MONOLOGUE EN VERS
DIT PAR COQUELIN AINÉ, de la Comédie Française
Prix : Un franc
1887. Tous droits réservés
GEORGES FEYDEAU
PARIS, PAUL OLLENDORF, ÉDITEUR, 28 bis, Rue de Richelieu 28 bis.
Texte établi par Paul FIEVRE, septembre 2019
Publié par Paul Fièvre © Théâtre classique - Version du texte du 28/05/2020 à 12:13:32.
PERSONNAGES
UN HOMME.
LES ENFANTS
[UN HOMME].
J'entends souvent parler de l'homme
Pour sa supériorité :
Rien le rend-il si lâche, en somme,
Si sot, que la paternité ?
5 | En vérité, je me demande, |
Quand je constate les tourments
Qu'il faut toujours qu'on en attende :
À quoi ça sert-il, les enfants ?
On les adore - Eh ! Pourquoi faire ? -
10 | Et l'on se voue à leur bonheur ! |
À quoi bon se river sur terre
Un boulet, de gaîté de coeur ?
C'est le trouble, l'inquiétude,
Un tracas de tous les instants !
15 | Tout, sans espoir de gratitude... |
À quoi ça sert-il, les enfants ?
Et l'on subit le magnétisme
Qui vous plie à ce tout petit ;
Est-ce orgueil ou bien égoïsme ?
20 | Devant son oeuvre on s'aplatit. |
L'homme est fier de sa créature,
S'en fait l'esclave en même temps.
Et c'est la loi de la nature !
À quoi ça sert-il, les enfants ?
25 | Ah ! je comprends vraiment la bête |
Insouciante à ses petits,
Qui, le temps qu'il faut, les allaite,
Puis, part sans l'ombre de soucis.
Voilà des instincts admirables !
30 | - À l'appui de nos arguments ! - |
Que les bêtes sont raisonnables !...
À quoi ça sert-il, les enfants ?
Puis, se séparant dans la vie,
La bête va de son côté,
35 | Libre au gré de sa fantaisie, |
Ignorant sa postérité.
Les petits peuvent bien se dire :
« Ça ne sert à rien, les parents ! »
Mais chacun vit comme il désire !...
40 | À quoi ça sert-il, les enfants ? |
Oh ! toi qui parles de la sorte,
Matérialiste enragé,
Toi, beau parleur, toi, tête forte,
Je voudrais te voir fustigé !
45 | Non, tu n'as jamais été père |
Pour tenir ces raisonnements !
En ce disant, es-tu sincère ?
« À quoi ça sert-il, les enfants ? »
Mais ce sont eux qui font ta vie !
50 | Mais ils sont ta chair, ils sont toi ! |
Et tout leur être s'associe
À ton être qui fait leur loi.
Puis lorsque les destins te tuent,
Tu revis dans tes descendants
55 | Car tes enfants te perpétuent |
C'est à qui servent les enfants !
Mais tu n'as donc plus souvenance
Que tu fus jeune, toi, comme eux !
Et qu'on fit fête à ta naissance,
60 | À toi qui fais le dédaigneux ! |
Peux-tu blasphémer ta jeunesse !
Heureux pour toi que tes parents
N'aient pas dit, avec ta sagesse :
« À quoi ça sert-il les enfants ? »
65 | D'ailleurs, toute parole est vaine : |
Preuve que la maternité,
Est une chose bien humaine...
C'est qu'elle a toujours existé.
Que serait la machine ronde
70 | Avec tes beaux raisonnements ! |
L'Enfant régénère le monde...
C'est à quoi servent les enfants !