******************************************************** DC.Title = LA FAUSSE PAYSANNE, opuscule dramatique. DC.Author = SACY, Claude-Louis-Michel de DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Opuscule dramatique DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 01/02/2021 à 07:00:12. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/SACY_FAUSSEPAYSANNE.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LA FAUSSE PAYSANNE OPUSCULE DRAMATIQUE M. DCC LXXVIII. Avec Approbation et Privilège du Roi. De SACY, Claude-Louis-Michel de À PARIS, Chez DEMONVILLE. Imprimeur-Librairie de l'Académie Française, rue Saint-Severin, aux Armes de Dombes. PERSONNAGES ORGON, riche Bourgeois. MADAME CATAU, Entremetteuse. HORTENSE. MONSIEUR DE LA ROUPILLIÈRE, Bas-Normand. La Scène est à Paris, dans la Maison de Madame Catau. Édition tirée de Claude-Louis-Michel de Sacy, Le Retour du distrait, opuscule dramatique, dans Opuscules dramatiques, ou Nouveaux amusements de campagne, tome second, Paris, Chez Demonville, Imprimeur-Libraire de l'Académie française, 1778, p. 1-32. LA FAUSSE PAYSANNE. SCÈNE PREMIÈRE. Orgon, Madame Catau. MADAME CATAU. Ainsi, Monsieur, vous êtes résolu de faire un choix si bizarre ! ORGON. Oui , Madame Catau. MADAME CATAU. Et tout ce que je vous ai dit et répété cent fois depuis huit jours, ne peut vous en détourner ? ORGON. Non, Madame Catau. MADAME CATAU. Encore, si vous demandiez pour épouse une fille née au village, au sein de l'indigence, mais dont la naissance fût honnête, et dont l'éducation n'eût pas été négligée ! Mais vouloir que je vous cherche une femme qui vous apporte pour dot des moeurs grossières, un langage plat, un maintien ridicule, une ignorance crasse, c'est exiger l'impossible. ORGON. L'impossible , Madame Catau ! Mille écus que je vous ai promis aplaniront bien des difficultés. MADAME CATAU. Eh ! Que dira-t-on de moi dans le monde, lorsqu'on saura que c'est par mon entremise que s'est fait ce grotesque mariage ? Vous allez me perdre de réputation. ORGON. [Note : Famé : On l'a dit sans adverbe au sens de : très connu. [F] Syn. Fameuse.]Elle est trop bien établie ; et Dieu me damne, s'il y a dans Paris une entremetteuse aussi bien famée que vous. MADAME CATAU. Je voulais cependant vous proposer une jeune personne, l'élite de notre sexe, douée de toutes les vertus, fille de gentilhomme. ORGON. Et qui croirait faire trop d'honneur à un roturier, en acceptant fa fortune et sa main. MADAME CATAU. Vous cherchez une fille indigente, qui vous doive son existence et son bonheur. Celle que je veux vous présenter, intéressante par ses charmes, par ses grâces, l'est beaucoup plus encore par ses malheurs. ORGON. J'entends : c'est quelqu'aventuriere , quelqu'héroïne de roman. MADAME CATAU. Elle est d'une humeur égale et douce ; elle sera pleine de prévenances. ORGON. Pour tout autre que son mari. MADAME CATAU. Elle a de l'esprit naturel, cultivé par des lectures choisies. ORGON. Oh ! Parbleu, la femme la plus ignorante en sait trop encore. MADAME CATAU. Elle est modeste dans sa parure. ORGON. Parce qu'elle est pauvre ; mais devenue ma femme, elle saura me persuader qu'il y va de mon honneur qu'elle soit richement parée, et deviendra une franche coquette par respect pour son époux. MADAME CATAU. Tous avez bien de la défiance ! ORGON. Parce que j'ai beaucoup d'expérience. MADAME CATAU. Il est cependant des filles dont l'éducation à été aussi honnête que brillante, dont le coeur est aussi pur que leur esprit est orné. Celle dont je vous parlais, par exemple, fut placée au Couvent à l'âge de cinq ans, et n'en est sortie que depuis huit jours. ORGON. Est-ce pour me rassurer que vous me dites cela, Madame ? MADAME CATAU. Quoi ! Monsieur, l'éducation du Couvent vous serait suspecte ? ORGON. Passons, Madame Catau, passons : point d'explication là-dessus. Je vous dirai seulement que je crois fort utile de faire enfermer dans un couvent une femme qui se dérange : mais une fille sage ?... Laissons cela. Vous m'avez tracé le portrait de votre virtuose. Je vais vous peindre la femme que je désire. Une Paysanne bien faite, l'oeil vif, la taille fine, le teint frais, voilà toutes les belles qualités que je lui souhaite : je veux que le reste ne soit pas même ébauché ; point de ces grâces que l'on nomme naturelles, et qui ne sont qu'un raffinement de coquetterie. Qu'elle ait plutôt l'air gauche et pesant ; qu'elle ne danse pas, mais qu'elle saute ; qu'elle parle comme on parle au village : c'est à moi de lui apprendre la Grammaire, s'il me plaît. Qu'elle ait, non de la vertu , parce que la Vertu est un combat, et que la victoire est fort incertaine ; mais qu'elle ait de l'innocence, parce que l'innocence vient de l'ignorance, et qu'on la conferve sans effort. Enfin je ne cherche point la belle nature qui n'est que le comble de l'artifice, mais la nature simple et grossière, comme on la trouve sous le chaume. MADAME CATAU. Eh ! Comment oserez-vous présenter dans le monde une femme qui ne saura, ni la langue, ni les usages ? ORGON. Aussi mon dessein n'est-il pas qu'elle se répande dans la société. MADAME CATAU. Quoi ! Vous voulez lui faire un cachot de sa maison ? ORGON. Pensez-vous donc qu'on soit si malheureuse de passer sa vie, renfermée avec moi ? MADAME CATAU. J'ai tort, je me rétracte, et j'envie le fort de la future. Mais, si vous ne la laissez pas sortir, on viendra la voir, et vos amis ne seront-ils pas rebutés par l'air maussade de la maîtresse de la maison ? ORGON. Et c'est tout ce que je demande. Je veux que ma femme, belle à mes yeux, soit hideuse pour tous les autres. Je crains moins le ridicule d'épouser une sotte, que celui d'épouser une coquette. MADAME CATAU. Quoi ! Monsieur , vous craignez qu'une fille élevée dans les principes de l'honneur, dont le coeur s'est purifié dans le creuset de l'infortune ?... ORGON. Les principes de l'honneur ! Le creuset de l'infortune ! Tout cela est charmant. Pour moi, ma mie, la vertu de principes m'est suspecte; je ne me fie qu'à la vertu de préjugé. Enfin, je ne dis plus qu'un mot : ou trouvez-moi ce que je cherche, ou je m'adresserai à quelqu'autre entremetteuse. Grâces au Ciel, on n'en manque pas dans ce siècle-ci. MADAME CATAU. Je ne réponds plus rien. Il faudrait cependant savoir de quel caractère vous voulez que soit cette paysanne ; car, dans leur grossièreté, il y a des nuances. ORGON. Faut-il vous le répéter cent fois ? Je la veux wimple, ignorante, qu'elle me dise une injure en face, croyant me faire un compliment ; qu'elle donne un coup de coude, croyant me faire une caresse ; que tout soit villageois en elle, son air, son maintien, son langage, et surtout sa vertu. MADAME CATAU. La voulez-vous brune ou blonde ? ORGON. Brune ou blonde, peu m'importe , pourvu qu'elle me foit fidèle. Conformez-vous à ce portrait ; cherchez-en le modèle ; je veux avoir le plaisir de former ma femme, j'entends de la former jusqu'au point où je veux qu'elle le soit. MADAME CATAU. Eh bien, Monsieur, j'ai votre fait ; une jeune paysanne si sotte, si grossière, que je n'osais vous la proposer. ORGON. J'entends ; c'est quelque paysanne des environs de Paris : je n'en veux point. L'air de la Capitale est contagieux. Les roses, les lilas ne font point les seules fleurs que toutes ces bouquetières de campagne viennent vendre à Paris. Elles y apportent tous les préjugés du village, et en rapportent tous les vices de la Ville. MADAME CATAU. Ne craignez rien, c'est une franche bourguignonne. ORGON. Qui vient cacher à Paris quelqu'aventure qui aura fait éclat dans son village ? MADAME CATAU. Non : c'est une paysanne aussi honnête que pauvre, qui a perdu son père et sa mère, et qui, se trouvant sans ressource, est venue à Paris chercher une condition. ORGON. Allons ; voyons-la. MADAME CATAU. Oh ! L'on ne la voit pas ainsi. On lui a fait des monstres-de tous les hommes de Paris. ORGON. Oh ! Qu'elle s'apprivoiserait bientôt avec ces monstres-là ! Mais je waurai l'en empêcher. Je l'amènerai dans cette terre que je viens d'acheter. Le Château est situé dans une île de la Loire. Le Concierge a quatre-vingts ans, le jardinier en a soixante-dix, et tous les autres domestiques sont des femmes... Adieu, je sors pour une affaire, je vais revenir ; préparez la belle à recevoir ma visite. SCÈNE II. MADAME CATAU, seule. Voilà donc les moyens que tu prends pour captiver les coeurs, détestable jaloux ! Ah ! Si c'était moi que tu renfermes ainsi dans une île, avec des femmes et des vieillards !... Au fond, je me fais un scrupule de jeter Hortense dans les bras d'un époux si maussade. Cependant elle a un nom, point de fortune, une horreur invincible pour le couvent ; elle n'a d'autre ressource que de se vendre par contrat. SCÈNE III. Madame Catau, Hortense. MADAME CATAU. Hé bien, Mademoiselle, avez-vous fait vos réflexions ? HORTENSE. Oui : le rôle que vous voulez me faire jouer me semble indigne de moi. La fille d'un officier mort au lit d'honneur, et qui ne mentit jamais, s'avilirait jusqu'à descendre à cet artifice ! Issue d'une Maison qui posséda des charges honorables, je deviendrais une grossière Paysanne ! Non, encore une fois, cessez de m'en parler. MADAME CATAU. Mais songez que vous ne jouerez ce rôle qu'un moment, et qu'une fois mariée, vousvreprendrez tous vos droits. HORTENSE. N'importe : les mânes de mes aïeux rougiraient, s'ils savaient que leur fille, un moment... MADAME CATAU. Eh ! Mademoiselle , les mânes ne rougissent point ; est-ce que vous croyez aux mânes ? HORTENSE. À quoi me réduis-tu , fortune ennemie ? J'ai perdu les seuls soutiens de ma faible existence. L'opprobre de la misère enveloppa mon berceau. Depuis ce temps, enfermée dans un cloître, ma vie ne fut qu'une longue captivité ; mais tous les malheurs que j'ai éprouvés, n'égalent pas celui d'entendre de tels conseils, et d'être forcée de les souffrir. MADAME CATAU. Et même de les suivre. Laissez-là tous ces grands mots que vous avez pris dans les romans, et songez à l'état où vous êtes. Orgon est le seul parti que je puisse vous procurer ; vous ne pouvez l'épouser, sans vous faire passer pour une paysanne. Il faut vous y résoudre, ou vous ensevelir pour jamais dans un couvent. HORTENSE. Après bien des combats avec ma juste fierté, après bien des efforts, je me suis enfin abaissée jusqu'à les essayer, ces habits de paysanne que vous m'aviez préparés : ils me vont si mal ! Ce corset me fait une taille horrible ! Ces manches me font des bras d'une grosseur ! J'ai sous cet habit l'air le plus maussade ! MADAME CATAU. J'entends, la crainte de faire rougir les mânes de vos aïeux n'est pas le seul motif de votre répugnance. Au reste, je vous le répète, le couvent... HORTENSE. Ah ! Plutôt la mort. MADAME CATAU. Eh bien ! Déterminez-vous donc à jouer le rôle que j'exige de vous. HORTENSE. On joue bien mal un rôle qui déplaît. MADAME CATAU. Imaginez-vous que vous êtes sur le théâtre ; qu'un rôle de paysanne vous est échu en partage. Vous représentez si bien !... Je me rappelle de vous avoir vu jouer si joliment un rôle de paysanne ! HORTENSE. Cela est vrai ; je jouai bien, je fus fort applaudie : mais l'amoureux n'avait pas soixante ans. MADAME CATAU. N'importe, je fuis perfuadée que vous jouerez à ravir ; vous êtes née avec des difpofitions univerfelles pour tous les rôles pot fibles. HORTENSE. En effet , c'eft ce qu'on m'a toujours dît. MADAME CATAU. Sous les habits de Reine et fous les habit» de Payfanne , vous êtes toujours charmante ; le fceptre et la houlette conviennent égale-; ment à vos mains. HORTENSE. Allons , je m'y réfous : je vais jouer la Payfanne avec ce Monfieur Orgon , mais la Payfanne noble ; je ferai une innocente Ber gere , qui foupire et qui ignore pourquoi , fimple dans fon langage , et cependant ne difant pas un mot qui ne foit difté par le fen~. timent. , MADAME CATAU. Rien de tout cela , Mademoifelle , rien de tout cela, II faut devenir une Payfanne grof fiere , une lourde Margot , infultant la Gram maire dix fois dans chaque phrafe , ne parlant point fentiment , n'en ayant même aucun > n'ayant que des goûts ludiques , lourde dans fa démarche , gauche dans fon maintien. Quand vous ferez mariée , alors vous direz qui vous êtes ; alors vous vous parerez de tous les dons que la nature vous a prodigués ; alors vous ferez ufage des talens que vous avez cultivés , et foyez sûre que votre époux reconnoîtra l'abfurdité de fon fyftême , et qu'il nous faura gré de l'avoir abufé. Allez étudie^ Votre rôle , et vous habiller. HORTENSE. Mais cet habit me va fi mal. Il faudrofo fcu moins le faire rétrécir , et lui donner una tournure plus élégante. MADAME CATAU. Plus mauflade au contraire : c'eft ce qu'if faut pour plaire à M. Orgoq . . . J'entends quelqu'un , fortez au plutôt. SCENE III. Madame Catau, Monsieur de La Roupillière. MADAME CATAU. Quelle est cette grotesque figure ? Que souhaitez-vous, Monsieur ? MONSIEUR DE LA ROUPILLIÈRE. Je voudrais faire ma révérence à Madame Catau. MADAME CATAU. Faites-la donc, votre révérence, car c'est moi-même. MONSIEUR DE LA ROUPILLIÈRE, après l'avoir saluée. N'est-il pas vrai que je salue avec grâce ? MADAME CATAU. Avec une grâce infinie. MONSIEUR DE LA ROUPILLIÈRE. C'est ce que mon Maître de danse me disait encore il y a huit jours. MADAME CATAU. À l'air dont vous vous présentez, on ne soupçonnerait pas que vous êtes de Province. MONSIEUR DE LA ROUPILLIÈRE. Comment donc l'ayez-vous deviné, vous, Madame. MADAME CATAU. J'ai beaucoup d'expérience, et mes yeux voient ce que d'autres yeux ne voient pas. MONSIEUR DE LA ROUPILLIÈRE. Eh bien donc, j'en conviens, je suis bas-Normand : mais vous savez le proverbe. MADAME CATAU. Vous êtes bas-Normand ? J'en suis surprise : je ne m'en serais pas aperçue, surtout à votre accent. Mais, Monsieur, vous n'êtes pas venu de Basse-Normandie uniquement pour me faire la révérence : quelqu'autre motif vous amène ? MONSIEUR DE LA ROUPILLIÈRE. Vous l'avez deviné ; je viens chercher femme, et je me suis adressé à vous pour en trouver une qui me convienne. MADAME CATAU. Je suis étonnée qu'avec tant d'esprit et de grâces, vous ayez besoin d'un tiers pour réussir dans une pareille affaire... Mais quels sont ces papiers que vous portez sous votre bras ? MONSIEUR DE LA ROUPILLIÈRE. Ce sont des Mémoires imprimés. MADAME CATAU. Quoi ! Vous plaidez ? MONSIEUR DE LA ROUPILLIÈRE. Je vais vous mettre au fait. J'ai eu quatre femmes. MADAME CATAU. Quatre femmes ! MONSIEUR DE LA ROUPILLIÈRE. Les unes après les autres : cela s'entend. Elles font mortes ; Dieu veuille avoir leurs âmes ! Toutes les quatre m'ont plaidé en séparation : la première , après un an de mariage ; la seconde, après six mois ; la troisième, après deux mois ; la quatrième, après huit jours. Vous savez que, dans ces sortes d'affaires, on fait imprimer des Mémoires pour l'instruction des Juges. MADAME CATAU. Et pour l'amusement du Public ! MONSIEUR DE LA ROUPILLIÈRE. Ces quatre réparations prononcées contre moi m'avaient tellement décrié auprès du beau sexe, qu'avec mon esprit, ma figure et mon bien, je n'ai pu trouver une cinquième femme. MADAME CATAU. Cela est incroyable. MONSIEUR DE LA ROUPILLIÈRE. Je viens donc la chercher à Paris, par vos bons offices. Mais de peur que mes quatre séparations ne préviennent contre moi la personne que vous me choisirez, j'ai apporté ces quatre Mémoires que vous lui ferez lire ; et elle conviendra qu'avec mes quatre femmes, je n'ai pas même eu l'apparence du tort le plus léger. MADAME CATAU. Et avez-vous apporté aussi les Mémoires de vos quatre femmes ? MONSIEUR DE LA ROUPILLIÈRE. Cela est inutile ; elle n'y verrait que de mensonges, des calomnies. MADAME CATAU. Et elle ne verra que des vérités dans les vôtres. MONSIEUR DE LA ROUPILLIÈRE. Sans doute : un homme tel que moi est fait pour être cru sur sa parole. On ne me donnerait pas un démenti impunément. Savez-vous bien que j'ai servi quinze ans, tel que vous me voyez ? MADAME CATAU. Et dans quel Corps ? MONSIEUR DE LA ROUPILLIÈRE. J'étais Capitaine des Gardes-Tabac ? Oh ! Je suis connu dans l'histoire de la Ferme. MADAME CATAU. Voilà un poste très honorable ; des services très distingués. Et vous n'avez pas la croix ? MONSIEUR DE LA ROUPILLIÈRE. Est-ce qu'on récompense le courage ? J'en ai cependant donné des preuves éclatantes. Il faut que je vous raconte un combat que je soutins contre des contrebandiers. MADAME CATAU. Oh ! Les récits de combats me font peur. Vous conterez cela à votre future épouse. Quelles qualités désirez-vous en elle ? MONSIEUR DE LA ROUPILLIÈRE. Quatre ; qu'elle soit riche, belle, spirituelle et sage. MADAME CATAU. Vous n'êtes pas exigeant. Avec votre esprit, votre figure, vos quatre séparations et vos quatre Mémoires, vous ne pouvez manquer de trouver ce que vous cherchez. Mais quel est l'état de votre fortune ? MONSIEUR DE LA ROUPILLIÈRE. Oh ! Je fuis assez riche ; je ne me fuis pas toujours battu avec les Contrebandiers. MADAME CATAU. J'entends. Vous avez quelquefois parlementé avec eux, et vous leur avez fait acheter la paix. Je vais vous écrire sur mes tablettes, afin de me souvenir de vous pour une cinquième femme. Comptez sur mon secours. Adieu. SCÈNE V. MADAME CATAU, seule. Voilà un plaisant original ! Où veut-il que j'aille lui chercher une cinquième femme ? Cependant il faut profiter de sa visite pour donner de l'inquiétude au jaloux Orgon, et accélérer son mariage avec Hortense. SCÈNE VI. Orgon, Madame Catau. ORGON. Eh bien ! Ma Bergère a-t-elle enfin consenti à me voir ? MADAME CATAU. Avec bien de la peine, je vous jure. ORGON. Et quelle est cette figure de bas-Normand que j'ai aperçue dans l'escalier ? MADAME CATAU. C'est encore un prétendant pour ma paysanne ; un gentilhomme fort riche qui a les mêmes terreurs que vous, qui se conduit par les mêmes principes, et qui apprenant que j'ai une jeune villageoise à marier... ORGON, vivement. Et l'a-t-il vue ? Lui a-t-il parlé ? MADAME CATAU. Non. Il voulait la voir ; mais je me suis opposée à son impatience. ORGON. Au reste, j'ose me flatter que, si elle nous voyait tous deux, elle ne balancerait pas entre lui et moi. MADAME CATAU. Je n'en répondrais pas ; une fille aussi novice, aussi ignorante, peut fort bien faire un choix ridicule. ORGON. Hâtons-nous donc de la voir. Je viens de chez mon notaire ; je lui ai fait faire une promené de mariage dont les noms font en blanc. Si la future me convient, je la lui remettrai pour la rassurer. MADAME CATAU. Venez, la jeune fille, et faites à Monsieur une belle révérence. ORGON. Laissez-moi un moment tête à tête avec elle. SCÈNE VII. Orgon, Hortense. Madame Catau s'en va en faisant des signes à Hortense. ORGON, à part. Elle est gauche, embarrassée ! Voilà de la pudeur naturelle, voilà de la timidité véritable. Cela n'a rien de gracieux, rien d'affecté. Oh ! Celle-là n'a certainement pas été élevée au couvent. Haut.Approchez, la Belle, approchez. HORTENSE. Oh ! Je n'approchons pas comme ça. On dit que les Monsieurs de Paris ont un sortilège, pour rendre folles les filles qui les approchent. ORGON, à part. Elle croit aux sortilèges ! Bon ! Des préjugés, de la crédulité, voilà ce que je cherche. Haut.Ne craignez rien, aimable enfant ; je n'ai pas l'air, je crois, d'un jeune étourdi. HORTENSE. Ma mère m'a bian dit que les vieux étaient parfois plus à craindre que les jeunes, et puis vous avez l'air bourru. Je n'aimons pas ça, nous ; j'ons lu dans la Civilité honnête. Je savons la politesse, et je voulons qu'on nous la rende. ORGON, à part. Je doute qu'elle ait lu de pareils compliments dans la Civilité. Mais si elle manque de politesse, elle a de la franchise ; c'est ce que je demande : et j'aime mieux qu'on m'offense que de me tromper. HORTENSE. Qu'est-ce que vous marmottez-là entre vos dents ? ORGON. Je dis que c'est vous-même qui êtes à craindre pour nous, et qui avez un sortilège pour faire tourner la tête aux hommes. HORTENSE. Je parie que vous voulez nous en conter. J'ons bon nez ; j'ons deviné ça tout de suite. ORGON. Eh bien, puisque je vous parais si redoutable , nous nous parlerons de loin. HORTENSE. Oh ! De loin, tant qu'il vous plaira ; je ne refufons point de parler. J'ons, Dieu merci, la langue bien affilée. ORGON. Comment vous appelez-vous ? HORTENSE. J'ai nom Hortense. ORGON. Voilà un nom bien recherché pour une paysanne ; ceci m'est suspect. HORTENSE. Bon Dieu : je fais bian que ce nom-là n'est pas biau. J'en avais un qui me plaisait bian davantage. Je m'appellais Margot. C'est la Dame du Château qui a voulu que je me nommisse Hortense, pour me faire enrager. Hortense, si le vilain sobriquet qu'elle m'a donné-là ! ORGON, à part. Ah ! Me voilà rassuré. Préférer le nom de Margot à celui d'Hortenfe ! Quelle ignorance ingénue ! Oh ! Parbleu, Madame Catau, vous ne m'avez pas trompé. Je suis content de vous. Les mille écus vous sont acquis. Haut. Dites-moi, Hortense, répondez avec sincérité : aucun garçon du village ne vous a-t-il dit qu'il vous aimait ? HORTENSE. Oh ! Je ne l'aurions pas écouté. L'aventure de la petite Suzon nous a rendu sages. Le petit Colas lui disait comme ça qu'il l'aimait bian ; alle lui disait qu'alle l'aimait bian aussi : v'la-t-il pas que, tout en disant qu'ils s'aimaient bian, au bout de neuf mois... ORGON. Il n'est pas nécessaire d'en dire davantage ; je devine le reste. HORTENSE. N'allez pas me dire aussi que vous m'aimez bian, car j'aurais peur qu'en disant ça. ORGON. Quelle innocence ! Cependant je ne puis pas vous épouser sans vous aimer, ni vous aimer sans vous le dire. HORTENSE. V'la justement comme c'est arrivé avec Suzon et le petit Colas. Il lui disait tout de même qu'il voulait l'épouser ; et puis, quand il a s'agit de publier les bans, il s'est engagé, et il est parti pour la guerre. ORGON. Ne craignez rien ; je ne m'engagerai pas, moi. Au reste, pour vous rassurer, je vais signer cette promesse de mariage ; je vous donne dix mille livres de rente, et un château. HORTENSE. Baillez-nous plutôt une farme. ORGON. Vous en aurez une aussi. HORTENSE. Je voulons qu'il y ait bien de la volaille, et la nourrir nous-mêmes : car , tenez, toutes ces servantes de basse-cour n'y entendent rian. ORGON, à part. Quel goût champêtre ! Que j'aime cette rusticité ! Oh ! Parbleu, mon front ne court aucun risque. HORTENSE. Je voulons encore qu'il y ait des vaches, et les traire nous-mêmes ; car, voyez-vous, la richesse ne nous rend pas plus fières. Je ne voulons pas faire comme la petite Manon. Alle était née dans la pauvreté comme moi. Le farmïer du Château l'épousit. Sitôt qu'alle fut grosse farmière, alle fit la Madame, alle ne vouloit plus traire les vaches. Qu'a-t-il arrivé de ça ? Son mari a fait le Monsieur ; il ne voulait plus travailler. Servantes et valets, tout a pillé dans la maison. Les v'ià ruinés et obligés de garder les troupeaux d'autrui et c'est bian fait. ORGON. Comment ! Voilà des leçons d'économie rurale. Hortense, je ne gênerai aucun de vos goûts, parce qu'ils sont tous honnêtes et louables. Tenez, Voilà ma promette de mariage. Nous irons faire la noce en campagne. HORTENSE. Il y aura des violons ? ORGON. Sans doute. HORTENSE. Et une cornemuse ? ORGON. Tout ce que vous voudrez. HORTENSE. Ah ! Je sauterai comme un cabri. Je voudrais que les filles de mon village fussent là, elles enrageraient bian. ORGON. Certainement. Je vous donnerai une fête dans le parc. Ce Parc est vaste ; il y a des bosquets délicieux, un parterre émaillé de fleurs, des chutes d'eau admirables, et un labyrinthe dont les détours... HORTENSE. Et Phèdre au labyrinthe avec vous déscendue... ORGON. Vous me citez la fable et Racine ! Ah ! Je suis trahi ! Je suis trompé ! Je suis... Je suis... Tout ce que je craignais d'être. HORTENSE, à part. Ah ! Bon Dieu, je me suis trahie ! Tâchons de réparer ma faute. Haut.Je disions comme ça que je ferions bien aise de vous suivre dans ce... dans ce... laby... comment est-ce que vous nommez ça ? ORGON. Il n'est plus temps de feindre, la Belle ; vous avez oublié votre rôle, et le masque est tombé. Voilà donc, cette innocente Margot qui voulait donner de la pâtée aux poulets, et traire ses vaches ! Parbleu ! Je l'ai échappé belle. Non, non, Princesse, vous ne descendrez point au labyrinthe avec Thésée. Ah ! Scélérate Catau, c'est ainsi que tu me jouais ! SCÈNE VIII. Orgon, Madame Catau, Hortense. MADAME CATAU. Qu'avez-vous donc, Monsieur ? Vous paraissez ému ? Quel malheur vous est arrivé ? ORGON. Rien ; c'est feulement qu'on voulait me faire voir du pays dans le labyrinthe de Crète. MADAME CATAU. Le labyrinthe de Crète ! Expliquez-vous ; je ne comprends point ce discours. ORGON. Vous comprendrez mieux ce que je vais vous dire. Vous êtes une coquine, qui avez suborné cette autre coquine pour me tromper. Je donnais dans le panneau tête baissée ; heureusement une distraction de la Belle m'a fait reconnaître mon erreur. Je vous ai promis mille écus, et j'allais vous les donner ; je vous promets maintenant de vous faire mettre en lieu de sûreté, si dans l'instant une promesse de mariage ne m'est rendue. HORTENSE. La voilà. C'était pour votre bonheur que je vous trompais ; c'était pour détruire un sot préjugé qui s'opposait à votre félicité. Mais après notre union, je vous aurais fais voir qu'une fille de naissance... ORGON. Trêve de mensonges et d'artifices avec moi. Croyez-moi, prenez le parti du théâtre, vous serez une excellente comédienne ; ou si cette profession ne vous convient pas, Auguste Phèdre, allez traire les vaches et nourrir les poulets. ==================================================