DE L'ART DE SE FAIRE AIMER

CONVERSATION

XXXVII.

XCVIII.

AVEC PRIVILÈGE DU ROI.

PAR RENÉ BARY, Conseiller et Historiographe du Roi.

À PARIS, Chez CHARLES DE SERCY, au Palais, dans le salle Dauphine, à la Bonne-Foi couronnée.


© Théâtre classique - Version du texte du 28/02/2024 à 23:49:49.


ACTEUR.

FLOCILLE.

DORMION.

ANGÉLIQUE.

Texte extrait de "L'esprit de cour, ou Les conversations galantes, divisées en cent dialogues, dédiées au Roi.", René Bary, Paris : de C. de sercy, 1662. pp 231-248.


DE L'ART DE SE FAIRE...

Dormion vieux galant, entre insensiblement sur la matière des Dames, dans une maison où il y avait une honnête femme qui avait été autrefois du Monde ; et sur quelques demandes qu'un jeune Seigneur lui fit, il lui donne quelques conseils amoureux.

FLOCILLE, ou le jeune Seigneur.

Quoi que vous vous soyez bien étendu sur l'art de plaire, il me reste encore bien des doutes.

DORMION.

Je sais à peu près ce qui vous met en peine, il ne me fera pas difficile de vous satisfaire.

FLOCILLE.

Quand l'humeur de parler vous en dira, je vous prêterai l'oreille.

DORMION.

Les Dames sont jalouses de leurs opinions ; nous devenons leur aversion dès que nous devenons leur contredisant ; nous éprouvons leur mépris dès qu'elles éprouvent notre rudesse.

ARTÉNICE.

Comme les Dames sont douces, elles aiment la douceur.

FLOCILLE.

Il est raisonnable d'avoir du tendre pour elles ; c'est un devoir dont l'on ne doit jamais se dispenser : mais quelque douceur que vous leur attribuiez, l'expérience m'apprend qu'elles regardent souvent d'un air moqueur, la langueur même de leurs martyrs, et que bien éloigné d'accorder le dedans au dehors, elles font vanité de porter des coeurs durs, sous des apparences flatteuses.

ARTÉNICE.

Que ces fâcheux rencontres ne vous rebutent point ; un soupir adroitement poussé fait quelquefois de grands désordres.

DORMION.

Il ne suffit pas pour être aimé, d'aimer, il faut recourir à d'autres moyens ; et entre ceux qui nous procurent la bienveillance des dames, l'on fait particulièrement état de la belle humeur et du jeu, de la propreté et de la magnificence.

ARTÉNICE.

L'expérience est conforme à ce que Monsieur dit ; les Dames veulent qu'on danse, qu'on saute, qu'on dise le mot pour rire, qu'on joue, qu'on se mette bien, qu'on paraisse, qu'on étudie les humeurs, qu'on pénètre les inclinations, qu'on découvre les habitudes, et que conformément aux observations qu'on fait, l'on n'épargne ni les dentelles, ni les bijoux, ni les essences, ni les poudres, ni les promenades, ni les collations.

DORMION.

Ce n'est pas assez que d'être homme de dépense, il faut être homme de discrétion ; ce n'est pas assez que d'avoir les mains percées, il faut avoir la bouche close.

ARTÉNICE.

Un bienfait publié est une faveur perdue.

DORMION.

Comme les Dames savent le proverbe, qui dit, « Que qui prend se donne », elles s'imaginent qu'en publiant les largesses dont on use envers elles, l'on veut publier leurs reconnaissances.

FLOCILLE.

Le grand secret en ceci, c'est de donner, et de ne vouloir pas même entendre parler de ses dons.

ARTÉNICE.

Ce que vous venez de dire est bien pensé ; je ne connais point de meilleur expédient.

DORMION.

Madame, et moi, avons dit quelque chose de l'enjouement et du jeu, de la propreté et de la magnificence ; il me semble que la persévérance est d'une grande efficace, et que nous devions la mettre au rang des moyens dont l'on doit nécessairement se servir pour triompher de toutes choses.

FLOCILLE.

Cette vertu à mon acquis n'est pas la vertu d'un jeune homme.

ARTÉNICE.

Elle doit être néanmoins la qualité d'un amant.

DORMION.

Les Dames ne se lassent pas moins de martyriser que de plaire, elles conçoivent de l'horreur de leur propre cruauté ; et comme si elles étaient honteuses des peines qu'elles font souffrir, elles passent souvent de la dernière barbarie à la dernière douceur.

FLOCILLE.

Il y a quelque apparence à ce que vous dites ; mais il y a bien de la différence entre le souvent et le toujours.

DORMION.

Je vois bien ce que c'est, vous voulez jouer à coup sûr.

FLOCILLE.

Le secret de semer heureusement est une belle invention.

ARTÉNICE.

De grâce, Dormion, ne passez pas outre ; Monsieur veut savoir trop de choses.

DORMION.

Monsieur a plus de curiosité que de malice ; au moins est-ce mon sentiment.

FLOCILLE.

Je ne sais pas ce que je deviendrai ; l'avenir est un secret qui m'est inconnu mais quelque amoureux que je fois, je ne me propose d'être savant en galanterie, que pour me procurer plus facilement quelque parti avantageuse.

DORMION.

Sur ce fondement, Madame me permettra bien de vous dire par manière de devis, que la pudeur est la vertu des filles, que les filles aiment cent choses qu'elles font semblant de n'aimer pas ; et que pour épargner leur petite confusion, il faut être mauvais ménager de ses petites caresses.

FLOCILLE.

Cela veut dire qu'un amant ne doit pas être immobile.

DORMION.

Cela veut dire qu'un amant ne doit être une souche.

ARTÉNICE.

Je ne sais pas si vous avez sujet de vanter cette belle méthode ; il y a des licences heureuses : mais pour ce qui regarde mon particulier, je vous dirai que les hommes remuants m'ont toujours été insupportables, et que quelques bonnes qualités qu'ils aient eues, j'ai toujours cessé d'être bienveillante dès qu'ils ont cessé d'être retenus.

DORMION.

Quand Madame ne dirait pas la vérité, la bienséance l'excuserait, elle n'est pas obligée de nous reconnaître pour les confesseurs.

ARTÉNICE.

Vous vous imaginez peut-être que je ris : si cela est, défaites-vous de cette pensée, je parle tout de bon.

DORMION.

Il est vrai qu'il y a des humeurs froides et chagrines, et qu'on perd quelquefois les bonnes grâces de fa maîtresse par les mêmes actions qui excitent l'amour des autres : mais enfin l'ordinaire fait la maxime, et il y a moins de danger à suivre les chemins battus, qu'à prendre les routes détournées.

FLOCILLE.

L'on peut conclure de tout ce que vous venez de dire, qu'il est assez malaisé de trouver l'endroit par ou l'on puisse toucher le coeur.

DORMION.

Outre les caresses sont des marque d'amour, et que les filles sont bien aises d'être aimées, les filles considérantes qui font en assez grand nombre, ont cela de particulier, qu'elles pensent à leurs charmes et à notre faiblesse, à leurs attraits et à notre infirmité, et que touchées d'une pensée si tendre et si humaine, elles envisagent notre hardiesse comme quelque chose de naturel, elles regardent notre émancipation comme quelque chose de pardonnable.

ARTÉNICE.

Quoique vous puissiez dire, je m'imagine pourtant que les filles considérantes sont des filles d'esprit, que les filles d'esprit sont sévères, et que comme les filles sévères sont ennemies des moindres libertés, elles sont un étrange bruit quand elles rencontrent des amants brutaux.

DORMION.

Quelques indulgentes qu'elles soient, elles font les cruelles. Est-ce ainsi, disent elles ordinairement, qu'on traite les filles de notre condition ? Vraiment je vous trouve bien joli.

FLOCILLE.

Je pense que leur colère débute à peu près de cette façon : Mais quoique je fois fort éloigné d'aller jusques à l'insolence ; dites-moi, je vous prie, de quel esprit il faut user pour modérer leur émotion ; de quelles raisons il faut se servir pour adoucir leur ressentiment.

DORMION.

Lorsqu'on est en peine de se justifier, l'Amour est un grand Orateur.

FLOCILLE.

De grâce, contentez ma curiosité.

DORMION.

L'on peut représenter, ce me semble, que nous ne sommes coupables que des actions dont nous sommes les maîtres ; que les charmes de l'objet, embrasent, transportent ; que cet embrasement, que ce transport, troublent le sens, troublent la raison ; que dans ce trouble, que dans ce désordre, l'on ne sait ce qu'on dit, l'on ne sait ce qu'on fait ; qu'en ce violent état, la volonté perd son empire ; et que comme la liberté fait le crime, la ruine de la même liberté fait l'innocence.

FLOCILLE.

Les Dames se payent-elles de ces raisons ? Ont-elles l'esprit assez fin pour en connaître la force ?

DORMION.

La plupart d'entre elles se repaissent également, et de ce qu'elles entendent, et de ce qu'elles n'entendent point : mais les belles Filles font ordinairement fières, et la même beauté qui fait qu'en elles-mêmes elles nous excusent, fait que devant le monde elles nous insultent.

FLOCILLE.

Quand cela arrive, un homme de coeur est bien décontenancé.

DORMION.

Ceux qui savent ce que c'est que des filles, essuient plaisamment leur mauvaise humeur.

FLOCILLE.

Hé ! Comment ?

DORMION.

Ils observent le silence, ils ôtent le chapeau, ils regardent tantôt la Terre, ils regardent tantôt le Ciel, ils poussent des soupirs, ils battent des pieds, ils empoignent leurs cheveux, ils mordent leurs gants ; enfin ils sont le personnage d'un interdit, d'un outré , d'un inconsolable.

ARTÉNICE.

Voila les grimaces de nos effrontés.

DORMION.

Voila quelque chose d'approchant.

FLOCILLE.

Si l'on se trouve le lendemain avec les mêmes filles, comment faut-il sortir de cet embarras ?

DORMION.

Il faut observer l'air du visage de celle qui s'est piquée ; et si l'on juge qu'elle ne pense plus au jour précédent, il faut hasarder encore quelques galanteries, mais il faut que ce fait avec quelque forte de crainte ; il faut hasarder encore quelques galanteries, afin de lui faire voir que ce n'a point été par saillie, mais par une espèce de nécessité, qu'on a encouru sa petite indignation, et il faut que ce soit avec quelque forte de crainte, afin de lui faire voir en quelque façon qu'on se ressouvient de son mécontentement, et qu'on donne quelque chose à son aigreur.

FLOCILLE.

Ces derniers conseils me semblent hasardeux.

ARTÉNICE.

Monsieur a raison, ils tiennent quelque chose du téméraire.

DORMION.

Mon sentiment en cela n'est pas le vôtre ; la plupart des belles filles veulent quelque sorte de contrainte, et dans la vanité qui les gonfle, elles ne reçoivent pas tant de déplaisir de liberté qu'on se donne, qu'elles reçoivent de joie de la modération qu'on se prescrit.

FLOCILLE.

Hé ! Madame, faites-moi la faveur de me dire ce qu'il faut faire.

ARTÉNICE.

Voulez-vous que je vous parle franchement ?

FLOCILLE.

Fort volontiers.

ARTÉNICE.

Il faut opposer une grande retenue à une grande licence.

FLOCILLE.

Quoi que je ne rejette pas ce conseil, j'ai toujours ouï dire qu'il fallait donner quelque chose aux charmes de l'objet, et qu'on témoignait mal fa passion, lorsqu'on témoignait qu'on en était le maître.

ARTÉNICE.

Les Dames qui sont aimables, croient toujours qu'on les aime, et dans cette pensée, elles savent toujours bon gré aux gens de la violence qu'ils souffrent pour elles.

DORMION.

La retenue que Madame conseille, n'est pas un très mauvais expédient, il peut avoir de bonnes suites : mais comme toutes les belles personnes ne font pas toujours fort aimées de tous ceux qui les voient, il faut avant que de le suivre, avoir prouvé sa passion par cent actions zélées ; il faut avant que d'en user, avoir découvert son amour par cent actions affectueuses.

FLOCILLE.

Il me semble que cette précaution n'est pas à rejeter.

ARTÉNICE.

Vous êtes à l'école d'un redoutable galant.

DORMION.

Madame raille, ou je me trompe bien.

FLOCILLE.

Je ne le crois pas, elle n'en a pas sujet.

DORMION.

Vous trouvez donc que Je n'entends pas mal la belle persécution.

FLOCILLE.

Oui assurément, et si jamais ma galanterie me procurait quelque grand parti, j'attribuerais ma conquête à la multitude de vos avis, j'attribuerais mon bonheur à la prudence de vos conseils.

 


PRIVILÈGE DU ROI.

Louis par le Grâce de Dieu, Roi de France et de Navarre : À nos âmés et Féaux conseillers les gens tenant nos cours de Parlement, requêtes de notre Hôtel et du Palais, Baillifs, sénéchaux, leurs lieutenants, et tous autres nos officiers et justiciers qu'il appartiendra, salut. Notre cher et bine aimé le sieur RENÉ BARY, nous a fait exposé qu'il a fait un livre intitulé, L'Esprit de Cour, ou les belles conversations, lequel il désirerait faire imprimer, s'il nous plaisait lui accorder nos lettres sur ce nécessaires. À ces causes, Nous lui avons permis et permettons par ces présentes, de faire imprimer, vendre et débiter en tous les lieux de notre Royaume, le susdit livre en tout ou en partie, en tels volumes, marges et caractères que bon lui semble, pendant sept années, à commencer du jours que chaque volume sera achevé d'imprimer pour le première fois, et à condition qu'il en sera mis deux exemplaires dans notre Bibliothèque publique, un ne celle de notre château du Louvre, vulgairement appelé le Cabinet des Livres, et un en celle de notre très cher et féal le sieur Séguier Chancelier de France, avant de les exposer en vente ; et à faute de rapporter ès mains de notre âmé et féal Conseiller en nos conseils, Grand Audiencier de France, en quartier, un récépissé de notre Bibliothèque, et du sieur Cramoisy, commis par nous du chargement de la délivrance actuelle desdits exemplaires, Nous avons dès à présent déclaré ladite permission d'imprimer nulle, et avons enjoint au syndic de faire saisir tous les exemplaires qui auront été imprimés sans avoir satisfait les clauses portées par ces présentes. Défendons très expressément à toutes personnes, de quelque condition et qualité qu'elles soient, d'imprimer, faire imprimer, vendre ni débiter le susdit livre en aucun lieu de notre désobéissance durant ledit temps, sous quelque prétexte que ce soit, sans le consentement de l'exposant, à peine de confiscation de ces exemplaires, de quinze cent livres d'amende, et de touts dépends, dommages et intérêts. Voulons qu'aux copies des présentes collationnées par l'un de nos âmés et féaux conseillers et secrétaires du Roi, foi soit ajoutée comme à l'original. Commandons au premier notre Huissier ou sergent sur ce requis, de faire pour l'exécution des présentes tous exploits nécessaires, sans demander autre permission ; Car tel est notre bon plaisir ; nonobstant oppositions ou appellations quelconques, Clameur de Haro, Charte Normande, et autres lettres à ce contraires. Donné à Paris le quinzième jour de décembre, l'an de grâce mille six cent soixante et un, et de Notre règne le dix-neuvième. signé, par le Roi en son conseil, MOUsTIER, et scellé du grand sceau de cire jaune.

Registré sur le livre de la Communauté le 10 mars 1662, suivant l'arrêt de la Cour de Parlement du 8 avril 1653. signé DEBRAY, syndic.

Ledit sieur BARY a cédé et transporté son droit de privilège à Charles de Sercy Marchand Libraire à Paris, pour en jouir suivant l'accord fait entre eux.

Achevé d'imprimer pour la première foi le 24 jour de mars 1662. Les exemplaires ont été fournis


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