DU DUEL

CONVERSATION

X.

XCVIII.

AVEC PRIVILÈGE DU ROI.

PAR RENÉ BARY, Conseiller et Historiographe du Roi.

À PARIS, Chez CHARLES DE SERCY, au Palais, dans le salle Dauphine, à la Bonne-Foi couronnée.


© Théâtre classique - Version du texte du 28/02/2024 à 23:49:49.


ACTEUR.

THEONICE.

TYRIAS.

ARGESYLE.

Texte extrait de "L'esprit de cour, ou Les conversations galantes , divisées en cent dialogues, dédiées au Roi.", René Bary, Paris : de C. de Sercy, 1662. pp 53-70.


DU DUEL

CONVERSATION.

Tyrias qui a reçu un démenti, se trouve par je ne sais quelle rencontre chez une femme de condition son amie ; Et là un ecclésiastique qui est imbu de sa querelle, tâche de le détourner d'en venir aux mains.

THEONICE, la Dame.

Quoi que vous fassiez les choses fort secrètement, j'ai su d'assez bonne part, que le matin de demain doit réparer l'injure de cette après-dînée.

TYRIAS, ou l'offensé.

Quelque imaginatif sans doute a forgé cette nouvelle.

THEONICE.

Elle est néanmoins bien probable.

TYRIAS.

L'on ne fait pas tout ce qu'on peut faire.

ARGESYLE ou l'ecclésiastique.

Comme je prend part aux intérêts de Monsieur, je suis bien aise que ce qu'on nous a rapporté soit faux.

TYRIAS.

Je ne suis pas peu obligé à votre bonté : mais quand ce qu'on vous a dit serait vrai, qui condamnerait mon action ?

ARGESYLE.

Vous savez, Monsieur, que les duels sont défendus.

TYRIAS.

Oui, je le sais ; mais l'Édit n'est pas tant fait pour refroidir le courage que l'ardeur anime, que pour sauver la réputation de ceux que la timidité retient.

ARGESYLE.

Si le respect qu'on porte à l'Édit met à couvert l'honneur de ceux qui ne sont pas d'humeur à se battre pourquoi ceux que vous rappelez braves se battent-ils ? Ce respect qui est si justement fondé, peut-il être glorieux aux uns, et être déshonorable aux autres ?

TYRIAS.

Il y a un certain milieu entre l'estime et le blâme : Ceux qui ne se battent point, n'ont point de Censeurs, n'ont point de panégyristes : Ceux qui se battent, ont des hérauts, ont des trompettes.

THEONICE.

Quelle faiblesse de louer la faiblesse !

ARGESYLE.

Madame à mon avis n'a pas mal rencontré.

TYRIAS.

Chacun a ses sentiments.

ARGESYLE.

Je le confesse ; mais quelque bonne opinion que vous ayez de la fierté du coeur, le courage ne consiste point où vous le mettez.

TYRIAS.

En quelles actions le constituez vous ?

ARGESYLE.

Je le constitue à rejeter ce qu'il faut rejeter, à repousser ce qu'il faut repousser à souffrir ce qu'il faut souffrir, à attaquer ce qu'il faut attaquer, et à soutenir ce qu'il faut soutenir, à rejeter ce qu'il faut rejeter, comme les mollesses, les suggestions, à repousser ce qu'il faut repousser, comme les assassinats, les violements ; à souffrir ce qu'il faut souffrir, comme l'exil, les injures ; à attaquer ce qu'il faut attaquer, comme les forts, les tranchées ; et à soutenir ce qu'il faut soutenir, comme les siège , les assauts.

TYRIAS.

Que le courage chez vous est de grande étendue ! Hé ! Le moyen de vaincre la colère, de vaincre une passion que l'insolence excite, que la raison approuve, et que l'ambition allume ?

ARGESYLE.

La colère est surmontable, cent grands personnages l'ont surmontée.

TYRIAS.

Il y a de justes colères, puisqu'il nous est commandé de nous courroucer, et de ne pêcher point.

ARGESYLE.

On dit qu'il est juste, et j'en viens de demeurer d'accord, de se soulever contre toutes les actions qui tendent directement au déshonneur de Dieu, et à la honte du Prince ; à la ruine de la Patrie, et à la destruction de l'Homme. Mais pour vous montrer que hors ces sortes d'actions, le repoussement des injures est un pêché ; Dieu veut que nous supportions l'infirmité de notre prochain, que nous excusions la faiblesse de nos frères ; et pour dire quelque chose de plus, il veut même que nous aimions nos ennemis.

TYRIAS.

J'avoue que Dieu veut ce que vous dites ; mais la volonté en cela passe les forces de la nature, et il faudrait pour l'exécuter, que j'eusse de certaines grâces dont je ne ressens point les effets.

ARGESYLE.

Je ne vous dirai rien sur l'amour héroïque dont parle l'Évangile ; cette matière qui est trop délicate pour moi, ferait peut-être trop chrétienne pour vous. Je vous dirai seulement quelque chose sur le ressentiment qui vous transporte ; et je vous ferai voir dans le même discours, que ceux qui vont sur le pré, sont une action que les Républiques doivent défendre, et que les particuliers doivent abhorrer.

TYRIAS.

Il n'y a rien de plus cher en ce monde quel bonheur ;et quoi qu'on ne blâme pas ceux qui refusent le défi, on ne confie guère à ces fortes de gens l'exécution des grandes entreprises ajoutons à cela que les gens de main contractent des adresses victorieuses, qu'il est naturel d'aller au devant des maux qui peuvent nous attaquer, et que le moyen d'empêcher qu'on ne nous fasse encore du mal, consiste à nous venger de celui qu'on nous a fait.

ARGESYLE.

Les exécutions difficiles demandent des précautions exactes ; Les précautions exactes font une partie de la prudence ; la prudence est lente en ses réflexions, et la lenteur est incompatible avec le feu, avec la flamme. Vous dites que les gens de main contractent des adresses victorieuses, qu'il est naturel d'aller au devant des maux qui peuvent nous attaquer, et que le moyen d'empêcher qu'on ne nous fasse encore du mal, consiste à nous venger de celui qu'on nous a fait. Un autre que moi se contenterait de vous dire que les armes sont journalistes, que les plus grands bretteurs périssent quelquefois par des gens qui n'ont point d'école, et qu'il est ridicule de rechercher l'éloignement d'un mal, dans la proximité d'un péril : mais il est important d'entreprendre le duel, de le pousser a bout, de faire voir (comme j'ai déjà dit) que les Républiques le doivent défendre, et que les particuliers le doivent abhorrer. Les mécontents qui donnent des rendez-vous, battent, ou ils sont battus ; s'ils battent, ils persuadent aux simples, et aux brutaux , que Dieu protège les vindicatifs ; et comme ils font persuadez de ce qu'ils persuadent, pour peu qu'on les choque, ils deviennent les troubles-fêtes de leurs concitoyens ; et s'ils sont battus, ils donnent à penser à tout le monde qu'ils ont manqué de coeur, qu'ils ont manqué d'assurance ; qu'ils ont trouvé dans la vigueur de leurs ennemis, la cause de leur désastre. Disons encore, ou les vindicatifs qui se battent tirent raison du tort qu'ils prétendent avoir reçu, ou ils souffrent un sort tout contraire : s'ils tirent raison du tort qu'ils prétendent avoir reçu, ils arment contre eux les amis de leurs ennemis, ils excitent des violences, ils inspirent des attentats ; et pour un emporté dont ils devaient mépriser les insolences, ils ont cent poursuivants dont ils doivent appréhender la conspiration ; et s'ils souffrent un sort tout contraire, ils reçoivent des coups, ils portent des cicatrices, ils deviennent les tristes témoins de la victoire de leurs ennemis, et pour une honte imaginaire qu'ils se font efforcés d'éviter, ils se sont procurez une infamie effective. Si bien qu'on peut dire que l'usage des duels à de très fâcheuses suites, qu'il altère la liberté des esprits, qu'il trouble le repos des familles, qu'il flétrit l'honneur des particuliers, et que par les accidents funestes qu'il cause, il dérobe des glorificateurs à Dieu, il enlève des soldats au souverain, il soustrait des serviteurs à la Patrie .

TYRIAS.

À ce que je vois, Monsieur, vous voulez que les Gentilshommes reçoivent des injures comme des louanges, des démentis comme des applaudissements ?

ARGESYLE.

Si le démenti qu'on vous a donné est juste pourquoi le considérez-vous comme une injure ? Et s'il est déraisonnable, pourquoi n'en formez-vous pas vos plaintes ? Les Maréchaux de France ne font-ils pas les Juges du point d'honneur ? Et les soumissions qu'ils font faire ne désintéressent-ils pas ceux qui ont été maltraités ?

THEONICE.

Il me semble que ces raisons ne reçoivent point de réplique.

TYRIAS.

Qu'il est aisé, Madame, de prêcher le pardon ! Hé qu'il est difficile de pardonner !

THEONICE.

Vous avez raison de dire ce que vous dites, vous êtes fondé en expérience ; mais cependant, comme a fort bien dit Monsieur, le courage ne consiste point où vous le mettez.

ARGESYLE.

Que font les hommes qui se laissent emporter à la colère ? Ils ne font que ce que font les chevaux qui ruent , que ce que font les chiens qui mordent, que ce que font les sangliers qui déchirent.

TYRIAS.

Les exemples que vous rapportez, montrent bien que la vengeance est naturelle.

ARGESYLE.

Dites plutôt, s'il vous plaît, Monsieur, que les exemples que je fournis montrent bien que la vengeance est bestiale.

TYRIAS.

Quelque chose que vous disiez de la patience ; si le courage l'engendre quelquefois, la lâcheté la fait naître ordinairement.

ARGESYLE.

Un homme qui a été offensé, et qui n'en vient point aux mains, peut être poltron, peut être vaillant ; ces vérités font incontestables : Mais qu'il soit brave, qu'il soit pagnote, je soutiens que sa douceur ne lui peut être désavantageuse.   [ 1 Pagnote : Qui est sans courage, sans énergie. [L]]

TYRIAS.

Cet endroit à mon avis est fort délicat ; et je pense qu'à moins d'avoir une fine logique, il serait comme impossible d'en sortir.

THEONICE.

Un moment d'audience vous mettra hors de peine ; Monsieur prouve tout ce qu'il entreprend.

ARGESYLE.

Quand un homme a déjà donné des marques de sa valeur, il ne doit pas craindre que le pardon le déshonore ; les honnêtes gens conservent la mémoire de ses belles actions, et ils considèrent sou procédé, ou comme une marque de son mépris, ou comme un effet de sa retenue. Quand il n'a pas encore donné des preuves de son courage, il ne doit pas appréhender non plus que le pardon le diffamé ; on doit révérer les Édits, et la qualité de respectueux est préférable à la qualité d'infractaire : enfin quand il n'a tenu compte de donner des signes de sa bravoure dans les occasions qui se sont présentées de servir la Patrie, il ne doit pas craindre que le pardon le perde ; il est perdu, et il est impossible d'effacer cent lâchetés par un emportement.

TYRIAS.

Si l'on vous croit, l'on ne parlera désormais du Duel que comme d'une erreur passée.

ARGESYLE.

Si l'on me croit, l'on ne parlera désormais du Duel que comme d'une aveuglement insupportable.

THEONICE.

Ceux qui se mêlent de juger des choses, l'appellent l'horreur de la nature, l'affaiblissement de l'État, et l'opprobre de la Religion.

ARGESYLE.

Qui ne donnerait à une étrange action d'étranges épithètes ?

TYRIAS.

Comme l'esprit humain tranche des deux côtés, il peut faire d'un sujet de louange une matière d'invective.

ARGESYLE.

Que pourrait-on dire en faveur d'un ambitieux qui sacrifie à un faux honneur comme à une idole, le sang de les semblables ? Que pourrait on dire en faveur d'un insolent, qui préfère la satisfaction d'une passion féroce, à la déférence d'un commandement Divin, et au respect d'une défense Royale ? En un mot que pourrait on dire en faveur d'un insensé, qui pour un hochement de tête, un regard dédaigneux, une parole précipitée, expose au fort des armes sa réputation, sa vie, son salut.

THEONICE.

Plus vous entreprenez les duellistes, et plus il me semblent odieux.

ARGESYLE.

Si quelques guerres que nous avons eues, ils sont encore avides de sang, qu'ils soient altérez du sang des Turcs : c'est contre ces usurpateurs qu'il faut le piquer de courage, c'est contre ces Infidèles qu'il faut se piquer de violence.

THEONICE.

Les membres ne doivent agir que conformément à l'influence de leur chef. Nous sommes les membres mystiques de Jésus-Christ ; et comme Jésus-Christ est doux, il est juste que ses membres soient pacifiques. Que si contre ce devoir le Monde et le Diable entreprennent de jeter la discorde parmi nous, il est de notre salut de nous ressouvenir que nous sommes le rachat d'un sang précieux, et qu'à exception de quelques occasions nous ne devons répandre notre sang que pour la cause de celui qui nous a rachetés.

ARGESYLE.

Vous avez fini, Madame, par où je n'ai osé commencer ; la plupart des gens d'épée font irréligieux ; et à moins que de les ébranler d'abord, par la violence des preuves, les raisons de Foi font fort peu d'impression sur eux.

TYRIAS.

Encore que la Noblesse soit comme esclave des maximes du Monde, je veux renoncer à cette servitude : Vous avez heureusement combattu mon opiniâtreté ; Vous avez heureusement surmonté ma résistance ; et quoi que les changements subits soient comme incroyables, que les conversions momentanées soient comme miraculeuses ; il est pourtant vrai de dire que mon erreur est bannie, et que mon amertume est dissipée ; que mon entendement est éclairé, et que mon coeur est calme que mon esprit est vaincu, et que ma colère est éteinte.

ARGESYLE.

Je ne sais pas si nous avons eu l'avantage de vous toucher : si cela est, nous avons grand sujet de nous réjouir : Mais que cela soit ou que cela ne soit pas ; je vous prie de considérer, Monsieur, qu'entre les Anciens, les plus puissants et les plus sages ont été les plus cléments et les plus doux ; que vous avez fait cent actions dont les monuments publics donnent des témoignages que votre adversaire a perdu le sens avant que de perdre le respect ; que cet emporté a passé de l'audace à la crainte ; et qu'il est de la grandeur de votre courage, de mépriser une victoire que la même crainte a presque déjà remporté,

TYRIAS.

Je ne pense plus à l'injure qu'il m'a faite, je pense aux excellentes choses que vous m'avez dites ; et quelques bouillants que soient les gens de mon âge, et de ma condition, je serais le plus trompé du monde, si ma promptitude flétrissait votre victoire, et mon inconstance déshonorait votre triomphe.

 


PRIVILÈGE DU ROI.

Louis par le Grâce de Dieu, Roi de France et de Navarre : À nos âmés et Féaux conseillers les gens tenant nos cours de Parlement, requêtes de notre Hôtel et du Palais, Baillifs, sénéchaux, leurs lieutenants, et tous autres nos officiers et justiciers qu'il appartiendra, salut. Notre cher et bine aimé le sieur RENÉ BARY, nous a fait exposé qu'il a fait un livre intitulé, L'Esprit de Cour, ou les belles conversations, lequel il désirerait faire imprimer, s'il nous plaisait lui accorder nos lettres sur ce nécessaires. À CEs CAUsEs, Nous lui avons permis et permettons par ces présentes, de faire imprimer, vendre et débiter en tous les lieux de notre Royaume, le susdit livre en tout ou en partie, en tels volumes, marges et caractères que bon lui semble, pendant sept années, à commencer du jours que chaque volume sera achevé d'imprimer pour le première fois, et à condition qu'il en sera mis deux exemplaires dans notre Bibliothèque publique, un ne celle de notre château du Louvre, vulgairement appelé le Cabinet des Livres, et un en celle de notre très cher et féal le sieur séguier Chancelier de France, avant de les exposer en vente ; et à faute de rapporter ès mains de notre âmé et féal Conseiller en nos conseils, Grand Audiencier de France, en quartier, un récépissé de notre Bibliothèque, et du sieur Cramoisy, commis par nous du chargement de la délivrance actuelle desdits exemplaires, Nous avons dès à présent déclaré ladite permission d'imprimer nulle, et avons enjoint au syndic de faire saisir tous les exemplaires qui auront été imprimés sans avoir satisfait les clauses portées par ces présentes. Défendons très expressément à toutes personnes, de quelque condition et qualité qu'elles soient, d'imprimer, faire imprimer, vendre ni débiter le susdit livre en aucun lieu de notre désobéissance durant ledit temps, sous quelque prétexte que ce soit, sans le consentement de l'exposant, à peine de confiscation de ces exemplaires, de quinze cent livres d'amende, et de touts dépends, dommages et intérêts. Voulons qu'aux copies des présentes collationnées par l'un de nos âmés et féaux conseillers et secrétaires du Roi, foi soit ajoutée comme à l'original. Commandons au premier notre Huissier ou sergent sur ce requis, de faire pour l'exécution des présentes tous exploits nécessaires, sans demander autre permission ; Car tel est notre bon plaisir ; nonobstant oppositions ou appellations quelconques, Clameur de Haro, Charte Normande, et autres lettres à ce contraires. Donné à Paris le quinzième jour de décembre, l'an de grâce mille six cent soixante et un, et de Notre règne le dix-neuvième. signé, par le Roi en son conseil, MOUsTIER, et scellé du grand sceau de cire jaune.

Registré sur le livre de la Communauté le 10 , mars 1662, suivant l'arrêt de la Cour de Parlement du 8 avril 1653. signé DEBRAY, syndic.

Ledit sieur BARY a cédé et transporté son droit de privilège à Charles de Sercy Marchand Libraire à Paris, pour en jouir suivant l'accord fait entre eux.

Achevé d'imprimer pour la première foi le 24 jour de mars 1662. Les exemplaires ont été fournis


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Notes

[1] Pagnote : Qui est sans courage, sans énergie. [L]

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