******************************************************** DC.Title = L'AMOUR ET LE CÉLIBAT, COMÉDIE. DC.Author = VERDIÉ, Antoine DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 08:07:48. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/VERDIE_AMOURETCELIBAT.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6134978k DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** L'AMOUR ET LE CÉLIBAT COMÉDIE EN UN ACTE ET EN VERS. 1819. par M. VERDIÉ À BORDEAUX, DE L'IMPRIMERIE DE LA VEUVE J.-B. CAVAZZA RUE DES LOIS, N.° l3, PRÈS LA PORTE-BASSE. PERSONNAGES. MONSIEUR DURANT, oncle de Dorval. DORVAL. LAFLEUR, domestique de M. Durant. HORTENSE. LISETTE, suivante d'Hortense. La scène se passe à Paris. L'AMOUR ET LE CÉLIBAT Le théâtre représente un salon, dans lequel on voit de chaque côté l'entrée d'un appartement ; celui du côté droit de l'acteur est occupé par Hortense , et l'autre par Monsieur Durant et son neveu ; quelques fauteuils sont placés dans le salon. SCÈNE I. Monsieur Durant, Dorval, sortant de leur appartement. MONSIEUR DURANT, tenant une lettre, ouverte à la main. Hé bien, mon cher Dorval, en faut-il davantagePour vous faire à jamais haïr le mariage ;Enfin, vous le voyez, Damont par ses aveuxNous apprend que l'hymen l'a rendu malheureux ;Je frémis aux détails que contient cette lettre ; Or, si j'ai désiré vous la faire connaître,C'est pour vous préserver d'un semblable malheur,Et conserver la paix qui règne en votre coeur ;Vous l'entendez, Damont, en prenant une femme,Confesse avoir perdu le repos de son âme, Qu'il est au désespoir, qu'il n'a plus tout son bien,Que grâce à son épouse il ne lui reste rien,Que c'est un vrai démon, un être détestableQui lui rend chaque jour la vie insupportable ;Enfin, termine-t-il, en me parlant de vous, Prenez garde à Dorval qu'il ne devienne époux,Représentez-lui bien qu'il n'est pas d'esclavagePlus dur à supporter que celui du ménage,Que s'il veut bien m'en croire, et suivre ma leçon,Pour ne pas s'y livrer il restera garçon. Ainsi, mon cher neveu, voilà qui vous regarde,Il est vrai que je sais que vous êtes en gardeContre ce qui pourrait troubler votre repos ;Mais on ne saurait trop vous tenir ces propos,Les jeunes gens sont vifs, et dans l'extravagance Se laissent entraîner faute d'expérience ;J'espère, cependant, vous voir remplir les voeuxD'un oncle dont le but est de vous rendre heureux. DORVAL. Je vous ai fait serment, et je le renouvelle,De vous prendre toujours pour guide et pour modèle. MONSIEUR DURANT. Dorval, vous le voyez, exempt de tout chagrin,Votre oncle chaque jour compte des jours sereins, Je n'ai point à souffrir les pénibles disgrâcesQue l'hymen tôt ou tard fait naître sur ses traces ;Libre dans mes désirs, sans cesse en liberté, Rien ne trouble le cours de ma tranquillité,Les peines, les soucis ni la mélancolieN'ont jamais altéré ma physionomie,Vous me voyez toujours gai, dispos et content,Ainsi, mon cher Dorval, sachez en faire autant. DORVAL. De vos prudents conseils je sais trop faire usagePour ne pas détester et fuir le mariage ;Je suis trop pénétré de votre heureux étatPour voir que rien n'est beau comme le célibat ;Je conviens avec vous que l'amour est un crime, Et je veux imiter un oncle que j'estime. MONSIEUR DURANT. Vous savez qu'à ce prix tout mon bien est à vous,Le sort qui vous attend doit vous paraître doux ;Mais si jamais Dorval parle de mariage,Il ne doit plus compter sur ce bel héritage, Telle est ma volonté. DORVAL. Je veux vous obéir,Et si jamais l'amour chez moi se fait sentir,Je viens auprès de vous avec cette assuranceQue vous vous armerez pour prendre ma défense. MONSIEUR DURANT. Vous pouvez y compter, mais évitez toujours, Autant que vous pourrez, des femmes les discours :Allons, veuillez rentrer, occupez-vous à lire,Moi je sors un instant, allez. DORVAL. Je me retire. SCÈNE II. MONSIEUR DURANT, seul. Comme il a l'air soumis, c'est vraiment un bonheur ;Mais depuis quelques jours je le trouve rêveur, Aurait-il par hasard quelque intrigue amoureuse?Voudrait-il me cacher ? oh ! l'idée est affreuse. SCÈNE III. Monsieur Durant, Lafleur. MONSIEUR DURANT. Ah ! Te Voilà Lafleur, qu'a dit mon avocat ? LAFLEUR. Que votre affaire était dans le meilleur état,Qu'il la menait bon train, et que dans cette année Vous auriez le plaisir de la voir terminée, MONSIEUR DURANT. Attendre si longtemps ; mais rien n'est plus fâcheux,D'avoir de tels procès que l'on est malheureux. LAFLEUR. Certain de le gagner vous ne devez rien craindre,Et c'est mal à propos que je vous entends plaindre ; De plus, en attendant qu'il se termine un jour,Vous voyez de Paris l'agréable séjour :Or, on n'est jamais mieux que dans la capitale. MONSIEUR DURANT. Cesse de me vanter cette ville infernale,Où l'on trouve partout, sous de trompeurs appas, Des pièges, des complots, des écueils sous ses pas. LAFLEUR. Jamais je ne vous vis me parler de la sorte,Non, je n'y comprends rien ou le diable m'emporte ;Monsieur, expliquez-vous, d'où provient cette humeur ?Quelque belle aurait-elle attaqué votre coeur ? L'amour, à soixante ans, jaloux de sa puissance,Oserait-il venir troubler votre existence ?D'apprendre un tel malheur vous me voyez trembler. MONSIEUR DURANT. Maraud, c'est bien de moi dont je veux te parler ;Je ne redoute point de l'amour les atteintes, Mais je dois pour Dorval avoir de fières craintes. LAFLEUR. Pouvez-vous bien avoir le plus léger soupçonContre votre neveu, lui, ce pauvre garçon,Qui se croirait perdu s'il regardait en faceUn de ces beaux minois à qui chacun rend grâce ; Lui qui devant le sexe est plus craintif cent foisQu'un cerf que des chasseurs ont réduit aux abois ;Qu'une tendre brebis que le loup plein de rageEmporte sur son dos pour en faire un carnage ;Qu'un malheureux oiseau, dans son triste séjour, Qui voit fondre sur lui les griffes d'un vautour.Non, Monsieur, croyez-moi, Dorval n'est point capable,En matière d'amour, de se rendre coupable ;Il est trop satisfait, trop content de son sort,Ainsi, le soupçonner, c'est vraiment avoir tort. Tenez... lundi dernier, du moins il me le semble,Pour aller quelque part nous sortîmes ensemble,Voyant une beauté, j'osai lui demanderComment il la trouvait, exprès pour le sonder ;Il s'arrête à l'instant, puis prenant la parole, Il me dit d'un ton sec que je n'étais qu'un drôle,Que si je m'avisais de tenir ces discours,Il me ferait chasser de chez vous pour toujours ;Je le sollicitai de ne rien vous en dire,Pour mieux jouer mon rôle, MONSIEUR DURANT. Ah ! Lafleur, je respire. Je ne te cache pas que ce récit flatteurDétruit tous les soupçons que j'avais sur le coeur ;Je vois bien que Dorval est rempli de mérite,Mais il faut cependant veiller sur sa conduite,De ne point le quitter je t'impose la loi. LAFLEUR. Monsieur, comme sur vous comptez toujours sur moi,Je vous réponds de lui. MONSIEUR DURANT, en sortant. Je me fie à ton zèle. LAFLEUR. Lafleur sera toujours un serviteur fidèle. SCÈNE IV. Dorval, Lafleur. LAFLEUR. Ah ! Vous voilà, Monsieur, pourquoi donc vous montrer,Votre oncle m'a chargé de vous faire rentrer. DORVAL. Conviens donc avec moi que rien n'est plus indigne. LAFLEUR. Ma foi j'en suis fâché, mais telle est ma consigne ;Heureusement pour vous que j'en fais peu de cas ;Mais il m'est ordonné de veiller sur vos pas. DORVAL. Je me lasse à la fin d'avoir un pareil maître. LAFLEUR. Je vous ai dit cent fois qu'il faut l'envoyer paître.Comment, quand vous brûlez du plus ardent amour,Et qu'un aimable objet vous adore à son tour,Je vous vois obligé d'en faire un sacrifice,Pour suivre aveuglement d'un oncle le caprice ! Songez donc que mes soins deviennent superflus,Et que dorénavant je ne m'en mêle plus,Si je n'entends bientôt parler de mariage. DORVAL. Mais si je dis un mot je perds tout l'héritage. LAFLEUR. Vous perdez, dites-vous, et qu'importe le bien ? Où le bonheur n'est pas la fortune n'est rien :On est toujours heureux près de l'objet qu'on aime ;Or, on ne cherche pas à l'être pour soi-même. DORVAL. Que va dire mon oncle ? Il sera furieuxSi jamais je lui fais de semblables aveux ; Il va m'anéantir du poids de sa colère,Car tu sais sur ce point combien il est sévère. LAFLEUR. Et que redoutez-vous, quand pour vous établirVous renoncez, Monsieur, à ces biens à venir ?D'un esclavage affreux votre hymen vous délivre; Votre oncle a pour le moins encor trente ans à vivre,Et j'aimerais bien mieux n'avoir jamais le sou,Que de passer ma vie auprès de ce vieux fou. DORVAL. Je conviens avec toi que c'est un peu terrible ;Mais écoute-moi donc, s'il nous était possible D'arranger tout ceci d'une telle façonQue mon oncle aurait tort et que j'aurais raison,Ce ne serait pas mal ; car, vois-tu bien, j'enrageQuand je vois que je perds un si bel héritage ;Et malgré ce qu'en dit le proverbe du jour, La fortune, je crois, ne nuit point en amour.Je m'abandonne à toi, voyons, cherche, examine :Hé bien, tu ne dis mot, LAFLEUR. Attendez, je rumine, Oui, c'est ça, justement ; ô l'excellent projet ! DORVAL. Voyons donc, quel est-il ? LAFLEUR. Monsieur, c'est mon secret. DORVAL. Je ne te comprends pas, parle, daigne m'instruire. LAFLEUR. Ne vous mêlez de rien et laissez-vous conduire,Continuez toujours d'agir de la façon,Votre oncle va bientôt se prendre à l'hameçon ;Oui, vous serez heureux, et quoi qu'il puisse faire, Je le corrigerai d'être célibataire,Je veux que de l'amour il subisse la loi ;Ainsi, reposez-vous entièrement sur moi. DORVAL. Je veux bien t'accorder toute ma confiante,Et si tu réussis... LAFLEUR. J'aurai ma récompense. Quant à ça je le sais, vous êtes généreux ;Mais apprenez, Monsieur, que nous sommes à deux :Comme n'ignorant pas qu'elle est fine soubrette,Je ne puis me passer des secours de Lisette ;Elle entre dans mon plan, or vous devez penser Que pour la faire agir il faut l'intéresser. DORVAL. Si vous me servez bien, et que je me marieSans que mon oncle ait droit de se mettre en furie,Soyez sûrs, mes amis, que vous serez contents,Je vous donne une dot de quatre mille francs. LAFLEUR. Ah ! Monsieur, à ce prix votre affaire est bien sûre ;Mais ne disons plus rien, Voici votre future,Je vous laisse tous deux, et vais sur le balcon,Crainte d'être surpris, me mettre en faction ;Surtout soyez discret. Il sort par la grande porte du salon. SCÈNE V. Hortense, Dorval. DORVAL. Bonjour, ma chère Hortense. HORTENSE, d'un air craintif. Bonjour, mon cher Dorval. DORVAL. Soyez en assurance,Mon argus est absent, et jusqu'à son retourNous pouvons en ces lieux parler de notre amour ;Heureux lorsque je puis vous tenir ce langage,Je sens à chaque mot que mon coeur se soulage ; Rien n'est plus doux pour moi que cet heureux moment,Où de vous adorer je vous fais le serment. HORTENSE. Dorval, vous connaissez le secret de mon âme,Vous savez si mon coeur répond à votre flamme,Si vous m'êtes bien cher ; mais quel est notre espoir, À peine est-il permis que nous puissions nous voir. DORVAL. Mon oncle, j'en conviens, me surveille sans cesse,Mais malgré son erreur comptez sur ma tendresse ;Ne vous alarmez pas, je prétends le fléchir,Et si je ne parviens à pouvoir l'attendrir, Je brave son courroux. SCÈNE VI. Hortense, Dorval, Lafleur. LAFLEUR. Monsieur, quittez la place, Votre oncle suit mes pas. DORVAL. Quelle affreuse disgrâce !Déjà nous séparer, ô contre-temps fatal !Adieu, ma chère Hortense. HORTENSE. Adieu, mon cher Dorval. SCÈNE VII. LAFLEUR, seul. C'est fort bien ; maintenant, songeons à notre affaire D'abord, je ne veux point vivre en célibataire,L'oncle est loin d'arriver, or je puis, à mon tour,Avec Lisette ici parler de notre amour ;C'est que tel qu'on me voit je suis un bon apôtre,Qui ne céderais point ma partie à tout autre ; Lisette me convient, elle m'adore ; ainsi,Comme monsieur Dorval, je me marie aussi. SCÈNE VIII. LISETTE, (elle vient de la ville), Lafleur. LAFLEUR. Salut au tendre objet pour lequel je soupire,Et de qui les appas causent tout mon martyre. LISETTE. Peste, mon cher Lafleur, je m'aperçois vraiment Que depuis quelques jours tu deviens très galant, LAFLEUR. Oui, je veux te nommer ma reine, mon amante,Te donner mille noms qu'un tendre amour invente -yTiens, pour en terminer sans autres questions,Apprends qu'au seul aspect de tes deux yeux fripons, Je ne puis contenir mon amoureuse flamme ;Ainsi, c'est décidé, je te prends pour ma femme. LISETTE. Va, puisque tu le prends sur un semblable ton,Ne demandant pas mieux, je ne te dis pas non ;Une fille toujours aspire au mariage ; Mais comment ferons-nous pour nous mettre en ménage,Tu sais, mon cher Lafleur, que je n'ai pas de bien,Toi, d'un autre côté, tu ne possèdes rien ;Ainsi je crois très fort, d'après ce que j'augure,Que nous ferons ensemble une triste figure. LAFLEUR. D'entendre un tel discours je suis très étonné,Ne peut-on être heureux sans être fortuné ?Crois que j'ai de l'espoir, car ma bonne aventureM'a dit qu'avant longtemps je roulerais voiture ;Or, tu sens avec moi que l'on peut bien s'unir Quand on est assuré d'un pareil avenir ;Il me semble déjà que Lafleur et LisetteSont, parmi le bon ton, des gens à l'étiquette. LISETTE. Oui, mais on nous dira : ce sont des revêtus. LAFLEUR. Qu'importe ce qu'on dit quand on tient les écus ; Va, beaucoup de fripons regorgent de richesse,Qui n'ont pas, comme toi, cette délicatesse. LISETTE. Je ne l'ignore point, mais comment parvenir,Sans avoir des talents à pouvoir s'enrichir. LAFLEUR. Des talents, allons donc, ne sais-tu pas, ma chère, Qu'aujourd'hui le plus sot est celui qui prospère ;Pour amasser du bien un peu de front suffit,Et cela vaut bien mieux que d'avoir de l'esprit ;Combien voit-on de gens de profonde scienceQui sont les bras croisés sans moyens d'existence : Ainsi, je pense donc que sans être bien fin,Souvent de la fortune on trouve le chemin ;Tiens, par exemple, toi, si tu voulais le faire,Tu peux en quatre mots faire une bonne affaire. LISETTE. Je le veux ; mais avant puis-je te demander Ce qu'il faut que je dise. LAFLEUR. Il faut me seconder,Faire croire au barbon que ta jeune maîtresseBrûle en secret pour lui d'une vive tendresse,Qu'elle l'adore ; enfin, lui faire des aveuxQue tu t'inventeras pour le rendre amoureux : Si nous réussissons, alors mon jeune maîtrePourra parler d'amour. LISETTE. Mais c'est me compromettre. LAFLEUR. Quoi ! Tu balancerais à servir deux amantsQui nous font une dot de quatre mille francs ;Dorval les a promis, il nous tiendra parole, Ainsi, fais tes efforts pour bien jouer ton rôle ;On trouve rarement à gagner pareil lot. LISETTE. Sans trop d'ambition je me rends à ce mot.Je vais, de mon côté, faire tout mon possiblePour soumettre ce coeur qui se dit invincible ; Je veux lui faire voir, avant la fin du jour,Qu'un mortel tôt ou tard doit connaître l'amour ;Mais entendons-nous bien, premièrement... LAFLEUR, apercevant Monsieur Durant. Silence !Rentre vite chez toi, le voici qu'il s'avance. LISETTE. Bonjour, Monsieur Lafleur. LAFLEUR, affectant de l'humeur. Trêve de compliments, À me parler ainsi vous perdez votre temps ;Je vois ce qu'il en est, allez, Mademoiselle,On lui résistera, malgré qu'elle soit belle. SCÈNE IX. Lafleur, Monsieur Durant. MONSIEUR DURANT. Qu'as-tu, mon cher Lafleur ? LAFLEUR. Oh ! Le coup est cruel ;Monsieur, dépêchons-nous, sortons de cet hôtel. MONSIEUR DURANT. Qu'est-il donc arrivé ? Veuilles bien m'en instruire,Quelqu'un m'a-t-il fait tort ? LAFLEUR. Hélas, c'est bien plus pire ;Ne m'interrogez pas. MONSIEUR DURANT. Mais tu perds la raison. LAFLEUR. Non, Monsieur, croyez-moi, quittons cette maison ;Je ne pourrais jamais vous compter l'aventure, Sans faire à votre coeur une large blessure ;Ainsi, je ne veux point vous mettre au désespoir. MONSIEUR DURANT. Lafleur, dès ce moment je prétends tout savoir. LAFLEUR. Puisque vous m'y forcez, je ne puis m'en défendre,Mais vous allez frémir quand vous allez apprendre Que Lisette en secret m'a fait ici l'aveuQue sa jeune maîtresse... MONSIEUR DURANT. Adore mon neveu.J'en avais le soupçon ; oui, cette idée affreuseMe causait du chagrin, et mon âme rêveuseSemblait me présager ce funeste malheur, Qui trouble mon esprit et me met en humeur.Je gage que Dorval répond à sa tendresseEt que son coeur épris se livre avec ivresse ;Mais je vais l'en punir : lui qui dans le momentDe nE jamais aimer me faisait le serment, Il ose être amoureux, de n'est pas pardonnable. LAFLEUR. Vous vous trompez, Monsieur, Dorval n'est point coupable.Je puis vous assurer, sans feinte et sans détour,Que ce n'est pas pour lui qu'Hortense a de l'amour :Vous allez, j'en suis sûr, faire le diable à quatre, Mais il n'est pas moins vrai qu'elle vous idolâtre ;Oui, Monsieur, c'est de vous dont il est question,Et non pas de Dorval. MONSIEUR DURANT. Ah ! Le pauvre garçon,Je l'accusais à tort... Tu me dis donc qu'Hortense... LAFLEUR. Depuis plus de trois mois vous adore en silence ; Lisette d'un air fin, faisant semblant de rien,M'a tout communiqué durant notre entretien ;Mais il fallait me voir comme je l'ai reçue,Elle croyait vraiment que j'avais la berlue,Que je ne voyais pas, dans ce discours flatteur, Qu'on me chargeait du soin de toucher votre coeur. MONSIEUR DURANT. Voyez donc ce que c'est ; et que te disait-elle ? LAFLEUR. Qu'elle enrageait de voir sa maîtresse, aussi belle,Ne vouloir épouser qu'un vieillard tel que vous,Tandis qu'elle pouvait choisir un jeune époux ; Qu'elle vous aimait fort, que votre caractère Lui rendait chaque jour votre personne chère,Et qu'Hortense en secret lui dit, de temps en temps,Qu'on ne vous donnerait pas plus de quarante ans ;Que vous lui conveniez, mais que c'est grand dommage Que l'on ne puisse pas vous parler mariage ;Enfin, que sais-je encor tout ce qu'elle me dit. MONSIEUR DURANT. Et qu'as-tu répondu ? LAFLEUR. Qu'elle perdait l'esprit,Qu'on avait beau prêcher, qu'il était impossibleDe rendre votre coeur à l'amour accessible. MONSIEUR DURANT. C'est bien... oui... c'est fort bien... je n'aurais pas mieux fait. LAFLEUR, à part. Bon, ça ne prend pas mal, le voilà tout distrait ;J'espère lui donner bien du fil à retordre,Et mettre son esprit tout à fait en désordre. MONSIEUR DURANT, à part. Puis-je bien écouter tout ceci de sang-froid. LAFLEUR. Monsieur a-t-il besoin que j'aille en quelque endroit ? MONSIEUR DURANT. Non pas pour le moment, mais mon neveu s'ennuie,Ainsi, va le trouver et fais-lui compagnie ;J'ai besoin d'être seul. LAFLEUR. Monsieur, cela suffit. SCÈNE X. MONSIEUR DURANT, seul. Voyons réfléchissons à tout ce qu'il m'a dit, Jamais je n'ai senti ce que mon coeur éprouve,Et je ne conçois pas l'état où je me trouve,L'amour sur mes vieux ans, pour la première fois,Viendrait-il à la fin me ranger sous ses lois ; On dit que tôt ou tard il faut payer sa dette, Je commence à le croire, et cela m'inquiète :Cependant, quand je songe à ce qu'a dit Lafleur,Je né vois pas vraiment que ce soit un malheur ;On m'aime, hé bien, tant mieux, quand on est à mon âge,On doit mettre à profit un pareil avantage ; Je suis encore vert, Hortense a des appas,Pourquoi donc, à mon tour, ne l'aimerais-je pas ;Il me semble, vraiment... Mais comment vais-je faire,Moi qu'on a vu toujours vivre en célibataire,Détester de l'hymen l'enchaînement fatal, Et toujours sur ce point persécuter Dorval,Puis-je de bonne foi, sans être ridicule,Former cette union.... Esprit faible et crédule,Insensé que je suis, puis-je bien sans frémirParler de la façon, non, je devrais rougir ; Va, fuis loin de mes yeux perfide enchanteresse,Pour me séduire en vaux tu parles de tendresse,Je te résisterai quels que soient tes appas, Et de tout ton amour je ferai peu de cas,Mais pourquoi donc tenir cet horrible langage, Qui fait qu'à chaque mot je sens que je l'outrage ?Qui peut causer le mal dont je suis tourmenté,Et qui met mon esprit dans la perplexité?Serait-ce bien l'amour ! Ô douleur trop cruelle ! SCÈNE XI. Lisette, Monsieur Durant. LISETTE. Bien le bonjour, Monsieur. MONSIEUR DURANT. Bonjour, Mademoiselle ; Venez-vous en ces lieux pour faire des progrès,Et tâcher d'obtenir quelques brillants succès :Vous perdez votre temps. LISETTE. Que prétendez-vous dire ;Monsieur, de tels propos font que je me retire. MONSIEUR DURANT. Lisette, réponds-moi, qu'as-tu dit à Lafleur ? LISETTE. Dieu ! Quel emportement, je frissonne de peur ;En vérité ce ton me glace d'épouvante,Et comme vous voyez j'en suis toute tremblante. MONSIEUR DURANT. Hé bien, rassure-toi ; mais dis-moi mot à mot. LISETTE. Monsieur, je vois fort bien que Lafleur est un sot, Un brouillon, un bavard, un être détestable,Enfin, un rapporteur qui, pour faire l'aimable,Est venu vous tenir, le tout mal à propos,D'inutiles discours qui, je gage, sont faux. MONSIEUR DURANT. Parle-moi franchement, n'as-tu pas dit qu'Hortense ?... LISETTE. Oui, mais je l'ai prié de garder le silence,Et je vois maintenant que c'est un indiscret,Qui n'est pas dans le cas de garder un secret ;Il doit pourtant savoir qu'entre nous, domestiques,Qui ne nous mêlons point d'affaires politiques, Nous aimons à jaser, et cela nous instruitDe ce qu'un maître a fait ou de ce qu'il a dit. MONSIEUR DURANT. Lafleur m'a rapporté que ta maîtresse m'aime. LISETTE. Certainement, Monsieur, et d'un amour extrême ;J'en suis au désespoir, car, soit dit entre nous, Elle ne cesse pas de me parler de vous ;Mais vous devez penser que je lui fais entendreQu'elle soupire en vain, n'ayant rien à prétendre,Que l'amour le plus vif ne saurait vous toucher,Que vous avez le coeur aussi dur qu'un rocher, Qu'elle a beaucoup de tort, qu'elle est digne de blâmeDe songer à quelqu'un qui ne veut point de femme. MONSIEUR DURANT. Je te suis obligé de toutes tes leçons. LISETTE. Je la détrompe aussi par bien d'autres raisons,Je lui fais entrevoir que vous êtes sur l'âge. MONSIEUR DURANT. Tu me crois donc bien vieux ? À part.Oh ! Pour le coup j'enrage. LISETTE. Non, Monsieur, mais encor, convenez qu'un épouxDoit être bien plus jeune et moins cassé que vous,Car on n'a qu'à vous voir, pour deviner sans peineQue vous comptez au moins près de la soixantaine ; Ainsi, vous pensez bien que se serait fort malDe ne pas la guérir de cet amour fatal. MONSIEUR DURANT. Et que t'importe à toi, si telle est son envie. LISETTE. Mais, Monsieur, songez-donc que c'est une folie :Avec ses qualités, Hortense assurément Peut, quand il lui plaira, choisir un jeune amant ;Elle est riche, et l'on, sait qu'elle vit de ses rentes,Qu'elle doit hériter, à la mort de deux tantes,D'un bien qui vaut au moins près de cent mille francs ;De plus, vous le savez, elle n'a pas vingt ans, Elle est belle, elle est bonne, un esprit admirable,Chacun vante partout son caractère aimable,Honnête, sans défaut que l'on puisse blâmer,Si ce n'est le malheur qu'elle a de vous aimer ;Mais je ferai si bien qu'il faut qu'elle y renonce : Oui, Monsieur, je le jure. À part. Attendons sa réponse. MONSIEUR DURANT. Lisette, sais-tu bien que tout ce que j'entends.... LISETTE. Je sais que tout cela ne fait rien sur vos sens,Que votre grand bonheur et votre chère envieSont de rester garçon durant toute la vie ; Ainsi, vous conviendrez qu'il est de mon devoirD'empêcher un amour dont on n'a nul espoir. MONSIEUR DURANT. Qui peut te l'avoir dit ? Tu te trompes, Lisette ;Dans ce moment l'amour me tracasse la tête,Et- si jusqu'à présent j'ai su lui résister, C'est que rien d'aussi beau n'est venu me tenter :Oui, ce que tu me dis de l'adorable HortenseNe peut être accueilli par de l'indifférence,Mon coeur semble déjà partager son amour,Et me dit en secret que je l'aime à mon tour. LISETTE. Quoi ! Vous l'épouseriez sans nulle répugnance,Vous qui faites un dieu de votre indépendance,Et qui traitez toujours le sexe fémininAvec antipathie, aigreur, haine et dédain !En vérité, Monsieur, ma surprise est extrême. MONSIEUR DURANT. Eh ! Que vas-tu chercher ; je te dis que je l'aime,Oui, je l'épouserai ; je serais un ingratSi je n'avais égard à son pénible état ;La pauvre m'adorait et n'osait me le dire,Puis-je être assez cruel pour causer son martyre ; Non, non, va la trouver, et dis-lui de ma partQue je suis bien fâché de l'avoir su si tard ;Mais qu'elle peut compter sur toute ma tendresse,Que de nous voir unis déjà le temps me presse,Quelle peut disposer de ma main, de mon coeur, Et que je lui promets de faire son bonheur ;Prends bien garde, surtout, d'agir avec prudence,Que Lafleur ni Dorval n'en aient point connaissance ; Il lui présente une bourse.Tiens, ma chère Lisette, accepte ce présent,Et sers-moi comme il faut. LISETTE. Moi, prendre de l'argent Pour qui me prenez-vous ? J'ai l'âme délicate,Et je ne pense pas qu'ici Monsieur se flatteDe rencontrer en moi quelqu'un qu'on fait agir,Quand mes.intentions sont de le desservir ;Je connais ma maîtresse, et la moindre parole Venant de votre part la rendrait bientôt folle. MONSIEUR DURANT. Elle m'aime donc bien ? LISETTE. Comme je vous l'ai dit,Au point que son amour lui fait tourner l'esprit ;Car il faut être fou pour écrire une lettre,Et surtout à quelqu'un qu'on a peine à connaître ; Enfin, Monsieur, voyez, la lettre que voiciEst écrite pour vous ; mais je l'ai, Dieu merci,Et je ne la rends point, car ma délicatesse... MONSIEUR DURANT. Tu dis qu'elle est pour moi ! LISETTE, sans lui donner la lettre. Tenez, lisez l'adresse. MONSIEUR DURANT. En effet, c'est mon nom ; remets-moi cet écrit. Monsieur Durant porte la main, et tous les deux tiennent la lettre. LISETTE. L'honneur me le défend. MONSIEUR DURANT. Il ne sait ce qu'il dit ;Voyons, donne-le moi. Ici Monsieur Durant glisse sa bourse dans la main de Lisette, qui tient la lettre et qui a l'air de ne pas vouloir la lâchée ; après un court débat, Monsieur Durant enlève la lettre ; et la bourse reste à Lisette. LISETTE, en se débattant. Monsieur, je le déchire ;Non, vous ne l'aurez pas. MONSIEUR DURANT. Je le tiens. LISETTE, à part et faisant sauter la bourse dans sa main. Il peut lire. MONSIEUR DURANT, décachetant la lettre. Voyons le contenu. Il lit. « Monsieur, depuis longtempsVous m'avez inspiré de tendres sentiments ; Mon coeur brûle pour vous... » LISETTE. Voyez quelle indiscrète. MONSIEUR DURANT. Ah ! Ne m'interromps pas. SCÈNE XII. Lisette, Hortense, Monsieur Durant, Lafleur paraît à la porte de l'appartement et semble écouter. HORTENSE. Que faites-vous, Lisette ?Lorsque je vous attends, pourquoi vous amuser. MONSIEUR DURANT. Pardonnez, car c'est moi qui l'ai faite causer. HORTENSE. À Monsieur Durant. Alors, je n'en dis rien. À Lisette.Rentrez, Mademoiselle. LISETTE, à Lafleur, en rentrant. Tout va se découvrir. LAFLEUR, à la porte de l'appartement. Je ferai sentinelle. SCÈNE XIII. Hortense, Monsieur Durant, Lafleur, à la porte, a l'air de faire signe à Dorval de venir ; il se montre et écoute avec Lafleur. MONSIEUR DURANT, à part. Elle veut me parler, commençons l'entretien. Haut.Comment vous portez-vous ? La santé... HORTENSE. Va fort bien. MONSIEUR DURANT. J'en suis plus que ravi, ma joie en est parfaite. HORTENSE. Monsieur, assurément vous êtes bien honnête, Je dois vous savoir gré d'un si vif intérêt. MONSIEUR DURANT. Peut-on en prendre trop pour un aimable objet. HORTENSE. Mais vous me surprenez ; serait-ce un badinage !Je ne vous vis jamais me tenir ce langage. MONSIEUR DURANT. Il dépendait de vous ; si vous m'eussiez instruit.... HORTENSE. Quoi ! Monsieur, vous savez ! MONSIEUR DURANT. Lisette m'a tout dit ;N'allez pas la gronder, c'est moi qui l'ai contrainte. HORTENSE, à part. Ne nous découvrons pas, car ce n'est qu'une feinte. Haut. En vérité, Monsieur, Lisette a fait fort mal,Car je puis vous jurer ne point aimer Dorval : Je ne dis pourtant pas qu'il ne soit fort aimable,Mais son air de froideur le rend désagréable ;Il semble vouloir fuir le monde et ses appas,Et craint de rencontrer la beauté sur ses pas ;Souvent il m'a parlé, mais d'une voix farouche, Jamais le mot amour n'est sorti de sa bouche ;Ainsi, Monsieur, croyez qu'un coeur tel que le sienNe parviendrait jamais à captiver le mien ;De plus, les jeunes gens??? MONSIEUR DURANT. Que j'aime à vous entendre.Oui, cet écrit flatteur me fait assez comprendre. SCÈNE XIV. Hortense, Monsieur Durant, Dorval, Lafleur. LAFLEUR, en sortant de l'appartement avec Dorval. Mais, Monsieur, je vous dis que ce n'est pas cela. DORVAL. Mon oncle, s'il vous plaît, chassez ce maraud-là. MONSIEUR DURANT. À part. Peste soit des coquins. Haut.Allez vous en au diable.A-t-on jamais rien vu de plus insupportable :Que me demandez-vous, qui vous a fait venir ? À Hortense.Je vais les renvoyer. LAFLEUR, à Dorval. Sachez vous contenir. HORTENSE. Non, Monsieur, pardonnez, c'est moi qui me retire. MONSIEUR DURANT. Hortense, permettez que j'aille vous conduire. Ils se saluent à la porte d'Hortense ; elle rentre. LAFLEUR. Ne les dérangeons pas, tout ceci va fort bien. SCÈNE XV. Monsieur Durant, Dorval, Lafleur. MONSIEUR DURANT. Je voudrais bien savoir..... LAFLEUR. Eh ! Mon Dieu, ce n'est rien. Je disais à Monsieur que la lune est nouvelleIl prétend que c'est faux, voilà notre querelle. DORVAL. Pourquoi me soutiens-tu, quand je te dis que non.Mon oncle, dites-moi si je n'ai pas raison ;Personne mieux que vous n'est au cours de la lune. MONSIEUR DURANT. Messieurs, cet entretien me choque et m'importune,Vous me cassez la tête avec votre mic-mac ;Me prenez-vous ici pour être un almanach :J'ai d'autres embarras ; vous ignorez sans douteQue demain au plus tard vous vous mettez en route, Que je suis obligé de vous faire partir,D'après un accident qui vient de survenir. DORVAL. Quel est donc le motif de ce fatal voyage ? MONSIEUR DURANT. La rivière à mes biens a fait un grand ravage ;Ainsi donc vous ferez réparer tout le mal. LAFLEUR. Peut-être ce n'est pas, car j'ai lu le journal,Il n'en dit pas un mot. DORVAL, a part. Ô l'affreuse nouvelle ! MONSIEUR DURANT, montrant la lettre de Lisette. La lettre que voici vient d'un ami fidèle,Il me prie instamment de me rendre chez nous ;Mais mon procès m'arrête, et je compte sur vous. DORVAL. Ne nous séparons pas, mon oncle, je vous prie ;En me faisant partir vous m'arrachez la vie,Vous savez que sans vous je ne puis exister,Ainsi, permettez-moi de ne point vous quitter. MONSIEUR DURANT. Dorval, soyez certain que ce départ m'afflige, Mais vous devez sentir que l'intérêt l'exige. LAFLEUR. Monsieur, écoutez-moi, laissez-nous quelques fonds,Partez, et comme vous ici nous plaiderons ;Nous ne manquerons pas une seule audience. MONSIEUR DURANT. Je vous prierai, Lafleur, de garder le silence, Je parle avec Dorval. LAFLEUR. Ah ! Monsieur, pardonnez. MONSIEUR DURANT. Ne vous mêlez donc plus d'y mettre votre nez. DORVAL. Hé bien, puisqu'il le faut, malgré ce qu'il m'en coûte,Je veux vous obéir, j'entreprendrai la route ;Mais daignez m'accorder encore quelques jours. MONSIEUR DURANT. Je ne puis écouter de semblables discours ;Je me lasse à la fin de toutes ces grimaces,Et je vais au bureau pour retenir vos places. DORVAL. Mon oncle, écoutez-moi. MONSIEUR DURANT. Vous partirez, c'est dit. SCÈNE XVI. Dorval, Lafleur. DORVAL. Voilà, Monsieur Lafleur, où vous m'avez conduit. LAFLEUR. Il est vrai que j'ai fait une grande sottise ;Oui, Monsieur, grondez-moi quand tout vous favorise,Armez-vous d'un bâton, assommez-moi de coups,Pour me récompenser d'avoir tout fait pour vous. DORVAL. Mais tu vois que mon oncle exige que je parte, Et je suis assuré... LAFLEUR. Votre oncle perd la carte ;L'amour, grâce à mes soins, chez lui se fait sentir,Ainsi c'est le moment de lui tout découvrir. DORVAL. Je n'oserai jamais lui tenir ce langage. LAFLEUR. Alors, renoncez-donc à votre mariage. DORVAL. Peux-tu bien me donner de semblables avis. LAFLEUR. Et que ne faites-vous tout ce que je vous dis ;N'appréhendez-vous pas qu'Hortense se dégoûte,Et que de but en blanc elle se mette en route ;Nulle affaire à Paris ne peut la retenir, Car vous n'ignorez pas qu'elle y vient par plaisir ;Or, vous serez bientôt sans aucune espérance,Si vous vous obstinez à garder le silence ;Moi, d'un autre côté, je me vois compromis,Puisque je perds l'argent que vous m'avez promis. DORVAL. Que j'aurais de plaisir à payer cette dette. LAFLEUR. Épousez-donc Hortense et j'épouse Lisette,Que votre oncle en entrant apprenne tout ceci. DORVAL. Je ferai mes efforts. LAFLEUR. Justement les voici. SCÈNE XVII. Lisette, Hortense, Dorval, Lafleur. HORTENSE. Enfin, mon cher Dorval, tâchez donc de m'instruire De tout ce que votre oncle a bien voulu me dire,Jamais je ne le vis, avec tant de gaieté,M'entretenir d'amour, de sensibilité ;Il était sur le point de parler mariage,Quand vous l'avez troublé, LAFLEUR. C'est ma foi bien dommage. DORVAL. À ce que dit Lafleur, mon oncle est amoureux. LISETTE. Personne mieux que moi ne sait quels sont ses voeux. HORTENSE. Je crois m'apercevoir de quelque stratagème. LAFLEUR. Hé bien, apprenez donc que mon maître vous aime,Et que Lisette et moi, par un certain détour, Nous avons au vieillard fait connaître l'amour, HORTENSE. Lisette, à quel propos m'avez-vous compromise. LISETTE. Puisque je dois ici parler avec franchise,Voyant que votre amour vous faisait trop languir,J'ai cru que mon devoir était de vous servir ; Au caprice d'un fou vous ne pouviez répondre,Maintenant d'un seul mot vous pouvez le confondre. HORTENSE. De semblables moyens me font désespérer. DORVAL. Surtout quand vous saurez qu'il veut nous séparer. HORTENSE. Vous me faites frémir. DORVAL. Ne craignez rien, Hortense, Vous connaîtrez bientôt le prix de ma constance,Je jure à vos genoux de vous aimer toujours,Et de vous consacrer le reste de mes jours. Il est à genoux. SCÈNE XVIII. Lisette, Hortense, Monsieur Durant, Dorval, Lafleur. Dorval se lève lorsqu'il aperçoit son oncle. MONSIEUR DURANT, entre précipitamment et s'arrête tout_à_coup. En croirai-je mes yeux ! Juste ciel, quel outrage ! LAFLEUR, bas à Dorval. Monsieur, c'est le moment, armez-vous de courage. MONSIEUR DURANT. Fort bien, mon cher neveu, ne vous dérangez pas. LISETTE, à part. Que va-t-il lui répondre ! HORTENSE, à part. Oh ! Le triste embarras. DORVAL. Mon oncle, c'en est fait, je ne puis plus le taire,J'aime, et depuis longtemps Hortense a su me plaire ;Guidé par mon amour, j'étais à ses genoux, Afin de lui jurer de mourir son époux. MONSIEUR DURANT. Comment, jeune étourdi, pouvez-vous bien prétendreQu'Hortense à de tels voeux puisse jamais se rendre ;Mais vous n'y pensez pas. DORVAL. Sensible à mon amour,Hortense, oh ! J'en suis sûr, me payera de retour. MONSIEUR DURANT, d'un air moqueur. Je crois, mon cher ami, que vous perdez la tête ;Vraiment vous êtes fou : qu'en pense-tu, Lisette ? LISETTE. Ma foi, je n'en sais rien. LAFLEUR, bas à Dorval. Tenez-vous toujours bon. MONSIEUR DURANT, à Hortense. Daignez le pardonner, car il perd la raison. DORVAL. Mais si j'étais aimé ? MONSIEUR DURANT. Non, cela ne peut être, L'amour n'existe pas sans se faire connaître,Je puis vous l'assurer ; de plus, mon cher Dorval,N'en soyez point surpris, vous avez un rival. HORTENSE. Monsieur.... DORVAL. Se pourrait-il ! Qu'il s'offre à ma présence,Il verra si je sais lui disputer Hortense. MONSIEUR DURANT. Ne croyez pas, Monsieur, de lui faire la loi;Respectez-le plutôt, car ce rival c'est moi. HORTENSE, à part. Qu'entends-je ! LISETTE, à part. Le vieux fou. MONSIEUR DURANT. Hé bien, où sont vos armes ? DORVAL, avec ironie. Mon oncle, c'est à vous de posséder ces charmes ;D'être votre rival je conviens que j'ai tort ; Mais vous permettrez bien qu'on prononce mon sort,Et quel que soit le choix qu'Hortense puisse faire,Je jure et vous promets que je saurai me taire. MONSIEUR DURANT. Dorval, autant que vous je serai généreux. LAFLEUR, à part. Fort bien, nous le tenons. MONSIEUR DURANT. Je partage vos voeux ; Veuillez donc prononcer, mon adorable reine,Un seul mot suffira pour nous sortir de peine ;Il est vrai que je sais quel sera votre choix,Car un coeur délicat ne choisit pas deux fois. HORTENSE. Je ne vous tairai pas que tout ceci me blesse, Et qu'il répugne même à ma délicatesse ;Mais puisqu'il faut enfin proclamer le vainqueur,C'est à votre neveu que je donne mon coeur. DORVAL. Hé bien, avais-je tort ? HORTENSE. Dès l'enfance orpheline,Je puis prendre celui que le sort me destine ; Ainsi, nous pouvons-donc épouser librement,Si vous nous accordez votre consentement. MONSIEUR DURANT. Mais que dites-vous donc ? Parbleu, Mademoiselle,À ce qu'il me paraît vous me la donnez belle :Ingrate, est-ce l'amour que vous aviez pour moi HORTENSE. En vérité, Monsieur, je jure sur ma foiQue je ne comprends rien à tout votre langage. MONSIEUR DURANT, lui montrant la lettre. Voilà, pour vous confondre, un puissant témoignage. HORTENSE, après avoir fixé la lettre et la remettant à Monsieur Durant. On vous aura trompé , soyez sûr et certainQue jamais cet écrit ne fut fait de ma main. MONSIEUR DURANT. Cette lettre est de vous, voyons, parle Lisette. LISETTE. Non, Monsieur, car sachez que c'est moi qui l'ai faite,Et que j'ai cru bien faire en servant deux amantsQue vous faites souffrir voilà déjà longtemps. MONSIEUR DURANT. Ah ! Maudite guenon. LISETTE. Daignez me faire grâce. MONSIEUR DURANT. Non, je veux me venger et punir ton audace ;Me jouer à ce point, et vous l'avez souffert. HORTENSE. Je l'ignorais, Monsieur. LAFLEUR, à part. Me voilà découvert. MONSIEUR DURANT. Mais dis-moi quel démon, quelle âme possédéeAura pu te donner cette fatale idée ? LISETTE. Peut-être serez-vous moins de mauvaise humeurLorsque vous apprendrez que c'est Monsieur Lafleur. Ici Monsieur Durant fait un mouvement de surprise, et fixe Lafleur sans lui parler. LAFLEUR, à genoux. Monsieur, pardonnez-moi cette petite ruse ;De vous avoir joué je vous demande excuse. Il se relève. MONSIEUR DURANT. Misérable. HORTENSE. Monsieur. DORVAL. Mon oncle. MONSIEUR DURANT. Taisez-vous ; N'allez-vous pas penser de me voir en courroux,Qu'on ne peut me fléchir, que je suis intraitable ;Non, je ne vois ici que moi seul de coupable,Or vous avez bien fait de me jouer ce tour,Puisque j'ai dédaigné de connaître l'amour ; J'éprouve maintenant combien il a de charmes,Et c'est avec plaisir que je lui rends les armes.Oui, j'abjure à jamais cette fatale erreurQui me fit toujours voir l'amour avec horreur ;Mais comme il est trop tard afin que je commence, J'unis, pour m'en punir, Dorval avec Hortense ;Ainsi, mes chers enfants, soyez toujours heureux,Je serai satisfait d'avoir rempli vos voeux. HORTENSE. Que ne vous dois-je pas. DORVAL. Est-il plus douce ivresse. LAFLEUR. J'espère que Monsieur nous tiendra sa promesse. DORVAL. Vous pouvez y compter ; quant à toi, cher Lafleur,Je n'oublierai jamais que tu fis mon bonheur. LAFLEUR. Nous allons être heureux, qu'en penses-tu, Lisette ? LISETTE. Qu'il me tarde déjà que la noce soit faite. MONSIEUR DURANT. Lafleur épouse aussi ? LAFLEUR. Ma foi, que voulez-vous, Je n'ai pu résister au désir d'être époux,Malgré tous mes efforts mon coeur n'a pu se taire,De plus, nous sommes faits pour aimer et pour plaire. MONSIEUR DURANT. C'est bien, mariez-vous, car le plus triste étatEst celui de vieillir dans l'affreux célibat. ==================================================