LE NOUVEAU NÉ

POÉSIE

DITE PAR MADEMOISELLE REICHENBERG, de la Comédie-Française.

1885. Tous droits réservés.

par EUGÈNE ADENIS

PARIS, PAUL OLLENDORFF, ÉDITEUR 28 bis, RUE DE RICHELIEU, 28 bis

Imprimerie générale de Châtillon-sur-Seine. - A. PICHAT .


Texte établi par Paul FIEVRE, juin 2024

Publié par Paul FIEVRE, juillet 2024.

© Théâtre classique - Version du texte du 31/07/2024 à 22:09:57.


PERSONNAGES

UNE FEMME.


LE NOUVEAU-NÉ

Dans les plis moelleux de ses langes,

Il dort... Sur notre humble séjour,

Tout droit du bleu pays des anges,

Il est arrivé l'autre jour.

     

5   Comment ?... Il s'est penché sans doute

Pour voir... La curiosité !...

Le bon Dieu, que pas un écoute,

Regardait d'un autre côté

     

Il est tombé : voilà la chose ;

10   Il est tombé du paradis,

Par bonheur sur du satin rose...

Il en est tombé, je vous dis,

     

Des milliers déjà !... Quoi qu'on fasse,

Sans profiter de la leçon,

15   Des milliers d'autres, pile ou face,

Tomberont de même façon.

     

Pourtant, ô chérubins rebelles,

La chute est très grave... D'abord,

On se casse toujours les ailes

20   En se heurtant sur notre bord ;

     

Et puis, beaucoup n'ont pas la chance

(Et faut-il en être étonné)

De tomber, à cette distance,

Sur un berceau capitonné.

     

25   On ne sait où l'on se hasarde

La plupart viennent se meurtrir

Sur le carreau d'une mansarde

Et Dieu sait s'ils ont à souffrir !

     

Dans ce triste monde où l'on pleure,

30   Trouvant leur destin trop cruel,

Il en est même qui, sur l'heure,

Aiment mieux remonter au ciel !

     

Ne regardez pas sur la terre,

Ô petits anges curieux !

35   Le jeu n'en vaut pas... le mystère.

Restez là-haut : cela vaut mieux.

     

Oui, mais vous êtes incrédules ;

L'inconnu ne vous fait pas peur ;

Il vous tente et, dans vos cellules,

40   En maudissant votre torpeur,

     

Vous rêvez d'incarner vos âmes

Pour affronter nos durs combats !...

Et puis, je vois des jeunes femmes

Qui vous font des signes d'en bas...

     

45   Ah ! C'est qu'ici-bas l'on vous aime !

Quoiqu'ils n'aient plus, les chers petits,

Leur séraphique diadème,

C'est vrai qu'ils sont encor gentils !

     

Voyez celui qu'on environne

50   De soins discrets et qui dort là ?...

Sous l'empreinte de la couronne

Qu'il perdit lorsqu'il s'envola,

     

Ses fins cheveux que l'on devine

(Car ils sont très rares encor)

55   Ont gardé la couleur divine

Du diadème tout en or !

     

Mais chut ! Le voici qui s'éveille...

Il cherche à rassembler, c'est sûr,

Tous ses souvenirs de la veille

60   Dispersés au fond de l'azur

     

Il lui semble que sa pensée,

Jadis d'un si vaste horizon,

Indécise et rapetissée,

Se débat dans une prison !...

     

65   Où sont ses rayons, et ses ailes ?...

Ah ! Çà, que s'est-il donc passé ?...

Il ne les sent plus... où sont-elles ?...

Et son nid, où l'a-t-il laissé ?...

     

Et son paradis blanc et rose ?...

70   Mais tout cela s'est donc enfui !...

C'est tout une métamorphose,

En lui, hors de lui, près de lui !

     

Il ouvre la bouche pour dire

Qu'il s'ennuie et veut s'en aller.

75   Nouveau prodige, autre martyre !...

Voilà qu'il ne peut plus parler...

     

Il pleure... Vite, on le console,

On l'attire et, tout doucement,

Avec une tendre parole

80   Qu'il n'entend que très faiblement,

     

Une main blanche le caresse...

Tiens ! il se sent mieux... il se tait.

Quelle est cette main qui le presse

Avec amour ?... On le guettait,

     

85   On l'entourait donc !... C'est bien drôle ;

Mais qui ?... Tout lui devient égal.

Ah !... Ce visage qui le frôle,

C'est quelqu'un qui lui veut du mal ?...

     

Non. Il se rassure, il soupire,

90   Il ferme les yeux à demi ;

Il comprend qu'il a quelque empire

Là, qu'il est en pays ami ;

     

Qu'à la douceur de cette étreinte,

À tous ces invisibles soins,

95   Il peut s'abandonner sans crainte...

Déjà, son coeur regrette moins

     

Près de ce coeur qui se révèle,

Le beau Paradis étoilé...

Soudain, (ô caresse nouvelle !)

100   Il sent qu'en son regard voilé

     

Pénètre une pure lumière,

Un rayon doux comme le miel...

Il sourit : dans l'oeil de sa mère,

Il a revu son coin du ciel !

     

 



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