Pour petite fille
PATRICE BUET
BOULORD éditeur, 78, avenue Saint-Jean NIORT
IMP. GARNIER, SAINT-MAIXENT-L'ÉCOLE
Publié par Paul FIEVRE, janvier 2025
Texte établi par Paul FIEVRE, décembre 2024
© Théâtre classique - Version du texte du 29/12/2024 à 22:23:11.
PERSONNAGE.
ISABELLE
LA MÈRE D'ISABELLE, en coulisse.
Texte extrait de "CINQ MONOLOGUES-SAYNÈTES pour jeunes filles", Patrice BUET, Niort : Boulord, 1938. pp. 18-19
LA CONFITURE ET LE PIANO
La petite interprète, après s'être assurée qu'il n'y a personne sur la scène, entre sur la pointe des pieds, comme quelqu'un qui ne veut pas être surpris, dans la direction du côté opposé... Au milieu de la scène, toutefois, elle se tourne vers le public, se penche vers lui, et, en confidence, lui demande :
Est-ce que vous aimez la confiture, vous ?... Moi, j'adore ça...
Battant des mains et indiquant le côté vers lequel elle se dirigeait.
Il y en a là... J'ai surpris maman hier au moment où elle rangeait ses pots...
Reprenant sa marche.
Chut!... Ne dites rien, hein!... Je vous en rapporterai...
Mais à l'instant précis où elle arrive près de la sortie, une voix en coulisse l'appelle :
« Isabelle!... »
Elle s'arrête. La voix répète :
« Isabelle, où donc es-tu ? »
Isabelle s'immobilise et revient, vers le public.
C'est raté... Voilà maman qui m'appelle... Je parie que c'est pour ma leçon de piano... Vous aimez le piano, vous?... Moi, je l'exècre... Je le renie... Je l'abomine... Et je l'ai ne horreur... Parlez-moi du cor de chasse, alors, oui, ça, c'est beau !... Et puis on n'aura jamais idée de l'apprendre à une petite fille...
Un temps.
Ou encore, du mirliton... Y a qu'à chanter dedans, et ça joue tous les airs qu'on vent...
Mais le piano !
Il n'y a qu'une chose amusante dans le piano : c'est le professeur... Le mien est une vieille dame, qui a au moins dans les vingt-cinq ans !... Elle a les cheveux jaune d'or, les ongles rouges, les yeux bleus et une robe verte... Ça fait un ensemble vraiment chic... Elle serait très gentille si elle n'était pas professeur de piano... J'ai déjà essayé de lui offrir des confitures pour qu'elle me raconte des histoires pendant la leçon... Rien à faire ! Elle veut gagner son argent, qu'elle dit... Je vous demande un peu... Est-ce que j'en gagne moi ?... Du reste, elle le gagnerait la môme chose, et, en plus, elle aurait des confitures... Alors, quoi ? Les grandes personnes sont bien compliquées... Si tout le monde avait douze ans comme moi, ça marcherait joliment mieux !...
L'autre jour, j'avais sauté une croche... La croche, ça accroche, vous savez... « Et la croche, Mademoiselle ? Qu'est-ce que vous en faites, de la croche ? » qu'elle me demande, en bougonnant... Je n'en faisais rien, bien sûr, puisque je ne l'avais môme pas vue. Alors, la voilà qui se met au piano et qui reprend tout le morceau pour me la montrer, cette croche. Sans m'en douter, j'avais trouvé un filon. Quand mon tour est venu, je manque encore la croche... exprès, cette fois... Ça fait qu'elle, elle a remis ça... et quand elle a eu fini, je l'ai supplié de recommencer pour bien me montrer l'endroit. Elle a recommencé comme ça six fois de suite... et l'heure a passé... Eh bien, vous me croirez si vous voulez, mais elle était enchantée ce jour-là... En somme, les professeurs, c'est comme les bavards, il suffit de les laisser parler pour qu'ils se figurent qu'on a de la conversation...
La voix dans la coulisse :
Isabelle !... Il faut que j'y aille... Je vais lui jouer mon morceau à la croche... Maintenant je le connais, vous pensez !
Regard de regret vers les confitures.
Tout de même, c'est dommage pour les confitures...
Deux pas du côté où elles sont, mais la voix :
Isabelle ! Ah, non, décidément, il n'y a pas moyen... Comme on dit à la blanchisseuse : il faudra repasser !...
Elle sort en courant par où elle est venue.
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