******************************************************** DC.Title = SAPHO DC.Author = SILVESTRE, Armand DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Monologue DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 29/12/2024 à 21:05:51. DC.Coverage = Grèce DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/SILVESTRE_SAPHO.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k98098825 DC.Source.cote = BnF LLA 8-YTH-20462 DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** SAPHO Représenté pour la première fois, à Paris, sur le théâtre de la GAÎTÉ, le 5 novembre 1881. ARMAND SILVESTRE 13129. Dijon-Paris, Imprimerie Régionale. - Dr : J. CHAVALIER. PERSONNAGE SAPHO, Mlle ROUSSEIL. ALCÉE, M. SILVAIX. La scène est au promontoire de Leucade. SAPHO SCÈNE PREMIÈRE. SAPHO, seule, tenant sa lyre dans l'attitude de la statue de Pradier. Enfin de mes douleurs la coupe est-elle pleine?Il est mort ! - Des bergers venus de MitylèneM'ont dit qu'il était mort, celui que j'adorais !Celui que par les monts, les villes, les forêts,J'ai poursuivi, pareille à la bête chassée Emportant à son flanc le trait qui l'a blessée ![Note : Phaon : dans le mythologie grecque, homme réputé pour sa beauté. Il est présent avec Sapho sur un tableau de Davis (1809)]Ô Phaon, triste amant qui fis mes jours amers,J'ai, le coeur plein de toi, cherché le bord des mersPour répéter ton nom, dont ma honte s'honore,A l'innombrable écho de la vague sonore Et le faire immortel ainsi que mon chagrin !J'ai voulu te haïr, jeune homme au coeur d'airain !Je l'ai cru ! la colère à notre âme est un leurre.Ingrat, je t'ai maudit !... Mort ! hélas ! je te pleure !Oubliant tes mépris, fière de mon affront, Je veux chanter encor la grâce de ton front,Et qu'aux siècles lointains, cette lyre outragéeDise comment, de toi. Sapho s'était vengée ! Elle prend sa lyre. ICelui qui passait triomphantDebout dans sa grâce farouche, Sous l'or de ses cheveux d'enfantDont le flot attirait ma bouche,Celui dont la feinte douceurM'atteignit de blessures telles,C'était Phaon le beau chasseur Dont les flèches étaient mortelles IIComme Phoebus, l'archer des cieuxDont nul ne fuit la flèche sainte,Il passait, lent et gracieux,Le front couronné d'hyacinthe. Vainqueur, il traînait sur ses pasMon âme par lui déchirée,Et mon sang qu'il ne comptait pasEmpourprait sa route sacrée ! IIIPareil au feu de l'Orient Qui monte des bords de la plaine,Il s'était levé, souriant,[Note : Mitylène : ville située sur l'île de Lesbos.]Dans le ciel d'or de Mitylène.Ô jour pour moi sans lendemain !De mes yeux cachant la brûlure, Aveugle, j'ai pris son cheminAux parfums de sa chevelure ! IVMon coeur ne s'est pas révoltéContre la loi qui porte en elleQue de l'éternelle Beauté Vienne la torture éternelle.Toi qui fis descendre aux enfersMon âme à ton charme asservie,Phaon, les maux que j'ai soufferts,Je les pleure et je les envie. VCar je ne te reverrai plus,Ô fils rayonnant d'une aurore,Et, plus que jamais superflus,Mes cris t'appelleraient encore !Aux astres déclinants pareil Dont la nuit seule sait le nombre,Tu descendis au flot vermeilOù ma plainte évoque ton ombre. VIMer aux abîmes infinis,[Note : Cythérée : Terme de mythologie. Nom donné à Vénus, à cause de l'île de Cythère où cette déesse fut portée sur une conque marine. [L]Terme de mythologie. Nom donné à Vénus, à cause de l'île de Cythère où cette déesse fut portée sur une conque marine. [L] ]Ainsi qu'autrefois Cythérée, Je pleure un nouvel AdonisLe long de ta route sacrée.Ton bruit doucement obsesseurEmporte, en la berçant, ma plainte...Car il est mort, le beau chasseur Au front couronné"d'hyacinthe ! Après un silence.Il est mort ! les bergers me l'ont dit : c'est certain !Où ? je ne le sais pas. Depuis que le destinM'obstinait sans relâche à sa trace infidèle,Ingrat, il me fuyait, comme fait, d'un coup d'aile. L'oiseau craintif devant le batteur de buissons.C'est toi, fière Sapho, qui, rebelle aux leçonsDes sages, aussi bien qu'à l'amour des poètes,Souffris de tels dédains les tortures muettes !D'autres m'avaient aimée : Alcée, entre tous grand ! Mais que nous fait l'honneur lorsque l'amour nous prend,Dans le coeur dévasté ne souffrant qu'une image ?Ses mépris m'étaient doux bien plus que leur hommageQuel vide maintenant ! plus même cet affrontSous lequel, orgueilleux, s'humiliait mon front ! Tout a repris, pour moi, la nudité première !...Ses yeux, en se fermant, m'ont ravi la lumière. Elle reste un instant accablée. - À ce moment, un vieillard s'approche d'elle et la contempla douloureusement. C'est Alcée. Elle ne le voit pas. SCÈNE II. Sapho, Alcée. ALCÉE, à part. C'est elle !... Belle encore ! Et pourtant les regretsÀ leur cruelle empreinte ont façonné ses traits. Haut.Sapho ! Silence de Sapho.Quelle douleur ! Plus haut.Sapho ! SAPHO, écartant ses mains de ses yeux, avec effroi. Qui vient ?... Alcée ! ALCÉE. Quoi ! Tu me reconnais malgré l'ombre amasséeDans mes yeux par le Temps dont le doigt m'a courbé,Malgré le flot de neige à mes cheveux tombé ! SAPHO. Oui, je te reconnais et je sais qu'avant l'âge,Causés par moi, les pleurs ont flétri ton visage Et t'ont fait de souci bien plus que d'ans chargé !Mais ne me maudis pas !... Les dieux t'ont bien vengé ! ALCÉE, avec douceur. Te maudire, Sapho !... Oui, tu me fus cruelle !Mais, sous une torture aveugle et mutuelleEnchaînés par l'Amour, les hommes sont, pour moi, Les bourreaux innocents d'une implacable loi.Lambeau de robe pris au dos sanglant d'Hercule,L'Amour est un fouet qui dans nos mains circule,Passant de l'un à l'autre et partout flagellantLa vierge triomphante et le vieillard tremblant ! Pour qui conçoit ainsi l'Amour et son salaire,Contre qui nous torture il n'est pas de colère.Non ! je ne t'en veux pas, Sapho ! C'est un ami,Sachant contre l'Amour ton coeur mal affermi,Qui vient te consoler, pour que, par moi plus forte, Le faix que j'ai porté ton âne aussi le porte ! SAPHO, sombre. Qui t'a dit ma douleur ? ALCÉE. Je n'ai rien ignoréDes peines dont ton coeur, Sapho, fut déchiré.Mon souvenir pensif partout t'a poursuivie,Toi qui restes mon Rêve ayant été ma Vie ! SAPHO, plus doucement. Puisque tu sais le mal qu'il m'a fallu souffrir,Ami, tu sais aussi que rien n'en peut guérir ! ALCÉE. Sans fermer à jamais sa blessure sacrée,On en peut adoucir la douleur acéréeEt d'un flot moins fougueux en laisser fuir le sang. SAPHO, avec ironie. Qui t'apprit ce remède au pouvoir caressant,Ce baume dont le coeur est soulagé ? ALCÉE. Toi-mêmeEt l'affreuse douleur qu'on souffre quand on aime ! SAPHO. Va, tu ne m'aimais pas, puisque tu n'es pas mort ! ALCÉE. Épargne à ton génie un éternel remord.Ô poète ! Lui montrant sa, lyre.En tes mains prends la lyre immortelle.Le refuge aux souffrants et le salut, c'est elle !Comment, dis-tu, par moi mon mal fut supporté ?- Je me suis souvenu, ma soeur, et j'ai chanté : ILa Lyre est l'amie éternelle !L'Art montre l'éternel chemin !Tout bonheur durable est en Elle,En Lui gît tout l'honneur humainAux saintes cordes de la Lyre Vibre, après l'amoureux délire,Le réveil de notre fierté.À notre coeur même arrachées,Elles chantent, sitôt touchées,Un hymne d'immortalité ! IILa Lyre est la porte ferméeQui garde le jardin des cieux :Par Elle à notre âme charméeS'ouvre un séjour délicieux.Comme un chasseur qui tend ses toiles, Le poète prend des étoilesAu réseau de ses cordes d'or ;Et, des planètes effaréesVolant les ailes déchirées,Fuit dans l'azur plus haut encor ! IIISonore, éclatante et vermeille,Oiseau chantant, flambeau qui luit,La Lyre à l'Aurore est pareille,Chassant les ombres de la Nuit.Aux ténèbres du coeur levée, Souriante et de pleurs lavée,Elle monte en resplendissant,Et, sur nos tètes suspendue,Fait flamboyer dans l'étendueNos larmes avec notre sang ! Il a élevé la lyre au-dessus de sa tète. - Sapho, partageant son enthousiasme, la lui reprend. SAPHO. IVOui ! tu dis vrai : la Lyre est sainte !Pardonne, ami, si j'ai douté !C'est vivre encor que, de sa plainte,Éveiller l'immortalité ;Que mêler encor son génie A l'universelle harmonieDes maux par les autres soufferts,Et, cette Lyre pour trophée,D'aller comme autrefois Orphée,Gémir jusqu'au seuil des enfers ! ALCÉE, joyeusement. J'aime à te voir ainsi, Sapho ! - Reprends courage !Et les dieux de ton ciel chasseront cet orage.Car tous, - et j'ose enfin te le dire en ce jour - Nous rougissions pour toi de cet indigne amour.Un ingrat qui, tandis que Sapho se lamente, S'enivre lâchement aux bras d'une autre amante !... SAPHO, bondissant. Phaon ! Mais il est mort ! ALCÉE. Non pas ! Il est vivant ! SAPHO. Tu t'abuses, Alcée ! ALCÉE. Hier encor, triomphant,Je l'ai vu dans Lesbos avec Cassiopée ! SAPHO. Phaon vit !... Mais alors ces bergers m'ont trompée ! Phaon vit et Lesbos qui m'a donné le jourPrête son ciel impie à son coupable amour !Tout, jusqu'à mon berceau, me devient infidèle !Ô sombre vision je le vois auprès d'elle !Sa bouche est sur sa bouche ! Il lui donne un baiser ! Ne tomberas-tu pas, ciel, pour les écraser !Ô folle, qui pleurais cet homme qui t'outrage,Demande au désespoir un suprême courage !Phaon vit ! Mais alors c'est moi qui vais mourir ! Elle s'avance vers la mer, Alcée va pour la retenir. ALCÉE. Grands dieux ! SAPHO, le repoussant avec violence. Arrière, toi qui sais vivre et guérir ! Vieillard dont la douleur s'endort au chant des lyres.Prenant sa lyre avec colère.Et toi, vain instrument des antiques délires,Lyre, qui n'a rien pu pour mon coeur trop amer,Tu descendras, brisée, avant moi, dans la mer ! Elle la précipite dans les flots. ALCÉE, cherchant à la calmer. Tout à l'heure pourtant... SAPHO. Je pleurais tout à l'heure !Mais, Alcée, à présent, regarde si je pleure !Dans le feu de mes yeux lis mon dessein mortel ! Elle s'approche du rivage. ALCÉE, cherchant à l'arrêter encore. Au gouffre tu descends ! SAPHO. Non ! je monte à l'autelDu Dieu qui, seul,,guérit l'inguérissable plaie ! Car mon corps que l'Amour a traîné sur sa claieNe veut plus d'autre lit que l'éternel tombeau !Car je porte un coeur vide et des yeux sans flambeau,Ne sentant plus en moi que la terreur de vivre ! ALCÉE. Où vas-tu, malheureuse ? SAPHO. À la mort qui délivre ! Au néant qui m'appelle et m'ouvre enfin ses bras ! Elle se précipite dans la mer. - Alcée pousse un cri, puis, après un moment de silence. ALCÉE. Ô Sapho, dans tes chants, malgré toi tu vivras. ==================================================