LA FOIRE GALANTE

LE MARIAGE D'ARLEQUIN

OPÉRA COMIQUE

M. DCC. X.

Représentée pour la première fois La Foire Saint-Laurent le 25 juillet 1710.


© Théâtre classique - Version du texte du 30/11/2022 à 23:11:56.


ACTEURS

VÉNUS.

LES DEUX CUPIDONS.

DEUX GRÂCES.

ARLEQUIN, amant de Colombine.

PIERROT.

LE DOCTEUR.

SCARAMOUCHE, capitan, amoureux de Colombine.

COLOMBINE, servante du Docteur.

MARINETTE.

TROUPE DE MARCHANDS FORAINS.

TROUPE DE MASQUES.

La scène est à Paris.


PROLOGUE

SCÈNE I.
Vénus sur un char marin avec les deux Cupidons à ses pieds, troupe de marchands forains, chanteurs et danseurs.

VÉNUS, chante à l'imitation de Frappez, frappez.

Chantez, chantez, ne vous lassez jamais,

Et qu'à vos voix, l'écho réponde.

Les plaisirs et les jeux remplissent vos souhaits,

Vous êtes les mortels les plus heureux du monde.

5   Chantez, etc.

LE CHOEUR.

Chantons, chantons, etc.

Les trois Grâces dansent sur l'air des plaisirs du prologue, après quoi suit :

SCÈNE II.

Scaramouche arrive.

La symphonie joue le prélude de la Discorde.

VÉNUS, en le voyant dit à l'imitation de Quelle soudaine horreur.

Quel soudain carillon, et quels terribles bruits,

Ciel ! qui peut amener ce bélître où je suis ?

SCARAMOUCHE.

Air : Folies d'Espagne

Je viens ici pour troubler votre fête,

10   De mes regards éprouvez la terreur.

Dans mes transports, il n'est rien qui m'arrête,

Je me nourris de carnage et d'horreur.

Je suis nommé l'ennemi de nature,

Le destructeur de tout le genre humain.

15   Une des Grâces le caresse.

Je ne veux point d'amoureuse aventure

Si je ne fais cocu le dieu Vulcain.

Cupidon veut le blesser.

De Cupidon, j'incague

20   Mon souffle seul repousse tous ses dards,

Le grand Jupin redoute ma vengeance,

Et pour ami, je n'ai que le dieu Mars.

SCÈNE III.

Pierrot avec un gros bâton.

SCARAMOUCHE.

Quel sot ici porte un pas téméraire ?

En badinant, je veux l'exterminer.

Pierrot le bat.

25   Non, tu n'es pas digne de ma colère,

Vas, dis partout que je sais pardonner.

PIERROT.

Air : Robin turelure

Tu croyais m'épouvanter

Par tes chiennes de grimaces,

Mais apprend, sot animal,

30   Turelure,

Que j'en avons bien vu d'autres,

Robin [turelure lure].

SCARAMOUCHE.

Même air

J'ai juré plus de cent fois

De frapper sans dire gare,

35   Ceux qui traitent de manant,

Turelure,

Un homme de mon calibre,

Robin, etc.

Pierrot le bat.

SCÈNE IV.

PIERROT, s'adressant à Vénus.

Air : Tan la ra ritar

Je sais punir qui vous offense,

40   Je me moque de sa fierté.

Vénus, pour toute récompense,

Accordez-moi cette beauté,

Car depuis longtemps je soupire,

Tan la ra ritar.

VÉNUS, chante ces paroles imitées du prologue

45   C'est Vulcain qui fait le tonnerre,

Dont le maître des dieux épouvante la terre.

Mais le brave Pierrot avec un échalas

Punit qui ne me connait pas.

Célébrons aujourd'hui sa valeur pierrotesque,

50   Et chantons que Pierrot n'a rien que de grotesque.

LE CHOEUR, à l'imitation de celui du prologue

Il fait régner l'amour au milieu des alarmes.

Les gros tricots, les gros tricots

Son ses plus fortes armes.

On danse la Loure des Ris et des Plaisirs qui est dans le prologue de l'Europe galante, après quoi le choeur reprend :

Il fait régner, etc.

Pendant le choeur, Arlequin écoute, et le choeur fini Arlequin chante.

SCÈNE V.

ARLEQUIN.

55   Quoi, pour célébrer un héros,

On parle ici de gros tricots,

Cela sent trop la bastonnade,

Je vais m'esquiver au plus tôt,

Car Arlequin sans gasconnade,

60   Est aussi poltron que Pierrot.

PIERROT.

Savez-vous, Monsieur l'animal

Que Pierrot est homme de coeur.

Je n'aime point la raillerie,

Passez, passez votre chemin,

65   Car quand on songe au mariage

On n'aime pas les importuns.

ARLEQUIN.

Pierrot, tu vas te marier ?

À qui vas-tu donc t'allier ?

Je prétends être de la fête,

70   Et comme ami de la maison.

Il faut que Pierrot me promette

Quelque singe de sa façon.

PIERROT.

Pierrot est trop homme de bien,

Pour en cela promettre rien.

75   Car je sais que le mariage

Nous produit souvent des enfants,

Qui prétendent notre héritage,

Quoiqu'ils ne soient pas nos parents.

UNE DES GRÂCES, la chanteuse à l'imitation de l'air du prologue, ensemble.

Souffrez que l'amour vous blesse,

80   Finissez tous vos débats.

La raison et la tendresse,

Pierrot ne s'accordent pas.

Deux Grâces dansent un menuet, après quoi Vénus chante à l'imitation de l'air du prologue qui dit

VÉNUS.

C'est dans une tendresse extrême,

Ce n'est que dans le mariage,

85   Qu'on trouve le bonheur parfait.

Tout abonde dans le ménage

Quand un homme a l'esprit bien fait.

Et Tircis sans le cocuage,

Serait-il ce qu'il est ?

ARLEQUIN et PIERROT, sur le même ton, ensemble.

90   Devenons par le cocuage

Aussi riche qu'il est.

ARLEQUIN.

Belle Vénus, votre éloquence

A quelque espèce de raison.

Lorsque la corne d'abondance

95   Fait l'ornement de la maison,

Un mari sans chagrin doit dire tan la rita.

PIERROT.

Voila pourquoi mon pauvre père

Chantait la nuit comme le jour,

Quoique jamais ma chère mère

100   Ne lui témoignât de l'amour.

Nous avions toujours de quoi frire, tan la.

ARLEQUIN.

Air : Ne m'entendez-vous pas

Le mal est général,

Pourquoi, diable le feindre ?

On a tort de se plaindre

105   Quand la tête fait mal,

Le mal est général.

PIERROT.

Allons donc nous pourvoir

À la foire galante.

Qu'importe qu'on nous trompe,

110   Mon ami, tu seras

Cocu comme Pierrot.

ARLEQUIN.

À la foire, Vénus

Étalant sa boutique

Crèvera de pratique.

115   Ses appas sont connus,

Les cafés sont perdus.

PIERROT.

Air : Tu n'as pas le pouvoir

La belle Vénus ne vient pas

Trafiquer ses appas.

Bis.

Elle ne paraît en ces lieux

120   Que pour plaire à nos yeux.

Bis.

ARLEQUIN.

Pierrot, ne vous fâchez pas tant,

Parlez plus doucement.

Bis.

En fait d'amour, gardez-vous bien

De répondre de rien.

Bis.

PIERROT.

125   Pour me brouiller avec Vénus

J'ai trop bon naturel.

Bis.

Je ne puis souffrir sans chagrin

Qu'on en dise du mal.

Bis.

ARLEQUIN, à l'imitation du prologue.

Ah ! si l'amour

130   Conduit chaque jour

Bien du monde à la foire,

À leurs dépens

Nous aurons de boire,

Et nous serons contents.

PIERROT.

Air : Réveillez-vous, [belle endormie]

135   Quoi, tu ne parles que de boire !

Pour moi, je mourrai de souci

Si les ongles du mariage

Ne grattent ma démangeaison.

ARLEQUIN.

Avant de me mettre en ménage,

140   Si je pousse quelques soupirs,

Je veux que l'objet qui m'engage

Accorde tout à mes désirs,

Et sans cela, je me retire,

tan la rara, etc.

PIERROT.

Air : Réveillez-vous, [belle endormie]

145   Ne va pas si vite en besogne,

Tu fais l'amour en étourdi.

Il faut quelque temps battre en brèche

Avant que de donner l'assaut.

ARLEQUIN.

Vas, tu n'as pas lu le grimoire,

150   Tout tes avis sont superflus.

Apprend, mon ami, qu'à la foire,

Les marchés sont bientôt conclus,

Jamais en vain l'on n'y soupire, tan la tare.

VÉNUS, chante à l'imitation du prologue.

Faites-lui ressentir l'effet de ma puissance,

155   Cupidon, punissez le faquin qui m'offense.

Cupidon poursuit Arlequin, et après un jeu de théâtre, il lui décoche une flèche, après quoi Arlequin chante sur l'air Réveillez-vous.

Ah ! Cupidon, faites-moi grâce,

Quoi ! vous visez droit à mon coeur !

Ma foi, j'en tiens, quoique l'on fasse,

L'amour est toujours le vainqueur.

Les violons reprennent l'ouverture.

ACTE I

SCÈNE I.
Le Docteur, Arlequin, Colombine

ARLEQUIN.

Air : Folies d'Espagne

160   Du dieu d'Amour, je ressens la puissance,

Ce mirmidon m'a percé le gosier.

Il m'a vaincu, malgré ma résistance.

Mes intestins ne sont plus qu'un brasier.

Savant docteur, soleil de médecine,

165   Vous pouvez seul soulager mes tourments.

Accordez-moi l'aimable Colombine,

Que j'aime mieux que tous vos lavements.

Je suis le modèle

D'un parfait amant.

170   Souffrez qu'à la belle,

Je fasse un... tant la leri, un compliment.

LE DOCTEUR, à l'imitation de ces paroles, C'est plus de Doris que j'attends mon bonheur.

Marinette autrefois faisait votre bonheur.

ARLEQUIN.

Ciel ! Qu'entends-je ?

LE DOCTEUR.

Après avoir donné son coeur,

175   Doit-on devenir infidèle ?

ARLEQUIN.

Air : Fanatiques

Par rapport à ses yeux charmants,

Et son air peu sévère,bis

À mes premiers engagements,

Je deviendrai contraire.

180   Aussi prompt à trahir mes serments,

Que je fus à les faire.bis

COLOMBINE.

Arlequin, tu peux te flatter

De plaire à Colombine.

LE DOCTEUR.

Quoi ! Vous osez vous en vanter,

185   Madame la coquine.

Hors d'ici, je saurai tricoter

Comme il faut votre échine.

Bis.

Le Docteur poursuit Colombine, ce qui donne lieu à un jeu de théâtre avec Arlequin qui veut empêcher le Docteur de la maltraiter. Arlequin se retire.

SCÈNE II.

LE DOCTEUR, chante à l'imitation de L'Amour en comblant.

Le soin que je prends de son sort

Me fera troubler la cervelle.

190   Arlequin croit triompher d'elle,

Mais le coquin se trompe fort.

Le Docteur s'en va.

SCÈNE III.
Marinette seule, à l'imitation de Paisibles lieux.

MARINETTE.

Mon cher vainqueur, aimable Scaramouche,

Je n'aimerai jamais que vous.

C'est en vain qu'Arlequin gémit à mes genoux.

195   Son amour n'a rien qui me touche.

Je ris de ses transports jaloux.

Je sens, à sa présence allumer mon courroux,

Je suis pour lui sombre et farouche.

Mon cher vainqueur, aimable Scaramouche,

200   Je n'aimerai jamais que vous.

SCÈNE IV.
Arlequin et Pierrot, troupe de marchands forains qui les accompagnent.

MARINETTE, à l'imitation de Quels spectacles.

Que vois-je ? quels présents portent-ils dans leurs mains !

Que veulent ces marchands forains ?

ARLEQUIN.

Air : Monsieur de la Palisse est mort

Je viens tout exprès dans ces lieux

Pour régaler Colombine.

205   Apercevant Marinette.

Cet objet m'est odieux,

Et me sert de médecine.

Je veux, pour rire à ses dépends,

L'assurer de ma tendresse.

210   Et par de petits présents,

Profiter de sa faiblesse.

ARLEQUIN, lui présentant des présents.

Air : Quand sur le golfe du tendre.

Recevez, beauté charmante,

Une preuve de mes feux.

Voici de l'encre luisante

215   Pour noircir vos blonds cheveux,

Un peu de machicatoire

Avec un décrottoir,

Un petit sifflet mignon,

Et ce joli saucisson.

PIERROT.

Même air.

220   Pour moi qui ne suis point chiche,

Je vous fais un plus beau don.

De ce baril de moutarde

Je prétends vous régaler.

Pour rétrécir votre bouche

225   Prenez ce pot de pommade,

Cette râpe de fer blanc,

Cette andouille de Tabac.

LE CHOEUR et LE DOCTEUR, à l'imitation de Aimez, aimez, belle bergère, ensemble

Râpez, râpez, belle bergère,

Si vous voulez charmer !

230   Et quand vous ne saurez que faire,

Vous n'avez qu'à fumer.

ARLEQUIN.

Air : Le premier jour du mois de mai

C'est pour vous que je suis ici,

Et je n'aspire qu'à vous plaire.

Pour vous mon coeur est tout transi,

235   C'est pour vous que je suis ici.

À la foire et dans ce temps-ci,

On finit bientôt une affaire.

C'est pour, etc.

SCÈNE V.

COLOMBINE, surprend Arlequin aux genoux de Marinette, et chante sur l'air Lizon.

Malgré toute l'ardeur

240   Qui règne dans mon âme,

Osez-vous, imposteur !

En compter à Madame...

Lizon, etc.

ARLEQUIN.

Hélas ! je suis pressé

245   Du mal qui me possède.

Vos beaux yeux m'ont blessé,

Donnez-moi le remède...

Lizon, etc.

COLOMBINE.

Air opéra.

Qu'entends-je ? Quels discours ! Et que me dites-vous ?

250   Je vous ai vu, perfide, à ses genoux.

ARLEQUIN.

Air : Le premier jour de mai

Non, Colombine, c'est pour vous

Que mon coeur veut se faire entendre.

L'amour m'a lancé tous ses coups.

Non, Colombine, c'est pour vous.

255   A-t-elle autant d'attrait que vous ?

Et le moyen de s'y méprendre ?

Non, Colombine, etc.

ARLEQUIN, continue.

Air : J'ai senti pour vous seule

J'ai renoncé pour vous au doux jus de la tonne.

Je ne puis plus souffrir ce breuvage divin.

260   Et chaque jour, mon aimable pouponne,

Je ne bois que trois pots vin.

MARINETTE.

Air opéra, fin de la quatrième scène de la première entrée

Laissez-moi, c'est trop vous entendre.

J'enrage, c'est trop vous entendre,

D'un pareil traitement, je veux avoir raison.

265   De mon juste courroux, rien ne peut vous défendre,

Je vais vous étriller de la bonne façon.

PIERROT.

Air : Marie Salisson

Madame Alizon est en colère,

Oh ! oh ! etc.

De ce qu'elle ne peut faire,

270   Oh ! oh ! etc.

Et qu'on ne veut pas lui faire,

Oh ! oh ! etc.

COLOMBINE.

Ma pauvre Alizon, que veux-tu faire,

Oh ! oh ! etc.

275   Rengaine donc ta colère,

Oh ! oh ! etc.

Et ne fais pas l'harengère,

Oh ! oh ! etc.

MARINETTE.

Oh ! c'en est trop petite effrontée,

280   Oh ! oh ! etc.

Vous m'avez trop maltraitée,

Oh ! oh ! etc.

Ma foi vous serez frottée.

Elles se battent et se décoiffent, Arlequin en les séparant frappe Pierrot. Ils se retirent tous à l'exception de Marinette qui reste décoiffée.

SCÈNE VI.

MARINETTE.

Air : Quel funeste coup pour mon âme,

Quel funeste coup pour ma tête !

285   Quoi ! tu m'arraches les cheveux.

Et pour marque de ta conquête,

Ma coiffure en tes mains, rend ton sort glorieux.

Tu m'as frappé, ah ! j'en prendrai vengeance,

Et j'irai te dévisager.

290   Infâme, tu m'as fais une sensible offense,

Mais ne crois pas que je sois sans défense,

De cent coups de bâtons, je prétends te charger.

Quelle honte pour moi, qu'une femme fluette !

Un petit embryon me soumette à ses coups.

295   Reprenons nos fureurs, courage, Marinette,

Et sans différer, vengeons-nous.

Ma face égratignée, et tout contrefaite,

Doit contre une salope allumer mon courroux.

Oui, quand j'aurai puni cette mazette,

300   Un triomphe si grand me paraîtra bien doux.

Et pour voir aujourd'hui ma vengeance complète,

Je veux que la carogne en présence de tous,

Me rende enfin à mes genoux

Ma coiffure de mignonette.

Elle s'en va.

ACTE II

SCÈNE I.

ARLEQUIN, sur l'air de l'opéra Mes yeux.

305   Hélas ! Arlequin n'en peut plus.

L'Amour m'a donné la colique,

Je suis devenu comme étique,

Je sens tous mes membres perclus.

Hélas ! etc.

SCÈNE II.

Colombine arrive.

COLOMBINE.

Air : Morguienne de vous

310   Mon cher Arlequin, ton humeur chagrine

Trouble le destin de ta Colombine.

Morguienne de toi, quel homme ! quel homme !

Calme ton effroi, tu seras à moi.

ARLEQUIN.

Hélas ! je ne puis concevoir,

315   Sur quoi tu fondes cet espoir.

Le Docteur me sera contraire,

Je ne pourrai jamais lui plaire.

Il ne faut pour nous rendre heureux,

Prendre conseil que de nous deux.

COLOMBINE.

Air : Réveillez-vous, [belle endormie]

320   Pour mieux parler de notre flamme,

Entre avec moi dans le logis,

Je crois que t'habillant en femme,

Tu ne seras jamais surpris.

ARLEQUIN.

Je n'aurai pas trop bonne mine

325   En équipage féminin.

Allons... souviens-toi, Colombine,

Que je suis toujours masculin.

SCÈNE III.

Une nuit. Scaramouche va sous la fenêtre du Docteur. Les violons jouent le sommeil.

SCARAMOUCHE.

Docteur, qui chaque nuit fait ici sentinelle,

Ne verse point sur moi ton grand pot à pisser,

330   Ne verse, etc.

ARLEQUIN, à la fenêtre, chante.

Air : Vous m'entendez bien

Scaramouche, retirez-vous,

Car vous avez bien des jaloux.

Croyez en Marinette,

Hé bien !

335   Je crains qu'on ne vous traite,

Vous [m'entendez bien].

SCARAMOUCHE, continue sur l'air du sommeil

Trop heureux, trop heureux, si pour vous, ma belle,

Je me pouvais faire rôtir.bis

ARLEQUIN.

Air : Vous m'entendez bien

Je prétends répondre à mon tour

340   Aux sentiments de votre amour.

Parlez à Marinette,

Hé bien !

Avec cette trompette,

Vous m'entendez [bien].

Même air.

345   J'ai fait faire cet instrument,

Pour nous parler plus sûrement.

Approchez votre oreille,

Fort bien,

Vous êtes à merveille,

350   Vous m'entendez [bien].

Même air.

J'ai pour vous une telle ardeur,

Que je sens grésiller mon coeur.

Je verse pour vos charmes,

Hé bien !

355   Un déluge de larmes,

Vous m'entendez [bien].

Il lui jette le pot de chambre.

SCARAMOUCHE, se voyant mouillé, chante sur la suite du sommeil.

Je suis mouillé, l'on punit ma sottise.

L'eau dégoute partout, que maudit soit le pot.

Il faut pour sécher ma chemise

360   Que j'aille brûler un fagot.

Il faut, etc.

SCÈNE IV.

Une chambre.

ARLEQUIN, paraît à sa toilette, et chante.

Que d'ustensiles différents,

Pour attirer les soupirants.

Toujours par la toilette,

365   Hé bien !

Triomphe une coquette,

Vous m'entendez [bien].

Il se mire.

Ma foi, je suis un beau garçon,

370   J'ai le nez tout à fait mignon,

Ma figure est gentille,

Hé bien !

Si j'étais une fille,

Vous m'entendez bien.

375   Je veux me poudrer, me rougir,

Me vermillonner, me blanchir.

Et pour fuir les alarmes,

Hé bien !

Mettre à profit mes charmes,

380   Vous [m'entendez bien].

Puisque j'ai l'air si féminin,

Je veux par un discours badin,

Contrefaire le style,

Hé bien !

385   D'une coquette babille,

Vous m'entendez [bien].

Puis aussi sur un ton nouveau,

Feindre la voix d'un damoiseau,

Qui prétend faire emplette,

390   Hé bien !

Du coeur d'une coquette,

Vous [m'entendez bien].

Arlequin s'assied et s'adresse à une chaise qui est devant lui et chante sur l'air Ne m'entendez-vous pas.

Madame, à vos appas,

Je viens pour rendre hommage.

395   Heureux si sans partage,

Je puis entre vos bras,

Ne m'entendez-vous pas.

Il répond pour la femme.

Je le connais trop bien,

400   Vous cherchez à me plaire,

Vous êtes téméraire,

Et vous ne valez rien,

Je le connais trop bien.

L'homme.

405   Ah ! faites plus de cas

D'une si belle flamme.

Je vous aime, Madame,

Et voudrais bien, hélas !

Ne m'entendez-vous pas ?

410   La femme.

Vous êtes trop pressant,

Ma vertu s'effarouche.

Soyez moins violent,

Vous êtes trop pressant.

415   L'homme.

Ah ! l'aimable museau,

Et que ta gorge est belle.

Je veux, ma tourterelle,

Être ton tourtereau.

420   Ah ! l'aimable museau.

Il baise sa main.

La femme.

Fi donc, petit badin,

Qu'osez-vous entreprendre ?

425   Vous êtes trop malin.

Fi donc, petit badin,

L'homme.

Rien ne peut m'arrêter,

Dans ma vive tendresse.

430   La femme.

Je suis une Lucrèce,

Pourquoi me tourmenter ?

Vous voulez m'affronter.

L'homme.

435   Cupidon m'a vaincu,

Mon aimable Silvie.

La femme.

Finissez, je vous prie,

Respectez ma vertu,

440   Ou vous serez battu.

L'homme.

Tous vos efforts sont vains,

Charmante impératrice.

La femme.

445   Ah ! Monsieur le Jocrisse,

Quittez de tels desseins,

Ne jouez plus des mains.

SCÈNE V.

LE DOCTEUR, les surprend, et chante sur le même ton.

Que faites vous ici,

Madame la carogne ?

450   Reconnaissant Arlequin.

Quoi ! c'est vous, chien d'ivrogne

Qui babillez ainsi ?

Sortez vite d'ici.

Il le chasse.

SCÈNE VI.

LE DOCTEUR.

Air : La nuit ramène en vain, parodie.

D'une jeune beauté, la garde est difficile,

455   Mes soins seront-ils superflus ?

Je ne m'étonne point si l'on voit des cocus,

Au manège d'amour la femme est trop habile.

SCÈNE VII.

LE DOCTEUR, apercevant Scaramouche, chante.

C'est à vous de servir mon âme vigilante,

Je vous ai destiné mon aimable servante.

460   Contre tous vos rivaux, je prétends vous armer,

À grands coups de tricot, il faut les abimer.

SCARAMOUCHE.

Air : Trembleurs

Je suis prêt à faire rage,

Je punirai qui m'outrage.

Ah ! quel horrible carnage,

465   Et que de sang répandu.

J'ai perdu la connaissance.

Tout excite ma vengeance,

Évitez donc ma puissance,

Ou bien vous serez battu.

Il les chasse.

ACTE III

SCÈNE I.
Arlequin, Colombine.

ARLEQUIN.

Air : Voulez-vous savoir qui des deux

470   Ne verrai-je jamais le jour

Qui doit couronner mon amour ?

Vous brûlez d'une faible flamme,

Ah ! c'est trop offenser mes feux.

Hélas ! je voudrais bien, Madame,

475   Nous voir accoupler tous les deux.

COLOMBINE.

Air opéra.

De quels reproches encor venez-vous m'alarmer ?

Votre amour, quelque temps, ne peut-il se contraindre ?

Que sert, ingrat, de vous aimer ?

De vous, hélas ! j'ai tout à craindre.

ARLEQUIN.

Air : Ne m'entendez-vous pas.

480   Je ne me plaindrais pas,

Mais en vain je vous aime.

Si vous m'aimiez de même,

Ma Colombine, hélas !

Je ne me plaindrais pas.

COLOMBINE.

485   Vous plaignez-vous, ingrat,

De ma flamme parfaite.

Vous aimez, Marinette,

Perfide scélérat.

Mais... à bon chat, bon rat.

ARLEQUIN.

Air : Réveillez[-vous] belle endormie

490   C'est le sujet de mes alarmes,

Vous reconnaissez mal ma foi.

Je renonce à tout pour vos charmes,

Et vous ne faites rien pour moi.

ARLEQUIN.

Air : Lampons.

Raccommodons-nous toujours,

495   C'est le plaisir des amours.

À la foire, c'est la mode,

On se brouille, on s'accommode,

Lampons, lampons,

Colombine, lampons.

500   Tu ne danses pas trop mal,

Allons-nous-en donc au bal,

Chez la jeune cafetière,

Chacun danse à sa manière.

Lampons, lampons,

505   Colombine, lampons.

On y danse des menuets,

Toutes sortes de ballets.

Souvent ce qui plus tourmente

On y danse la courante.

510   Lampons, lampons,

Colombine, lampons.

SCÈNE II.

On ouvre. Les violons jouent la marche. Troupe de marchands forains. Salle de bal.

LE CHOEUR.

Marchands forains, rassemblons-nous,

Ça, que l'on danse, que l'on chante.

Quel séjour peut être plus doux ?

515   Bannissons les soupçons jaloux.

À la foire galante

L'amour nous trompe tous.

On danse l'air des masques, ensuite on chante Ah ! d'un curé. Après on danse encore l'air des masques.

PIERROT, masqué.

À la danse

Je viens en masque

520   Pour n'être pas reconnu,

A c i o u.

À ma taille délibérée,

Me prendrait-on pour Pierrot

O o o diu hurhaut.

On danse un menuet.

PIERROT.

Air : La Guinguette

525   Entrons au bal,

Et sans cérémonie

Accostons-y

Quelque jeune beauté.

Faisons lui voir

530   Que quoique l'on en dise,

Pierrot est un vivant

Qui fait, qui fait

Chiffonner bien un falbala.

Pierrot va caresser Colombine.

ARLEQUIN.

Air : Tu n'as pas le pouvoir

Doucement, Monsieur l'animal,

535   Voici votre rival,

Vous chiffonnez son falbala

Retirez-vous de là.bis

Il le frappe.

PIERROT.

Mais, Monsieur, pourquoi me frapper ?

Vous n'avez qu'à parler.bis

540   Je connais pourtant des époux

Plus dociles que vous.bis

Arlequin le frappe encore.

LES CHANTEUSES, à l'imitation de Formons d'aimables jeux.

Arlequin, c'est à tort que vous êtes jaloux,

Pierrot ne vient ici que pour l'amour de nous.

PREMIÈRE CHANTEUSE.

C'est pour moi que Pierrot ici porte ses pas,

545   Il a senti le pouvoir de mes charmes.

Arrêtez, Arlequin, ne le frappez donc pas !

Épargnez-moi de mortelles alarmes,

Arlequin, c'est à tort, etc.

PIERROT.

Air : Trembleurs

En vain donc je suis en masque,

550   Puisqu'on sait me reconnaître.

Mais malgré la connaissance,

Arlequin m'a maltraité.

N'importe, je lui pardonne,

Pierrot n'a point de rancune,

555   C'est par faute de courage

Que je suis lâche et poltron.

SCÈNE III.
Le Docteur et Scaramouche armés.

Arlequin et Scaramouche se battent. Scaramouche fuit, Arlequin le poursuit. Colombine se pâme, Pierrot veut la secourir et chante Filles qui***

LA CHANTEUSE, les apercevant, chante à l'imitation de la scène quatrième de la troisième entrée Mais que vois-je

Mais, que vois-je ? Ô cieux ! cruels, d'où provient votre rage ?

Quoi ! vous venez au bal pour faire carillon ?

SCARAMOUCHE.

Air : Réveillez-vous, [belle endormie]

Oui, je viens pour faire tapage,

560   Vous devinez notre dessein.

Et puisque son amour m'outrage,

Il faut qu'il meure de ma main.

COLOMBINE.

Vous voyez mon ardeur,

Il n'est plus temps de feindre.

565   Arlequin a mon coeur,

Et vous êtes à plaindre,

Lizon, etc.

SCARAMOUCHE.

Quoi ! malgré tous mes feux,

Mes soins et ma tendresse,

570   Mes larmes et mes voeux,

Je serai donc malheureux.

Tu lui donnas ta foi,

Tu te moques de moi,

C'est pourquoi,

575   Je veux, double tigresse,

Le massacrer devant toi.

COLOMBINE.

Air : Ma mère, mariez-moi

Arlequin a réussi.

L'Amour m'a parlé pour lui.

Votre sort serait plus doux

580   S'il m'avait parlé,bis

Votre sort serait plus doux

S'il m'avait parlé pour vous.

ARLEQUIN, à genoux, s'adressant à Scaramouche.

Même air.

Mon ami, vous avez tort

De vous emporter si fort.

585   Je suis un pauvre poltron,

Accordez-moi donc,bis

Je suis un pauvre poltron,

Accordez-moi le pardon.

SCARAMOUCHE.

Il faut céder, enfin,

590   À ma fureur extrême.

Immolons Arlequin.

Colombine et moi-même,

Lizon, zon.

Mais, le puis-je ? insensé !

595   Quel vain espoir me flatte ?

Ses beaux yeux m'ont blessé,

Épargnons cette ingrate,

Lizon, zon.

S'adressant à Arlequin.

600   Mais apprends, malheureux,

Avant que je combatte,

Qu'il est bien dangereux

De tomber sous ma patte,

Lizon, etc.

SCÈNE IV.

PIERROT.

605   Donnez-moi vite du secours,

Colombine se pâme,bis

Et pour la faire revenir,

Du vinaigre à sentir,

Donnons-lui du vinaigre.

610   Ah ! par ma foi, tout est perdu,

L'enflure la suffoque.

Tâchons de lui trouver le pouls.

Madame, êtes-vous morte, êtes-vous,

Madame, êtes-vous morte ?

615   Mais voyons sans plus différer,

Si sa bouche respire.

Il la baise.

Vous n'êtes pas morte, je sens

Quelque signe de vie, je sens

Quelque signe de vie.

SCÈNE V.

ARLEQUIN.

620   Réveillez-vous, belle endormie,

Voici votre cher Arlequin.

Si vous renoncez à la vie,

Je mourrai bientôt de chagrin.

SCÈNE VI.

COLOMBINE.

Air : Mes yeux ne pourrez[-vous jamais], parodie

Vénus ne pourrez-vous jamais

625   Forcer le Docteur à se rendre ?

Hélas ! faites-lui donc entendre

Qu'il faut que je cède à vos traits.

Vénus, etc.

VÉNUS, à l'imitation de Dans ces lieux tout doit se satisfaire, s'adressant au docteur.

À ses voeux, ne soyez plus contraire.

630   Pour son cher Arlequin, j'ai voulu l'enflammer.

Je prétends que pour me satisfaire,

On ne la prive pas du plaisir de l'aimer.

LE CHOEUR.

Arlequin tout doit te satisfaire.

Le Docteur ne saurait l'empêcher de t'aimer.

635   Quand on est assez heureux pour plaire,

L'amour de plus en plus devrait nous enflammer.

LE DOCTEUR, s'adressant à Vénus.

Air : Réveillez-vous, [belle endormie]

Ma volonté cède à la votre.

À Colombine.

Vous triomphez de nos jaloux.

Mon penchant parlait pour vous.

LE CHOEUR.

640   Arlequin tout doit, etc.

ARLEQUIN.

Vous brillez seule en ces retraites,

Vous effacez tous les appas.

L'amour ne se plaît qu'où vous êtes,

Et languit où vous n'êtes pas.

645   Pour vous seule mon coeur soupire,

Lan lare.

LE DOCTEUR, à l'imitation des dernières paroles de la troisième scène de la quatrième entrée.

Que tout signale ici leur ardeur mutuelle !

Qu'on offre à leur égard la fête la plus belle.

Les violons jouent la marches des Bostangis.

SCÈNE VII.
Troupe de marchands forains.

LE DOCTEUR.

Air : Vivir, parodie.

Aimez, aimez Colombine, vivir.

650   Que votre humeur Arlequine unir

Songe un peu moins à la cuisine, mi.

Ne soyez pas si friand, bello

Du fromage de Milan, durar

Que la crainte du cocuage

655   Ne trouble pas votre ménage.

Quand tout vient abondamment,

On doit dire hautement :

Favor celesta,

D'aver corne in testa.

660   Sois tranquille

Dans la ville,

On trouve peu de maris difficiles.

D'un époux

Trop jaloux,

665   Les soins sont vains, et la garde inutile.

Un époux

Trop jaloux

Lui-même rend son épouse fragile.

Trop d'esprit

670   Toujours nuit,

En pareil cas il vaut mieux être Gille.

ARLEQUIN.

Sans contrainte,

Plus de crainte

Suivez-moi tous, je vous paierai pinte.

 



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