PAN ET DORIS

PASTORALE

M. DCC. XXIX.

AVEC PERMISSION.

À PARIS, Chez TABARIE, sur le Quai de Conti.


Texte établi par Paul FIEVRE, juin 2014

publié par Paul FIEVRE juillet 2014, revu octobre 2016

© Théâtre classique - Version du texte du 30/09/2024 à 17:31:12.


ACTEURS du PROLOGUE.

PAN.

DORIS.

PALÉMON.

JULIE.

LA MARQUISE.

HORTENSE.

CÉLIMÈNE.

La Scène est à la Maison de Campagne de...


PAN ET DORIS.

SCÈNE PREMIÈRE.

PAN sous la figure de Valémon.

Amour, le Dieu des Bois implore ta toute puissance :

Sauve-moi la douleur de revoir en ces lieux,

Un Berger trop fatal au bonheur de mes feux

Profitant du dépit qui causa son absence,

5   C'est toi qui pour fléchir l'objet de tous mes voeux,

M'as fait de Palémon prendre la ressemblance :

Amour, le Dieu des Bois implore ta puissance :

Sauve-moi la douleur de revoir en ces lieux

Un Berger trop fatal au bonheur de mes feux.

SCÈNE II.
Pan, Doris.

DORIS.

10   Quoi, toujours agité d'une douleur mortelle !

PAN.

Peut-on aimer hélas ! Et ne pas ressentir

Une crainte toujours nouvelle ?

DORIS.

L'aveu de mon ardeur fidèle

D'une injuste frayeur aurait dû vous guérir.

PAN.

15   J'éprouve une peine cruelle,

Tout semble m'annoncer que le Ciel en courroux

Me prépare un coup terrible :

Et je sens que mon coeur ne peut être sensible

Qu'au malheur de me voir abandonné de vous.

DORIS.

20   Si le bonheur de votre vie

Dépend de ma fidèle ardeur,

Croyez que Doris en son coeur

Vous garde un sort digne d'envie.

PAN.

Non, vous ne m'aimez pas ; et j'en crois la douleur

25   Qu'éprouve en ce jour ma tendresse.

DORIS.

Pour dissiper un soupçon qui me blesse

À de nouveaux serments faut-il avoir recours ?

PAN.

Jurez-moi par le Dieu qu'en ces bois on révère

Que le Berger qui vous sut plaire

30   Sera toujours l'objet de vos tendres amours.

DORIS.

Je jure par le Dieu qu'en ces bois on révère

Que le Berger qui m'a su plaire

Sera toujours l'objet de mes tendres amours.

DORIS.

Mais on vient. Terminons un discours trop sincère.

Elle sort.

SCÈNE III.
Pan, Arcas.

ARCAS.

35   Palémon sur ces bords, vient de frapper mes yeux.

PAN.

Que son retour me cause une mortelle peine !

ARCAS.

Et pourquoi craignez-vous un rival malheureux ?

PAN.

Quand Palémon lassé d'une constance vaine

Jura de ne plus voir ces lieux

40   Doris à son départ ne fut que trop sensible

On vit éclater un amour

Que sa rigueur invincible

Avait caché jusqu'à ce jour.

ARCAS.

Du Berger prenant l'apparence,

45   Vous avez triomphé de l'objet de vos feux.

PAN.

Et ne prévois-tu pas que cette ressemblance

Du Berger à son tour va seconder les voeux ?

ARCAS.

Tout respecte vos lois en ce séjour champêtre.

Il ne vous reste plus qu'à vous faire connaître.

PAN.

50   L'amant le plus glorieux

N'est pas toujours le plus aimable ;

S'il était moins redoutable

Souvent il n'en plairait que mieux.

ARCAS.

Celui qui plaît davantage

55   N'est pas toujours le mieux traité.

Heureux l'amant dont l'hommage

Flatte l'orgueil d'une beauté !

Heureux l'Amant dont l'hommage

Fait triompher la vanité.

PAN.

60   J'aperçois Palémon. Tâche, ami, de t'instruire

Du soin qui dans ces lieux l'attire.

Il sort.

SCÈNE IV.
Palémon, Arcas.

ARCAS.

Palémon, est-ce vous qu'en ces lieux je revois ?

Vous qui d'une éternelle absence

Vous étiez imposé la loi.

PALÉMON.

65   Je viens revoir les lieux où j'ai pris la naissance.

ARCAS.

Vous y verrez toujours la charmante Doris.

PALÉMON.

L'absence a triomphé du pouvoir de ses charmes :

Et l'on ne verra plus mes larmes

Nourrir son injuste mépris.

70   Heureux mépris qui me dégage

Des soins dont j'étais agité !

Plus j'ai souffert dans l'esclavage ;

Plus je chéris ma liberté.

ARCAS.

Des plaisirs de l'indifférence

75   Goûtez la charmante douceur :

Ceux que promet l'amour n'ont qu'un charme trompeur.

PALÉMON, ARCAS ensemble.

Des plaisirs de l'indifférence

Goûtons la charmante douceur :

Ceux que l'Amour promet pour récompense

80   N'ont qu'un charme trompeur.

ARCAS.

Doris vers nous s'avance ;

Fuyons un objet trop charmant.

PALÉMON.

Sa présence à mon coeur ne cause point d'alarmes.

SCÈNE V.
Doris, Palémon, Arcas.

DORIS.

Bergers, m'est-il permis d'oser pour un moment

85   D'un entretien secret troubler ici les charmes ?

PALÉMON.

J'entretenais Arcas des biens pleins de douceur,

Qu'un coeur indifférent trouve dans cet asile.

DORIS.

Depuis quand Palémon vante-t-il le bonheur

Qu'éprouve un coeur tranquille ?

PALÉMON.

90   Depuis que j'ai perdu jusques au souvenir

Des maux qu'Amour me fit souffrir.

Malgré ses rigueurs, une ingrate

Voudrait qu'on l'adorât toujours :

Mais enfin l'orgueil qui la flatte,

95   Écarte à jamais les amours.

DORIS.

Ciel ! Quel est ce discours ? Et que voulez-vous dire ?

PALÉMON.

Je dis que sous son Empire

Doris n'aura plus le plaisir

De me voir vainement soupirer, et gémir.

100   Mais qu'a donc cet aveu qui doive vous surprendre ?

Avez-vous dû prétendre

Que mon coeur dans vos fers fût toujours arrêté ?

DORIS.

Non, non. J'ai du prévoir que ta légèreté

Serait le prix de ma faiblesse :

105   Et que je perdrais ta tendresse

Sitôt que mon amour aurait trop éclaté.

PALÉMON.

Si les rigueurs des Belles

De leur amour sont des preuves fidèles,

Jamais amant ne fut plus fortuné que moi.

DORIS.

110   Il te sied bien de te plaindre

Des rigueurs que j'eus pour toi.

Ah ! Plutôt à mes yeux, ingrat, cesse de feindre ;

Et nomme-moi l'objet qui m'a ravi ta foi.

PALÉMON.

L'objet qui m'enchante,

115   Régnera toujours dans mon coeur.

Liberté charmante !

Vous ferez toujours mon bonheur.

DORIS.

L'Infidèle m'outrage après m'avoir trahie.

Ô Ciel ! Punis sa perfidie.

120   Ou plutôt terminant ma honte et mes malheurs,

Dieux ! Ôtez-moi la vie :

Je ne puis être trop punie

D'avoir aimé l'ingrat qui méprise mes pleurs.

SCÈNE VI.
Pan, Doris, Palémon, Arcas.

PAN, sous la figure de Palémon.

Bergère suspendez vos regrets et vos larmes,

125   Celui qui reçut votre coeur,

Brûle toujours pour vous de la plus vive ardeur ;

Laissez les soins et les alarmes,

À ceux qui vous offrent leurs voeux :

Ce n'est point avec tant de charmes,

130   Que l'on voit mépriser ses feux.

DORIS.

Ciel ! Quel est ce prodige ? Et par quelle puissance,

Vois-je ici deux bergers m'offrir les mêmes traits ?

PAN.

Plus amoureux qu'on ne le fut jamais,

De Palémon j'ai pris la ressemblance.

DORIS.

135   Ce n'est point Palémon qui frappe ici mes yeux !

PAN.

Je suis le Dieu des Bois qu'on révère en ces lieux,

Soumis à mon pouvoir suprême,

Dryades et Sylvains sortez du fond des bois,

De la beauté que j'aime,

140   Venez reconnaître les lois.

SCÈNE DERNIÈRE.
Troupes de Dryades de Satyres et de Bergers.

LE CHOEUR.

Sous votre empire,

Nous nous rangeons tous,

Le Dieu qui pour vous soupire,

Règne sur nous.

PAN.

145   Pardonnez au stratagème,

Que vient d'employer mon ardeur,

C'est le Dieu d'amour lui-même.

Qui sut l'inspirer à mon coeur.

DORIS.

Je pardonne au stratagème,

150   Que vient d'employer votre ardeur ;

C'est le Dieu d'Amour lui-même,

Qui me fait chérir mon erreur.

DORIS, à Palémon.

D'une constance trop pénible

Berger, vous n'avez pu supporter la rigueur,

155   Un Dieu soumis et plus sensible,

Par des soins assidus a su gagner mon coeur,

Et je consens qu'il jouisse

D'un bien qu'il doit moins à son artifice,

Qu'à l'excès de son ardeur.

PALÉMON.

160   Bergère, partagez la suprême puissance :

D'un amant glorieux ;

Mais n'espérez pas que mes yeux,

Soient les témoins d'un bonheur qui m'offense.

Loin des lieux où l'on vient de ravir votre foi,

165   Je vais pleurer un bien qui n'était dû qu'à moi.

Il sort.

PAN.

Redoublons l'ardeur extrême,

Qui vient d'assurer mon bonheur,

C'est le Dieu d'amour lui-même

Qui sut tromper votre rigueur.

DORIS.

170   Redoublons l'ardeur extrême,

Qui vient d'assurer mon bonheur ;

C'est le Dieu d'amour lui-même.

Qui me fait chérir mon erreur.

PAN.

Qu'on applaudisse à ma victoire,

175   Venez, Bergers, accourez tous :

D'un triomphe si doux,

Vous partagez la gloire.

On danse.

UNE DRIADE.

Fuyez loin de nous,

Coeurs insensibles,

180   Nos réduits paisibles,

Sont-ils faits pour vous ?

Votre indifférence

Nous offense ;

Nos ardeurs

185   Condamnent vos froideurs.

Si l'amour nous fait verser des larmes,

Nos alarmes

Ont des charmes

Pour nos coeurs,

190   D'un long esclavage

Tôt ou tard il dédommage

On trouve en ses faveurs

Mille douceurs.

DEUX BERGÈRES.

Que les Dieux, que les Rois

195   Viennent dans nos bois,

Chercher des Maîtresses sincères.

Ce n'est que par nos bergères,

Qu'un coeur bien enflammé,

Peut se flatter d'être aimé.

LE CHOEUR.

200   Viens, Amour, dans cette retraite ;

Quitte ton arc et ton carquois :  [ 1 Les attributs du Dieu Amour sont un arc, des flèches et un carquois pour les y ranger.]

Et ne prend plus qu'une houlette,  [ 2 Houlette : Fig. Poétiquement, l'état, la condition de berger. [L] La houlette est la bâton de berger.]

Pour ranger nos coeurs sous tes lois.

On danse.

UN SATYRE.

Vous qui d'une beauté cruelle,

205   Éprouvez l'injuste rigueur,

Cherchez quelque ruse nouvelle,

Pour faire approuver votre ardeur.

Qu'importe comment on parvienne

À vaincre une fière beauté,

210   Pourvu que notre amour obtienne

Le prix de sa fidélité ?

UNE DRIADE.

Il n'est point de cruelle ,

Il n'est point de rebelle,

Qu'un amant fidèle

215   Ne désarme enfin.

Tel quitte aujourd'hui sa bergère,

Qui peut être le lendemain,

Verrait son coeur moins sévère,

Payer la flamme sincère,

220   D'un heureux destin.

UNE BERGÈRE.

Telle fait l'insensible,

Qui gémir en son coeur

D'une fierté pénible,

L'Amour qui connaît son ardeur,

225   Se rit de sa rigueur :

On la voit fuir sans cesse

L'objet de sa tendresse ;

Mais son trouble et ses soupirs

Trahissent ses désirs.

CHOEURS de BERGERS ET DE BERGÈRES.

230   Viens Amour dans cette retraite,

Quitte ton arc et ton carquois.

Et ne prend plus qu'une houlette,

Peur ranger nos coeurs sous tes lois.

 


PRIVILEGE DU ROI

LOUIS, par la grâce de Dieu, Roi de France et de Navarre : À nos amés et féaux Conseillers les Gens, tenant nos Cours de Parlements, Maîtres des Requêtes ordinaires de nôtre Hôtel, Grand Conseil, Prévôt de Paris, Baillifs, Sénéchaux, leurs Lieutenants Civils et autres nos Justiciers qu'il appartiendra, SALUT. Notre bien amé JEAN FRANÇOIS TABARIE, Libraire à Paris, Nous ayant, fait supplier de lui accorder nos Lettres de Permission pour l'impression des Trois Spectacles, Pièce nouvelle, en trois Actes, par le Sieur du Mas d'Aigueberre, offrant pour cet effet de le faire imprimer en bon papier à beaux caractères suivant la feuille imprimée, et attachée pour modèle sous le contre-scel des présentes. Nous lui avons permis et permettons par ces présentes, de faire imprimer ledit Livre ci-dessus spécifié en un ou plusieurs volumes, conjointement ou séparément, et autant de fois que bon lui semblera, de le vendre, faire vendre et débiter par tout notre Royaume, pendant le temps de trois années consécutives, à compter du jour de la date desdites présentes Faisons défenses à tous Libraires, Imprimeurs et autres Personnes, de quelque qualité et condition qu'elles soient, d'en introduire d'impression étrangère dans aucun lieu de nôtre obéissance ; à la charge que ces présentes seront enregistrées tout au long sur le Registre de la Communauté des Libraires et Imprimeurs de Paris, dans trois mois de la date d'icelles ; que l'impression de ce Livre sera faite dans notre Royaume et non ailleurs, et que l'impétrant se conformera en tout aux Règlements de la Librairie, et notamment à celui du dix Avril 1725 et qu'avant que de l'exposer en vente, le Manuscrit ou Imprimé qui aura servi de copie à l'impression dudit Livre, sera remis au même état où l'Approbation y aura été donnée, ès mains de nôtre très-cher et féal Chevalier Garde des Sceaux de France, le Sieur Chauvelin ; et qu'il en fera ensuite remis deux exemplaires dans notre Bibliothèque Publique, un dans celle de nôtre Château du Louvre, et un dans celle de nôtre très cher et féal Chevalier Garde des Sceaux de France, le Sieur Chauvelin ; le tout à peine de nullité des présentes ; du contenu desquelles vous mandons et enjoignons de faire jouir l'Exposant ou ses ayants causes, pleinement et paisiblement, sans souffrir qu'il leur soit fait aucun trouble ou empêchement. Voulons qu'à la copie desdites présentes, qui sera imprimée tout au long au commencement ou à la fin dudit Livre, foi soit ajoutée comme à l'original. Commandons au premier nôtre Huissier ou Sergent, de faire pour l'exécution d'icelles, tous Actes requis et nécessaires, sans demander autre permission, et nonobstant clameur de Haro, Charte Normande, et Lettres à ce contraires : CAR tel est notre plaisir. Donné à Paris le onzième jour du mois d'Août, l'an de grâce mille sept cent vingt-neuf. Et de nôtre Règne le quatorzième. Par le Roi en son Conseil.

Signé, DE SAINT HlLAIRE.

Registre sur le Registre VII. de la Chambre Royale des Libraires et Imprimeurs de Paris, N°409. F°352. conformément aux anciens Règlements, confirmés par celui du 28 Février 1723. À Paris le 17 Août 1729.

Signé, P. A. LEMERCIER, Syndic.

À Paris, de l'imprimerie de P. PRAULT.

J'ai lu par ordre de Monseigneur le Garde des Sceaux, les Trois Spectacles, Pièce nouvelle en trois actes ; dont j'ai crû que l'impression serait agréable au public.

FAIT à Paris le 28 Juillet 1729. Signé, GALLYOT.


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Notes

[1] Les attributs du Dieu Amour sont un arc, des flèches et un carquois pour les y ranger.

[2] Houlette : Fig. Poétiquement, l'état, la condition de berger. [L] La houlette est la bâton de berger.

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