******************************************************** DC.Title = LES PRÉCIEUSES RIDICULES, COMÉDIE DC.Author = SOMAIZE, Antoine Baudeau de DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 08:07:47. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/SOMAIZE_PRECIEUSESRIDICULES.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k72661r DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LES PRÉCIEUSES RIDICULES COMÉDIE. REPRÉSENTÉE au petit Bourbon. MISE EN VERS. M. DC LXII. PAR Mr SOMAIZE. Achevé d'imprimer le 12 Avril 1660. Représenté pour la première fois en 1662 au Théâtre du Petit Bourbon. Mademoiselle, Encore que je sache avec toute la France, que vous n'êtes née que pour les grandes choses, et qu'il n'appartient qu'à ceux du Sang dont vous sortez de mettre la dernière main à tout ce qui paraît impossible ; Et qu'ainsi, soit pour vous divertir, soit pour vous louer, on est toujours téméraire quoi qu'on ose entreprendre. Je ne laisse pas MADEMOISELLE, de vous faire un présent vulgaire en vous offrant cette Comédie, qui quelque réputation qu'elle ait eue en prose, m'a semblé n'avoir pas tous les agréments qu'on lui pouvait donner, et c'est ce qui m'a fait résoudre à la tourner en vers pour la mettre en état de mériter avec un peu plus de justice les applaudissements qu'elle a reçus de tout le monde, plutôt par bonheur que par mérite. Je sais bien qu'il doit sembler étrange de me voir abaisser une chose que j'ose vous offrir, mais je ne prétends pas qu'elle me doive ni sa gloire, ni son abaissement, et je ne réglerai l'estime que j'en dois faire qu'au jugement que vous en ferez : que si je lui laisse maintenant quelques avantages des acclamations publiques qu'elle a reçues, et en Italien et en Français, ce n'est que parce qu'ils me fournissent l'occasion de vous donner une preuve de mon respect en mettant cette version que j'en ai fait sous votre protection. Je ne suis pas assez vain pour m'imaginer que ce faible hommage m'acquitte de ce que je vous dois, ou qu'il ait rien de proportionné à ce mérite qui vous met autant au-dessus du commun par son éclat que vous l'êtes déjà par celui du rang que vous donne votre naissance. Je sais trop comme vous savez juger de tout ce que peuvent produire les plus beaux génies, pour vous offrir comme un ouvrage considérable une Satire qui doit sa plus grande réussite à ce certain courant des choses qui les fait recevoir de quelque nature qu'elles soient et que nous appelons la mode ; et lorsque je vous l'offre, je ne fais qu'imiter les Romains, qui présentaient autrefois des lauriers aux vainqueurs, non pas pour payer leurs victoires ; mais seulement pour témoigner qu'ils connaissaient ce qui leur était dû et pour servir comme de préludes à la pompe des Triomphes qui leur étaient destinés. Je ne me permets MADEMOISELLE, que ce que ces Maîtres du monde accordaient à leurs moindres Citoyens, et je vous présente une bagatelle comme le dernier Romain avait la liberté d'offrir des branches de Laurier : Je laisse dis-je à des plumes plus savantes et plus hardies à disposer des ornements dont on peut composer votre Panégyrique, de même que le peuple laissait au Sénat le pouvoir et le soin de décerner des triomphes à ceux dont les grandes actions le méritaient. Je ne me sens pas assez fort pour une si haute entreprise, et je borne mes plus vastes projets à celui d'obtenir de vous la permission de me dire, Mademoiselle, Votre très humble et très obéissant serviteur. SOMAIZE. PRÉFACE. L'usage des Préfaces m'a semblé si utile à ceux qui mettent quelque chose en public qu'encore que je sache qu'il n'est pas généralement approuvé, je n'ai pourtant pu m'empêcher de le suivre, résolu quoi qu'il arrive de prendre pour garant de ce que je fais la coutume qui les a jusques ici autorisées. Ce n'est pas que je veuille suivre celle de ces Auteurs avides de Louanges qui craignant qu'on ne leur rende pas tout l'honneur qu'ils croient mériter ; y insèrent eux-mêmes leurs Panégyriques, et font souvent leurs Apologies avant qu'on les accuse. Mon but est de divertir le Lecteur, et de me divertir moi-même : Toutefois comme il s'en peut trouver d'assez scrupuleux pour croire que c'est trop hasarder d'exposer aux yeux de tout le monde un ouvrage aussi rempli de défauts que celui-ci, sans leur donner du moins quelques apparentes excuses ; Je veux bien à cet endroit dire quelque chose pour le contenter. Je dirai d'abord qu'il semblera extraordinaire qu'après avoir loué Mascarille, comme j'ai fait dans les Véritables Précieuses, je me sois donné la peine de mettre en Vers un ouvrage dont il se dit Auteur et qui sans doute lui doit quelque chose, si ce n'est parce qu'il y a ajouté de son étoffe au vol qu'il en a fait aux Italiens, à qui Monsieur l'Abbé de Pure les avait données ; du moins pour y avoir ajouté beaucoup par son jeu, qui plut à assez de gens pour lui donner la vanité d'être le premier Farceur de France. C'est toujours quelque chose d'exceller en quelque métier que ce soit, et pour parler selon le vulgaire, il vaut mieux être le premier d'un village, que le dernier d'une ville, bon Farceur, que méchant Comédien ; mais quittons la parenthèse et retournons aux Précieuses. Elles ont été trop généralement reçues et approuvées pour ne pas avouer que j'y ai pris plaisir, et qu'elles n'ont rien perdu en Français de ce qui les fit suivre en Italien ; et ce serait faire le modeste à contretemps, de ne pas dire que je crois ne leur avoir rien dérobé de leurs agréments en les mettant en Vers : même si j'en voulais croire ceux qui les ont vues, je me vanterais d'y avoir beaucoup ajouté ; mais quand je le dirais l'on ne serait pas obligé de s'en rapporter à moi, et quand mon Lecteur me donnerait un démenti, il serait de ceux qui se souffrent sans peine et qui ne coûtent jamais de sang. Aussi ne veux-je pas les louer, et bien loin de le faire, je dis ingénieusement que ce n'est en bien des endroits, que de la prose rimée, qu'on y trouvera plusieurs vers sans repos et dont la cadence est fort rude ; mais le Lecteur verra aisément que ce n'est qu'aux endroits où j'ai voulu conserver mot à mot le sens de la prose, et lorsque je les ai trouvés tous faits. L'on y verra encore des vers dont le sens est lié et qui sont enchaînés les uns avec les autres comme de pauvres forçats, et d'autres enfin dont les rimes n'ont pas toujours la richesse qu'on leur pourrait donner, je n'en donnerai pourtant point d'excuse ; ne voyant pas être obligé de suivre dans une Comédie comme celle-ci, une règle que les meilleures plumes n'observent pas dans leurs ouvrages les plus sérieux : enfin je ne dirai rien des Précieuses en Vers qui puisse exiger de ceux qui les verront une bonté forcée ; je ne veux rien que le plaisir du Lecteur, et serais bien fâché d'ôter le moyen de Critiquer ceux qui se plaisent à le faire. Ainsi quoi qu'il me fût aisé de dire bien des choses pour justifier mes défauts et que je n'eusse qu'à m'étendre sur la difficulté qu'il y a de mettre en Vers mot à mot une prose aussi bizarre que celle que j'ai eu à tourner, que je pense facilement faire voir que tout le plaisant des Précieuses consistait presque, en des mots aussi contraires à la douceur des Vers que nécessaires aux agréments de cette Comédie : je laisse pourtant toutes ces choses pour laisser le Lecteur en liberté, et je proteste ici que la Critique ne m'épouvante point et que je serais fort marri de dire le moindre mot pour l'éviter, et non seulement je la souffre pour cette version ; mais je consens que l'on s'en serve encore à l'égard du Procès des Précieuses qui est de mon invention pure, et qui si tout le monde est de mon sentiment divertira fort, au moins ne l'ai-je fait que dans cette pensée. Cette Préface aurait à peu près la longueur qu'elle devrait avoir, et je la finirais volontiers en cet endroit s'il ne me restait encore un peu de papier qu'il faut remplir de quoi que ce puisse être quand ce ne serait que pour grossir le Livre ; Toutefois pour ne me pas éloigner de mon sujet ; je dirai quoi que sans dessein de me défendre ; que j'aurais eu bien plus de facilité de traduire une pièce de toute autre langue en vers Français, que d'y mettre une prose faite en ma propre langue ; dans toute autre j'aurais assez fait de rendre les pensées de mon Auteur. Les termes auraient été à ma discrétion et tout aurait presque descendu de mon choix ; mais ici pour rendre la chose fidèlement, je n'ai pas seulement été contraint de mettre les pensées, m'a fallu mettre aussi les mêmes termes ; que si j'ai ajouté ou diminué selon que les rimes m'y ont obligé, je n'ai rien à répondre à cela, sinon que pour les rendre comme elles seraient, il fallait les laisser en prose ; peut-être qu'au sentiment de plusieurs j'aurais mieux fait que de les mettre en rimes, peut-être aussi qu'au jugement de ceux qui aiment les vers j'aurais fort bien réussi. Tout cela est douteux ; mais il est certain que ce n'est pas là mon plus grand chagrin, que si ceux pour qui je les ai faites les trouvent à leur gré, il m'est bien indifférent que les autres les condamnent ou les approuvent, en tout cas que ceux qui ne s'y divertiraient pas aient recours au Dictionnaire des Précieuses ou à la Satire. Comme tout dépend de ce caprice, peut-être qu'ils y trouveront mieux leur compte. Pour moi je serai content, pourvu qu'ils se divertissent de quelque manière que ce soit. À MADEMOISELLE MARIE DE MANCINI. Esprit, charmé, rempli de la plus belle idée Dont une âme jamais puisse être possédée Je me laisse emporter à ces nobles ardeurs Qui détruisent la crainte, et rassurent les coeurs. Je conçois un dessein qui m'étonne moi-même, Mais comme le danger la gloire en est extrême, Quand j'y succomberais je serais glorieux, C'est périr noblement que périr à vos yeux ; On ne se repent point d'une belle entreprise Et de quelque terreur qu'une âme soit surprise Pour en venir à bout on la voit tout oser Aux plus fâcheux revers on la voit s'exposer, Pour moi dans le projet que je viens de me faire On ne peut m'accuser que d'être téméraire ; Mais qui peut ignorer que la témérité Surpasse bien souvent la générosité Parlons mieux et disons qu'il n'est pas ordinaire De voir un généreux n'être point téméraire, Qu'on ne peut que par elle affronter les hasards, Qu'elle a seule formé les premiers des Césars Et que les conquérants que nous vante l'Histoire Sans leurs témérités n'auraient pas tant de gloire. Cette vertu propice aux belles passions Peut seule nous conduire aux grandes actions, Rien que l'événement ne la rend criminel ; Mais lorsqu'on réussit elle n'est jamais telle : Osons donc dans l'ardeur qui nous brûle le sein Incertain du succès suivre notre dessein Vous illustre MARIE, à qui mes vers s'adressent Souffrez qu'en votre nom tous mes voeux s'intéressent. Que je chante sa gloire et fasse voir à tous Les belles qualités qui se trouvent en vous ; Que peuvent toutefois mes faibles témoignages Vos yeux parlent assez de tous vos avantages Il n'importe achevons en un dessein si beau Les yeux nous serviront d'objet et de flambeau. En effet si les yeux sont les miroirs de l'âme Que ne verrai-je pas au travers de leur flamme. Je trouverai d'abord d'une suite d'aïeux La grandeur exprimée en ces aimables yeux Et de leur majesté la vénérable image Avec des traits plus doux peinte sur ce visage J'y connaîtrai ce droit naturel aux Romains D'étendre leur pouvoir dessus tous les humains Et que ce qu'ils faisaient par l'effort de leurs armes Vous savez l'achever par celui de vos charmes ; Mais vous faites bien plus que ces premiers vainqueurs Ils triomphaient des corps, vous triomphez des coeurs On évitait leurs fers, on adore vos chaînes Si l'on en sent le poids l'on en chérit les peines Et votre Empire est tel dessus les libertés Que même vous forcez jusques aux volontés : Oui tel est de vos yeux, la douceur et l'Empire Qu'ils peuvent beaucoup plus que je ne saurais dire ; Mais si voyant vos yeux j'y trouve tant d'appas Consultant votre Esprit que ne verrai-je pas ? Et si poussant plus loin, ce dessein qui m'étonne Je voulais regarder toute votre personne En voir séparément les aimables trésors De votre âme à loisir consulter les accords En tracer une idée et vous y peindre entière Combien de vous louer verrai-je de matière Je le laisse à juger, et borne tous mes voeux À montrer dans mes vers, ce qu'on voit dans vos yeux. Mais après que ces yeux m'ont su faire connaître La noblesse du sang dont on vous a vu naître Et que par leur éclat instruit de leur pouvoir J'ai tâché d'exprimer ce qu'ils m'en ont fait voir Souffrez sans vous lasser que mes faibles paupières En empruntent encor de nouvelles lumières Et que par vos regards instruit de mieux en mieux Je puisse peindre au vif ce qu'on lit dans vos yeux ; Mais je m'y perds moi-même et vois mon impuissance Il faudrait pour le faire avoir leur éloquence Ou du moins que mes vers eussent les agréments Que l'on peut remarquer dedans leurs mouvements Qu'on y vît cette ardeur qui brille en vos prunelles Qu'à leur force on connût que je veux parler d'elles Et qu'enfin mes accents plus coulants et plus doux Méritassent l'honneur d'être estimés de vous. Alors par ce penser ma veine ranimée Tracerait ces vertus dont mon âme est charmée Et suivant de vos yeux l'éclat et les rayons J'en ferais à plaisir les illustres crayons ; Dans ce vaste tableau chacune aurait sa place On y verrait d'abord une divine audace Et sous divers habits on verrait tour à tour Les grâces et l'honneur, qui vous feraient la cour, Plus loin l'on y verrait la discrète prudence Régler vos actions d'une juste balance En soutenir partout le poids et la grandeur Pour compagne elle aurait une fière pudeur, Outre cette pudeur, on y verrait encore Toutes ces qualités qui font qu'on vous adore Et surtout on verrait la libéralité Parler de vos excès de générosité, Je ferais mes efforts pour y pouvoir dépeindre Cette grande vertu qu'autre part il faut feindre Et pour n'y perdre pas et ma peine et mes soins J'en peindrais à vos pieds cent illustres témoins Et saurais faire voir par tant d'illustres marques Que vous devez régner sur les coeurs des monarques Que tout le monde entier reconnaissant vos droits Tiendrait à grand bonheur de recevoir vos lois. Mais attendant l'aveu d'une telle entreprise De grâce laissez-moi jouir de ma surprise Par mon étonnement montrez votre pouvoir Il en marquera plus que je n'en ai fait voir. Quand pour louer quelqu'un l'on manque d'éloquence C'est en dire beaucoup que garder le silence Ainsi je ne crains pas que le mien soit suspect Puisqu'en ne disant rien je prouve mon Respect. SOMAIZE. AU LECTEUR. Quoi que dans un si petit Ouvrage, l'on n'ait pas coutume de marquer les fautes d'impression, quelques-unes de celles qui se sont passées dans celui-ci, m'ont semblé assez considérables pour les mettre en ce lieu ; c'est pourquoi page 4 vers 12 au lieu de : à ne plus s'élever, lisez : à ne se plus louer, page 10 au lieu des vers 5 et 6 lisez : Ces pendardes enfin, faut que je le confesse Me veulent ruiner en pommadant sans cesse. Page 14 au 3e vers, ajoutez au commencement : Et. Page 15 vers 2 au lieu de : vous devriez, lisez : il vous faudrait un peu. Page 47 vers 9 après bien, ajoutez tôt. Page 55 au lieu du vers quatre, lisez : Qui seront reliés mieux que ceux du commun. Je ne marquerai point plusieurs autres vers qui ont plus ou moins de syllabes qu'il ne leur en faut parce que se trouvant peu de copies dans lesquelles il s'en soit coulé, et les ayant corrigées de bonne heure, je te pourrais montrer des fautes que tu ne trouverais pas s'il tombait entre tes mains de celles qui sont corrigées. Par exemple, il y en a dans la page 59 devant le 5e vers, où le nom de Mascarille, est oublié. Il faut que les procès plaisent merveilleusement aux Libraires du Palais, puisqu'à peine le Dictionnaire des Précieuses est en vente, et cette Comédie achevée d'imprimer, que de Luynes, Sercy et Barbin, malgré le Privilège que Monseigneur le Chancelier m'en a donné, avec toute la connaissance possible, ne laissent pas de faire signifier une opposition à mon Libraire : comme si jusqu'ici les Versions avaient été défendues, et qu'il ne fût pas permis de mettre le Pater noster Français, en vers. LES PERSONNAGES. LA GRANGE, Amant rebuté. DU CROISY, Amant rebuté. GORGIBUS, Bon Bourgeois. MADELON, Fille de Gorgibus, Précieuse Ridicule. CATHOS, Nièce de Gorgibus, Précieuse Ridicule. MAROTTE, Servante des Précieuses Ridicules. ALMANZOR, Laquais des Précieuses Ridicules. LE MARQUIS DE MASCARILLE, Valet de la Grange. LE VICOMTE DE JODELET, Valet de du Croisy. DEUX PORTEURS de chaise. VOISINES. VIOLONS. La scène est à Paris. LES PRÉCIEUSES RICICULES SCÈNE I. La Grange, Du Croisy. DU CROISY. Seigneur, la Grange. LA GRANGE. Hé bien ? DU CROISY. Regardez-moi sans rire. LA GRANGE. Parlez, je vous entends. Qu'avez-vous à me dire ?Quoi. DU CROISY. De notre visite êtes vous satisfait ? LA GRANGE. Pas trop à dire vrai, mais vous ? DU CROISY. Pas tout à fait. LA GRANGE. J'en suis scandalisé, pour moi je le confesse Un procédé semblable, et me choque et me blesse,[Note : Pecque : Terme d'injure. Femme sotte et impertinente qui fait l'entendue. [L] id. MOL. PREC. RIDIC.]Deux pecques de Province, ont-elles dites-moi ?Jamais plus fièrement, tenu leur quant à moiEt deux hommes jamais, en pareille occurrenceOnt-ils été reçus avec plus d'arrogance : Pendant que nous avons demeuré pour les voirÀ peine elles nous ont prié de nous asseoir,Je suis encor surpris, d'une chose pareilleOn n'a jamais tant vu, se parler à l'oreille,Tant se frotter les yeux, tant bailler, tant moucher, Tant s'enquérir de l'heure, et si souvent cracher.Nous ont-elles jamais dit, quatre mots de suite,Oui, ou non, ont-ils pas payé notre visite,[Note : Gredins : Gueux, misérable, qui est de la lie du peuple. [F]]Et quand nous aurions même été de vrais gredinsNous auraient-elles pu montrer plus de dédains. DU CROISY. À vous ouïr parler, de cet accueil faroucheIl semble tout de bon, que la chose vous touche. LA GRANGE. Sans doute elle me touche, et de telle façonQue devant qu'il soit peu, j'en veux tirer raison ;Je connais ce que c'est, l'air précieux dans doute Dans la campagne aussi, vient de prendre sa route,Et de Paris enfin courant, de part en part[Note : Donzelle : Terme burlesque qui se dit pour demoiselle ; mais il est odieux et offensant ; et se prend ordinairement en mauvaise part. [F]]Nos donzelles en ont, humé leur bonne part ;On connaît aisément, en voyant leur personneQue c'est la vérité que ce que j'en soupçonne, On y voit certain air coquet et précieuxEt qui n'est en un mot, qu'un ambigu des deux :Pour en être reçu, je vois ce qu'il faut être,Je vois ce qu'à leurs yeux, il faut enfin paraître,Et si vous me croyez, nous leur devons jouer Un tour, pour leur apprendre à ne pas s'élever,[Note : Faconde : Faclité à parler d'abondance. Peu usité en ce sens qui est le sens propre et qui a veilli. [F]]La pièce assurément paraîtra sans facondeEt leur montrera bien à connaître le monde. DU CROISY. Comment ? LA GRANGE. [Note : Laquais : Valet roturier qui suit à pied son maître, et qui porte ses livrées. [F]]J'ai Mascarille, un certain grand laquaisQui passe au sentiment d'esprits assez mal faits, Pour être un bel esprit, car au siècle où nous sommesIl est à bon marché, chez la plupart des hommes.C'est un extravagant, qui par ambitionTâche d'être partout cru de condition,Il se pique d'esprit, de vers, de raillerie, Croit fort bien réussir, dans la galanterieFait le maître partout dédaigne ses égauxJusques à les traiter, d'ignorants de brutaux. DU CROISY. Hé bien ! De ce valet que prétendez-vous faire : LA GRANGE. Mon dessein n'a jamais été de vous le taire Il nous faut... Mais sortons, car tout n'irait pas bienSi Gorgibus, qui vient savait notre entretien. SCÈNE II. Gorgibus, Du Croisy, La Grange. GORGIBUS. Hé bien ? Vous avez vu ma nièce avec ma filleAvez-vous résolu d'entrer ; dans ma famille,D'une pareille affaire, encor que dites-vous ? LA GRANGE. Vous le saurez Monsieur, mieux d'elles, que de nous,Tout ce que nous pouvons à présent vous apprendreC'est, que nous avons trop de grâces à vous rendre,De toutes vos bontés, de toutes vos faveursEt que nous demeurons vos humbles serviteurs. GORGIBUS. Ouais ? Ils sont mal contents, que cela veut-il dire.Faisons venir quelqu'un qui nous puisse instruire.Je veux m'en enquérir, et savoir promptementD'où leur pourrait venir, ce mécontentement :Ces coquines, toujours me causent mille angoisses Holà ? SCÈNE III. Marotte, Gorgibus. MAROTTE. Plaît-il Monsieur ? GORGIBUS. [Note : Le vers 66 ne rime pas avec le vers 65.]Où sont donc vos maîtresses ?Qu'on les fasse venir. MAROTTE. Je pense qu'elles sont[Note : Cabinet : Le lieu le plus retiré dans le plus bel appartement des Palais, des grandes maisons. Signifie aussi une pièce d'appartement, où l'on étudie, où l'on se séquestre du reste du monde, et où l'on serre ce qu'on a de plus précieux. [F]]Dedans leur cabinet. GORGIBUS. Qu'est-ce qu'elles y font ? MAROTTE. Pour les lèvres Monsieur. GORGIBUS. Et quoi ? MAROTTE. De la pommade GORGIBUS. [Note : Aubade : Concert qu'on donne dès le matin à la porte ou sous les fenêtres de quelqu'un pour l'honorer, ou pour se réjouir. [F]]Nous avons tous les jours une semblable aubade. Tout cela me déplaît, et c'est trop pommaderQu'on les fasse descendre, allez et sans tarder.Il le faut avouer, je crois que ces pendardesMe veulent ruiner, avecque leurs pommades ;Mais je me fâcherai si l'on me pousse à bout ; Je ne vois que blancs d'oeufs, lait virginal partout,Partout, dans le logis, je ne vois que paraître[Note : Brimborions : Terme de mépris qui sert à exprimer des curiosités légères et de peu de valeur. [F]]Mille brimborions, que je ne puis connaître :Elles ont employé, le lard de dix cochonsEt je puis assurer que des pieds de moutons Dont ici chaque jour, elles font la dépenseSix valets en auraient plus que leur suffisance. SCÈNE IV. Madelon, Cathos, Gorgibus. GORGIBUS. Cela n'est par ma foi du tout, ni bien, ni beauEt c'est trop dépenser ; pour graisser son museau,Dites ? Qu'ont ces Messieurs, qu'avez-vous pu leur faire ? Ils sortent froidement, et se semble en colèrePuisque je l'avais dit, que ne les traitiez vous,Comme gens destinés, pour être vos époux. MADELON. Ah ! Que dites-vous là, quelle estime mon pèrePourrions-nous toutes deux, et devrions nous faire, (Quand bien vous nous l'auriez vous même commandé)De ces sortes de gens de qui le procédé Est irrégulier. CATHOS. Des filles raisonnablesNe peuvent accepter des personnes semblables.Mon oncle, quel moyen de s'en accommoder ? GORGIBUS. Que trouvez-vous en eux ? MADELON. Qu'osez-vous demanderIls n'ont fait leur début que par le mariage. GORGIBUS. [Note : Concubinage : Habitation d'une garçon et d'une fille, qui vivent ensemble comme s'il étaient mariés. Le concubinage e été autrefois toléré ; mais chez les chrétiens il est défendu et scandaleux. [F]]Devaient-ils débuter par le concubinage ?Était-ce le moyen de gagner votre coeur ?Ne devriez-vous pas estimer leur ardeur, Quoi ? Pouvaient-il tous deux, parler d'une manièreQui fût plus obligeante, et dût plus satisfaire,Et ce lien sacré qu'ils prétendent tous deuxNe marque-t-il pas bien, la vertu de leurs voeux. MADELON. Mon père, songez mieux, à tout ce que vous dites, Ces fautes tout de bon, ne sont pas trop petites ;Mais faites-vous de grâce, instruire une autre fois,Ce que vous avez dit, est du dernier bourgeois,Je ne vous puis ouïr, et la honte m'accable.Lorsque je vous entends faire un discours semblable. J'en suis encore surprise et confuse. Bon Dieu !Pour vous désabrutir, vous devriez un peuApprendre ce que c'est, que le bel air des choses. GORGIBUS. Quel discours est-ce là ? quelles métamorphoses.Je n'ai que faire ici, ni d'air, ni de chanson Ce discours me déplaît, et paraît sans raison,Et je te dis encor, que c'est être très sageQue de parler ainsi , puisque le mariage,De chacun aujourd'hui doit être révéréEt qu'il n'a rien du tout, que de saint et sacré. MADELON. Dieux ! Si chacun était de votre humeur mon père,Que la fin d'un roman, serait facile à faire,[Note : Cyrus, Mandane, et Aronce sont des personnages des romans précieux de Madeleine de Scudery [1607-1701] : "Artamène ou le Grand Cyrus" (1650) et "Clélie, histoire romaine" (1656).]Que cela serait beau, si Cyrus dans l'abordSans éprouver du tout, les caprices du sortAvait Mandane, et si sans hasarder sa vie Aronce, de plein pied, épousait sa Clélie. GORGIBUS. Qu'est-ce que celle-là me vient ici conter,À la fin je serai bientôt las d'écouter. MADELON. Si vous vouliez mon père, un moment nous entendre ?Et ma cousine et moi, nous pourrions vous apprendre Que jamais un hymen ne se doit accorderQu'après les accidents qui doivent précéder.Il faut que dans l'abord, un amant véritableAfin qu'à sa maîtresse il se rende agréable,Exprime adroitement ses plus cruels tourments, Il sache débiter tous les beaux sentiments,Et que sans se lasser, pour pouvoir la surprendreIl sache bien pousser, et le doux et le tendre,Que pour montrer combien son coeur est enchaînéIl fasse tout cela d'un air passionné, Et s'il prétend enfin, avancer ses affairesQue sa procédure ait les formes ordinaires. Il doit dedans le temple, ou dedans d'autres lieux.Voir l'aimable beauté, qui cause tous ses voeux,Ou bien être conduit, fatalement chez elle Par un des bons amis, ou parent de la belle.Il sort après cela, tout chagrin tout rêveur,À l'objet de ses voeux, cache un temps son ardeur,Cependant il lui rend de fréquentes visitesEt puis le plus souvent, après bien des redites, On voit sur le tapis, mettre une questionQui fait adroitement savoir sa passion,Et qui quoi que la belle, en paraisse troubléeExerce les esprits de toute l'assembléeDe déclarer son feu, le jour arrive enfin, Ce qui se fait souvent dedans quelque jardinLorsque par un bonheur, que le hasard amèneLa compagnie [se] quitte, ou plus loin se promène,D'abord à cet aveu, succède un prompt courrouxQui bannit quelque temps l'amant d'auprès de nous. Il trouve après moyen, de rassurer notre âmeDe nous accoutumer, aux discours de sa flamme,Et de tirer de nous, cet important aveuQui nous fait tant de peine, et lui coûte si peu.Viennent après cela toutes les aventures Les jaloux désespoirs, les craintes les murmures,Les plaintes sans sujet, les cris et les rivauxQui d'un parfait amour, sont les plus cruels mauxQuand par une soudaine, et fâcheuse saillieIls viennent traverser, une flamme établie. On voit venir encor, les persécutionsD'un père, qui combat de fortes passions,Qui s'obstine à les vaincre. On voit la jalousie ;Qui sur de faux soupçons trouble la fantaisie,On voit enfin les pleurs et les emportements, Les fureurs d'un amant, et les enlèvements,Et tout ce qui s'ensuit. Dans les belles manières,C'est ainsi que chacun doit traiter ses affaires,Ce sont règles enfin, dont il faut confesserQue quiconque est galant ne peut se dispenser ; Mais peut-on jamais voir recherche plus brutale,Parler de but en blanc, d'union conjugale,Venir rendre visite, et dès le même jourVouloir passer contrat, pour montrer leur amourEt prendre justement (sans voir ce qu'il faut faire) Le Roman par la queue. Encore un coup mon père,Vous pourriez bientôt voir, si vous preniez conseil,Qu'il n'est rien plus marchand, qu'un procédé pareil.Pour moi, j'ai mal au coeur, et me sens inquièteDe la vision seule, où leur discours me jette. GORGIBUS. Voici bien du haut style : Hé ! Que vient celle-ciAvecque son jargon, de me conter ici. CATHOS. Ah ! Mon oncle en effet, je vous dirai si j'oseQu'elle vient de donner dans le vrai de la chose ;Et quel moyen aussi de recevoir des gens, Qu'à faire leur devoir, on voit si négligents,Qui n'ont de dire un mot, pas même l'industrie,[Note : Galanterie : Manière polie, enjouée, et agrable de faire, ou de dire les choses ; fleurettes, douceurs amoureuses. [F]]Et qui sont incongrus dans la galanterie,Pour moi sans croire ici, follement m'engagerContre qui le voudra, j'oserai bien gager Que leur esprit jamais ne fut né pour apprendre[Note : Carte du Tendre : Carte illustrant le parcours galant. Il y a le lac d'infifférence et les villes comme probité et générosité.]Ce que c'est que l'amour, et la carte du tendre,Qu'ils ont le jugement tout à fait de travers,[Note : v. 204-205, liste de villages de la Carte du Tendre.]Et que billets galants, petits soins, jolis vers,Billet doux, sont pour eux des terres inconnues, Comme si maintenant ils descendaient des nues.Je puis vous dire encor, sans en demeurer là,Que tout leur procédé marque assez bien cela,Et qu'on ne trouve point dans toute leur personneCe je ne sais quel charme, et qui dès l'abord donne Par un air attirant, et de conditionDe quantité de gens, fort bonne opinion.Vit-on jamais encor, chose plus merveilleuseOser venir tous deux en visite amoureuseAvecque des chapeaux de plumes désarmés, Ne paraître tous deux nullement enflammés,Avoir avec cela, la jambe toute unie,La tête de cheveux, tout à fait dégarnie,Toute irrégulière, et des habits enfin,Qui ressemblent à ceux de quelque vrai gredin, Et souffrent de rubans une extrême indigence.Ah ! Mon Dieu, quels amants, j'en rougis quand j'y pense,Quelle frugalité d'ajustement, bon DieuEst-ce ainsi que l'on doit venir offrir ses voeux,Que d'indigence en tout, et quelle sècheresse De conversation, ah ! Tout cela me blesse,Toujours on y languit, on n'y tient point, hélas ![Note : Rabat : Pièce de toile que les hommes mettent autour du collet de leur pourpoint, tant pour l'ornement que pour la propreté. [L]]J'ai remarqué de plus encor, que leurs rabatsPar l'excès surprenant d'une avarice honteuse,N'ont jamais été faits, par la bonne faiseuse ; Qu'il s'en faut demi-pied (je le dis sans erreur)[Note : Chausses : Signifie la partie inférieure de l'habit d'un homme, qui lui couvre les fesses, le ventre et le cuisses. [F]]Que leurs chausses enfin, n'aient assez de largeur. GORGIBUS. Voilà de grands discours que je ne puis entendre[Note : Baragouin : Langage corrompu ; ou inconnu, qu'on n'entend pas; jargon composé de mots barbares, ou si mal pronocés qu'on ne les entend pas. [F]]À tout ce baragouin, qui pourrait rien comprendre,Elles sont folles. Vous Cathos et Madelon, Apprenez aujourd'hui que je veux tout de bon,Que vous vous prépariez... MADELON. Hé ! de grâce, mon père,De ces étranges noms, tâchez de vous défaire,Et si vous le pouvez, nommez-nous autrement. GORGIBUS. Ô Dieux ! Qu'entends-je dire ? Étranges noms, comment ? Et ne sont-ce pas là vos vrais noms de baptême ? MADELON. Votre stupidité va jusques à l'extrêmeQue vous êtes vulgaire, avec ces sentiments,Ah ! Pour moi, le plus grand de mes étonnementsEst que vous ayez fait une fille si sage, Et si pleine d'esprit. Dedans le beau langage,Ouït-on jamais nommer ? Madelon et Cathos,Et n'avouerez-vous pas, qu'enfin des noms si sotsPourraient par leur rudesse affreuse et sans secondeDécrier le Roman, le plus charmant du monde. CATHOS. Mon oncle, il est très vrai, que ces sortes de nomsOnt un je ne sais quoi de bas dedans leurs sons,Qui n'a rien d'attirant, qui n'a rien qui ne blesse,Et pour peu qu'une oreille, ait de délicatesse,On voit qu'elle pâtit, très furieusement Entendant prononcer ces mots-là seulement.[Note : Aminte : drame pastoral en vers du Tasse, créé en 1573.][Note : Polyxène : héroïne de l'Iliade, aimant et aimée d'Achille.]D'Aminte le beau nom, celui de Polixène,Que ma cousine et moi nous avons pris sans peine,Ont des attraits en eux, dont vous devez d'abordSans aucun contredit être avec moi d'accord. GORGIBUS. Écoutez toutes deux, il n'est qu'un mot qui serve,Quand je dis une chose, il faut que l'on l'observe,Et je ne prétends pas tomber jamais d'accord,De ces noms, que je vois qui vous plaisent si fort ;Quittez-les, car je veux que vous gardiez les vôtres : Je ne saurais souffrir, que vous en ayez d'autres,Que ceux que vos parrains vous ont jadis donnés.Pour ces Messieurs aussi, lesquels vous dédaignez :Je sais quels sont leurs biens, je connais leurs familles,Et comme je suis las de tant garder deux filles, Je veux qu'absolument vous songiez toutes deuxÀ recevoir bientôt leur main avec leurs voeux.De deux filles la garde est une rude charge,Et ne peine que trop un homme de mon âge. CATHOS. Ce que je vous puis dire ici, mon oncle hélas ! C'est que le mariage est pour moi sans appas,Que je trouve que c'est une chose choquante,Et qu'enfin le penser, seulement m'épouvanteD'être couchée auprès d'un homme vraiment nu. MADELON. Mon père, notre nom, sera bientôt connu, C'est pourquoi vous devez, nous permettre sans peine,Qu'avec les beaux esprits, nous reprenions haleine.Et comme dans Paris, nous venons d'arriver,Vous devez s'il vous plaît nous laisser acheverDe notre beau Roman, le tissu sans exemple, Et n'en pas tant presser, par un pouvoir trop ampleLa conclusion. GORGIBUS. Dieux ! Qu'entends-je ici conter ?Leur folie est visible, il n'en faut plus douter.Encor un coup, sachez, que je ne puis comprendre[Note : Balivernes : Discours inutiles qui n'ont ni raisons ni solidité ; sornettes, contes faits à plaisir. [F]]Ces balivernes-ci, que je veux sans attendre, Et sans qu'on me réponde, être maître absolu,Et que l'on fasse enfin, ce que j'ai résoluC'est pourquoi ces Messieurs, seront dans ma famille,Où chacune de vous restera toujours fille,Ou sera par ma foi, mise dorénavant Puisque je l'ai juré, dedans un bon Couvent. SCÈNE V. Cathos, Madelon. CATHOS. Quelle stupidité, que vois-je ah ! Dieu ma chère !Que ton père a la forme avant dans la matière.Qu'il a l'intelligence épaisse, qu'il est dur,Et qu'il fait dans son âme, étrangement obscur. MADELON. Ma chère que veux-tu ? Pour lui j'en suis confuse,Rien ne m'étonne tant, que de le voir si buse ;Mais je me persuade, et fort malaisémentQue je puisse être aussi sa fille assurément,Et je crois qu'il viendra quelque journée heureuse, Qui par quelque aventure, et nouvelle, et fameuseMe développera, sans doute avec raisonUn père plus illustre, et d'une autre maison. CATHOS. Je le croirais bien oui ; car enfin sans médireJ'y vois grande apparence, et je ne sais qu'en dire Pour moi quand je me vois aussi... SCÈNE VI. Madelon, Cathos, Marotte. MAROTTE. Madame... MADELON. Quoi ?Qu'est-ce, que voulez-vous ? Veut-on parler à moi ? MAROTTE. Un laquais, que voilà, souhaite qu'on lui diseSi vous êtes céans, afin qu'il en instruiseSon maître, qui l'envoie ici, pour le savoir, Parce, dit-il, qu'il veut bientôt vous venir voir. MADELON. Et vous apprenez sotte, à moins parler vulgaire,Et dites pour vous mieux énoncer d'ordinaire.Un nécessaire est là, qui demande instammentSi vous ne pourriez pas être présentement En commodité d'être visibles. MAROTTE. Ah ! Dame !Je n'entends point ma foi, tout ce Latin, Madame,Et l'on ne m'a jamais, enseigné comme à vousLa filofie, dedans le grand Cyre. MADELON. À nous Tenir de tels propos, voyez l'impertinente Le moyen de souffrir, toujours cette insolente ;Mais encor quel est-il ? Le Maître à ce laquais. MAROTTE. Il me l'a nommé, le... le Marquis de de... Ouais,Le Marquis de Mascarille. MADELON. Un Marquis, ah ! Ma chère,Oui, retournez lui dire, et ne demeurez guère Qu'on nous voit à présent, c'est quelque bel esprit,Que notre renommée a jusqu'ici conduit. CATHOS. Assurément ma chère. MADELON. En cette salle basseIl faut le recevoir, nous aurons plus de grâceQue dedans notre chambre ; ajustons nos cheveux Au moins, et soutenons en ce jour bienheureuxLa réputation que nous avons acquise. CATHOS. La visite me plaît, bien que j'en sois surprise. MADELON. Vite, venez nous tendre ici, le conseillerDes grâces. MAROTTE. Que ce mot vient mal pour m'embrouiller ; Ma foi, je ne sais point si c'est là quelque bête,Il faut parler chrétien pour mettre dans ma têteCe que vous voulez dire. CATHOS. Apportez le miroir[Note : Pécore : Ce mot au propre signifie un animal, une bête ; mais il est bas et burlesque. Se dit aussi figurémment et burlesquement pour signifier une personne sotte, stupide, et qui a de la peine à concevoir quelque chose. [F]]Pécore, et gardez bien en vous y faisant voirD'en obscurcir la glace, et de lui faire outrage En lui communiquant de trop près votre image. SCÈNE VI.. Mascarille, Deux Porteurs. MASCARILLE, dans sa chaise, faisant arrêter ses porteurs. Là, là porteurs, holà, là, là, là, là, holà,[Note : Maraud : Terme injurieux qui se dit des gueux, des coquins qui n'ont ni bien ni honneur, qui sont capables de faire toutes sortes de lâchetés. [F]]Je crois que ces marauds, me veulent briser làÀ force de heurter, les pavés, la muraille. PREMIER PORTEUR. Dame, c'est que la porte est étroite ; d'entrailles. Vous avez commandé, que l'on entrât ici,Nous avons obéi. MASCARILLE, sortant de sa chaise. Je le crois bien aussi,[Note : Faquin : se dit aussi en quelque sorte figuré, pour un homme sans mérite, sans honneur, sans coeur, digne de toute sorte de mépris. [F]]Voudriez-vous faquins ? que pour vous j'exposasseOu mes plumes à l'air, ou bien que je laissassePerdre leur embonpoint ; et n'ai-je pas raison ? De les en garantir, durant cette saisonPluvieuse, incommode, ou bien que j'imprimasseMes souliers en la boue. Ah ! De vous je me lasse,Ôtez-moi votre chaise. DEUXIÈME PORTEUR. Et bien donc, payez-nous ? MASCARILLE. Hem ? DEUXIÈME PORTEUR. Je vous dis, Monsieur ? MASCARILLE. Que me dis-tu ? DEUXIÈME PORTEUR. Que vous Nous donniez de l'argent. MASCARILLE, lui donnant un soufflet. Quelle insolence ?Demander de l'argent, à ceux de ma naissance. DEUXIÈME PORTEUR. N'avez-vous que cela, Monsieur, à nous donner ?Et votre qualité, nous fait-elle dîner ? MASCARILLE. Ah ! Je vous apprendrai coquins, à vous connaître, Vous ôtez-vous marauds ? Jouer à votre maître. PREMIER PORTEUR, prenant un des bâtons de sa chaise. Ça vite, payez-nous ? MASCARILLE. Quoi ? PREMIER PORTEUR. Je dis que je veuxDe l'argent tout à l'heure. MASCARILLE. On ne peut dire mieux,Il est très raisonnable. PREMIER PORTEUR. Eh ! Bien vite, vous dis-je ! MASCARILLE. Tu parles comme il faut, vois là comme on m'oblige Mais l'autre est un coquin qui ne sait ce qu'il dit.Là tiens, es-tu content ? PREMIER PORTEUR. Nany, j'ai du dépit[Note : Rodomontade : Venterie, ou menace vaine et san fondement. [F]]Et ne saurais souffrir votre rodomontade,Vous avez devant moi battu mon camarade,Et si... MASCARILLE. Doucement, tiens, voilà pour le soufflet ; On obtient tout de moi, je suis comme un poulet.Dès lors que l'on s'y prend, de la bonne manièreJe me laisse fléchir, à la moindre prière.Allez vite sortez, et venez me chercherTantôt, pour aller au Louvre au petit coucher. SCÈNE VIII. Marotte, Mascarille. MAROTTE. Mes Maîtresses Monsieur, vont venir tout à l'heure. MASCARILLE. Je ne suis pas pressé, je vous jure ou je meure :Je suis dedans ce lieu, posté commodémentEt je puis à loisir, les attendre aisément. MAROTTE. Elles viennent Monsieur. SCÈNE IX. Madelon, Cathos, Mascarille, Almanzor. MASCARILLE, après avoir salué. Mesdames mon audace Pourra vous étonner ; mais cette aimable grâceQue l'on admire en vous, vous cause ce malheur :La réputation qui parle, à votre honneurM'a forcé ce jourd'hui, de vous rendre visiteEt pour moi je poursuis en tous lieux le mérite. MADELON. Si vous le poursuivez ce n'est pas dans ces lieuxQue vous devez chasser. CATHOS. Pour le voir à nos yeuxIl a fallu Monsieur, qu'il vînt sous votre auspice. MASCARILLE. Ah ! Je m'inscris en faux contre cette injustice.Le renom parle juste, en contant vos vertus Par là, les plus galants, seront bientôt battus,Vous allez faire pic, repic, et capot même,Tout ce que dans Paris, l'on chérit et l'on aime. MADELON. Nous n'attendions pas moins, d'un homme tel que vous ;Mais votre complaisance est trop grande envers nous. Et vous poussez si loin votre injuste louangeQue ma cousine, et moi, pour éviter le change,Nous ne donnerons pas, de notre sérieuxDedans un compliment, qu'on ne peut faire mieux ;Car enfin nous craignons de tomber dans le piège. CATHOS. Mais ma chère, il faudrait faire apporter un siège. MADELON, à Almanzor. [Note : Voiturer : Transporter par des voitures une chose d'un lieu à une autre. [F]]Voiturez-nous ici, vite, petit garçon,Les commodités de la conversation. MASCARILLE. Mais aurai-je du moins, sûreté de personne ? CATHOS. Que craignez-vous de nous ? Que rien ne vous étonne. MASCARILLE. J'ai tout à redouter, tout me doit faire peur ;Je crains premièrement, quelque vol de mon coeur,Ou quelque assassinat, de ma pauvre franchiseJe vois ici des yeux, dont mon âme est surpriseIls ont mine surtout, d'être mauvais garçons De faire insulte aux gens, et les ôter d'arçons.Ravir les libertés, faire qu'on les adoreEt même de traiter, un coeur de Turc à More.Comment diable ! D'abord que l'on s'approche d'euxIls se mettent en garde, ah ! Qu'ils sont dangereux ; Ma foi je m'en défie, et vais prendre la fuiteOu je veux caution de leur bonne conduite. MADELON. Ma chère, ce qu'il dit est tout plein d'enjouement. CATHOS. [Note : Amilcar : ou Hamilcar, nom de plusieurs généraux Catharginois, synonyme d'homme courageux. Hamilcar Barca était le père d'Hannibal.]Il efface Amilcar, tant il a d'agrément. MADELON. Ne craignez rien, nos yeux sont exempts de malice, Leurs desseins innocents, et sans nul artifice ;Votre coeur peut dormir en toute sûretéDessus leur prudhommie, et dessus leur bonté. CATHOS. Mais de grâce Monsieur rendez-vous exorable.Aux voeux de ce fauteuil, dont le soin équitable Lui fait ouvrir les bras, contentez son desseinDepuis près d'un quart d'heure, il vous ouvre son sein,Souffrez qu'il vous embrasse. MASCARILLE, après s'être peigné, et avoir ajusté ses canons. Et bien dites Mesdames,Que vous semble Paris ? Car c'est aux belles âmesD'en porter jugement. MADELON. Qu'en dirions-nous hélas Tout le monde est d'accord, qu'il est rempli d'appas,Que c'est le grand Bureau, de toutes les merveilles,Le centre du bon goût, le charme des oreilles,Le plaisir des esprits, le lieu des agréments,Et le refuge enfin, des plus nobles amants. MASCARILLE. Je tiens qu'hors de Paris, pour les hommes illustres,Il n'est point de salut, les campagnes sont rustres. CATHOS. On ne dispute point de cette vérité. MASCARILLE. Ce qu'il a de fâcheux, c'est qu'il y fait crotté ;Mais nous avons la chaise. MADELON. Il est vrai que la chaise Est un retranchement, où l'on est à son aise,Un propice instrument, pour les honnêtes gens,Un merveilleux abri, contre le mauvais temps. MASCARILLE. Vous recevez beaucoup, et de belles visites ?Car tous les beaux esprits, cherchent les grands mérites ; Mais encor qui sont ceux qu'attirent vos appas,Dites ? MADELON. Hélas ! Monsieur, l'on ne nous connaît pas ;Mais peut-être bien, qu'on nous pourra connaître,Nous sommes en état, de nous faire paraître,Nous avons une amie, et qui nous a promis Qu'elle nous ferait voir, des gens de ses amis,Qui sont dans les recueils des belles poésies,Ces Messieurs, des romans, et des pièces choisies. CATHOS. Et de certains encor, connus et renommés,(Que comme gens savants elle nous a nommés,) Qui décident aussi, de ces sortes de choses,[Note : Métamorphoses : Oeuvre du poète latin Ovide.]Et qui savent l'Histoire, et les Métamorphoses. MASCARILLE. Je ferai votre affaire, ils me visitent tousEt je puis aisément, les amener chez vousJ'en ai tous les matins, une demi-douzaine. MADELON. Eh ! Mon Dieu, voudriez-vous, vous donner cette peine ;Nous vous aurons, la dernière obligation,Si vous nous procurez leur conversation ;Car enfin vous savez, que sans leur connaissance,On n'est point du beau monde, et voilà l'importance : D'eux dépend dans Paris, la réputation,Ainsi l'on doit chercher leur fréquentation ;Une femme par là, peut devenir heureuse,Et même s'acquérir, le bruit de connaisseuse Et j'en connais beaucoup, qui l'ont acquis par là, Quoi que l'on n'y trouvât rien du tout que cela.Et principalement, ce que je considère,Ce qu'à tout autre bien, aisément je préfère,C'est que par ce moyen des choses l'on s'instruit,Qu'il faut qu'on sache enfin pour être bel esprit. Puis l'on sait chaque jour, les petites nouvelles,Tout ce que les galants, écrivent à leurs belles.Les commerces de Prose, aussi bien que de Vers,Tout ce que l'on écrit, sur cent sujets divers.On sait à point nommer, tel a fait une pièce Jolie autant qu'on peut, unique en son espèce,Tout le monde l'estime à cause du sujetUne telle personne a fait un beau portrait.Sur un tel air nouveau, telle a fait des parolesL'Anagramme d'un tel est pleine d'hyperboles. [Note : Madrigal : petite poésie amoureuse composée d'un petit nombre de vers libres inégaux, qui n'a ni la gêne d'un sonnet, ni la subtilité d'une épigramme, mais qui se contente d'une pensée tendre et agréable. [F]]Un tel Auteur Gascon, a fait un madrigalSur une jouissance. Un tel donne le BalCet autre a composé, des Sonnets et des StancesSur des yeux, sur un teint et sur des inconstances.Un tel hier au soir, écrivit un sizain Pour une Damoiselle ; elle par un dixainLe lendemain matin, en envoya réponse.On poursuit le Roman, de Clélie et d'Aronce.Tel Poète fort illustre, a fait un tel dessein......... Un tel fait un Roman, parce que l'on l'en presse.Les ouvrages d'un tel, se mettent sous la presse.C'est là sans contredit, ce que l'on doit savoirPour se faire connaître, et se faire valoirDedans les lieux connus ; et j'ose dire encore Que quelque esprit qu'on ait, alors qu'on les ignoreIl ne vaut pas un clou. CATHOS. Je trouve qu'en effet,Sans cela l'on ne peut avoir l'esprit bien fait :Je l'avouerai pour moi, c'est là tout mon scrupuleJe crois qu'on enchérit dessus le ridicule De se piquer d'esprit, et de ne savoir pasJusqu'au moindre quatrain ; pour moi j'en fais amas,Et si l'on me venait, demander quelque choseQue je n'aurais pas vu, soit de vers, soit de proseJ'en aurais de la honte. MASCARILLE. On n'estime point ceux Qui n'ont pas des premiers, tous leurs vers amoureuxEt même ce qu'on fait, d'une plus longue haleine ;Mais fiez-vous sur moi, n'en soyez point en peine.J'assemblerai chez vous, nombre de beaux esprits.Vos mains de leurs travaux, leurs donneront le prix, Et je veux qu'à Paris, pas un vers ne se fasseQue dans votre mémoire, il n'occupe une placeAvant qu'aucun l'ait vu. Tel que vous me voyezJe m'en escrime un peu, je veux que vous sachiezQue vous verrez courir, dans les belles ruelles Plus de deux cents chansons, presque toujours nouvelles,Des Sonnets tout autant, sur de divers sujets,Bien mille Madrigaux, pour différents objets,[Note : Elégie : Espèce de Poésie qui s'employe dans les sujets tristes, et plaintifs.]Et même sans compter plus de cent ÉlégiesFaites, sur des dédains ; sans les Apologies, Énigmes, et Portraits MADELON. Ah ! FurieusementJe suis pour les portraits ; rien n'est de plus charmant,Ni rien de plus galant. MASCARILLE. Ils sont bien difficiles,Ils veulent des esprits profonds, savants, habiles.Vous en verrez de moi, qui ne déplaisent pas. CATHOS. Une Énigme a pour moi, terriblement d'appas. MASCARILLE. Par là l'esprit s'exerce, et j'en ai tracé quatreEncore ce matin, qu'afin de vous ébattreVous pourrez deviner. MADELON. J'aime les Madrigaux,Quand il sont bien tournés, ils sont tout à fait beaux. MASCARILLE. Ah ! C'est là mon talent, et je donne mes peinesÀ mettre en Madrigaux les annales Romaines. MADELON. Ce dessein est illustre, autant qu'il est nouveau,Cet ouvrage, Monsieur, sera du dernier beau,Et si vous l'imprimez, j'en veux un exemplaire. MASCARILLE. Je sais trop mon devoir, pour n'y pas satisfaire,Et je vous en promets au moins à chacune un,Qui seront mieux reliés que tous ceux du commun ;Pour ma condition, c'est un bas exerciceJe le fais seulement pour rendre un bon office Au Libraire, importun qui m'en vient accablerEt ce matin encor, m'en est venu parler. MADELON. Le plaisir est bien grand d'être mis sous la presse. MASCARILLE. Sans doute il est bien doux, que notre nom paraisseEt les noms imprimés, ont une autre vertu ; [Note : Impromptu : Il se dit particulièrement de quelque petite pièce de poésie faite sur le champ, madrigal, chanson et même pièce de théâtre. [L] Voir "L'Impromptu de Versailles" de Molière.]Mais à propos, il faut vous dire un impromptuQue je fis avant-hier, cher certaine DuchesseQue je fus visiter, il est plein de tendresseTous les plus fiers esprits, s'en verraient combattusCar je suis diablement fort sur les impromptus. CATHOS. L'impromptu justement, est la pierre de toucheDe l'esprit, il nous plaît, il nous charme, il nous touche. MASCARILLE. Écoutez. MADELON. Ce sera, Monsieur, avec plaisir,Et vous pouvez parler avecque tout loisir,Dans le juste désir d'ouïr tant de merveilles, Nous y sommes déjà de toutes nos oreilles. MASCARILLE. Oh, oh, je n'y prenais pas garde,Tandis que sans songer à mal, je vous regarde.[Note : Tapinois : Qui ne dit que dans le burlesque. Il est venu en tapinois ; c'est à dire, secrètement, sourdement, et san faire bruit. [F]]Votre oeil en tapinois, me dérobe mon coeur,Au voleur, au voleur, au voleur, au voleur. CATHOS. Ah ! Mon Dieu, que ces vers ont des attraits puissants,Par leur délicatesse, ils enchantent les sens,Ces vers-là sont poussés sans nulle flatterieJusques au dernier point de la galanterie. MASCARILLE. Je ne fais rien du tout, qui n'ait l'air cavalier. [Note : le vers 576 peut etre compris aussi comme une références à "Le Pédant Joué" comédie de Cyrano de Bergerac (1654), "L'Ecolier de Salamanque" comédie de Scarron (1655).]Je n'ai rien de Pédant encor moins d'Écolier. CATHOS. Il en est éloigné, tout autant qu'on peut l'êtreEt vous avez bien l'art, de vous faire paraître. MASCARILLE. Avez-vous remarqué ? Dans ce commencementOh, oh, ce n'est pas là parler vulgairement , Oh, oh, en s'étonnant, un homme qui s'avise,Tout d'un coup, oh, oh, oh, voyez-vous la surprise ?Oh, oh ! MADELON. Oui ce oh, oh ne peut pas être mieux. MASCARILLE. Cela ne semble rien. CATHOS. Il est miraculeuxEt ce sont là Monsieur, de ces choses si belles Qu'on ne les peut payer. MADELON. Sans doute elles sont tellesEt j'aimerais bien mieux, avoir fait ce oh, oh,Que tout un poème épique. MASCARILLE. [Note : Tudieu : Sorte de jurement burlesque. [F]]En effet il est beau,Vous avez le goût bon, tudieu, vous êtes fine. MADELON. Je ne l'ai pas mauvais, et souvent je rafine. MASCARILLE. Je m'en aperçois bien. Mais admirez vous pas !Je n'y prenais pas garde. On en voit rien de basDedans cette façon, je n'y prenais pas garde[Note : Mignard : qui a une beauté fine et délicate ; qui a les traits doux et agréables. Est aussi une épithète qu'on donne aux enfants pour les flatter et les caresser. [F]]Elle est fort naturelle, et de plus fort mignardeTandis que sans songer à mal qu'innocemment Comme un pauvre mouton, tandis que bonnementJe vous regarde, moi c'est justement à direQue je vous considère, et que je vous admireOu bien que je m'amuse, à contempler vos yeux.Votre oeil en tapinois ; peut-on s'énoncer mieux Tapinois ? De ce mot encor que vous en semble ?N'est-il pas bien choisi ? CATHOS. Dieux ? Qu'ils sont bien ensemble. MASCARILLE. Tapinois, en cachette, il semble qu'un bon chatAit pris une souris, ou bien quelque gros rat :Tapinois. MADELON. Il est vrai cette pensée est forte. MASCARILLE. Me dérobe mon coeur, me l'ôte me l'emporte,Au voleur, au voleur, au voleur, au voleur,N'est-ce pas peindre au vif, la perte de son coeur,Et ne diriez-vous pas ? Qu'on crie à pleine têteAprès quelque voleur, arrête, arrête, arrête, Comme en le poursuivant, tout saisi de frayeur,Au voleur, au voleur, au voleur, au voleur. MADELON. J'avouerai que cela, sans qu'ici je vous flatte,Délecte, et plaît, au goût de la plus délicate.Tant le tour est galant, spirituel et beau. MASCARILLE. L'air que j'ai fait dessus, me semble assez nouveau,Faut que je vous le die. CATHOS. À quoi bon ne pas dire,Que vous avez appris la musique, Ah ! sans rireVous ne faites pas bien. MASCARILLE. Quoi moi, j'aurais appris La Musique, Ah ! Jamais. CATHOS. Mes sens, en sont surpris Car comment donc Monsieur, cela se peut-il faire ? MASCARILLE. Les gens de qualité, n'ont rien qui soit vulgaire,Sans avoir rien appris, ils savent toujours tout. MADELON. Ma chère, assurément. MASCARILLE. Voyons si votre goûtEn trouvera l'air bon, écoutez, je commence. Hem, hem, la, la, la, la. J'ai fort peu d'éloquence,Ouais, la brutalité, de la saison qu'il faitEst furieusement contraire, à mon projet,Elle a gâté ma voix ; mais certes il n'importe,[Note : À la cavalière : En cavalier. C'est à dire, en parlant de l'air, de smanières, aisé, dégagé ; et aussi brusque, inconvenant, trop leste. [L]]C'est à la cavalière. Il chante.Oh, oh, je n'y prenais pas... CATHOS. Ah ! Dieux, cela m'emporte ; Que je trouve cet air pressant, passionné,Est-ce qu'on n'en meurt point ? MADELON. Il est assaisonnéDe la bonne façon ; mais dans cette musique[Note : Chromatique : terme de musique, qui est le second de ses trois gens qui abondent en demi-tons. Il a été appelé de ce nom parce que les grecs le marquaient avec des caractères de couleurs, qu'ils appellent chroma. [F]]L'on voit bien qu'on a mis, beaucoup de Chromatique. CATHOS. Cet air assurément est tout rempli d'appas. MASCARILLE. Dites-moi donc un peu si vous ne trouvez pasLa pensée assez bien dans le chant exprimée ?Au voleur. Et comme une personne animée,Qui pleine de transport, se mettant en chaleur,Bien fort crie, au, au, au, au, au, au, au voleur, Et tout d'un coup après tout comme une personneEssoufflée, au voleur. Quoi cela vous étonne ? MADELON. C'est là savoir le fin des choses, le grand fin,Le fin du fin, tout brille, et tout y charme enfin,Je vous promets, car j'ai de l'air et des paroles L'âme enthousiasmée. CATHOS. [Note : Hyperbole : Figure de Rhétorique qui augmente, ou qui diminue excessivement la vérité des choses dont elle parle. [L]]Et moi sans hyperboleJe n'ai jamais rien vu, de cette force-là MASCARILLE. Ah ! Tout ce que je fais me vient comme celaFort naturellement, et sans aucune étude. MADELON. C'est pour ne pas avoir beaucoup d'inquiétude, Et nous persuader, que la nature aussiVous a vraiment traité, Monsieur, jusques ici,Comme une vraie mère, un peu passionnée,Et ce génie ardent, dont je suis étonnée,Vous fait bien remarquer, pour son enfant gâté. MASCARILLE. À quoi donc passez-vous le temps ? CATHOS. En vérité,Monsieur, à rien du tout. MADELON. Par un sort incroyableNous avons demeuré dans un jeûne effroyableDe divertissement... MASCARILLE. Je m'offre à vous menerLe jour qu'il vous plaira, Mesdames, destiner Voir quelque comédie, on en doit jouer une,Dont je connais l'auteur, et qui n'est pas commune,Que je serai bien aise, au moins que nous puissionsS'il se peut voir ensemble. MADELON. [Note : Pactions : Ce mot se dit aujourd'hui [XVIIème] qu'en parlant d'affaires, et signifie accord ; convention ; clause qu'on met dans quelque contrat, ou traité. [F]]Ah ! Telles pactionsNe sont pas de refus. MASCARILLE. Aussi je vous demande Lorsque nous serons là, que toute notre bandeAdmire, approuve tout, applaudisse bien fort,Pour qu'on trouve tout beau, fasse tout son effort,Je veux vous engager, comme on m'y sollicite,De faire que la pièce ait grande réussite Car pour m'en conjurer, je vous jure ma foi,Que l'Auteur ce matin, m'est venu voir chez moi,Qu'à toute heure, en tous lieux il m'en prie et m'en presse,Et fait que mes amis me le disent sans cesse.C'est la coutume ici, qu'à des gens comme nous, Pour tous les vers qu'ils font, les poètes viennent tousImplorer nos bontés, et des pièces nouvellesFaire lecture, afin que nous les trouvions belles,Et qu'ils puissent aussi, par là nous engagerÀ leur donner grand bruit. Je vous laisse à juger Si d'une pièce enfin, quoi que nous puissions dire,Le parterre jamais, ose nous contredire.Pour moi j'y suis exact, et dès que quelque auteurM'est venu conjurer d'être son protecteur,Je crie avant qu'on ait allumé les chandelles, Que ses vers sont pompeux, sa pièce des plus belles. MADELON. Non, ne m'en parlez point, Paris, est bien charmant,Tous les jours il s'y passe, et fort évidemmentCent choses que toujours en province on ignore,Quelque spirituelle, et quelque soin encore Que l'on puisse apporter... CATHOS. C'est assez il suffit,Personne à tout cela, n'a jamais contredit ;Mais, Monsieur, puisque enfin nous en sommes instruitesNous ferons sûrement, tout ce que vous nous dites,Et nous nous récrirons, aussi comme il faudra Sur tout ce que d'esprit, et de beau l'on dira. MASCARILLE. Je ne vous dirai pas du tout, si je devineMais je me trompe fort, ou vous avez la mine,De quelque comédie, avoir fait le tissu. MADELON. Eh ! Il pourrait bien être, et sans que l'on l'ait su De cela quelque chose. MASCARILLE. Eh ! Bien si bon vous sembleMa foi, nous la verrons, quand vous voudrez ensemble ;Mais puisqu'il est ainsi, je veux sans différer, Un secret important ici vous déclarer.Entre nous, j'en ai faite une, je vous l'avoue, Que je veux dedans peu, faire en sorte qu'on joue. CATHOS. Et quels comédiens la représenteront ? MASCARILLE. Ah ! La belle demande, et ma foi ce serontLes grands comédiens, ils en sont seuls capables,Leur récit a toujours, des grâces admirables Dans leurs bouches les vers, sont beaucoup apparents ;Pour les autres on sait, qu'ils sont des ignorants ;Tous leurs gestes n'ont rien qui ne soit du vulgaire,Et comme on parle enfin, récitent d'ordinaire ;Les vers ne ronflent point, qu'articule leur voix, Ils ne s'arrêtent point, du tout, aux beaux endroits,Et quel moyen a-t-on ? De les pouvoir connaître,Si le comédien, ne les fait pas paraîtreS'il n'y fait une pose, et n'avertit par là[Note : Brouhaha : Acclamation, bruit sourd et confus, qu'on entend dans les assemblées où on fait des dscours publics, et où on donne des spectacles, lequel témoigne l'admiration, et l'applaudissement des assistants, quand il s'y trouve quelque chose d'éclatant, et qui touche l'esprit. Ce treme est surtout en usage parmis les comédiens, lorqu'on se récrie sur les beaux enroits de la pièce. [F]]À quels endroits, il faut faire le brouhaha. CATHOS. Il est une manière en effet, qui fait mêmeSentir à ses auteurs, tous les attraits d'un poème,Et les choses souvent, ne valent du tout rien,S'ils ne sont dans leur jour, et ne se disent bien. MASCARILLE, montrant le ruban de ses chausses. [Note : Petite-oie : On appelle figurément Petite-oie, Les bas, le chapeau, les rubans, les gants, et les autres ajustements nécessaires pour rendre un habillement complet. [Ac. 1762]][Note : Congruant : Qui convient à. [L]]Ma petite-oie est-elle a l'habit congruante ? CATHOS. Tout à fait. MASCARILLE. Le ruban est d'une main savante,N'est-il pas bien choisi ? MADELON. Furieusement bien[Note : Perdrigeon : nom propre d'un commerçant d'accessoires vestimentaires ou mercier du XVIIème.]C'est Perdrigeon tout pur. MASCARILLE, étalant ses canons. Ne me direz-vous rien[Note : Canon : Signifie encore un demis-bas qui s'étend depuis la moitié des cuisses jusqu'à la moitié des jambes. Est aussi un ornement de rond fort large et souvent orné de dentelle qu'on attache au dessous du genou, qui pend jusqu'à la moitié de la jambe pour le couvrir : ce qui était il y aquelque temps fort à la mode ; c'est dont Molière se raille. [F]]Aussi de mes canons ? Ont-ils l'heur de vous plaireDites, que vous en semble ? MADELON. Ah ! je ne m'en puis taire, Je confesse qu'ils ont un tout à fait bon air. MASCARILLE. Par ma foi je me plais, à vous ouïr parler.Je trouve que leur air, n'a rien que d'admirable,Et je puis me vanter, qu'il n'est rien de semblable,Qu'avec raison, j'en suis tout à fait satisfait, Puisqu'ils ont un quartier, plus que tout ceux qu'on fait. MADELON. Je dois bien l'avouer ; car je n'ai que je penseJamais d'ajustement vu porter l'élégance,Dedans un si haut point. Que vous donnez d'éclatÀ ce que vous avez. MASCARILLE, lui donnant ses gants à sentir. Mais de votre odorat Que la réflexion dessus ces gants s'attache. MADELON. Je n'eus jamais d'odeur plus douce que je sache,Et je puis confesser, sans doute avec raison,Qu'ils sentent en effet, et terriblement bon. CATHOS. Je n'ai point respiré, depuis que je suis née, Une odeur, qui me parût mieux conditionnée. MASCARILLE, lui faisant sentir ses cheveux. Et celle-là ? MADELON. Je dis avecque véritéQue je la trouve aussi de bonne qualité,Je sens qu'elle me plaît, et sens que je l'estime,À cause qu'elle est bonne, et qu'enfin le sublime En est certes, touché délicieusement. MASCARILLE, montrant ses plumes. Vous ne me dites rien de mes plumes, commentLes trouvez-vous, enfin ? CATHOS. On peut bien dire d'ellesQu'elles sont en effet, effroyablement belles. MASCARILLE. Vous vous y connaissez, je le vois ; mais encor [Note : v. 756, il y aun point d'interrogation après "brin" dans l'édition originale et non en fin de vers.]Savez-vous que le brin me coûte un Louis d'or ?Pour moi sans me vanter, il faut que je vous die,Que depuis bien longtemps, j'ai pris cette manieDe donner par ma foi, trop généralementSur tout ce que l'on voit, de rare et de charmant. MADELON. Nous sympathisons fort ensemble, je vous jure,Et c'est sans vous mentir, qu'ici je vous assureQue je suis délicate, et furieusementPour tout ce qui me sert, en mon habillement,Et jusqu'à des chaussons, je n'en puis d'ordinaire Souffrir, s'ils ne sont faits, de la bonne ouvrière. MASCARILLE, s'écriant brusquement. Mesdames, ahy, ahy, ahy, de grâce doucement,Ce n'est pas Dieu me damne, en user prudemment,De votre procédé, j'aurais lieu de me plaindre,Cela n'est pas honnête, et vous me faites craindre... CATHOS. Qu'est-ce que donc ? Qu'avez-vous ? Qui vous trouble, Monsieur. MASCARILLE. Toutes deux à la fois, s'attaquer à mon coeur,Me prendre à droit, à gauche, ah certes la partie,N'est pas du tout égale, et je veux garantie,Ou puisque vous allez, contre le droit des gens, Je vais crier au meurtre ; et sortir de céans. CATHOS. Il ne dit rien du tout qu'avec une manièreTout à fait agréable, et qui n'est pas vulgaire. MADELON. Il a dedans l'esprit un tour ; mais sans égal. CATHOS. Vous avez bien, Monsieur, plus de peur que de mal, Et votre coeur craintif, crie avant qu'on l'écorche. MASCARILLE. J'ai sujet toutefois, de faire ce reproche :Comment diable, je sens que quoi que vous disiezIl est depuis la tête écorché jusqu'aux pieds. SCÈNE X. Marotte, Mascarille, Cathos, Madelon. MAROTTE. On demande à vous voir. MADELON. Et qui ? MAROTTE. C'est le Vicomte : De Jodelet, qui veut... MADELON. Cette visite est prompte. MASCARILLE. Quoi ! Le Vicomte de... MAROTTE. C'est lui, Monsieur, vrai m'y. MADELON. Et le connaissez-vous ? MASCARILLE. C'est mon meilleur ami. MADELON. Vite, faites entrer. MASCARILLE. Certes cette aventureMe charme, et me ravit ; car ma foi je vous jure Que depuis fort longtemps, nous ne nous sommes vus. SCÈNE XI. Jodelet, Mascarille, Cathos, Madelon, Marotte. MASCARILLE. Ah ! Vicomte. JODELET, s'embrassant l'un l'autre. Ah ! Marquis, MASCARILLE. Que tous mes sens émusMarquent bien le plaisir, que j'ai de te rencontre. JODELET. Et la joie que j'ai, mon visage la montre. MASCARILLE. Baise-moi donc encor, Vicomte, baise-moi, Je t'en conjure. JODELET, l'ayant baisé. Il t'en faut de plus doux ma foi. MADELON. Nous commençons ma bonne, enfin d'être connues,Du beau monde chez nous, nous allons être vues,Puisqu'il prend le chemin de nous y visiter. MASCARILLE. Mesdames, s'il vous plaît, de ma part d'accepter Ce Gentilhomme-ci ; sans que je le cajole,Il est assurément, digne (sur ma parole)D'être connu de vous. JODELET. Il est juste, et de droitDe vous venir chez vous, rendre ce qu'on vous doit ;Car enfin, vos attraits exigent sur les hommes Leurs droits seigneuriaux. MADELON. Nous savons qui nous sommes,Monsieur, et c'est pousser pour nos esprits peu finsVotre civilité, jusqu'aux derniers confinsDe la galanterie. CATHOS. Ah ! Dieux, cette journéeDoit être comme grande, ensemble et fortunée, Marquée dans notre almanach. MADELON, à Almanzor. Petit garçon,Quoi vous faut-il toujours, faire votre leçon,Ne voyez-vous pas bien ? Surcroît de compagnie,Et qu'il faut un fauteuil. JODELET, s'assoit. C'est sans cérémonie. MASCARILLE. Ne vous étonnez pas, s'il est si déconfit, Il ne fait que sortir, d'un mal qui l'a bouffi,Comme vous le voyez, c'est pourquoi son visageEst si maigre, et si pâle. JODELET. Et c'est tout l'avantage,Et les fruits qu'on reçoit des veilles de la Cour,Des travaux de la guerre, et des soins de l'amour. MASCARILLE. Mais dites cependant, savez-vous bien Mesdames ?Qu'on place le Vicomte, au rang des belles âmes,Qu'il est de ces vaillants, à qui le fer sied bien,[Note : À trois poils : Figuré et familièrement, et par une plaisanterie tirée du velours à trois poils, à quatre poils, qui est le meilleur. Un brave à trois, à quatre poils, un homme qui se pique d'une très grande bravoure. [L]]C'est un brave à trois poils. JODELET. Vous ne m'en devez rien,Marquis, et nous savons ce que vous savez faire. MASCARILLE. Ah ! Ma foi, ma science, auprès vous doit se taire,Il est vrai que tous deux, nous nous sommes souventVus dans l'occasion. JODELET. Quelque fois trop avantEt même en des endroits, où l'on aura sans douteBien du chaud à souffrir. MASCARILLE. Oui ; mais Vicomte, écoute, Pas tant de chaud qu'ici, hay, hay, hay. JODELET. Nous avonsFait notre connaissance à l'armée, et vivonsDepuis en amitié. Le jour que nous nous vîmesPour la première fois, ma foi tous deux nous fîmesCe pacte d'être amis. Il commandait alors Un fort beau régiment de cavaliers très forts,Sur, si je m'en souviens, les galères de Malte. MASCARILLE. Il est vrai ; mais Vicomte, ici trop l'on m'exalte.Vous étiez toutefois, dans l'emploi devant moi,Et je me souviens bien à présent sur ma foi, Que je n'avais encor qu'une charge assez basse,Que vous étiez déjà dans une belle passe,Et que vous commandiez les deux mille chevaux. JODELET. La guerre est belle ; mais on a trop de travaux,Et la Cour aujourd'hui pour des gens de services Vous récompense mal. MASCARILLE. Ce ne sont qu'injustices :[Note : Pendre l'épée au croc : raccrocher ses armes, y renoncer.]C'est pourquoi, je veux prendre aussi l'épée au croc,Et ne plus m'exposer du tout à pas un choc. CATHOS. J'ai pour les gens d'épée, un très sérieux tendre. MADELON. Ils me plaisent aussi ; mais il faut pour me prendre, Assaisonner d'Esprit, la bravoure et le coeur. MASCARILLE. Te souvient-il Vicomte, avec quelle vigueurNous prîmes, toutefois suivis de la fortuneDessus nos ennemis, dis, cette demi-lune,[Note : Le siège d'Arrras est une bataille gagnée par les Français le 9 août 1640.]Étant devant Arras ? JODELET. Que veux-tu dire toi ? [Note : Demi-lune : en termes de guerre, se dit d'un dehors qui n'a que deux faces, qui forment ensemble un angle saillant. (...) On la mettait autrefois à la pointe du bastion, où le fossé étant arrondi a été cause qu'on lui a donné ce nom. [F]]Avec ta demi-lune, et tu rêves, je croisPenses-y, c'était bien, toute une lune entière. MASCARILLE. Il a parbleu raison. JODELET. J'y crus mon Cimetière,Je m'en souviens ma fois, car j'y fus fort blesséD'un grand coup de grenade, à la jambe, et je sais Que j'en porte la marque encore ; mais de grâce Faisant tâter à sa jambe.Tâtez vous sentirez le coup, voilà la place. CATHOS, ayant porté la main. La cicatrice est grande. MASCARILLE. Apportez donc aussiVotre main, et tâtez justement celui-ciLà, là le trouvez-vous ? Là derrière la tête. MADELON, ayant la main derrière la tête de Mascarille. Oui je sens quelque chose. Un tel coup vous apprêteAussi force lauriers. MASCARILLE. Je reçus ce coup-làMa dernière campagne. JODELET, à Cathos. Ah ! Tâtez donc voilà[Note : Gravelines : assiégée en 1644 par Louis XIII, reprise en 1652 par l'archiduc Léopold. Enfin, reprise par Vauban en 1658, quatre ans après une explosion de la poudrière qui détruisit la presque le totalité de la ville.]Encore un autre coup, je l'eus à GravelinesEt depuis j'ai souffert d'une fièvre maligne De fort âpres douleurs. MASCARILLE, mettant la main sur le bouton de son haut de chausse. Moi je vais vous montrerUne effroyable plaie. MADELON. Ah ! C'est trop folâtrer,Sans y voir on vous croit, et vos faits admirables. MASCARILLE. Ce sont à dire vrai, des marques honorablesQui font voir ce qu'on est. CATHOS. Ah ! Monsieur, sans cela Nous vous connaissons bien. MASCARILLE. Dis Vicomte, as-tu làTon carrosse ? JODELET. Pourquoi ? MASCARILLE. Nous mènerions ces Dames,Prendre hors des portes l'air, pour délecter leurs âmes,Et puis leur donnerions, par après un cadeau,Le temps nous y convie, il est tout à fait beau. MADELON. Nous ne saurions sortir d'aujourd'hui. MASCARILLE. Faut remettreÀ quelques jours d'ici la partie, et promettreAussi que vous viendrez. CATHOS. Hé ! Bien nous le voulons. MASCARILLE. Ayons donc pour danser ici les violons. JODELET. C'est fort bien avisé. MADELON. Pour cela, c'est sans peine Que nous y consentons ; mais faut qu'on nous amèneSurcroît de Compagnie. MASCARILLE. Holà, ho Poitevin,Bourguignon, Provençal, Champagne, Langevin,La Verdure, Lorrain, Basque, la Violette,La Ramée, Picart, Cascaret, la Valette, Au Diable les laquais, pour moi je ne crois pas,Que je ne rompe à tous les jambes, et les bras,Non je ne trouve point, de Gentilhomme en FrancePlus mal servi que moi, de ces races je pense ;Car ces canailles-là, ne m'entendent jamais. MADELON. Allez vite, Almanzor, là-bas dire aux laquaisDe Monsieur, qu'à présent ici l'on nous amèneDes violons ; à Marotte et vous prenez aussi la peine ;De nous faire venir ces Dames, et MessieursD'ici près, pour peupler aveque tous les leurs De notre bal si prompt la triste solitude. MASCARILLE. Ces yeux n'auraient-ils point détruit ta quiétude.Vicomte, qu'en dis-tu ? JODELET. Mais toi-même Marquis,Qu'en pourrais-tu penser ? MASCARILLE. Moi, par ma fois je disQu'ici nos libertés, sont à demi sujettes, [Note : Braie : Linge qui couvre le sparties honteuses, comme caleçons, haut de chausses. [F]]Qu'à peine elles pourront sortir les braies nettes,Au moins pour moi, je sens qu'en mon coeur je reçoisUne étrange secousse, et même aussi je croisQu'il n'est plus retenu, que par fort peu de chose ;Mais quand je le perdrais j'en chérirais la cause. MADELON. Dieux que tout ce qu'il dit, est fort et naturelQu'on voit bien qu'il n'a rien, qui soit matérielEt qu'il tourne à miracle une douceur ma chère. CATHOS. Il est vrai qu'il est seul, je crois qui puisse faireUne telle dépense, en esprit et savoir. MASCARILLE. Mesdames, toutefois pour vous mieux faire voirQue je ne vous ments point, je prétends ou je meureVous faire un impromptu, là-dessus tout à l'heure. CATHOS. Eh ! Je vous en conjure, avec toute l'ardeurEt la dévotion, ensemble de mon coeur Que nous ayons au moins quelque chose, qu'on sacheQue l'on ait fait pour nous. JODELET. Peste cela me fâcheJ'aurais envie aussi d'en faire tout autant ;Mais faut que vous sachiez et teniez pour constantQue je suis aujourd'hui, s'il faut que je m'explique, Beaucoup incommodé de la veine poétiquePour lui trop avoir fait de saignées ma foi,Ces jours passés. CATHOS. Monsieur, sans cela je vous crois. MASCARILLE. Que diable est donc cela ? Je fais toujours sans peine,[Note : Géhenne : Proprement, vallée près de Jérusalem où les juifs brûlaient leurs fils et leurs filles en l'honneur des idoles. Fig. L'Enfer en style de l'Ecriture.]Fort bien le premier vers ; mais je suis à la géhenne Pour poursuivre. Ma foi ceci presse trop fort :À loisir, je ferai pour vous sans nul effortEn vers un impromptu, qui sans doute je gageNe vous déplaira pas. JODELET. Il a pour son partageÀ mon sens, de l'esprit en démon. MADELON. Mais du grand, Du bien tourné, du fin, même du plus galant. MASCARILLE. Vicomte, depuis quand as-tu vu la Comtesse ? JODELET. Elle aurait bien raison d'accuser ma paresse ;Car il s'est écoulé trois semaines et plusDepuis que je l'ai vue. MASCARILLE. Ah Dieu ! J'en suis confus, Quoi l'aller voir si peu ? Mais faut que je te conteQue le Duc ce matin m'est venu voir Vicomte,Et m'a voulu mener courir avecque luiLe Cerf à la campagne. JODELET. Et tu l'as éconduit ? MASCARILLE. Quoi donc ? MADELON. Messieurs, voici nos amies qui viennent. MASCARILLE. Nous sommes obligés aux peines qu'elles prennent. SCÈNE XII. Jodelet, Mascarille, Cathos, Madelon, Marotte, Lucile. MADELON. Mon Dieu, vous nous devez mes chères pardonner.Ces Messieurs ayant eu dessein de nous donnerChez nous l'âme des pieds, nous vous avons choisiesPour pouvoir mieux répondre à telles fantaisies, Et pour remplir aussi les vides incongrus,Qui sont dans notre bal. LUCILE. Ah ! Ne nous tenez plusDe semblables discours. Nous sommes obligéesÀ votre souvenir, et serions affligéesSi vous ne vouliez pas toujours agir ainsi. MASCARILLE. Ce n'est qu'un bal pressé que nous faisons ici ;Mais quelqu'un de ces jours nous avons bien envieDe vous en donner un, au péril de la vie, Dans les formes : Mais quoi les violons enfin,Sont-ils là ? ALMANZOR. Oui, Monsieur. CATHOS. C'est trop d'être à la fin Sur ses pieds. Allons donc, mes chères, prenez place. MASCARILLE, dansant lui seul comme par prélude. La la la la la la. MADELON. Dieux ! Qu'il a bonne grâce,Et la taille élégante. CATHOS. Et la mine je croisDe danser proprement. MASCARILLE, ayant pris Madelon. Ma franchise avec moi,Aussi bien que mes pieds va danser la courante. Violons en cadence, ah ! Cadence pesante.Oh ! Qu'ils sont ignorants ? Ma foi l'on ne peut pasRien danser avec eux, quel étrange fracas,L'on ne sait ce qu'on fait. Le Diable vous emporte,Quoi donc, ne sauriez-vous jouer d'une autre sorte, Et de mesure la, la, la, la, la, la, la.La ferme, ô violons de village. JODELET, dansant ensuite. Oh ! hola ?Messieurs, ne pressez pas si fort votre cadence ?Je ne fais que sortir de maladie. MASCARILLE. Et danse,Vicomte. SCÈNE XIII. Du Croisy, La Grange, Mascarille. LA GRANGE. Ah, ah ! Coquins, que faites-vous céans ? MASCARILLE, se sentant battre. Ahy, ahy, ahy, je n'ai point ouï Monsieur, que je sacheQue les coups en seraient. JODELET. Ahy, ahy. LA GRANGE. C'est bien à vous,Infâme, à vouloir faire en ce lieu les yeux doux,Et l'homme d'importance. DU CROISY. Ah ! vous voulez paraître,Cela vous apprendra certes, à vous connaître. Ils sortent. SCÈNE XIV. Mascarille, Jodelet, Cathos, Madelon. MADELON. Que viens-je donc de voir ? MASCARILLE. Une gageure. MADELON. Non,Ou vous vous plaisez fort à sentir le bâton. CATHOS. Vous laisser devant nous battre de cette sorte. MASCARILLE. Mon Dieu, facilement je sais que je m'emporte,Et je n'ai pas voulu faire semblant de rien. MADELON. Pour votre honneur pourtant cela ne va pas bien.Quoi ? Tous deux ? Qui l'eût cru ? Même en votre présenceEndurer un affront, et de cette importance. MASCARILLE. N'importe, toutefois achevons, ce n'est rien.Depuis longtemps déjà nous nous connaissons bien : Vous savez qu'entre amis, quoi qu'on fasse et qu'on ose,On ne se pique pas pour si petite chose. SCÈNE XV. Du Croisy, La Grange, Mascarille, Jodelet, Madelon, Cathos. Les violons se tournent vers Jodelet. LA GRANGE. Ma foi, c'est trop marauds, vous divertir de nous,Et vous n'en rirez plus, je vous jure entre vous. MADELON. Quoi ? Dans notre logis votre audace redouble. Et qui vous y fait donc venir mettre le trouble ? DU CROISY. Hé ! Mesdames, comment devons nous endurerQue nos laquais, ici se fassent révérer.Que par des lâchetés que l'on peut dire extrêmes,Ils soient ici de vous, mieux reçus que nous-mêmes, Qu'à nos propres dépends, par un trait sans égalIls vous montrent leur flamme ; et vous donnent le bal. MADELON. Vos laquais ? LA GRANGE. Nos laquais, ces tours sont malhonnêtes,De nous les débaucher de même que vous faites. MADELON. Quelle haute insolence ? ô Ciel ! LA GRANGE. Ils n'auront pas Le bien que nos habits leurs donnent des appas ?Pour vous pouvoir par eux donner dedans la vue,Si vous aimez leur peau, ce sera toute nue,Et quand vous les verrez sans vêtements, et gueux,Vous les estimerez ma foi, pour leurs beaux yeux. Vite ! Qu'on se dépouille, ou bien dans ma furie... JODELET. [Note : Braverie : Dépense en habits. [F]]Je ne suis plus rien, adieu la braverie. MASCARILLE. Adieu, le Marquisat, adieu la Vicomté. DU CROISY. Qu'est-ce ? Qui vit jamais rien de plus effronté ?Vos victoires coquins, seront plus mal aisées. [Note : Brisées : On dit figurément, Marcher sur les brisées de quelqu'un pour dire, Suivre ses traces, imiter son exemple. On le dit aussi de ceux qui entreprennent le même dessein, qui écrivent sur le même sujet, quoi qu'ils le traitent diversement. [F]]Et vous ne pourrez plus aller sur nos brisées,Ou vous irez ma foi chercher en d'autres lieuxDe quoi paraître beaux, et contenter les yeuxDe ces rares beautés, et je vous en assure. LA GRANGE. Aurait-on pu prévoir une telle aventure, Et qui plus justement dût jamais s'emporter.Ah ! C'était trop faquins, que de nous supplanterAvecque nos habits ? MASCARILLE. Ta fureur est extrême,Ô sort ! DU CROISY. Que l'on leur ôte, et jusque aux choses mêmeQui sont peu d'importance. MASCARILLE. Hé... LA GRANGE. Sans raisonnement, Que tous ces habits-là, soient ôtés promptement.Dedans l'état qu'ils sont, dès à présent, Mesdames,Vous pouvez avec eux continuer vos flammes :Ici nous vous laissons en pleine liberté,Et nous vous protestons tous deux en vérité, Que nous n'aurons jamais aucune jalousie. CATHOS. Quelle confusion. MADELON. J'en suis toute saisie ! LES VIOLONS, au Marquis. Donnez-nous de l'argent, je n'entends point ceci,Lequel donc de vous deux nous doit payer ici ? MASCARILLE, le premier vers à part. Quand je vois ce revers, pour moi, je meurs de honte, Demandez s'il vous plaît à Monsieur le Vicomte. JODELET, le premier vers à part. D'un semblable revers mes sens sont ébahis.Demandez si vous plaît à Monsieur le Marquis. SCÈNE XVI. Gorgibus, Jodelet, Mascarille, Madelon. GORGIBUS. Coquines, qu'ai-je ouï ? Vous nous venez de mettreDedans de beaux draps blancs. On m'a sans rien omettre Dit toute votre affaire, et ces Messieurs aussiMe l'ont trop fait savoir, en s'en allant d'ici. MADELON. Mon père on nous a fait cette sanglante pièce. GORGIBUS. Je sais qu'elle est sanglante et marque leur adresse ;Mais votre impertinence en est le fondement, Ils se sont ressentis du mauvais traitementQue vous leur avez fait, infâmes, que vous êtes,Et leurs flammes ont droit d'être mal satisfaites :Il faut que cependant malheureux que je suisJe boive cet affront pour croître mes ennuis. MADELON. Ne nous dites plus rien, je vous donne assuranceQue de ce procédé nous tirerons vengeance,Que contre nous aucun ne les peut secourir,Ou qu'en la peine enfin, l'on nous verra périr.Et vous marauds, encor vous avez l'assurance De rester dans ces lieux, après votre insolence. MASCARILLE. [Un] Marquis comme moi, se voir ainsi traité,Certes, un tel affront ne peut être goûté.Ah ! Par cette froideur injuste et sans secondeJe ne connais que trop ce que c'est que le monde, À la moindre disgrâce, on vous méprise tous,Qui vous aimait le plus, s'ose railler de vous.Puis donc qu'il est ainsi, souffrons cette injustice,D'un sort commun à tous, endurons le caprice,Allons cher camarade, allons nous-en ailleurs, La fortune pour nous aura plus de douceurs,La vertu sans grandeurs n'est point ici connueEt l'on l'en fait sortir, quand elle est toute nue. SCÈNE XVII. Gorgibus, Madelon, Cathos, Violons. LES VIOLONS. Nous attendons ici, Monsieur, à leur défautDe recevoir enfin de vous, ce qu'il nous faut : Car puisque tout travail mérite son salaireIl faut payer celui que nous venons de faire. GORGIBUS, en les battant. Je m'en vais maintenant tous deux vous contenterEt c'est ici l'argent que je vous veux compter.[Note : Incartade : Insulte, ou affront qu'on fait à quelqu'un en public, et par bravade. Il est du style simple et familier. [F]]Et vous qui tous les jours faites tant d'incartades. Qui consommez le temps à faire des pommades.Je ne sais qui m'empêche et me retient iciQue dedans ma fureur je ne vous frotte aussi :Par tout notre maison se verra méprisée,Nous servirons par tout de fable et de risée Chacun dira son mot pour nous déshonorer,Voilà ce que sur nous vient enfin d'attirerEt votre impertinence, et vos humeurs hautaines.Allez donc vous cacher, allez grandes vilaines,Et vous des gens oisifs, lâches amusements, Vers, sonnets et chansons, sonnettes et romans,Livres pernicieux, folles et vaines fablesPuissiez-vous pour jamais aller à tous les diables. ==================================================