! Quoi, pour un intérêt si minceImmoler un spectacle attendu par le Goût !Est-ce à l'Opera de ProvinceD'oser mettre le feu partout ? ADÉLAÏDE. L'Amour au désespoir..... L'Amour dans sa colère.... HIRADOT. Oubliez pour toujours cette erreur d'un moment : Montrant le Public.Désormais voilà votre amant,C'est à lui seul qu'il vous faut plaire,Il sait s'attacher constamment : Quand Melpomène ailleurs l'invite [Note : Mustapha, Tragédie nouvelle de M. de Champfort.]Par une heureuse nouveautéS'il se permet une infidélité,Jamais, du moins, il ne nous quitte. ADÉLAÏDE. Votre conseil doit l'emporter.Oui, redoublons d'efforts lorsqu'on nous encourage : Du départ d'un amant que j'allais regretterQue le Public nous dédommage ;Empêchons-le de nous quitter,Et puisqu'il est ici pour nous voir répéter,Profitons du moment pour briguer son suffrage. VAUDEVILLE. AIR : J'offre ici mon savoir-faire. HIRADOT. À titre de machiniste,Je cultive un art qui vous plaît ;Le Théâtre le plus tristeS'embellit, grâce à mon sifflet : Je promets plus d'un changement ; Messieurs, qu'ici la foule abonde : En montrant son sifflet.Mais au son de cet instrument,Que jamais l'écho ne réponde. CLARICE. Je suis simple confidenteMon rôle est toujours fort discret : Muette et partant prudente,Je sais comme on garde un secret :Avec moi daignez éclater,Et certain du plus grand silence,Si la pièce a su vous flatter Mettez-moi dans la confidence. JULIE. En évitant la présenceDe ce marchand à qui je dois,Si de la reconnaissanceJ'ai tant soit peu fraudé les droits : Pardonnez, dès qu'il s'agiraDe les acquitter où vous êtes,J'avouerai, quoiqu'à l'Opéra,Qu'il est doux de payer ses dettes. ADÉLAÏDE, au Public. D'entrer sans cesse en colère La Critique se fait un jeu : Contre un Auteur qui veut plaireElle attise partout son feu :Mais si, lorsqu'il a réussi,La gaieté n'a point à se plaindre, En daignant applaudir ici,Messieurs, c'est à vous de l'éteindre. Les acteurs qui sont sur la scène reprennent en choeur les quatre derniers vers du Vaudeville, et font place au ballet qui doit terminer la pièce. ==================================================