******************************************************** DC.Title = L'AIGUILLEUR, MONOLOGUE DC.Author = SCHELER, Alphonse DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Monologue DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 29/04/2024 à 21:17:18. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/SCHELER_AIGUILLEUR.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k11704066 DC.Source.cote = BnF LLA 16-YTH-311 DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** L'AIGUILLEUR MONOLOGUE DRAMATIQUE Dit par M. WORS de la Comédie Française Professeur au Conservatoire. SIXIÈME ÉDITION. PRIX 1 FRANC 1895 Tous droits réservés. ALPHONSE SCHELER Imprimé par J. COUCHOUD et Cie à Lausanne. PERSONNAGE. LE RÉCITANT. L'AIGUILLEUR ***************** Erreur dans l'interprétation du texte (ligne 372, programme : edition_txt_TOUT.php)C'était à Wissembourg le plus joyeux luronQu'on connût, et chacun l'aimait, le forgeronWalter, du plus petit jusqu'à Monsieur le Maire.Travailleur, sobre et bon. il avait pour sa mère,Dont fort jeune il était resté le seul soutien, Un de ces dévouements qui, dans chaque entretien,Par tous était cité. Debout avant l'aurore,À l'atelier la nuit le retrouvait encoreLimant, chantant, riant et forgeant du soleil,À l'heure où le bourgeois déjà songe au sommeil. Si quelque compagnon l'appelait au passage,Disant : ? « c'est se tuer, Walter, tu n'es pas sage;« Viens donc vider un verre au cabaret voisin. »- « Merci, répondait-il, le beau jus du raisin« Profite doublement quand il coule en famille; Regarde, la maman m'attend sous la charmilleOù fume le souper, qui serait incompletSi je n'étais pas là pour chanter mon couplet. »Comme pour éviter toute oiseuse réplique,Le marteau reprenait son refrain métallique Et l'on n'insistait pas, car chacun savait bienQue quand Walter avait dit non, c'était non. RienNe le délassait mieux d'ailleurs, que la veilléePassée avec sa mère heureuse, émerveilléeToujours de son fils, rien... sinon les doux instants Consacrés, chaque fois qu'il en trouvait le temps,A Relia, brave enfant, fille aussi d'une veuve.Tous deux en même temps avaient connu l'épreuveDe voir mourir leur père, et l'amour bien souvent,Pollen vers le pistil entraîné par le vent, Naît d'un chagrin commun; attraction divineOù, dans un même sort, l'un l'autre on se devine.Or. dans tout le pays, pour nos deux amoureux,Il n'était qu'un souhait : « Puissent-ils être heureux. » II.La guerre vint. Walter parut tout à coup sombre. L'horizon, lumineux hier, se voile d'ombre.Sans doute il était fils unique et. comme tel,Dispensé d'exposer son front au coup mortel ;Mais c'était une mère aussi pour lui, la France;Plus malheureuse, il lui donna la préférence. Le lendemain, l'adieu se lit au petit jour,Et Walter s'en alla fort de son triple amour.[Note : Cette partie jusqu'à la prochaine note est supprimée au débit par M. Worms ; voir à la fin du poème, la variante à intercaler.]Ah ! Comme en un instant a changé la demeureDu brave forgeron. Hier à la même heureL'acier tintait gaîment sous les coups du marteau ; Aujourd'hui plus d'enfants assemblés en troupeau,Plus d'étincelles d'or jaillissant de l'enclume,Plus de soufflet qui geint, de charbon qui s'allume,De reflets rougissant les visages bistrés.Tout est clos. Et là-bas. comme des sinistrés Échappés par miracle à quelqu'affreux naufrage,Deux femmes, sans parler pour garder le courage,Reviennent gravement, les yeux au sol baissés.Pas de plainte; à quoi bon ) Doux êtres délaissés,Ils savent que Walter se doit à la patrie Et, résignée au sort, tout bas chacune prie. IIILe jour baisse. Écoutez. Depuis l'aube on se bat.Les deux camps ennemis, poursuivant leur sabbat,Mêlent leurs cris aigus aux signaux des trompettes.Comme le vent du Nord soufflant dans les tempêtes. Les balles font entendre un strident sifflement ;Le fracas des obus et le sourd grondementDes canons, vomissant leurs terribles mitrailles,Font frémir par instants la terre en ses entrailles.Une fumée épaisse obscurcit le couchant, Et, moissonneurs de mort acharnés à leur champ,Les Français, à tout prix voulant la place nette,À corps perdu s'en vont, fous, à la baïonnette.Spectacle horrible, hélas! où nul n'a de souciQue de tuer toujours, de tuer sans merci. Walter est là-dedans; lui, si bon, lui, si tendre,Il est là, l'oeil hagard, frappant sans même entendreLes plaintes des blessés, le râle des mourantsQui tombent sous ses coups. Il frappe, et dans les rangsSi quelque camarade hésite, il l'encourage : « En avant! En avant! » hurle-t-il, grand de rage.On le suit. L'ennemi, de stupeur atterré,Recule. Il est vaillant, mais il est resserréDans une gorge étroite, et la nuit devient noire...Soudain résonne un cri formidable : ? Victoire!... Gomme un globe de feu la lune en ce momentSe lève à l'horizon et l'on voit nettementÀ travers prés, fossés, champs labourés et vignes,Abandonnant fusils, canons, tambours, insignes,Les Prussiens éperdus se sauver en troupeau, Tandis que, tout sanglant. Walter tient leur drapeau.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .Hélas! le lendemain, dans l'ambulance étroite,Un docteur amputait trois doigts de la main droiteAu noble forgeron. Alors on l'entendit Exhaler une plainte; un instant il perditCourage et lui, si lier naguère sous les armes,Comme un enfant laissa couler de grosses larmes.- « Mes doigts, mes pauvres doigts », disait-il sanglotant,« Et toi, marteau fidèle, outil que j'aimais tant, « Tu ne sonneras plus ta rude mélodie,« Il faudra pour ma mère, hélas ! que je mendie,« Ah ! cet obus aurait bien dû m'atteindre au coeur !... »Et le sommeil put seul consoler ce vainqueur. IVTrois ans sont écoulés. Dans l'affreuse tourmente, Vaisseau mal équipé sur la mer écumante,La France a bien souffert. Son sol on l'amoindrit,Ses coffres sont vidés; mais son plus pur espritLui reste par bonheur au fond de sa besace,Avec l'amour fécond des nobles fils d'Alsace, Seul baume alors qui pût apaiser sa douleurEt donner quelqu'espoir après un tel malheur.Ceux que ne retient pas le facile bien-êtreOnt préféré la France au lieu qui les vit naître...Vous pouvez conquérir, empereurs; vous pouvez Agrandir vos états, faire sur les pavésCouler le sang de vos guerriers,' livrer aux flammesLes cathédrales ; mais vous n'aurez plus les âmes,Non, non, ces temps sont loin de nous. Tous sont partis.Ils s'en sont tous allés, les riches, les petits, Résignes, appauvris, tous grands du sacrificeFait simplement et sans calcul, sans artifice.Ah ! qui dira le coeur qu'il fallait pour partir,Pour laisser ce clocher qui devait retentirAu baptême prochain, au prochain mariage? Qui dira les soupirs en faisant le triageDes mille riens aimés dont on fut entouréToujours, doux souvenirs de quelqu'être adoré?Les donner ? Non jamais, encore moins les vendre?Plus d'un a préféré les voir réduire en cendre; Qui dira les sanglots dont chacun fut témoin,Et combien sont restés qui voudraient être loin ?...[Note : Fin de la suppression.]Walter l'un des premiers, le couteau sur la gorge,Pour un morceau de pain a dû céder sa forge ;Sa pauvre mère est morte et la douce Relia A voulu ce mari qu'un obus mutila.Tous deux péniblement, mais gardant l'espérance,Ont suivi le chemin qui conduit vers la France.Arrivés là, que faire ? Il leur reste bien peu;L'argent, dans ce Paris, c'est de la paille au feu !... Si sobre que l'on soit, il faut pourtant qu'on vive;On dépense bien plus dans la vie inactive.Walter a postulé dans les chemins de fer:Il attend. Les bureaux ! mais c'est comme l'enferDont on sort rarement, dit-on, quand par la porte On est entré; sa lettre est là-dedans. Qu'importeUn ouvrier? mon Dieu! tous les jours par milliers11 s'en présente au point d'user les escaliers ;La paperasse, hélas ! Dans les cartons fourmille,Et Rella doit bientôt augmenter la famille, Moment pour tous critique et pour eux plus encor,Car Walter est au bout de son petit trésor.Le jour il sort a lin de cacher à sa femmeSon souci. - Mendier !... Non ! ce serait infâme!Puis il est pris parfois d'un si grand désespoir Qu'il évite les ponts lorsqu'il rentre le soir;Mais alors aux reflets de quelqu'humble vitrineS'éclaire le ruban qu'il porte à la poitrine,Et bientôt, oublieux de ses propres malheurs,Pour la patrie en deuil il trouve encore des pleurs. Tel, après l'ouragan, lorsque le ciel rougeoie,Le pilote inquiet, renaissant à la joie,Annonce aux passagers qu'on aperçoit le port,Tel, par un soir d'hiver, dans son premier transport,Walter, comme un rayon à travers la lézarde, Entra tout radieux dans la triste mansardeEn criant à Relia qu'il était aiguilleur!- « Ils allaient donc enfin avoir un sort meilleur.« Quinze cents francs par an. l'aubaine est opportune,« Mais quoi ?... Pas un seul mot quand je tiens la fortune, « Que veut dire?... » - « Elle dort, silence», interrompitUne brave voisine. « Ah ! qu'elle ait ce répit,« Car elle a bien souffert; vous avez une lille,« Embrassez, doucement... est-elle assez gentille? »Et, se voyant renaître enfin dans son enfant, Doublement ce soir-là Walter fut triomphant. V.Avril déjà trois fois est revenu, fidèle,Ramenant avec lui les cris de l'hirondelle,Les bourgeons verdoyants, les horizons dorés,Le ramage des nids et les (leurs dans les prés. Ainsi qu'une épousée au moment de l'attente,La nature a repris sa toilette éclatante.Tout rayonne et sourit; herbe, ruisseau, buissons,Aux baisers de la brise ont d'amoureux frissons.Le soleil fécondant couvre de ses caresses Plaines, côteaux, forêts. Prodigues de tendresses,En haut des peupliers, les corbeaux, bec à bec,Croassent d'avenir dans leur lit de bois sec.Sur un banc vermoulu devant l'humble guérite,Réduit étroit et sombre où l'aiguilleur s'abrite, Une femme, un enfant sont assis. Le repasCe jour-là Marguerite est lourde après dîner,Son regard indécis et doux fait devinerUn besoin de sommeil. ? « Ne dors pas, ma chérie »,Dit Relia, chatouillant l'enfant pour qu'elle rie Ut se réveille,? «allons! nous retournons chez nous».Mais Walter l'a déjà prise sur ses genouxEt cherche à l'endormir. ? Oh ! laisse-la moi, femme,« J'éprouve en ce moment un tel bonheur dans l'âme« Que la voir s'en aller me rendrait tout chagrin. » - « Grand enfant », songe donc que le train« Va passer avant peu, tu dois être à ton poste. »Mais l'homme se levant et, pour toute riposteSouriant à sa femme, emporte lestementL'enfant dans la guérite et là, d'un vêtement Sur deux chaises posé, lui fait une couchette,Et, tandis que Relia se dérobe en cachette,Walter, plus qu'une mère, ému, silencieux,Regarde par degrés se clore les beaux yeuxDu chérubin laissé seul à sa vigilance. . . . . . . . . . . . . . .Le bruit de la cornette a troublé ce silence.L'enfant n'a pas bougé, pour sûr il doit dormir.On entend vaguement soupirer et gémirComme un taureau blessé : c'est la locomotive Qui s'approche, entraînant dans sa course hâtiveChoses, bêtes et gens, comme en un tourbillonFormidable et sans fin, monstre qu'un aiguillonSemble avoir mis en rage et que plus rien n'arrête.Walter court au devoir ; déjà l'aiguille est prête, L'express descend la pente et sa vitesse croitÀ chaque instant du double. or, juste en cet endroit,L'aigu sifflet fend l'air, il annonce la ville.Et dans le fond des bois, l'écho siffle servile.Répercutant aussi le confus roulement Qui devient plus bruyant de moment en moment.D'une main l'aiguilleur nerveux tient la lentille,Soudain, tournant le tête, il voit là-bas sa fille.Horrible vision ! - Elle accourt en riant;Calme entre les deux rails, où, faucheur effrayant, La convoi va passer ? - « Non, non, c'est impossible...Ce n'est pas mon enfant, puisqu'il dort là paisible...Je suis halluciné ... mais non... Bébé va-t-en !...Mon Dieu, que devenir ?... » - Le monstre haletantS'avance. - « Marguerite ! Ô ma fille chérie... Sauvez la donc, mon Dieu ?... » Mais c'est en vain qu'elle crie :Sa fille en trottinant, va tranquille à la mort.- L'aiguilleur, torturé par un affreux remord,Sent une brume rouge obscurcir sa cervelle...Lorsque à ses yeux soudain un moyen se révèle : - « S'il aiguillait à gauche !... À gauche ?... Oh ! Malheureux !...Faillir à son devoir !... Non... Ce serait affreux...N'a-t-il pas dans sa main le sort de mille vies ?Par sa faute peut-être elles seraient ravie !Jamais ! » Et, détournant les yeux, résolument Sur sa fille, qui glisse et tombe en ce moment,Il lance le convoi. L'express passe rapide.Et l'aiguilleur s'affaisse, évanoui, stupide.Mais tandis que le train file à toute vapeur,L'enfant s'est relevée, ayant à peine eu peur. Elle court à l'endroit où gît son pauvre père,L'appelle en l'embrassant. ? Bientôt le charme opère ;Et, baisant ce trésor qu'un miracle a sauvé,Walter dit sanglotant : ? « Mon Dieu ! J'ai donc rêvé ! » ==================================================