Monologue pour petit garçon.
Prix : 50 centimes
1896. Tous droits de reproduction et de traduction réservés pour tous les pays y compris la Suède et la Norvège.
H. BEZANÇON
LIBRAIRIE THEATRALE 14, RUE DE GRAMMONT, 44
Imprimerie générale de Châtillon-sur-seine .- PICHAT et PEPIN.
Texte établi par Paul FIEVRE, octobre 2024
Publié par Paul FIEVRE, novembre 2024.
© Théâtre classique - Version du texte du 26/10/2024 à 20:15:21.
PERSONNAGES
UN JEUNE GARÇON.
L'ENFANT PRODIGE
L'enfant se lève d'un air gauche.
Se frottant la tête d'un air embarrassé.
Réciter quelque chose ! Réciter... Bah ! Après tout !... Cela n'a rien d'extraordinaire... À présent, nous sommes tous des enfants prodiges... comme l Enfant prodige de l'Écriture... Comment !... Vous ne connaissez pas cela ?... Oh ! Mais je suis fort en histoire sainte, moi, allez!...
Oui, mais j'oublie que je dois réciter... Maman le veut, et je suppose que vous êtes très pressés de juger de mes talents. Voyons, qu'est-ce que je vais vous dire ?... C'est que, nous autres écoliers, on nous en met des choses dans la tête !
Cherchant.
Qu'est-ce que je sais par coeur ?
Riant.
Ah ! D'abord ma table de multiplication !... Non, ça ne fait pas l'affaire...
Mais des fables !... Ah ! J'en connais !... Et même, les grandes personnes doivent joliment aimer à entendre des fables, puisque c'est toujours ce qu'on nous fait apprendre de préférence. Le fait est que c'est très amusant : on y parle du chat, de l'âne, de la petite souris, du dindon.... Les bêtes sont toutes pareilles aux personnes... Oh ! Pardon ! Je n'avais pas l'intention de dire cela !... Voyons ; commençons...
Il prend un air d'écolier et commence en ânonnant.
Maître Corbeau, sur un arbre perché,
Tenait dans son bec un fromage...
Chantant sur un air connu.
Lorsque maître Renard alléché par l'odeur,
L'aborde poliment par ce propos flatteur...
| 5 | Sur l'air du tra... |
S'interrompant.
Ah ! Bien, non... Ce n'est plus ça... Bah ! Ce n'est pas la peine de vous dire la fin... Parions que vous la savez mieux que moi... C'était un malin, ce renard... seulement, moi, j'aurais préféré que le fromage fut un gâteau à la crème... Mais, des goûts et des couleurs... Décidément, cette fable est trop connue... Elle ne vous amuserait pas.
Attendez ! Le Chêne et le Roseau... Ah ! Elle est charmante, cette fable-là !
Récitant avec monotonie.
Le Chêne un jour dit au Roseau :
Vous avez bien sujet d'accuser la nature;
Un roitelet pour vous est un pesant fardeau...
Cherchant.
« Un pesant fardeau... Un pesant fardeau... » Tiens ! J'ai oublié la suite... Maman ! Qu'est-ce qui vient après ?...
La mère soufflant.
« Le moin... »
L'enfant bravement.
Le moineau... Mais non !... Ça ne va pas... Et puis, des fables, c'est toujours la même chose... Je sais une belle poésie de Victor Hugo... Non ! de Lamartine... Je vais vous la dire : ça vous amusera davantage.
Avec gravité et monotonie.
Le roi brillant du jour se couchant dans sa gloire [ 1 Quatre premiers vers de la "Méditation douzième - La prière" dans les les méditations d'Alphone de Lamartine.]
| 10 | Descend avec lenteur de son char de victoire. |
Le nuage éclatant qui le cache à nos yeux,
Conserve en sillons d'or sa trace dans les cieux...
S'interrompant.
Mais là ! Vrai ! Est-ce que ça vous amuse ? C'est des vers, vous savez ; des choses qui sont belles et qu'on ne comprend pas...
Après une pause.
Et si ça allait vous ennuyer après tout ?... Je me souviens d'avoir entendu dire par de grandes personnes que c'est insupportable d'entendre réciter les enfants des autres.
Il paraît que, pour nos mamans, nous sommes tous de petits phénix... et, dans toutes les familles, on peut trouver un enfant aussi intéressant que moi...
Eh bien, savez-vous ? Je ne vous réciterai rien du tout... de la sorte vous ne pourrez pas dire : « Ah ! L'insupportable bambin ! » J'attendrai que je sois plus grand pour vous ennuyer... Ou, plutôt, dans ce temps-là, j'espère que je saurai vous amuser.
Et puis, laissez-moi vous dire encore ceci : le véritable enfant prodige, est plutôt celui qui, comme moi, a l'esprit de se taire.
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Notes
[1] Quatre premiers vers de la "Méditation douzième - La prière" dans les les méditations d'Alphone de Lamartine.
