IL N'Y A PLUS D'ENFANTS

COMÉDIE

Représentée à Choisy-le-Roi devant SA MAJESTÉ, pour les Enfants de l'Ambigu Comique, le Mercredi 8 avril 1772.

M. DC. LXXII. Par expresse Commandement de sa Majesté.

DE L'IMPRIMERIE de PIERRE-ROBERT-CHRISTOPHE BALLARD, seul imprimeur, pour la Musique de la chambre et Menus-Plaisirs du Roi, et seul imprimeur de la Grande Chapelle de Sa Majesté.

Représentée à Choisy-le-Roi devant SA MAJESTÉ, pour les Enfants de l'Ambigu Comique, le Mercredi 8 avril 1772.


Texte établi par Paul FIEVRE, mai 2023

© Théâtre classique - Version du texte du 30/04/2024 à 20:07:00.


PERSONNAGES.

MADAME SIMONE, La Demoiselle Cléophile.

MONSIEUR CRISTOPHE, Le Sieur Talon, le cadet.

LOLOTTE, Fille de Madame Simone, La Deoiselle Rousseau.

TONTON, La Demoiselle Henriette Paulin. La Demoiselle Durand.

SUZETTE, amie de Lolotte et de Tonton. La Demoiselle Tonton.

CÉSARINE, amie de Lolotte et de Tonton. La Demoiselle Rivière.

CRISPIN, Fils de Madame Simone, Le Sieur Bordier.

FRANÇOIS, Amant de Lolotte, et Camarade de Crispin , Le Sieur Talon, l'aîné.

ARLEQUIN, Neveu de M. Cristophe, et Camarade de François et de Crispin, Le Sieur Moreau.

TROUPE D'ENFANTS.

La Scène est dans l'appartement de Madame Simone.


IL N'Y A PLUS D'ENFANTS

SCÈNE PREMIÈRE.
Crispin, Arlequin, Lolotte, Tonton, Suzette, Troupe d'enfants.

À la levée du rideau, on voit les jeunes acteurs de la Pièce jouer à Colin-Maillard ; mais en s'agitant beaucoup, et en se livrant à une gaité folle, ainsi que sont ordinairement des enfants abandonnés à eux-mêmes.

CRISPIN, les yeux bandés.

Bon je tiens quelqu'un.

ARLEQUIN.

Qui est-ce ? Devinez.

CRISPIN, touchant celle qu'il tient.

C'est... c'est ma soeur Lolotte.

LOLOTTE.

Non, car c'est mon amie Suzette.

Ils se mettent tous à rire.

CRISPIN.

Quoi, je ne vous attraperai pas !

ARLEQUIN.

Casse-cou.

TONTON.

Il faut le mener aux Quinze-Vingts.   [ 1 Quinze vingt : ou l'hôpital des Quinze-Vingts (avec deux majuscules), hôpital fondé à Paris par saint Louis pour trois cents aveugles.]

Elle rit.

Ah ! Ah ! Ah !

CRISPIN, attrapant Tonton.

Oh ! Pour le coup, je vous tiens.

SUZETTE.

Ah, vous trichez, Monsieur ; vous voyez.

TONTON.

Nous sommes perdus ! J'entends venir Maman.

CRISPIN, ôtant son bandeau.

Eh ! Vite , que je me mette à écrire.

LOLOTTE.

Faisons semblant de travailler à ma broderie.

TONTON.

Qu'ai-je donc fait de mon fil, de mon aiguille ?

CRISPIN.

Je n'ai pas encore achevé ma page.

LOLOTTE, à ses deux amies.

Mettez-vous à coudre auprès de moi, comme si de rien n'était.

CRISPIN, à ses deux Camarades.

Asseyez-vous-là, vous autres : vous direz que vous ne faites que d'arriver.

ARLEQUIN.

Je vais lire dans ton Rudiment, Musa, Musus, Domine, Dominorus.

TONTON, en riant.

Là, là, remettez-vous, ma chère soeur, et vous aussi, mon pauvre frère ; je n'ai point entendu venir Maman.

LOLOTTE.

Pourquoi nous faire une telle peur ?

TONTON.

Vraiment, sans cette petite ruse, j'aurais été le Colin-Maillard.

CRISPIN.

Voyez un peu cette petite sotte. Elle est cause que j'ai fait le pâté le plus énorme... Voilà ma page toute gâtée.

ARLEQUIN.

Bon, bon ; tu diras que c'est dans la chaleur de la composition.

LOLOTTE.

Oh ! Pour le coup, voici Maman.

Ils se mettent tous à travailler.

SCÈNE II.
Les acteurs Précédents ; Madame Simone.

MADAME SIMONE, en entrant.

J'ai oublié l'échantillon de cette robe... Mais que vois je ! Le cercle est nombreux. Vous viendrez donc toujours les détourner ?

ARLEQUIN.

C'est aujou[r]d'hui vacance, Madame Simone.

CRISPIN.

Oui, ma chère Maman, et ils font venus...

MADAME SIMONE.

Je le vois bien qu'ils font venus. Mais, encore une fois, qu'ils se tiennent chez eux. Et vous, Mesdemoiselles, que faites vous ici ?

SUZETTE.

Madame , nous travaillons avec mes bonnes amies.

LOLOTTE.

Nous nous donnons des tâches ; j'ai bientôt fait la mienne.

CRISPIN.

Je vous promets, Maman, que nous ne faisons pas de bruit.

MADAME SIMONE.

À la bonne-heure. Je consens que vous restiez ensemble le reste de l'après-dîner, si vous êtes sages.

TONTON, embrassant sa mère,

La bonne petite Maman !

MADAME SIMONE.

Tenez-vous tranquilles. Arlequin, comment se porte votre oncle, Monsieur Cristophe ?

ARLEQUIN.

À merveille, Madame ; il a aussi bon appétit que moi.

MADAME SIMONE.

C'est un honnête homme, je l'estime. Je vais chez mon Marchand d 'étoffes. Au moins, mes enfants, que je ne reçoive pas de plaintes de vous : la Bonne me rendra compte de vos actions.

Elle sort après avoir pris quelque chose dans un sac à ouvrage.

SCÈNE III.
Lolotte, Tonton, Suzette, Césarine, Crispin, François, Arlequin, etc.

CRISPIN, cessant d'écrire.

La voilà partie ; réjouissons-nous.

LOLOTTE, quittant son ouvrage.

Elle ne sera pas sitôt de retour ; allons nous divertir dans le jardin.

TOUS ENSEMBLE.

C'est bien dit.

CRISPIN.

Oui, oui, nous pourrons mieux courir.

FRANÇOIS.

L'aimable Lolotte a toujours raison.

TONTON.

Ah, comme je vais sauter !

CRISPIN.

Allons, qui m'aime me suive.

SUZETTE.

Oh ! J'arriverai la première.

LOLOTTE.

Non, non, ce fera moi.

Ils sortent en courant et en chantant.

SCÈNE IV.
François, Arlequin.

ARLEQUIN.

Que fais-tu donc là ? Est-ce que tu veux rester ici ?

FRANÇOIS.

Je ne suis pas en train de me divertir aujourd'hui. Laisse-moi. Va t'amuser avec les autres.

ARLEQUIN.

J'entends ; ton Régent n'est guère content de toi : cela t'inquiète ?

FRANÇOIS.

Je me moque bien de lui.

ARLEQUIN.

Tu as peut-être eu des pinçons qui font encore à faire ?

FRANÇOIS.

Serait-ce là un sujet de chagrin pour moi !

ARLEQUIN, s'approchant de son oreille.

Ah ! J'y fuis. Tu crains d'avoir demain le fouet au Collège ?

FRANÇOIS.

Plût au ciel que ce ne fût que cela !

ARLEQUIN.

Je suis ton serviteur. Le fouet n'est point une bagatelle ; il en cuit quelquefois.

FRANÇOIS.

Tiens, mon cher Arlequin, je te préfère à tous mes camarades ; et je vais t'avouer un grand secret.

ARLEQUIN.

Voyons, voyons ce que c'est.

FRANÇOIS.

Apprends... que je fuis amoureux.

ARLEQUIN.

Amoureux ! De quelque friandise, sans doute, ou bien de quelques fruits que tu ne peux attraper. Oh, si je puis t'aider... À condition que j'en aurai la moitié.

FRANÇOIS.

Que tu es loin de pénétrer ce qui se passe dans mon coeur ! J'aime, oui, j'aime avec transport la plus jolie fille qu'il soit possible de voir.

ARLEQUIN.

Mais tu es fou. Est-ce à notre âge qu'on doit s'aviser d'être amoureux ? Tu ne dois songer qu'à fouetter ton sabot, qu'à jouer au volant, ou bien à la poussette.   [ 3 Poussette : Jeu d'enfants qui consiste à mettre deux épingles en croix, en poussant l'une contre l'autre, celle qui se trouve dessus gagnant le coup. [L]]

FRANÇOIS.

Je n'ai de plaisir qu'à m'occuper de ma jolie maîtresse.

ARLEQUIN.

Eh, quelle est donc cette beauté si charmante ?

FRANÇOIS.

Peux tu le demander, puisque tu connais Lolotte ? Quand je la vois , le coeur me bat... Oh, il me bat d'une force étonnante ; je veux toujours être avec elle , et quand j'y suis, au lieu d'être joyeux, j'éprouve un embarras qui me cause de la peine... et du plaisir : son idée me suit partout.

ARLEQUIN.

Malpeste ! Quel transport ! Mais tu es bien jeune pour être amoureux.

FRANÇOIS.

Oh, je grandirai, je grandirai ; et dans quelques années je pourrai demander Lolotte en mariage.

ARLEQUIN.

Oui, avec le temps , les petits deviennent grands... Tu sais la chanson ?

FRANÇOIS.

Laisse-là ta chanson. Je n'ai, point encore eu la force de découvrir mon amour ; je ne fais même comment m'y prendre : c'est ce qui me rend triste et rêveur.

ARLEQUIN.

Que ne demandes-tu conseil à ton Régent ? Ces Messieurs-là font souvent plus habiles à courtiser les belles, qu'à enseigner les règles du Despautère et de la Syntaxe.   [ 4 Jean Despautère (1460-1520) : Auteur d'une grammaire latine.]

FRANÇOIS.

Peux-tu plaisanter, quand je suis tout-à-fait malheureux !

ARLEQUIN.

Ma foi, tu me fais pitié. Je me charge de te servir auprès de l'objet de ta tendresse, et de l'instruire de tes sentiments.

FRANÇOIS.

Ah, mon cher Arlequin, sois sûr de ma reconnaissance ; j'acquitterai tes devoirs, je ferai tes thèmes, tes versions ; tu n'auras qu'à te reposer.

ARLEQUIN.

C'est à merveille. Mais j'ai ouï dire que pour réussir en amour, on devait commencer par faire des présents. Il faut que je donne quelque chose de ta part à Mademoiselle Lolotte : aurais-tu de l'argent ? Car pour moi, je n'ai pas le fou, grâce aux brioches , et surtout aux petits-pâtés.

FRANÇOIS.

J'ai apporté dans ma poche une belle petite poupée, dont tu lui feras présent de ma part. Tiens, la voilà.

ARLEQUIN.

Comment diable ! Cela doit lui toucher le coeur.

FRANÇOIS.

J'entends quelqu'un : c'est justement Lolotte ; tache de faire quelque chose en ma faveur : je te laisse avec elle.

Il sort.

ARLEQUIN.

Allez allez, laissez moi faire... Le pauvre petit Amour, il est encore à la bavette.

SCÈNE V.
Lolotte, Arlequin, caché.

LOLOTTE.

Il faut donc venir vous chercher... Ils n'y sont pas.

ARLEQUIN, se montrant.

Oh que si, oh que si ; me voilà.

LOLOTTE.

Est-ce que vous ne venez pas avec nous au jardin ?... Où est donc François ?

ARLEQUIN.

Il est de ce côté-là.

LOLOTTE, voulant sortir.

Je vais le chercher.

ARLEQUIN, retenant Lolotte par le bras.

Arrêtez, Mademoiselle Lolotte ; j'ai quelque chose à vous dire.

LOLOTTE.

De quoi s'agit-il ? Dépêchez-vous, que j'aille rejoindre mes bonnes amies.

ARLEQUIN.

Un moment de patience.

LOLOTTE.

Qu'avez vous-là sous votre bras ?

ARLEQUIN.

Vous allez le savoir. Apprenez que vous voyez en moi un Ambassadeur ; ainsi, du respect.

Il marche fièrement.

LOLOTTE.

Qu'est-ce que tout cela signifie ?

ARLEQUIN.

Avant de m'expliquer d'avantage, je vais vous faire un présent magnifique.

LOLOTTE.

Ah, ah, voyons donc.

ARLEQUIN.

Vous ferez enchantée de posséder un pareil joujou.

Il lui présente une poupée.

LOLOTTE, dédaigneusement.

Quoi ? Une Poupée ?

ARLEQUIN.

Examinez sa grâce ; et ce qu'il y a de singulier, c'est que [...], quoiqu'elle ressemble aux femmes, il lui manque la parole.

LOLOTTE.

C'est bien à moi, vraiment, qu'il faut donner une poupée ! Fi donc.

ARLEQUIN.

Mais il me semble que rien n'est plus convenable.

LOLOTTE.

Il me prend pour un enfant : ah, l'imbécile !

ARLEQUIN.

Mais quel âge avez-vous donc, Mademoiselle Lolotte, pour faire ainsi la grande fille ?

LOLOTTE.

Oh, l'on ne doit plus me traiter comme un enfant ; j'ai bientôt dix ans et demi.

ARLEQUIN.

Comment diable ! Vous pourriez être une vieille, grand'mère.

LOLOTTE.

Allez , Monsieur Arlequin ; gardez votre poupée : vous avez autant d'esprit qu'elle.

Elle sort.

ARLEQUIN.

J'ai, vraiment, bien réussi.

SCÈNE VI.
FRANÇOIS, ARLEQUIN.

FRANÇOIS, accourant.

Eh bien, mon cher Arlequin, conte moi vite ce que tu as fait, ce quelle à dit. Je suis d'une impatience....

ARLEQUIN.

Oui, oui , j'ai fait des merveilles. Tiens voilà ta poupée ; je te conseille d'en faire présent à ta Maîtresse : tu n'auras sûrement qu'à te louer de sa douceur.

FRANÇOIS.

Quoi ! La cruelle Lolotte a refusé mon présent ?

ARLEQUIN.

Le mal peut, encore se réparer. Puisqu'elle n'aime plus à s'amuser avec des poupées, vous verrez qu'elle sera flattée d'avoir un amant.

FRANÇOIS.

Mais elle a dédaigné ce qui venait de moi.

ARLEQUIN.

Elle trouvera qu'un joli garçon vaut beaucoup mieux qu'une poupée. Il faut que tu lui déclares ton amour.

FRANÇOIS.

Je n'en aurai jamais la force, encore si elle était prévenue...

ARLEQUIN.

Eh bien, je me charge de porter les premières paroles ; mais tu me promets d'avoir après plus, de hardiesse.

FRANÇOIS.

Oh ! Oui ; j'aurai moins d'embarras dès que le secret de mon coeur lui fera connu.

ARLEQUIN refléchissant.

Attends... Il me vient une idée excellente... Oui... Sans doute... L'habit de cadet Cliquetin, que ton père destine à lui succéder, est à-peu-près de ma taille... Je l'engagerai... Oh ! Je suis sûr du succès.

FRANÇOIS.

Instruis-moi de ton dessein.

ARLEQUIN.

Viens, suis-moi, et tu avoueras que, pour me récompenser, tu ne saurais me payer trop de bonbons.

Ils sortent.

SCÈNE VII.

LOLOTTE, entrant par le côté opposé.

Je ne trouve point François, je ne sais ce qu'il est devenu.

SCÈNE VIII.
Lolotte, Tonton.

TONTON, arrive en riant.

Ah, ah, ah. Qu'elle a été surprise !

LOLOTTE.

Qui vous fait donc tant rire, ma soeur ?

TONTON.

Vous en rirez, aussi. Ah, ah, ah. Mais attendez que j'aie repris mon sérieux.

LOLOTTE.

La petite folle aura fait sans doute quelque nouvelle espièglerie.

TONTON.

Vous allez tout savoir, ma soeur... Oh ! Rien n'est plus comique !

LOLOTTE.

Voyons, je vous écoute.

TONTON.

Voici l'histoire. Ayant envie de goûter, je suis sortie du jardin pour aller chercher la Bonne. Comme j'approchais de la cuisine, il m'a semblé entendre parler quelqu'un ; je me suis arrêtée pour écouter ; j'ai remarqué qu'on parlait bas ; la curiosité m'a pris, et j'ai vu par un petit trou, que la Bonne était avec le Domestique de mon oncle, et qu'il s'est mis tout d'un coup à l'embrasser. Aussitôt j'ai poussé la porte, et je suis entrée en éclatant de rire. Oh, que ma subite apparition les a déconcertés ! Ils ont resté tous les deux immobiles comme des statues. Enfin, le pauvre Champagne s'est retiré sans ouvrir la bouche ; notre Bonne, qui était rouge comme du feu, m'a grondée sans trop savoir ce qu'elle disait ; et je suis accourue pour vous faire part de l'aventure.

Elle rit.

Ah, ah, ah.

LOLOTTE.

Mais, Tonton, tu n'es qu'une folle ; je ne vois rien là qui soit digne d'attention.

TONTON.

Je suis donc plus fine que vous, moi, ma chère soeur. Je comprends qu'il y avait du mystère. Un tête-à-tête ?

LOLOTTE.

C'est une chose toute simple.

TONTON.

Oh ! Que nenni ; c'est comme l'histoire que j'ai entendue raconter.

LOLOTTE.

Qu'est-ce que c'est donc que cette histoire ?

TONTON.

Suffit. Je vous la dirai une autre fois. J'en reviens à la Bonne. Pourquoi a-t-elle été si troublée en me voyant ?

LOLOTTE.

Parce que vous lui avez fait peur.

TONTON.

Mais je fais une réflexion. La Bonne paraissait bien contente des caresses de Champagne ; il y a donc du plaisir à se laisser embrasser par les garçons.

LOLOTTE.

Vous êtes une petite sotte, et vos questions n'ont pas le sens commun.

TONTON.

Oh ! Je me doute bien de ce qu'il en est ; et puis, je sais le moyen de me rendre plus savante.

LOLOTTE.

Eh ! Quel est-il, ce moyen ?

TONTON.

J'embrasserai d'autres hommes ! Que mon vieil oncle... Mais je vais courir dans le jardin...

Elle chante en sortant ; Voilà, voilà la petite Laitière.

LOLOTTE.

Comme elle est rusée pour son âge !

SCÈNE IX.
Madame Simone, Lolotte.

MADAME SIMONE.

Où est votre soeur ? Où est votre frère ?

LOLOTTE.

Ils sont tous dans le jardin, Maman.

MADAME SIMONE.

Et que faites-vous ici toute seule ?

LOLOTTE.

J'allais les retrouver, quand vous êtes entrée.

MADAME SIMONE.

Au lieu d'être la plus raisonnable, comme l'aînée, vous êtes la première à donner l'exemple aux autres. Fi, c'est honteux.

LOLOTTE.

Ma petite maman, vous me grondez toujours.

MADAME SIMONE.

C'est que vous le méritez, Mademoiselle, Voyez comme elle se tient ! Baissez la vue ; n'ayez pas l'air d'une folle.

LOLOTTE.

Je ne dois donc regarder personne ?

MADAME SIMONE.

Une honnête fille doit rarement lever les yeux.

LOLOTTE.

Mais quand on les a beaux, il faut bien les faire voir.

MADAME SIMONE.

Taisez-vous, petite sotte, la coquetterie est de trop à votre âge. Tiens, ma chère, un temps viendra que les hommes te diront que tu es aimable, que tu es jolie ; mais c'est autant de mensonges.

LOLOTTE.

Il me semble pourtant que j'aurais bien du plaisir à les croire.

MADAME SIMONE.

Tu aurais grand tort. Entre nous soit dit, ma fille, ce ne font que des traîtres, des perfides ; il faut t'en défier, et les fuir avec soin.

LOLOTTE.

Mais, ma bonne Maman, vous ne les fuyez pas, vous, les hommes.

MADAME SIMONE, embarrassée.

Oh ! Moi, ... j'ai de l'expérience... Je sais me garantir du danger.

LOLOTTE.

Eh bien, quand j'aurai de l'expérience, je saurai me tenir aussi sur mes gardes.

MADAME SIMONE.

Mais je ne veux pas directement que vous soyez trop instruite. Voyez un peu cette raisonneuse.

SCÈNE X.
Les précédents, Monsieur Cristophe.

MONSIEUR CRISTOPHE.

Bonjour, Madame Simone.

MADAME SIMONE.

Votre servante, Monsieur Cristophe.

MONSIEUR CRISTOPHE.

Eh bien, vos enfants vous sont-ils toujours enrager ?

MADAME SIMONE.

Hélas ! Plus que jamais. Cette petite fille-là surtout me fera tourner la tête. Ça vous raisonne, ça veut en savoir autant que sa mère. Allez, Mademoiselle, allez reprendre votre ouvrage : que je vous voie lever les yeux !

LOLOTTE, à part, en se remettant à son ouvrage.

Ah ! Que le[s] mères font grondeuses !

MONSIEUR CRISTOPHE.

Vraiment ! Je fais ce qu'il en coûte d'avoir des enfants. Je n'ai qu'un neveu, grâce au Ciel ? Mais c'est le plus grand pendard ! Il ne songe qu'à jouer, qu'à courir ; j'ai beau le morigéner ; il est indocile à la correction.

MADAME SIMONE.

Votre petit Arlequin est pourtant charmant.

MONSIEUR CRISTOPHE.

Le petit drôle n'est que trop éveillé.

MADAME SIMONE.

Chacun a ses peines, Monsieur Cristophe.

MONSIEUR CRISTOPHE.

C'est bien vrai, Madame Simone.

MADAME SIMONE.

Vous n'êtes pas si à plaindre que moi ; vous ne restez pas veuf avec trois enfants ; et d'ailleurs, vous êtes un richard.

MONSIEUR CRISTOPHE.

Que de soins ! Que de travaux m'a coûté le peu que je possède.

MADAME SIMONE.

Vous vous plaignez toujours, et vous vous faites trop peu d'honneur de votre bien.

MONSIEUR CRISTOPHE.

Que voulez-vous dire ? Ne me sais-je pas considérer ? J'ai eu l'honneur d'être syndic et marguillier ; et je suis l'un des anciens des Six-Corps.   [ 5 Six-corps : Six corps de marchands ; corps de métiers et marchands de Paris.]

MADAME SIMONE.

Il est vrai que tout le monde vous estime. Mais trop d'économie...

MONSIEUR CRISTOPHE.

Laissons cela. Il fait aujourd'hui le plus beau temps du monde ; allons faire un tour de promenade. J'ai quelque chose dans la tête que je vous communiquerai peut-être ; et nous pourrons parler plus à notre aise qu'ici.

MADAME SIMONE.

Oui, vous avez raison.

À part en sortant.

L'honnête homme que ce Monsieur Cristophe !

MONSIEUR CRISTOPHE, à part en sortant.

La brave femme que cette Madame Simone !

SCÈNE XI.

LOLOTTE, seule, en regardant sortir sa mère.

Elle me défendra encore d'aller avec les hommes... Elle y va bien, elle... Oh ! C'est bon, c'est bon... Mais...

SCÈNE XII.
Lolotte, Arlequin, en Facteur de la Petite-Poste, plusieurs Lettres à la main.

ARLEQUIN.

Seriez-vous par hasard Mademoiselle Lolotte?

LOLOTTE.

Oui ; pourquoi ?

ARLEQUIN.

C'est que j'ai une Lettre que je ne dois remettre qu'à vous-même.

LOLOTTE.

Eh, de qui est-elle ?

ARLEQUIN.

Elle est... Elle est d'un amant, puisqu'il faut vous le dire.

LOLOTTE.

D'un Amant ! Dépêchez-vous de me la donner ; je tremble qu'on ne vienne nous surprendre.

ARLEQUIN, à part.

La petite friponne !

Haut.

Ma foi, vive la Petite-poste de Paris ! Nous sommes les Messagers, les Postillons de L'Amour ; aussi sommes-nous plus chargés de lettres galantes que de toutes autres dépêches. Sans nous, que de tendres, commerces languiraient ; que de Rendez-vous feraient manqués ; et combien de pauvres maris l'échapperaient belle !

LOLOTTE.

Mais, Monsieur de la Petite-Poste, trêve de discours, et remettez-moi ma Lettre.

ARLEQUIN.

Attendez que je la cherche. Toutes mes lettres sont écrites par des personnes de ma connaissance et de mon quartier. Je vois à l'écriture de celle-ci de quoi il s'agit. Elle est d'une beauté.... de quinze à soixante ans ; je me doute qu'elle se plaint tendrement à son vainqueur qu'il l'abandonne après l'avoir ruinée... Celle-là est d'une Agnès qui se plaint, sans doute, à son amant quelle a de grands maux de coeur, quoiqu'elle engraissé tous les jours... Malpeste ! En voici une de certain gros Bénéficier, adressée à Monsieur Détergeant, Maître Apothicaire : je gage qu'il lui demande un remède contre les indigestions... Ce petit poulet, qui sent l'ambre, est d'un Abbé qui montre en ville modes, et le secret de la toilette... Les Bons voilà votre affaire.

LOLOTTE.

J'ai crû qu'il ne finirait jamais.

Elle lit.

« Mademoiselle, l'habitude de vous voir dès ma plus tendre enfance, m'a fait connaître tout votre mérite, et m'a fait éprouver le pouvoir a de vos charmes. Je sens que je vous aime, et que je vous adore, et que ce sera pour toute ma vie. Excuserez-vous la hardiesse de votre fidèle Amant ? François Dumont ».

Après avoir lu.

Que viens-je d'apprendre ! Quel bonheur ! François m'aime : ah ! Que mon coeur va se plaire à le payer de retour !

ARLEQUIN.

Je vois que mon message vous a fait plaisir ; eh ! Bien, reconnaissez Arlequin, sous l'habit d'un facteur de la Petite-Poste.

LOLOTTE.

Ah ! Monsieur Arlequin, quelle tromperie !

ARLEQUIN.

C'est à François d'achever le reste. Tenez, il vient fort à propos.

SCÈNE XIII.
Les Acteurs précédents, François.

LOLOTTE, à part.

Je suis toute interdite.

FRANÇOIS, à part.

Je n'ose m'approcher.

ARLEQUIN, bas à François.

Allons donc ; je l'ai rendu douce comme un agneau.

FRANÇOIS, s'approchant timidement.

Votre serviteur, Mademoiselle Lolotte.

LOLOTTE.

Votre servante, Monsieur François.

FRANÇOIS, bas à Arlequin.

Je tremble ; je ne fais que lui dire.

ARLEQUIN, bas à François.

Du courage. Allons, ferme.

FRANÇOIS.

Vous vous portez bien aujourd'hui, Mademoiselle Lolotte ?

ARLEQUIN, à part.

La peste du nigaud !

LOLOTTE.

Je suis de la meilleure humeur du monde !

ARLEQUIN, bas à François.

Tu vois qu'elle te donne beau jeu.

FRANÇOIS.

Vous avez reçu une lettre .... que j'ai pris la liberté de vous écrire ?

LOLOTTE.

Oui ; et je l'ai trouvé charmante.

FRANÇOIS.

C'est ... qu'il est bien vrai que je vous aime.

ARLEQUIN, à part.

Le voilà pourtant qui se dégourdit.

SCÈNE XIV.
Les Acteurs précédents, Tonton.

TONTON, au fond du Théâtre.

Que font-ils donc là ? Motus ; épions-les.

LOLOTTE.

Maman et ma bonne m'ont dit que les hommes n'étaient que des trompeurs : vous leur ressemblerez peut-être ?

FRANÇOIS.

Oh ! Non, ma chère Lolotte. Je ne puis douter que je ne ressente pour vous un véritable amour ; j'ai entendu mon grand frère protester à la fille de notre voisin qu'il n'adorait qu'elle : eh bien, tous les sentiments qu'il exprimait, vous me les faites éprouver.

TONTON, au fond du Théâtre.

Oui-dà !

LOLOTTE.

J'aurais peut-être tort de vous croire.

TONTON, au fond du Théâtre.

Ma chère soeur s'attendrit.

FRANÇOIS.

La passion de mon grand frère m'a éclairé sur la mienne ; elle m'a découvert que mon coeur s'ouvre déjà au doux feu de l'amour, et que c'est pour Lolotte qu'il brûlera sans cesse.

ARLEQUIN, à part.

Il a pris ces belles phrases là dans quelque livre.

TONTON, au fond du Théâtre.

Ah ! Comme il en dégoise !

LOLOTTE.

Eh bien, François, puisque vous êtes sincère, je veux l'être aussi. Je suis enchantée de votre amour ; car enfin, l'on doit être plus charmé d'inspirer l'amitié que la haine ; et je ne vois point de mal à çà.

TONTON, se mettant entre François et sa soeur.

À merveille, ma soeur ; j'ai tout entendu.

LOLOTTE, à part.

Ô ciel ! Elle va nous trahir.

TONTON.

Ah ! Ah ! Vous aimez les garçons ! Que j'aurai de plaisir à le publier ?

LOLOTTE.

Ma chère Tonton, vous allez me perdre.

TONTON.

Bon ! Il n'y a pas de mal à ça, disiez-vous tout à l heure.

FRANÇOIS, à Tonton.

Voulez-vous chagriner votre soeur ?

TONTON.

Elle fait trop la raisonnable. Je vais tout dire à maman.

ARLEQUIN.

La petite méchante ! Que j'aurais de plaisir à lui voir donner le fouet.

LOLOTTE.

Qu'Arlequin est drôle avec sa mascarade !

Elle rit.

Ah, ah, ah.

LOLOTTE.

Tonton, je t'en prie, ne me fais pas gronder par maman.

TONTON.

Tenez, je suis bonne fille ; que me donnerez vous pour que je me taise ?

LOLOTTE.

Oh ! Tout ce que tu voudras ; mon serein, mon toutou, et jusqu'à mon petit chat.

FRANÇOIS.

Je remplirai vos poches de bonbons.

ARLEQUIN.

Et moi, je vous ferai présent d'un beau carrosse, qui roulera tout seul.

TONTON.

Je ne veux point de tout cela.

FRANÇOIS.

Que vous faut-il donc ?

TONTON.

Oh ! Voyez vous, il me faut un amoureux.

ARLEQUIN.

Vous badinez, sans doute.

TONTON.

Non, je parle très sérieusement. Je fais que toutes les jeunes filles ont grand foin d'en avoir : serais-je la seule qui n'en ait point ? Oui, il me faut un amant qui me débite de jolies choses, qui me fasse rire, et qui finisse par me régaler de bonbons, de croquets et de plaisir des Dames.

ARLEQUIN.

La petite masque !

LOLOTTE.

Il faut la satisfaire. Eh bien, je promet de vous choisir un amoureux, qui sera là, tout-à-fait gentil.

TONTON.

À la bonne-heure. Soyez certaine de ma discrétion. Si vous me manquez de parole, je dirai tout, et je saurai bien me choisir moi-même un amoureux qui soit de mon goût.

ARLEQUIN.

Ne craignez rien ; nous vous en serions plutôt faire un de sucre.

TONTON.

Je ne veux point d'un amoureux qui se mange.

Elle sort.

SCÈNE XV.
Lolotte, François, Arlequin.

ARLEQUIN.

Nous voilà tous d'accord ; il ne manque plus qu'une petite bagatelle : la mère sait elle ton amour ?

FRANÇOIS.

Non vraiment.

ARLEQUIN.

Il faudra pourtant l'en informer : comment t'y prendras-tu ?

FRANÇOIS.

Je ne fais pas trop.

ARLEQUIN.

C'est là le diable !

FRANÇOIS.

La démarche me paraît embarrassante.

ARLEQUIN.

Tu as raison... Attends, j'imagine... Eh bien, tiens, pour t'aguerrir figure-toi que je suis la mère. J'ai entendu si souvent répéter les mêmes choses... Bon ; voilà justement sa pelisse, endossons-la. J'aurai l'air d'être en robe de chambre ; qu'importe ?... Mettons aussi cette baigneuse... C'est l'essentiel.   [ 6 Baigneuse : Ancienne coiffure de femme. [L]]

FRANÇOIS.

Mais, mais quelle folie !

LOLOTTE.

Prêtons-nous à ton badinage ; je le trouve divertissant.

ARLEQUIN.

Là ; la mère sera nonchalamment assise sur sa chaise longue ; vous entrerez doucement tous les deux les yeux baissés ; la contenance timide, et François portera la parole. Allons, Commencez.

FRANÇOIS.

Il me fait rire.

ARLEQUIN.

Songe que c'est du sérieux.

FRANÇOIS.

Eh bien, voyons donc. Madame, j'ai bien, l'honneur de vous saluer.

ARLEQUIN, adoucissant sa voix, et faisant la révérence.

Votre servante, Monsieur François. Eh bien, comment vont les plaisirs ? Êtes-vous toujours un petit coquin ?

FRANÇOIS, d'un air embarrassé.

Madame... en vérité... Pourquoi me faire une telle question ?

ARLEQUIN.

C'est que la jeunesse d'à présent est si libertine ! Ah ! Qu'elle est différente de celle d'autrefois ! Les honnêtes femmes ne le savent que trop, et celles qui ne le sont pas, encore plus.

FRANÇOIS.

Ah, Madame ! J'ai tellement envie d'être sage, que je viens vous prier de m'accorder la main de Mademoiselle Lolotte.

ARLEQUIN.

Bon , bon, ! Vous êtes trop jeune.

FRANÇOIS.

J'aimerai votre fille plus longtemps.

LOLOTTE.

Ah, maman ! Faites mon bonheur.

ARLEQUIN.

Mes enfants, il me paraît que l'amour est diantrement précoce chez vous. Apprenez qu'autrefois l'on savait à peine à quarante ans ce que c'était qu'aimer ; c'était une pitié, une horreur,

FRANÇOIS.

L'on est plus sensible actuellement.

ARLEQUIN.

On allait à l'école avec la barbe au menton.

FRANÇOIS.

De nos jours, l'on s'instruit de bonne heure.

ARLEQUIN.

En un mot, au temps-passé l'on voyait des fils de famille vivre dans l'innocence jusqu'à leur majorité ; et des Agnès de vingt ans.   [ 7 Agnès : Jeune fille très innocente et très timide. Cette fille est une Agnès. La fausse Agnès, comédie de Destouches. [L]]

FRANÇOIS.

Aujourd'hui c'est toute autre chose. Consentez à mon mariage.

ARLEQUIN.

Cela ne va pas si vite que votre tête, jeune-homme. Êtes-vous riche ? Car les talents et le mérite, ne sont rien sans l'argent.

FRANÇOIS.

Ma fortune est honnête ; et d'ailleurs, nous nous aimons.

ARLEQUIN.

Oh ! Je regarde votre amour comme une bagatelle. C'est votre bien, c'est votre bien seul qui peut me tenter. Au sujet de la dot, ma fille aura peu de chose de mon vivant, je vous en avertis. Voyez si la marchandise vous convient.

FRANÇOIS.

Le bonheur d'être votre gendre me suffit.

ARLEQUIN.

La réponse est honnête ; elle m'intéresse en votre faveur.

FRANÇOIS.

Ah, Madame !

ARLEQUIN.

Allons, pour me remercier, baisez-moi la main.

FRANÇOIS.

Mais ceci est de trop, je pense.

ARLEQUIN.

Point du tout. Baise-moi la main, c'est l'essentiel de la cérémonie... D'où vient ce dégoût ? Oh ! Tu me la baiseras...

Il le poursuit.

SCÈNE XVI.
Les précédents, Madame Simone.

MADAME SIMONE.

Je vous surprends, vraiment, dans un bel équipage.

ARLEQUIN, à part.

Où diable me fourrer ?

MADAME SIMONE.

Parlez, Monsieur le drôle, que signifie cette mascarade ?

ARLEQUIN, embarrassé.

C'est que... C'est que... Madame

MADAME SIMONE.

Eh bien, quoi ?

ARLEQUIN.

C'est que nous étions à jouer une Comédie. François faisait l'Amoureux ; Mademoiselle Lolotte, l'Amante ; et moi je représentais la mère.

MADAME SIMONE.

Voulez-vous quitter ces habits ! Voyez un peu, ce petit drôle-là ! Et vous, Mademoiselle, voilà donc comme vous êtes raisonnable ?

LOLOTTE.

Maman... Pardonnez-moi...

MADAME SIMONE.

Je vous apprendrai à mettre tout en désordre quand je n'y suis pas.

SCÈNE XVII.
Les précédents, Tonton, Troupe d'enfants.

Ils arrivent en dansant en rond.

CRISPIN, menant la danse.

Et toujours va qui danse...

MADAME SIMONE.

Bon Dieu ! Quel vacarme ! Attendez, je vais vous faire danser de la bonne manière.

TONTON.

Nous ne vous savions pas là, Maman.

MADAME SIMONE.

Vous allez me le payer.

SCÈNE XVIII et dernière.
Les précédents, Monsieur Cristophe.

MONSIEUR CRISTOPHE.

Vous me paraissez en colère, Madame Simone.

MADAME SIMONE.

Je suis charmée de vous voir, Monsieur Cristophe. Vous m'aviez quittée, disiez-vous, pour une affaire de conséquence.

LOLOTTE, à part.

Comme elle se radoucit !

MONSIEUR CRISTOPHE.

C'est vrai, mais j'ai pensé qu'il ne fallait pas que la journée finit sans m'être clairement expliqué avec vous.

MADAME SIMONE.

Vous n'avez qu'à parler.

Aux enfants.

Retirez-vous, vous autres.

ARLEQUIN, bas, à Lolotte et à François.

Tâchons de les écouter.

Les enfants se retirent au fond du Théâtre.

MONSIEUR CRISTOPHE.

C'est trop balancer. Je vais vous parler tout franchement ; là, tout rondement. La triste chose que le veuvage, Madame Simone !

MADAME SIMONE.

Hélas ! Qui le fait mieux que moi ?

MONSIEUR CRISTOPHE.

Voilà six mois que vous êtes veuve : que le temps doit vous durer !

MADAME SIMONE.

Il me semble qu'il n'y a qu'un jour que mon pauvre mari est mort.

MONSIEUR CRISTOPHE.

Vous n'êtes pas lasse d'un si long veuvage ? Vos yeux me disent que si.

MADAME SIMONE.

Je veux être fidèle à la mémoire du défunt.

MONSIEUR CRISTOPHE.

Ma foi, je vous avouerai que je ne saurais me piquer de tant de confiance. Mon veuvage m'ennuie ; le vôtre doit vous peser : eh bien, si vous vouliez, nous nous en déferions l'un et l'autre.

MADAME SIMONE.

Et comment cela ?

MONSIEUR CRISTOPHE.

En nous mariant ensemble. Moi, je vais tout de suite au fait, comme vous voyez.

MADAME SIMONE.

Je vais me piquer de la même franchise. Une veuve n'est jamais fâchée d'en perdre le nom. J'accepte votre main avec joie.

MONSIEUR CRISTOPHE.

Ma chère Madame Simone, que je vous aime !

LOLOTTE, accourant.

Maman, Maman, je prends part à votre bonheur. Mais rendez-moi heureuse aussi.

MADAME SIMONE, bas à Monsieur Cristophe.

Ils nous écoutaient.

MONSIEUR CRISTOPHE, bas à Madame Simone.

Paix, paix ; ils n'ont peut-être pas tout entendu.

FRANÇOIS.

Permettez-moi, Madame, de prétendre un jour au bonheur d'épouser ma chère Lolotte. Nous nous aimons, et nous ferons tous les deux contents comme de petits Rois.

MADAME SIMONE.

Vous êtes fous, mes chers enfants.

LOLOTTE.

Mais, Maman, devez-vous être fâchée que nous suivions votre exemple ? Vous aimez Monsieur Cristophe ; moi j'aime François : rien de si naturel.

TONTON.

Oui-dà ! Ma soeur veut être bientôt mariée ; mais j'aurai mon tour, j'aurai mon tour.

ARLEQUIN.

Eh bien, je veux me marier aussi.

À Tonton.

Tenez, prenez-moi.

MADAME SIMONE.

Oh ! Il n'y a plus d'enfants, il n'y a plus d'enfants. Venez, mon cher Cristophe ; allons tout préparer pour notre mariage : nous longerons après à celui de notre petite famille.

FRANÇOIS.

Quel bonheur !

ARLEQUIN, aux enfants.

Mes chers amis, vive la joie !

CRISPIN.

Oui, en attendant le jour des noces, sautons, divertissons nous ; et souhaitons qu'on devienne si sage, si raisonnable à notre âge, que ce ne soit qu'à cet égard que le proverbe soit fondé à dire : il n'y a plus d'enfants.

 


Achevé d'imprimer le dernier Mai 1642.


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Notes

[1] Quinze vingt : ou l'hôpital des Quinze-Vingts (avec deux majuscules), hôpital fondé à Paris par saint Louis pour trois cents aveugles.

[2] Sabot : Sorte de toupie de forme conique en bas et cylindrique en haut, que font pirouetter les enfants. [L]

[3] Poussette : Jeu d'enfants qui consiste à mettre deux épingles en croix, en poussant l'une contre l'autre, celle qui se trouve dessus gagnant le coup. [L]

[4] Jean Despautère (1460-1520) : Auteur d'une grammaire latine.

[5] Six-corps : Six corps de marchands ; corps de métiers et marchands de Paris.

[6] Baigneuse : Ancienne coiffure de femme. [L]

[7] Agnès : Jeune fille très innocente et très timide. Cette fille est une Agnès. La fausse Agnès, comédie de Destouches. [L]

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