******************************************************** DC.Title = LA CÉCILIADE, OU MARTYRE SANGLANT DE SAINTE CÉCILE, TRAGÉDIE. DC.Author = SORET, Nicolas DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Tragédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 08:08:21. DC.Coverage = Italie DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/SORET_CECILIADE.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1090312w DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LA CÉCILIADE OU MARTYRE SANGLANT DE SAINTE CÉCILE Patronne des Musiciens : où sont entremêlés plusieurs beaux exemples moraux, graves Sentences naïves allégories, et comparaisons familières, convenables tant aux personnages qu'au sujet : avec les Choeurs mis en Musique. par ABRAHAM BLONDET Chanoine et Maître de la Musique de l'Église de Paris. Dédié à Messieurs les Vénérables Doyen et Chanoines de l'Église de Paris M. DC. VI. Avec privilège du Roi et Approbation. PAR NICOLAS SORET Rhémois. À Paris, Chez PIERRE REZE, demeurant au Mont S. Hilaire, près de la Cour d'Albret. Messieurs, Combien que notre humaine vie soit légèrement passante, et de peu de durée : chacun toutefois amoureux de son être (de peur de ne plus être) s'efforce de s'entretenir sain. Et tout ainsi que l'homme qui symbolise de près au naturel des arbres verdoyants, quant à la végétative (en étant un renversé selon la preuve des naturalistes) c'est pourquoi, comme ils sont de divers tempéraments, s'ils sont plantés en un même champ, malaisément y peuvent-ils s'accroître, et supporter les injures du temps. Car les aucuns (soit pour étendre leurs bras feuillus : soit pour les courber chargés de fruits : mais le principal, pour plus longuement vivre) se plaisent qui sur la croupe d'un mont, qui en la pente d'une colline : les autres demandent la plaine, ou la rive d'un ruisseau. De même les hommes composés de contraires humeurs, afin de plus loin éviter l'inévitable mort : et pour tramer un plus long filet de la vie (au moindre trouble civil, ou pestilentiel contagion qui survient en une cité) incontinent les uns se retirent en une ville : les autres en une autre. Ceux qui aiment les champs choisiront une métairie proche d'une rivière, d'autres un bourg en la campagne, d'autres un bourg en la campagne, d'autres un château en un vallon : et les autres (obligés à cause de leur résidentaire charge) n'en partiront : mais se tiendront cois et fermés chez eux, sans quitter le maniement de leurs affaires privés et journaliers exercices. Ainsi que moi, qui (honoré de la charge de maître de grammaire de vos enfants de Choeur) pour la conservation de ma santé : et pour mieux m'acquitter de mon devoir, ai demeuré ferme : me retirant dans ma chambre après mes leçons : où seul j'entendais parfois une si douce, et ravissante mélodie, concertée par vos Choristes nourrissons, sur les modes grave-doux de Monsieur Blondet aussi leur digne Maître ; que cela m'émeut (pour montrer quelque fruit de ma vie conservée en votre maison) d'écrire de rude poème tragique en l'honneur de sainte Cécile vierge-martyre Patronne des Musiciens. Pour le lustre duquel il lui a plu d'en animer les Choeurs de chants harmonieux : au lieu du concert Cécilien : intermis cette année en votre Église, à cause des assemblées publiques mortellement dangereuses en l'épidémique danger. Vous suppliant Messieurs de recevoir ce notre commun labeur (attendant choses plus sérieuses) d'aussi singulière affection que nous sommes et serons à jamais, Vos très humbles et très obéissants serviteurs, BLONDET, et SORET. DE SANCTA CAECILIA. ÉPIGRAMMA. Dum sonat, et turpi Berecinthia tibia cantu Perflat, hymen et hymen organa spurca vocant. Dùm Bacchum, Veneremque canunt simul impia plectra : Caeciliaeque totum pronuba foeda parat. Intereà virgo melioribus ignibus ardens, Cujus erat CHRISTUS taeda, Cupibo, Venus : Antichorum facit : et pompam execrata prophanam, Haec secom arcano cantica corde dabat. CHRISTE adsis : horâ nisi tu succurris in istâ Heu rapit abducam, sponsus et alter babet. Me clypeo legum propera munire tuarum, Ut non confundar, me tuus armet amor. Hunc animo casto fac me paratum, Fac impolluto corpore posse torum. I. MORELLUS Gymnasiarcha scholae Rhemensis. STANCES. DOCTE et divin Prélat des Prélats l'exemplaire, Qui de votre grand Roi, êtes le grand Pasteur : Oui Pasteur nonpareil, comme est Paris sans Paire, Paris où vous tenez votre siège d'honneur. ***** Comme un autre Phébus, vous luisez sur la France, Vos gestes (fors un point) ressemblent à ses rais : Il s'éclipse parfois en quelque concurrence : Mais vos belles vertus ne ternissent jamais. ***** Vous ressemblez Phébus, et Phébus vous ressemble : L'un éclaire là-haut, l'autre éclaire ici-bas : Vous n'êtes toutefois toujours égaux ensemble, Il redoute la nuit, vous ne la craignez pas. ***** Le Soleil ne peut rien qu'en un sujet capable, De recevoir l'effet du feu de ses rayons, Mais vous êtes bien plus que Phébus admirable : Car vous changes le vice en des perfections. ***** Bel esprit que j'adore, et que chacun admire ; Que vous êtes heureux en l'heur qui vient de vous ! Et les vôtres contents sur qui vous faites luire Des rayons, dont Phébus ore même est jaloux ! ***** Mais il n'est pas tout seul, non que l'on trouve au monde, Quelqu'un qui présumât d'être votre envieux : Vos discours ensucrés de suave faconde, Désirés des humains sont enviés des Dieux. N. SORET. AD ORNATISSIMUM ECCLESIAE PARISIENSIS CANTOREM, Senatoremque ex prima decuria Integerrimum Dominum D. Ruellé. Candida mens est grata Déo, mens conscia recti : Est mens fraude carens hostia grata Deo, Qualis simplicias tua, nullis oblita fucis, Qui bonus es totus pectore, fronte, manu. Religionis amans verae, cultorque, vetustos Quales prisca fides, firmaque cantat avos. N. SORET. STANCES. La fille de Thémis ayant quitté les Cieux, Légère descendit en la plaine du monde : Triant pour son hôtel, afin qu'on la vît mieux, De votre brave esprit la hautesse profonde. ***** Quiconque vous regarde il la voit clairement : Et comme en miroir vous vous voyez en elle : Par vos justes arrêts rendus si purement, On vous estime bon, et la justice belle. ***** Comme un cube parfait à trois dimensions, Largeur, profondité, et la hauteur de même. Toutes trois on les trouve, en vos perfections, Qui vous vantent partout, et le prime, et l'extrême. ****** Vous avez le profond d'un céleste savoir : Hauteur de noble estoc : largeur de bienveillance : Tellement qui vous voit, voit ce se peut voir, De beau, de grand, de sage, en vous prendre séance. ***** Heureux est notre siècle, plus heureuse encor L'Église, et le Sénat, où brille votre gloire : Comme de Latoïde (entre les astres d'or) Le front vouté d'argent, par la nuit brune-noire. ***** Soit que les triples soeurs, de leur fatal ciseau Tranchent à tous humains la trame de leur vie : Votre los toutefois ne verra le tombeau, Malgré le temps, la mort : ni la blafarde envie. N. SORET. EPIGRAMMA. Ex utero quondam cum vos Lucina vocaret, Phébus ab excelso Parnassi culmine lapsus Assuit, atque suos vobis afflavit honores. ***** Sed quia Mudarum, magnos conceperat aestus : Nec poterat tantos solus quis ferre calores, Conceptum numen diviso temperatigne, Sic BLONDETE suis Phébus te cantibus ornat : Sic SORETE suis Phébus te cantibus ornat : Munere quemque suo, seseque infudit in ambos Inspiratque animos, sacrisque furoribus implet. ***** Tandem dulcinosos BLONDETI Francia cantus Audiit, obstupuitque simul : quâ Parisiorum In sula, Saquanidum cursus partitur aquarum. Quâ geminas tollit mirando pondere turreis, Templum horrendum, ingens, ubi nunc hominumque ; deumque ; BLONDETUS doctis permulcet cantibus aureis. ***** Inde Sorete tuos mirata est vidula versus : Quâ lentos agitans cursus Durocottotton ambit : Quâque tua ingenti decurens musa Cothurno, Remeneis quondam pertraxit carmine Nymphas. ***** Sic vos Phébus amat : sic vos complexus in unum, Harmonicos cantus, et rithmica carmina curat, Exponens summo pariter sua donna theatro. Atque ut cognatis Donaverat artubus ambos, Ambos troiugenas, Paradisque, remique nepotes ; Sic vos arcanis conjunxit sortius ultro, Paulatim efficiens unam, duo corpora, mentem. ***** Vivite Foelices, et quae modo foedera sanxit us, pacificâ firmet concordia dextrâ, Et vobis triplici jungat me gratia nodo. N. BERGERIUS Rhemensis Advocatus. SUR LA MUSIQUE DE MONSIEUR BLONDET. AU LECTEUR. L'air de Blondet qui sur l'air vole N'admet rien sale, ni frivole : Mais théoricien est-il, Et Praticien tout honnête, Qui de ses trois points t'admoneste, Délectable, net, et util. De Navières GS : P. R. STANCES. D'où ces carmes divins ? D'où cette sainte Lyre, Qui pousse ses accords à la voûte des Cieux ? Ah ! Cécile vraiment pour chanter ton martyre, Vous a transmis du Ciel son luth harmonieux. Car il faut, Mon SORET, une voix surhumaine : Pour dûment entonner ces chants tragique-doux. Une lyre ne peut, sinon que bien hautaine, Mignarder ces accents, dont Phébus est jaloux. La vierge dont le los, est semé dans vos carmes, A jointes ses chansons à vos nobles labeurs : Vous chantiez d'une part ses maux et ses alarmes : Elle d'autre exerçait ses fredons charme-coeurs. Un jour heureux viendra qu'un céleste salaire Couronnera vos vers, et vos faits vertueux : Car cette vierge ici, placera, débonnaire, Votre esprit au palais des esprits glorieux. C. PESCHEUR Rhémois. SONNET. Je ne voudrais pour rien me mêler d'entreprendre De nombrer tes vertus, de chanter ton savoir, De dire ta prudence, et vanter ton pouvoir : Ma langue est trop rustique, et ma force trop tendre. ***** Il en faut bien un autre, et qui se fasse entendre : Faut un subtil esprit, pour en soi concevoir, Et concevant priser ton précieux avoir Du bel art Phébéan, que tu nous fais apprendre : ***** Oui, je crois, que Mercure, Amphion, et Phébus Des modes Musicaux, dont ils étaient imbus, S'ils étaient ici-bas t'en donneraient la gloire. ***** Courage, mon BLONDET, l'honneur de notre temps : Compose, chante, écris : car c'est ton passe-temps : Tu te bâtis ainsi un temple de mémoire. I CACHET son humble disciple. À MONSIEUR SORET. Le Poète de Mantoue aiguillonné d'envie, De rendre à ses neveux la grâce, et la douceur D'Hélicon empruntée, emploie (en la faveur D'un Enée) son tout : pour le nous rendre en vie. Du Grec tant regretté, l'Iliade est suivie D'un Hector, d'un Achille : où la grande valeur, De leurs armes, connue étouffe la rigueur, Et le sort importun de la fatale envie : Ainsi toi, mon SORET, à l'exemple des tiens, Mais loin du paganisme, et proche des chrétiens : Tu fais boire à longs traits le nectar de ta Muse, En nous représentant, et la vie, et la mort D'une Sainte Cécile : où ton vers doux et fort, La rend vive en nos coeurs : tant plaisant il amuse. I.R.P.D.S.S. À MONSIEUR SORET. Depuis le temps d'Orphée étaient devenus sourds L'immobile rocher, la sauvage forêt, Les brutes insensés, les fleuves vont toujours : Mais pour les faire ouïr, Dieu suscita Soret. Par le même Cachet, son très humble disciple. ANAGRAMMATISMUS. NICOLAUS SORET. SORS TUA IN CELO. Si fortuna tuo nusquam non pareca labori Extitit ; IN CÆLO, SORS TUA fausta jacet. Ab eodem Cachet. ANAGRAMMATISMUS. ABRAAMUS BLONDET. BLANDUS AMOR BEAT. Perpetuo foelix, vivat BLONDETIUS, orbi : Quem, nunc BLANDUS amor, blandaque musa BEAT. Idem Cachet. L'AUTEUR À SON LIVRE. Va-t'en petit livret, va-t'en à la césure Des critiques cerveaux des hommes de ce temps : Je te conseille bien d'endurer leur morsure : Car où l'on trouve à mordre, on apporte les dents. N. SORET. AU ZOÏLE DÉTRACTEUR DE CETTE TRAGÉDIE De Monsieur Soret. Du Tyran les rigueurs dépites, À Cécile tranchent le chef. Et toi, rasoir, tu précipites Contre ces vers ton hoche-chef. Que penses-tu ? Tu décapites Sainte Cécile derechef. De Navières GS : P.R. L'ARGUMENT DE LA CÉCILIADE. Cécile pucelle Romaine, fille de noble race, instruite dès son bas âge en la chrétienne foi, Consacra à Dieu sa virginité : toutefois contre son voeu, elle fut donnée en mariage à Valérian gentilhomme Payen. La première nuit de ses noces elle lui dit, sachez que je suis la pupille d'un Ange, qui garde ma chasteté : n'entreprenez rien sur moi pour ce sujet, de peur que vous n'attisiez l'ire de Dieu contre vous. De quoi demeurant tout ému, il n'osa l'attoucher : mais lui dit qu'il croirait vraiment en Jésus-Christ, s'il voyait son ange. Elle répond qu'il était impossible qu'il le vît sans le Baptême : lui aiguillonné de ce désir, y consentit librement. De fait que par la remontrance de cette vierge, allant chercher le pape Urbain (qui à cause de la persécution était mussé aux sépulcres des martyrs, en la voie Appienne) fut baptisé par lui. Et retournant vers elle, il la trouva priant Dieu, son ange à son côté brillant d'une clarté divine, dont il fut éperdu, et revenu à soi, il s'en alla faire venir Tiburce son cadet, lequel en la foi de Jésus-Christ par Cécile : se fit aussitôt baptiser, et eut l'heur et l'honneur de voir l'Ange d'icelle. Peu après ces deux frères endurèrent constamment le martyre sous le Prévôt Almachie : qui fit incontinent empoigner cette vierge, et lui demanda les richesses de Valérian, et Tiburce, auquel comme eut fait réponse, qu'elles les avaient distribués aux pauvres, bouffi de colère, il la fit mener chez lui, et jeter dans une chaudière d'eau bouillante, où elle fut une nuit et un jour entier, sans que la flamme l'offensât. Ce qu'étant rapporté à Almachie, il commanda au bourreau de lui trancher la tête au même lieu : il prend son épée, et la frappe trois fois sans lui pouvoir abattre :si qu'il la laissa là demi-morte. Et trous jours après qui était le dixième jour des Calendres de Décembre, régnant lors L'Empereur Alexandre, elle fut dignement timbrée de double palme, et de martyre, et de virginité ; et ainsi elle s'envola au Ciel. PERSONNAGES PATRICE. ÉMILIE. SAINTE CÉCILE. VALÉRIAN. L'ANGE. TIBURCE. ALMACHIE. MOUSTAROT. LE CHOEUR. ACTE I PATRICE, commence. Comparaison du Soleil rapportée à la grâce divine, laquelle produit des vertueux effets en l'âme où elle est versée comme le Soleil fait éclore maintes belles fleurs, la part où il darde mieux, et plus souvent ses rayons.Comme quand le flambeau du monde vide-épars,Éparpille en courant ses rays de toutes partsVers l'endroit le plus coi d'une colline herbeuse,Moitement fraîche au bas d'une humeur douce-aqueuse :Là le Thym, le Cyprès, le Baume, le Safran, L'oeillet, le Tournesol, le Souchet, le Diptan,L'Anis, la Passe-fleur, le Bugle, la Pivoine.Le Sceau de Salomon, l'Éclaire, la Bétoine.Le Narcisse, l'Aneth, l'Amaranthe, le Lys,Les cheveux de Vénus, la Squille, l'Encolis, L'Aconite, le Jonc, la froide Mandragore,L'Ache, le Serpolet, et le double Ellébore.Bref mille belles fleurs, mille simples divers,Et mille autres scions d'arbrisseaux toujours vertsD'un émail bigarré embellissent ce tertre, Où paraît la vertu du père de leur être.Ainsi ce grand Soleil qui est tout, qui voit tout,Qui premier et dernier, n'a principe ni bout,Versant le feu sacré de sa grâce abondanteSur le champ aplani d'une âme obéissante : Féconde elle conçoit, et concevant produitDes plus rares vertus, et les fleurs, et le fruit. Audace excusable d'un père de louer ses enfants en tant qu'ils tracent le sentier des vertus.Grand Dieu, pardonnez-moi, si de ma chère fille,Fille de noble sang de Romaine famille,Parlant ainsi, je veux (grossi d'ambition) Blasonner en public sa grand' perfection.Me semble que toujours un père est excusable,Pour bien dire des siens, en chose véritable.Elle ne tient de moi, que le corps simplement,« Qui caduque vivant, soit peu, soit longuement, « Est sujet au retour de sa prime matière,« Par le rasoir fatal de la Parque meurtrière :« Mais ce qu'elle a de plus, comme de bel esprit,« Les sens intérieurs, la raison, l'appétit,« Le subtil intellect, et l'heureuse mémoire, « Venant de vous, à vous, elle en remet la gloire. Devoir d'un bon père touchant l'instruction de ses enfants.Et moi son géniteur épris de son salut,(Étant d'un vrai Chrétien la visière et le but)Comme je l'aperçus dès son âge d'enfancePorter l'image au front d'une bonne espérance : Je ne m'oubliai pas de prudemment pourvoir,À ce, dont nous oblige un paternel devoir.Soudain donc qu'elle sût délier la parole,J'eus le soin aussitôt de la mettre à l'école ;Tant pour lui canneler sa puérile aigreur, Que pour mouler ses ans au culte du Seigneur,Sur le niveau réglé de sa sainte ordonnance,Ouvrée par la foi, l'amour, et l'espérance,À quoi pour mon honneur, et grand contentement,J'ai voulu qu'elle fût instruite sagement : Ayant à ce sujet dans le pourpris de Rome,Trié pour Pédagogue un fort excellent homme.Si qu'elle est maintenant (dont je rends grâce à Dieu)La fille apprise mieux, qui soit en autre lieu. Bonheur aux parents quand leurs enfants se comportent sagement.Je ne sais, mais je vois, qu'une auguste fortune Vient doucement enfler d'une haleine opportune,Les voiles empoupées de mes plus beaux desseins :Et les faisant flotter dessus des hermes saints,Les guident tellement, que par son bon auspice,Et sous l'éclair divin d'une céleste Élice Ils surgissent heureux, dans le havre assuré,Comme je les avais en mon coeur désiré.Mais, mais, de qui pourrait en ressortir la cause ?J'y songe, j'y rumine, et faisant longue pauseLà-dessus, je me trouve au bout aussi savant, (Tant je suis étonné) que j'étais par-devant.Si je pense fonder tels succès favorablesSur le ferme pivot de mes vertus louables :Ah ! Que je suis trompé ! Que mon entendementParaît bien frénétique en si fol jugement ! « Nos saintes actions, nos plus graves mérites,« Sont (si nous les vantons) sales péchés tacites.Ce n'est donc point sur moi qu'il faut les attacher :Mais quelque bon Génie en étant le nocher,Ne m'abandonnant point de sa fidèle cure, Des cieux riches de bien, ces biens-là me procure. Émilie et sainte Cécile viennent sur le théâtre. LES MÊMES, ÉMILIE, SAINTE-CÉCILE. PATRICE. Voici mon autre tout, mon unique repos,Et ma Cécile aussi os et chair de mes os,Le temps s'en va venu qu'étant jà mariable,Je la veux appointer d'un beau parti sortable : Son naturel humain, et son deub filial,Ne doivent refuser le lien nuptialOù je la veux bientôt étroitement conjoindre,Que le fer, ni la mort ne pourra les disjoindre.Et bien qu'en dites-vous, mon épouse, mon coeur ? ÉMILIE. Honnête réponse d'une femme envers son mari.L'honorable respect, le point de mon honneur,Et la candide foi que je vous ai donnéePar serment solennel, au nocier HyménéeVeulent (mon cher Seigneur) qu'à votre bon plaisirJe consacre mes voeux, je range mon désir, J'asservisse mes lois, je m'oblige moi-mêmeD'entièrement vouloir votre vouloir suprême. L'origine et établissement du sacré mariage.Quand l'Architecte Dieu de son Verbe peut toutEut bâti l'Univers de l'un à l'autre bout,Les floflottantes mers de poissons fourmillantes, Les cieux tourner toujours pleins d'étoiles brillantes :« La terre porte-fruits fertile d'animaux« Et le vague de l'air escadronné d'oiseaux.« D'un rougeâtre limon, à l'instant il façonne« Des bêtes de raison la première personne : « Mais comme ce n'est rien qu'un fainéant gésir,« D'être seul, ainsi seul au milieu du plaisir ;« (Nature étant plutôt de compagne amoureuse,« Que de la solitude étrangement fâcheuse)« Pour compagne à ce seul, de ce seul un second, « Il tira dextrement de son côté fécond ;« Qu'il forma toutefois de sexe dissemblable,« Pour le monde peupler d'espèce raisonnable.« Ce seul en double corps parfait artistement,« Tous deux n'étaient pourtant qu'une chair seulement, « L'âme qu'en les créant il leur avait infuse,« N'était même qu'une âme en eux-mêmes recluse :« Voulant comme ils avaient semblable être commun,« Qu'ils ne fussent aussi d'âme simplement qu'un« Mais que la femme fut à l'homme plus sujette, « Pour autant que de lui ell' en était extraite.Voilà pourquoi, Monsieur, tandis sous la rondeur,Du globe de la Lune à la jaune candeur,Que l'âme avivera votre épouse fidèle,Elle ne vous sera de rien qui soit rebelle. Me conformant ainsi au divin mandement,Pour à lui, comme à vous, complaire entièrement :Ains que notre couple-un d'uniforme nature,Le soit de volonté réciproquement pure. PATRICE. Ô Dieu, que je te suis à bon droit obligé Jouissant d'heur contraire au chétif affligé !« Qui ores que le sort l'assaut et le traverse,« Tantôt d'une façon, tantôt d'autre diverse,« Doit néanmoins patient, au milieu de son mal,« Bénir Dieu d'humble coeur, au désastre fatal. Et moi vers qui bénin tu prodigues tes grâces,Soit en femme, en enfants, soit en richesses grasses : Dois-je pas d'autant plus reconnaître ces biens ? ÉMILIE. Voire, autant que raison vous fournit de moyens. PATRICE. Je le ferai, mon coeur. ÉMILIE. Je suis de la partie : La fortune entre nous n'étant point mi-partie,Joint qu'un double bienfait veut double grand-merci,Unimode de voix, et de l'esprit aussi. PATRICE. Que dis-tu là-dessus, Cécile ma mignonne,Veux-tu pas louer Dieu des faveurs qu'il nous donne ? SAINTE CÉCILE. Comparaison de l'eau versée au pied d'un arbre, laquelle rampe peu à peu, depuis le bas jusqu'au sommet, le faisant reverdir et fructifier, icelle rapportée à la bonne fortune d'un père laquelle se répand aussi sur toute la famille.S'il est vrai, comme il est, (mon bien-aimé Seigneur)Oui, dis-je, s'il est vrai, qu'un aquatile humeurAbondamment versée au pied profond dans terre.D'un haut arbre fruitier, planté en bon parterreVa rampant peu à peu des racines, au tronc, Du tronc aux bras, des bras aux fruits pendant adoncLe faisant reverdir, mais en baissant sa tête,D'autant qu'il est chargé par le bas jusqu'au faîte.Pourquoi donc aujourd'hui, moi qui vous appartiensD'aussi près que le fruit de l'arbre, dont il vient, Qui suis même ce fruit premier de votre souche,Heureusement produit de conjugale couche :Ne chanterai-je pas au Monarque des cieux,Quelques sacrés Péans, d'un vers dévotieux,Me ressentant aussi de ce bonheur prospère, Qu'il fait pleuvoir sus vous, vous qui êtes mon père ?Oui, tant que l'on verra dans son char lumineux,Phébus aux crins dorés, postiller matineuxDepuis le chaud Levant, jusqu'au Ponant humide,J'en publierai son nom de voix grave liquide. PATRICE. Ô témoignage sûr d'un enfant bien appris,Illustre parangon des grâces de Cypris !Est-il rien de plus vrai, m'amie que t'en semble ? ÉMILIE. En beaucoup, de vertus certe elle vous ressemble. PATRICE. Elle tiendrait plutôt de vos prudentes moeurs. ÉMILIE. Mes moeurs ce sont des fruits qui ne sont encore mûrs. PATRICE. Il vous plaît dire ainsi, c'est votre gentillesse,Qui faisant belle escorte à votre alme sagesse,Se veut, en s'abaissant par ce mignard propos,Davantage lustrer la grandeur de son los : Comme un peintre galant rend plus beau son ouvrage :D'autant plus qu'à propos il l'ombrage d'ombrage.Posons-là ce discours, Cécile parle à moi,Veux-tu pas maintenant me priver de l'émoi,Qui peut en peu de temps (si tu me contraries) Me métamorphoser en tigresse furie ? SAINTE CÉCILE. Imprécations ou ardents désirs de mort, en cas de désobéissance d'un enfant vers son père.Que plutôt devant vous un tonnerre grondant,(Parmi l'air nuageux deçà, de là rodant)Tombe à plomb dessus moi, pour m'écraser la tête :Ou plutôt devant vous qu'une horrible tempête M'emporte par-delà les atrienes eaux,Et de là me resouffle en bas sur les carreaux,Ou plutôt que la terre ouvre son large ventre,Pour vive m'engloutir jusques dedans son centre :Que je veuille jamais, ou que je songe point À vous désobéir seulement d'un seul point. ÉMILIE. Voilà des termes vrais d'un enfant débonnaire.Le violent effort du sort le plus contraireDarde tant qu'il pourra ses fers plus pénétrantsSi ne blessera-t-il pas ni toi, ni tes parents, Si tant est que tu sois constamment résolue,De désobéissance oncques n'être pollue. SAINTE CÉCILE. Que mon père m'éprouve en ce qu'il lui plaira,Toujours à le servir prête il me trouvera. PATRICE. Remontrances de sage père à ses enfants, quand il les veut émouvoir à se ranger à sa volonté, principalement lorsqu'il veut les marier.Ma fille c'est assez, je n'en fais point de doute : Passe, vient près de moi, et soigneuse m'écoute.L'on dit que c'est beaucoup que de bien commencer,C'est davantage encore de plus outre avancer :Mais la perfection de la chose parfaite,C'est quand absolument à son gré l'on l'a faite. Ores tu reconnais que notre Hymen égal,(Étroitement serré par le noeud conjugal)Sous la faveur d'en haut, t'a fait naître en ce monde,Ta mère, et moi n'étant que la cause seconde :Laquelle tendrement, dès ton pleureux berceau Te nourrit de son lait, autant bon, qu'il est beau.Après cet appareil, la parentelle cure,Nous époint te bailler une autre nourritureQui ne sustentât point ton corps tant seulement :Mais dressât aux vertus ton bel entendement, Selon le brave estoc, et le rang de noblesse ;Que dans Rome je tiens, et vous (chaste maîtresse)Nous avons apporté cet office second,Avec autant de soin, qu'un devoir nous semond.Reste donc le dernier, où droitement je vise : C'est que comme déjà nubile je t'avise,Pour notre heureux repos, il nous faut te pourvoirD'un riche époux pareil, de race, et de pouvoir.Un extrême regret captiverait mon âme,S'il me fallait entrer dans la gondole infâme Du maussade Charon nautonier stygieuxDevant qu'à ton plaisir, je t'eusse soucieuxCouplée sous le joug du sacré mariage,Sortable à ta maison, à tes biens, à ton âge. SAINTE CÉCILE. Belle excuse d'enfant qui serait encor jeune, ou qui désirerait de garder sa pudicité.Pardonnez-moi, monsieur, l'enfant porte-carquois, Dont les traits amoureux rangent dessous ses loisLes plus crêtés d'orgueil, les plus fiers, les plus graves,Fussent Dieux, fussent Rois, nobles, bourgeois, esclaves :Or qu'il guette rusé, afin de m'attaquer,N'a pu trouver moyen de me pouvoir piquer. Une grand' Déité, que je sers humble serve,De ses plus fins assauts m'affranchit, et préserve,Je désirerais fort (mais sans vous offenser)Qu'il vous plût de mari vouloir me dispenser. PATRICE. C'est à quoi maintenant j'abute ma poursuite. SAINTE CÉCILE. À mondainement vivre on ne m'a point instruite. ÉMILIE. « Et quoi, le mariage est-il pas sacro-saint ? SAINTE CÉCILE. « Il ne prospère pas, quand il est trop contraint. ÉMILIE. Mais ne tiendrez-vous pas telle règle de vivreQui vous semblera bon ? SAINTE CÉCILE. « Madame il convient suivre « Le mandement exprès de son fidèle époux. ÉMILIE. Il est vrai, Dieu le veut : pour cela lerrez-vousÀ part vous en privé de tenter quelque épreuve,Qu'après votre trépas votre belle âme trouve ? SAINTE CÉCILE. « La femme n'a plus là de libre volonté. PATRICE. « Une fille encor moins vers son père indompté.Partant comme je suis le tien, je te commandeQu'à ce brave Seigneur, qui de soi fait offrandeÀ toi sa chère Nymphe, aussi que sans rancoeur,Au nom d'un bel Hymen, tu lui sacres ton coeur. SAINTE CÉCILE. Tout ce qu'il vous plaira, faut que je l'accomplisse :Car le prompt obéir, vaut mieux que sacrifice. VALÉRIAN. Valérian viendra chanter cet air en faveur de sa Maîtresse sainte Cécile. La Nymphe que j'adore, Plus belle que Cypris : D'un souci me dévore, Et ravit mes esprits. Hélas amour la cruauté Loge-t-elle en si grand' beauté. Je ne vis que par elle, Par elle je me meurs : Je meurs m'étant rebelle, Et vis par ces douceurs. Hélas amour la cruauté Loge-t-elle en si grand' beauté. Vivre et mourir ensemble, Pour un si bon sujet ; C'est tout-un ce me semble À l'amoureux parfait. Hélas amour la cruauté Loge-t-elle en si grand' beauté. Mourant par sa disgrâce Il finit son malheur : Et vivant en sa grâce C'est le point de son heur. Hélas amour la cruauté Loge-t-elle en si grand' beauté. Heureux et misérable Est un fidèle amant, Dont l'amante semblable Porte joie et tourment. Hélas amour la cruauté Loge-t-elle en si grand' beauté. Heureux quand sa maîtresse Lui rit à tout propos Misérable sans cesse En lui tournant le dos Hélas amour la cruauté Loge-t-elle en si grand' beauté. PATRICE. Qu'est-ce que j'entends-là : mais quoi n'entends-je pas.C'est un air Musical, paix, paix, paix, parlons bas : Ois ! Mais n'est-ce pas là à mirer sa postureN'être Amant gracieux ? Oui ce l'est, j'en jure. ÉMILIE. Ô brave Gentilhomme ! Ô mignon de Pallas,L'honneur des courtisans ! PATRICE. Paix, paix, paix parlons bas.Il ne sonne plus mot, voyons ce qu'il veut faire, Écoutons-le parler, il vient pour cette affaire. VALÉRIAN. Valérian poursuit à chanter.Je ne sais si Phébus vite courrier des cieux,Qui voit tout ici-bas de son oeil radieux,Quand pour nous éclairer de sa perruque blonde,Il fait toujours courant, sa journalière ronde. Je ne sais dis-je non, si dedans ce grand tout,Il rencontre un objet plus pleinement absousDes trophées de vertus, et raretés divines,(Qui morguent du destin les traverses malines)Que celle à qui je suis serviteur consacré ; Brûlant en son amour, d'amour saint et sacré : Ô chef-d'oeuvre parfait de nature féconde !Petit monde gentil, somme du petit monde !Ma Cécile mon coeur, ma vie, mon soulas,Nymphe pour ta beauté digne d'un bel Hylas : Hylas autant orné de beautés nonpareillesQue tu es à bon endroit, merveille des merveilles !Quel heur, Valérian, mais quel heur plus heureuxLe ciel large donneur de ton heur désireux, Te peut-il prodiguer en ce mortel passage, Qui te puisse jamais bienheurer davantageQue de faire surgir tes desseins incertainsAu salutaire port où presque tu atteins ?Si fortuitement une mésaventureD'envie trouble tout implacablement dure, Ne se fourre méchante, au point que tu seraisDéjà prêt d'attoucher au but avec les doigts :Te repoussant ainsi (pour plus te rendre infâme)Loin du havre amoureux des grâces de ta dame :Comme on voit quelquefois au nocher, Qu'un orage mutin lance contre un rocher,Lorsqu'il cuide joyeux, à cet endroit qu'il vise,Son navire aborder chargé de marchandise.Non, rien en vérité ne peut combler mon heur,Qu'une unique Cécile hôtesse de mon coeur. Prière d'amoureux pour être aimés en aimant.Ô Jupin Dieu puissant, ô Junon la nocière,Ô courtoise Vénus écoutez ma prière !Commandez s'il vous plaît au Dieutelet amour,Qu'il aille finement toupier à l'entourDe celle dont je suis amoureux par lui-même : Mais je dis amoureux de passion extrême :Qu'il lui décoche un trait de ses traits boutefeuAins (qu'éprise de moi, comme d'elle je fus,Quand il me l'enfonçât jusques dans la moëlle)Elle-même aussitôt d'un unanime zèle. Voici-pas ses parents ? Ce sont-ils que je crois,Et ma maîtresse aussi, bon augure pour moi.Monsieur je viens exprès, guidé de l'espérance,Faire à votre grandeur cette humble révérence. PATRICE. Soyez le bienvenu : je ne puis recevoir, Plus grand heur aujourd'hui, que cet heur de vous voir. ÉMILIE. Monsieur pour mon regard je suis aussi contente,« Que l'on a du plaisir du fruit de son attente. PATRICE. Cécile qu'en dis-tu ? Quoi ne parles-tu point :Voici ton serviteur arrivé fort à point : Pour clore le contrat de votre mariage.Sus, baisez-lui les mains. SAINTE CÉCILE. Je n'ai pas le courage. PATRICE. Quoi ? Quoi ? Je vous entends. SAINTE CÉCILE. Monsieur dispensez-moiDe ce fâcheux lien de conjugale loi. VALÉRIAN. Hélas je suis perdu ! Petit Dieu porte flèche, De grâce enflammez-la d'amoureuse flammèche :Afin que comme jà, je vois son père enclinÀ mes voeux : qu'elle y soit de même à pur à plein. PATRICE. « Tout beau, monsieur, tout beau, la volonté d'un père,« N'a pas moins que l'amour de force en cet affaire. Ne m'as-tu pas promis tantôt que tu ferais,(Quand je t'en ai parlé) tout ce que je voudrais. SAINTE CÉCILE. Bien, ce qu'il vous plaira faut que je l'accomplisse :« Car le prompt obéir vaut mieux que sacrifice. PATRICE. Or baisez-vous l'un l'autre, et toi Valérian Baille-lui un anneau au nom de ce lien. VALÉRIAN. Tenez en voilà un des plus beaux que je sache,Mettez-le à votre doigt, sans mentir il me fâche,Qu'il ne vaut encor mieux que vous le méritez. SAINTE CÉCILE. C'est assez grand merci. PATRICE. Les douces voluptés, Nous attirent la part où le plaisir s'apprêteAllons à la maison, nous parferons le reste. LE CHOEUR. Ils sortent. Le souci du père provide De ses enfants : Toujours est d'autant plus avide, Qu'il se font grands N'ayant l'âme assouvie Tant qu'en sa vie, Chacun d'eux soit pourvu, Selon son deub. Ses fâcheux travaux et sa peine Visent tout droit, À ce qu'un Hymen les enchaine D'un noeud étroit. N'ayant l'âme assouvie Tant qu'en sa vie. Chacun d'eux soit pourvu Selon son deub. Puis quand à son plaisir extrême Tout leur va bien : Le dard mortel de la mort blême Ne lui est rien ; N'ayant l'âme assouvie Tant qu'en sa vie. Chacun d'eux soit pourvu Selon son deub. ACTE II PATRICE, ÉMILIE, VALÉRIAN, SAINTE CECILE. [PATRICE]. Mariage conclu.Enfin elle a parlé, enfin tout est conclu :Enfin ne reste rien qui ne soit absolu :J'entends pour le regard de leur foi mutuelle,L'un à l'autre jurée en ma main paternelle, Par le grand Dieu nocier, qui les a couronnés,Sous l'aveu de Junon, des trésors butinés,Jusques dans le jardin fleurissant agréableDes Hespérides soeurs : qu'un dragon effroyableGarde soigneusement ; qu'on n'en cueille des fleurs Peintes d'un bel émail de cent mille couleurs.Vraiment à ce sujet il me prend une envie(Mon âme se trouvant ores tout assouvie.De son ardent désir dès longtemps médité)De chanter maintenant d'une allègre gaîté : Patrice chante.Io, ô HyménéeHymen, hymen, hyménée :Io, io, io,Hymen, hymen, hyménée. ÉMILIE. Bel exemple pour une femme, afin de se conformer à son époux.De rien ne servirait un spectacle élevé, Tant de perles, que d'or richement relevé :S'il ne tire de près au naturel visage,De celui, dont il doit effigier l'image.De rien ne sert aussi la femme à son mari,Bien que riche elle fut, brave, et d'un bel esprit : Si quand il est joyeux elle fait triste mine,Et quand il est fâché de joie elle trépigne.Car tant s'en faut, ainsi qu'elle en fut le portrait,Elle n'en marquerait seulement un seul trait.Moi qui vous appartiens par ce titre d'épouse, Je dois symboliser à vous en toute chose.Puisque donc je vous vois pleinement réjouiDe ce noeud conjugal : je le serai. OuiIo, ô HyménéeHymen, hymen, hyménée : Io, io, io,Hymen, hymen, hyménée. VALÉRIAN. Autre bel exemple, pour les enfants, afin qu'ils portent également, le bonheur, ou malheur de leurs parents.Comme un coup élancé au senestre côtéRedonde en l'autre, autant que s'il y fut porté :Et le cas échéant, qu'il fut premier au dextre, C'est sans doute qu'aussi s'en ressent le senestre.« Pour autant que le corps symétriquement conjoint« Ne veut être, et ne peut qu'à grand perte disjoint :« Ainsi que l'accident oncques ne se dégage,« De son fixe sujet qu'avecques son dommage. De même le bonheur, ou sort infortuné,(Sur un père, ou les siens inespérément né)Doit être également supporté par ensemble,À la discrétion telle que bon leur semble.Moi doncques aujourd'hui, moi, qui a cet honneur De vous être allié pour gendre et serviteur :Si vous êtes comblés d'une heureuse liessePour cet heureux lien de moi, et ma maîtresse,Ne le serais-je pas, puisqu'à nous, comme à vous,Cet imprisable bien est commun entre nous ? Valérian chante.Io, ô HyménéeHymen, hymen, hyménée :Io, io, io,Hymen, hymen, hyménée. SAINTE CÉCILE. Je sais (mes chers parents) pour avoir autrefois Ouï continuer avec pareille voixUn canon musical, à quatre ou cinq parties,Qu'après l'un l'autre on fait des poses bien parties :Ainsi c'est à mon tour, et pour vous contenter,Qu'au nom de notre hymen, il me convient chanter, Sainte Cécile chante.Io, ô HyménéeHymen, hymen, hyménée :Io, io, io,Hymen, hymen, hyménée. PATRICE. Remontrances d'un père à sa fille, comme elle se doit comporter en mariage envers son mari. Remarquable antiquité au sacrifice des mariages.Ma fille, mon souci, mes délices, mon tout, Sus doncques, sus il faut d'un vouloir bien résous,Qu'à ton Valérian tu sois obéissanteJusqu'au dernier point de ta course glissante,Tu veuilles, ce qu'il veut, tu fasses ce qu'il fait,Sans que d'un noir chagrin paraisse un moindre trait Quand on sacrifiait selon la mode antique,Une grasse victime à Junon l'Argolique ;Le sacrificateur avait accoutuméPremier que la brûler sur l'autel enfumé,Du tranchant d'un couteau lui fendre la poitrine, Jusqu'au foie bouillant où le fiel s'enracine :Fiel amer, fiel mauvais, fiel mordant venimeux,Qu'il arrachait soudain, en présence de ceuxQui la lui présentaient par humble sacrifice ;Afin qu'à leur hymen elle leur fut propice : Même tout quant et quant, d'un office immortel,Devant tous le jetait arrière de l'autel :Pour montrer qu'il fallait priver le mariageDu venin dangereux, de colérique rage,Du mal impatient, de jalouse amitié, Et de l'amer cuisant d'une âpre inimitié :Mais brûler saintement en l'amoureuse flamme,Conforme en toute part d'esprit, de corps et d'âme. ÉMILIE. Bel exemple où l'homme, et la femme apprennent à vivre en paix.Votre avis me plaît fort : car il est importantPour l'auguste repos d'un conjugal amant, Qui fait comme celui, qui de soigneuse cure,Des plus fiers animaux dresse la nourriture.Il avise premier, de quel humeur ils sont ;Ce qu'ils aiment le plus, ce qu'en horreur ils ont,Et l'ayant reconnu, prudent il s'accommode, Pour les apprivoiser à leur brutale mode.Bel exemple commun, et vraiment familier,Pour quiconque se veut étroitement lier,Au mariage saint d'une chaîne aimantine,Ainsi comme l'entend la Pronube Lucine ; Ains que l'homme à la femme, et la femme à l'époux,D'un mutuel accord soit paisiblement doux. VALÉRIAN. Autre bel exemple rapporté à ce propos.Madame, à ce propos, propos qu'il ne faut taire ;Je me ressouviens bien de la façon de faireDe ceux qui sont commis pour garde aux Éléphants, Qu'on nourrit à la main ainsi que des enfants.Ils ne prendront jamais une robe luisante,Peur de les provoquer en colère bouillante.Ceux qui pensent aussi les Taureaux furieux,Ne se vêtiront point de pourpre précieux : Et ceux qui pour dompter les tigres indomptables,Sont aux gages d'un Roi, à leur charge, sortables :Ne croyez, je vous pri', qu'ils osent en plein jourApprocher au panpan d'un étonnant tambour :Car tant s'en faut qu'ainsi l'on éteignit leur rage, L'on les enflammerait encore davantage :Mais ils se serviront pour les apprivoiser,Du propre à leur humeur qu'ils pourront aviser.De même en ce lien qui n'est point déliable,Afin que le mari se rende mieux sortable Au réciproque endroit de son autre moitié,Et qu'ils vivent toujours en féale amitié, La femme doit ourdir chose pour lui complaireEt réciproquement envers elle il doit faire. SAINTE CÉCILE. Similitude de la mouche à miel à un enfant qui reçoit volontiers enseignement d'autrui.Jà Dieu ne plaise, non, qu'à vos enseignements (Que conformes je vois aux divine mandements)J'aille contrevenant misérable orgueilleuse,Las ! Ce serait pour moi chose trop dangereuse.Comme la mouche à miel allègre cueille-fleur,Voletant çà et là aux parterres d'honneur Remporte peu à peu, dans sa ruche fertile,Pour façonner son miel, ce qui est plus utile.Ainsi l'enfant bien né fort soucieux du sien,Prend agréablement de tout homme de bien,Ce que pour son profit, son salut, et sa vie, Il connaît, il entend, au gré de son envie.Donques promettez-vous, mon père, mon Seigneur,Que je ne ternirai d'infâme déshonneur,Par réfutation de vos préceptes sages,Le lustre verdoyant du lustre de vos âges. PATRICE. Cécile c'est assez, me voilà satisfaitAutant qu'un à qui rit la fortune à souhait. ÉMILIE. Salut et bénédiction d'un bon mariage.« Tes jours prospéreront longuement sur la terre« Et ton los n'entrera au tombeau tout-enserre. VALÉRIAN. « Le ciel te comblera d'innombrables faveurs, « Et le monde opulent t'enrichira d'honneurs. SAINTE CÉCILE. « Ces honneurs, ces faveurs, ce los, ce cours prospère« Sont vraiment les loyers d'enfant humble à son père. PATRICE. Tu en parles savante, et j'ajouterai bien,Quand ces fileuses soeurs (soeurs qui n'épargnent rien Sous leurs ciseaux tranchants qui ne perdent la vie)De leurs meurtrières mains la tienne auront ravie :Que ton âme céleste ira jouir aux cieuxÀ toute éternité du repos glorieux.Ores ce n'est pas tout de votre foi donnée Loyale entre vous deux, au nom de l'Hyménée,Si vous ne jouissez pas du fruit Cythéréan,Et que de votre estoc ne sort au bout de l'anUn enfant ressemblant en vertus à son père,Et de vénusté grâce à sa vénuste mère. « C'est la raison pourquoi jadis fut composé« Le lien conjugal, du cerveau bien posé« De celui qui de rien, sinon de sa parole« Bâtit l'air, l'eau, la terre, et l'un et l'autre pôle. VALÉRIAN. « Le long tarder ennuie à qui attend longtemps. PATRICE. « Mais il apporte aussi beaucoup de passetemps,« Quand l'espoir incertain certainement arrive,« Par faveur du destin, d'où vraiment tout dérive. ÉMILIE. Mon fils Valérian, l'appui de mes vieux ans,Je pense que bientôt tous deux serez contents, « Tout vient assez à temps à qui peuvent attendre. PATRICE. M'amie, mon soulas, veuillez doncques entendreDe parer richement un beau lit nuptial :Afin que nos Amants d'un esprit jovial,Cueillent le plaisant fruit du combat de Cythère, (À quoi le Dieu nocier, dont elle fut la mère,Et le Sémélien de Pampres couronné)Les appelle lui-même, en ce champ ordonné. ÉMILIE. Soigneusement déjà comme étant de ma chargeJe m'en suis avisé. PATRICE. Hé ! Pensez-vous qu'il targe À ce gentil époux, qu'il n'éteint ce brandon,Que lui attise au coeur l'archerot Cupidon ? Le front et le visage sont quelquefois témoins de l'intérieur.Son visage vermeil, et ses yeux darde-flammeSont les témoins muets de l'ardeur de son âme,Qui parlant sans parler prédisent toutefois, Qu'il brûle après son coeur, dedans son coeur pantois. VALÉRIAN. Mais, comme vous jugez par cet externe signe,Ce qui est recélé au fond de ma poitrine. PATRICE. C'est ce front, sont ces yeux, et ces joues encor,Qui en sont le miroir reluisant comme l'or. ÉMILIE. Allons, donc Monseigneur, allons je vous supplie,Allons, d'un pas isnel, et de grâce jolieCommander d'un pouvoir pleinement absolu,Ce que pour cette fin a été résolu :Savoir est de parer tout à l'Italienne Leur nuptiale couche, ainsi que fut la mienne :Qu'on tapisse la chambre, haut et bas, et partout,Qu'o34n la jonche de nard de l'un à l'autre bout :Mais que premièrement elle fut arroséeD'eau de douces senteurs, comme si la rosée L'eut même rafraîchie : ainsi qu'en quelque tempsPour humecter la terre, elle choit par les champs : PATRICE. Allons, je le veux bien : c'est le soin plus avideQue j'ai maintenant : comme un père provideDe voir quelque fleuron des branches de son tronc Pousser, et faire fruits sous cet espace rond,Au moyen principal d'une belle alliance,Dont il joint ses enfants en leur adolescence. ÉMILIE. Allons, et ce pendant d'un honnête entretienIls se gouverneront. PATRICE. Allons, je le veux bien. Patrice et Émilie sortent. VALÉRIAN. Allez toujours devant, nous irons à la traceSitôt que nous aurons un petit face à facePrivément discouru de nos belles amoursQui telles qu'à présent dureront à toujours.Or çà donc mon amante, or çà que je te baise, Avec l'espoir prochain de l'heur, du bien, de l'aise,Que nous touchons au doigt pour être jouissantAu duel amoureux d'amoureux languissant. SAINTE CÉCILE. D'amoureux languissant ! Ne pincez cette corde,Elle est autant et plus d'avecques moi discorde Maxime Musicale.Qu'une quarte en Musique, au simple contre-point,Qui contre un autre accord dissone de tout point,Vous languissez d'amour ! J'en vis c'est au contraire :Ruminez un petit comment il se peut faire. VALÉRIAN. Mais, mon coeur, n'es-tu pas or éprise de moi Du Cyprien amour, comme je suis de toi ? SAINTE CÉCILE. Non, je ne le suis pas, non je vous le confesse. VALÉRIAN. Comment tu ne l'es pas ? Hé ! Pourquoi ma déesse ? SAINTE CÉCILE. J'ai consacré mon coeur à un autre qu'à vous. VALÉRIAN. À un autre qu'à moi ? SAINTE CÉCILE. À un autre, qu'à vous ? VALÉRIAN. Que sert donc ce lien du sacré mariage,Dont nous sommes unis en l'Avril de notre âge,Si ce n'est pour goûter du fruit délicieuxDe l'amour ? SAINTE CÉCILE. Quel amour ? VALÉRIAN. De l'amour gracieux,Qu'en ce douillet assaut de la guerre Cyprine Chaque Athlète amoureux cueille, gagne, et butine. SAINTE CÉCILE. Je ne sais pas que c'est. VALÉRIAN. Dans ce lit nuptial,Que l'on va préparant, pour de coeur génialNous faire consommer notre hymen agréable.Vous y ferez bientôt guerrière redoutable : Marchant à front levé sous le pourpre guidonDu Dieu targé du feu appelé Cupidon. SAINTE CÉCILE. Protestation de pudicité.Monsieur excusez-moi, jamais tant que je viveDe l'impudicité amoureuse lasciveAvec homme vivant je ne me souillerai : Mais s'il plaît à Dieu, ferme je garderaiCette vierge candeur, que je lui ai vouéeComme à mon cher amant, par qui je suis douéeD'un monde de bienfaits, sans mérite de moi,Ni sans lui avoir onc désigné le pourquoi ; Je l'aime à ce sujet du profond de mon âme,En lui je vis de charitable flamme. VALÉRIAN. Que veut dire ceci ? Hé ! Quel charme te tient ?À qui est-ce, dis-moi, que ton corps appartient,Pour éteindre l'ardeur de la flamme cyprine, Qui d'un pauvre amoureux embrase la poitrine,À qui appartient-il qu'à ton ValérienÀ qui tu es épouse, ainsi comme il est tien ?Quoi donc, me faudra-t-il pour jouir de ma femmeServir d'enchantements d'une sorcière infâme ? Permettras-tu cela ? Mais le permettras-tu,Que j'emploie Circé, qui connaît la vertuDes plantes, et des fruits, des minéraux, des pierres,Et des astres errants les errantes carrièresQue son père Phébus lui avait enseigné, Pour user en tel sort qu'elle aurait désigné ?Réponds, ne veux-tu pas librement condescendreAu nom de notre hymen, de ce pas d'aller prendreNos Cypriens ébats, en ce beau lit paréQui nous attend ? SAINTE CÉCILE. Nenni : car j'ai délibéré De n'asservir mon corps à volupté du monde :Pour ne plonger mon âme au vice tant immonde.Dieu sera mes ébats, ma joie, mon plaisir,Non, l'homme qui ne vit que d'un charnel désir. VALÉRIAN. Dieu, dis-tu pas ? SAINTE CÉCILE. Oui Dieu. VALÉRIAN. Qui le docte Mercure L'Olympien Jupin, Bacchus libre de cure,Mavors le furieux, Saturne porte-faux,Apollon fatidic, Neptun' père des eaux,L'indomptable Hercules, ou le lyrique OrphéeMéritant comme toi une candide fée. SAINTE CÉCILE. Le vol de mon amour ne s'abaisse pas si bas. VALÉRIAN. Comment ? Ce sont des Dieux. SAINTE CÉCILE. Protestation de la puissance de Dieu.Je n'en reconnais pasSous ce lambris d'azur, qui l'univers décore,Ni même dans les cieux, que celui que j'adore :Dieu des Dieux, Rois des Rois, Créateur, et Sauveur, De vous, de moi, de tous soit bassesse, ou grandeur.Il est tellement grand, fort, puissant, redoutable.Qu'au nommer de son nom, l'enfer même effroyable,Aussi bien que le ciel l'ouvre, des bienheureuxTremblent à bon escient, et frémissent peureux. Ces Dieux fantaisies, dont tu parlais naguères,Ne sont auprès de lui, que des vaines chimères.« Celui lourdement faut qui bâtit son espoir,« Sur qui, n'a pas lui-même un fétu de pouvoir. VALÉRIAN. Si je veux attentif, te prêter mon oreille, Te voilà sur le point de me conter merveille.Allons c'est trop tardé : je jure par les Dieux,Qui commandent de là le fleuve stygieux,Si tu ne condescends à ce dont je te prie,Que tu verras bientôt une étrange tuerie. SAINTE CÉCILE. Le javelot mortel de la fière AtroposEst un doux instrument pour me mettre en repos. VALÉRIAN. Ne t'ébranles-tu pas de ma chaude menace ? SAINTE CÉCILE. « Non plus qu'un roc pierreux d'un foudre tout-fracasse. VALÉRIAN. Qui t'en garantira ? SAINTE CÉCILE. Mon Ange gardien. VALÉRIAN. Quoi ? Que dis-tu ? SAINTE CÉCILE. Mon Ange, entendez-vous pas bien ?Plus fort lui seul tout seul à ma sauve conduite,Que n'est de ton mavors le plus grand exercite.Il est le protecteur de ma pudicité :Partant ne vous enflez d'une témérité De vouloir me ravir cet imprisable gage :Peut-être feriez-vous, comme Icare, naufrage.Prenez ce mien conseil au nom de Dieu vivant,Vous ne le trouverez nullement décevant. VALÉRIAN. Oy ! Oy ! Qu'ai-je dans moi, qui trouble ma cervelle ? Où suis-je ? Je ne sais : Cécile ma rebelle,De grâce, pense à moi : où êtes-vous mes sens ?Quoi ? Vous m'abandonnez ? SAINTE CÉCILE. C'est que déjà tu sensQuelque secret instinct de la divine essence,Qui semble t'égarer de ton intelligence : Prière de Sainte Cécile.Courage, c'est bon signe. Ô père des Chrétiens,Qui mourus sans mourir pour racheter les tiens,Si tu lanças jamais l'oeil bénin de ta grâceDessus le vif portrait de ta déique face :Darde-la un petit sur mon Valérien, Qu'il vive comme moi en fidèle Chrétien,Abjurant ses faux Dieux, et te vouant sa vie,Qu'à ta grand' Déité elle soit asservie. VALÉRIAN. Vraiment il m'est avis que je reviens à moi :M'as-tu pas tantôt dit, que toujours quant et toi, Marchait à ton côté, un Ange pour ta garde ?Et qu'est-ce ? Dis-moi donc : sans mentir il me tardeQue j'aie, comme toi, ce bonheur de le voir.Je jure par le ciel, que si par ton pouvoirIl m'est représenté quelque fois à la vue, Je croirai en ton Dieu, dès la prime avenue :Que je sache que c'est ? SAINTE CÉCILE. « C'est un céleste esprit :« Immortel, épuré mignon de Jésus-Christ. VALÉRIAN. Mais, ne le puis-je voir ? J'en ai désir extrême. SAINTE CÉCILE. « Si vous êtes lavé de l'onde du baptême « (Qui purge la laideur du vice originel,« Dont nous sommes tachés du côté paternel)« Vous le verrez souvent, vous faisant sûre escorte,« Non seulement d'avis, mais aussi de main forte.« Autrement non, jamais, mais vous serez toujours « Aveugle, prêt de choir aux ténébreux séjours. VALÉRIAN. Je le veux être oui : que faut-il que je fasse ?Je le ferai sans doute, et ni aura disgrâceDu sort malencontreux, qui m'en puisse empêcher. SAINTE CÉCILE. Mon époux favori, c'est qu'il nous faut tâcher De trouver finement, sans plus longue remise,Le grand Pontife Urbain, père et chef de l'ÉgliseIl vous enseignera, que c'est de ce grand DieuDe sa foi, de ses lois, et même au même lieuIl vous baptisera. VALÉRIAN. Mais où le trouverai-je ? SAINTE CÉCILE. Je ne sais bonnement. VALÉRIAN. Comment donc le saurai-je ? SAINTE CÉCILE. Ah ! Il m'en ressouvient : enfilez ce chemin,Quand vous serez au bout, prenez à droite main,Vous vous en irez rendre en la voie Appienne :Là en quelque sépulcre, ou grotte terrienne Le trouverez caché, pour le malheureux tempsDe persécution, contre les bonnes gens. VALÉRIAN. Adieu donc ma Cécile, adieu je meurs d'envie,Que mon affection ne demeure assouvie :Je serai de retour plutôt que je pourrai, Et toujours cependant le vôtre je serai. Valérian sort. SAINTE CÉCILE. Adieu mon cher souci : Dieu veuille qu'en franchise,Vous conduisiez à chef votre sainte entreprise,Je vais conter chez nous ce soudain changement,Qu'on trouvera je pense, étrange étrangement. Sainte Cécile sort. LE CHOEUR. L'Amour joint à l'honneur Au sacré mariage Comme il est comblé d'heur Ne peut faire naufrage. Io, ô Hyménée Hymen, hymen, hyménée : Io, io, io, Hymen, hymen, hyménée. Le bien, l'aise, le los, Y croît, gît et fleuronne : Dont le Dieu de repos Les vrais amants guerdonne. Io, ô Hyménée Hymen, hymen, hyménée : Io, io, io, Hymen, hymen, hyménée. Doncques que ce coupl'-un S'aime d'une âme belle, Pour jouir en commun D'une fortune telle. Io, ô Hyménée Hymen, hymen, hyménée : Io, io, io, Hymen, hymen, hyménée. ODE ÉPITHALAMIQUE. Heureux amants qu'un bel hymen enserre D'un saint amour au lien conjugal : Lien de vrai, qui promet sur la terre, De demeurer à tout jamais féal. Bien que d'amour la passion volage, N'aime rien tant que de changer d'amant : L'on ne verra toutefois en notre âge, Que ces deux-un violent leur serment. Ils s'aiment trop, ils ont l'âme trop pure, Ce que l'un veut, l'autre le veut ainsi : Entre eux tout va par nombre, par mesure, Comme les Cieux, et la Musique aussi. Fasse le temps, et la jalouse envie, Ce qu'ils pourront, ains de les délier, Ils jouiront d'une éternelle vie, Dieu les voulant avec soi marier. ACTE III SAINTE CÉCILE à genoux en un Oratoire accompagnée de l'Ange. Dévote méditation de la grandeur et des oeuvres de Dieu.« Que tu es admirable, ô essence divine,« Pure, simple, sans fin, comme sans origine !« Que tu es admirable, oui vraiment que tu l'es :« Car outre ce qu'en toi, tu es ce que tu es,« Immortelle substance, impassible, immuable, « Sainte, spirituelle, et juste, et véritable :« Tu es grand, tu es bon, puissant, sage, et parfait,« Comme tu l'as voulu le montrer par effet,« Bâtissant l'univers presque incompréhensible,« Qui n'est au prix de toi qu'un point indivisible : « De toi, dont le pouvoir de rien a composé« Ce tout en peu de temps, tant tout lui est aisé.« Le gouvernant aussi d'une infaillible adresse,« Au droiturier model de ta haute sagesse,« En qui, de qui, par qui tout est, tout vient, tout vit : « Étant tous, en ce tout qu'en soi elle asservit.« Dont la perfection était autant parfaite,« Par avant que jamais toute chose fut faite,« Puis quand tout fut posé en son ordre, en son lieu,« Ton immense bonté planta l'homme au milieu, « Pour contempler à l'oeil un si bel artifice,« Lui ayant départi d'un libéral office,« Un corps droit élevé, un esprit pénétrant,« Ains de mieux aviser ton courage très grand :« Et selon ce qu'il est, comme il est admirable « Louer incessamment l'auteur recommandable.« Si que par ce moyen il se guindât aux cieux,« Pour jouir, immortel, de l'heur délicieux,« À quoi l'avait formé ta providence sage,« Pour guide lui baillant entièrement l'usage « De son arbitre franc, qu'on ne pouvait presser« Ni de prendre le bien, ni au mal s'adresser :« Remettant à lui seul ce seul choix volontaire« De faire ce qu'en soi trouverait bon de faire« Après qu'auparavant tu lui avais prescrit « Quelque commandement écrit, et non écrit :Lequel si toutefois d'une maligne audaceIl allait négligeant, pour courir à la traceDe son fol appétit, plutôt que du grand Dieu :Las ! Je prédis son mal, et m'assure qu'au lieu De brosser le sentier de la céleste gloire,Qu'il postille à grand pas en la région noire :Si ce n'est, ô Sauveur, que tu veuilles sauver« Cil qui ne peut sans toi, près de toi arriver :« Mais qui peut bien sans toi se rendre misérable, « Et des tourments d'enfer, par son vice, coupable.Mais non, tu ne veux point perdre un si cher enfant,Pour qui mourant, tu fus de la mort triomphant. Extrême bonté de Dieu envers les hommes pécheurs.« S'il te tourne le dos tu lui montres la face :« S'il te fuit, et poursuis, tu le cherche et l'embrasse. Ô prodigue bonté ! Ô amour paternel !Ô bénigne faveur ! Ô trésor éternel !Quel plus auguste bien, quel heur plus souhaitableÀ l'esclave étranger, au sujet serviable,À l'enfant orgueilleux, à l'importun client, Lorsqu'en se révoltant, même de son escient,À son maître, à son Roi, à son Juge, à son Père,Il n'entre contre lui toutefois en colère :Mais offensé qu'il est le reçoit à merci,Et le fait d'ennemi son aimable souci ? C'est toi Valérian à qui ceci s'adresse,Qui t'étais révolté contre cil qui rabaisse,De son pouvoir puissant le plus grand, le plus fort,Dessous le frein duquel est la vie et la mort.Néanmoins aujourd'hui tu vois comme il t'appelle En son troupeau Chrétien, de païen infidèle.Sus donc courage, sus, reconnais ce bienfaitDe Dieu, ton père, Roi, Juge, maître parfait :Tant qu'on verra les cieux dru parsemés d'étoiles,Et dessus l'Océan des grands naus porte-voiles. L'ANGE. Sicelide Cécile, épouse, fille, soeur,Soeur des Anges vraiment, pour ta chaste candeur :Fille du Dieu des Dieux chèrement adoptée,Pour t'être en lui, en toi, pacifique portée :De quoi pour la valeur de ta noble vertu, Le céleste dauphin à l'humaine vêtu,Voyant de bien en mieux s'accroître ton mériteA voulu que tu sois sa chère épouse élite.Tandis en attendant qu'en son louvre Empiré,Heureuse auprès de lui d'un repos désiré, Tu jouisses sans fin en la vie éternelle,Après la pâle mort de ta vie mortelle :J'ai reçu de sa part un mandement exprèsDe te guider partout, et de loin et de près,Pour lui garder entier le plus précieux gage De ton corps impollu, de peur qu'il ne s'engage(Par les mielleux propos des mondains affétés)Au labyrinthe ouvert des sales voluptés,À quoi si une fois tu te glissais, lascive,Tu tarirais bientôt la claire source vive De l'eau vive, que Dieu fait rejaillir en toi :D'autant outre tes voeux, que tu gardes sa loi. Preuves certaines de la justice, et miséricorde de Dieu.« Il est bon, je le sais, patient débonnaire :« Mais il est juste aussi, et cruel, et sévère« À quiconque voudrait s'empierrer obstiné « Au mal, où par nature il est déterminé« Ne voulant point fléchir pour aucune tempête,« Ou rude affliction qu'il greffe sur sa tête :« Ni par le vent mollet du zéphir' donne-fleurs« Des gracieux instincts de ses saintes faveurs. « Recherchant toutefois de paternelle cure,« Le céleste salut de l'humaine structure :« Épiant à propos le temps, et le moment« De regagner perdus, ceux (par consentement)« Qui se sont, malheureux, asservis sous le diable, « Au seul plaisir fuyard de leur vice damnable. SAINTE CÉCILE. Ô bel Ange céleste, ô esprit simple-pur,Qui sais tout, et ne sais, que c'est de vice impur !Ô mignon du très-haut, ô gardien fidèleDe moi, qui suis à Dieu, comme à toi, humble ancelle ! « Je connais sa bonté égale à son pouvoir,« Et tous les deux ne sont qu'un avide vouloir« De bienheurer au ciel, ceux-là qui le méritent,« Comme de pardonner à ceux qui le dépitent.« Les rappelant à soi par des secrets moyens « À lui seul entendus, comme étant vraiment siens,« Connaissant tout lui seul sans qu'on le peut connaître,« Sinon par des effets, qu'il nous fait apparaître,« Tantôt sur les méchants, et tantôt sur les bons :« Ceux-ci en les comblant de mille, et mille dons, « Et les autres plongés à tout genre de vice,« Ils les va recherchant pour leur être propice. Bel exemple comme Dieu recherche les humains pour les sauver.Se portant en ceci ainsi qu'un amoureux(Pour se concilier le coeur trop rigoureux,Que montre à son endroit sa vénuste maîtresse) Qui va, qui vient, qui court, en épiant l'adresseDe la voir, lui parler, la baiser, en jouir,Comme son bien, son Dieu, son amour, son plaisir.Il vient tout bellement pour heurter à la porte,Chargé de beaux présents qu'avecques soi il porte : Il l'appelle, il la prie, il regarde au treillisS'il entreverra point qu'elle lui ouvre l'huis.Bref là sans se laisser de tout telle fatigue,Il n'en partira point qu'il ne gagne sa brigue.« De même mon époux homme-Dieu souverain, « Comme Dieu Créateur du mortel genre humain,« Comme homme son Sauveur étant fait à sa sorte :« Voilà pour le sauver ainsi qu'il se comporte. L'ANGE. Quel cerveau plus divin ? Quel jugement plus mûr ?Mais entre les humains de féminine humeur, Qui connaît mieux de Dieu la nature bonace,Qu'une unique Cécile enfant de noble race ? SAINTE CÉCILE. J'ai ressenti dans moi des favorables traitsDe sa douce clémence, et célestes bienfaits.Même Valérian en éprouve lui-même Qui s'est allé purger au fleuve du baptême,(Qui nettoie le corps, vivifie l'esprit,Et d'enfants de Satan nous fait enfants de Christ)Ailé d'un saint désir de te voir, ô saint Ange !Ce qu'il ne pouvait onc en sa païenne fange : Sainte Cécile remercie Dieu de ce qu'il a converti Valérian son époux à la foi Chrétienne.De quoi les genoux bas, les yeux levés en haut,Les mains jointes aussi, je confesse qu'il faut,Ô Monarque puissant de la machine ronde,(D'une voix doux-sonnante, et d'une âme profonde)Que je t'en remercie et de nuits, et de jours, Come à présent je fais, et ferai à toujours.Car je m'assure bien qu'au lieu d'ardre en la flammeDu feu Citérien, dont il brûlait, infâme,Lorsque pour lui complaire, haletant me pressait,Selon les lois d'Hymen, de lui rendre le droit, Il sera celui-là, qui gardera pudique,Notre lit nuptial de saleté lubrique. Valérian entre.Et c'est de quoi encor, source de piété,Je redouble mes voeux à ta grande Majesté,Que son bon plaisir soit, que jamais en ce monde Mon âme, ni mon corps ne soit de vice immonde.« Le Ciel ne reçoit point d'ordure, je le sais,« Par ton dire peut-tout trop plus vrai, que le vrai. VALÉRIAN, retournant du baptême. Ah ! Vraiment il appert, je le crois, je l'éprouve,« Que qui cherche le bien, qu'à souhait il le trouve : « Je veux que ce ne soit sans travailler beaucoup :« Mais en fin, ce travail s'oublie tout à coup.« Le soldat généreux affamé de la gloire,(Que l'on emporte après une brave victoire,Ainsi qu'au même temps le désiré butin) Va-t-il pas résolu du soir, et du matinHardiment étaler, comme il lui prend envie)À la merci des coups, et son corps, et sa vie ?Et bien qu'en butinant, avec mille hasards,Il soit en maint endroit navré de parts en parts, Ce lui est toutefois une pompeuse joie,En retournant chez soi, adossé de la proie.Ainsi Valérian, ainsi emportes-tuLa palme sur Satan battu, et abattu,Par le vaillant effort de ton noble courage, Te retirant captif du païen esclavage ; Le baptême tient sa vertu et efficacité par le sang de Jésus Christ.Pour te faire adopter enfant du Roi des cieux,« Qui pour l'homme versa tout son sang précieux :« De quoi le fleuve clair du sacré-saint baptême« Emprunte sa vertu d'efficace suprême. Baptême sacré-saint, d'où je viens me laver :Mais avec prou de mal, que j'ai eu de trouver.Le grand Pontife Urbain, dont la sainte doctrineM'a plani le chemin du ciel mon origine.Je m'en retourne gai d'un pas souplement prompt Revoir en cet état le beau lustre du frontDe Cécile mon coeur, ma pudique maîtresse.Mais ne la voilà pas ? Oui ce l'est : mais qui est-ceCe bel enfant ailé revêtu de fin lin ?C'est son ange je crois, oui, et à cette fin Que plus appertement j'en aie connaissance,(Ne le jugeant sinon que par quelque apparenceQui peut tromper mes yeux) je m'en vais l'aborder,Et selon mon désir hardi lui demander.Madame excusez-moi, si j'ose téméraire Par importunité de tant soit peu distraireVotre esprit attentif en méditation :Je ne suis que porté de sainte affectionDe savoir (s'il vous plaît) si devant mon absenceVous jouissiez ainsi de l'heureuse présence D'un si parfait enfant, si vous le connaissiezDevant, et quel il est, que vous me l'apprissiez. SAINTE CÉCILE. Sainte Cécile se lève de son oratoire.Ah ! Mon Valérian, pardonnez-moi, vous-même Si c'est vous : oui c'est vous, oui vraiment c'est vous-même.Dieu, que vous êtes beau ! Que vous êtes luisant ! VALÉRIAN. Aussi ne suis-je plus dans l'ordure gisant. SAINTE CÉCILE. Il appert, c'est pourquoi vous voyez bien mon ange. VALÉRIAN. C'est donc lui ? SAINTE CÉCILE. Oui ce l'est : c'est celui qui me range,Me garde, me conduit, et m'assiste toujours,Soit ès obscures nuits, soit ès liquides jours. VALÉRIAN. « Ô divin gardien ! Ô conduite assurée,« Quand elle est aux humains d'une longue durée ! SAINTE CÉCILE. Quiconque est en la grâce de Dieu est toujours assisté de l'Ange.« Elle leur dure tant qu'ils ne logent chez eux,« En façon que ce soit, le vice malheureux.« Assurez-vous sur moi, que vous avez le vôtre, « Qui a le soin de vous, comme a de nous le nôtre,« Et tant que saintement vous honorerez Dieu,« (Ardant en son amour) vous l'aurez en tout lieu,« Pour guide, défenseur, ami, parent, et frère,« Comme étant avec lui enfant de même père. VALÉRIAN. Veux-tu que je te di' ce dont il me souvient ?Et tu verras comment je l'aime à bon escient SAINTE CÉCILE. Courage, je vous prie. VALÉRIAN. Allégorie des effets de l'amour et grande charité envers Dieu.As-tu point ouï direQu'en Dodone, cité du Royaume d'Épire,Autrefois on a vu un ruisselet courant De naturel effet merveilleusement grand ?Si l'on plongeait dedans quelques torches éteintes,De flammes aussitôt elles étaient empreintes :Il éteignait aussi, comme les autres font,Les flambeaux allumés s'on les plongeait au fond. De même en vérité, ceux qui brûlent en l'âmeDu feu consume-tout de l'impudique flamme,S'ils veulent s'approcher, ou toucher tant soit peu« L'eau de cet Océan : Océan glace-feu« Qui n'a ni bout, ni fin, même ni fond ni rive, « Source sans source, et dont toute source dérive,« Ce grand Dieu en un mot, qui n'a point de second,« Qui commande obéit, par tout ce vide rond :« Le froid de sa candeur, l'humide de sa grâce« Éteindrait à l'instant leur flamboyante audace. « Au contraire s'ils sont de glace refroidis,« Et de fénéantise en eux abâtardis,« Qu'ils ne peuvent pour rien, en rien qui soit mouvoir« Ni le corps, ni l'esprit dessaisi de pouvoir« Il les embrasera d'étincelle si vive, « D'un feu, dont la vertu est tellement active,« Qu'en étant échauffés, ils sont aussi actifs« Aux biens, comme ils étaient aux vices attentifs :« Et pour se joindre à lui sans jamais se disjoindre« Ils quittent leurs parents, du plus grand, jusqu'au moindre : « Répudient encor leur propre volonté,« Et se vouent à Dieu d'ardente charité.Ainsi auparavant le lavoir du baptême,J'étais froid, j'étais chaud, tous les deux à l'extrême :Chaud en ne recherchant que mes plaisirs mondains, Et froid à servir Dieu, qui sauve les humains.Mais depuis que touché de sa fervente grâce,J'ai touché un petit cette liquide glace,Je brûle en son amour, et gèle au feu d'amour.Donc tu peux t'assurer que la torche du jour Éclaircira plutôt le brun de la nuit sombre,Et la nuit fera jour au jour avec son ombre :Qu'oncques je fasse brèche à ta pudicitéCompagne de si près de la divinité. SAINTE CÉCILE. Ô Dieu quel coup du ciel ! Me voilà moult contente : Voilà en ces deux mots le point de mon attente.Car libre par ainsi j'accomplirai mes voeux,Forte me raidissant contre Satan affreux,Ce monde grand pipeur, et la chair amorçante :Pour vivre enfin au ciel avec Dieu, triomphante. VALÉRIAN. Je vous imiterai (comme un bon apprentifSon habile artisan) sans vous être rétifAu moindre mandement, que vous me vouliez faire :Ne désirant rien tant que mon bien salutaire. Mais, mais Valérian, maintenant que tu as Ce titre de Chrétien (titre d'heureux soulas :Dont selon ton désir, tu vois l'Ange CélesteInvisible de soi : mais qui se manifesteÀ toi, pour ce sujet) Quoi ? Ce feu si agent,Ce grand amour en toi chôme-t-il à présent ? Comme la Charité fait avoir soin du salut de son prochain.Lerras-tu ton cadet, Tiburce, ton cher frèreCroupir si longuement en son horde misère ?« Non : car comme le bien est communicatif,Pour lui en faire part, il te convient, hâtif,De ce lieu, de ce pas : voire toute à cette heure, À grand pas te porter au lieu de sa demeure :Qu'il vienne visiter le phénix des vertus,(Par qui les fiers démons honteux sont combattus)Mon épouse sa soeur : afin qu'à ses parolesSous l'étendard Chrétien comme moi tu t'enrôles : À l'ombrage duquel résolu cheminant,(Outre le los vainqueur que l'on va remportantSur tous les ennemis visibles, qu'invisibles)L'on butine des cieux les trésors indicibles.Adieu donc, sans adieu, je reviens aussitôt, Si mon frère germain ne s'avance plutôt. L'ANGE. Les Anges se réjouissent de la conversion du pécheur.Qu'il est bien converti ! Ô qu'il a l'âme belle !Ô qu'il brûle à mon gré de charitable zèle !Penses-tu point, Cécile, Hé ! Ne penses-tu point,Comme les anges sont maintenant sur le point De démener au ciel une éternelle joie,Dérobant à Satan une si riche proie ?« Le pécheur pénitent redouble le bonheurDes saints, comme il augmente au diable son malheur. SAINTE CÉCILE. Dieu s'est fait homme pour sauver l'homme.Je sais, et pense bien à ce que vous me dites, Rapportant tout cela aux précieux méritesDe celui, qui de Dieu, s'est fait homme parfait,Et pour l'homme mortel, à son image fait.Il s'est rendu mortel, se livrant volontaireAux tourments violents d'une mort exemplaire Pour sauver de la mort cet homme vicieux,Le faisant comme lui cohéritier des cieux :Mais à condition de s'en rendre capable,Répudiant et soi, et son vice damnable,Pour se coller entier, et de corps, et d'esprit, À Dieu son Créateur, et sauveur Jésus-Christ.Comme Valérian quittant son paganismeEmbrasse maintenant notre christianisme.En quoi, s'il est résoult, sous l'auspice divinDe militer constant parmi ce monde vain, Sans craindre ni le fer, le feu, ni les alarmesDes tyrans aime-sang, ni de leurs fiers gendarmes :Son front sera timbré de lauriers verdoyants,Et de palme de gloire à la fin de ses ans, Tiburce vient sur le théâtre.« C'est le juste loyer d'un horrible martyre « Des martyrs couronnés dans le céleste Empire. L'ANGE. Cécile, voici jà le frère à votre époux :Tandis d'un front courtois, et d'un langage doux,Que vous l'entretiendrez des divines merveilles,Près de vous, attentif, j'ouvrirai mes oreilles. TIBURCE, retiré un peu à part. Le désir n'est jamais assez tôt assouvi.Tant plus profondément qu'un désir ronge-coeurRampe bourreau cruel, dedans l'intérieur,Volagement naissant de la concupiscible,Sans aviser s'il est inutile, ou duisible :D'autant plus ardemment halète-t-on après, Et ores bien souvent qu'on y touche de près,Il semble toutefois se reculer arrière,Comme une ville à ceux qui vont sur la rivière :Où le temps passe-vite à leur dire est trop lent,Comme une heure est un jour au prisonnier dolent. Ainsi m'est-il avis, qu'oncques je ne puis êtreAssouvi du désir, qui or me vient de naître,Depuis cet heur, que j'eus de voir mon frère aîné,Que je crois que Mercure a chez moi amené,Afin qu'il me fît part de sa bonne fortune, Qui doit être entre amis fréquentement commune.Je jure par les Dieux (si quelques Dieux je crois)Que je suis de son bien aise autant, que pour moi.Mais qu'il est embelli ! Qu'il est devenu sage,Depuis le premier jour de son doux mariage ! Cette envie de voir l'hôtesse de son coeurM'a dérobé de lui, et guidé d'un bonheurEn ce lieu, où je crois, que la voilà seulette,Attendant le retour de son heureux athlète.Madame oserait-on vous supplier d'un mot, En faveur de Vénus, ou de son archerot ? SAINTE CÉCILE. Je ne les connais point : mais (de courtoise grâce)Je vous en dirai deux librement face à face. TIBURCE. Je n'ai pas mérité tant de faveurs de vous.Me direz-vous quel est votre fidèle époux ? Est-ce pas volontiers ce brave gentilhommeNommé Valérian. SAINTE CÉCILE. Oui, ce l'est en somme. TIBURCE. La déesse nocière a bien favoriséCe beau couple d'amants, sous un feu attisé,Par le Dieu Cupidon, entre eux d'égale flamme Qui a d'un bel hymen de deux bâti une âme :Je m'en ressens heureux, pour ce même respect,Ayant l'heur, et l'honneur de vous être sujet,Pour vous appartenir maintenant d'alliance. SAINTE CÉCILE. Monsieur, pardonnez-moi, si à votre présence J'ose vous protester, que je ne vous tiens pasPour parent allié, si ce n'est en ce cas,Que vous quittez l'erreur de la secte païenne,Et que vous embrassiez la sainte loi Chrétienne. TIBURCE. Quelle loi ? Dites-moi. SAINTE CÉCILE. La loi de Jésus-Christ. TIBURCE. De Christ, dites-vous pas ? Ce fut celui qu'on pritPrès de Jérusalem au jardin des olives :Dont on fit le procès, et pour les causes vivesDe son arrêt de mort, c'était qu'en chacun lieuHardiment se vantait l'unique fils de Dieu. SAINTE CÉCILE. Croyance vraie de la nature et puissance de Dieu.Ne vous en moquez pas : il l'était d'assurance,Comme il l'est encore de nature et d'essence :« Le père avec son fils n'étant qu'un même auteur« De ce vaste univers, et le premier moteur.« Mouvant tout de lui seul, et en soi non muable, « Tout maniant aussi, et n'est point maniable.« Connaissant toute chose, et si n'est point connu :« Tout voyant clairement sans pouvant être vu.« Grand tout-comprenant tout, et incompréhensible,« Sage Roi, maîtrisant de prudence infaillible « Et le monde, et l'enfer, et même tous les cieux,« Où ne se trouve rien caché devant ses yeux. TIBURCE. Pourquoi donc si grand roi, si puissant, et si sageQue vous dites qu'il est, même Dieu davantage,Permit-il s'attaquer, permit-il être pris, Être mené captif, qui pis est (au méprisDe la divinité, chose toute immortelle)Qu'un bourreau lui ôtât sa vie corporelle ? SAINTE CÉCILE. Ah ! Ce fut pour sa gloire, et pour notre salut.Il pouvait renverser d'un pouvoir absolu Ses mutins ennemis, et leur superbe gloire :Lui, d'où provient la force ainsi que la victoire :Qui rabaisse l'orgueil des Princes, et des Rois,Sous qui tremble l'enfer à l'éclat de sa voix.Il lève, hausse, baisse, il assoit, et puis change, Quand il veut, et lui plaît l'empire en main étrange,Du Médois au Persan, du Persan au Grégeois,Du Grégeois au Romain, du Romain au Français.Ainsi sous son pouvoir tout change d'heure en heure :Mais éternel qu'il est toujours entier demeure. Faut donc que vous croyiez qu'il est mort à dessein,Pour vous sauver, et moi, et tout le genre humain. TIBURCE. Voire mais s'il est mort, Comment vit-il encores ?Où penses-tu qu'il soit, et quoi ? Que fait-il ores ? SAINTE CÉCILE. « Comme en lui est la vie et quant et quant la mort « De mort il reprit vie, et sans aucun effort.« Il est, et règne au ciel, triomphant, magnifique,« Loué, craint, obéi de chaque ordre Angélique. Chacun a son Ange.« Et comme il ne veut point laisser perdre les siens « Il en baille un à tous qui leur sont gardiens. Tenez voilà le mien, marchant sous tel auspice,Je ne crains ni la mort, ni tourment ni supplice. TIBURCE. Mais je ne le vois point. SAINTE CÉCILE. Vous n'êtes pas Chrétien. TIBURCE. Il est donc invisible ? SAINTE CÉCILE. Invisible au païen. TIBURCE. Mais ne le puis-je voir ? SAINTE CÉCILE. Non que par le baptême, Et la seule créance en un seul Dieu suprême. TIBURCE. Et qu'est-ce du baptême ? SAINTE CÉCILE. Vertu du baptême.« Un clair lavement d'eau,« Qui purge le péché de l'Adamique peau :« De quoi sont tous infects les enfants de sa race,« Et purgés par cette eau de la divine grâce. TIBURCE. Or je suis amoureux de voir, ainsi que toiCet Ange, et d'en avoir toujours un près de moi.Partant en peu de de mots, commande-moi de faireTout ce qu'il te plaira, et je suis prêt le parfaire. SAINTE CÉCILE. Allez donc sans tarder, vers le Pontife Urbain. TIBURCE. Où est-il ? Qui est-il ? SAINTE CÉCILE. Puissance du Pape.C'est le Ministre humain,Du Dieu en qui je crois, qu'il a mis sur la terrePour ouvrir, et fermer le céleste parterre ?Je crois qu'il soit mussé dedans quelque antre noirVers la voie Appienne. TIBURCE. Adieu je m'en vais voir. Il me tarde moins me laver du baptême,Que j'avais de vous voir affection extrême. SAINTE CÉCILE. Que Dieu soit avec vous, puissiez-vous retournerAussi content, que gai je vous vois cheminer. LE CHOEUR. Ô combien sont estimables, Les oeuvres du Dieu puissant ! Tant plus on y va pensant, Plus sont-elles admirables. L'homme qu'il forma de fange, N'est autre que son portrait : Et pour le rendre parfait, L'anima d'un esprit d'Ange. Soudain qu'il se vit au monde, Petit monde, bien orné : D'orgueil il fut suborné, Se rendant pécheur immonde. Dieu qui ne hait que le vice, De l'homme pernicieux : Par remède précieux, Va repurgeant sa malice. Comme il la reconnaît telle Qu'il plaît à sa volonté, Le ciel lui est apprêté Où gît sa gloire immortelle. ACTE IV ALMACHIE. Viendrai-je point à bout de cette horde vermine De cagots aime-Christ, vrai engeance d'Érynne ? Discours politique mais avec des rodomontades d'un magistrat tyran.Ne verrai-je jamais la misérable finDe ces serpents péteux, trouble-culte divin ?Je jure par Pluton, Rhadamanthe, et Cerbère,Lachésis, Atropos, Proserpine, et Mégère, Paravant que trois fois, le postillon du jourAit galopé léger, son ordinaire tour,Dans le grand étendu de son globe bleuâtre,Que je les plongerai au Cocyte noirâtre,Poussés des bras nerveux d'un turbulent bourreau, Par supplices mortels inventés de nouveau.Quoi ? Almachie, quoi ? Grand prévôt de police,Lerras-tu, impuni, croître ce maléfice ?Non, non, garde-t-en bien, ne sois pas indulgentDe châtier à temps le mal de telle gent : « Un fétu allumé rampant dans une étable,« Un flambeau, (par mégarde) laissé sus une table« Font ardre quelquefois une grande cité,« Et mettent en désordre un peuple dépité.Ainsi, vraiment ainsi, ces fantasques nouvelles, Qu'un tas de remuants forgent en leurs cervelles,Sous un masque plâtré (à leur dévotion)D'un culte reformé, ou meilleure action,Se fourrant, abuseurs, parmi un fol vulgaire,Pliant à tout moment, (tant il est momentaire) Comme le jonc mollet à l'haleine du vent :Par ce moyen trompeur corrompent bien souventPêle-mêle, confus, les corps des républiques,Longuement policés par statuts authentiques.Ah ! Que j'ai bonne envie, et dans bien peu de temps, De voir, comme ils seront, résolument constantsVers leur Christ attaché, en croix patibulaire,Comme un séditieux au sommet du calvaire.Rien ne peut m'empêcher, non, rien ne le peut pas,Si le destin fatal n'accourcit mon trépas, Que de leur sang pourpré, je ne rougisse en somme,Et le Tibre blanchâtre, et les carreaux de Rome.Que leurs corps écachés, rompus, brisés, meurtris,Jetés en la voirie (au scandaleux méprisDe leur Dieu imposteur) ne servent de pâture Aux bêtes, aux oiseaux de sauvage nature.Je veux (par tels exploits de mon autorité,)Éterniser mon nom à la postérité.Ce couteau Martial, cette dextre puissante,Couteau puni-mutins, dextre orgueil abaissante S'affile, se renforce, afin de terrasserCeux, qui osent du Roi les lois outrepasser. Il faut qu'un Magistrat se conforme à son Prince.« Un juste Magistrat de son Prince l'image,(Afin que de sa charge il rende témoignage)« Ainsi comme un miroir imitant tout objet « Doit en tout accomplir ce qu'il veut être fait.Moi doncques établi pour régir, à baguette,La Romaine cité, (Cité où chacun jetteLes yeux, pour l'admirer, à cause des vertus,Dont on tient les bourgeois richement revêtus, Et où, ce qui la rend d'autant plus glorieuse,L'on révère les Dieux d'offrande plus pieuse)N'entretiendrai-je pas au frein de mon pouvoir,Que nul envers les siens esquive à son devoir ?Non seulement, d'autant que c'est la loi fréquente : Mais d'Alexandre aussi la volonté fervente, Qui ne veut qu'on honore autres Dieux que les siens :Mais qui veut qu'on châtie âprement les Chrétiens. Comme il tient en ceci la suprême puissance,Et moi, tenant de lui, sous lui, la Lieutenance, Aussi suis-je résous à ce point, quant et lui :Si j'en puis découvrir, il n'y aura celui,(Soit de servile état, soit de noble lignage)Qui ne sente aux tourments mon implacable rage,Sans que, par humble voeux, on la puisse apaiser Au contraire, serait davantage attiserMon courroux flamboyant, comme le mont ChimèreS'enflamme, plus il est humecté d'onde claire.Mais, mais, n'entends-je pas près d'ici quelque voix,Parlant à demi-mots ? Oui, je ne me déçois. Sainte Cécile et Valérian sortent.Voici quelqu'un tout beau, retournons-nous arrière ; Sont peut-être, de ceux, que la dextre meurtrièreDe mes bourreaux attend, pour par le PhlégéthonLeur âme criminelle adresser chez Pluton.« Écoutons leurs discours, la parole de l'homme « Montre s'il est en soi méchant, ou prudhomme. VALÉRIAN. Mais, Cécile, dis-moi, quelle est l'opinion,Que tu as de Tiburce en la religionQu'il désire embrasser. ALMACHIE. Ils en sont, c'est sans doute. SAINTE CÉCILE. Il me semble qu'il a l'âme fort bien résoute. VALÉRIAN. Mais, qu'il tarde beaucoup ! SAINTE CÉCILE. Tiburce entre.Un affaire important,Tel comme celui-là ne s'achève à l'instant :Toutefois regardez il nous suit à la trace. VALÉRIAN. Ô Dieu, Dieu, qu'il est beau ! Ô l'Angélique face ! TIBURCE. Je reviens de chez vous, afin de vous y voir, Où mon état Chrétien vous eussiez- pu savoir. ALMACHIE. Voilà, voilà mes gens, bourreaux, que l'on s'apprête. SAINTE CÉCILE. Vous êtes donc Chrétien ? TIBURCE. Voire, sans d'autre enquête.Jésus le bel enfant, qui vous suit à côté !Serait-ce bien votre Ange ? Hé ! Que je sois été Promptement (s'il vous plaît) de cette certitude,Qui trempe mon esprit en une inquiétude !Humble je vous en prie, au nom du Dieu vivant. SAINTE CÉCILE. Oui, mon Cousin, ce l'est, je vous en fais savant. TIBURCE. La guide du bon Ange est la guide de Dieu.« Ô qu'heureux est celui, qui va sous telle escorte, « La seule compagnie en est beaucoup plus forte,« Conduite en toute part de la divinité,« En étant un chef-d'oeuvre orné de pureté. VALÉRIAN. C'est doncques le Chrétien. TIBURCE. Le Chrétien ? VALÉRIAN. Celui qui renonce à Satan, et se fait Chrétien, l'Ange de Dieu l'assiste toujours et l'embrase de charité.Oui, lui-même,Nettoyé comme vous, de l'eau du saint baptême, Je vous avise bien, qu'il prend possessionDe notre âme, aussitôt que l'on fait cessionAu culte des faux Dieux, et temple satanique,Pour épouser le joug, de la loi Catholique. TIBURCE. J'en éprouve vraiment des effets en mon coeur, Par ce depuis le temps, que Cécile ma soeur,Au vif m'aiguillonna de sa vive parole,Et qu'un peu de liqueur de l'onde douce-molle,De ce fleuve sacré fut distillé su62s moi :Je ne sais, mais je sens dans moi, je ne sais quoi, Qui m'embrase l'esprit d'une si vive flamme,Que l'acier affilé d'une meurtrière lame,(Prête de fenestrer mon corps de part en part,Pour de ce siècle bas dépêcher mon départ)Ne pourrait me forcer par effroyable crainte, De quitter de mon Dieu la loi purement sainte. Comparaison d'une grande constance.Non plus qu'un dur rocher ne s'ébranle constant,Pour orage, tempête, ou tonnerre éclatant :Mais ferme sur son pied, et haut dressant la tête,Se moque de l'orage, et foudreuse tempête. ALMACHIE. Imprécations.Jupiter, Mars, Vulcain, Saturne, et toi Janus,Dieux célestes puissants des mortels reconnus :Pluton, Minos, Éaque, et vous Dires bourelles,Qui bourellez là-bas les âmes criminelles :Quoi ? Quoi ? Permettrez-vous, permettrez-vous longtemps, Ces avortons infects, ces bâtards inconstants,Verser un noir poison de religion sotte,Parmi ceux, qui vers vous ont l'âme tant dévote ?Jupin où est ton foudre ? Et toi Mars ta fureur ?Vulcain tes fers trempés ? Toi Saturne faucheur Où est ta grande faux ? Et Janus ta prudence,Qui ne met au néant leur superbe insolence ?Toi Minos qu'attends-tu de rendre jugement ?Et toi Pluton, pourquoi, sursois-tu ton tourment ?Vous filles de la nuit, qui portez sur la Tête Des tortillés serpents pour votre tresse honnête,Que ne ramassez-vous vos peines tout en un,Pour punir ces méchants, qui gâtent le commun ?Ah ! Ah ! Je me reprends, les déités suprêmesM'ont mis ce glaive en main, pour (ainsi comme eux-mêmes) En user sur leurs corps, selon la gravitéDu vice de chacun, et sale énormité :Mais aux Dieux infernaux appartient la réserveDe la punition de l'âme vile et serve :Après qu'ils ont souffert le supplice premier En leur corps, par arrêt de droit justicier.Cà, doncques çà, voyons, quels Dieux ils reconnaissent.Quel Roi est leur Seigneur, qui ceux qu'ils méconnaissent.Qui êtes-vous, parlez, qui d'un pas orgueilleuxAllez ainsi marchant, et d'un front sourcilleux ? Quels propos ourdissait votre langue profaneTantôt, contre les Dieux, contre leur sacré fane ? VALÉRIAN. Qui nous sommes monsieur, le magnifique rang,(Que nous tenons à Rome, extraits de noble sangDe l'un et l'autre estoc) nous fait assez connaître, Sans par dénombrement le vous faire apparaître.Pour le regard du point de la religion,Qu'ores nous professons, (avec dévotion.D'y vivre aussi longtemps, que l'abeille soigneuseSe nourrira de thym, et la cicade oiseuse De la fraîche rosée, et le poisson dans l'eau,Et parmi l'air serein le volatile oiseau,)Je pense qu'il discorde, autant d'avec le vôtre,Que le blanc, et le noir opposés l'un à l'autre.Nous n'adorons qu'un Dieu, vous en adorez cent : Vos Dieux ne peuvent rien, le nôtre est tout-puissant,Vos Dieux ne sont la part que les voulez mettre,Le nôtre est en tout lieu par vertu de son être.Vous voyez bien vos Dieux, ils ne vous voyent pas,Le nôtre nous voit bien, nous ne le voyons pas. Vos Dieux ne sont en fin que des vaines idoles,Qui n'ont esprit, ni sens, ni vie, ni paroles.Le nôtre n'est qu'un esprit, qu'un savoir très parfaitQu'une éternelle vie, et qu'un verbe d'effet. ALMACHIE. Venez-çà, Rodomonts, venez chaudes cervelles, Que je vous parle ouvert de tout autres nouvelles.Vous êtes donc issus d'ancienne maisonCélèbre, dites-vous, et pour cette raisonVous sera-t-il permis de trier la partie,D'une religion, à votre fantaisie ? Qui vous apprend cela ? Quelle loi ? Quels statuts ?Sont-ce des droits dépendants de vos nobles vertus ?Ah ! Pauvres abusés ! Nous vous ferons paraître,Que vous êtes sujets, et que nous sommes maître.Approchez, dites-moi, reconnaissez-vous point Alexandre Empereur (Prince orné de tout pointDe grand' perfection de Majesté Royale)Pour votre unique Roi. TIBURCE. À quell' fin principaleDemandez-vous ceci ? ALMACHIE. La vie des sujets est à la merci des Tyrans.Quoi ? Repartissez-vous,Sans répondre aux objets, qui vous sont faits par nous, Nous qui pouvons tramer le fil de votre vie,Tant si court et si long qu'il nous en prend l'envieRépondez, mais en bref, ou j'atteste les cieux. TIBURCE. Mépris de menaces.Toutes les fois qu'il tonne, et qu'en l'air spacieuxL'éclair ne single point paravant le tonnerre, L'on s'épouvante un peu : mais il passe grand erre,Sans porter sous le bruit de son bourdonnement,À chose que ce soit dommage aucunement.Ainsi de quelques-uns les mines menaçantesEffrayent un petit, mais ne sont point nuisantes. ALMACHIE. Dites-vous ? Effrontés : Ah ! C'est donc ainsiQue vous me redoutez. Oy ! Quels gens sont-ce ci ? SAINTE CECILE, VALÉRIAN ET TIBURCE, tous ensemble. Qui ne craignent que Dieu. ALMACHIE. Vous parlez tous ensemble. SAINTE CECILE, VALÉRIAN ET TIBURCE. « Tous trois nous le craignons, et sous lui chacun tremble. ALMACHIE. Je vous ferai trembler toutefois dessous moi, Ou, vous vous rangerez aux lois de votre Roi.Devriez-vous pas plutôt animés de courage,Et jaloux de l'honneur de votre Prince sage,Vous-même réprimer un vulgaire fâcheux,Qui clandestinement attise malheureux Dans son cerveau bouillant, (au mépris de son Prince)Des haines couve-feu, pour perdre sa province ? Comparaison du souci, ou tournesol au sujet, spécialement noble, lequel doit suivre le vouloir de son Roi.Car ainsi que l'on voit sous le globe azuré,Qu'entre diverses fleurs d'un jardin peinturé,(Dressé en un vallon, ou dessus quelque croupe) Le jaunâtre souci, avec l'héliotropeTournent (baissant le chef) la part où le soleilTire pour éclairer le monde de son oeilAinsi de tous sujets l'illustre Gentilhomme,(Qui doit luire d'honneur au-dessus du simple homme) Devrait aussi sur tous mouler sa volontéAux décrets résolus de son prince indompté. VALÉRIAN. Comparaison des arbres qui se plaisent en divers lieux comme les hommes à diverse façon de vivre.Mais vous ne dites pas, que maints arbres fertiles,(Frugifères de soi) peuvent être stérilesPlantés confusément dedans un même champ. Les uns aiment l'éclat de Phébus au couchant :Les autres le lever de l'aurore blafarde.Les uns se plaisent plus près de l'onde fuyarde :Les autres aux lieux secs, les aucuns sur les monts :Les autres en la plaine, et le reste aux vallons. Ainsi pour le regard de la nature humaine,(Qui de diverse humeur est diversement pleine)Elle ne peut pas bien (pour son accroissement)D'une même façon vivre communément.Les uns veulent ceci : d'autres une autre sorte. C'est en fin que chacun veut son bien se rapporte.Ainsi penseriez-vous nous faire (malgré nous)Suivre le culte vain de faux Dieux comme vous ?Trop plutôt verra-t-on les cerfs emplumés d'ailesHumer le vent en l'air, plutôt les hirondelles Becquetantes toudront le tapis vert-mollet(Jonché de milles fleurs) d'un riche pré douillet :Avant que nous changions notre foi Catholique,Pour tenir votre loi vraiment Diabolique. ALMACHIE. Ô blasphème exécrable ! Ô infernaux démons ! Sortez des cachots noirs de vos sales prisons.Et toi grasseux Charon pirate rabat-joieEmporte, pille, prends, cette sordide proie :Passe-la au-delà le fleuve stygieux,Où (ces démons étant) la portent à leurs Dieux. Je m'en vais leur ravir leur misérable vie,Ou leur volonté donc je tiendrai asservie. TIBURCE. Il est bien malaisé, impossible du toutDe pouvoir ce dit-on jamais venir à boutDe faire quitter lieu aux douces colombelles, Où, croît quelque bon grain au goût savoureux d'elles :Qu'elles ont reconnu propre à leur aliment,Pour en avoir goûté une fois seulement.Ainsi sais-je fort bien que nous (qui depuis guèreSommes rassasiés d'un sucre salutaire, (Dont Jésus Christ nourrit ses humbles serviteurs)Au service duquel avons sacrés nos coeursQue pour griefs tourments, que pour fer, que pour flamme,L'on ne nous pourrait pas en démembrer notre âme. ALMACHIE. Ah ! C'est doncques ce Christ, que vous honorez tant : Et les Dieux d'Almachie, allez-vous rebutant ? VALÉRIAN ET TIBURCE. Nous reverrons le Dieu qu'il faut que l'on révère,Empereur souverain des cieux, et de la terre. ALMACHIE. Empereur souverain ? VALÉRIAN. Souverain Empereur. ALMACHIE. Alexandre qu'est-il ? VALÉRIAN. Ton maître, et gouverneur : Et lui de notre Dieu la créature vile,Trop plus que n'est à l'homme une bête servile. ALMACHIE. Que j'endure ceci à ma barbe, à mon front,Que l'on fasse à mon Roi, un si vilain affront ?Bourreau, apprête-toi, affile ton épée, Dans leur sang vicieux, je la veux voir trempée. MOUSTAROT. Commandez sera fait, voyez ce bras charnu,Ce coutelas tranchant, qui n'est qu'à demi nu,Ce tortis de cordeaux, ce milan guette-proieD'un homme estimant moins la vie que d'une oie : Me voilà jà tout prêt, il ne faut que trois mots,Tue, tue, bourreau, massacre ces cagots. Comparaison de l'éclair rapporté à ceux qui quasi presque pour néant se mettent en fouque et brisent tout.Comme un éclair mouvant, passant devant la vueTraîne un foudreux tonnerre aussitôt à sa queue :Qui fracasse, qui rompt, qui brise avec effroi Ce qu'il trouve en roulant affermi contre soi.De même assurez-vous (car la parque j'atteste)Qu'au signe plus petit, que j'aurai manifesteDe vous (juste prévôt de mon grand Empereur)Qu'aussitôt vous oirez éclater ma fureur Sur ces séditieux, sans être pitoyableAux plaintes navre-coeurs de leur voix lamentable. ALMACHIE. Tiens-toi donc toujours prêt : or ça qu'en dites-vous ? VALÉRIAN. Plus vous nous menacez, plus nous sommes résous. ALMACHIE. « L'aimant attire à soi le fer de toute sorte : « Le Roi tous ses sujets aussi, par sa main forte. VALÉRIAN. Oui, mais comme l'aimant n'attire que le fer,Sans élever vers soi ce qui est plus léger :De même tout propos n'émeut toute personne :Mais cil qui touche jà à quoi prompt il s'adonne. Partant prêchez, tonnez, menacez, tourmentez,Encore moins beaucoup sur nous vous profitez,Que si vous battiez l'air, vous peignez dessus l'onde,Vous embrassiez les vents, et renversiez le monde. Comparaison des effets d'un bon antidote à la doctrine de Dieu.Celui qui aurait pris dès son lever matin Un salubre antidot, pour se conserver sain :Soit qu'il avale après quelque poison mortelle,Ce venin perd en lui sa force naturelle.Ceux-là qui sont aussi entièrement imbusDes préceptes divins, qu'à grands traits ils ont bus : Le parler venimeux d'une langue méchanteMortelle qu'elle soit, ne leur est pas nuisante.Dites, faites, rompez, vous perdez votre temps :Le saint esprit en nous, nous rend ainsi constant. ALMACHIE. L'esprit démoniaque, obstiné, misérable. TIBURCE. Maxime de l'unique essence de Dieu, et de la Trinité des personnes.« L'esprit d'un Dieu, qui est d'essence impartissable,« Qui étant un, est trine : et trine, n'est qu'un Dieu :« Le père, son esprit, et son fils Dieu au milieu,« Le père Dieu de soi, le fils Dieu, par son père :« Même le saint esprit, qui tous deux les infère, « Étant tierce personne en la divinité,« Émanant des deux : mais qui de vérité,« (Toutes les trois en un) n'ont qu'une espèce unique,« Remplissant tout ce tout d'un pouvoir déifique,« L'ayant ainsi bâti de son verbe puissant, « Et par lequel aussi l'ira démolissant.Voilà des qualités de ce Dieu que j'adore. ALMACHIE. Ô folle opinion, qui votre esprit dévore !Et qui (si je laissais ramper ce venin-là)Mettrait tôt mon état en trouble, pour cela ! Comme au printemps muable, et dangereux automne,Le change de saison nuit à mainte personne.Ainsi la nouveauté, de chose que ce soit,Perd une république, où l'on l'endurerait.C'est donc assez parlé, avancez satalites, Prenez, garrottez-les, sans plus d'autres redites. MOUSTAROT. Cà, çà, compagnons çà, çà, maîtres séducteurs :Vraiment c'est raison, que, comme imitateursDe Christ votre grand Dieu (autrefois un pauvre homme,)Fils d'un simple artisan, d'un charpentier en somme, Vous sentiez comme il fit, combien peut le pouvoirDe cil, qui sous le ciel de pair ne peut avoir.Il mourut sous César, et vous sous AlexandreVerrez à votre dam, qu'il ne faut entreprendreJamais contre son Roi, son maître, son Seigneur Chose mal à propos, pour se perdre d'honneur :Et principalement de ne vouloir ensuivreLe culte qu'il professe, ains tout autrement vivre. Pilate prononça sa sentence de mort,Par ce qu'il se disait Roi des Juifs, à grand tort : Outre plus fils de Dieu, auteur de tout le monde,Du ciel venu çà bas, pour le pécheur immonde.Voilà le point pourquoi (comme imposteur méchant)Il fut après l'arrêt mis à mort sur le champ.Le Prévôt Almachie a la même droiture, De décréter sur vous cette rude capture :Parce que méprisant les Dieux de l'Empereur,Vous adorez plutôt un pendard abuseur.Que si vous ne voulez fumer de sacrificeLeurs autels comme nous : lui Clave de justice, Par mes sanglantes mains vous enverra là-basAinsi que votre Christ en l'éternel trépas. VALÉRIAN. Tu blasphèmes bourreau, crains-tu point sa vengeance ? MOUSTAROT. Oui, d'un homme cloué au bras d'une potence. VALÉRIAN. Ô Dieu que tu es bon ! MOUSTAROT. Sa bonté l'a perdu Croyez-le bonnes gens ; fait-il bien l'entendu ? TIBURCE. Tout beau, n'en vomis plus, je crains qu'à ta malheure,Tôt ou tard misérable il faille que tu meures ? MOUSTAROT. Bien, alors, comme alors : mais attendant je crois,Que vous êtes au point de marcher devant moi. Monsieur le Lieutenant, j'ai fait votre ordonnance.Que me reste-t-il à faire ? ALMACHIE. Patience.N'amollirai-je point ces coeurs diamantins,Qui vous rendent ainsi résolument mutins ? VALÉRIAN. Comparaison de diamant à la fermeté de courage.Comme le diamant, pierre vraiment exquise, Martelé sur l'enclume onc pourtant ne se brise :De même les tourments, que vous avez comprisDe nous faire endurer, ne rompront nos esprits. SAINTE CÉCILE. Exhortation de persévérance par l'exemple des prix rapportés des olympiques jeux.Courage mon époux, Valérian, courage,Courage, mon cousin, l'honneur de ton lignage. Es olympiques jeux, (où pour les beaux ébatsDes Seigneurs,) se dressait tout genre de combats :Vous savez mieux que moi, que n'en partait personne(Portant dessus le front la vainqueuse couronne)Qui n'eût premièrement, d'une adextre vertu, Son lutteur ennemi, battu, et abattu.Ainsi pour dans le ciel, lieu de votre origineRemporter, triomphants, une gloire divine :Ne craignez les assauts des tyrans inhumains :Mourez pour celui-là, qui vous fit de ses mains : Qui vous a garantis de l'infernale géhenne,Par sa mort, que pour vous, il souffrit à grand peine :Car mourant vous vivrez, et gagnerez le prix,Si précieux, qu'il est d'inestimable prix. L'ANGE. Autre exhortation à ce même sujet par l'exemple des Gentils hommes courant à la bague.Oui, vous le gagnerez, oui je vous en assure : Croyez-le fermement, c'est chose vraiment sûre.Je l'apprends de l'esprit du Dieu de vérité,Qui par un doux instinct de sa divinité,Comme à son cher mignon, a voulu, de sa grâce,Me la communiquer clairement face à face. Mais je vous dirai bien pour vous enfler le coeurD'un courage indomptable, et royale valeur,Que comme vous voyez maints gentilshommes bravesBien dressés, bien nourris, non moins courtois que graves :Quand il est question de courir à qui mieux, Pour emporter la bague, un chacun envieuxDe l'honneur, se dispose, et brossant la carrière,L'un l'emporte sur tous d'une gente manière.« Ainsi de tous humains ici-bas combattant,« Pour le butin des cieux, peu le vont remportant, « Si jusques à l'arrêt de leur course mortelle,« Ils ne tracent l'honneur. Donc que votre âme belle,« Constante jusqu'à hui encontre tout effort,« Pour jouir de ce bien, le soit jusqu'à la mort. VALÉRIAN, et TIBURCE, ensemble à genoux. Ô Dieu, donne-nous donc cette raide constance, Nous ne demandons rien à ta toute puissance,Que ce dernier présent de ta douce faveur :Ains que mourant pour toi de même libre coeurQue tu as fait pour nous, aussi par tes mérites,Que nous soyons la hault de tes troupes élites. ALMACHIE. Il est temps d'accomplir ce que j'ai protesté,Après avoir ainsi longuement contesté.Bourreau mène-les-moi aux lieux patibulairesDe ce pas, sans tarder : à ces deux réfractairesDe ton glaive tranchant sépare-moi du corps Leurs chefs, pleins de méchef, que je les trouve morts,Lorsque je passerai par cette place honteuseIncontinent, pour voir cette fin malheureuse. VALÉRIAN. Comparaison d'un vent fort et violent à la mort précipitée.Sanguinaire prévôt, sais-tu pas que le vent,(D'autant plus sur la mer qu'il souffle véhément) Fait surgir bien plutôt au havre le navire :Que celui qui est lent, et doucement soupire ?Car au lieu d'égayer davantage il ennuie,Et le calme trop long au marchant souvent nuit.De même plus heureuse est la mort, qui délivre Soudain l'homme des maux de ce caduque vivre. MOUSTAROT. Allons, Charon attend sur le bord PhlégéthonVos esprits condamnés, pour les rendre à Pluton :Le corbeau affamé de charogne puanteAttend, à déchirer votre chair pourrissante, Qu'il me faudra jeter sur quelques grands cheminsQuand vous aurez passé par mes meurtrières mains. ALMACHIE. Va-t'en, dépêche-toi : je veux par leur supplice,Tant d'eux, que de leur race éteindre la notice TIBURCE. Comparaison des poudres de senteurs broyées menues, rapportée à la vertu agitée.Plus on broie menu les poudres de senteurs, D'autant mieux fleure-t-on leurs suaves odeurs :Ainsi plus la vertu de l'homme est exercéePar effort de malheur, plus elle est dispersée :Si bien que toi tyran plus tu nous géhenneras,D'autant plus notre los partout tu sèmeras. VALÉRIAN. À Dieu ma chère épouse : or çà que je t'embrasse,Et pour dernier adieu, que je baise ta face. SAINTE CÉCILE. Mon coeur, je ne veux pas vous quitter, s'il vous plaît. L'ANGE. N'aussi ferai-je moi. SAINTE CÉCILE. Mais ce qui me déplaît,C'est qu'on ne me permet vous tenir compagnie Quant et quant à la mort, qui vous est définie. TIBURCE. Votre temps n'est venu comme le nôtre l'est,« Dieu disposant de tout, ainsi comme il lui plaît :« Le jeune, le vieillard, l'homme viril en somme,« Par le statut d'en-haut prend fin, et se consomme. L'ANGE. La palme couronne des Martyrs.Voyez chers favoris de l'Empereur célesteVoyez-moi, je vous pri' cette couronne lesteCette branche de palme, et ce laurier vainqueur,C'est le pris apprêté, pour votre saint labeur.Courage encore un peu, courage belles âmes, Vous ne sentirez point les éternelles flammes :Car je les porterai au sein de Jésus Christ,Sitôt que de la vie aurez rendu l'esprit. VALÉRIAN. Allons, mon frère, allons librement aux supplicesPour vivre auprès de Dieu en heureuses délices. Ils sortent. LE CHOEUR. Comme l'ancre crochue, Bi-fourchue Fait sister le navire Qu'il ne vire : La divine faveur Du Sauveur Tient l'homme constamment Au tourment. Comme en la mer ondeuse, Périlleuse, Souvent l'ancre dégage Du naufrage : La divine faveur Du Sauveur Apporte allégement Au tourment. Comme la nef haurée, Bien ancrée, Morgue toute tempête Trouble-tête : La divine faveur Du Sauveur Se moque appertement Du tourment. Comme l'ancre mordante, Fort tenante Au temps rude et tranquille Sert utile : La divine faveur Du Sauveur Au mal, ainsi qu'au bien Duit très bien. ACTE V ALMACHIE. Or sus, il y a donc commencement partout :« Avec le temps aussi l'on vient de tout à bout,« Quand d'un ordre réglé, d'un jugement solide « Aux affaires de poids on se montre provide :« Ainsi qu'au maniement d'un peuple hydré de chef,« Duquel on ne vient pas du premier coup à chef,« Pour être ou trop fâcheux, ou d'humeur plus muable,« Que le Caméléon de couleur dissemblable : « Il faut pour le dompter, qu'un sage gouverneur« Ne précipite rien, pour s'enrichir d'honneur :« Quand avec son pouvoir la sagesse chemine,« Comme il commence bien, d'autant mieux il termine. Belle comparaison de l'astre gémini, quand il paraît ensemble, rapporté à la puissance et prudence d'un Roi et Magistrat.C'est un présage bon si la nuit dans les cieux, L'on peut apercevoir les flambeaux radieuxDes gémeaux de Léda, treluisant tous ensembleD'un éclat lumineux, qui de près se ressemble :Au contraire l'on tient pour augure mauvais,Si de l'un seulement apparaissent les rais. Ainsi ne faut penser qu'une grande puissance,Puisse porter bonheur, disjointe de prudence.Il faut qu'en même temps elles soient chez les Rois,Et chez leurs Magistrats, établissant les lois :Ains de combler les bons de grâce favorite, Et de punir le vice ainsi qu'il le mérite.Et comme ce double astre Apollon, et Jupin : Allégorie des effets d'Apollon et de Jupiter, rapportée au châtiment et à la punition des grands.L'un qui dessus un mont : l'autre qui sus un pinMontre divers effets, de diverse manière :Celui-ci d'un grand foudre : et l'autre de lumière : Phébus en diaprant les monts, de maintes fleurs,Et Jupin renversant les pineuses hauteurs :Et d'autant qu'entre tous ceux-ci lèvent la tête,C'est pourquoi Jupiter leur darde sa tempête :Et d'autant que les monts sont plus près du Soleil, Plutôt fleurissent-ils, aux rayons de son oeil.Je veux dire qu'un Roi, qu'un Magistrat de ville,À bien faire, ou punir se doit montrer habile :Mais en récompensant premièrement les grandsPrès de lui, sous lesquels ces hauts monts je comprends : En châtiant aussi des plus grands la hautesse,Qui contre ses seigneurs se raidit, et se dresse :Laquelle je figure en ces pins orgueilleux :Qui par sur tout autre arbre ont le front sourcilleux :Afin qu'en punissant les grands de prime entrée : La commune peuplasse, insolente, effaréeSe range, par ainsi, au point de son devoir,Obéissant aux lois d'un Magistrat pouvoir.Comme nous avons fait, envoyant aux supplicesCes deux nouveaux Chrétiens, fils de nobles patrices. D'autant qu'obstinément (contre l'Édit du Prince)Ils adoraient le Christ homme simplement mince.Voici l'exécuteur, qui vient bien échauffé,Il semble à son couteau, qu'il les a décoiffés.Eh bien, quoi, est-ce fait ? MOUSTAROT. En voilà l'apparence : Mais le vrai près d'ici contre votre présence.Avancez-vous d'un pas si c'est votre plaisir,Je les vous montrerai, selon votre désirExécutés à mort : cette saigneuse épée,D'un revers de mon bras a leur tête coupée. Leurs corps gisent tout-plat sur un large échafaud,D'où j'ai précipité leurs esprits d'un plein saut,Jusques au plus profond de la barque poisseuseDu passeur renfrogné de l'onde stygieuse :Où les bourelles soeurs, au rivage bourbeux, Attendent de pied coi, ces pauvres malheureux,Qu'empoignant rudement dans cette orde nacelle,Elles martèlent jà de leur géhenne éternelle. ALMACHIE. Le loyer de l'orgueil c'est l'enfer.C'est le prix mérité de leur mutine orgueil,Qui traîne quant et soi, un léthique cercueil. Comment, ne faire cas des ordonnance saintesDe mon Roi ? Mais au lieu de les avoir empreintesVivement en leurs coeurs, pour les exécuter,Ils se croisent encontre, ains de les réfuter ?Non, non, les fiers démons, forgerons de supplices, N'en ont d'assez griefs, pour si grands maléfices.Çà, montre-moi leurs corps : je me meurs de les voir :Puisque leurs âmes sont en l'Orcique manoir. MOUSTAROT. Le bourreau ouvre la tapisserie et montre les corps de Valérian et de Tiburce.Les voilà, regardez : beau spectacle exemplaire. ALMACHIE. Exemplaire vraiment, et juste et nécessaire : Nécessaire pour tous, tel qui soit, jeune, ou vieux.Pour ne plus, ci-après, adorer autres Dieux,Que ceux, que l'Empereur commande qu'on adore,Et que de sacrifice à toute heure on honore.Car quiconque effronté, ne s'y mirera pas, À la même fusée il trame son trépas.Mais, dis-moi, Moustarot, que devint leur conduite ?Demeura-t-elle là ? Prit-elle pas la fuite,Quand elle vit qu'au poing tu sacquais ce couteau,Prêt de le voir sus eux faire un coup de bourreau ? MOUSTAROT. Elle ne bougea point : je ne sais quel génieLa rendait si constante : ou si quelque manieNe la possédait pas : car je ne vis jamaisFemme plus assurée en si plorables faits. ALMACHIE. Elle attendait la fin ? MOUSTAROT. Oui, je vous en assure. ALMACHIE. Quelle route tint-elle ? MOUSTAROT. À cela, je vous jure,N'ai-je point avisé : empêché que j'étaisÀ serrer, diligent, le butin que j'avais :Mais la voici tout près. ALMACHIE. Ah ! C'est donc vous mignonne ?Venez, approchez-vous près de ma personne. Écoutez-moi parler : même faites si bien,Que je n'aye sujet de vous fondre en un rien.Ne dois-je pas, Prévôt, ne dois-je pas défendre,La puissance que j'ai, de mon prince Alexandre ? Exemple des effets d'aucuns foudres liquéfiant les métaux sans toutefois fondre la cire : en quoi les orgueilleux et les humbles peuvent prendre quelque enseignement.Ainsi que quelque foudre a cette vertu-là, Que de liquéfier tantôt ci, tantôt là,Les métaux les plus durs : sans toutefois qu'il fasseCet effort, sans effort, sur la cire mollasse.De même le pouvoir d'un Lieutenant de Roi,Contre les endurcis au refus de sa loi, S'aigrissant offensé, les accable, les mine,De fond en comble aussi les perd, et les ruine :Vers l'humble sujet, son enflambé courrouxS'échange en lui parlant, en un zéphyr doux :Qui plutôt doucement les échauffe de zèle, Que d'une froide peur jamais il les vous gèle.Pense donc à mon dire, et prend ce mien conseilDe cil, qui ne veut point vefver du soleil,Qu'en tant que le destin vraiment inévitable,Aurait borné le cours de ton âge passable. Si ce n'est que tu sois rebelle entièrementContre mon je-le-veux sans autre tardement. SAINTE CÉCILE. Tyran, maudit tyran, qui tranches du bravache,Au Roland furieux : je veux bien que tu saches,Que je fais moins d'état de toi, et de tes Dieux, (Dieux, non pas, mais démons aux Chrétiens odieux)Que d'un chien, qui n'est pas si vile créatureQue tu es, monstre hideux en l'humaine nature. Impossibilités en la nature.Plutôt sur l'Océan verra-t-on quelque jourLe champêtre paysan soigneux de son labour, Avec un soc becchus fendre les reins de l'onde,Et solide rendu tout en terre féconde,L'ensemencer de grains, aux sereines saisons :Pour l'an suivant prochain cueillir plaines moissons :Et plutôt verra-t-on la terre ferme sèche Se convertir en eau claire, coulante, fraîche,Où l'avare marchand envoilera ses naux,Et courra sillonnant, et les monts, et les vaux,Aplanis par le mou de cette humeur liquide,Pour trafiquer, ainsi que sur la mer humide Avant que l'on me voie oncques fléchir sous toi :Ni sous ton Empereur plus vilain, qu'il n'est Roi :Si encontre l'honneur de mon Dieu, Dieu suprême,(Qui même malgré vous est le Dieu de vous-même)Vous m'alliez commandant chose qui l'offensât, Ou mon heureux salut aussi désavançât. ALMACHIE. Et quoi, grand oeil girant Titan porte-lumière,Qui vois tout au galop de ta ronde carrière,Ne le clignes-tu pas, en passant par-dessusCe prodige monstrueux, pour ne l'éclairer plus ? Et toi Dieu foudroyant le laisses-tu sur terre,Que ne le brises-tu de ton brisant tonnerre ?Mais toi-même Almachie, image de tous deux,(Commis pour régenter les Romains belliqueux :Et rechercher par tout cette ville ancienne Ceux qui secrètement tiennent la loi Chrétienne)Que ne commandes-tu à ton sanglant bourreau,Que de son sang pourpré il peigne ce carreau,Puisqu'elle grossit tant d'ambition fumeuseDe sister à pied ferme en sa loi venimeuse ? Venimeuse je dis, en ce pullulant,Elle infecte déjà la nôtre en la troublant.Mais quel honneur pour moi ? C'est une simple femme :Sa mort m'obscurcirait de déshonneur infâme. L'humeur de la femme est ordinairement douce.Je lui veux parler doux, me formant à l'humeur De son sexe courtois, plein de pure douceur :Peut-être par ainsi, plutôt que par la forceD'avec son Dieu pendu fera-t-elle divorce.Mais que dis-tu, prévôt ? Quoi, quoi, lui parler doux ? Comparaison du soleil au Magistrat, pour se montrer égal tant à l'un, comme à l'autre.Non, non, garde-t-en bien. Phébus qui luit sur nous, Vers le pauvre chétif n'est autre qu'au plus riche :Ni au champ labouré, qu'à cil, qui est en friche.De même un Magistrat se doit montrer communAu parler, au punir, sans accepter aucun. SAINTE CÉCILE. Fais fais, fais contre moi, ainsi que bon te semble : Comparaison exemplaire du capitaine attendant un siège rappelé à la prévoyance et résolution.Car je t'avise bien, que vraiment je ressembleAu brave capitaine, attendant courageux,Enfermé dans son fort un siège ruineux.Il amasse premier ses trésors, sa richesse,Qu'il cache sourdement en quelque sûre adresse : Et prudent, se munit de ce qu'il peut penserContraire à l'ennemi, qui vient pour l'offenser.Ainsi en ai-je fait : pour me croiser constanteContre les forts assauts de ton âme méchante. ALMACHIE. Tu as touché le point, où je visais le plus. À propos de trésors, dis-moi, où sont reclusCeux-là, que possédaient ton époux, et ton frère ? SAINTE CÉCILE. Ils sont en bonnes mains : qu'en avez-vous affaire ? ALMACHIE. Je les veux confisquer : d'autant qu'ils sont à moi. SAINTE CÉCILE. Je les ai tous baillés. ALMACHIE. Baillés ? À qui ? Pourquoi ? SAINTE CÉCILE. Les pauvres sont les membres de Dieu.Aux pauvres langoureux : car ils leur appartiennent,Comme membres de Dieu, dont encor ils retiennentL'âme spirituelle hôtesse de ces dons :Sans compter outre plus mille et mille pardons.Mais le sujet, pourquoi, j'ai voulu charitable Prodiguer, et le leur, et le mien périssable :C'est, que pour vivre entier et de corps, et d'esprit,En sainte piété avecques Jésus Christ :Il faut quitter le soin des richesses mondaines,Qui d'épineux accrocs sont presque toutes pleines. Comparaison du diamant mis contre l'aimant qui ne lui permet d'attirer le fer comme l'affection des richesses empêche le Chrétien de s'approcher de Dieu.Car tout ainsi qu'on voit, qu'un riche diamantD'assez près approché d'un attractif Aimant,Pour rien n'endure pas que jamais il attire,(Selon son naturel) le fer, où il aspire.Mais si l'on retirait, pour en voir le plaisir, Ce rocher cristallin : aussitôt sans gésir,Le fer, en sautillant, sortirait de sa place,Et s'en irait coller à l'Aimantine face.Que si l'on le rapporte on voit appertement,Comme il ravit soudain le fer à cet Aimant. Ainsi l'affection de richesse terrestre,(Qui n'est de tout malheur, qu'un malheureux chevêtre),Répugne tellement à la sainte candeurDe la religion du grand Dieu, mon Sauveur :Qu'elle empêche du tout que l'homme se marie Çà-bas, avecques Dieu, ni en l'autre patrie.C'est pourquoi, je ne veux autre sortable bien,Que mon bien souverain, surtout que j'aime bien. ALMACHIE. Si faut-il les trouver, et bientôt, ou je jure,(Et si de mon serment je ne serai parjure) Que tu éprouveras de si graves tourments,Que l'enfer plein d'horreurs (comme de grincementsDe feux brûle-toujours, et d'autres mille géhennes,)N'a pas, comme je crois, de tant horribles peines. SAINTE CÉCILE. Les tyrans comparés aux plumes de l'Aigle.Ce n'est pas d'aujourd'hui, il a toujours été : Que les plumes de l'aigle ont la propriété(Mises en quelque lieu parmi d'autre plumage)Qu'elles le mangent tout d'un ordinaire usage.Ainsi c'est une mode au tyran inhumain,De dévorer son peuple asservi sous sa main : Non seulement vivants : mais après que leur âmeEst disjointe du corps, par leur meurtrière lame.Témoin toi, Almachie, Harpien Magistrat,Qui es dedans ton coeur tant, et tant scélérat :Que non content encor de dérober leur vie, Si tu ne prends leurs biens tu n'as l'âme assouvie. ALMACHIE. Plus n'en veux-je endurer : c'est trop, c'est trop causé :Approche-toi bourreau. MOUSTAROT. Me voilà disposé,Pour recevoir de vous toute telle ordonnance,Que voudra décréter votre forte puissance, Sur qui vous semble bon, en moins d'un tour de bras,Je les enverrai morts, vers les morts de là-bas.Plutôt ces laides soeurs, race de Proserpine,Changeront leur nature infernale maligneEn la grâce gentille, et vénuste douceur Des filles de Vénus : que je suis un menteur.Commandez sera fait. ALMACHIE. Et bien, que veux-tu dire ?Parle, ou tu passeras, par un cruel martyre. SAINTE CÉCILE. La vie de l'homme comparée à l'argent emprunté qu'il faut rendre.Faut-il pas que l'argent, qu'on aurait empruntéD'un ami, soit rendu de libre volonté ? ALMACHIE. Il le faut, si l'on n'est d'une ingrate nature :Qui doute de cela ? Mais que veux-tu conclure ? SAINTE CÉCILE. Que la vie, que Dieu m'a commise en dépôt :Pour, quand il lui plaira, lui rendre tard, ou tôtEst toute prête en moi : et faut que je te die, Que je la lui rendrai : et sans quérimonie. ALMACHIE. De quel Dieu parles-tu ? SAINTE CÉCILE. Et du tien, et du mien. ALMACHIE. Le tien n'est pas le mien. SAINTE CÉCILE. Mais le mien est le tien. ALMACHIE. Qui le Christ ? SAINTE CÉCILE. Oui le Christ. ALMACHIE. Est-il pas mort lui-même,Même par un bourreau pour son sale blasphème ? SAINTE CÉCILE. Les Juifs n'avaient puissance sur Jésus Christ que ce qu'il leur baillait.Comme homme il est bien mort : mais comme Dieu non pas.Il mourut innocent de tous ces vilains cas,Dont les Juifs imposteurs faussement l'accusèrent :Ceux mêmes qu'en la croix, méchants, le condamnèrentN'avaient pouvoir sur lui, que ce qu'il leur donnait : Non plus que toi sus moi, s'il ne le permettait.Si tu me vas privant de ma vie mortelle,Sans doute qu'il le veut, pour me rendre éternelle ;Fais de moi donc, ainsi que bon te semblera,Et sache je te pri', que comme il endura Pour mes sales péchés : pour sa juste querelleQu'aussi veux-je mourir d'un charitable zèle. ALMACHIE. Ah ! C'est trop me braver : empoigne-la bourreau :Va-t'en en mon logis, sur un ardent fourneauTu trouveras posé, une large chaudière, Que j'avais commandé d'emplir d'eau de rivière :Jette-la-moi dedans toute vive, je veuxLa consacrer ainsi à Pluton l'averneux.Va donc, dépêche-toi : puis de vitesse isnelleAccoure-t'en ici m'en dire la nouvelle. MOUSTAROT. Allons la belle, allons. SAINTE CÉCILE. Belle comparaison du voyageur qui ore qu'il soit las se hâte toutefois étant près de son pays.Allons bourreau, allons.Le pèlerin lassé empenne ses talons,Quand il sent s'approcher de sa natale terre.Allons donc à la mort, allons, allons grand erre ;La mort est justement la barrière des cieux : Les cieux sont sans mentir, mon pays soucieux.Plutôt donc je mourrai, et plutôt y serai-je :Et plutôt j'y serai, plus heureuse vivrai-je,Adieu tyran, adieu. MOUSTAROT. Le bourreau emmène Sainte Cécile.Allons, allons, marchez. ALMACHIE. Hâtez-vous Moustarot, et me la dépêchez. Discours politique.C'est ainsi qu'il convient devancer l'infortune,Qui guette finement une pauvre commune,Pour la bouleverser, par quelque changementDe coutumes, de lois, de meurs, ou autrement. Exemple des médecins qui vont au-devant des maladies comme les Magistrats doivent aller au-devant d'un trouble ou ruine puis menaces.Quoi ? Ne voyons-nous pas tous les jours par usage, Qu'un expert médecin, bien prévoyant, bien sage,Par des remèdes prompts, (dont il use savantEncontre certains maux) va premier au-devant,Qu'ils paraissent à l'oeil en notoire évidence,Ainsi des magistrats la provide prudence, Prévient, par châtiment, ou cruel, ou léger :Qu'un vice projeté, (voisin d'un grand danger)Ne se commette pas, à la perte publiqueD'un florissant Royaume, ou saine république.Que si par nonchalance, on ne remédiait Au péril éminent, il en arriverait, La mauvaise hantise est dangereuse par la comparaison d'aucuns mords de chiens enragés.Comme il advient à ceux, qui (en quelque partie,Du corps étant navrés en la chaude furieD'un chien mâtin, portant la rage quant et lui)N'enragent seulement : mais n'y aurait celui, Qu'ils blesseraient à sang, des mains, ou de la bouche,Que, privé de raison, ne forcenât, farouche. Ainsi qui est imbu de fausse opinionSoit d'un art, de police, ou de religion,Il est fort malaisé d'empêcher qu'il ne nuise À d'autres, s'il avait leur familière hantise.« Toutefois il est vrai, que par subtil effort,« L'on peut trouver remède à tout, fors qu'à la mort. Autre exemple pour conserver une république qu'il n'y ait trouble ou changement nuisible.Et partant en ceci la meilleure conserve,Dont il faut se servir, qui d'esclandre préserve Un pays, une ville, une communauté :C'est qu'au premier accès de telle nouveauté,Comme (pour suffoquer le mal qui peut éclore,Un autre) l'on se sert d'arsenic, d'ellébore,Du mortel aconit ou bien du scorpion : Crocodile, vipère, et d'autre miction,D'herbes, sucs, animaux d'eux-mêmes mortifères,Toujours prêts dispensés chez les apothicaires :Pour chasser le poison du poison venimeux,Un venin chassant l'autre, or qu'il soit dangereux. De même savons-nous qu'un supplice exemplaireDe mauvais garnements, fait quelquefois distraireDe mille impiétés, voire les plus méchants,Comme paillards, meurtriers, et guetteurs de marchands,Peste autant dommageable en une monarchie, Que la diversité d'infâme idolâtrie.Afin doncques ainsi d'empêcher ces Chrétiens,Qu'en ce gouvernement de Rome, que je tiens,Ils ne s'accroissent plus : j'ai bien voulu entendre :(Pour les en châtier) de choisir, et de prendre Les plus grands des premiers, comme un poison malinEntre un grossier vulgaire, au changement enclin :Ains de bailler terreur à cette populace,Par leur sanglante mort, qu'elle s'en détournasse. Sainte Cécile chante derrière le théâtre ce cantique suivant, étant mise dans une chaudière.Oy ! Quelle douce voix arrête mes esprits ? Je me sens de merveille éperdument épris.Mais n'est-ce pas chez moi ? Oui, c'est chez moi, sans doute.Patience, Almachie arrête-toi, écoute.C'est la voix d'une femme. Hé ! ne serait-ce pasLa Chrétienne Cécile, étant près du trépas ? Le cygne chante en mourant.Si c'est elle, elle fait comme l'oiseau candide,Qui dégoise en mourant, sur le Méandre humide.Voici notre bourreau, son exploit est donc fait.Est-elle dépêchée ? MOUSTAROT. Est-elle plus dehait,Plus saine, plus joyeuse, encore plus contente, Qu'ores vous n'êtes pas ? Écoutez elle chante. CANTIQUE DE SAINTE CECILE.Si mon âme fut onc éprise,De chanter le los du grand Dieu,C'est maintenant que je suis miseDans la flamme, tout au milieu : Flamme qui m'est un doux zéphyre,Parmi l'ardeur de mon martyre.Mais que dirai-je quand j'y pense,Du plein pouvoir de mon Sauveur ?Voulant que ce feu ne m'offense, De sa plus cuisante chaleur.Chaleur qui m'est un vrai zéphyre.Parmi le chaud de mon martyre.C'est pour éprouver mon courage :Comme c'est pour sa gloire aussi, Qu'il permet qu'on me fait dommage, Sans dommage dans ce feu-ci.Feu qui m'est un plaisant zéphyreParmi le mal de mon martyre.C'est donc pourquoi, tant que je vive, Que je le bénirai toujoursAttendant qu'heureuse j'arriveAu port des célestes séjours :Portée avec un doux zéphyreQuand j'aurai fini mon martyre. ALMACHIE. Quoi ? Quoi ? Parmi la flamme ? MOUSTAROT. Elle ne lui nuit point.Regardez la voilà en meilleur embonpointQu'elle ne fut jamais. ALMACHIE. Imprécations.Déités infernales,Quel prodige est-ce ? Vous Déesses fatales,Qui taillez, qui rognez d'inévitable sort La vie d'un chacun, les rangeant à la mort,Vos rasoirs où sont-ils ? Où sont-ils à cette heure ?Quoi ? Ne voulez-vous pas, que cette engeance meure ?J'enrage, oui, j'enrage. Alecton viens à moi,Mégère, Tisiphone, horreur approche-toi : Horriblez-moi de coups. Jupin darde-tempête,D'un foudre fracassant écrase-moi la tête.Terre, terre, es-tu sourde ? Engloutis-moi tout vif :Ouvre ton large ventre. MOUSTAROT. Oy ! Quel est le motifDe votre désespoir ? Rentrez dedans vous-même : Rassérénez vos sens égarés à l'extrême.Quoi ? Vous qui régentez une grand' nation,Ne pouvez-vous calmer l'ireuse passionQui bout à gros bouillons dedans votre courage ?Tout beau, Monsieur, tout beau. ALMACHIE. J'enrage, oui, j'enrage. MOUSTAROT. Trouvez autre moyen de vous en dépêcher. ALMACHIE. Comment ? Quoi ? Que ferai-je ? MOUSTAROT. Il la fait trébucherDans le fleuve avernal, par un autre supplice,En la lui condamnant d'équitable justice.De grâces songez-y. Saturne le vieillard, Des sept astres errants ; fait sa course plus tard :Il est le vrai miroir d'un Magistrat, d'un Prince,Qui gouverne à baguette une belle province. Exemple comme un Magistrat ne doit rien faire qu'avec mûr jugement.Il n'ordonnera rien que d'un mûr jugement,Et qui ne soit mené de tardif mouvement. Songez-y derechef. Les hommes de cervelleNe manquent point jamais d'invention nouvelle,Pour borner à leur gré leurs désirés desseins.Pour moi, me voilà prêt, mon corps, mon bras, mes mains,Ne mandent, qu'où est-ce ? Or çà donc que ferai-je ? La laisserai-je ainsi ? Ou la retirerai-je ? ALMACHIE. Va, prends-moi ce couteau, et d'un revers de bras,Au lieu même, qu'elle est, mets-lui la tête bas. MOUSTAROT. Monsieur, il sera fait : je reviens à cette heure. ALMACHIE. Va, je t'attends ici, ne fais longue demeure. Je pense moi, qu'en fin nous en viendrons à bout :Ou la fière Atropos est pour elle du tout.Si au lieu d'affermir ses nerfs, et sa moelle :Pour l'abattre d'un coup de sa dextre bourrelle,Elle lui affaiblit, bénigne en son endroit. Ou, voulant la frapper elle le retenait,J'entends quelque clameur sous des accents de plainte. MOUSTAROT, derrière le théâtre. Encore ce coup-là. ALMACHIE. Cette voix n'est pas feinte :C'est la voix du bourreau : j'ai grand faim de le voir :Le voici, et bien quoi ? MOUSTAROT. Je suis au désespoir. ALMACHIE. Au désespoir, pourquoi ? Hé ! Est-elle pas morte ? MOUSTAROT. Non, Monsieur, je n'ai pu faire en aucune sorte,Par trois, et quatre coups, à force de mes bras,Que je touchai son col, avec ce coutelasLe disjoindre du corps : elle s'en va mourante Pour cela, regardez, comme elle est languissante. ALMACHIE. Sont ces fileuses soeurs, ainsi que je disais,Qui retenaient ton bras, quand tu le renversais,(Pour selon mon arrêt) lui abattre la tête.Laisse, laisse-la là, elle est à la conquête Maintenant de Charon, qu'il l'emporte s'il veutDemi-morte qu'elle est : puisqu'en tout on ne peutDésunir de son corps une âme si méchante,Ni par le feu cuisant : ni par lame tranchante :Or suis-je satisfait de mon plus grand désir : Allons, je veux aller m'ébattre à mon plaisir. ==================================================