COMÉDIE EN 4 TABLEAUX
Représentée pour la première fois sur le Théâtre des OMBRES CHINOISES, le premier janvier.
1833.
IMPRIMERIE D A. PIHAN DELAFOREST, rue des Noyers, n° 37.
Réprésenté pour la première fois le 1 janvier 1833 au Thépatre des Ombres chinoises.
Edité par Paul FIEVRE, avril 2017
publié par Paul FIEVRE, mars 2017
© Théâtre classique - Version du texte du 28/02/2024 à 23:49:18.
PERSONNAGES.
LA MAMAN.
NINETTE, sa fille, âgée de sept ans.
HENRI, son neveu, âgé de dix ans.
UN MARCHAND DE TISANE.
UN PAYSAN.
PREMIÈRE PETITE FILLE.
SECONDE PETITE FILLE.
UN HOMME avec son singe.
UN SINGE.
TABLEAU No 1.
Le théâtre représente une chambre.
SCÈNE PREMIÈRE.
La maman, Minette.
LA MAMAN.
Si tu t'y prends comme ça, Ninette, tu couperas tes doigts au lieu de la ceinture de ta poupée.
NINETTE.
Oh ! Non , maman, je ne suis pas si bête.
À sa poupée.
Voyons, Mademoiselle, tenez-vous tranquille ; il faut bien vous mettre une ceinture neuve pour aller au bois de Boulogne, quoique vous ne soyez guère sage. Comptons un peu ; vous êtes malpropre, gourmande, entêtée, et colère, colère ! comme un petit dindon.
LA MAMAN.
Vraiment ? Est-ce que cette petite fille-là s'appellerait aussi Ninette ? J'en connais déjà une de ce nom qui a ces défauts.
NINETTE.
Vous voulez rire, maman. Moi je n'ai jamais vu que ma poupée comme cela.
LA MAMAN.
Tu crois ! Cherche bien ; mais prends donc garde, Ninette, tu vas te blesser.
NINETTE.
Oh que non ! Il n'y a pas de danger.
En parlant, elle s'enfonce les ciseaux dans la main, crie, jette les ciseaux et sa poupée par terre avec fureur, puis son panier, puis sa chaise, toujours en pleurant et trépignant des pieds.
LA MAMAN, d'un ton sévère.
Ninette, taisez-vous tout de suite et ramassez vos joujoux.
NINETTE, criant plus fort.
Ça me fait mal ! Ah ! aie ! aie !
LA MAMAN.
Si vous écoutiez ce qu'on vous dit, cela ne vous serait pas arrivé. Ramassez vos joujoux, Mademoiselle, et rendez-moi mes ciseaux.
Ninette, au lieu de répondre, frappe du pied sur les ciseaux et les brise.
LA MAMAN, la prenant parle bras.
Vite, vite, au cabinet noir et en pénitence jusqu'à demain matin.
NINETTE, cessant de crier.
Mais, maman, nous devons faire une partie au bois de Boulogne : vous n'y pensez donc plus ?
LA MAMAN.
Si fait, mais j'irai sans vous. Votre cousin Henri est très sage, je le mènerai avec moi.
NINETTE, recommençant à pleurer.
Maman ! Maman ! Pardonnez-moi, je ne le ferai plus.
LA MAMAN.
Non, vous êtes trop méchante. Pour cette fois vous serez mise en pénitence.
NINETTE.
Grâce, grâce, ma petite maman.
LA MAMAN.
C'est inutile ; je suis fâchée tout de bon.
NINETTE.
Vous voulez donc que je meure de chagrin, que vous me laissez à la maison pendant que vous irez vous promener avec Henri.
LA MAMAN.
Vous ne mourrez pas de chagrin ; mais je ne veux pas mener au bois de Boulogne une petite fille entêtée et colère.
NINETTE.
Et celle qui ne serait que malpropre et gourmande, la mèneriez-vous, Maman ?
LA MAMAN, riant.
Voilà une capitulation à laquelle je ne m'attendais pas. Allons, ramasse tes joujoux, viens m'embrasser; et, si d'ici à ce soir tu ne fais pas de nouvelles sottises, tu viendras au bois.
Ninette saute au cou de sa maman, qui l'embrasse ; ensuite on met un petit linge autour de son doigt piqué, et il n'y paraît plus.
TABLEAU N°2.
Le théâtre représente le bois de Boulogne.
SCÈNE II.
Ninette, Henri, montés sur des ânes.
NINETTE, fouettant son âne.
En avant, en avant, Manon, puisque c'est ainsi que ton maître t'appelle. Marche, trotte, galope ; ah ! Que tu es paresseuse, vilaine. C'est si gentil de courir ; moi, je déteste marcher tranquillement, et je ne conçois pas pourquoi cet âne s'obstine à aller d'un pas si grave ; cela devrait l'amuser davantage de galoper. Hue ! donc, Manon ! Henri, donne-moi une branche plus dure, pour que je le fouette fort.
HENRI, se tenant avec peine sur son âne.
Laisse-moi donc tranquille, tu vois bien que le mien est méchant.
NINETTE.
C'est que tu ne sais pas le conduire. Regarde comme je me tiens droite. Attends. Je vais faire aller ton âne.
Elle frappe sur les oreilles de l'âne qui rue.
HENRI.
Finis donc, Ninette, je tomberai ; c'est sûr, encore que tu as voulu prendre ce petit chemin, et nous séparer des autres. Retournons par là. J'entends la voix de ma tante qui nous appelle.
NINETTE.
Mon Dieu, mon Dieu, n'as-tu pas déjà peur ? En vérité, je n'ai jamais vu d'homme aussi poltron.
HENRI.
Ni moi de petite fille si jacasse.
NINETTE.
Comment as-tu dit ?
HENRI.
J'ai dit ce que j'ai voulu. Il n'est pas honnête de faire répéter, Mademoiselle.
NINETTE.
Tu n'oserais pas, peureux. Conduis donc mieux ta monture. Quel cavalier de malheur ! On dirait un chat maigre monté sur un bâton.
En parlant ainsi, Ninette ramasse des crottes de chèvres qui sont sur une petite butte le long du chemin.
HENRI, impatienté.
Jacasse ! Jacasse ! Tu n'es qu'une jacasse. [ 1 Jacasse : Terme populaire. Femme, fille qui parle beaucoup. C'est une petite jacasse. [L]]
NINETTE, lui jetant les crottes de chèvres à la figure.
Voilà pour ta peine.
HENRI, secouant son gilet.
Ah ! La vilaine malpropre !
NINETTE, le menaçant.
Tiens, tiens, j'en ai encore.
Henri veut faire galoper son âne pour se sauver ; mais l'animal rétif se regimbe, rue, renverse son cavalier, et s'enfuit à travers le bois. L'enfant tombe sur une racine d'arbre, qui lui fait saigner le nez.
NINETTE, pleurant.
Maman, maman, au secours ! Mon cousin est tué ! Maman, maman !
LA MAMAN, derrière les arbres.
Mon Dieu ! Qu'est-il donc arrivé ? C'est la voix de Ninette. Courons. Mon Dieu, mon Dieu ! Qu'as-tu donc, ma fille ?
TABLEAU N° 3.
Même décoration que le précédent.
NINETTE, montée sur son âne ; Un Marchand de tisane, Un Paysan.
LE MARCHAND DE TISANE, au paysan.
Regardez donc cette petite fille qui va toute seule sur un âne ; c'est pourtant défendu ; il doit y avoir toujours un conducteur pour éviter les accidents.
LE PAYSAN.
Je crois ben, l'âne est de chez Jean-Pierre. Y n'y a qu'un instant que son rouget vient de flanquer par terre un petit garçon de la même compagnie, qui courait sans le guide. J'ai entendu la maman qui défendait à celle-là de s'éloigner davantage ; mais il paraît que la jeunesse a une tête qui n'est pas de ces plus commodes, tout enfant qu'elle est.
LE MARCHAND DE TISANE.
Dites donc, Claude, si nous faisions peur à c'te petite pour lui apprendre à désobéir !
LE PAYSAN.
Oui, amusons nous un peu ; mais ce qui vaudrait le mieux, arrêtons-là, mettons l'âne en fourrière. Ce sont des bourgeois, ils paieront l'amende.
À Ninette.
Ah hie ! La petite demoiselle, où allez-vous dont comme cela ?
NINETTE.
Qu'est-ce que cela vous fait ? Je me promène.
LE MARCHAND DE TISANE.
Oui-dà ! Mais on ne se promène pas à âne dans le bois de Boulogne sans avoir un conducteur.
NINETTE.
Pourquoi donc, s'il vous plaît ? Les ânes s'y promènent bien tout seuls, puisque vous y voilà.
LE PAYSAN.
Oh ! La commère, vous a-t-elle une langue ! Il ne s'agit pas de cela, vous allez descendre pour que je mène l'âne chez le commissaire.
NINETTE.
Je ne veux pas descendre, moi.
LE MARCHAND DE TISANE.
C'est ce que nous allons voir.
NINETTE, criant.
Maman, maman !
Le marchand s'approche pour prendre Ninette, qui lui donne un coup de houssine sur la figure. L'homme s'éloigne, en disant :
LE MARCHAND DE TISANE.
La petite masque ! Une ligne plus haut, elle me tirait l'oeil.
Le paysan veut à son tour prendre Ninette ; mais l'âne, qui s'impatiente, commence à sauter et lancer des ruades à droite et à gauche. Le paysan, pour en éviter une dans le ventre, se retourne et la reçoit dans le derrière. Ninette, qui, pendant ce débat, n'a cessé de crier Maman ! pique son âne et se sauve en disant :
NINETTE.
Attrappe, attrappe, c'est bien fait.
LE PAYSAN, courant.
Arrêtez, arrêtez !
LE MARCHAND DE TISANE.
Oui, oui, arrêtez-la, menez-la chez le commissaire, l'amende sera bonne. Arrêtez, arrêtez !
LA MAMAN, derrière les arbres.
Encore Ninette qui fait quelques sottises ; quel enfant ! Quel enfant !
HENRI, accourant.
Ma tante, ma tante, venez vite ; c'est Ninette qu'on veut prendre.
TABLEAU N° 4.
Le théâtre représente toujours le bois de Boulogne, mais sur la pelouse devant le pavillon d'Armenonville.
Ninette, Henri, Première petite fille, Deuxième petite fille.
NINETTE, à Henri.
N'entends-tu pas remuer les assiettes ? Je crois que l'on dîne ?
HENRI.
Ah ! Te voilà bien, craignant toujours de perdre une bouchée.
NINETTE.
Tiens, j'ai faim.
HENRI.
Tu sais bien que le restaurateur a dit que le dîner ne serait prêt que dans une heure : ainsi jouons encore un peu en attendant.
NINETTE.
À quoi jouer ? Dis donc, Henri, si j'allais demander à ces petites demoiselles de venir jouer avec nous ? Elles ont des joujoux, un cerceau, une corde, un pantin.
HENRI.
Va, si tu n'es pas honteuse.
NINETTE.
Ah ! Bien oui, honteuse.
Elle s'approche des petites filles, et leur fait une belle révérence.
Mesdemoiselles, voulez-vous jouer avec nous ?
PREMIÈRE PETITE FILLE.
Nous voudrions bien, mademoiselle ; mais vous avez avec vous un petit monsieur, et nous ne jouons pas avec les petits messieurs.
NINETTE.
Que cela ne vous empêche pas ; c'est mon cousin ; il est doux comme une petite fille.
Se baissant et parlant en confidence :
C'est toujours moi qui l'égratigne, jamais il ne se revanche.
DEUXIÈME PETITE FILLE.
C'est gentil ça ; mais je vais tout de même demander la permission à maman.
NINETTE.
Revenez bien vite, mademoiselle ; tu rapporteras aussi tes joujoux.
PREMIÈRE PETITE FILLE.
Oui, oui; tiens, donne la main à ma petite soeur, de crainte qu'elle ne tombe.
La première petite fille va à sa maman qui est assise devant le café y elle revient tout de suite avec la permission de jouer. Henri se rapproche.
NINETTE.
À quoi allons-nous jouer ?
HENRI.
À courir.
PREMIÈRE PETITE FILLE.
Ah ! Non, à cause de ma petite soeur qui ne pourrait pas courir avec nous.
NINETTE.
Au cerceau ?
DEUXIÈME PETITE FILLE.
Nous n'en n'avons qu'un ; et ma petite soeur pleurerait pour l'avoir.
NINETTE.
Eh bien ! Prête-moi ton pantin, je vais le faire danser.
Ninette saisit le pantin, tire les cordes, mais elle ne peut pas le faire aller. La première petite Fille et Henri veulent lui indiquer comment il faut s'y prendre, elle les repousse.
HENRI.
Prends garde, Ninette, tu vas faire encore quelques sottises.
PREMIÈRE PETITE FILLE.
Mon Dieu, mademoiselle, vous casserez mon pantin si vous tirez si fort.
NINETTE.
Laissez-moi tranquille. Bête de pantin ! Que c'est ennuyeux !
Elle secoue les cordes avec colère, crie deux ou trois fois, trépigne des pieds y et déchire le pantin en morceaux. Les deux petites filles pleurent.
SCÈNE DEUXIÈME.
Les Précèdents, La maman de Ninette.
LA MAMAN.
Ninette, Ninette, vous ne serez donc jamais sage ?
À la première petite-fille.
Je suis désolée, mademoiselle, de n'avoir pas un autre pantin à vous offrir ; mais cette méchante petite fille que voilà a apporté ici une assez jolie poupée toute neuve et bien habillée ; voulez-vous l'accepter en échange du jouet qu'elle vous a brisé.
DEUXIÈME PETITE FILLE.
Si maman le permet, madame.
LA MAMAN.
Allez le lui demander.
La première petite fille va à sa maman, Ninette pleure en se cachant derrière un arbre.
LA PREMIÈRE PETITE FILLE, revenant.
Maman veut bien, madame.
LA MAMAN.
En ce cas, mademoiselle, on va vous donner la poupée.
SCÈNE TROISIÈME.
Les précédents, Un homme et un singe.
L'HOMME, tenant son singe au bout d'une corde.
Voilà, messieurs, mesdames, le singe savant par excellence. François, saluez la compagnie. Bien, plus bas.
Le singe obéit.
C'est cela ; à présent faites la révérence comme une dame.
Le singe ploie les genoux.
Comme une demoiselle.
Le singe salue en baissant les yeux.
Comme une petite fille.
Le singe fait la révérence de mauvaise grâce en se frottant les yeux comme s'il pleurait. Les enfants, excepté Ninette, rient aux éclats.
Comme un singe.
Le singe fait mille grimaces et gambade. Les enfants rient plus fort.
PREMIÈRE PETITE FILLE.
Qu'il est gentil ! Je vais lui chercher un gâteau.
Elle court à sa mère, et revient avec une gaufre qu'elle donne au singe.
L'HOMME.
François, remerciez cette jolie petite demoiselle et montez à l'arbre pour manger.
Le singe se dispose à obéir. Ninette, qui est restée à l'écart, est tentée par la gaufre, et au moment où le singe grimpe à l'arbre tenant sa gaufre, elle se met en devoir de lui en prendre un morceau. L'animal défend sa proie, les enfants rient, le singe mord le doigt de Ninette.
LA MAMAN.
J'en suis fâchée, mais c'est la punition de votre gourmandise. Partager une gaufre avec un singe, quelle honte ! Venez que je mette du linge sur votre doigt. C'est la seconde fois depuis ce matin. Avouez que nous avons passé une jolie journée : l'un a le nez cassé et son linge sali par des crottes de chèvres ; j'ai donné dix francs au paysan pour ne pas aller chez le commissaire ; mademoiselle a eu son pantin déchiré ; vous avez perdu votre poupée, et à présent vous êtes blessée. Ah ! Pourquoi ai-je eu la faiblesse de mener à la promenade une petite fille entêtée, gourmande, malpropre et colère, mais colère comme un petit dindon.
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Notes
[1] Jacasse : Terme populaire. Femme, fille qui parle beaucoup. C'est une petite jacasse. [L]