HOMMAGE À RACINE

Vers dits par Madame Provost-Ponsin

AU THÉÂTRE FRANÇAIS

Représentation du 21 décembre 1871

232ème ANNIVERSAIRE DE LA NAISSANCE DE RACINE

1872.

Par XAVIER AUBRYET.

PARIS, LIBRAIRIE DU MONITEUR UNIVERSEL, 13 Quai Voltaire, 13.

POISSY. ? TYP. S. LEJAY ET CIE.


Texte établi par Paul FIÈVRE, avril 2021

Publié par Paul FIEVRE, mais 2021

© Théâtre classique - Version du texte du 30/11/2022 à 22:59:59.


PERSONNAGES.

RÉCITANT. Madame Provost-Ponsin.


HOMMAGE À RACINE

RÉCITANT.

Quand les Fatalités, ces lâches adversaires,

Imposent à nos coeurs en deuil

Tant de tristes anniversaires,

Une date du moins relève notre orgueil !

5   Nous venons célébrer l'adorable journée

Où l'âme de Racine au monde fut donnée.

Racine ! Nom si grand et cependant si doux,

Capable de fléchir autrefois les Furies,

Lumineuse antithèse aux sombres barbaries,

10   Nom divin qu'on pourrait prononcer à genoux,

Nom vainqueur et qui parle aux vaincus de conquêtes,

Ainsi qu'au milieu des cyprès

Les roses nous parlent de fêtes,

Quand la joie est trop loin et la douleur trop près.

15   France, par surprise abattue,

Comme on mutile une statue,

On a mutilé ton beau corps ;

Mais sur un piédestal fait de tes jeunes morts,

Des deux bras amputée, encor toute sanglante,

20   Regardant sans frémir ton autre Waterloo,

Tu te redresses imposante,

Seconde Vénus de Milo !

On a pu ravir la contrée

Qui demeure ta chair, qui demeure ton sang !

25   Même quand on défend une terre sacrée,

Le nombre rend l'héroïsme impuissant.

Mais l'esprit garde au moins intact son territoire.

Ô poète altier et charmant !

Aucun complaisant de l'Histoire

30   N'osera dire que ta gloire

Fit partie autrefois du domaine allemand.

Elles sont bien à nous tes oeuvres,

Elles ne craignent point de sinistres retours ;

Comme elles défiaient le venin des couleuvres,

35   Elles pourraient braver l'audace des vautours.

Phèdre, Andromaque, Iphigénie,

Avec leurs sublimes beautés,

Restent à nous, et ton génie

Échappe aux griffes des traités.

40   C'est au son de tes vers que nos frères d'Alsace,

Celtes germanisés, redevinrent Français ;

S'ils n'avaient été fiers de retrouver leur race,

Ta grâce de leur coeur eût su gagner l'accès.

Moderne Orphée au pouvoir plein de charmes,

45   Ta lyre eût accompli l'ouvrage de nos armes.

C'est au son de tes vers si tendrement humains,

Qu'un jour en recouvrant leur mère légitime,

Leurs descendants diront d'une voix magnanime :

« Et nos derniers regards ont vu fuir les Germains ! »

50   De nous-mêmes, Racine, un instant tu nous venges,

Tu planes au-dessus de nos abaissements ;

Comme l'immense azur nous console des fanges,

Notre nuit se dissipe à tes rayonnements.

Lorsque tant de poignards déchirent la Patrie,

55   Quand la Réalité montre son poing brutal,

Tu sais faire passer, sur toute âme meurtrie,

La caresse de l'Idéal !

En toi l'on puise un baume aux mortelles blessures,

Aux esprits comme aux coeu[r]s tu rends la suavité,

60   Et rien que ton aspect repose des souillures,

Vase de pureté !

Toi seul aurais donné des lettres de noblesse

À ton pays, premier de nos patriciens ;

L'hermine est ton blason, une tache te blesse,

65   Chaque ange au Paradis te prend pour l'un des siens.

Pourtant on a voulu flétrir ton caractère ;

Ce n'était pas assez des Pradons méprisants :

Maint censeur qui se croit austère,

Racine, t'a rangé parmi les courtisans,

70   Toi qui, définissant la colère céleste,

Appelais les flatteurs : présent le plus funeste !

Pourtant c'est grâce à toi que, dès le premier jour,

Un monarque avide d'hommages

Cessa de se donner en spectacle à la cour.

75   Ton vers, plein d'enseignements sages,

Apprit au Roi-Soleil la pudeur des nuages.

Ta disgrâce plus tard ajoute à tes vertus ;

Des misères d'autrui quand ta bonté s'attriste,

C'est pour avoir blessé dans le roi l'égoïste

80   Qu'un ingrat couronné ne te rechercha plus.

Et tu les prodiguas ces nobles maladresses !

Le vrai sens de ta fin doit être rétabli ;

C'est que tu fus frappé dans toutes tes tendresses :

Vivant d'un souvenir, tu mourus d'un oubli.

85   Plus on cherche en toi l'homme et plus le juste admire ;

Railleur étincelant, maître de la satire,

Tu fis taire l'esprit pour laisser tout au coeur.

Tu pouvais décocher mille flèches mortelles,

Et contenant toujours en toi le trait moqueur,

90   On n'entendit jamais que le bruit de tes ailes.

Pour toi le beau ne fut que la splendeur du bien.

Le poète abdiquant en faveur du chrétien,

Voix d'or, pendant dix ans tu gardas le silence,

Et lorsque tu rompis ta longue pénitence,

95   Fuyant des vanités mondaines le poison,

Tu fis prendre le voile, en leur rendant la vie,

Aux filles de ton génie,

Ainsi que l'avaient pris, dans leur jeune saison,

Les filles de ta chaste et sévère maison :

100   Car deux fois ton orgueil de père s'humilie ;

Détachant tout de toi, ramenant tout à Dieu,

Tu sanctifias le profane.

De chacun de tes vers tant de ferveur émane

Que le théâtre alors devient presque un saint lieu.

105   Dans l'oubli des devoirs nos âmes engourdies

Ont sans doute du Ciel mérité le courroux.

Vous, Athalie, Esther, pieuses tragédie,

Ornement du séjour divin, priez pour nous,

Suppliez le malheur de notre infidèle.

110   Le Seigneur comme toi, Racine, est tout amour ;

Qu'il nous laisse l'espoir de répéter un jour :

Jérusalem renaît plus brillante et plus belle !

Renaître ! Je me trompe et blasphème à mon tout ;

Racine, ainsi que toi, le France est immortelle !

 



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