LE RETOUR DU JEUNE TOBIE

COMÉDIE

1829

PARIS DIDIER, LIBRAIRE ÉDITEUR, 33, Quai des Augustins.

BELIN-LEPRIEUR ET MORIZOT Éditeurs, 5 rue Pavé-Saint-André.


Texte établi par Paul Fièvre

Publié par Paul FIEVRE, décembre 2018.

© Théâtre classique - Version du texte du 31/07/2023 à 20:00:28.


Dieu rendra à l'homme selon ses oeuvres, et il traitera chacun selon le mérite de sa vie...

JOB, chap. XXXIV.


NOTICE

Tobie, fils de Tobie, de la tribu de Nephtali, modèle accompli de la vertu la plus parfaite, fut également recommandable par sa piété, sa charité envers les pauvres, sa résignation dans l'adversité, sa patience avec une femme d'un caractère difficile, et sa tendresse pour son fils. Après avoir donné à ce fils chéri de touchantes instructions, il l'envoya au pays des Mèdes, sous la conduite de l'ange Raphaël, qui avait pris la figure d'un jeune homme et le nom d'Azarias*. Le voyage se prolongea, et Tobie eut à souffrir également de son inquiétude et des plaintes continuelles d'Anne, sa femme, qui lui reprochait amèrement d'avoir remis son fils entre les mains d'un jeune-homme sans expérience. Enfin l'ange ramena le jeune Tobie, qui avait épousé Sara, fille de Raguel ; il revint avec sa femme et de grandes richesses, pour ne plus quitter son père, auquel il rendit la vue avec le foie d'un poisson monstrueux qu'il avait tué sur les rives du Tigre. Tobie offrit à Azarias la moitié des richesses que rapportait son fils. L'ange alors, se faisant connaître, annonça au vieux Tobie que le bonheur dont il jouissait était la récompense de sa vertu, de sa piété et de ses aumônes; qu'il vivrait encore une longue suite d'années. En effet, Tobie vécut jusqu'à l'âge de cent deux ans; il fit plusieurs prédictions avant de mourir.

* L'ange dit au vieux Tobie qu'il s'appelait Azarias, fils d'Ananias. Azarias est un mot qui signifie secours de Dieu, et Ananias grâce et don de Dieu.


PERSONNAGES

LE VIEUX TOBIE.

ANNE, femme du vieux Tobie.

LE JEUNE TOBIE.

L'ANGE RAPHAËL, sous la figure d'un jeune homme, et sous le nom d'Azarias.

SOPHAR, servante d'Anne.

ÉLIPHAS, ami et parent du vieux Tobie.

TROUPE DE VOISINS ET DE VOISINES.

Le théâtre représente un jardin ; à droite la maison du vieux Tobie.

issu de THÉÂTRE D'ÉDUCATION à l'usage de la Jeunesse par Mme de Genlis, Nouvelle édition revue et corrigée, pp. 233-256


LE RETOUR DU JEUNE TOBIE

SCÈNE I.

SOPHAR, seule, un arrosoir à la main.

Travailler au jardin, faire le ménage, servir de guide au bon vieux Tobie, tout cela ne serait rien s'il ne fallait pas encore obéir à ma maîtresse !... Oh, quelle femme ! Quelle femme!... Depuis le départ de son fils, il n'y a plus moyen d'y tenir, et surtout. depuis quinze jours, la pauvre Anne a totalement perdu l'esprit. Je comprends bien qu'une mère, inquiète pour son enfant, n'est pas obligée d'être tout à fait raisonnable ; mais, parce qu'on aime son fils, on n'est pas en droit de tourmenter son mari, de brusquer ses voisins, de désoler sa servante ; en un mot, de faire un train, un vacarme qui nous tient éveillés la nuit et le jour. Sans mon maître, il y a longtemps que je ne serais plus ici; mais comment quitter Tobie, cet homme si bon, si charitable, si patient ?... Quelqu'un vient... C'est Éliphas, l'ami de la maison.

SCÈNE II.
Sophar, Éliphas.

SOPHAR.

Grâce au ciel, vous voilà de retour après trois mois d'absence ! Que mon maître sera content !

ÉLIPHAS.

Où est-il, Tobie ? Je n'ai trouvé personne dans la maison.

SOPHAR.

Il est allé avec Anne, sa femme, se promener sur le grand chemin, sur la route qu'a prise le jeune Tobie en nous quittant.

ÉLIPHAS.

Et toujours aucune nouvelle de son fils ?

SOPHAR.

Aucune.

ÉLIPHAS.

Mon ami doit être bien affligé...

SOPHAR.

Il l'est, en effet ; mais le Seigneur le soutient et le console. Et puis, quoiqu'il n'ait pas de fortune et qu'il soit aveugle, il ne laisse point passer de jour sans faire quelque bonne action. Quand on songe à ce qu'il possède, on le trouve bien pauvre ; lorsqu'on voit ce qu'il donne, on est tenté de le croire plus à son aise que beaucoup de gens qui passent pour être riches. D'ailleurs, vous savez comme il est aimé, respecté : tous ses voisins viennent le consulter ; il empêche les procès, apaise les querelles, entretient la paix, l'union : on ne peut s'empêcher de suivre ses conseils, et pourtant il n'a pas l'air de réprimander. Il parle avec tant de douceur, si simplement...

ÉLIPHAS.

Il n'exhorte pas, il inspire ; et tel sera toujours l'heureux privilège de la vertu.

SOPHAR.

Tout cela le distrait.

ÉLIPHAS.

Il peut éprouver de vives afflictions ; il est homme, il est sensible; mais la douleur n'accablera jamais sa grande âme. Tobie ne saurait être entièrement malheureux. Parle-moi de ta maîtresse : je crains bien que sa vivacité naturelle, surtout en de telles circonstances, n'ajoute encore aux peines de mon ami...

SOPHAR.

Vous ne vous trompez pas, je vous l'assure : Anne, à ce qu'on dit, a toujours tourmenté Tobie ; quoiqu'elle soit bonne au fond, elle se fâche et s'emporte si facilement...

ÉLIPHAS.

Son coeur est excellent ; mais sa violence est extrême.

SOPHAR.

Vous ne savez pas tout. Le chagrin que lui cause l'absence de son fils la rend si déraisonnable, qu'il faudrait avoir la patience de mon maître pour pouvoir la supporter. Elle pleure, elle gémit, elle accable mon maître de reproches, elle me gronde; voilà comment la journée se passe. Ce n'est rien encore : elle n'est pas plus tranquille durant la nuit; c'est le temps de ce qu'elle appelle ses pressentiments, et toujours des pressentiments terribles qui nous réveillent en sursaut. Il faut se relever, rallumer la lampe. Alors elle crie, se désole, elle prie Dieu, et puis recommence ses lamentations, ses reproches. Elle veut qu'on l'écoute, défend qu'on lui réponde, et se plaint de notre silence. Personne, dit-elle, ne cherche à la consoler ; on l'abandonne à son désespoir... Elle a tout perdu ; il ne lui reste qu'un mari insensible à sa douleur, et une servante imbécile... Elle quittera l'un, chassera l'autre, et se retirera dans un désert pour y mourir en paix... C'est ainsi que toutes les nuits elle nous entretient jusqu'au jour.

ÉLIPHAS.

Mais que peut-elle reprocher à Tobie ?

SOPHAR.

D'avoir laissé partir son fils, et surtout de l'avoir confié à cet inconnu, à ce jeune Azarias...

ÉLIPHAS.

Je n'ai point vu ce jeune homme ; mais Tobie m'en a dit tant de bien...

SOPHAR.

Il faut être juste, la conduite de mon maître à cet égard est singulière. Tenez, vous connaissez le jeune Tobie ; eh bien, Azarias est tout au plus de son âge, et avec cela il a un teint frais, des couleurs... Enfin il est beau comme un ange. Et quand ma pauvre maîtresse se rappelle cette figure si jeune, si rose, elle en frémit de la tête aux pieds ; c'est naturel. S'il avait la mine sévère et renfrognée, nous serions cent fois moins inquiets...

ÉLIPHAS.

Dis-moi, Sophar, penses-tu que ton maître doive tarder beaucoup à revenir de sa promenade ?

SOPHAR.

Anne l'aura conduit sous le grand saule, et quand une fois elle le tient là tête-à-tête, c'est pour longtemps.

ÉLIPHAS.

Sous le grand saule, dis-tu ?

SOPHAR.

Ce fut jusque-là qu'Anne et Tobie conduisirent leur fils lorsqu'il partit avec Azarias. Ma maîtresse ne peut revoir cet arbre sans éprouver un redoublement de douleur, et cependant elle y va tous les jours...

ÉLIPHAS.

Pauvre Tobie !

SOPHAR.

Ce qui me fait le plus de peine, c'est qu'il ne se plaint point, et moi-même je n'oserais, en sa présence, murmurer des emportements de sa femme. Souvent il en a l'air touché, et jamais il n'en paraît surpris... Mais j'entends du bruit dans la maison... Quelqu'un m'appelle, je crois... J'y vais !... Si c'est mon maître, je reviendrai vous avertir...

Sophar rentre dans la maison.

SCÈNE III.

ÉLIPHAS, seul.

Si Tobie n'est pas heureux, quel mortel osera se plaindre de ne pas l'être ! Mais le Seigneur ne laissera point tant de vertu sans récompense ; il lui rendra ce fils, digne objet de ses soins et de sa tendresse... On vient, n'entends-je pas la voix de Tobie ?... C'est lui-même !...

Il va au devant de Tobie.

SCÈNE IV.
Éliphas, Tobie, conduit par Sophar.

TOBIE.

Où est-il ? où est Éliphas ?

ÉLIPHAS, l'embrassant.

Je suis près de vous, mon ami...

TOBIE.

Sophar, laisse-nous...

SOPHAR.

Mais Éliphas pourra-t-il vous conduire?...

TOBIE.

Va, sois tranquille : un véritable ami est toujours un bon guide...

SOPHAR, à part, en s'en allant.

Allons tâcher de retenir ma maîtresse, afin qu'elle ne vienne pas les troubler...

Elle sort.

TOBIE.

Eh bien, Ëliphas ! Vous me retrouvez dans la situation où vous m'avez laissé... Je n'ai point reçu de nouvelles de mon fils.

ÉLIPHAS.

Je le sais, mais vous ne devez pas renoncer à l'espérance...

TOBIE.

L'espérance, mon ami, est une consolation passagère, trompeuse ; en s'y livrant on s'expose à ressentir plus vivement les maux dont elle écarte l'idée. Ce n'est pas pour nous repaître de chimères séduisantes, ou pour nous affliger vainement, que Dieu a donné la prévoyance. Il a voulu qu'elle nous fût utile, et non qu'elle nous égarât. Lorsqu'il faut agir et prendre un parti, nous devons sans doute jeter les yeux sur l'avenir, mais c'est folie que de chercher à en pénétrer l'obscurité pour n'y trouver que de stériles illusions...

ÉLIPHAS.

Quel sentiment peut donc vous soutenir dans vos peines et vous les faire supporter ?

TOBIE.

Celui qui convient à l'homme, à cet être à la fois dépendant, faible et raisonnable : la résignation...

ÉLIPHAS.

Dieu connaît tout, mon ami : ce n'est pas pour vous éprouver qu'il a répandu tant d'amertume sur vos jours, en vous ravissant vos biens, en vous privant de la clarté des cieux, en vous séparant de votre fils. Il n'a voulu que vous procurer les moyens d'offrir tous les exemples et le parfait modèle de la vertu la plus pure.

TOBIE.

Je ne mérite point d'éloges. Dans tout le cours de ma vie je n'ai fait que suivre les inclinations de mon coeur, que me soumettre à la nécessité. Mais parlons de vous, cher Éliphas ; avez-vous ramené vos enfants ?

ÉLIPHAS.

Ils sont tous avec moi, et je suis revenu pour le mariage de mon fils...

TOBIE.

Vous mariez votre fils ?... Que vous êtes heureux !...

ÉLIPHAS.

Cher Tobie, si vous pouviez penser que je le suis entièrement, combien vous blesseriez l'amitié !

TOBIE.

Va, je connais ton coeur ; et si mon sort m'arrache un soupir, sois certain que je n'en partage ; pas avec moins de sincérité ta joie et ton bonheur... Mais j'entends marcher...

ÉLIPHAS.

C'est Anne qui vient à nous...

SCÈNE V.
Anne, Éliphas, Tobie.

ANNE, vivement.

Éliphas, je viens d'apprendre que vous êtes ici. Pourquoi ne m'avez-vous pas demandée ? Vouliez-vous entretenir Tobie en secret ? Auriez-vous des nouvelles de mon fils ?

ÉLIPHAS.

Hélas ! Je ne suis pas assez heureux pour en avoir appris...

ANNE.

Quel ton est le vôtre !... Hélas ! Dites-vous... Quand je suis venue vous étiez attendris tous les deux... Maintenant vous paraissez interdits, embarrassés... De quoi parliez-vous ? Je veux le savoir... Tobie, répondez-moi, que vous a-t-il dit de mon fils ?

TOBIE.

Il ne m'en parlait pas.

ANNE.

Pensez-vous me tromper ? N'ai-je pas vu à votre air qu'il y a du mystère, et qu'on veut me cacher quelque nouveau sujet d'inquiétude ? Au nom du ciel, Tobie, parlez-moi franchement, ne me déguisez rien !...

TOBIE.

Je vous ai dit la vérité. Éliphas n'a rien appris de votre fils ; il me parlait du sien, qu'il va marier...

ANNE.

Il vous faisait part du mariage de son fils... Le moment est bien choisi !... Venait-il aussi vous inviter aux noces ?... Dans l'état d'affliction où nous sommes, croit-il qu'une semblable fête puisse être un spectacle bien doux ?...

Elle se détourne pour cacher ses pleurs.

TOBIE.

Il croit, comme moi, que la vue du bonheur d'un ami est la plus chère des consolations...

ANNE.

Des consolations !... Il n'en existe point pour moi, je n'en veux point recevoir. Je haïrais ceux qui connaîtraient assez peu mon coeur pour essayer de m'en offrir... Éliphas, pardonnez... Vous comprenez quelle doit être ma douleur... Je voudrais être seule avec Tobie...

TOBIE, bas à Éliphas.

Mon ami, excusez ; plaignez sa faiblesse. Je vous en prie, laissez-nous.

ÉLIPHAS, bas à Tobie.

Avec quel regret je vous quitte ! Adieu, cher Tobie ; je reviendrai ce soir.

Il sort.

SCÈNE VI.
Anne, Tobie.

ANNE, regardant sortir Éliphas.

Il s'en va, grâce au ciel ! Je n'ai jamais pu souffrir cet homme dont vous faites tant de cas... Il est dur, insensible, grossier... Venir dans une maison remplie de tristesse, pour y étaler sa joie, pour s'y vanter d'un bonheur dont nous ne jouirons jamais !... M'inviter à des noces, moi malheureuse mère !... Ah, c'est insulter trop cruellement à mon désespoir !...

TOBIE.

Mais, ma femme...

ANNE.

Prétendez-vous l'excuser? vous y perdrez votre éloquence et vos peines... Je trouve ce procédé inouï, monstrueux, et j'en conserverai toujours le souvenir. Je vous le déclare, je ne veux plus revoir cet homme...

Tobie s'assied sur un banc de gazon, et Anne continue.

Je ne doute pas qu'il n'ait le projet de revenir bientôt avec son fils et sa belle-fille, quand ce ne serait que pour me braver, car il a toujours eu de l'aversion pour moi. Il y a entre nous une véritable antipathie ; vous le savez depuis longtemps, et cependant vous le chérissez ; je ne vous ai jamais vu d'attachement que pour lui. Eh bien, il faut choisir entre nous : s'il remet le pied dans cette maison, je la quitterai sans retour. Il est inutile de vouloir me dissuader de cette résolution, c'est un parti pris ; non, vous dis-je, tous les raisonnements sont superflus...

TOBIE.

Mais je ne dis rien...

ANNE.

Et voilà ce que je ne puis supporter : votre indifférence cruelle, votre silence dédaigneux... Il n'y a plus moyen de vivre avec vous... L'état où je suis, l'excès de ma douleur, rien ne vous touche...

TOBIE.

Je vous assure, ma femme, que vous me faites beaucoup souffrir.

ANNE.

Je vous entends. Fort bien, employez la raillerie...

TOBIE.

Je ne parle que trop sérieusement...

ANNE.

Vous me poussez à bout. Loin de me plaindre, vous ne cherchez qu'à m'irriter; et cependant toutes mes peines sont votre ouvrage ! C'est vous qui m'avez privée de mon fils... Si du moins, en consentant à ce fatal voyage, vous l'aviez remis en des mains sûres et prudentes ; mais donner toute sa confiance à un inconnu, à un enfant !...

TOBIE.

J'ignore, il est vrai, l'âge d'Azarias ; mais je connais sa raison...

ANNE.

Sa raison !... Un enfant, vous dis-je ; quinze ans, tout au plus !

TOBIE.

S'il est ainsi, Azarias est donc un être surnaturel ; une profonde sagesse éclate dans tous ses discours ; vous-même vous l'écoutiez, vous m'en parliez avec admiration...

ANNE.

Je me souviens à peine de ses discours, je ne me rappelle que ses traits, son air de jeunesse... Et l'inquiétude me dévore et me tue... Je n'ai jamais ressenti la tristesse que j'éprouve aujourd'hui... un sinistre pressentiment m'agite... Quelle nuit j'ai passée ! Un sommeil interrompu, des songes effrayants, des présages terribles !... Trois fois, du haut des toits, un cri plaintif s'est fait entendre; trois fois la lampe s'est éteinte d'elle-même ; et quand le jour a paru, le ciel était sombre, chargé de nuages... Ô mon fils ! C'en est fait, je ne te verrai plus... Mon enfant !...

On entend un grand bruit du côté de la maison.

TOBIE, se levant.

Quel bruit ! Quel tumulte !

ANNE.

Je reconnais la voix d'Éliphas... Ne l'avais-je pas dit ?...

TOBIE.

Anne, j'entends des cris de joie... J'entends prononcer le nom de Tobie...

ANNE.

Que dis-tu ?... Se pourrait-il ?...

Elle se précipite vers la maison.

SCÈNE VII.
Anne, Tobie, Éliphas, Sophar.

TROUPES DE VOISINS ET VOISINES.

Ils entrent tous en tumulte, et en s'écriant : Il est arrivé ! il est arrivé !...

ANNE.

Mon fils !

TOBIE.

Ô mon Dieu !

ÉLIPHAS, à Tobie.

Mon ami, j'ai vu ton fils ! Je viens de lui parler....

TOBIE.

Juste ciel !

ANNE, embrassant Tobie.

Ô Tobie !... Cher Éliphas !... Mais où est-il ?...

ÉLIPHAS.

Il a craint pour vous deux une émotion fatale : il m'avait chargé de vous prévenir ; mais tous nos bons voisins ne m'en ont pas donné le temps...

ANNE.

Où est-il ?

ÉLIPHAS.

Dans ma maison.

ANNE.

Ah ! Conduisez-moi... Venez !...

Elle prend Éliphas par le bras et l'entraîne.

SOPHAR et les voisins.

Suivons-la... Suivons-la...

Tout le monde sort précipitamment.

SCÈNE VIII.

TOBIE, seul.

Arrêtez !... Anne!... Sophar ! Sophar, viens me donner le bras... Personne ne répond... Ils sont tous partis... Et moi, resté seul dans une nuit profonde, je ne puis les suivre... Mais essayons ; l'amour paternel saura peut-être me guider : je dois trouver le chemin...

Il se heurte contre un arbre.

Hélas!... Je fais de vains efforts ! Et déjà je suis égaré dans cet espace si borné, dans ce jardin que je parcourais jadis en quelques instants ! À quelle dépendance assujettit l'affreux malheur d'être privé de la vue !... Ô mon fils, il m'est impossible de t'aller chercher ! Tu vas venir, et je ne te verrai point, et je ne te verrai jamais !... Que dis-je ? Quel murmure insensé m'échappe, et dans quel moment ! Quand mon fils m'est rendu !... Grand Dieu, pardonne !... Mais tu pénètres dans mon coeur, tu vois ma reconnaissance, ma soumission... On vient... C'est mon fils !... Je reconnais cette voix si chère...

Il fait quelques pas.

SCÈNE IX.
Tobie, Anne conduisant le jeune Tobie, l'Ange sous la figure d'Azarias ; Éliphas, Sophar.

ANNE, à son fils, en montrant le vieux Tobie.

Le voilà !...

LE JEUNE TOBIE, se jetant dans les bras de son père.

Mon père, recevez dans vos bras le plus tendre fils, le plus fortuné de tous les hommes !...

LE VIEUX TOBIE.

Cher Tobie !...

LE JEUNE TOBIE, ouvrant une boîte.

Vous ne connaissez pas encore tout l'excès de ma félicité !

Il tire de la boîte le foie d'un poisson, et touche les yeux de son père.

Grand Dieu, dissipe les ténèbres qui l'environnent, déchire le voile sombre qui lui dérobe la clarté des cieux ! Quel mortel fut jamais plus digne d'admirer tes ouvrages !...

LE VIEUX TOBIE.

Est-ce une illusion ?... Ô prodige inouï !... Dieu ! Tu me rends toute mon existence et je revois mon fils !

ANNE.

Juste ciel !

ÉLIPHAS.

Mon ami !

LE VIEUX TOBIE.

Mon coeur ne peut suffire à cet excès de joie !... Mon fils!... Anne ! Éliphas ! Je vous reconnais tous...

SOPHAR.

Et moi, mon bon maître, je suis Sophar.

LE JEUNE TOBIE.

Mon père, c'est au vertueux Azarias que je dois mon bonheur.

LE VIEUX TOBIE.

Ah ! Comment reconnaîtrons-nous ?...

ANNE.

Apprends donc, cher Tobie, tout ce que nous devons à cet ange tutélaire : notre fils est marié, il a épousé une femme jeune, belle et riche... Afin d'arriver plus tôt dans la maison paternelle, il a laissé sa femme et sa suite à quelque distance d'ici ; mais nous la verrons ce soir... Et tu recouvres la vue !... Et je suis rendue à la vie !... Notre fils ne nous quittera plus...

LE VIEUX TOBIE.

Mon Dieu! ma reconnaissance pourra-t-elle jamais égaler tes bienfaits ?... Cher Azarias !... Mon fils doit partager sa fortune avec vous...

LE JEUNE TOBIE.

C'est le voeu de mon coeur...

L'ANGE.

Tobie, le pauvre et l'infortuné vous ont toujours trouvé compatissant et sensible; vous avez élevé votre fils dans la crainte du Seigneur, et par votre exemple et vos sages leçons vous sûtes graver dans son âme toutes les vertus dont la vôtre est ornée ; enfin, l'adversité n'a pu ni vous aigrir ni vous abattre. Le Seigneur récompense en vous la piété fidèle, l'humanité bienfaisante, la résignation et la tendresse paternelle. Le bonheur pur et sans mélange dont il vous fait jouir ne sera jamais troublé ; sa bonté suprême prolongera vos jours au delà des limites ordinaires fixées par la nature ; et cette nouvelle carrière qui vient de s'ouvrir pour vous sera constamment fortunée... Adieu, Tobie : vous ne reverrez plus Azarias ; mais Raphaël veillera toujours sur vous...

L'ange s'éloigne, un nuage descend des cieux et le dérobe aux yeux des spectateurs.

LE VIEUX TOBIE, se jetant à genoux.

Ô mon fils, adorons le Seigneur !

 



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