POTEMKIN

OU UN CAPRICE IMPÉRIAL.

ANECDOTE DE LA COUR DE RUSSIE.

M DCCC XLI.

PAR EUGÈNE SCRIBE de l'Académie Française.

PARIS, LIBRAIRIE DE CHARLES GOSSELIN, 9 rue SAINT-GERMAIN-DES-PRÉS.

PARIS. - IMPRIMERIE de Ve DONDET-DUPRÉ, rue Saint-Louis, 46, au Marais


Texte établi par Paul FIEVRE septembre 2020

Publié par Paul FIEVRE octobre 2020

© Théâtre classique - Version du texte du 28/02/2024 à 23:49:24.


PERSONNAGES

LE PRINCE POTEMKIN.

LE MAJOR.

CATHERINE DE RUSSIE.

MOURAVIEFF.

LA COMTESSE BRANITZKA.

LE COMTE MOMONOFF.

Texte extrait de "Proverbes et Nouvelles par Eugène Scribe", Paris, Gosselin, 1861. pp. 106-144.

Le découpage en scènes distinctes est propre à cette édition.


POTEMKIN

Un appartement magnifique dans le palais de la Tauride. - Sur un lit recouvert de peaux de tigre un homme à moitié habillé est étendu et sommeille. - Près de lui , sur le parquet, des papiers, des cartes géographiques. - Un sabre, richement damasquiné, des ordres en diamants. - Sur une table à côté les restes d'un repas et plusieurs bouteilles vides.

SCÈNE I.
La Comtesse Branitzka, Le Prince Potemkin.

LA COMTESSE BRANITZKA, entrant.

Midi... Et il dort encore.

LE PRINCE POTEMKIN, rêvant.

Constantinople... Constantinople... C'est là le chemin !... En avant !

LA COMTESSE, s'approchant de lui.

Grégoire, éveillez-vous.

LE PRINCE POTEMKIN, s'éveillant.

À moi, Grenadiers !...

Se mettant sur son séant.

Qui vient là ?... Ah ! C'est toi, Comtesse... Toi, ma nièce bien aimée... Pourquoi m'éveiller en ce moment ?

LA COMTESSE.

Voici le milieu du jour ; et tous les grands de l'Empire, les ministres de Catherine sont là, dans votre antichambre, à attendre votre lever.

POTEMKIN, avec humeur.

Qu'ils attendent !... Et quand Catherine elle-même serait avec eux, qu'ils attendent.

Se frottant les yeux.

Je faisais chanter un Te Deum dans la grande mosquée.

LA COMTESSE.

Des projets d'agrandissement, même en dormant !

POTEMKIN.

Oui, l'empire russe est trop étroit ; j'y suis gêné : je n'y respire pas... Ah ! S'il ne tenait qu'il moi !...

LA COMTESSE.

Et que voulez-vous de plus ?

POTEMKIN.

Ce que je veux ! Ce que je veux !... Être heureux, et je ne le suis pas... Quand n'aurai-je rien à faire ? Quand pourrai-je me reposer ?... Le bonheur, c'est le repos.

LA COMTESSE.

Vous voilà bien !... Ami de la paresse et toujours au travail !... Envieux de tout ce que vous ne faites pas et ennuyé de tout ce que vous faites !

POTEMKIN.

Le moyen de ne pas l'être ! Toujours des craintes, des inquiétudes... J'avais laissé en mon absence le commandement de l'armée à Ramanzoff ; et j'ai reçu hier la nouvelle...

LA COMTESSE.

D'une défaite.

POTEMKIN.

Non ; d'une victoire !... Je le rappellerai.

LA COMTESSE.

Y pensez-vous ?

POTEMKIN.

Pour le récompenser... Il est vieux, il faut qu'il se repose... c'est à nous de combattre... je retournerai commander... Le prince Repnin et Souwarow m'inquiètent aussi ; mais je ne peux pas être partout.

Montrant les papiers qui sont sur la table.

Et ces édits, ces ukases à rendre ; ces établissements à créer, ces ordres à signer... tout retombe sur moi.   [ 1 Ukase : Édit promulgué par le tsar.]

LA COMTESSE.

Chaînes pesantes ! Esclavage continuel, dont vous seriez bien fâché d'être délivré !...Vous, mon cher oncle, qui, il y a vingt ans, n'étiez qu'un petit élève en théologie, à l'université de Moscou , plus tard simple porte-enseigne dans les gardes, et maintenant...

POTEMKIN, lisant l'adresse d'une lettre qu'il tient à la main.

« Au Prince Potemkin, premier ministre, généralissime de toutes les armées russes, grand amiral des flottes de la Mer Noire, de la mer d'Azov et de la Mer Caspienne, grand hetman des Cosaques, etc., etc... »   [ 3 Azov : Ville de Russie, située dans l'oblast de Rostov. Elle est arrosée par le Don et donne son nom à la mer en amont de la Mer Noire]

LA COMTESSE.

Eh ! Mon Dieu ! Que de titres !...

POTEMKIN.

C'est à coup sûr quelqu'un qui demande...

Lisant.

Ah ! Rien que cela... Le titre de chambellan... Une place qui admet dans l'intimité de l'impératrice »... Et qui donc !...

Regardant la signature.

Le Comte de Schérémézoff.

LA COMTESSE.

Un joli cavalier.

POTEMKIN.

Ce n'est pas un mal.

LA COMTESSE.

De plus un homme de tête et de mérite.

POTEMKIN, déchirant la pétition.

Il n'aura pas la place !... Colonel, s'il le veut... général, si cela lui plaît... Nous l'enverrons avec le Prince Repnin. Il y a là de la gloire à gagner et des coups de fusil.

LA COMTESSE.

Et s'il revient avec un bras ou une jambe de moins ?

POTEMKIN.

Alors il n'y aura plus de danger, nous le ferons chambellan.

LA COMTESSE.

Ah! vous êtes jaloux !

POTEMKIN.

Moi ?... Et de quoi ? Me crois-tu donc amoureux ? Je ne l'ai été que deux fois dans ma vie... D'abord, il y a vingt ans, lorsque ma fortune en dépendait ; lorsque dans la conquête d'une maîtresse je voyais celle de la Russie. Il fallait plaire, pour renverser ces ambitieux Orloff ; et quand je me rappelle leurs affronts, celui surtout du jeu de paume, j'avais la rage dans le coeur ; je n'ai jamais été plus aimable que ce jour-là, et de ce jour je fus heureux... Je fus empereur.

LA COMTESSE.

Et votre amour, que devint-il dans le Palais des Czars ?

POTEMKIN.

Amour de gloire et de puissance... Celui-là dure toujours, et mourra avec moi... Par lui, ou est grand on est envié... On souffre, mais on règne !... Et cette fortune immense, colossale, que la Russie, que l'Europe entière essaie en vain de renverser, toi seule, Nadèje, as manqué de l'ébranler.

LA COMTESSE.

Moi !

POTEMKIN.

Oui ! Il n'y a que toi que j'aie aimée, toi, jeune fille que j'avais élevée ; c'est ma seule faute en politique... Et quand j'y pense... Quelle folie ! Quelle fièvre me tenait alors !... Je me rappelle qu'un jour, là, à tes pieds, je te disais : « L'amour d'une souveraine, le trône de la Russie... Tout pour un seul de tes regards. » Et ce jour-là, je l'aurais fait... J'aurais tout sacrifié.

LA COMTESSE.

Oui ; mais le lendemain !

POTEMKIN.

Le lendemain... Je ne dis pas... Mais y songe-t-on quand on aime ?

LA COMTESSE.

Et tu te croyais amoureux !

POTEMKIN.

Je l'aurais juré, et souvent, Nadèje, je le jurerais encore.

LA COMTESSE.

Erreur ! Tu ne seras jamais qu'ambitieux... Et moi, je ne serai jamais que ton amie, ta nièce, ta fille... Tout le monde te craint, te respecte ou t'admire... Il faut bien qu'il y ait quelqu'un qui t'aime... Ce sera moi.

POTEMKIN.

Jamais je n'en eus plus besoin... Jamais je n'ai été plus malheureux, plus ennuyé... Courtisé par eux tous et moi même courtisan assidu, obligé d'épier, de deviner les fantaisies d'une souveraine ; de prévenir tous ses voeux ; de ne pas lui laisser même un désir à former... Et souvent elle en a de si extraordinaires, de si bizarres, de si absurdes !

LA COMTESSE.

Elle, Catherine, notre magnanime impératrice !

POTEMKIN.

Oui, c'est un grand souverain, un grand homme ; mais c'est une femme ! Maîtresse d'un empire immense, ses caprices sont plus grands encore que son pouvoir ; et ce despotisme intérieur, ces royales fantaisies d'une imagination en délire, moi seul en suis le témoin et la victime. Froide et impassible aux yeux de sa cour et de toute l'Europe, on ne voit en elle qu'un grand politique, un conquérant, un roi législateur : c'est la raison, la philosophie sur le trône ! Et Voltaire rappelle un sage. Ah ! S'il avait été à ma place, il saurait à quoi s'en tenir.

LA COMTESSE, avec gaieté.

Vraiment !

POTEMKIN.

Et voilà comme on écrit l'histoire ! Ah ! Que de fois j'ai maudit l'empire du jupon ! Que de fois, foulant la pourpre des czars, accablé de bonheur et d'ennui, tenant dans mes bras ma fortune, je la pressais contre mon coeur, non avec amour, mais avec rage, comme pour l'étouffer !

LA COMTESSE.

Quelle horreur !

POTEMKIN, revenant à lui.

Qu'ai-je dit ?... Je te confie tout, Nadèje, je te laisse lire dans mon coeur, et j'ai tort peut-être ; car si tu me trahissais, si tu me livrais à mes ennemis !...

LA COMTESSE.

Se défier de moi !

POTEMKIN, revenant à lui.

Non pas de toi ; mais tu es jeune, tu es jolie, tu es entourée de courtisans qui t'adorent, ne t'y trompe pas, parce que tu es la nièce de Potemkin.

LA COMTESSE, souriant.

Et pour d'autres raisons aussi.

POTEMKIN.

C'est là ce qui m'effraie. Tu n'aurais qu'a les aimer; tu leur livrerais mes secrets. Je ne le veux pas, je le défends, ou sinon...

LA COMTESSE, riant.

Sinon, le knout, la Sibérie...

POTEMKIN, avec colère.

Oui, je puis tout... et malheur à eux, malheur à toi !

LA COMTESSE.

À merveille ! Voilà qui est galant, qui est aimable ! Et j'admire, Potemkin, comment ton caractère réunit à la fois les avantages et les défauts les plus opposés. Semblable en tout à l'empire russe, que tu soutiens, et dont tu es la vivante image, tu es, comme lui, moitié civilisé et moitié barbare. Il y a en toi de l'Asiatique, de l'Européen, du Tartare et du Cosaque ; mais ce dernier domine. Je n'en veux pour preuve que la déclaration que tu viens de me faire.

POTEMKIN.

Qui, moi ? Pardonne, Nadèje.

LA COMTESSE.

Non pas ; et pour te punir, j'achèverai ton portrait, et je te forcerai à te regarder. Gâté par la fortune, blasé sur toutes les jouissances de la vie, malheureux à force d'être heureux, grand général, ministre habile, mais tour à tour despote et populaire, avare et magnifique, libertin et superstitieux.

POTEMKIN.

Moi !

LA COMTESSE.

Oui, oui, tu crois en toi, en ton étoile, et tu ne redoutes rien, si ce n'est le diable, que tu révères beaucoup.

POTEMKIN, d'un air gêné.

Quelle folie !

LA COMTESSE.

D'où vient donc alors ce cachet magique que tu portes toujours là, sur ton sein ?

POTEMKIN.

Tais-toi, tais-toi ; tu blasphèmes ! Et quand il serait vrai, quand j'aurais cette faiblesse, le diable a assez fait pour moi pour que je fasse quelque chose pour lui. Franchement, il faut qu'il se soit mêlé de mes affaires. Je crois souvent que c'est lui qui me conseille.

LA COMTESSE.

Oui, tout à l'heure encore, quand il te portait à soupçonner ta meilleure, ta seule amie ! Moi qui ne tiens ni à tes honneurs, ni à ton pouvoir ; moi qui ai tout refusé, jusqu'à ton amour ; moi enfin qui n'ambitionne rien que ton amitié, et qui braverais pour elle le knout et la Sibérie, que tu as daigné me promettre tout à l'heure.

POTEMKIN.

Ah ! Ma nièce chérie ! Ah ! Nadèje ! Je suis monstre, un ingrat.

LA COMTESSE.

Non, je te l'ai dit, tu es ambitieux, et voilà tout... Mais habillez-vous, donnez vos audiences, car on vous attend. Je vous dirai plus tard ce qui m'amène.

POTEMKIN.

Non pas, toi d'abord, toi avant tout... Parle ; que veux-tu ? Je suis riche ; l'impératrice m'a envoyé hier cinq cent mille roubles, elles sont à toi.

LA COMTESSE.

Je ne veux rien pour moi ; je viens vous parler pour un pauvre diable, un simple soldat auquel je m'intéresse.

POTEMKIN.

Je le fais officier.

LA COMTESSE.

Au contraire : il veut son congé. Voici son nom et celui de son régiment.

POTEMKIN, regardant le papier qu'elle m'a donné.

Mouravieff, grenadier au régiment de Kherson... régiment arrivé hier à Saint-Petersbourg.   [ 4 Kherson : vielle d'Ukraine à l'embouchure du Dniepr sur la mer Noire, à l'est d'Odessa.]

Riant.

Comment ce soldat a-t-il l'honneur d'être votre protégé ?

LA COMTESSE.

C'est depuis ce matin. Il était de garde à l'hôtel des Monnaies, où un incendie venait de se déclarer, et il restait immobile sous les armes dans sa guérite en feu, parce que le caporal qui l'avait mis en faction n'était pas là pour le relever.

POTEMKIN.

Bel exemple de discipline russe !... Obéissance aveugle ; c'est le secret de notre force. Une armée qui ne raisonne pas plus que cela est une armée invincible. .

LA COMTESSE.

Quoi qu'il en soit, je m'intéresse à mon jeune soldat, car il est jeune, un superbe grenadier, qui ne répond que par monosyllabes ; je l'ai interrogé, et il fait la conversation comme il fait l'exercice.

POTEMKIN, riant.

En douze temps.

LA COMTESSE.

Et je lui ai promis son congé ; car il est amoureux, et il doit épouser dans son pays une jeune fille qui l'attend aussi patiemment qu'il attendait le caporal.

POTEMKIN.

Vraiment ! Je veux le voir. Holà ! Quelqu'un.

LA COMTESSE.

Je suis sûre que cela vous amusera et vous intéressera.

POTEMKIN, au domestique qui entre, lui donnant le papier.

Qu'on fasse venir sur-le-champ ce soldat.

À la Comtesse.

Vous me restez ; vous déjeunez avec moi.

LA COMTESSE.

Volontiers... Mais vos audiences...

POTEMKIN, au domestique.

Je ne reçois pas. Vous direz que je travaille avec l'impératrice, et qu'on ne me dérange pas. Rien ne doit déranger un ministre qui déjeune ou qui dîne. C'est le seul moment où il vive pour lui.

LA COMTESSE.

Encore un défaut à ajouter au portrait... Vous êtes gourmand.

POTEMKIN.

C'est qu'il n'y a que cela de réel et de positif ; c'est le seul plaisir d'autrefois qui me soit resté fidèle dans ma grandeur.

On a servi le déjeuner.

Allons ! À table... Voyons ces vins de France.

Buvant.

À vous, Comtesse !

LA COMTESSE.

Et moi je bois au vainqueur d'Oczakoff !

POTEMKIN.

Flatteuse !

Ils mangent tous deux.

Quelles nouvelles débile-t-on à Saint-Petersbourg ? En savez-vous de piquantes dont je puisse divertir l'impératrice ?

LA COMTESSE.

On ne parle dans toutes les sociétés que de l'aventure de cette pauvre princesse Waronska.

POTEMKIN, souriant.

Ah ! Oui... je sais.

LA COMTESSE.

Cela vous fait rire, un attentat pareil ! Un homme de rien, un mougik, un cosaque, employer la violence contre une femme de qualité ! Déshonorer une noble famille !   [ 5 Moujik : Nom des paysans russes. [L]]

POTEMKIN.

J'en conviens comme vous, c'est épouvantable, et je ne ris que parce que la Princesse est de toute la Cour la vertu la plus prude et la plus sévère.

LA COMTESSE.

Est-ce une raison ?

POTEMKIN.

Non, sans doute. Aussi les lois ont prononcé : le mougik Iglou est condamné à mort, et sera probablement exécuté aujourd'hui ou demain, dès que l'impératrice aura signé son arrêt, que j'ai là.

LA COMTESSE.

C'est justice.

POTEMKIN.

Toutes les femmes penseront comme vous.

LA COMTESSE.

Et les hommes aussi.

POTEMKIN.

Certainement... Mais d'autres nouvelles plus gaies qui celle-là.

LA COMTESSE.

On dit, ce qui n'est guère probable, que les Turcs vont nous céder la Crimée.

POTEMKIN, à demi-voix.

C'est déjà fait. J'ai conquis sans combattre les plus riches provinces musulmanes.

LA COMTESSE.

Et comment cela ?

POTEMKIN.

On le saura plus tard... Quand ce sera ma propriété.

LA COMTESSE.

Y pensez-vous ?

POTEMKIN.

C'est là l'objet de mes voeux, c'est là que je veux amener Catherine. Le gouvernement de la Crimée, joint à ceux d'Astrakan et d'Azov, que je possède déjà, me rendront un souverain plus puissant que bien des souverains de l'Europe. Alors je pourrai tout braver... même un caprice de femme !

LA COMTESSE.

Que dites-vous ?

POTEMKIN.

Qu'il faut toujours qu'un favori songe à se rendre indépendant. Arrivé où je suis, je ne puis plus descendre : et si je tombe, ce sera en montant. Mais, grâce au ciel, nous n'en sommes pas là.

LA COMTESSE.

L'impératrice vous aime tant !

POTEMKIN.

Je le crois, car je lui suis nécessaire.

LA COMTESSE.

Vous exercez sur elle une telle influence !

POTEMKIN.

Pas toujours. Il y a ici quelque machination qui se trame et que je veux déjouer. Depuis hier, Sa Majesté est rêveuse, préoccupée : elle a dans l'âme une pensée que je ne connais pas, et dont je veux me rendre maître.

LA COMTESSE.

Peut-être un rival qu'elle va vous donner ?

POTEMKIN, souriant.

Si ce n'était que cela, je le saurais, elle me l'aurait dit.

LA COMTESSE.

Est-il possible ?

POTEMKIN.

C'est un traité passé entre nous. Je vois les choses trop en grand, et elle aussi, pour attacher de l'importance aux mutations de ce genre ou aux nombreuses promotions que peut faire Sa Majesté. Comme souveraine, elle a le droit de nommer à tous les emplois ; mais j'exige, moi, premier ministre, que les choix soient soumis à mon approbation.

LA COMTESSE, riant.

C'est admirable.

POTEMKIN.

Traité auquel elle n'a jamais manqué, et qu'elle a toujours exécuté avec une fidélité et une bonne foi vraiment impériales. C'est à moi alors de n'admettre dans le personnel que des sujets qui ne peuvent me porter ombrage. J'ai nommé dernièrement le Comte Momonoff, jeune Moscovite très distingué, qui n'a pas en politique deux idées de suite, mais qui réunit du reste toutes les qualités nécessaires au poste brillant où je l'ai placé et où je tâcherai de le maintenir.

LA COMTESSE.

Je ne puis revenir de ma surprise.

POTEMKIN.

Pourquoi donc ? Nous avons chacun nos attributions. Ce sont deux ministères, deux départements tout-à-fait distincts, et où souvent ce n'est pas moi qui suis le plus occupé.

À un Major qui entre.

Qui vient là ? Que voulez vous ?

LE MAJOR.

Ce grenadier au régiment de Kherson, que votre altesse a fait demander, est là, conduit par quatre fusiliers.

LA COMTESSE.

Il ne fallait pas tant de cérémonies.

POTEMKIN.

Qu'il entre.

SCÈNE II.
Mouravieff, Potemkin, La Comtesse.

Parait un grenadier d'une belle figure, fort et vigoureux, taille de six pieds. Il reste au fond de l'appartement, droit, immobile, et les bras collés contre le corps.

POTEMKIN.

C'est toi qu'on nomme Mouravieff ?

MOURAVIEFF, portant la main à son bonnet et balbutiant.

Oui, Général.

POTEMKIN.

Approche, et ne te trouble pas ainsi.

Il s'avance tout d'une pièce, et reste auprès de la comtesse. Potemkin l'examine.

En effet, il est très bien. Ce n'est pas la première fois que nous nous voyons. N'étais-tu pas avec moi au siège d'Oczakoff ?

MOURAVIEFF, toujours immobile.

Oui, général.

POTEMKIN.

Sous le bastion à gauche, deuxième batterie ?

MOURAVIEFF.

Oui, général.

POTEMKIN, à la Comtesse.

C'est un brave qui s'est bien montré.

À Mouravieff.

Tu aimes donc la gloire ?

Voyant qu'il se tait.

Réponds donc.

MOURAVIEFF, embarrassé et se troublant.

Excusez, général ; je n'entends pas !

POTEMKIN.

Il me semble cependant que je parle russe. Je te parle, mon camarade, de la gloire qui a si bien payé nos travaux.

MOURAVIEFF, cherchant à se remettre.

Bien payé ; oui, général, nous avions six kopecks par jour.   [ 6 Kopeck : monnaie russe, elle vaut un centième de rouble.]

LA COMTESSE.

Et c'est pour six kopecks que tu restais dans cette batterie ?

MOURAVIEFF.

Oui, Altesse, le caporal m'y avait mis.

LA COMTESSE.

Et si tu avais reculé ?

LA COMTESSE.

J'aurais eu le knout.   [ 7 Knout : Instrument de supplice, chez les Russes, composé de plusieurs nerfs de boeuf fortement entrelacés et terminés par des crochets en fer ; il sert à infliger les châtiments légaux. [L]]

POTEMKIN.

Tu crains donc le knout ?

MOURAVIEFF.

Oui, général.

LA COMTESSE.

C'est la honte qu'il faut craindre.

MOURAVIEFF.

Oui, altesse.

POTEMKIN.

Et depuis, où as-tu servi ?

MOURAVIEFF.

À Ismail.

LA COMTESSE.

Avec Souwarow ?   [ 8 Alexandre Vassilievitch Souvorov (1730-1800) : général russe, célèbre parce qu'il ne fut jamais vaincu, mena la campagne de Ismailov en 1790 située à l'embouchure du Danube.]

MOURAVIEFF.

Oui, altesse.

LA COMTESSE.

Un assaut qu'on dit terrible ! Et tu t'en es tiré avec honneur !

MOURAVIEFF.

Oui, Altesse, j'y ai gagné cinquante roubles.

POTEMKIN.

Et comment cela ?

MOURAVIEFF.

Le général avait ordonné le pillage pendant deux jours.

LA COMTESSE.

Quelle horreur !

POTEMKIN.

Le pillage et tout ce qui s'ensuit ?

MOURAVIEFF.

Oui, général.

LA COMTESSE, hésitant

Et... tu as... pillé ?

MOURAVIEFF.

Oui, altesse, le général l'avait dit.

LA COMTESSE.

Et si tu avais refusé ?

MOURAVIEFF.

J'aurais eu le knout.

LA COMTESSE.

Toujours le knout ! Il paraît que c'est le mobile de l'honneur national ; et quoi que vous en disiez, mon cher oncle, malgré votre admiration pour la discipline et l'obéissance passives, il me semble que le jour où ils comprendront qu'une balle est aussi à craindre que le knout, votre invincible armée sera bientôt en déroute.

POTEMKIN, à demi-voie.

Tais-toi !... Tais-toi !... Avant qu'ils en viennent-là, l'Europe sera à nous, et voilà pourquoi nous nous battons.

À Mouravieff.

Tu veux donc ton congé ?

MOURAVIEFF.

Oui, général.

POTEMKIN.

Ton pays ?

MOURAVIEFF.

Astrakan.   [ 9 Astrakan : Ville de l'oblast du même nom, situé au biord de ma Mer Caspienne à l'embouchure de la Volga.]

POTEMKIN.

Mon gouvernement !

À la Comtesse.

C'est un de nos paysans.

À Mouravieff.

Tu vas, en y retournant, te trouver serf et esclave.

MOURAVIEFF.

Oui, général.

LA COMTESSE.

Pauvre homme !

POTEMKIN.

Si je te donnais la liberté ?

MOURAVlEFF, froidement.

Comme vous voudrez.

POTEMKIN.

'Ou bien une vingtaine de roubles ? Lequel aimes-tu le mieux ?

MOURAVIEFF, riant d'un air étonné.

Mon général veut rire ?

POTEMKIN.

Non, parle.

MOURAVIEFF.

Par Saint Nicolas, j'aime mieux les roubles.

POTEMKIN, à la Comtesse.

Que vous disais-je ! Vous voyez qu'ils sont encore loin de raisonner, et que l'Europe est plus près d'être à nous que vous ne pensez.

À Mouravieff.

C'est bien ; en voilà trente à cause de tes principes. Retourne chez toi, va te marier ; aie des enfants, je te l'ordonne.

MOURAVIEFF.

Oui, général.

POTEMKIN.

Et beaucoup, nous en faut.

MOURAVIEFF.

Oui, général.

POTEMKIN.

Sinon le knout. Reviens dans deux heures, ton congé sera expédié.

MOURAVIEFF.

Oui, général.

POTEMKIN.

Remercie Madame, salue et va-t'en. Marche.

Mouravieff salue, fait un demi-tour à droite, et sort tout d'une pièce, comme il était entré.

Eh ! Bien, Comtesse, es-tu contente ?

LA COMTESSE, d'un air triste.

Pas trop ; il m'intéressait davantage ce matin. J'aimerais autant une armée qui raisonnât.

POTEMKIN.

Tu es bien difficile. Ce gaillard-là est peut-être le plus instruit et le plus éclairé de son régiment. C'est pour cela qu'en bonne politique,

Souriant.

et outre le désir de vous être agréable, j'ai bien fait de lui donner son congé ; il pourrait gâter les autres.

Entre par une petite porte à droite un officier des gardes, qui s'approche vivement de Potemkin et qui lui dit à demi-voie : L'impératrice.

LA COMTESSE se lève vivement, Potemkin reste assis.

L'impératrice dans ces lieux !

POTEMKIN.

Oui, elle vient souvent le matin dans ces lieux par la galerie couverte qui conduit de son palais au mien. Adieu, Nadèje.

LA COMTESSE.

Je me retire.

POTEMKIN.

À ce soir. Il y a cercle à la Cour, on vous y verra ?

LA COMTESSE, sortant.

Oui, mon cher oncle.

SCÈNE III.
Catherine, Potemkin.

Un instant après et par la porte à droite entre Catherine. Elle porte une tunique de velours nacarat, des diamants dans les cheveux. Elle s'avance d'un air préoccupé. Potemkin se lève et s'incline respectueusement. Catherine fait signe à l'officier des gardes de sortir.

POTEMKIN, regardant L'Impératrice.

Encore cet air sombre et rêveur ! Cela ne l'a pas quittée depuis hier soir. Il y a quelque chose qu'elle me cache, que peut-être elle se cache à elle-même. Je le saurai.

Haut.

Mon auguste souveraine a-t-elle bien reposé ?

CATHERINE, brusquement.

Oui, très bien.

POTEMKIN.

Et comment se trouve-elle ce matin ?

CATHERINE, de même.

Mal... J'ai de l'humeur.

POTEMKIN.

Et pourquoi ?

CATHERINE.

Je ne sais, je viens vous le demander.

POTEMKIN.

Une telle confiance m'honore beaucoup : le difficile est d'y répondre. Votre Majesté aurait-elle quelques plaintes à me faire du Comte Momonoff ?   [ 10 Comte Alexandre Matveïevitch Dmitriev-Mamonov (1758-1803) : militaire qui eut les faveurs de la tsarine Catherine par l'intermédiaire de Potemkin.]

CATHERINE, lentement et comme occupée d'un souvenir agréable.

Du tout... au contraire ! Sujet fidèle et dévoué dont je vous remercie ; il est comme il faut être...

Après un instant de réflexion.

Très bien, très bien. Peu d'esprit, par exemple.

POTEMKIN.

Votre Majesté en a tant !

CATHERINE, avec humeur.

Pas aujourd'hui ; et ayez celui de ne pas me faire des compliments, car je suis mal disposée. Tout m'ennuie, tout me contrarie. J'ai reçu de mauvaises nouvelles, des nouvelles de France. Leur révolution marche.

POTEMKIN, tranquillement.

Ce n'est pas cela qui doit vous inquiéter ; la France est loin.

CATHERINE.

Voilà le mal. Il faudrait en être près.

POTEMKIN, souriant.

Cela viendra. Nous avons déjà pris la Pologne ; cela nous rapproche.

CATHERINE.

Et ce qui me déplaît le plus, c'est l'arrivée des émigrés français ; on m'annonce même celle du comte d'Artois.

POTEMKIN, vivement.

Que vient-il faire ?

CATHERINE.

Demander des secours.

POTEMKIN, de même.

Et vous leur en accorderez ?

CATHERINE.

Aucun. Qu'ils se déchirent entre eux ; que la Prusse et l'Autriche s'en mêlent ; qu'ils s'épuisent, qu'ils s'affaiblissent tous : nous verrons après.

POTEMKIN, froidement et approuvant.

C'est bien.

CATHERINE.

En attendant, si le prince vient à ma Cour, j'entends qu'on le reçoive avec les plus grands honneurs.

Souriant en elle même.

Je veux même, puisqu'on le cite comme un chevalier français, je veux, devant toute ma Cour, lui faire un présent chevaleresque auquel il sera sensible... Je lui donnerai mon épée.

POTEMKIN.

C'est à lui de s'en servir.

CATHERINE.

Une épée de femme !... Le présent est léger... C'est la tienne qu'il lui faudrait, brave Potemkin, si elle n'était pas trop lourde pour son bras.

POTEMKIN.

Celle-là, vous le savez, ne sort jamais du fourreau que pour le service de ma glorieuse souveraine.

Avec chaleur.

Car elle est à vous, Catherine, comme mon sang, comme ma vie, comme tout ce que je possède... et au nom de ce dévouement tant de fois éprouvé, au nom de l'amitié la plus tendre, daignez me dire quelle idée importune vous préoccupe depuis hier.

CATHERINE, troublée.

Moi !... Qui peut vous faire croire ?... Qui vous a dit !...

POTEMKIN.

Comment ne m'en serais-je pas aperçu ! Mon existence, à moi, c'est vous ; et rien de ce qui vous intéresse ne peut m'échapper.

CATHERINE.

Eh bien ! Oui, s'il faut vous l'avouer, ces négociations que vous avez commencées pour l'acquisition de la Crimée... m'inquiètent beaucoup... C'est si important !

POTEMKIN.

N'est-ce que cela ? Nous avons réussi, et au delà de nos voeux. Sahim-Guerray, le khan des Tartares , effrayé par mes menaces et voyant ses ports bloqués par nos vaisseaux, vient de lui-même nous offrir ses riches provinces. Nous ne les prenons pas, on nous les donne.

CATHERINE, étonnée

Que dites-vous ?

POTEMKIN.

Que le descendant de Gengis-Khan a cédé et vendu la Crimée pour une faible somme qu'on lui payera dans cinq ans, ou qu'on ne lui payera pas, selon l'état de nos finances... Voici l'acte de vente, signé par lui, et que je soumets à votre approbation ; en attendant, nos troupes sont déjà entrées sur son territoire, et ont pris possession.

CATHERINE, regardant l'acte.

Il serait possible ?

Froidement.

C'est bien, Potemkin, j'en suis ravie ; car, je vous l'ai dit, c'est là tout ce qui me tenait au coeur.

POTEMKIN, à part, en jetant sur elle un regard observateur.

Elle me trompe : ce n'est pas cela.

Haut à Catherine.

Vous savez de quelle importance il est d'organiser ces nouvelles provinces, d'y introduire les arts nés de la civilisation. Ce beau pays ne demande qu'à être cultivé pour devenir le plus fertile de l'empire, et peut-être de l'Europe... La Crimée sera le grenier de la Russie... Mais, pour obtenir promptement de pareils résultats, il faut s'en rapporter à quelqu'un qui donne à tout le mouvement, l'impulsion et la vie ; quelqu'un , en un mot, qui sache à la fois concevoir et exécuter.

CATHERINE, froidement.

Je comprends... Vous, par exemple.

POTEMKIN.

Pourquoi pas ? Qui eut part à la peine peut bien l'avoir à la récompense.

CATHERINE, froidement.

Nous verrons... Nous en parlerons.

POTEMKIN, brusquement.

Pourquoi attendre ?

CATHERINE.

Vous avez déjà les gouvernements d'Azov et d'Astrakan. Ce serait aussi vous accabler de trop de soins et de travaux.

POTEMKIN, avec dépit.

Vous me refusez ?

CATHERINE, avec humeur.

Je ne dis pas cela... mais dans un autre moment... plus tard on s'en occupera.

POTEMKIN, s'échauffant.

Il ne sera plus temps... Le temps nous presse... Il faut être prêt avant que l'Europe ne s'éveille ; et c'est dans l'intérêt du pays, dans le vôtre, que j'insiste encore, et que j'oserai vous dire qu'il le faut... que je le demande... que je le veux.

CATHERINE, avec fierté.

Et moi, je ne le veux pas.

POTEMKIN, s'emportant.

C'est la première fois que le caprice et l'humeur vous font repousser ce qui est juste et convenable... Voilà la récompense des services que, tout à l'heure encore, je viens de vous rendre , et que dans tout autre moment vous auriez su apprécier... Voilà le prix de tant d'affection et d'amour... Catherine... Catherine... Vous m'avez froissé et humilié : je suis malheureux et mécontent... mécontent de vous.

CATHERINE.

Et tu n'es pas le seul... Moi aussi je suis mécontente de moi... Je suis bien malheureuse.

POTEMKIN.

Vous ! Grand Dieu !... Et que vous manque-t-il ? Souveraine du plus grand empire de la terre, quel désir pouvez-vous concevoir ? Quel voeu pouvez-vous former, qui ne soit à l'instant même réalisé ?

CATHERINE, avec impatience.

Quel voeu ?... Quel désir ?... Que sais-je ?... Il fut un temps où l'on s'empressait de les deviner... de les prévenir.

POTEMKIN.

Y puis-je quelque chose ? Commandez.

CATHERINE.

Eh ! Mon Dieu, non : cela ne dépend pas de vous ; vous n'y pouvez rien, ni moi non plus... Brisons là... qu'il n'en soit plus question... qu'on ne me parle plus de rien, car je sens mon humeur qui me reprend.

S'asseyant.

Quelles affaires y a-t-il ? Battons-nous, dépêchons.

POTEMKIN.

Différents arrêts des cours de justice, qu'il vous faut signer. On a condamné les révoltés de Pilten et de Courlande à trois ans de prison.   [ 12 Courlande : Région de la Lettonie.]

CATHERINE, avec humeur.

C'est bien de l'indulgence...

Écrivant et signant.

Trois ans de plus.

POTEMKIN.

Le receveur des impôts de Novogorod, accusé de concussion, à cinq années en Sibérie.

CATHERINE, de même.

Six ans de plus.

POTEMKIN.

Derschowin, écrivain pamphlétaire, gagé par la Prusse, convaincu d'avoir publié un libelle infâme contre l'auguste personne de Votre Majesté, condamné à la détention perpétuelle.

CATHERINE, sans l'écouter.

Dix ans de plus.

POTEMKIN, l'arrêtant au moment où elle va écrire.

Un instant... Je demande grâce pour ce supplément de peine.

CATHERINE, avec humeur.

Que m'importe !...

Déchirant l'arrêt.

Grâce toute entière, si vous voulez, pourvu que cela finisse.

POTEMKIN, à part.

Nouveau caprice !... Et celui-là, la postérité l'appellera de la clémence.

CATHERINE.

Est-ce tout ? Suis-je débarrassée ?

Voyant Potemkin qui lui présente un papier.

Eh bien ! Encore une signature à donner ?

POTEMKIN.

La dernière... et cette fois , votre rigueur n'aura rien à ajouter. C'est l'arrêt de mort de Pierre-Thomas Oglou, mougik au service de la princesse Waronska.

CATHERINE, d'un ton plus douce.

Ah ! Je sais... Depuis hier j'ai entendu parler de cette aventure. Mais vaguement... confusément... Donnez m'en les détails.

POTEMKIN.

Quoi ! Votre Majesté exige...

CATHERINE.

Je n'ai pas, je crois, l'habitude de signer sans savoir de quoi il est question.

POTEMKIN.

Il résulte de l'acte d'accusation que Thomas Oglou, esclave, né dans les domaines de la Princesse Irène Waronska, était placé dans son hôtel à Saint-Petersbourg comme valet de pied. Voyant tous les jours sa maîtresse, il avait conçu pour elle une passion ardente et effrénée, que rien n'avait encore décelée. Ce n'est que le vingt-sept juin dernier, d'après les dépositions des témoins, qu'il en lit l'aveu à Michel Mohilof, son camarade, cocher de la princesse : il lui confia qu'étant trop malheureux et n'ayant aucun espoir de cesser de l'être, il voulait le lendemain aller se jeter dans la Néva. Le soir même, il distribua à tous les gens de la maison l'argent et le peu d'effets qui lui appartenaient. Le jour d'ensuite, vingt-huit juin, jour de la Sainte-Irène, patronne de la princesse, il alla de bon matin se confesser, se dirigea ensuite vers la Néva, où il fut aperçu par deux bateliers; mais il paraît qu'avant d'exécuter son dessein, il voulut encore une fois revoir sa maîtresse, et il retourna sur les dix heures à l'hôtel.

CATHERINE.

Achevez.

POTEMKIN.

Le majordome, en le voyant, le gronda de son absence, de sa paresse, et le mit de service à la porte de la chambre de bain, où était la princesse. Il paraît alors que ce misérable, profitant d'un moment où les femmes de chambre venaient de sortir, se rendit coupable de l'attentat pour lequel la Cour suprême vient de le condamner à mort.

CATHERINE.

Et ce crime est bien prouvé ?

POTEMKIN.

Il ne peut y avoir de doute, puisque lui-même en convient et reconnaît que son châtiment est juste. Vous pouvez voir sa déposition consignée dans cet arrêt qui n'attend plus que votre signature.

CATHERINE, jetant la plume.

Je ne la donnerai pas.

POTEMKIN.

Y pensez-vous ?

CATHERINE.

Oui, certainement. Cet homme est plus malheureux que coupable. Je vois là-dedans beaucoup de circonstances atténuantes. Rien de sa part n'était prémédité ; et si jamais, selon moi, il y a eu un cas graciable, c'est celui-là.

POTEMKIN.

Votre Majesté ne parle pas sérieusement ?

CATHERINE, vivement.

Si, monsieur. Je suis maîtresse, j'espère, de commuer l'arrêt. Si vous aviez lu le traité des délits et des peines que j'ai traduit de Beccaria, vous verriez qu'il faut encore quelque proportion et quelque rapport entre l'offense et le châtiment. Quel est son crime à ce garçon ? Un caractère trop impétueux, trop ardent, trop brûlant. Hé bien ! Qu'on l'envoie en Sibérie, et qu'on ne m'en parle plus.   [ 13 Cesare Beccaria (1738-1794) a écrit "Des délits et des peines" qui eut une grande réputation.]

POTEMKIN.

Mais la famille Waronska est puissante et considérée. Ils vont tous jeter les hauts cris ; la princesse se plaindra.

CATHERINE, s'échauffant.

Et de quoi ? Que veut-elle de plus ? Elle est bien exigeante. Le crime est puni, la vertu récompensée ; la sienne est reconnue, constatée par un jugement authentique. Je connais d'ailleurs son amour-propre , qui égale au moins sa pruderie ; et si l'orgueil du nom fait bruit d'un tel outrage, soyez sûr qu'au fond du coeur sa vanité s'en réjouit.

POTEMKIN.

Et en quoi ?

CATHERINE, avec impatience.

En quoi ?... Vous ne comprenez rien. Croyez-vous qu'elle ne soit pas fière d'avoir inspiré un tel amour ? Une passion si grande, si excessive, qu'elle devient du délire , du fanatisme, et ne compte plus la vie pour rien. Je connais des femmes, qui à coup sûr valent mieux qu'elle , qui ont plus de beauté, de talents, de mérite, et qui ne sont pas si heureuses, qui n'ont jamais été aimées ainsi.

POTEMKIN.

Ah ! Madame...

CATHERINE.

Je ne dis pas cela pour moi. Mais enfin vous prétendiez tout à l'heure que rien n'égalait ma puissance ; va-t-elle jusqu'à faire naître de pareils sentiments ? Non sans doute. Elle n'est donc pas illimitée ; elle a donc des bornes, ce qui est toujours humiliant à s'avouer.

POTEMKIN.

Est-il possible ?

CATHERINE.

Oui, Monsieur, c'est un fait. Vous m'attestiez dans l'instant encore que je n'avais qu'à commander, qu'à désirer... propos ordinaire des courtisans. Eh bien ! Voilà cependant un désir, un voeu impossible à réaliser ; et ce qui pourrait arriver à la dernière femme de mes États ne m'arrivera pas à moi... Pourquoi ? Parce que je suis impératrice. C'est donc une exception, une exclusion formelle que je dois à mon rang, à ma dignité. Et on me vantera encore les prérogatives et les avantages de la grandeur ! Tenez, je déteste la Cour, la flatterie, l'adulation dont on m'entoure, et je suis bien malheureuse.

POTEMKIN, à part.

Je ne m'attendais pas à celui-là.

Haut.

Comment, Madame, c'est là le chagrin qui préoccupait Votre Majesté ?

CATHERINE, avec emportement.

Eh bien ! Monsieur, puisque vous m'avez forcée à en convenir... Cette idée-là depuis hier me poursuit et me fâche. Vous me direz que c'est de la susceptibilité : cela se peut ; mais cela est ainsi, et que ce secret que je vous confie ne sorte jamais de votre sein, ou sinon...

POTEMKIN.

N'en ai-je pas conservé fidèlement de plus sacrés et de plus importants encore, si c'est possible ? Mais après tout, on a vu tant de choses si extraordinaires ! Il ne faut désespérer de rien : tout peut arriver.

CATHERINE.

Tout m'arrive dans le monde, excepté cela ; et voilà justement ce qui m'irrite, ce qui cause mon dépit ; car plus j'y songe...

POTEMKIN.

Et pourquoi y songer ? Au lieu de s'occuper d'une pareille idée, je chercherais plutôt à l'éloigner. Votre Majesté peut trouver, non pas tout-à-fait dans ce genre-là, mais à peu près, tant de distractions, tant d'autres plaisirs !

CATHERINE.

Aucun, Monsieur, aucun. Caprice, fantaisie, bizarrerie, si vous voulez ; il n'y a que celui-là qui me plaise, qui sourit à mon ambition, précisément parce que c'est impossible ; et puisqu'il est dit qu'ici-bas, au sein même du bonheur, on doit éternellement désirer quelque chose, ce sera toujours mon rêve, ma chimère, mon idée fixe, cela et Constantinople.

POTEMKIN, vivement.

Constantinople vaut mieux ; et si Votre Majesté veut en croire mes conseils, si, revenant à des objets sérieux, elle me permet de lui rappeler encore l'organisation de la Crimée ; c'est de ses ports que sortiront les flottes qui vous conduiront à Byzance. Je ne vous demande pour cela que trois ans ; que pendant trois ans je commande dans ces riches contrées...

CATHERINE.

Non, je vous l'ai dit.

POTEMKIN.

Et quelles raisons ?

CATHERINE.

Jamais ; et puisque ce gouvernement vous plaît tant, puisque c'est là l'objet de vos voeux... Et vous aussi vous désirerez quelque chose... Vous ne l'aurez pas.

POTEMKIN.

Mais, Madame...

CATHERINE.

Qu'on me laisse. Je retourne à l'ermitage, dans mon cabinet. J'y resterai seule toute la journée ; qu'on ne m'y dérange point ; que personne ne s'y présente, pas même vous. Je suis mécontente, très mécontente. Adieu, prince Potemkin, adieu.

Elle sort.

SCÈNE IV.

POTEMKIN, resté seul, la regarde sortir et se jette avec colère sur un fauteuil.

Inconcevable ! Inouïe ! Voilà de toutes les fantaisies impériales la plus curieuse que j'aie encore vue, et j'en rirais comme un fou si je n'étais furieux.

Ramassant les papiers épars sur la table et se promenant d'un air agité.

Elle le veut comme tout ce qu'elle veut, comme souveraine absolue, comme autocrate et comme femme ! Et la voilà inabordable et de mauvaise humeur pour huit jours, pour quinze jours, jusqu'à ce qu'une autre fantaisie ait remplacé celle-ci ; fantaisie aussi absurde peut-être, mais qui du moins, je l'espère, sera possible ; car, quelque adroit, quelque habile courtisan que l'on soit, il n'y a pas moyen, cette fois, de lui donner satisfaction ; et c'est de là pourtant que dépend mon gouvernement de la Crimée, l'accomplissement de mes desseins, et qui sait ? la gloire de Catherine et la prospérité de l'empire.

Mettant sa tête dans ses mains.

Profonds politiques, savants diplomates, méditez, dessèche : les fibres de votre cerveau, prévoyez tous les obstacles, pour voir toutes vos combinaisons dérangées par un hasard, par un caprice de femme !

Levant la tête.

Qui vient là ?

SCÈNE V.
Potemkim, Mouravieff.

Il lève les yeux et voit Mouravieff qui est entré sans qu'il l'ait entendu, et qui est debout immobile auprès de lui.

MOURAVIEFF.

C'est moi, général.

POTEMKIN.

Encore toi ? Qui t'amène?

MOURAVIEFF.

Vous m'avez dit de revenir dans deux heures pour mon congé.

POTEMKIN.

C'est vrai ! Je n'ai pas eu le temps d'y penser ; va-t'en au diable.

Mouravieff porte la main à son bonnet, fait un demi-tour à droite, et va pour sortir.

Eh bien ! Où vas-tu ? Reviens ici.

Mouravieff fait un demi-tour à gauche, deux pas en avant, et reste immobile comme sous les armes, en attendant le commandement. Potemkin assis, et le coude appuyé sur le bras du fauteuil, le regarde en silence et l'examine de la tête aux pieds.

C'est pourtant avec cela que l'on gagne des empires et que l'on fonde des dynasties ! Et le sang épais qui coule dans ses veines serait le même que celui d'un noble ou d'un prince ! Non, quoi qu'en disent les philosophes de France, nous ne sommes pas pétris du même limon. Je suis leur seigneur et maître parle fait, par le droit et par la pensée, qui soumet ces machines vivantes, et les force, comme mon cheval de bataille ou comme mon mousquet, à obéir au mouvement que ma main leur imprime, ou que ma volonté leur donne.

À Mouravieff, et comme pour essayer son pouvoir sur lui.

En avant, - marche. - Halte-là,

Mouravieff marche ou s'arrête au commandement. Potemkin, regardant toujours et continuant a réfléchir.

Immobile image de l'obéissance passive, on peut tout lui prescrire. Avec de tels soldats on peut tout entreprendre, tout oser. Oui, j'oserai.

Haut.

Écoute ici : où étais-tu en garnison ?

MOURAVIEFF.

À Smolensk.

POTEMKIN.

Es-tu venu à Saint-Petersbourg ?

MOURAVIEFF.

Jamais.

POTEMKIN.

C'est bien ?

Se levant.

Fais attention à la consigne que je vais te donner, et n'y manque en aucun point ; ou sinon, tu me connais... Tu sais que Potemkin n'a jamais menacé en vain.

MOURAVIEFF.

Oui, général.

POTEMKIN, montrant la porte secrète par laquelle est sortie l'impératrice.

Tu vas passer par cette porte.

MOURAVIEFF.

Oui, général.

POTEMKIN.

Au bout d'un long corridor, tu trouveras un factionnaire qui te dira : halte-là !

MOURAVIEFF.

Oui, général.

POTEMKIN.

Tu répondras par ces trois mots d'ordre : Courage, cosaque et Constantinople.

MOURAVIEFF.

Oui, général.

POTEMKIN.

Répète-les.

MOURAVIEFF, hésitant.

Courage, Cosaque et Constantinople.

POTEMKIN.

À merveille ! Il est plus fort en intelligence que je ne le croyais. - Il te laissera passer ; tu te trouveras dans une immense galerie où il y a des livres, des statues, des tableaux ; tu la traverseras sans rien regarder.

MOURAVIEFF.

Oui, général.

POTEMKIN.

Et tout à l'extrémité de cette galerie est une petite porte en bronze dont voici la clef. Prends-la.

MOURAVIEFF.

Oui, général.

POTEMKIN.

Tu l'ouvriras ; tu entreras, tu refermeras sur toi deux verrous en cuivre doré qui sont en dedans.

MOURAVIEFF.

Oui, général.

POTEMKIN.

Tu trouveras dans ce cabinet une femme en robe de velours nacarat, avec cinq gros diamants dans les cheveux. Elle sera assise devant une table, occupée à travailler ou couchée sur un sofa.

MOURAVIEFF.

Oui, général.

POTEMKIN.

Elle te demandera qui tu es, d'où tu viens ? Tu ne répondras pas ; et qu'elle y consente ou non, il faut qu'elle soit à toi, qu'elle t'appartienne.

MOURAVIEFF, étonné.

Comment, général ?

POTEMKIN.

C'est la consigne ! Et elle aura beau sonner ou appeler, ta consigne avant tout.

MOURAVIEFF.

Oui, général.

POTEMKIN.

Et si tu y manquais, demain le knout.

MOURAVIEFF.

Oui, général.

POTEMKIN.

Ce soir, ton congé et cinquante roubles ; entends-tu ?

MOURAVIEFF.

J'entends.

MOURAVIEFF.

Attention ! Fixe. - Pas accéléré, marche.

Mouravieff sort au pas accéléré par la petite porte à droite. Potemkin sort par le fond et dit en riant.

Dieu protège la Russie et l'Impératrice !

SCÈNE VI.
Catherine, Potemkin, Le Prince de Ligne, La Comtesse Branitzka, Le Comte Momonoff.

Le soir du même jour à dix heures. - Un salon de l'ermitage magnifiquement éclairé. Toute la Cour est assemblée. Les ambassadeurs de Prusse et d'Angleterre causent avec la Comtesse_Branitzka et d'autres dames. L'impératrice est assise sur un divan, prés de la cheminée ; sa tête est appuyée sur sa main. - À côté d'elle est un jeune homme de vingt-cinq ans, d'une figure charmante, le Comte Momonoff, qui ne dit rien et compte les rosaces du plafond. Le Prince-de_Ligne est debout, tournant le dos au feu, et parle avec vivacité à Catherine, qui l'écoute d'un air distrait et comme absorbée par ses réflexions. - Parait Potemkin en uniforme très brillant : il porte le grand cordon de l'ordre militaire de Saint-Georges, d'autres ordres de l'empire et le portrait de Catherine étincelant de diamants ; il entre la tête haute, adresse à la Comtesse Branitzka un sourire d'amitié ; fait de la main un geste de protection au Comte Momonoff, et salue les ministres et les ambassadeurs. Il s'avance près de l'Impératrice, devant laquelle il s'incline en souriant et sans parler.

CATHERINE.

Eh ! Mon Dieu, Prince Potemkin, d'où vient cet air de triomphe et de contentement ?

POTEMKIN.

Mon auguste souveraine est-elle satisfaite de sa journée ?

CATHERINE, le regardant d'un air étonné.

Que voulez-vous dire ?

POTEMKIN, appuyant sur ses mots.

J'espère que Votre Majesté n'a plus de voeu à former ?

CATHERINE.

Comment cela !

POTEMKIN, avec galanterie.

Il ne dépendra jamais de moi, du moins, que tous ses désirs ne soient prévenus.

CATHERINE, riant en rougissant.

Eh quoi ! Cela venait de vous !... J'aurais dû m'en douter. Il n'y a au monde que le prince Potemkin pour des surprises pareilles.

LE PRINCE DE LIGNE.

Qu'est-ce donc ?

LA COMTESSE BRANITZKA, regardant son oncle.

Quelque flatterie sans doute.

CATHERINE.

Précisément ! Une galanterie d'une originalité et d'une délicatesse dont personne n'aurait eu l'idée !

LE PRlNGE DE LIGNE, montrant Potemkin.

Il est bienheureux !

POTEMKIN, souriant.

Ce n'est pas moi qui l'ai été le plus.

MOMONOFF, naïvement.

Comment cela ?

CATHERINE, riant.

Oh ! Vous, Comte Momonoff, vous ne pouvez le savoir. Je regrette seulement de ne pas le dire au prince de Ligne ; j'en suis désolée, mais en vérité, c'est impossible.

LE PRINCE DE LIGNE.

Impossible ! C'est un mot que je croyais rayé du dictionnaire russe, depuis que Catherine est sur le trône.

CATHERINE.

D'aujourd'hui, en effet, je commence à le croire ; je n'ai qu'à parler pour être obéie ! - Prince Potemkin, avant notre partie de whist, je veux vous annoncer ce soir, et devant ces messieurs, que nous vous avons nommé au gouvernement général de la Crimée.   [ 14 Whist : Sorte de jeu de cartes qui se joue à quatre personnes, deux contre deux ou à trois, avec un mort. [L]]

POTEMKIN, s'inclinant.

Ah ! Madame !

LA COMTESSE BRANITZKA, bas à son oncle.

Ambitieux que vous êtes, vous voilà heureux !

POTEMKIN, à part.

Ce n'est pas sans peine ! Jamais province n'a été plus difficile à conquérir.

CATHERINE, à Potemkin.

Approchez, Prince, j'ai à vous parler.

Faisant signe au autres personnes de s'éloigner.

Messieurs, de grâce, un instant.

LE PRINCE DE LIGNE.

Elle veut lui donner des instructions pour l'organisation de la Crimée.

L'AMBASSADEUR D'ANGLETERRE, avec assurance.

Ou plutôt elle lui dicte la réponse à ma note de ce matin.

MOMONOFF, timidement.

Je crois qu'elle lui fait part d'un plan de campagne contre la France qu'elle est décidée à combattre.

LE PRINCE DE LIGNE.

Quelle femme étonnante ! Quel génie !

L'AMBASSADEUR DE PRUSSE.

Quelle profondeur !

LE COMTE MOMONOFF, avec candeur.

C'est prodigieux !

POTEMKIN, riant et continuant la conversation.

Votre Majesté a donc été bien étonnée de voir ainsi ses souhaits réalisés ?

CATHERINE, avec embarras.

Mais, réalisés... jusqu'à un certain point.

POTEMKIN, sévèrement.

Est-ce que mes ordres n'auraient pas été rigoureusement exécutés ? Est-ce qu'il aurait osé manquer à la consigne que je lui avais donnée ?

CATHERINE, vivement.

Non pas ! Non pas ! Le pauvre garçon ! Il n'y a pas de sa faute, mais de la mienne peut-être.

POTEMKIN.

Comment cela ?

CATHERINE.

Oh ! C'est que d'abord j'étais furieuse ; mais en le voyant braver mes menaces et ma colère avec tant d'audace et d'intrépidité... car il n'y a vraiment que le soldat russe pour un sang-froid pareil. Et l'on est fière de commander à de tels hommes.

POTEMKIN.

Eh bien ?

CATHERINE, avec embarras et cherchant ses expressions.

Eh bien ! Il m'a intéressée malgré moi ; mon courroux s'est dissipé. Enfin... que vous dirais-je ? Je crois vraiment que mon voeu est encore à se réaliser.

POTEMKIN, riant.

Je vois alors, et quoi qu'on ose tenter, que la majesté royale est décidément... inviolable !

 



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Notes

[1] Ukase : Édit promulgué par le tsar.

[2] Hetman : Chef de l'armée polonaise entre le XVème au XVIIIème siècle.

[3] Azov : Ville de Russie, située dans l'oblast de Rostov. Elle est arrosée par le Don et donne son nom à la mer en amont de la Mer Noire

[4] Kherson : vielle d'Ukraine à l'embouchure du Dniepr sur la mer Noire, à l'est d'Odessa.

[5] Moujik : Nom des paysans russes. [L]

[6] Kopeck : monnaie russe, elle vaut un centième de rouble.

[7] Knout : Instrument de supplice, chez les Russes, composé de plusieurs nerfs de boeuf fortement entrelacés et terminés par des crochets en fer ; il sert à infliger les châtiments légaux. [L]

[8] Alexandre Vassilievitch Souvorov (1730-1800) : général russe, célèbre parce qu'il ne fut jamais vaincu, mena la campagne de Ismailov en 1790 située à l'embouchure du Danube.

[9] Astrakan : Ville de l'oblast du même nom, situé au biord de ma Mer Caspienne à l'embouchure de la Volga.

[10] Comte Alexandre Matveïevitch Dmitriev-Mamonov (1758-1803) : militaire qui eut les faveurs de la tsarine Catherine par l'intermédiaire de Potemkin.

[11] Piltene : Ville de Letonnie à l'ouest de Riga, et appartenait au Duché de Courlande.

[12] Courlande : Région de la Lettonie.

[13] Cesare Beccaria (1738-1794) a écrit "Des délits et des peines" qui eut une grande réputation.

[14] Whist : Sorte de jeu de cartes qui se joue à quatre personnes, deux contre deux ou à trois, avec un mort. [L]

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