QUARANTE-SEPTIÈME PROVERBE.
Trois livres le Volume.
M. DCC. LXXI. Avec Approbation et Privilège du Roi.
de CARMONTELLE.
À PARIS, chez Sébastien JORRY, vis à vis le Comédie Française, chez Le JAY, rue Saint Jacques, près celle des Mathurins.
Texte établi par Paul FIEVRE mai 2021.
Publié par Paul FIEVRE juin 2021.
© Théâtre classique - Version du texte du 28/02/2024 à 23:49:42.
PERSONNAGES
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN. Habit gris, uni ; veste blanche, chapeau uni, couteau-de-chasse, point de poudre.
PAULINE, femme de Monsieur de Saint-Firmin. Petite robe à peigner, manteau noir, grand bonnet, point de poudre.
MONSIEUR VINCENT, Tapissier-Fripier. Habit, veste brune, perruque en bonnet, grande, chapeau et canne.
DUPRÉ, valet-de-chambre de l'oncle de Monsieur de Saint-Firmin. En deuil, avec une épée.
DUMONT, ami de Dupré, vieil habit rouge, chapeau bordé et une épée.
UN HUISSIER, Habit noir.
UN COMMISSAIRE, En robe.
UN CLERC, Petit habit vert, veste noire, chapeau, épée.
DES ARCHERS, Habits bleus, parements rouges, boutons de cuivre.
La Scène est chez Monsieur de Saint-Firmin, dans un appartement très simple.
Texte extrait de "Proverbes dramatiques...", Louis de Carmontelle, Paris : Jorry, Lejay, 1774. pp. 145-176.
LES ÉPOUX MALHEUREUX
SCÈNE PREMIÈRE.
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN est étonné, en entrant, de ne voir personne.
Quoi, Pauline n'est point ici ! Pauline, Pauline ? Que peut-elle être devenue ? Comment a-t-elle pu se résoudre à sortir sans moi ? Elle ne saurait être loin. Elle craindrait trop de m'alarmer. Quelle femme pourrait être aussi sensible ! Sa tendresse pour moi... Sa tendresse !... Et j'ai fait son malheur, moi !... Oui, c'est mon amour... Ah ! Pauline ! Loin de me le reprocher, le tien, pour moi, semble augmenter encore ! Quelle union devait être plus heureuse ! Mais relisons la lettre que j'écris à mon oncle ; non, son âme ne saurait être toujours sans pitié ! Que Pauline ignore, du moins, mon projet, s'il ne réussit pas.
Il s'assied, une table devant lui, sur laquelle il y a un écritoire, et il tire de sa poche un papier qu'il lit.
« Vous êtes bien vengé, Monsieur, de ma désobéissance, j'ai fait le malheur de tout ce que j'aime ; Pauline languit avec moi, dans la plus affreuse misère : sans avoir su mes torts envers vous, elle en partage la punition. Oui, Monsieur, elle se reproche sans cesse d'être la cause, quoique innocente, qui m'a fait encourir votre indignation. Pourquoi, sans la connaître, avoir refusé votre consentement à notre mariage, et m'avoir forcé, par cette résistance, à vous demander les biens dont vous ne vous étiez chargé que par bonté, par amitié pour moi ? Ils m'ont été ravis ces biens, par un monstre qui, sous le nom d'ami, a trahi ma confiance. Ce n'est pas pour moi que j'implore votre pitié ; c'est pour une femme vertueuse que j'adore, que vous aimeriez si vous la connaissiez. Doit-elle être la victime de mon imprudence ? Ah, mon oncle ! Ce n'est point ma grâce que je demande, mon repentir ne suffit pas ; mais Pauline mérite vos bontés ; souffrez qu'elle aille vous trouver, soyez l'asile de la vertu... » Mais j'entends quelqu'un... C'est elle-même.
Il serre sa lettre dans sa poche.
SCÈNE II.
Pauline, Monsieur de Saint-Firmin.
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Ah, chère Pauline, en quel état vous voilà ! Quel accablement ! Que vous est-il donc arrivé ?
PAULINE, s'asseyant.
Ah, Saint-Firmin, laissez moi respirer !... Je suis horriblement fatiguée !
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Je ne comprends pas pourquoi, seule, vous avez pu vous hasarder au milieu des embarras, du tumulte... Vous, heurtée, sans égards, froissée par la foule... dédaignée par ces âmes méprisables qui ne se sont enrichies qu'à force de bassesses : la vertu rampe quand le vice triomphe, et c'est à moi que vos devez cette humiliation !
PAULINE.
Ah ! Que vous augmentez ma peine, en voulant vous rendre seul coupable de nos maux ! Et sans moi, les auriez-vous éprouvés ? Au nom de notre amour, cessez...
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Eh bien, Chère Pauline, je vous obéirai ; vous triompherez toujours de moi. Mais dites, je vous prie, qu'est-ce qui a pu vous déterminer à sortir ?
PAULINE.
Le désir d'adoucir tes maux ; mais, Saint-Firmin, il n'y a plus d'amitié sur la terre ! Ses serments n'ont plus rien de sacré ! Conservons précieusement cet amour qui nous reste.
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Et c'est cet amour qui te perd !
PAULINE.
Lui ? Non : le bonheur affaiblit souvent l'amour ; mais notre malheur m'attache encore plus vivement à toi : dans tes bras, il n'ose me poursuivre.
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Que d'amour ! Que de courage !
PAULINE.
Nous en avons besoin. Écoute-moi. Effrayée de la cruelle situation où mon amour t'a réduit ; prêts d'être accablés par les créanciers du malheureux à qui nous nous sommes confiés, et pour qui nous avons répondu, à peine as-tu été sorti, qu'il m'est venu dans la pensée que nous pourrions peut-être recouvrer nos effets.
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Comment ?...
PAULINE.
Julie, avec qui j'ai été au Couvent, l'amie la plus tendre que j'aie eue de ma vie, Julie, ai-je dit, est à Paris, femme d'un homme en place, son crédit pourra nous servir. Je crois déjà voir dissiper tes maux, Julie va les adoucir, son amitié pour moi me fait tout espérer. Je sors, je cherche sa demeure ; un vaste hôtel, une suite nombreuse m'assurent qu'elle jouit de l'état le plus brillant, j'applaudis à son bonheur, mon coeur le partage et me fait penser que je vais l'augmenter en la revoyant. La simplicité de mon vêtement jette dans l'erreur celui qui me conduit, il me mène chez les femmes de Julie, je me fais annoncer sous ton nom, pour jouir de sa surprise et de toute la joie qu'elle aura de me revoir. J'entre, je lui parle ; mais, Dieux ! Son âme n'est plus sensible au son de ma voix ; à peine daigne-t-elle me regarder. Que voulez-vous, me dit-elle ? Sa froideur me pénètre de douleur, la force m'abandonne, je ne puis répondre ; elle réitère ses questions. Voyez, lui dis-je avec peine, c'est Pauline, n'êtes-vous plus Julie ? Pauline ! Pauline ! reprend-elle sèchement, qu'on lui donne un siège, et laissez-nous. Je respire, je me flatte qu'elle va se jeter dans mes bras ; mais continuant avec la même indifférence, dans quel état vous voilà ! Que vous est-il donc arrivé ? D'éprouver ce que l'ingratitude a de plus affreux ! De ne voir en vous qu'une âme hautaine au lieu d'une âme sensible que j'espérais y trouver : je vous plains, ai-je ajouté en me levant, de ce que la fortune a entièrement changé votre coeur. Dans cet instant un jeune homme est entré avec fracas ; je suis sortie, elle m'a suivie, en me disant voilà dix louis, peuvent-ils vous être utiles ? Non, ai-je répondu fièrement, je les recevrais avec transport des mains de l'amitié, je les refuse avec mépris, de celles de l'orgueil. Et la mort dans l'âme, je me suis traînée jusqu'ici, où je te trouve, tes regards me consolent, et ton amour effacera sûrement le souvenir d'un procédé aussi humiliant et aussi affligeant pour l'humanité.
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Ô femme, toujours respectable ! Que vis-à-vis de Julie, dans votre infortune, vous étiez au-dessus d'elle !
PAULINE.
Mais vous, qu'avez-vous fait ? Que vous a dit Virteil ?
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Rien, je ne l'ai pas vu. Il vient d'avoir un Régiment, et dans la joie de s'y aller faire recevoir, il est parti tout de suite.
PAULINE.
Eh bien, qu'une sage économie nous soutienne jusqu'à ce que...
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Sans argent, sans ressources...
PAULINE.
Sachons nous restreindre au seul nécessaire ; dans cette solitude ; nous ne craindrons pas les regards de ceux qui veulent qu'on rougisse de n'avoir plus que de la vertu.
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Ah, certainement, loin de nous chercher ; ils nous fuiront ; mais j'entends quelqu'un ; c'est le tapissier de cet indigne Préval ; que veut-il ?
SCÈNE III.
Monsieur de Saint-Firmin, Pauline, Monsieur Vincent.
MONSIEUR VINCENT.
Monsieur, si je ne me trompe, est Monsieur de Saint-Firmin ?
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Oui, Monsieur Vincent ; que voulez-vous ?
MONSIEUR VINCENT.
Monsieur de Préval, Monsieur, qui m'a chargé de vous fournir tout l'ameublement de la maison que vous occupiez, est parti sans me le payer, et, sans doute, c'est à vous que je dois m'adresser ; voilà le Mémoire.
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Mais, je lui ai compté cet argent.
MONSIEUR VINCENT.
Comme je ne l'ai pas reçu, c'est contre vous, Monsieur, que je dois avoir mon recours.
PAULINE.
Ah ! Saint-Firmin, chaque jour accroît notre malheur.
MONSIEUR VINCENT.
Madame, je suis au désespoir de vous chagriner ; mais Monsieur de Préval m'a ruiné ! Ma famille est languissante, mourant de faim, et l'on vient d'obtenir un arrêt de prise de corps contre moi, si d'ici à deux jours, je ne paye mille écus.
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Votre peine augmente encore la nôtre, Monsieur Vincent. Vous voyez les débris d'une fortune entièrement ruinée par le même homme, et nous sommes sans secours.
MONSIEUR VINCENT.
Effectivement, je ne vois pas un des meubles que j'ai fournis.
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Nous les avons vendus pour payer quelques malheureux domestiques et pour subsister.
MONSIEUR VINCENT.
Quoi, Monsieur, vous n'aviez pas des amis puissants qui pourraient vous aider encore ?
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Des amis ! Avez-vous vécu jusqu'à présent sans mieux connaître les hommes ? Amis, parents, tout nous abandonne.
MONSIEUR VINCENT.
Pour moi, je saurai mourir dans la prison qu'on me destine, ce n'est avancer que de peu de temps ma dernière heure ; mais ma femme, mes enfants.
PAULINE, à Monsieur de Saint-Firmin.
La situation de cet homme me pénètre de douleur !
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN, après avoir rêvé.
Eh bien, Monsieur Vincent, reprenez courage ; j'espère pouvoir vous tirer de peine.
PAULINE.
Ah, Saint-Firmin, serait-il possible ?
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Oui, je sais un homme qui connaît les biens qui doivent un jour me revenir, je prendrai avec lui tous les arrangements qu'il voudra.
MONSIEUR VINCENT.
Quoi, Monsieur ?...
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Vous ne devez pas être la victime de notre imprudence. Allez, dans peu j'ose me flatter de pouvoir vous délivrer de toutes vos craintes.
MONSIEUR VINCENT.
Monsieur, oserais-je vous demander combien je dois attendre encore ?
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
La journée ne se passera pas, sans que vous ayez de mes nouvelles.
MONSIEUR VINCENT.
Monsieur, que ne vous devrai-je pas !
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Je ne fais que ce que je dois.
PAULINE.
Mais, Saint-Firmin, quel est donc cet homme sur qui vous comptez ?
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Un homme à qui je n'avais pas pensé pour nous ; mais que le désir de soulager Monsieur Vincent m'a rappelé, et qui nous sera sûrement utile, c'est Monsieur Warthon.
MONSIEUR VINCENT.
Monsieur Warthon ?
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Oui.
MONSIEUR VINCENT.
Le Banquier ?
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Lui-même.
MONSIEUR VINCENT.
C'est sur lui que vous comptez ?
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Assurément.
MONSIEUR VINCENT.
Ah ! Monsieur, nous sommes perdus !
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Comment ?
MONSIEUR VINCENT.
Hélas ! Monsieur, depuis deux jours, il a fait banqueroute.
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Juste Dieux !
PAULINE.
Tout se réunit contre nous !
MONSIEUR VINCENT.
Adieu, Monsieur et Madame, je suis au désespoir de vous avoir chagrinés, ce n'était pas mon dessein ; je vous en demande bien pardon.
SCÈNE IV.
Monsieur de Saint-Firmin, Pauline.
PAULINE.
Ce malheureux Vincent augmente encore ma peine ! On peut supporter ses maux ; mais causer ceux des autres est aussi trop affreux !
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Ah ! Si le Ciel nous favorise quelque jour, je sens que toutes les épreuves que nous aurons souffertes seront un bien pour moi, puisqu'elles me font connaître l'excellence de ton coeur et la délicatesse de ton âme.
PAULINE.
C'est mon amour pour toi...
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Ah ! Tu méritais un meilleur sort ! Qu'il est cruel de voir souffrir celle qui n'est faite que pour faire le bonheur de tous ceux qui la connaissent !
PAULINE.
Eh, ne fais-je pas le tien ? Que me faut-il de plus ?
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
N'être pas en proie du moins à l'affreuse nécessité ; mais tâchons de nous y soustraire ; voyons ensemble ce qui nous reste dont nous puissions subsister.
PAULINE.
J'ai prévenu ton projet, viens et tu verras... Mais on frappe fortement ; qui pourrait-ce être ?
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Je ne sais. Entrez.
SCÈNE V.
Monsieur de Saint-Firmin, Pauline, Un Huissier, Un Commissaire, Un Clerc, des Archers.
PAULINE.
Que vois-je ! Que nous veut-on ?
L'HUISSIER.
Monsieur, en vertu d'une sentence obtenue par défaut...
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Par défaut, Monsieur ? Je n'ai pas la moindre connaissance...
L'HUISSIER.
L'assignation vous a pourtant été signifiée.
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Je n'en ai point reçu.
L'HUISSIER.
Cela ne fait rien, Monsieur.
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Comment, cela ne fait rien ?
L'HUISSIER.
Non, Monsieur, la Sentence est rendue et elle va être exécutée.
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Est-ce de la part de Monsieur Vincent ?
L'HUISSIER.
Non ; Monsieur Vincent avait bien été mis, par le Procureur de la Direction, au nombre des créancier du sieur de Préval ; mais il vient, dans l'instant, de se désister de ses poursuites.
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Monsieur Vincent ?
L'HUISSIER.
Oui, Monsieur, apparemment que vous l'avez satisfait ?
PAULINE.
Ah ! Saint-Firmin, quoi, ce Monsieur Vincent, dans l'état ou il est, a été capable... Quelle âme honnête et sensible !
L'HUISSIER.
Monsieur, si vous pouvez aussi satisfaire les autres créanciers, je suis prêt à vous donner main-levée pour la saisie de vos meubles, en payant tous les frais.
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Hélas ! Monsieur, nous ne possédons rien ! Le malheureux Préval s'est emparé de tout ce que nous avions.
L'HUISSIER.
En ce cas, lesdits meubles vont être exécutés et vendus à l'encan, je vais les faire enlever.
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Monsieur, je vous prie en grâce d'attendre encore...
L'HUISSIER.
Cela ne se peut pas retarder un seul moment. Allons vous autres, ne perdez pas de temps ; démeublez cette chambre voisine par l'autre porte ; pendant ce temps-là, nous démeublerons celle-ci.
Il écrit en allant et venant.
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Ah, Monsieur, par pitié, écoutez-moi.
L'HUISSIER.
C'est inutile, je n'entends rien, je dois faire mon devoir.
PAULINE.
Et qui peut vous faire choisir à vous, et à à vos pareils, un métier aussi détestable ?
L'HUISSIER.
La nécessité de vivre, Madame.
PAULINE.
La nécessité de vivre ? Et comment vit-on au milieu de pareilles horreurs ?
L'HUISSIER.
Ah, Madame, on se fait à tout.
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Laisse, laisse ces inhumains, Pauline. Méritent-ils seulement tes regards ? Oublions qu'il y a de tels hommes au monde ; détournons nos yeux de dessus eux ; viens, appuie-toi contre cette fenêtre ; nous verrons dans ce Peuple qui s'agite, des gens plus estimables, que le travail soutient contre l'infortune. Cette ressource nous manque ; mais si le Ciel ordonne que nous vivions encore, sans doute qu'il nous prépare des recours que nous ne prévoyons pas.
Ils s'appuient tous les deux contre la fenêtre, pendant qu'on de meuble l'appartement. L'on emporte tout et l'on ne laisse que la paille du lit, que l'on jette dans la chambre où ils sont.
UN ARCHER, à l'Huissier.
Nous avons fini, Monsieur.
L'HUISSIER.
Il n'y a plus rien ?
IIe. ARCHER.
Non, Monsieur.
L'HUISSIER.
Allons-nous-en. Monsieur et Madame, je vous souhaite bien le bonjour.
SCÈNE VI.
Monsieur de Saint-Firmin, Pauline.
PAULINE, se retournant, et ne voyant plus que la paille.
Ô Dieux ! Voilà donc tout ce qui nous reste pour meubles et pour aliment !
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Chère Pauline, que dis-tu ?
PAULINE.
Mes forces m'abandonnent, les derniers efforts du courage épuisent ma constance.
Elle tombe sur la paille, et elle s'évanouit dans les bras de Monsieur de Saint-Firmin.
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Elle perd connaissance ! Malheureux que je suis ! Pauline ? Ma chère Pauline, attends encore, ne meurs pas sans moi. Quel affreux moment, et quel secours lui donner ?
Il tire un flacon de sa poche. Pauline fait un mouvement sans revenir tout-à-fait. Monsieur de Saint-Firmin regarde l'or de la garniture du flacon avec une espèce de joie.
Mais, Dieux, que vois-je ? Est-ce vous qui m'inspirez ? L'or de ce flacon m'offre-t-il une ressource ? Il est peut-être temps encore.
Il porte, une seconde fois, le flacon au nez de Pauline.
Pauline ?
Elle se ranime, regarde autour d'elle, et elle est prête de retomber.
Ma chère Pauline, rappelle ton courage ; l'espoir renaît dans mon âme ; hâte-toi de le partager.
Elle se relève et s'appuie sur Monsieur de Saint-Firmin.
PAULINE.
Hélas ! D'où peut-il te venir, après tout ce que nous avons perdu ?
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Tu le sauras, le temps me presse.
PAULINE.
Explique-toi.
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Permets que je te quitte et sois sans crainte ; je ne peux ni vivre ni mourir sans toi.
PAULINE.
Je ne crains pas que tu m'abandonnes.
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Pourquoi donc prononcer ce mot ? Mais ne me retiens pas davantage. Adieu.
Il s'en va.
PAULINE.
Ô ciel !
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN, revenant.
Écoute. Voilà le signe où tu reconnaîtras si notre malheur s'adoucit. Si tu me vois revenir en carrosse, voulant perdre moins de temps pour te rejoindre, rassure-toi, et jette dans la rivière qui passe sous cette fenêtre, cette paille, image affreuse de notre misère, qu'il ne nous reste plus rien qui nous la retrace. Adieu.
PAULINE.
Je t'obéirai ; mais à quelles inquiétudes me laisses-tu en proie !
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Je pourrais perdre l'instant favorable. Laisse-moi aller, je te prie.
PAULINE.
Va donc. Puisse le Ciel favoriser tes desseins.
SCÈNE VII.
PAULINE.
Quels projets peut avoir Saint-Firmin ? Pourquoi ne me les a-t-il pas confiés ! Le temps le presse ; où peut-il donc aller ? Se laisserait-il abuser par le vain espoir d'éprouver encore s'il est quelque ami, quelque homme sensible, généreux... Il n'y faut pas compter, la misère effraye plus qu'elle n'attendrit ; les malheureux demeurent isolés, tout le monde s'en éloigne !
Montrant la paille.
Voilà donc tout ce qui nous reste de cette fortune éclatante qui semblait assurer notre bonheur ; mais pouvais-je prévoir que je causerais la perte de tout ce que j'aime ! Passion funeste qui ne nous présente jamais qu'un sort délicieux ! Amour qui m'est cher encore, malgré les maux que tu causes à l'époux que j'adore, ne permets pas que l'infortune nous sépare, heureux, ou malheureux, qu'il revienne dans mes bras !
Elle écoute.
Mais n'entends-je pas une voiture ?
Elle va regarder à la fenêtre et revient.
Ce n'est pas lui encore ? Quels moments cruels ! Pourquoi ne l'ai-je pas suivi ! J'entends quelqu'un. Il revient, sans doute, sans avoir réussi.
Allant à la porte.
Est-ce toi, cher Saint-Firmin ?
SCÈNE VIII.
Pauline, Dumont.
DUMONT.
Madame, est-ce ici que demeure Monsieur de Saint-Firmin ?
PAULINE.
Oui, Monsieur.
DUMONT.
Y est-il ?
PAULINE.
Non, Monsieur.
DUMONT.
Reviendra-t-il bientôt ?
PAULINE.
Je l'attends.
DUMONT.
Cela suffit.
PAULINE.
Monsieur, ne puis-je savoir ce que vous lui voulez ?
DUMONT.
Madame, j'ai ordre de me taire et de courir promptement dire que j'ai trouvé sa demeure.
SCÈNE IX.
PAULINE.
Que veut cet homme ? Qui peut l'engager à s'informer de cette demeure ? Quel intérêt ?... Les créanciers de l'odieux Préval... Je frémis !... Si l'on voulait arrêter Saint-Firmin, le conduire en prison, lui ! Ah, n'espérez pas que je l'abandonne, il faudra m'arracher plutôt la vie que de vouloir m'en séparer. Quelle nouvelle inquiétude ! Il n'y a donc point de peine qui ne puisse encore augmenter !... Mais écoutons : c'est Saint-Firmin, peut-être. On arrête, voyons.
Avec joie.
C'est lui-même ! Ah ! Je respire ! Notre malheur enfin va donc s'adoucir ! Obéissons-lui promptement.
Elle jette la paille par la fenêtre qui donne sur la rivière.
SCÈNE X.
Pauline, Monsieur de Saint-Firmin, pâle et défait.
PAULINE.
Ah ! Saint-Firmin, je te revois !... Mais, ô ciel !... Dans quel état !...
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Ah ! Pauline, qu'avez-vous fait ? Cette paille...
PAULINE.
Je vous ai obéi.
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Il ne nous reste donc plus rien sur la terre.
PAULINE.
Que dites-vous ? Ne m'avez-vous pas assuré que si je vous voyais revenir en voiture...
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Je me suis laisse abuser par l'espoir de voir adoucir tes maux.
PAULINE.
Eh bien, tu t'es trompé ?
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Hélas, oui ! Ce flacon qui m'était précieux, parce qu'il venait de toi, parce que c'était le premier gage de ta tendresse pour moi, je l'ai sacrifié à ce désir. Avec l'argent que j'en ai retiré, j'ai volé au lieu où l'on tirait la loterie : je me suis cru au comble du bonheur en trouvant encore des billets, et pas un de mes numéros n'est sorti. Juge de mon désespoir. La douleur m'accable, je tombe sans connaissance, on m'environne ; à force de secours je reviens à moi, je ne puis me soutenir ; je dis ma demeure, et l'on me conduit ici, comme je comptais y revenir, si j'avais été plus heureux. Voilà ce qui a causé mon erreur.
PAULINE.
Eh bien, mourons ; que pouvons-nous attendre actuellement ? Les horreurs de la faim qui termineront lentement notre vie, qui nous ôteront la force de nous tendre les bras en expirant ?
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Quelle affreuse extrémité ! Étais-tu faite pour l'éprouver ? Ah ! Si le ciel veut une victime, c'est moi seul...
PAULINE.
Quoi, tu pourrais mourir, et me laisser ?... Ah ! Qu'il ne nous sépare pas ; mais, que dis-je ! Peut-être en ce moment... cher époux...
Elle le tient embrassé par le milieu du corps.
Que rien ne nous désunisse, la mort même...
On entend du bruit.
Ô Dieux ! Barbares, arrêtez.
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Que dites-vous ? Quel effroi !
PAULINE.
C'est lui-même ; je me meurs !
Monsieur de Saint-Firmin la soutient.
SCÈNE XI.
Monsieur de Saint-Firmin, Pauline, Dumont, Dupré.
DUMONT.
Viens ; c'est ici.
DUPRÉ.
Ah ! Monsieur, dans quel état je vous retrouve !
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Eh quoi, Dupré, que me veut-on ? Mon oncle me fait-il arrêter ? Pousse-t-il la barbarie...
DUPRÉ.
Votre oncle ? Ah ! Monsieur, il est mort.
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN, soupirant.
Mon oncle est mort ?
DUPRÉ.
Oui, Monsieur, et je vous cherche depuis trois jours pour vous l'apprendre. Il est mort désespéré de vous avoir traité avec tant de rigueurs, et il vous a donné tous ses biens.
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Ah ! Pourquoi a-t-il attendu jusqu'au dernier moment à me donner des marques de sa tendresse ! Qu'il m'eût été doux de lui prouver mon repentir et de le voir me regarder sans colère avant de mourir !
DUPRÉ.
Vous connaissiez son caractère inflexible ; la maladie l'avait bien adouci.
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Chère Pauline, après tant de maux, votre vertu est donc enfin récompensée ?
PAULINE.
Il m'est bien doux de n'avoir plus à craindre pour vous ; mais, Saint-Firmin, allons trouver Monsieur Vincent, nous devons le secourir promptement.
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Vous m'avez prévenu, chère Pauline, et je n'en suis point jaloux, nous pensions de même. Voilà comme il faut rendre grâce au Ciel de ses bienfaits.
PAULINE, avec joie.
Nous sommes trop heureux ! Le voici.
SCÈNE DERNIÈRE.
Monsieur de Saint-Firmin, Pauline, Monsieur Vincent, Dumont, Dupré.
MONSIEUR VINCENT, vivement.
Madame...
PAULINE.
Monsieur Vincent...
MONSIEUR VINCENT.
On m'a prêté deux mille écus, et je vais les partager avec vous.
PAULINE.
Quel homme vous êtes !
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Mon ami, nous n'en avons plus besoin, ni vous non plus, vous en pouvez être bien assuré.
MONSIEUR VINCENT.
Serait-il bien possible ! Qui peut mériter autant que vous d'être toujours heureux ?
PAULINE.
Vous, Monsieur Vincent.
MONSIEUR DE SAINT-FIRMIN.
Oui, chère Pauline. C'est en partageant le bonheur qu'on peut l'accroître et le fixer. Soyez-en le témoin, Dupré, et ne nous quittez jamais.
Explication du Proverbe : 47. Le Diable n'est pas toujours à la porte d'un pauvre homme.
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