LE VOYAGEUR

COMÉDIE EN DEUX ACTES

1829


Texte établi par Paul Fièvre

Publié par Paul FIEVRE, août 2018.

© Théâtre classique - Version du texte du 28/02/2024 à 23:49:33.


Travelling is really the last step to be taken in the instruction et youth ; and to set out with it is to begin where they should end. Spectator, Vol. V.


PERSONNAGES

LE MARQUIS DE MELVILLE.

LE VICOMTE DE MELVILLE, son fils.

LE BARON DE VALCE.

LE CHEVALIER DE VALCE, fils du Baron.

DORIVAL, gouverneur du Vicomte de Melrille.

L'ÉPINE, valet de Chambre du Vicrmtte.

ROUSSEL, valet de Chambre du Baron.

La Scène est en Picardie, dans le Château du Baron.

Extrait de RECUEIL DES MEILLEURES PIÈCES DU THÉÂTRE D'ÉDUCATION de MADAME DE GENLIS, PAR MADAME DE GENLIS, Par W. Duverger. TROISIÈME ÉDITION, 1829. pp. 289-310


ACTE I

SCÈNE PREMIÈRE.
Roussel, L'Épine.

Le Théâtre représente un salon.

L'ÉPINE

Je suis charmé, mon cher Roussel, de te revoir en aussi bonne santé ; après un voyage de deux ans, on est si aise de revoir ses anciens amis. Il y a trois jours que nous sommes ici ; et mon premier soin, en descendant de cheval dans la cour du château, a été de demander de tes nouvelles : j'appris, avec un grand chagrin, que tu étais à Paris.

ROUSSEL.

Oui, mon maître m'y avait envoyé pour quelques commissions, qui m'ont retenu plus longtemps que je ne croyais.

L'ÉPINE

Tu ne fais que d'arriver ?

ROUSSEL.

Dans l'instant ; et comme Monsieur le Baron est à la chasse, nous aurons bien le temps de causer jusqu'à son retour.

L'ÉPINE

Volontiers ; tu as trouvé ton homme ; pardi, tu verras si les voyages dégourdissent la langue. De mon naturel, j'aimais à parler ; cependant je suis encore perfectionné là?dessus. Mais c'est mon jeune maître qu'il faut entendre ; oh, c'est une volubilité... Quand on lui fait une question, lui, sans barguigner, fait trente réponses. Écoute qui peut, cela est égal, il va toujours son train. Tous ces étrangers avec qui nous avons vécu, en étaient dans un étonnement... Suisses, Italiens, Siciliens, Anglais, Hollandais, il les forçait tous à se taire ; ah, c'est un brave jeune homme ! Je te réponds qu'il est formé celui-là. Quoiqu'il n'ait que dix?huit ans, il n'y a point de bavard de quarante qui puisse lui tenir tête seulement une demi?heure.

ROUSSEL.

Que diantre ! Il allait dans les pays étrangers pour s'instruire ; et s'il parlait toujours, ce n'est pas le moyen.

L'ÉPINE.

Qu'appelles?tu pour s'instruire ? Oh, nous sommes partis tout instruits ; demande plutôt à Monsieur Dorival, notre gouverneur... C'est nous, mon enfant, qui instruisions ces pauvres benêts d'étrangers, qui n'auraient jamais su un mot de nos usages, si mon maître n'avait pas pris la peine de les en informer. Nous ne parlions que de Paris, de la Comédie Française, des femmes à la mode, des beaux esprits, des soupers, des bals ; enfin, toujours Paris ou Versailles ; nous ne sortions point de là...

ROUSSEL.

Fort bien ; et à présent que vous y voilà revenus, vous ne nous parlerez peut?être que de la Suisse ou de l'Italie.

L'ÉPINE

Précisément, tu l'as deviné ; et voilà pourquoi les jeunes gens voyagent.

ROUSSEL.

Ma foi, l'Épine, d'après ce que tu me dis de ton maître, je doute qu'il puisse plaire au mien. Monsieur le Baron est un bon campagnard, qui a presque toujours vécu dans ses terres, et qui pense qu'un jeune homme doit être simple et modeste...

L'ÉPINE

Vieilles idées que cela, mon ami ; nous les rectifierons...

ROUSSEL.

Oh, je n'en crois rien ; va, je te garantis que c'est un fin merle : avec son air tout uni, il en sait long : et puis, n'a?t?il pas bien su élever son fils, sans avoir pour cela besoin de lui faire courir la prétantaine ?... Monsieur le Chevalier de Valcé en vaut bien un autre, qu'en penses?tu ?   [ 1 Fin merle : Fig. et familièrement. Fin merle, homme adroit, rusé drôle, rusé compère ; locution qui vient de la défiance qu'a le merle des piéges et des chasseurs.[L]]

L'ÉPINE.

Oui, c'est un assez joli garçon... un peu niais.

ROUSSEL.

Niais toi-même. Où prends-tu cela ? Il a un esprit, une bonté... Il étudie, il lit toute la journée ; il est rempli de talents, et il croit ne rien savoir.

L'ÉPINE.

Tu appelles cela de la modestie ; et pour nous autres voyageurs, c'est de la bêtise, de la pure ineptie, comme dit mon maître. Mais, mon cher Roussel, parlons de choses plus intéressantes: tu sais que nous arrivons ici tout exprès pour épouser la fille de Monsieur le Baron ; pourquoi donc n'est elle pas sortie du couvent ? Pourquoi est elle toujours à Paris ?

ROUSSEL.

Ah, pourquoi ?... C'est que Monsieur le Baron veut connaître par lui-même son gendre futur : c'est qu'il veut étudier son caractère, avant de lui donner sa fille...

L'ÉPINE.

Mais ce mariage est arrangé depuis fort longtemps, et même avant notre départ : ton maître, et le père du mien sont amis de tout temps ; ils sont également riches, et...

ROUSSEL.

Tout cela est vrai : mais Monsieur le Baron m'a donné sa parole que sous la condition que ton jeune maître, le Vicomte de Melville, viendrait ici après ses voyages passer quelque temps, afin que le Baron pût juger s'il conviendrait à sa fille.

L'ÉPINE.

Et Monsieur le Marquis n'imagine pas qu'il soit possible de voir son fils sans être saisi d'étonnement et d'admiration.

ROUSSEL.

Eh bien, Monsieur le Baron est il de son avis ? Que dit-il de ton maître ?

L'ÉPINE.

Mais, rien encore... Le premier jour s'est passé en compliments, en embrassements, en conversations particulières entre mon maître et son père. Hier on a été toute l'après-midi à la pêche, ce matin l'on chasse ; ainsi Monsieur le Vicomte n'a pas encore eu le temps de déployer toute son éloquence ; mais, laisse le faire, il prendra sa revanche.

ROUSSEL.

Dis moi un peu ; a?t-il réellement grande envie d'épouser Angélique ?

L'ÉPINE.

Mais oui ; elle est riche, jolie, ce mariage lui plaît fort ; et il est même décidé à lui sacrifier, aussitôt qu'elle sera sa femme, un portrait.

ROUSSEL.

Ah, j'entends... d'une dame qu'il aimait.

L'ÉPINE

Oh, point du tout ; car c'est la copie d'une Sainte-Cécile qui est au Capitole. Mais, en France, nous donnons à cette tête le nom d'une grande Dame Napolitaine ; et je te réponds que ce ne sera pas la première miniature venue des pays lointains sous un nom supposé.

ROUSSEL.

Comment, il ne se ferait pas scrupule d'une semblable fausseté ?

L'ÉPINE

Bon, des scrupules ! Il n'y en a point dont la fatuité ne vienne à bout. Mais, dis?moi, à ton tour, si Angélique est bien aise de se marier.

ROUSSEL.

Oh, elle n'a d'autres volontés que celles de son père.

L'ÉPINE.

Elle n'a jamais vu mon maître ?

ROUSSEL.

Non. Elle a été élevée dans un couvent de province jusqu'à la mort de sa tante, l'Abbesse, et il n'y a que dix-huit mois qu'elle est à Paris.

L'ÉPINE.

Quelqu'un vient, je crois... Roussel, on t'appelle...

ROUSSEL.

C'est la voix de Monsieur 1e Baron...

L'ÉPINE.

Allons, je m'en vais ; sans adieu, mon ami.

Il sort.

ROUSSEL.

Quel étourdi !... Ah, voici mon maître...

SCÈNE II.
Le Baron, Roussel.

LE BARON.

Roussel... Je te cherchais. Eh bien, m'apportes-tu des lettres ?

ROUSSEL.

Oui, Monsieur, en voilà plusieurs...

Il les lui donne. Le Baron lit. Roussel, pendant ce temps continue.

Il y en va une de Mademoiselle Angélique : elle a écrit aussi à Monsieur le Chevalier.

LE BARON.

L'as?tu vue, ma fille ?

Il lit pendant que Roussel répond.

ROUSSEL.

Oui, Monsieur : elle est grandie, embellie ; oh, elle est charmante... Je vous rapporte son portrait, qui est d'une ressemblance !... Elle a voulu être peinte en Diane, parce que Monsieur le Baron aime la chasse.

LE BARON, met ses lettres dans sa poche.

Voyons donc ce portrait.

Roussel lui donne une tabatière.

Il est en effet frappant... Roussel, ne parle de ce portrait à personne ; je veux le montrer au Vicomte de Melville, sans lui dire que c'est celui d'Angélique ; je serai bien aise de voir l'impression qu'il fera sur lui.

ROUSSEL.

À propos de Monsieur le Vicomte, oserais?je demander à Monsieur quand se fera la noce ?...

LE BARON.

Oh, quand !... Je n'en sais rien : il faut voir... La tournure du jeune homme n'est pas trop suivant mon goût ; il a bien de la suffisance, pour avoir de l'esprit... Mais si le coeur est bon, c'est là l'essentiel.

ROUSSEL.

Il est tout fier d'avoir voyagé, à ce qu'on dit.

LE BARON.

Je l'avais prévu, j'en avais averti son père ; il faut être raisonnable, pour voyager avec fruit. Le Marquis n'a pas voulu comprendre cela. C'est un honnête homme : mais il a un peu de galimatias dans la tête : tous ces Philosophes, ces Penseurs, comme ils s'appellent, sont de rudes gens. Roussel, j'aime mieux ton bon sens et le mien, que toutes leurs belles phrases. Ne connais-tu pas le valet de chambre du Vicomte ?

ROUSSEL.

Beaucoup, Monsieur.

LE BARON.

Eh bien, je te charge de le questionner adroitement sur son maître.

ROUSSEL.

Oh, Monsieur, je n'aurai pas besoin d'adresse ; nous en avons causé une bonne heure.

LE BARON.

Eh bien, qu'en dit-il ?

ROUSSEL.

Ma foi, Monsieur, il en parle très cavalièrement, je vous en préviens.

LE BARON.

Ne me cache rien ; je te l'ordonne.

ROUSSEL.

Vous le voulez donc ?...

LE BARON.

Paix, j'entends quelqu'un. Va m'attendre dans mon cabinet, j'irai te rejoindre dans un moment.

ROUSSEL.

Oui, monsieur.

Il sort.

LE BARON.

Le témoignage d'un valet contre son maître ne mérite guère de considération ; mais dans une affaire de cette importance, je dois écouter tout le monde. Ah, voici le Marquis.

SCÈNE III.
Le Baron, Le Marquis.

LE BARON.

Eh bien, Marquis, qu'avez?vous fait de nos enfants ?

LE MARQUIS.

Le mien est enfermé dans sa chambre ; il écrit, parce que le courrier d'Italie part demain. Ah çà, Baron, parlons un peu de nos affaires. D'abord, dites-moi ce que vous pensez de mon fils.

LE BARON.

Il est bien tourné. S'il était habillé à la Française, il serait fort joli ; mais ce gros col, qui lui fait un goitre, le défigure un peu ; et puis on peut bien aussi être à cheval à l'Anglaise, sans se ployer en deux, comme il fait, sur le col de son cheval. Il faut tâcher de le défaire de ces petites affectations, qui donnent toujours mauvaise opinion de l'esprit d'un jeune homme.

LE MARQUIS.

Oh, pour de l'esprit, je ne crois pas qu'on puisse l'accuser d'en manquer. Faites le causer, je vous prie ; questionnez?le sur ses voyages, il vous étonnera, j'en suis sûr. Il a une imagination, un feu, un tact... Il a même de la profondeur, et beaucoup...

LE BARON.

Du tact, de la profondeur, à dix?huit ans !... Eh, mon ami, quel abus de mots !

LE MARQUIS.

Mais, faites le causer, c'est tout ce que je vous demande : Jusques là suspendez votre jugement. Vous prétendiez que c'était une folie de le faire voyager si jeune ; il ne rapportera des pays étrangers, disiez?vous, que des ridicules et de la pédanterie, et pas une vraie connaissance. Au lieu de cela il a tout examiné avec cette ardeur de curiosité qui n'appartient qu'à la première jeunesse ; et cette attention a gravé dans sa tête, d'une manière ineffaçable, tous les objets qu'il a vus. Il a rapporté d'Italie un goût passionné pour les arts ; il en parle d'une manière qui vous surprendra. Je vous en prie, demandez?lui le chapitre de son Journal qui traite de la peinture ; sur ma parole, c'est un chef-d'oeuvre de goût et d'éloquence.

LE BARON.

Un chef-d'oeuvre, j'y consens ; mais je n'y comprendrais rien, moi ; je n'ai nulle passion pour les arts, car je suis à cet égard d'une ignorance extrême ; je ne sais que raisonner un peu : mais quoique je n'aie point d'instruction, j'en fais cas dans les autres, et je trouve que c'est un bon? heur très réel d'en avoir. Vous voyez que je n'ai rien épargné pour l'éducation dé mon fils. J'ai placé auprès de lui des gens en état de lui donner des connaissances et des talents, et tous les ans je l'envoie passer trois mois à Paris chez mon frère, afin de le perfectionner dans les choses qu'il apprend, par les leçons des grands maîtres, et aussi afin de lui faire voir un peu le monde. Enfin, je vous le répète, j'ai assez de bon sens pour comprendre l'agrément et l'utilité de l'instruction, mais je hais par-dessus toutes choses la pédanterie : ce vice n'est guère le partage que des demi?savants et des talents médiocres ; fût il accompagné de toute la science du monde, il me serait encore insupportable ; et surtout dans la jeunesse, il me paraît une espèce de monstruosité. Oui, un jeune homme pédant est â mes yeux l'objet le plus complètement ridicule qu'on puisse rencontrer.

LE MARQUIS.

Je suis de votre avis à cet égard, et certainement vous trouverez mon fils bienv éloigné d'un tel défaut. Il est d'un naturel extrême ; il y a même souvent du désordre et du décousu dans sa conversation, parce qu'il se laisse conduire par une tête vive et une âme pleine de force et d'énergie : alors il est étonnant ; il s'exprime avec une éloquence et un choix d'expressions extraordinaires. Mais cette abondance vient de source, naturellement, sans affectation et sans étude, et par la seule impulsion de l'enthousiasme qu'il éprouve.

LE BARON.

Je n'entends pas grand chose à tout cela ; mais enfin, j'aurai avec lui aujourd'hui une longue conversation. Je vous avoue que jusqu'ici je n'ai pas eu de goût pour les jeunes gens éloquents et enthousiastes ; il me raccommodera avec eux ; nous verrons. En un mot, s'il a du nature], je lui passe tout... Mais il faut que je vous quitte ; j'ai quelques petites affaires à terminer avant dîner.

LE MARQUIS.

À propos d'affaire, nous n'avons pas encore fixé de jour pour la noce.

LE BARON.

Nous en raisonnerons ; ne précipitons rien... Ah, voici le gouverneur de votre fils ; j'imagine que vous ne serez pas fâchés de causer ensemble ; je vous laisse... Adieu.

Il sort.

LE MARQUIS.

Voilà un homme bien borné, pour sentir tout le mérite de mon fils.

SCÈNE IV.
Le Marquis, Dorival.

LE MARQUIS.

Monsieur Dorival, que fait mon fils ?

DORIVAL.

L'Epine vient de me dire qu'il est fatigué de la chasse, qu'il s'est jeté sur son lit, et qu'il dort depuis deux heures.

LE MARQUIS.

Oh, cela n'est pas vrai ; car je suis entré avec lui dans sa chambre, et il m'a dit qu'il allait s'enfermer pour écrire.

DORIVAL.

Eh bien, monsieur, il vous a prêté son journal ; qu'en pensez?vous ?

LE MARQUIS.

Je n'en reviens pas. Réellement, Monsieur Dorival, vous ne l'avez pas aidé ?

DORIVAL.

Aidé !... Monsieur, ce n'est pas une exagération ; mais je ne serais pas en état d'écrire à tête reposée ce qu'il écrit, lui, d'un trait de plume. C'est une facilité qui véritablement tient du prodige ; et sa manière de voir et de juger, est inconcevable à son âge. Vous a-t-il lu son morceau sur les moeurs et l'état politique des Anglais?

LE MARQUIS.

Oui...

DORIVAL.

Eh bien ?

LE MARQUIS.

Inouï, incompréhensible... Les bras m'en sont tombés, je l'avoue.

DORIVAL.

Il n'a cependant été que deux mois en Angleterre. C'est un sujet rare; je vous assure qu'il connaît les hommes mieux que je ne les connais moi-même, quoique j'aie vingt ans plus que lui.

LE MARQUIS.

Quand il partit, je ne lui donnai qu'un conseil : Mon fils, lui dis-je, vous avez seize ans, vous avez fait d'excellentes études, votre tête est bien meublée ; il s'agit à présent de former votre esprit : vous allez parcourir différents pays ; attachez?vous moins à l'étude des choses, qu'à celle des hommes...

DORIVAL.

Admirable précepte, bien essentiel, bien philosophique.

LE MARQUIS.

Les hommes, les hommes ; étudiez les hommes, lui répétai-je ! Telle fut mon exhorlation : je vois avec plaisir qu'elle a fructifié...

DORIVAL.

Je vous réponds qu'il a bien suivi vos conseils ; il a été dans ses voyages un esprit observateur qui surprenait tout le monde... L'Ambassadeur de Venise disait de lui : Ce jeune homme joint â la vivacité des Français toute la profondeur Anglaise ; et c'était bien le peindre.

LE MARQUIS.

Je ne savais pas ce trait?là ; il est charmant ; il y a du tact et de la finesse... Je vous en prie, contez cela au Baron.

DORIVAL.

Oh, je pourrais lui en conter bien d'autres... Mais Monsieur le Baron les sentira?t?il bien ?

LE MARQUIS.

Le Baron est un bon homme, il a même une sorte d'esprit naturel ; mais point de ressort, point de philosophie, nulle connaissance du coeur humain : des préjugés, une imagination froide ; voilà son portrait en peu de mots.

DORIVAL.

Et tracé par un pinceau de maître.

LE MARQUIS.

Quelquefois j'ai le talent d'attraper assez bien les ressemblances... Monsieur Dorival, une tête bien faite, qui réfléchit depuis quarante ans, doit avoir un peu de pénétration... Mais pour revenir au Baron je sens bien qu'il n'a pas tout ce qu'il faut pour apprécier mon fils ; cependant l'esprit enchante et séduit toujours les personnes même le moins en état d'en juger ; et le Baron, j'en suis sûr, ne pourra se défendre de cet attrait irrésistible...

DORIVAL.

Oui, mais je crains que son fils, le Chevalier de Valcé, ne cherche à nuire à Monsieur le Vicomte.

LE MARQUIS.

Cela se pourrait. Ce jeune homme se voit écrasé par mon fils d'une si terrible manière, qu'il est à craindre que l'amour-propre humilié ne le conduise promptement à la jalousie et à l'aversion.

DORIVAL.

A-t-il quelque pouvoir sur l'esprit de son père ?

LE MARQUIS.

Beaucoup. Le petit garçon ne sera jamais qu'un très médiocre sujet ; il a de la douceur, mais point de fond, rien de brillant; en un mot, fait pour rester éternellement dans la classe obscure des gens dont on ne peut dire ni bien ni mal ; voilà son horoscope. Malgré cela, l'aveuglement du Baron sur son compte est incroyable. Je vous avoue que je ne puis concevoir ces préventions de père : elles m'étonnent toujours ; et de tous les ridicules, celui?là est peut être un des plus curieux à observer philosophiquement... Mais, que nous veut Roussel ?

SCÈNE V.
Le Marquis, Dorival, Roussel.

ROUSSEL, au Marquis.

Monsieur le Baron vous fait proposer, monsieur, de venir jouer une partie de billard avant le dîner.

LE MARQUIS.

Volontiers. Venez, mon cher Dorival.

Ils sortent.

SCÈNE VI.

ROUSSEL, seul.

Monsieur le Baron me paraît un peu dégoûté de son gendre futur. Ma foi, je n'en suis pas fâché ; car, d'après le rapport de l'Épine, et selon les apparences, le futur, à ce que je crois, n'est qu'un fat... Quelqu'un vient ; ah, c'est monsieur le Chevalier.

SCÈNE VII.
LE CHEVALIER, ROUSSEL.

LE CHEVALIER.

Roussel, un moment, j'ai à te parler.

ROUSSEL.

De quoi s'agit-il, monsieur ?

LE CHEVALIER.

Mon père m'a conté tout ce que tu lui as dit au sujet du Vicomte de Melville, il en est très frappé ; le voilà prévenu contre ce jeune homme, dont le valet a peut-être exagéré les ridicules ; et je trouve, Roussel, que vous auriez dû mettre plus de ménagement dans le compte que vous avez rendu...

ROUSSEL.

Dame, je n'ai dit que la vérité.

LE CHEVALIER.

Il ne faut pas tant se presser de croire le mal, et surtout de le débiter. Mon père vous a chargé de questionner encore l'Épine ; je vous prie, mon cher Roussel, par amitié pour moi, de ne point aigrir mon père davantage ; il est plus clairvoyant que nous ; ainsi ne lui donnez pas de préventions, afin qu'il puisse juger sainement et par lui?même.

ROUSSEL.

Vous vous êtes donc pris d'amitié pour Monsieur le Vicomte ?

LE CHEVALIER.

Oh, cela, point du tout ; mais malgré les défauts de son extérieur, peut?être a-t-il une bonne âme...

ROUSSEL.

Savez-vous, Monsieur, ce qu'il a dit de vous ?

LE CHEVALIER.

Non ; et je vous défends de me l'apprendre.

ROUSSEL.

Je suis, je l'avoue, hors de moi, de vous voir prendre le parti d'un homme qui vous traite de niais...

LE CHEVALIER.

De niais ?...

ROUSSEL.

Oui, Monsieur, de niais, puisqu'il faut vous le dire.

LE CHEVALIER, laugh.

N'est-ce que cela ?... Eh bien, quel tort me fait il ? Il m'accuse d'être ce qu'on est fort communément à mon âge.

ROUSSEL.

À votre âge ! Mais il n'a qu'un an de plus que vous.

LE CHEVALIER.

Eh bien oui, j'ai dix-sept ans ; et si je suis niais, je suis fort excusable ; ainsi c'est le plus petit reproche qu'il pouvait me faire, puisque c'est une disgrâce de la première jeunesse, qu'on perd avec elle, et qui tient même souvent à des qualités qu'un jeune homme doit avoir, la timidité et la défiance de soi-même.

ROUSSEL.

À la bonne heure, Monsieur, il a fait un magnifique éloge de vous : vous trouvez?cela ; moi, j'y consens.

LE CHEVALIER.

Non, mais je crois vous avoir prouvé qu'il n'a rien dit qui doive m'offenser.

ROUSSEL.

Vous êtes peut?être le seul jeune homme que cela ne puisse pas piquer au vif.

LE CHEVALIER.

Pourvu qu'on n'attaque ni mon honnêteté ni mon coeur, et qu'on ne m'accuse jamais d'être un pédant ou un fat, tout le reste m'est égal.

ROUSSEL.

À propos, Monsieur... Eh, mon Dieu, j'allais oublier de vous dire cela... Votre ami, Monsieur le Vicomte, nous a donné une bourde ce matin avec son courrier d'Italie.

LE CHEVALIER.

Comment ?

ROUSSEL.

Oh, c'est excellent... Il a fait dire qu'il s'enfermait dans sa chambre, parce qu'il avait vingt lettres à écrire pour Rome ; et au lieu de cela, il s'est couché entre deux draps, car il était mort de la fatigue de la chasse, malgré son trot à l'Anglaise qu'il vante tant.

LE CHEVALIER.

Eh comment sais-tu déjà qu'il trotte à l'Anglaise ?

ROUSSEL.

Pardi depuis cinq heures que je suis arrivé, je n'entends parler que de lui. J'ai vu la Brie, le Piqueur, qui m'a conté cela. Il n'y a pas un domestique dans le château, qui ne se moque de Monsieur le Voyageur, comme ils l'appellent. J'étais bien curieux de le voir ; en qualité de concierge, j'ai été tout à l'heure prendre ses ordres ; je l'ai trouvé à sa toilette : il m'a chargé de dire à Monsieur le Baron que ses dépêches étaient finies, et qu'il allait descendre.

LE CHEVALIER.

Eh bien, comment savez-vous qu'il n'a pas écrit et qu'il s'est couché ?

ROUSSEL.

Parce qu'il avait oublié de défendre à L'Épine de le dire, et que pendant son sommeil j'ai été dans son antichambre causer avec L'Épine, et que nous l'entendions ronfler.

LE CHEVALIER.

Mais il a peut-être écrit depuis ?

ROUSSEL.

Pas seulement une pause d'a, m'a dit l'Êpine tout à l'heure.   [ 2 Panse d'A : Se dit de celui qui s'attribue, ou à qui on attribue quelque part à un ouvrage, mais qui cependant n'y a pas travaillé. [L]]

LE CHEVALIER.

Mentir ainsi de gaieté de coeur, cela n'est pas croyable !... Mon père le sait-il ?

ROUSSEL.

Eh, mon Dieu, non ; j'ai oublié de lui en parler.

LE CHEVALIER.

Eh bien, mon cher Roussel, ne lui en dites rien, je vous prie; du moins, attendez, ne précipitons rien, et ne nous hâtons pas de nuire à un jeune homme dont la légèreté et l'étourderie causent peut?être tous les torts. Certainement, s'il n'est pas honnête, il n'est pas digne de ma soeur ; mais donnons-nous le temps de le connaître, et prenons bien garde d'aigrir mon père mal à propos contre lui.

ROUSSEL.

Allons, je ferai tout ce que vous voulez ; car votre bonté d'âme me gagne au point de me donner des scrupules. Mais, Monsieur, il est deux heures ; on va se mettre à table.

LE CHEVALIER.

Tu as raison. Adieu, Roussel, souviens toi de ta promesse.

ROUSSEL.

Oui, monsieur... Quel joli naturel d'enfant!

Il sort.

ACTE II

SCÈNE PREMIÈRE.

L'ÉPINE, seul.

Je croyais trouver ici Monsieur le Vicomte ; il faut absolument que je lui parle... Ah, le voici.

SCÈNE II.
L'Épine, Le Vicomte.

LE VICOMTE.

Ah, Monsieur l'Épine, je suis bien aise de vous rencontrer. Qu'est?ce que c'est donc que cette histoire que vous avez faite à monsieur Dorival, que je m'étais couché, et...

L'ÉPINE.

Appelez?vous cela une histoire, monsieur ? Ne vous êtes?vous pas déshabillé, mis au lit ? N'ai-je pas fermé vos volets ? N'avez-vous pas dormi deux heures ?

LE VICOMTE.

Apprenez, une fois pour toutes, quand je suis enfermé, à dire que j'écris, ou que je lis, enfin que je travaille.

L'ÉPINE.

Fort bien, Monsieur, à présent je n'y manquerai pas ; mais aussi, ayez la bonté, à l'avenir, de ne pas oublier de me faire ma leçon, comme vous faisiez en Italie ; je crois, sans reproche, que je ne vois secondais pas mal ; je ne demande pas mieux que de mentir, mais je ne peux pas deviner.

LE VICOMTE.

En voilà assez là-dessus... Dites?moi, vous connaissez Roussel, il me paraît qu'il a la confiance du Baron ; tâchez de savoir de lui si j'ai le bonheur de plaire à son maître...

L'ÉPINE.

Je voulais précisément vous parler là?dessus, Monsieur : pendant votre dîner, nous avons beaucoup jasé, Roussel et moi, et il m'a dit que Monsieur le Baron désirait d'avoir une grande conversation avec vous dès aujourd'hui afin de s'assurer par lui-même s'il est vrai que vous ayez autant d'esprit qu'on le dit.

LE VICOMTE, avec un ris moqueur.

Le bon homme !... Cela est charmant !

L'ÉPINE.

Ainsi, Monsieur, préparez-vous.

LE VICOMTE.

Étonner, émouvoir une brute, doit être un triomphe assez piquant... Allons, je l'essaierai... Je me livrerai.

L'ÉPINE.

Roussel m'a confié encore que le Chevalier a formé le projet d'avoir aussi un entretien particulier avec vous.

LE VICOMTE.

Comment ; il faudra donc que je subisse l'examen de toute la famille ! Cela devient très imposant.

L'ÉPINE.

Ils prétendent tous que ce jeune homme est rempli de science et de talents.

LE VICOMTE.

Mais oui ; il me paraît qu'il jouit dans toute la Picardie d'une très brillante réputation...

L'ÉPINE.

Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'il sait bien des langues pour son âge : le Latin, l'Allemand, l'Italien, l'Anglais.

LE VICOMTE.

Oui ; et il les parle avec une grande élégance.

L'ÉPINE

Ma foi, je ne m'y connais pas ; mais ce que je puis dire, c'est que nous aurions été bien heureux, dans nos voyages, d'en savoir autant... Quelqu'un vient; c'est justement lui-même.

LE VICOMTE.

Laisse?nous.

L'Épine sort.

SCÈNE III.
Le Vicomte, Le Chevalier.

LE CHEVALIER.

Ah, Vicomte, je suis charmé de vous trouver seul; depuis le retour de la chasse je cherchais cette oecasion. J 'auraisvétê chez vous: mais j'ai su que vous dormiez. . . .

LE VICOMTE, en riant.

Que je dormais !... C'est mon valet de chambre qui a dit cela ?

LE CHEVALIER.

Oui. Y '

LE VICOMTE.

Je veux bien vous avouer le vrai... C'est que toutes les fois que je me retire pour travailler, mes gens ont ordre de dire que je dors ... Sans cela, on serait interrompu à chaque instant.

LE CHEVALIER.

Vous ne vous êtes donc pas couché ?

LE VICOMTE.

Pas une minute.

LE CHEVALIER.

Mais vos volets étaient fermés.

LE VICOMTE.

Toujours, quand je travaille ; c'est un tic ; le jour me distrait ; je ne puis m'occuper de choses un peu sérieuses que de cette manière. C'est une habitude que j'ai prise en Italie, d'autant plus qu'à cause de la chaleur il faut toujours tout fermer, et que les appartements y sont par cette raison très obscurs. Ma fantaisie d'écrire à la lumière était fort connue à Rome et à Naples ; elle passa même en proverbe ; car, pour exprimer qu'un ouvrage était écrit avec soin, on disait qu'il avait sûrement été fait à la lumière. Ce fut mon discours de réception à l'Académie des Arcades, qui mit cette plaisanterie à la mode.

LE CHEVALIER.

Enfin, j'ai cru ce matin que vous étiez dans votre lit, et...

LE VICOMTE.

Dans mon lit !... Mettez?vous dans la tête que je ne dors point ; ce n'est pas une façon de parler, j'ai de l'antipathie pour le sommeil ; cet état de stupeur et de mort morale, dans lequel toutes les facultés de l'âme s'anéantissent, me paraît la sujétion la plus humiliante de la nature humaine. Aussi je me suis accoutumé à ne dormir chaque nuit que deux ou trois heures tout au plus.

LE CHEVALIER.

Je vous en félicite... mais je venais avec l'intention de vous parler de ma soeur ; j'ai reçu ce matin une lettre d'elle...

LE VICOMTE.

Eh bien, sait-elle que je suis en France ?

LE CHEVALIER.

Oui, elle me parle beaucoup de vous; elle me questionne; elle me prie de lui mander, aussitôt que vous serez ici, ce que je pense de votre caractère, et...

LE VICOMTE.

Vous pourrez lui répondre que je ne suis pas tout à fait imbécile, et que j'ai retiré quelque fruit de mes voyages.

LE CHEVALIER.

Angélique a seize ans ; elle a toute l'heureuse simplicité de son âge ; elle croit que tout le mérite de la grande jeunesse consiste dans la modestie, la douceur, le désir de s'instruire, et surtout d'acquérir des vertus. Si je lui faisais de vous un portrait plus brillant ; si je lui mandais que vous êtes à dix-huit ans tout ce que vous serez à trente, au lieu de la séduire, je l'effraierais. Elle est si intimement persuadée que la première jeunesse n'est pas susceptible d'atteindre à la perfection de l'âge mûr, qu'il me smit impossible de la faire revenir de cette prévention; et si je disais que vousV avez des talens supérieurs, et. une érudition profonde, elle croirait que je me suisvabusé, et que j'ai pris l'assurance de la présomption et des prétentions ridicules, pour du mérite et de l'instruction.

LE VICOMTE.

Cri: que vous me dites là ne m'étonne point du tout; voilà le fruit dé l'éducation du couvent: des préjugés, de l'entêtémept.

LE CHEVALIER.

Elle a été mieux élevée qu'on ne l'estvordi nairçment dansvun couvent; ma tante, fortvenvétat de lui former l'esprit, s'attacha surtout à né lui donner que desv idées justes. . . .

LE VICOMTE.

Estvelle fofl; sensible E. . . .

LE CHEVALIER.

Son coeur estvexceflcnt.

LE VICOMTE.

Tant mieux; rien m'attache comme une âme aimante; et, il faut l'avouer, les femmes à cetvêgard l'em portent sur nous. . . . Lestnglaises, surtout, quand  ,ellesw aiment, c'est avec une violence . . . .j'en ai connu une entr' autres bien surprenante à cetvégard. . . .belle comme le jour, très?piquante, trèsvà la mode; eh bien, cette femme (dont le nom est très-connu même ici) est capable d'unvexcês de passion qui s'urpasse tout c4: qu'on peut lire dans les romans les moins vraisemblables....une impétuosité d'imagination, un feu, une chaleur, une délicatesse ! . . . .et une manière d'écrire, véritablement pleine d'énergie et dé séduction . . . . Cette An? glaise, et une petite Espagnole, chez 142 père de aquelle je logeais à Madrid, sont, dans ce genre, les deuxvêtres les plus Vextraordinaires qui soient peut-être au monde.

LE CHEVALIER, à part.

Quel délire de fatuité !. . . . '

LE VICOMTE.

Lesvltaliennes ontvaussi des passions très violentes; maisvelles sont d'une jalousie insupportable. . . . J'en fis l'épreuve à Venise d'une manière cruelle . . . .une mal? heureuse femme se perdit par desvéclats d'une extravagance ! .. .-.Cette aventure fitvun bruit affreux, et véritablement elle m'affecta beaucoup. Si je contais tout ce qui m'estv arrivé dans mes voyages, je pourrais souvent risquer d'être accusé d'exagération : réellément, il semble que jzj: sois né pour les choses extraordinaires, et cela dans tous les genres. . .. Mais vous, Chevalier, quand voyagérez?vous donc?

LE CHEVALIER.

Jé vousvavoue que je n'ai nul goût pour les voyages. . . .et chaque instant fortifie ma répugnance. . . .

LE VICOMTE.

Mais, c'est une répugnance d'enfant, que cela...

LE CHEVALIER.

En vérité, vous ne parviendrez point à la vaincre.

LE VICOMTE.

Quel conte-l . . . .Eh bien, je veux vousvemméner avec moi dans le Nord l'année prochaine.

LE CHEVALIER.

Comment, dans le Nord ?

LE VICOMTE.

Oui, je compte faire le voyage du Nord. J'irai d'abord en Russie, parce que je médite unvouvrage très piquaut sur les progrès rapides des Russes dans lesvarts et dans la politique. J'envai déjà fait le plan. . . . Et puis je veux connaître la Suède, le Danémarck. . . .

LE CHEVALIER.

Et si vous vous mariez, emmenéoez?vous votre femme ?

LE VICOMTE.

Oh, cela estvimpossiblel. . . . Je né prendrai avec moi qu'un dessinateur et un botaniste. Aimez-vous l'histoire naturelle? Moi, elle me tourne la tête. Je suis 'heureusét neM né l L'étude la plus sèche, la plusvaride, n'est pour mon qu'unvamusttment; j'apprends tout ce que je veux sans travail et sans peine. On peut se vanter de cette facilité : elle n'a rien de commun avec l'esprit; elle ne vient que dé la mémoire. . . . Il est certain que j'ai une mémoire prodigieuse. . . . . Et puis j'aime toutes les sciences également. . . . Ma passion de m'instruire s'étend sur tous lesvobjets. . . . On fitÇ , à ce sujet à Rome, les derniers jours quej'y passai, une re? marque assez plaisante: on prétendit, que, dans la même soirée, j'avais donné la solution d'un problème, rempli douze bouts?rimés, soutenu une discussion très?vive sur la politique, traduit en Français un passage du Dante, et dansé dix contre? danses; Je ne me réssouviens pas, je ne puis répondre de l'exactitude de cette récapitulation; maisvil est très?possible qu'ellejsoit vraie . . . .très possible. . . .

LE CHEVALIER.

Quel passage du Dante traduisites?vous?

LE VICOMTE.

Mais. . . . Ah, cela estvexcellent ! . . . . Il m'est Véchappé. . . . Tout ce que je me rappelle, c'est que c'était le plus difficile du poëme, parce qu'on l'avait choisi exprès pour m'embarrasser. . . . Je doisvavoir dans mes papiers cette tra duction, je vous la montrerai.

LE CHEVALIER.

J'entends mon père, je crois...

À part.

Ah, j'avais grand besoin qu'on vint à mon secours; je n'y pouvais plus tenir.

LE VICOMTE, à part.

Le jeune homme, à ce que je vois, est van peu étonné de cetventretien . . . . Allons; aprèsvavoir pétrifiê 14: fils, il faut subjuguer le père. a

SCÈNE IV.
Le Baron, Le Vicomte, Le Chevalier.

LE BARON.

Mon fils, allez dans le salon retrouver le Marquis qui vousvattend pour la promenade. . . . Mais, écoutez. . . . (.Æu Vù:mnte,) permettez-vous que je lui dise un mot ? . . . .

LE VICOMTE.

Je vais me retirer. . . .

LE BARON.

Non, non, cela sera fait dans l'instant. . . .

LE VICOMTE.

Fort bien, pendant c4: tems je vaisvexaminer les tableaux de ce cabinet, que je n'avais pasvencore remar qués

Il s'éloigne et considère les tableaux, envaflectdnt toutes les manières d 'un connaisseur.

LE BARON, au Chevalier à demi?bas.

Eh bien, comment s'est passée votre conversation ? '

LE CHEVALIER.

Ah, mon père !.. ..vous me voyez dans une surprise !. . . .

LE VICOMTE, considérant un tableau..

Cette tête n'est elle pas d'après Raphaël ?

LE BARON, se tournant.

Non, c'est d'après ma grand'mêre... Un très beau tableau...

LE VICOMTE.

Le aire n'envest pas mauvais, point du tout mauvais. . . . A , voilà unvassez joli paysage, il est chaud de couleur. . . .

LE BARON, à démr'»vorä:, au Chevalier..

C'est un fat, n'est ce pas :" un vrai fat. . . . Mais croyez?vous du moins qu'il ait quelque instruction, autant que vousven pouvez juger? Parlez? moi naturellement.

LE CHEVALIER.

Il est fou, on lui a tourné la tête; voilà tout ce que j'ai pu démêler.

LE VICOMTE, considérant toujours les tableau, et se parlant à lui?même, mais très haut.

Dans le goût de la Rosalba.

LE BARON, toujours au Chevalier.

Et si le coeur est gâté, il n'y a nulle ressource.

LE CHEVALIER.

Ah, mon père, parlez?lui : donnez?lui des con seils: peut-être parviendrez vous à le corriger. . . .

LE BARON.

Il suffit; nous reprendrons cet entretien. Venez, Vicomte ; et vous, mon fils, allez chercher le Marquis, et conduisez?le dans mon petit jardi; tenez , voilà la clef de la grille.

Le Chevalier sort.

SCÈNE V.
Le Baron, Le Vicomte.

LE VICOMTE.

Il est charmant, votre jardin... Le site en est très agréable... ; on y découvre du côté du bois une vue agreste, mais fort pittoresque. Au déclin du jour, le soleil couchant produit sur la montagne de grandes masses de lumière d'un effet très piquant. Ce paysage rappelle ceux de la Suisse, il en offre les charmes sans en avoir la sévérité. La nature est plus majestueuse, plus imposante en Suisse et en Italie ; mais c'est une beauté, si j'ose m'exprimer ainsi, dont l'âpre austérité va jusqu'à la rudesse. loi, elle est moins sublime, mais plus simple, elle touche davantage.

LE BARON, à part.

Quelle tirade !... Je crois qu'ils appellent cela improviser : mais ce n'est pas en Français, car je n'entends ni les mots, ni les phrases...

LE VICOMTE, à part.

Je ld tiens... Le voilà déjà stupéfait.

LE BARON, à part.

Voyons jusqu'où cela peut aller.

Haut.

En vérité, vicomte, vous m'étonnez. . . . Vous avez une singulière éloquence... Tout ce que vous avez trouvé le moyen de débiter, pour dire que j'ai un joli jardin. . . .

LE VICOMTE.

C'est que j'aime la campagne avec passion. La vue d'un beau paysage m'affecte d'une manière trêsvextraordi? naire : comme j'étaisvheureux dans lestppennins ! Ces hautes montagnes hérissées de rochers, entourées de précipices, oetvaspect noble et sauvage exaltait mouvimagination ; mes vidées s'étendaient, s'élevaient; entraîné par unventhou siasme auquel je ne pouvais résister, je descendais de voiture ; je méditais, je dessinais, je faisais des vers. . . . Quel pays que l'Italie pour une tête vive et pensante .' J42 recevais une impres? sitm que je ne puis dépeindre, en songeant quéj'étais dans la patrie de Cicéron, de Virgile, et d'Horace: sachant tous leurs Vouvrages par coeur, je trouvais un nouveau plaisir à les lire dans ces lieux où ilsvavaient été composés. . . .et Rome, Rome ! quels transports j'éprouvai enventrant dans Rome !

LE BARON.

À présent, parlez?moi un peu desvhommes, des moeurs, des ditlérens gouvernemens. N'avez?vous pasvétudié tout c4:la à fond?

LE VICOMTE.

EnvItalie, mesvobservations n'ont roulé que sur le matériel ; il ne faut là que de la mémoire et desvyeux, on n'y peut réfléchir. que sur le passé: mais c'estven Suisse, en VAngleterre, qu'il faut chercher desvêtres pensans et des têtes bien organisées, desvidêes d'une profondeur!. NousV avons clé: la grâce, un vernis agréable, et une grande fraîcheur de coloris; nous connaissons l'art des nuances; mais ilsvont sur nous l'avantage d'une raison géométrique et méthodique, et nous ne sommes pasven mesure de pouvoir comparer notre logique à la leur. , .

LE BARON.

Ainsi, vous mettez les Suisses et lestnglais dans la même classe. Ils n'ont ni vernis, ni nuances, ni frai? cheur, mais de la méthode, de la logique, de la géométrie, et de la mesure.

LE VICOMTE.

Oui, quantvaux moeurs et à la tournure desvl idées; ils se ressemblent beaucoup; dans lesvunes et lesv autres, les données sontvâ peu près les mêmes.

LE BARON, à part.

Les données J. . . .

Haut.

Vous avez fait un journal fort détaillé, à ce qu'on dit?

LE VICOMTE.

Oui, j'ai six volumes de mes grifi'onnages; c'estv un'vouvrage informe, comme vous pouvez penser; jél'ai écrit avec tant de rapidité !. . . . . Cependant il y a du feu, et un tour assezvoriginal; on m'a persécuté à Londres pour le faire imprimer; mais je suis si loin de toute espèce de prétentions ! . . . . J'ai rapporté aussi d'Italie des dessins précieuoe.et d'unfim' admirables. . . .

LE BARON.

Vousvêtes grand connaisseur en tableaux 3

LE VICOMTE.

Mais j'ai le coup d'oeil assez juste, et un goût si décidé pour lesvarts. . La'musique et de la peinture ont. . occupé mes loisirs à Rome d'une manière bien délicieuse; j'ai fait un petit traité sur la musique, dans lequel je prouve que lesVItaliens ont seuls connu les grandsvefi'ets d'harmonie; que leur style estven général plus pur, leursVidées plus fraîches, et qu'enfin, on trouve toujours dans leurs plus pétitsv airs de joliesvintentionS, de la grâce, de l'élégance, et des motifs bien soutenus.

LE BARON.

De manière que notre musique est mal inten tionnée: cela me fait dé la peine, car j'aimais Rameau..,. Mais revenons à la peinture; puisque vousvêtes un véritable amateur, je veux vous montrer; une miniature qu'on dit être d'un bon maître : vous m'en direz votre avis franchement, parce qu'en conséquence jé.l'achetèrai ou je la renverrai. La voici. (Il donne la boite sur laquelle est le portrait d'An gélique. Il dit à part.) Voyons un peu ce que ce pédant dira de la figure d'Angélique ?

LE VICOMTE, après un moment d'examen.

Je ne vous conseille pas d'acheter cela.

LE BARON.

Pourquoi donc?. . . . Le visage me paraît joli. . . .

LE VICOMTE, regardant le portrait.

Non. . . .point dé carac tère. . . .mauvais tour de tête ; nulle expression. . . .unv ouvrage détestable, en vérité.

LE BARON, piqué.

Cela est bon à savoir. . . . .

LE VICOMTE, regardant toujours le portrait.

Détestablel. ... aucune entente du mçlange de couleurs; un faire mesquin. . . . une petite manière, de la sécheresse. .une drapérie pauvre. .

Lui rendant la boîte.

Cela ne vaut rien. . . .

LE BARON, avec colère.

Eh bien, Monsieur le connaisseur, d'autres seront moins ditficiles . . . .

LE VICOMTE.

Comment, que signifie céla ?

LE BARON.

Ah, voici votre père fort à propos.

SCÈNE VI.
Le Baron, Le Marquis, Le Vicomte, Le Chevalier.

LE BARON.

Venez, Marquis. venez. . . .

LE MARQUIS.

Eh, mon Dieu, vousvavez l'air bienvému. . . .

LE BARON.

Je viens de montrer le portrait d'Angélique à mon sieur votre fils . . . .

LE VICOMTE, à part.

Ah, voilà donc le noeud !. . . .

LE BARON.

Et elle n'a pas le bonheur de lui plaire: il dit qu'elle est sèche, qu'elle a de petites manières, l'air mesquin . . . . et centvautresvimpertinences du même genre. . . .

LE MARQUIS.

Comment, mon fils ! . . . . .

LE VICOMTE, bas au Marquis.

Mon père, je vous expliquerai cela. . . .rien n'est plus simple; mais ces gens?ci n'ont pas le sens commun.

LE BARON.

Enfin, mon cher Marquis,' Monsieur le Vicomte de Melville est beaucoup trop merveilleux pour moi; sonVesprit est si fortvau-dessus du mien, que je ne comprends pas plus ses longs discours que s'il parlaithllemand. Son langage est composé d'une quantité de mots qui me sontvabsolumentv inconnus ; et il place ceux que je sais de manière à me dérouter totalement sur leur signification. . .. Moi, je veux pouvoir causer avec mon gendre: ainsi vous voyez bien. . . .

LE MARQUIS.

C'envestvassez, je vous rends votre parole; venez, mon fils. . . .

LE CHEVALIER, à part.

J'avais prévu ce dénouement.

LE VICOMTE, au Baron.

Monsieur, je ne sais que six langues; mais je n'ai pas la plus légère teinture du Picard, je l'avoue à ma honte ; et cette ignorance me coûte trop cher pour ne la pas déplorer sincèrement. . . .

LE MARQUIS.

Allons, mon fils, suivez?moi.

LE BARON.

J'espère du moins, mon cher Marquis, que je n'aurai pas 143 malheur de perdre votre amitié. . . . J'aurais dû vous parler avec plus de ménagement ; mais vous connaissez ma franchise et ma vivacité: et réellement, ce jeune homme m'a poussé à bout. . . . Vous savez d'ailleurs, quand vous me pro? posâtes ce mariage, que je vous prêvins qu'il n'aurait lieu qu'en supposant que l'esprit et le caractère de votre fils me convien draient, et. . . .

LE MARQUIS.

Epargnons?nous desvexplications inutiles, et recevez mesvadieux. . . . Venez, mon fils ; partons.

LE VICOMTE, avec ironie.

Allons, supportons ce revers avec courage; les muses, la gloire, et lesvarts parviendront peut être à m'en consoler. . . . Adieu, Chevalier. . . .

En s'en allant, et en riant.

Voilà une avenure véritablement très? plaisante. Al], ah, ah!

Ils sortent.

SCÈNE VII, et dernière.
LE BARON, LE CHEVALIER.

LE BARON.

Le fat !. . . .en vérité, je ne sais où j'en suis. . . . J'ai encore la tête remplie de toutes lesvextravagances qu'il m'a débitées, et que j'ai eu la patience d'écouter pendant une heure. . . . Le sot jargon! . . . .parbleu, j'avais fait là un beau choix pour ma pauvre Angélique !. . . . Mais, parlez donc, mon fils, concevez-vous cetvexcês de folie, de confiance, et dé stu? pidité ? . . . . A

LE CHEVALIER.

Je vois, mon père, ce que vous m'avez répété bien souvent, que la présomption, dansvun jeune homme, doitv également gâter son coeur et souvesprit.  

LE BARON.

Mouvenfant, n'oubliez jamais cette leçon: vous verrez des fats moins grossiers et plus spirituels; mais dites?vous bien qu'au fond du coeur ils sont tous les mêmes. Dominés par la plus sotte vanité, sansvélévation, sans principes, sansv égards pour les femmes, indiscrets, menteurs, arrogans: voilà les vices horribles qui les caractérisent tous, et qui sont le par tage du plusvadroit d'entre eux, comme du plus gauche et du plus ridicule. Enfin, répétez?vous sans cesse, qu'à votre âge, malgré la meilleure éducation, on ne sait rien qu'à demi ; que ' l'expérience et le tems peuvent seuls perfectionner l'esprit et la raison ; qu'un Philosophe ou un Savant dé dix-huitvans, n'est qu'un sot; et que sansvun bon coeur, de la réserve, et de la docilité, on ne doit rienvattendre d'un jeune homme.

LE CHEVALIER.

Ah, mon père, je reçois avec trop de plaisir des conseils si salutaires, pour n'en pas retirer le fruit un jour. Qui, daignez le croire, je serai digne de vous, du moins par mes sennmens.

LE BARON.

Je n'en doute pas, et cette espérance fait tout le bonheur de ma vie. . . . Maisvallons retrouver le Marquis, et l'appaiser, s'il est possible, avant son départ; car, malgré les Vimpertinences de son fils, je ne veux pas décidément rompre une liaison dé vingtvans. . . . Allons le chercher, allons.

 



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Notes

[1] Fin merle : Fig. et familièrement. Fin merle, homme adroit, rusé drôle, rusé compère ; locution qui vient de la défiance qu'a le merle des piéges et des chasseurs.[L]

[2] Panse d'A : Se dit de celui qui s'attribue, ou à qui on attribue quelque part à un ouvrage, mais qui cependant n'y a pas travaillé. [L]

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