DE L'EXIL

CONVERSATION

XXXIV.

XCVIII.

AVEC PRIVILÈGE DU ROI.

PAR RENÉ BARY, Conseiller et Historiographe du Roi.

À PARIS, Chez CHARLES DE SERCY, au Palais, dans le salle Dauphine, à la Bonne-Foi couronnée.


© Théâtre classique - Version du texte du 31/01/2024 à 17:22:13.


ACTEUR.

STÉPHANE.

TERACENE.

Texte extrait de "L'esprit de cour, ou Les conversations galantes, divisées en cent dialogues, dédiées au Roi.", René Bary, Paris : de C. de Sercy, 1662. pp 208-212.


DE L'EXIL

Un homme de condition flatte le chagrin d'un grand personnage qu'on a relégué aux extrémités du Royaume de rare.

TERACENE.

Confronte le passé avec le présent, et tu trouveras, Stéphane, que ma constance est quelque chose de rare.

STEPHANE.

Comme la prospérité n'a pu vous corrompre, ce n'est pas de merveille si l'adversité n'a pu vous abattre.

TERACENE.

Dans le temps que je dispersais les Finances, que je distribuais les Emplois, je ne voyais que des assidus, je n'entendais que des complaisants, ma Maison était un Louvre, mon Courtege était un Monde : mais à peine ai-je éprouvé l'inconstance de la Fortune, que j'ai reconnu que l'intérêt était le seul appas des Courtisans, et que comme l'élévation était un leurre , la chute était un épouvantail.

STEPHANE.

Comme vous étiez esclave lorsque vous en faisiez, vous ne devez pas pleurer la liberté que vous avez recouvrée, vous devez pleurer la liberté que vous aviez perdue.

TERACENE.

La Nature souffre beaucoup, lorsqu'elle souffre en un moment le passage d'une extrémité à une autre ; l'on me respectait comme un Dieu, et je suis exposé à l'insolence de la Canaille ; L'on me craignait comme un foudre, et je suis en butte à la fureur de la populace.

STEPHANE.

Quelque pompe qui ait accompagné votre Ministère, vous n'avez pas moins paru aux dépens de votre patrimoine, qu'aux dépens de votre emploi ; et la roture même dont vous vous plaignez à tort, est tellement persuadée de la vérité que j'avance, que bien éloignée de faire des feux de joie de votre chute, qu'elle fait des voeux pour votre relèvement.

TERACENE.

Il y a des maladies d'États qui veulent des saignées ; mais quelques accidents qui soient survenus dans le cours de mon emploi, j'ai toujours épargné le sang du peuple.

STEPHANE.

Les mêmes choses qui vous ont acquis la bienveillance des gens de bien, vous ont acquis la haine des partisans, et les mêmes choses qui sont votre gloire, ont fait votre disgrâce.

TERACENE.

Il est vrai que les gens d'affaires sont insatiables, qu'ils se plaignent tous de ceux qui ne font pas plaindre les autres.

STEPHANE.

Comme ils ne demandent que la dernière désolation des Empires, ils n'attribuent jamais la rareté des Finances à la misère des Provinces, ils l'attribuent toujours à la stupidité des Ministres ; et lorsque les faussetés qu'ils débitent frappent malheureusement l'esprit des Monarques, l'on ne dépouille pas un Homme de son Gouvernement, de peur qu'il ne s'y corrompe ; on le dépouille de son administration, de crainte qu'il n'y puisse être corrompu.

TERACENE.

Ou je me trompe bien, ou tu as deviné à peu à peu près les causes de mon malheur.

STEPHANE.

Quelle joie ne devez-vous donc point tirer des choses mêmes qui vous attristent.

TERACENE.

J'avoue que la modération dont j'ai usé devrait entièrement dissiper mon chagrin : mais enfin, cher ami, tu sais que la Cour est un charme, et que quand on a vécu dans la splendeur, il est difficile de vivre dans l'obscurité.

STEPHANE.

Toutes les directions font des fardeaux ; Toutes les administrations sont des servitudes ; et c'est être ennemi de soi- même, que de regarder d'un oeil de regret, ce que les plus sages du Monde ont regardé d'un oeil de mépris.

TERACENE.

Quoique tu puisse[s] dire, il est doux d'être élevé au dessus de ses semblables, d'être en puissance de faire des heureux, d'être en état de recevoir des génuflexions.

STEPHANE.

Ressouvenez-vous, Monsieur, qu'on compare les Hommes dont la fortune est insolente, aux Rochers dont les pointes sont orgueilleuses ; et que comme les rochers qui semblent menacer les nues, sont sujets à être comme pulvérisés par les carreaux du Ciel, les Hommes qui semblent braver tous les autres, sont sujets à être comme anéantis par la colère des souverains.

TERACENE.

Les prospérités s'entre-suivent ; Les disgrâces s'entre-succèdent ; et s'il est dangereux d'être bien avant dans la faveur, il est plus dangereux d'être bien avant dans l'indignation.

STEPHANE.

Que craignez-vous ? N'êtes-vous pas maître de votre personne et de vos biens ?

TERACENE.

Quand un homme est débusqué, on tâche de remplir sa place ; et celui qui l'a rempli, devient toujours l'ennemi secret du premier occupant.

STEPHANE.

Il est vrai qu'on craint le retour, et que ces fortes de craintes ont quelquefois d'étranges fuites : mais outre qu'il n'y a point encore de favori, et que le prince est tendre, vous avez toujours vécu en bon sujet, vous avez toujours agi en bon serviteur, et il n'y a point de recherche, quelque sévère qu'elle puisse être, qui puisse vous convaincre ni de péculat, ni d'infidélité.   [ 1 Péculat : Profit personnel fait sur des deniers publics par un homme auquel l'administration ou le dépôt en est confié. [L]]

TERACENE.

Quoi que j'aie la conscience nette, je n'ai pas l'esprit tranquille ; j'appréhende la médisance ne ranime le que Prince contre moi ; que l'imposture effrontément débitée, ne prévale sur mon innocence, et qu'enfin la violence ne porte un second trouble dans les restes de ma fortune.

STEPHANE.

Je ne vois pas que les choses soient disposées à vous faire cet outrage ; au contraire j'apprends tous les jours que les plus grands Seigneurs soupirent votre éloignement, et que quelque effort que vos ennemis fassent de perpétuer votre absence, l'on se flatte de votre rappel : mais quand tout tournerait à votre désavantage, faudrait-il se désespérer ?

TERACENE.

Tu sembles inébranlable ; le ferais-tu dans l'occasion ?

STEPHANE.

Je me moque des biens et des honneurs, ce font des possessions inquiétantes, ce font des acquisitions fatales ; et quand même je serais réduit à la simple solde d'un fantassin, je ferais voir à la Fortune, qu'en attaquant des gens de ma forte, elle attaquerait des gens de coeur.

TERACENE.

Ceux qui ont été nourris à l'ombre, appréhendent ordinairement l'injure des saisons.

STEPHANE.

J'ai eu une assez douce nourriture, et j'ai souffert une assez rude persécution ; mais quelque mollesse que j'aie sucée avec le lait, l'on m'a vu aussi gai dans le malheur que dans la prospérité ; dans la disette, que dans l'abondance.

TERACENE.

Les dispositions sont inégales ; ce qui est facile aux uns, est comme insupportable aux autres.

STEPHANE.

Enfin il ne me reste plus rien à vous dire, si ce n'est que c'est être faible, que de s'embarrasser pour une vie dont la durée est courte, et dont la fin est inconnue ; qu'il faut considérer les choses passagères comme passagères ; qu'il est d'un véritable homme d'esprit, de négliger ce qui échappe, de mépriser ce qui périt ; que les plaisirs qui sont souvent les fuites de la grandeur, sont souvent les sources du repentir ; que la multitude des biens est une charge, une inquiétude, une tentation ; qu'il est difficile d'avoir tout à souhait, et de donner des bornes à ses convoitises ; qu'un chrétien doit moins craindre les revers de la Fortune, que les disgrâces du Ciel ; et que quand les événements trompent son attente, il doit faire de ses malheurs les sujets de sa réconciliation.

 


PRIVILÈGE DU ROI.

Louis par le Grâce de Dieu, Roi de France et de Navarre : À nos âmés et Féaux conseillers les gens tenant nos cours de Parlement, requêtes de notre Hôtel et du Palais, Baillifs, sénéchaux, leurs lieutenants, et tous autres nos officiers et justiciers qu'il appartiendra, salut. Notre cher et bine aimé le sieur RENÉ BARY, nous a fait exposé qu'il a fait un livre intitulé, L'Esprit de Cour, ou les belles conversations, lequel il désirerait faire imprimer, s'il nous plaisait lui accorder nos lettres sur ce nécessaires. À ces causes, Nous lui avons permis et permettons par ces présentes, de faire imprimer, vendre et débiter en tous les lieux de notre Royaume, le susdit livre en tout ou en partie, en tels volumes, marges et caractères que bon lui semble, pendant sept années, à commencer du jours que chaque volume sera achevé d'imprimer pour le première fois, et à condition qu'il en sera mis deux exemplaires dans notre Bibliothèque publique, un ne celle de notre château du Louvre, vulgairement appelé le Cabinet des Livres, et un en celle de notre très cher et féal le Sieur Séguier Chancelier de France, avant de les exposer en vente ; et à faute de rapporter ès mains de notre âmé et féal Conseiller en nos conseils, Grand Audiencier de France, en quartier, un récépissé de notre Bibliothèque, et du sieur Cramoisy, commis par nous du chargement de la délivrance actuelle desdits exemplaires, Nous avons dès à présent déclaré ladite permission d'imprimer nulle, et avons enjoint au syndic de faire saisir tous les exemplaires qui auront été imprimés sans avoir satisfait les clauses portées par ces présentes. Défendons très expressément à toutes personnes, de quelque condition et qualité qu'elles soient, d'imprimer, faire imprimer, vendre ni débiter le susdit livre en aucun lieu de notre désobéissance durant ledit temps, sous quelque prétexte que ce soit, sans le consentement de l'exposant, à peine de confiscation de ces exemplaires, de quinze cent livres d'amende, et de touts dépends, dommages et intérêts. Voulons qu'aux copies des présentes collationnées par l'un de nos âmés et féaux conseillers et secrétaires du Roi, foi soit ajoutée comme à l'original. Commandons au premier notre Huissier ou sergent sur ce requis, de faire pour l'exécution des présentes tous exploits nécessaires, sans demander autre permission ; Car tel est notre bon plaisir ; nonobstant oppositions ou appellations quelconques, Clameur de Haro, Charte Normande, et autres lettres à ce contraires. Donné à Paris le quinzième jour de décembre, l'an de grâce mille six cent soixante et un, et de Notre règne le dix-neuvième. signé, par le Roi en son conseil, MOUsTIER, et scellé du grand sceau de cire jaune.

Registré sur le livre de la Communauté le 10 , mars 1662, suivant l'arrêt de la Cour de Parlement du 8 avril 1653. signé DEBRAY, syndic.

Ledit sieur BARY a cédé et transporté son droit de privilège à Charles de Sercy Marchand Libraire à Paris, pour en jouir suivant l'accord fait entre eux.

Achevé d'imprimer pour la première foi le 24 jour de mars 1662. Les exemplaires ont été fournis


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Notes

[1] Péculat : Profit personnel fait sur des deniers publics par un homme auquel l'administration ou le dépôt en est confié. [L]

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