LE TRIOMPHE DE LA SCIENCE

diffusé le 29 mai 1930.

1936. Tous droits de reproduction, de traduction et de représentation réservés pour tous pays, y compris la Suède et la Norvège.

de TRISTAN BERNARD

PARIS LIBRAIRE THÉÂTRALE, L. BILAUDOT, Successeurn 3, rue MarivaUx, 2ème arrd, et 14 rue de l'Echiquier (10ème).

SAINT DENIS, IMP. DARDAILLON et DAGNIAUX, 47, Boulevard Jules-Guesde.

Diffusion radiophonique le 17 avril 1930.


Texte établi par Paul FIEVRE, septembre 2020.

Publié par Paul FIEVRE, octobre 2020.

© Théâtre classique - Version du texte du 31/01/2025 à 18:55:37.


PERSONNAGES.

LOUISETTE, Mme YOLANDE LAFFON.

HENRI, M. DORLEAC.

MALEMBUIT, M. GEORGES COLIN.

RABOCHON, M. JACQUELIN.

COLACHE, Mme MARYANE.

LE MUET, M. SAULIEU.

SARPEJOL, M. LEROY.

THÉRÈSE, Mlle TOSSY.

Les personnages sont indiqués dans l'ordre où ils commencent à se faire entendre.

Extrait de "Sketches pour le scène et la radio (en deux volumes) - Second volume ..." Librairie Théâtrale, L. Billaudot, 1936. pp. 41-69


LE TRIOMPHE DE LA SCIENCE

LOUISETTE.

Donnez-vous la peine d'entrer, monsieur le docteur.

HENRI.

Oui, madame.

LOUISETTE.

Vous êtes dans la salle principale de l'auberge Rabochon, dont j'ai l'honneur d'être la patronne.

HENRI.

Et vous êtes aussi la mairesse ?

LOUISETTE.

Oui, puisque l'aubergiste est en même temps le maire du pays.

HENRI.

Madame Rabochon, je suis très heureux de faire votre connaissance. On m'a beaucoup parlé de vous, vos oreilles ont dû vous tinter.

LOUISETTE.

Pas plus fort que les vôtres, Monsieur le docteur. Pour Mademoiselle de Serlin, vous êtes un bon sujet de conversation.

HENRI.

Vous êtes sa soeur de lait, Madame ?

LOUISETTE.

Oui, docteur, et j'ai été élevée avec elle à Paris pendant sept ou huit ans. Quand je suis revenue ici pour épouser Monsieur Rabochon, les parents de Mademoiselle de Serlin ont acheté le château.

HENRI.

Les parents de Mademoiselle de Serlin ?

LOUISETTE.

Ah ! Oui. Ses parents qui ne vous connaissent pas et dont il s'agit de faire la conquête. Le plus fort est fait, puisque vous avez plu à leur fille. Mais je vous tiens là, debout, docteur. Asseyez-vous donc.

HENRI.

Merci.

LOUISETTE.

Thérèse ne va pas tarder à arriver. Vous savez qu'elle ne restera pas longtemps. Vous avez bien exécuté votre programme ?

HENRI.

Oui. Ma voiture est censée avoir une panne à l'entrée du village. Mon chauffeur est en train de la réparer. Naturellement, il y mettra le temps qui nous est nécessaire.

LOUISETTE.

Je sais que vous avez connu Thérèse aux bains de mer, chez sa tante.

HENRI.

C'est parfaitement exact.

LOUISETTE.

Je sais que Thérèse vous a conseillé de vous établir ici, dans le village, comme médecin, de façon à faire peu à peu la connaissance de sa famille, et surtout de son père, cette espèce de sauvage qu'on appelle le comte Adhémar de Serlin.

HENRI.

L'idée me semble excellente.

LOUISETTE.

Malheureusement, ça n'ira peut-être pas tout seul.

HENRI.

Pourquoi ? Puisqu'il n'y a pas de médecin ici, la place est libre ?

LOUISETTE.

Il n'y a plus de médecin. Mais pourquoi n'y en a-t-il plus ? Voilà ce qu'il faut se demander.

HENRI.

N'y aurait-il pas de malades ?

LOUISETTE.

Si, il y a toujours des malades. Seulement, ce sont des gens d'une autre époque. Ils n'ont confiance que dans les sorciers.

HENRI.

Dans les sorciers ?

LOUISETTE.

Oui. Nous avions ici un sorcier et, depuis un mois, nous en avons deux. Il y en avait un qui réussissait tellement qu'il en est venu un autre. Tenez, venez jusqu'à la fenêtre, je vais vous montrer le plus ancien. Il est là-bas sur le seuil de sa porte. Il a une bonne tête de vieux campagnard abruti, hein ! Eh bien, c'est un sorcier. Malembuit, qu'il s'appelle. Il a complètement dévissé le docteur qui était ici il y a trois ans. Il lui a pris tous ses malades. L'autre a été obligé d'aller s'installer ailleurs. Mais, ce qu'il y a de plus extraordinaire, c'est que lui-même est en train de se faire dévisser par un nouveau sorcier, un gaillard du nom de Sarpejol qui arrive d'on ne sait où, mais qui est un vrai malin. Attendez, je vais vous appeler Malembuit... Malembuit !

MALEMBUIT, au loin.

Qu'est-ce qu'il y a ?

LOUISETTE.

Malembuit ! Arrive un peu par ici.

À Henri.

Vous allez voir, il va nous raconter son petit truc.

HENRI.

Il ne voudra pas.

LOUISETTE.

Comment, il ne voudra pas ! Vous ne m'avez regardée. Je suis la femme pas du maire. Il faut qu'on m'obéisse ici.

À Malembuit qui entre.

Amène-toi un peu, Malembuit ! Tiens ! Entre ! Oh ! Tu n'as pas besoin de tant essuyer tes sabots !

MALEMBUIT.

Le plancher ne craint rien.

LOUISETTE.

Voilà un médecin de Paris qui s'intéresse à toi. Docteur, je vous présente le sorcier du pays en personne.

HENRI.

Vous avez donc le droit de pratiquer la sorcellerie ?

MALEMBUIT.

Mais oui, Monsieur, je suis officier de santé.

HENRI.

Comment ça ?

MALEMBUIT.

Vous comprenez que je ne me risquerais pas à faire le sorcier si je n'avais pas pris dans le temps mes certificats. Alors, on n'a rien dit.

LOUISETTE.

Eh bien, je vous laisse tous les deux ensemble, hein ! Il faut que j'aille un peu surveiller mes gens de la cuisine.

HENRI.

À tout à l'heure, Madame Rabochon.

MALEMBUIT.

Monsieur le docteur, on a d'autant moins à dire contre moi que je ne donne jamais de drogues dangereuses aux malades. Vous voyez cette bouteille, hein ! Il y a dans le liquide des feuilles et des bouts de bois. Voilà de quoi je me sers pour nettoyer les plaies.

HENRI.

Mais, c'est abominable.

MALEMBUIT.

Vous ne savez pas ce qu'il y a dedans ?

HENRI.

Eh bien, toutes sortes d'immondices.

MALEMBUIT.

Vous n'y êtes pas, Monsieur le docteur. C'est un flacon d'eau phéniquée. Vous voyez que ce n'est pas compliqué. La sorcellerie, c'est les bouts de bois et les feuilles qui nagent là-dedans. Mais vous pouvez être tranquille, ces détritus-là, avant de les mettre dans mon flacon, je les ai bien passés à l'étuve et désinfectés complètement. De sorte que, si ça ne peut pas faire de bien, ça ne fait sûrement pas de mal. Seulement. ça fait du bien à la vue.

HENRI.

Et vous avez gagné de l'argent à ce commerce-là ?

MALEMBUIT.

J'ai fait ma pelote et je n'en ai pas de honte, parce que j'ai fait beaucoup de bien aux gens du village. Croyez-vous que ces sauvages, ils laissaient croupir devant leurs maisons des ruisseaux absolument fétides ? Il n'y avait pas à leur dire de mettre du chlore, au nom des principes de l'hygiène. Alors, je leur ai vendu mon chlore sous le nom de poudre magique. Une poudre qu'on jette dans les ruisseaux et qui empêche les épidémies.

HENRI.

Eh bien, c'est très ingénieux.

MALEMBUIT.

Et puis c'est très utile. Ça m'a rapporté quelque bien. J'aurai de quoi me retirer à la campagne et ça me ferait plaisir, parce que j'ai la goutte. Seulement, je suis obligé de me retenir de crier parce qu'un sorcier n'a pas le droit d'avoir la goutte. Si je m'en vais du village, j'aurai le droit de crier tout à mon aise.

HENRI.

Et pourquoi ne mettez-vous pas ces projets de retraite à exécution ?

MALEMBUIT.

C'est parce que j'en fais une question d'amour-propre et que je ne veux pas laisser la place à un farceur, un véritable charlatan qui s'appelle Sarpejol.

HENRI.

Qu'est-ce qu'il met dans ses bouteilles d'eau phéniquée, celui-là ?

MALEMBUIT.

Ce n'est pas son genre. Il ne donne pas de remède, mais il a inventé un certain bain de pied d'eau froide ou d'eau chaude. Il appelle ça l'eau merveilleuse et il soigne avec toutes les maladies. Vous comprenez, un bain de pied, c'était une nouveauté pour le pays. Ça a fait un effet énorme.

HENRI.

Et ça vous a beaucoup nui à vous ?

MALEMBUIT.

Tellement nui que je vais en parler dès aujourd'hui à Monsieur Rabochon, patron de cette auberge et maire du pays. Nous avons tantôt une espèce de comice. Il est venu des tas de paysans d'alentour. Vous allez voir qu'ils vont tous prendre des bains de pied. C'est de la dérision. Mais voilà Madame Rabochon.

LOUISETTE, à mi-voix au docteur.

Thérèse est là. Elle vous attend dans le jardin. Allez la rejoindre là-bas, vous serez plus tranquilles.

HENRI.

Merci ! Cent fois merci. À bientôt, Monsieur le sorcier.

MALEMBUIT.

À bientôt, Monsieur le docteur.

À Louisette.

Madame la mairesse, pourra-t-on voir Monsieur le maire ?

LOUISETTE.

Il est rentré. Qu'est-ce que tu lui veux ? Je l'appelle Rabochon ! Il y a Malembuit qui a quelque chose à te dire. Amène-toi, Rabochon.

RABOCHON, entrant.

Qu'est-ce que c'est ?

MALEMBUIT.

Je peux parler devant ta femme, Monsieur le maire ? Je commence par dire que tu as été chic avec moi et que tu m'as toujours soutenu, parce que tu sais que je suis bien utile au pays.

RABOCHON.

Je le connais, ton boniment. Qu'est-ce que tu as à me demander ?

MALEMBUIT.

Je te demande de soutenir tes administrés. Il est venu dans ta commune un imposteur, un charlatan que je ne veux pas qualifier. Si tu comprenais tes devoirs, il y a longtemps que tu l'aurais invité à quitter le pays.

RABOCHON.

Je l'aurais invité à quitter le pays et, de ce coup-là, je me serais invité moi-même à quitter la mairie. Il faut que tu sois bien bête pour venir me demander ça. Tu veux que j'expulse cet individu ? D'abord, je n'en ai pas le droit, et puis, individu ou pas individu, c'est un homme très utile dans le pays.

LOUISETTE.

Sans compter qu'il a fait des guérisons.

MALEMBUIT.

Mais j'en ai fait plus que lui.

RABOCHON.

Oui, mais c'est lui qui a fait les dernières.

LOUISETTE.

C'est malheureux tout de même. Je sais bien qu'il y aurait un moyen.

MALEMBUIT.

Dites-le vite.

LOUISETTE.

Il y aurait un moyen : si on arrivait à le couler.

MALEMBUIT.

Comment ça ?

LOUISETTE.

Oui, si on trouvait quelque chose à lui demander et qu'il ne pourrait pas réussir.

RABOCHON.

C'est une idée, Louisette.

MALEMBUIT.

Ce n'est pas une mauvaise idée, Madame la mairesse.

RABOCHON.

Oui, mais voilà, qu'est-ce qu'on pourrait lui demander !

LOUISETTE.

Je ne crois pas qu'il y ait des malades incurables dans le pays.

MALEMBUIT.

C'est malheureux ! Quelle commune ! Pas de malades incurables !

LOUISETTE.

Attendez !

MALEMBUIT.

Qu'est-ce qu'il y a ?

LOUISETTE.

Attendez ! Il y en a peut-être un.

RABOCHON.

Il y en a peut-être un ?

LOUISETTE.

Il y en a peut-être un et pas loin d'ici.

RABOCHON.

Qui veux-tu dire ?

LOUISETTE.

Qui je veux dire ? Le muet ! Il doit être sur la grand'place qui attend le passage des autos...

RABOCHON.

Ah ! Oui, le muet !

LOUISETTE.

Je vais l'appeler... Eh ! Là-bas !...

COLACHE, de loin.

Qu'est-ce qu'il y a ?

LOUISETTE, aux autres.

Il est là avec sa soeur, Colache. Eh ! Là-bas, Colache !...

COLACHE.

Qu'est-ce qu'il y a ?

LOUISETTE.

Viens donc un peu par ici et puis amène ton frère.

COLACHE.

Nous venons !

LOUISETTE, redescendant.

Eh bien, voilà une très bonne idée.

À son mari.

Rabochon, voici l'ordre et la marche du cortège. Tu vas aller au comice, tu monteras sur l'estrade à sa place, tu feras demander le sorcier Sarpejol, tu diras que tu veux faire une expérience humanitaire et tu commanderas à Sarpejol de guérir le muet avec son fameux bain de pied.

RABOCHON.

C'est une idée. Qu'en penses-tu, Malembuit ?

MALEMBUIT.

Eh bien, oui. Mais il y a quelque chose qui m'inquiète... S'il allait le guérir ?

LOUISETTE.

Comment, toi, Malembuit, un sorcier, tu sais bien que tu n'as rien à craindre d'un autre sorcier.

MALEMBUIT, perplexe.

Eh bien, je ne sais pas, je ne sais pas...

LOUISETTE.

Attention, voilà le muet avec sa soeur Colache.

RABOCHON.

Entrez tous les deux. Arrive ici, muet. Tu es encore en train de mendier sur la place ?

LOUISETTE.

Ça n'est pas le moment de l'attraper.

RABOCHON.

Il n'est pas sourd, au moins ?

COLACHE.

Oh ! Non, Monsieur Rabochon, mon frère n'est pas sourd. C'est bien assez d'infortune.

LOUISETTE.

Eh bien, on va tâcher de le guérir, votre frère.

Au muet.

On va tâcher de te guérir, toi, muet, et on croit bien que ça réussira parce que Sarpejol est un malin.

COLACHE.

Celui qui fait tremper les pieds dans l'eau. Mon pauvre frère, il va te faire tremper les pieds dans l'eau. Ah ! Ben, tu sais, il ne faut pas faire cette tête, ça n'est pas si terrible que ça.

MALEMBUIT.

Écoute, Colache !

COLACHE.

Qu'est-ce qu'il y a, Monsieur Malembuit ?

MALEMBUIT.

Tout à l'heure, en plein comice, tu vas nous amener ton frère sur l'estrade.

LOUISETTE.

Toi, Monsieur le maire, tu vas passer chez Sarpejol et tu le préviendras qu'il ait à se trouver au comice en même temps que le muet.

RABOCHON.

C'est ça, Madame la mairesse, puisque c'est toi qui commande. Tu viens, Malembuit ?

MALEMBUIT.

J'arrive ! J'arrive ! Ah ! Moi, Monsieur le maire, je ne t'accompagne pas chez Sarpejol. Je rentre chez moi dans ma maison.

RABOCHON.

Au revoir.

MALEMBUIT.

Au revoir.

LOUISETTE.

Toi, le muet, et toi, Colache, vous allez attendre ici. Je m'en vais retrouver mes amis dans le jardin. À tout à l'heure !

COLACHE.

À tout à l'heure... Les voilà partis... Eh bien, qu'est-ce que tu dis de ça, mon pauvre muet ?

LE MUET.

Je dis qu'ils sont assommants, ces gens-là ! Ils ne peuvent pas laisser le monde tranquille. Enfin, quoi, je viens m'installer dans ce patelin, je m'oblige à ne pas desserrer les dents. Comme c'est amusant ! Enfin, tout s'arrange, je deviens un mendiant très populaire, d'autant plus que je suis le seul. On se fait des journées de trois francs, sans compter le pain et bout de viande froide par-ci par-là. Il faut que ces ballots-là, qui n'ont rien à faire, viennent trouver des histoires pour empêcher le monde de travailler... Enfin, quoi, comment que je vais gagner ma vie s'ils me guérissent et qu'y me rendent la parole ?...

COLACHE.

Je ne te comprends pas. On va te mettre en présence d'un guérisseur. Eh bien, qu'est-ce que tu risques ? Si tu étais un vrai muet, il y aurait des craintes, mais, un faux muet, comment veux-tu qu'il puisse te rendre la parole ?

LE MUET.

C'est pas la question de guérir. Bien sûr que je suis inguérissable. Mais, ce qui me fait peur, c'est de me trouver devant le sorcier, qui doit être un malin de première catégorie. Il va me regarder, m'examiner et il s'apercevra que je me paye leur tête.

COLACHE.

Oh ! Ben non, je ne crois pas.

LE MUET.

Tu sais, j'en ai peur...

COLACHE.

Tiens, voilà l'autre sorcier qui revient, le père Malembuit.

LE MUET.

Oh ! Celui-là, tu sais, je ne le crains pas. C'est un vieux bête... Mais, tout de même, tout de même ! Ils peuvent pas laisser le monde -en paix !

COLACHE.

Tais-toi.

À Malembuit qui entre.

Re-bonjour, Monsieur Malembuit.

MALEMBUIT.

Re-bonjour. Écoute, muet, c'est toi que Sarpejol va essayer de guérir tout à l'heure. C'est qu'il en est bien capable, le bandit ! Tu fais signe que non, tu n'as pas espoir qu'il te guérisse ?

COLACHE.

Oh ! Nous sommes tranquilles, il ne guérira pas.

MALEMBUIT.

Bien, oui, je crois comme vous, mais on ne sait pas ce qui peut arriver. Suppose un peu qu'il te guérisse... Eh bien, écoute, Muet, s'il te guérit, il faudra que tu fasses celui qui n'est pas guéri.

COLACHE.

Pourquoi ça, Monsieur Malembuit ?

MALEMBUIT.

Il y a une chose importante que je veux dire à ton frère. C'est que tout à l'heure, après qu'il aura pris le bain de pied, même qu'il sent qu'il peut parler, il ne faut pas qu'il parle et pour çà, pour qu'il se retienne de parler, je lui donnerai cent francs. Est-ce qu'il a déjà toucher un billet de cent francs ?

COLACHE.

Jamais. Mais, comme on dit, il y a un commencement à tout.

MALEMBUIT.

Tiens, Colache, voilà tout de suite les cent francs.

Il va jusqu'à la porte.

Non, je m'en vais m'en aller l'autre porte par parce que je crois que voilà Rabochon, le maire, et cette crapule de sorcier Sarpejol qui s'amènent par ici... À tout à l'heure, Muet. C'est bien entendu ?...

COLACHE.

C'est entendu ! Eh bien, le voilà parti, les autres vont arriver. Il y a toujours cent francs de bon par ici. Mais, attention ! Voilà le maire et l'autre sorcier.

RABOCHON.

Allons, entrez, Sarpejol. Et puis, vous avez compris ? Il s'agit de vous montrer aujourd'hui, c'est-à-dire nous montrer ce que vous savez faire. Toute la population attend ça de vous. Vous allez vous amener avec votre bain de pied et votre eau miraculeuse sur l'estrade du comice et, là, il faudra payer comptant. Il s'agira de guérir le muet.

SARPEJOL.

Qu'est-ce que je vous ai dit, Monsieur le maire ? Que j'acceptais. Vous voyez que je ne recule devant rien. Seulement, je vous ai demandé de voir le sujet auparavant, seul à seul. Ce n'est que trop juste. Il faut que je l'étudié un peu.

RABOCHON.

Eh bien, il est là. Je vous laisse avec lui. Est-ce qu'il faut que la soeur s'en aille ?

SARPEJOL.

Oui, que sa soeur s'en aille.

RABOCHON.

Alors, je me retire. Venez Colache. Venez, venez.

COLACHE.

Oui, Monsieur le maire.

SARPEJOL

C'est ça. Ça va. Ils sont sortis ! Muet ! Muet ! Muet ! Je sais tout. Vous faites semblant d'être muet.

LE MUET.

C'est pas vrai !

SARPEJOL

Il m'est difficile de vous croire.

LE MUET.

Je vous en prie, Monsieur le sorcier, ne me trahissez pas !

SARPEJOL.

Mon vieux, pourquoi veux-tu que je te trahisse ? On me dit qu'il faut que je te guérisse. Mais, ce qu'on me demande, c'est de guérir un vrai muet, pas un faux muet. Si tu es un faux muet, je n'ai aucun mérite. Il faut donc que tu sois un vrai muet, tu entends ? Ça va, tu inclines la tête au lieu de répondre oui. Ça va, c'est bien. Tu vas venir avec moi sur l'estrade du comice...

LE MUET.

Oh ! Qu'est-ce que vous allez me faire ?

SARPEJOL.

Tout simplement te donner un bain de pied.

LE MUET.

Oh ! Pas ça ! Pas ça !

SARPEJOL.

Ça ne sera rien du tout.

LE MUET.

Il faudra m'endormir.

SARPEJOL.

Mais non, mais non. Ça durera deux minutes et, au bout de deux minutes, tu parleras, ou plutôt tu chanteras... Tu connais des chansons populaires ?

LE MUET.

Pas des toutes nouvelles, car il y a cinq ans que je suis muet.

SARPEJOL.

Alors, tu chanteras n'importe laquelle, tu crieras fort. C'est là le plus important. J'aurai fait un petit boniment avant. Je crois que nous allons produire notre petit effet.

LE MUET.

Oui. Seulement, après ça, qu'est-ce que je vais devenir, une fois que je ne serai plus muet ?... Comment que je gagnerai mon pain ?

SARPEJOL.

Tu penses bien que je te donnerai une compensation.

LE MUET.

Ah ! Oui, vous me devez une compensation..

SARPEJOL.

Voyons, je ne veux pas lésiner avec toi. Quelles sont tes prétentions ?

LE MUET.

Je gagne au moins deux francs par jour, c'est-à-dire un millier de francs par an. Dix mille francs pour dix ans... Donnez-moi vingt mille et ça fera le compte.

SARPEJOL.

Trois cents francs, ça va ?

LE MUET.

Ça va, avec un paquet de tabac.

SARPEJOL.

C'est entendu.

LE MUET.

Trois cents, payés d'avance...

SARPEJOL.

Les voici.

LE MUET.

Ça va. Cent francs pour ne pas parler...

SARPEJOL.

Qu'est-ce que tu dis ?

LE MUET.

C'est des comptes que je fais... Cent francs pour ne pas parler. Trois cents francs pour parler. Je parlerai. D'autant plus que je garderai les quatre cents balles.

SARPEJOL.

Allons, dépêche-toi. Par ici, docteur. Voilà du monde qui arrive.

Brouhaha sur la route. On entend la porte se refermer.

LOUISETTE.

Docteur, arrivez par ici. Arrive, Thérèse ! Regardez les gens dans la rue... Ils courent tous a l'estrade du comice. Mon mari me dit que Sarpejol va guérir le muet.

HENRI.

J'ai bien envie d'aller voir ça.

LOUISETTE.

C'est ça. Allez-y, docteur. Je reste avec Thérèse.

THÉRÈSE.

Oui, Henri, allez-y, je reste avec Louisette.

HENRI.

À tout à l'heure.

LOUISETTE.

Eh bien, ma petite Thérèse, tu vas rester ici jusqu'au dîner ?

THÉRÈSE.

Oui, j'ai dit à mes parents que j'allais jusqu'à la ville. Alors, je suis censée être absente pour tout l'après-midi.

LOUISETTE.

Eh bien, tu ne me remercies pas ?

THÉRÈSE.

Si, ma petite Louisette, mais je suis bien triste après tout ce que tu m'as dit. Je ne sais pas comment il va faire pour s'installer dans le pays. Il y a bien un autre village à quinze kilomètres où il pourrait être médecin, mais c'est loin et il ne trouverait pas des occasions de faire la connaissance de papa.

LOUISETTE.

En attendant, je voudrais bien voir ce qui se passe sur la place. Oh ! Ça va être extraordinaire !

THÉRÈSE.

Ça va durer longtemps ?

LOUISETTE.

Tu trouves déjà le temps long ?

THÉRÈSE.

Ma petite Louisette, nous avons, lui et moi, si peu d'instants à passer ensemble ! Il est vraiment trop curieux... Pourquoi est-il allé là-bas au lieu de rester près de moi ?...

LOUISETTE.

Je vais jusqu'au seuil de la porte. On voit un morceau de la place et on voit même l'estrade... Hé bien, merci ! En voilà un remue-ménage !... Tu ne les entends pas crier ?...

Cris à la cantonade.

Tu les entends, hein ?... Oh ! Qu'est-ce que ça veut dire ?... Voilà ton ami le docteur qui monte sur l'estrade... Qu'est-ce qu'il s'est donc passé ?... Voilà le docteur qui regarde dans la bouche du muet. Je ne vois pas bien d'ici. Il a l'air, le docteur, de tenir une espèce d'outil dans les mains. Oh ! Qu'est-ce qui se passe ? Voilà qu'ils se mettent tous à lever les bras et à jeter leurs chapeaux en l'air. Viens, Thérèse ! Viens, Thérèse ! Regarde ! Que s'est-il passé ?... Ils portent le docteur en triomphe... Tiens, voilà Malembuit qui arrive en courant.

THÉRÈSE.

Malembuit ?...

LOUISETTE.

Oui, le premier sorcier, celui qui habite en face... Eh bien, Malembuit, qu'est-ce que tu viens nous raconter ?

MALEMBUIT.

Attendez que je ferme la fenêtre. Ah ! Merci, merci, en voilà des histoires !...

LOUISETTE.

Qu'est-ce que c'est ?

MALEMBUIT.

J'avais vu l'autre individu, le sorcier, cette canaille de Sarpejol... Je l'avais vu qui sortait avec le muet, je me suis caché derrière un pan de mur et il m'a semblé vaguement que le muet parlait avec Sarpejol... Seulement j'ai gardé ça pour moi et je ne l'ai dit à personne. J'ai eu ensuite une espèce de certitude quand j'ai vu ce Sarpejol monter sur l'estrade, et crâner, et faire le fendant, et annoncer à tout le monde, avec de belles paroles, qu'il allait guérir le muet avec son eau miraculeuse ! On a apporté le bain de pied ; le muet a trempé ses pieds dedans. Seulement il a fait une grimace terrible. Il paraît que l'eau était un peu froide, et, quand le muet a voulu parler, il n'a pas pu, il avait une extinction de voix...

LOUISETTE.

Quelle histoire et quel tapage !...

THÉRÈSE.

Nous avons entendu ça d'ici !...

MALEMBUIT.

Je vous crois. Tout le monde criait, sauf le muet, qui remuait la bouche en tout sens. Mais il n'en sortait aucun son. C'est alors que le médecin qui était ici tout à l'heure...

THÉRÈSE.

Henri !

MALEMBUIT.

C'est alors que ce médecin est monté sur l'estrade avec un petit appareil à pile électrique. Il a mis truc-là dans la bouche du ce muet qui, tout de suite après, s'est mis à chanter tant qu'il a pu :

Si par hasard

Tu vois ma tante,

Complimente

La de ma part.

C'était même assez bête de sa part, parce que, étant muet de naissance, on pouvait se demander comment est-ce qu'il pouvait chanter du premier coup. Mais personne n'y a pensé. Et tout le monde a cru que le médecin lui avait rendu la parole. Alors, vous jugez de l'ovation. En une minute, le médecin était entouré de deux cents clients qui, tous, lui demandaient des consultations.

LOUISETTE.

Eh bien, c'est parfait, c'est magnifique.

MALEMBUIT.

Après cette affaire-là, Sarpejol n'a plus eu qu'à se débiner... Ah ! Là là, il n'est pas resté longtemps sur l'estrade... Il est rentré chez lui, il a pris ses affaires et il est parti à la gare. Heureusement qu'il a trouvé un train tout de suite... On lui aurait fait un mauvais parti...

Acclamations au dehors.

LOUISETTE.

Voilà le maire.

THÉRÈSE.

Voilà le docteur...

MALEMBUIT.

Voilà le muet et sa soeur.

LOUISETTE.

Bravo ! Vive le docteur !

RABOCHON.

Non, mes amis, vous ne pouvez pas tous entrer dans l'auberge... Mais, soyez tranquilles, je viens d'obtenir du médecin qu'il veuille bien s'installer chez nous.

Bruit de voix: «Bravo !»

LOUISETTE.

Oh ! Je referme la porte, parce que l'auberge serait envahie et comme ce ne sont pas des gens qui consomment...

THÉRÈSE.

Quelle joie tout de même...

LOUISETTE.

Et le muet, qu'est-ce qu'il dit ?

MALEMBUIT.

Je lui ai donné cent francs pour ne pas parler, mais je ne les réclame pas.

LE MUET.

L'autre m'avait donné trois cents francs pour parler. Mais c'est de sa faute si je n'ai pas pu prendre la parole, c'est lui qui m'a coupé la chique avec son bain de pied. Tu es contente, ma soeur ?...

COLACHE.

Oui, ça va, ça va, donne-moi l'argent.

RABOCHON.

C'est égal, ça ne me regarde pas, bien que je sois le maire, mais ce n'est peut-être pas délicat de garder ses trois cents francs...

COLACHE.

Ah ! Monsieur le maire, voyons, mon pauvre frère les a bien gagnés...

LE MUET.

Non, non, monsieur le maire a raison. Ces trois cents francs je les donne aux pauvres du village... Il n'y en a qu'un, c'est moi !

LOUISETTE.

Enfin, vous restez ici, Docteur ?

THÉRÈSE.

Je suis contente. Qu'est-ce que vous en dites, Henri ?

HENRI.

Je dis que c'est le triomphe de la science.

MALEMBUIT.

Je vous laisse ma place avec plaisir, docteur. Ah ! Aïe ! aïe !

TOUS.

Qu'est-ce que vous avez, Malembuit ?

MALEMBUIT.

Ne vous en faites pas, c'est ma goutte qui me reprend... Mais maintenant que je ne suis plus sorcier, je vais pouvoir crier à mon aise...

HENRI.

Vous souffrez ?

MALEMBUIT.

Non, je ne souffre pas, mais je crie pour avant-hier.

LE MUET.

Quant à moi, Muet, je vais pouvoir continuer à être muet ; pas pour les gens du pays, mais ça n'a pas d'importance, parce qu'eux ne me donnent jamais rien. Seulement pour les étrangers qui passent dans le village, les touristes ou bien les voyageurs de commerce, ou bien les docteurs en tournée, ou bien les ingénieurs, ou bien les militaires qui préparent les manoeuvres...

LOUISETTE.

Oh ! Oh ! Oh ! Ce qu'il s'en paye de parler !

LE MUET.

Vous entendez, ce sera une excellente combine, parce que tous ces frères-là, qui ne sont pas au courant de ce qui se passe, c'est des clients intéressants.

COLACHE.

Toi, maintenant, veux-tu te taire, mon frère. On n'entend plus que toi maintenant.

LE MUET.

Ah ! Laisse-moi parler ! Chaque fois qu'il viendra un individu, comme il ne me connaîtra pas, je pourrai continuer à faire le muet. Et ça ne me sera pas difficile puisque j'en ai pris l'habitude depuis cinq ans.

TOUS ENSEMBLE.

La ferme ! La ferme !

 



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