******************************************************** DC.Title = CONTENTEMENT PASSE RICHESSE, opuscule dramatique. DC.Author = SACY, Claude-Louis-Michel de DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Opuscule dramatique DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 10/05/2021 à 11:32:03. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/SACY_CONTENTEMENT.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** CONTENTEMENT PASSE RICHESSE OPUSCULE DRAMATIQUE SUJET TIRÉ DES FABLES DE LA FONTAINE. M. DCC LXXVIII. Avec Approbation et Privilège du Roi. De SACY, Claude-Louis-Michel de À PARIS, Chez DEMONVILLE. Imprimeur-Librairie de l'Académie Française, rue Saint-Severin, aux Armes de Dombes. PERSONNAGES MONSIEUR MILLION, Financier. GRÉGOIRE, Savetier. PERRETTE, femme de Grégoire COLIN. LUCETTE, fille de Grégoire. DUFOIN, Cocher de M. Million. UN GASCON. La Scène est à Paris. Édition tirée de Claude-Louis-Michel de Sacy, Un Gascon à Paris, opuscule dramatique, dans Opuscules dramatiques, ou Nouveaux amusements de campagne, tome second, Paris, Chez Demonville, Imprimeur-Libraire de l'Académie française, 1778, p. 115-135. CONTENTEMENT PASSE RICHESSE SCÈNE PREMIÈRE. Le Théâtre représente une rue. Sur le devant, on voit d'un côté la boutique d'un Savetier, de l'autre, l'Hôtel d'un Financier. COLIN, seul , ouvrant la boutique etfr met tant au travail. Je travaillons, travaillons, afin de plaire à notre maître Grégoire, et d'épouser sa chère fille. La pauvre enfant, elle est là-haut qui dort encore. Va, dors, ma Lucette , dors ; ton amoureux veille pour toi... Quatre heures sonnent, et je n'ai encore rien fait ! Allons, Colin, de l'activité, mon ami : chantons une petite chanson, cela nous donnera du coeur à l'ouvrage. Il chante : Vive le vin vive l'amour.À qui font ces souliers-là ? Ah ! Je me rappelle ; ce font ceux de ce peintre. Voilà six fois au moins qu'ils passent par mes mains. Si le pauvre Diable ne nous paie pas bien, au moins il nous occupe... Et ceux-ci, ce font ceux de ce musicien. C'est encore une bonne Pratique, celui-là. Ma foi, si, quand j'épouserai Lucette, Grégoire me cède toutes ces Pratiques-là, j'écrirai en gros caractères sur ma boutique : Colin, Savetier des Beaux-Arts. SCÈNE II. Grégoire, Perrette, Colin, Lucette. GRÉGOIRE, à Colin. Comment Diable, te voilà déjà au travail ! L'Amour t'éveille de grand matin. Tu as été un fainéant pendant bien des années. L'ami Mathurin ton père en était si chagrin , qu'il voulait presque de toi faire un moine. Mais depuis que tu es amoureux, tu as bien réparé le temps perdu. Allons, courage, mon enfant ; dans une heure je te paierai à déjeûner au cabaret voisin. Si tu continues, dans peu tu seras mon gendre. Toi, ma femme, place-toi là ; toi, ma fille, mets-toi auprès de ton futur, afin de l'animer au travail. Chantons, morbleu, chantons. Ils chantent, tous ensemble.Chantant à pleine gorge, dès que je vois le jour, J'écarte de ma forge, ... À Colin.Tais-toi, tu chantes faux ; je t'apprendrai à chanter juste. Tel que tu me vois, j'ai chanté au lutrin chez un Seigneur qui fait cas des talents. SCÈNE III. Les Acteurs précédents, Dufoin. GRÉGOIRE. Oh ? Voilà le Cocher de Monsieur Million : ma femme, admire donc l'importance de ce Monsieur-là ; il est aussi fier que son maître. PERRETTE. Eh ! Pourquoi ne le ferait-il pas ? Qui sait s'il n'aura pas quelque jour le sort de son Maître, et si on ne le mènera pas dans le carrosse qu'il mène aujourd'hui ? DUFOIN, d'un ton précieux. Monsieur Million m'envoie vous dire que, par vos chansons, vous interrompez le sommeil de ses gens et le sien. GRÉGOIRE. Eh ! N'interrompt, il pas le nôtre, toutes les fois qu'il rentre à trois heures du matin avec son maudit carrosse qui fait un bruit à rendre les gens sourds ? DUFOIN. Il sied bien à un Savetier de préférer son sommeil à celui d'un Homme de finance ! Ne vous croyez-vous pas un être important, un homme utile à l'État ? GRÉGOIRE. [Note : Bataille de Fontenoy : Bataille se déroula le 11 mai 1745 qui eut lieu à Fontenoy en Belgique entre les troupes de Louis XV et celles de l'Alliance. ][Note : Bataille de Rocourt : Bataille entre l'Autriche et la France en Belgique qui eut lieu le 11 octobre 1746 et qui aboutit à une victoire française.]Comme Savetier, je ne le suis guère, j'en conviens ; mais comme soldat, je l'ai été davantage. J'ai reçu deux coups de sabre à Fontenoy, un coup de feu à Raucoux : que votre Maître m'en montre autant, et je m'en gage à ne chanter jamais, de peur de troubler son sommeil. Voyez-vous ce vieil habit bleu, et ces parements rouges que je porte ? Cet habit-là est plus beau que les habits galonnés de votre Maître. Au reste, je chante, parce que j'aime la Musique, moi, et que je suis gai. DUFOIN. Mon Maître pourrait bien vous faire chanter sur un autre ton. Je vous préviens qu'ayant peu il en portera ses plaintes, et que vous ferez puni comme un perturbateur du repos public. LUCETTE. Et un Arrêt du Parlement ordonnera aux savetiers d'être tristes, comme les Gens de finance. DUFOIN. Vous plaisantez, la belle ? PERRETTE. Dites à Monsieur Million que, s'il ne veut pas nous entendre, il fasse mettre du fumier devant sa porte, comme il en fait mettre toutes les fois que son Aumônier a fait une mauvaise digestion pendant la nuit. GRÉGOIRE. Écoutez ; je suis homme de bonne composition. Dites à votre Maître qu'il nous fasse grâce de quelques droits sur les cuirs, et je lui ferai grêce de quelques couplets tous les matins. DUFOIN. Je vais rendre compte à mon Maître de votre insolence, et dans peu vous aurez de ses nouvelles. GRÉGOIRE, chantant. Allez vous-en, gens de la noce, etc. SCÈNE IV. Grégoire, Colin, Perrette, Lucette. LUCETTE. Cependant, Papa, sa menace m'inquiète. Si Monsieur Million allait se plaindre : ces gens-là sont bien puissants ; ils ont de l'or, et les Magistrats... GRÉGOIRE. Lui riraient au nez. Je suis Maître dans ma boutique, comme lui dans son Hôtel. Toute la différence qu'il y a entre lui et moi, c'est que je suis gai, et qu'il ne l'est pas. Quand il veut s'amuser d'un air de musique, il faut qu'il envoie chercher des musiciens, qu'il paie fort cher, et qui l'ennuient. Moi, quand je veux me régaler d'un concert, je le fais tout seul ; c'est de la musique à bon marché, et elle est toujours à mes ordres. Allons, chante aussi, toi, chante ; n'as-tu pas peur d'aller en prison ? Eh bien, si tu y vas, Colin ira t'y consoler. SCÈNE V. Les acteurs précédents, Monsieur Million. MONSIEUR MILLION, en robe de chambre sur son balcon. Ainsi un misérable savetier suffit pour troubler le repos d'un homme tel que moi ! Et je ne pourrai pas le forcer au silence ! Si je vais me plaindre au Magistrat, il se moquera de moi, comme il fit, lorsque je le priai de défendre à un Maréchal de mon voisinage d'ouvrir sa boutique avant midi, parce que je ne me lève qu'à cette heure-là. Je fus contraint de déguerpir ; je vendis mon hôtel : j'achetai celui-ci, et voilà qu'un maudit savetier, avec sa voix aigre et fausse, me réveille dès quatre heures du matin ! Et on vante la Police de Paris ! Quelle Police , bon Dieu , que celle qui respecte, plus le travail du Peuple que le repos des Financiers !... Il faut nous y prendre par des voies plus douces. Je connais assez l'embarras des richesses, l'inquiétude que donne la garde d'un trésor. Si Grégoire avait dans ses mains une somme un peu considérable, je crois qu'il ne serait pas tenté de chanter. Essayons de cet expédient. Mais n'est-il pas bien dur que je sois obligé de payer mon sommeil, comme si tout homme n'avait pas le droit de dormir ! Au reste, je me rappelle que, dans un sac qu'on m'envoya, on avait mis par mégarde cent écus de plus qu'il ne fallait. Je sens que je devrais bien les renvoyer à Mondor mon confrère : mais ce n'est point un vol que je lui fais ; c'est une restitution que je fais au Public pour l'acquit de notre conscience commune. Descendons, et portons ces cent écus au Chanteur Grégoire ; il croira posséder toutes les mines du Pérou. Il rentre pour descendre. LUCETTE, à Grégoire. Papa, je viens d'apercevoir Monsieur Million sur son balcon ; il avait un air d'humeur qui m'a effrayée, il parlait tout seul. J'ai cru même entendre qu'il nous menaçait de la Police. GRÉGOIRE. Eh bien ! Qu'arrivera-t-il ? Le Commissaire me fera venir, je lui chanterai une petite chanson ; nous nous quitterons bons amis, et Monsieur Million paiera les frais. MONSIEUR MILLION, sortant de son Hôtel. Grégoire, j'ai deux mots à vous dire. GRÉGOIRE. Me voici, Monsieur. PERRETTE. Mon petit homme, je t'en prie, ne vas pas lui parler d'un ton trop ferme ; ces gens-là disent toujours qu'on leur manque de respect, quand on leur prouve qu'ils ont tort. GRÉGOIRE. Sois tranquille , ma petite femme. Il s'avance de l'autre côté du Théâtre vers Monsier Million.Eh bien, Monsieur, je fais bien ce qui vous amène ; vous venez me défendre de chanter, me menacer du commissaire, de la prison, que fais-je, moi ? De me faire pendre peut-être ? MONSIEUR MILLION. Vous vous trompez, Monsieur Grégoire, vous vous trompez. GRÉGOIRE. Monsieur Grégoire ! Ah ! Monsieur du Million, le respect. MONSIEUR MILLION. Je ne suis pas qi méchant que vous le pensez ; je ne viens point pour vous punir, mais pour faire votre bonheur. Que diriez-vous, si je vous faisais tout-à-l'heure possesqeur de cent francs ? GRÉGOIRE. Cent francs ! Monsieur du Million, cent francs ! Mais, ne nous entend-on pas ? Reculons un peu. MONSIEUR MILLION. Et si je vous donnais deux cents francs ? GRÉGOIRE. Ah ! Parlez bas, je vous en prie, Monsieur du Million, parlez plus bas. J'ai des voisins qui, entre nous, ne sont pas fort honnêtes gens, et qui, s'ils savaient que j'ai un trésor... MONSIEUR MILLION, à part. Bon ! Je réussis ; voilà déjà l'inquiétude qui commence : il est alarmé pour deux cents francs qu'il n'a pas encore ; que sera-ce quand il les aura ? Haut.Je passerai encore les espérances que je vous ai données ; et voici cent beaux écus dont je vous fais présent. GRÉGOIRE. Monsieur du Million, tournez-vous comme cela, je vous en prie ; cachez bien cela sous votre robe de chambre en me le donnant, de peur que quelqu'un ne le voie : car ma fortune serait des envieux, et peut-être des fripons... MONSIEUR MILLION, à part. Bon... Bon ! Le voilà qui tremble ! Oh ! Je réponds qu'il ne chantera plus. Il lui donne la somme que Grégoire enferme dans son tablier. GRÉGOIRE, bas à Monsieur Million. Monsieur du Million, j'aurais encore une grâce à vous demander ; ce serait de me gronder bien haut, de me menacer, et même quand vous me donneriez quelques coups de poing, il n'y aurait pas de mal. MONSIEUR MILLION. Eh ! Pourquoi cela , mon ami Grégoire? GRÉGOIRE. C'est de peur que ma famille et mes voisins ne soupçonnent que vous venez de me donner un trésor. MONSIEUR MILLION, bas. Ah ! Très volontiers. Haut.Eh bien ; maître coquin, vous chanterez donc toujours malgré ma défense ? J'irai me plaindre, j'irai me plaindre ! Quand vous serez au cachot, vous chanterez si vous voulez, mais je ne vous entendrai pas. GRÉGOIRE. Ah ! Je ne vous crains point , je vous mets à pis faire. MONSIEUR MILLION, lui donnant un coup de pied. [Note : Hoirie : Terme de pratique. Héritage, succession directe. [L]]Ah ! Tu me manques de respect ! Tiens ; voilà ce que je te donne en avance d'hoirie. Il rentre. GRÉGOIRE, à part. [Note : Casaquin : Espèce de corsage de femme avec de petites basques dans le dos, formant deux gros plis à l'endroit de la ceinture et relevant en l'air ; il était facile à mettre et commode ; il ne sert plus qu'à la campagne. [L]]Confierai-je ma bonne fortune à ma femme et à ma fille ? Non, parbleu : sur le champ on me demanderait un jupon, un casaquin, des falbalas ; que fais-je , moi ? Ces femmes ne finissent point avec leur parure ! Et puis, on rougirait d'être la femme d'un savetier. On voudrait que je me fasse recevoir cordonnier ; car l'ambition, l'ambition est une fi terrible chose !... Et puis, ce Colin... Ce Colin est un garçon très honnête, mais, comme on dit, l'occasion fait le larron. Ainsi ne nous fions qu'à nous-mêmes, et cachons ce trésor dans notre cave sous un pavé. Il entre, cachant les cent écus dans son tablier. SCÈNE VI. Lucette, Perrette, Colin, Grégoire. LUCETTE. Avez-vous entendu, Maman, comme Monsieur Million menaçait mon père ; il l'a frappé : si j'étais homme, il ne l'aurait pas fait impunément. COLIN. Oh ! S'il avait recommencé, vous auriez vu, Mademoiselle Lucette, comme je l'aurais... Ventrebleu, je ne suis pas un poltron, moi ; ... et par Saint-Crépin, je vous l'aurais... Oh ! Qu'il y revienne, il verra beau jeu. PERRETTE. Comme il avait l'air effaré, ton père, en rentrant ! Il était inquiet, il nous regardait d'un oeil qui m'a fait peur ; pourquoi est-il descendu dans la cave ? GRÉGOIRE, à part, ouvrant la fenêtre de la chambre. Mon argent est en sûreté. Écoutons un peu, et jugeons par leur conversation s'ils ne soupçonnent pas le présent que Monsieur Million vient de me faire. LUCETTE. Je crains bien que les chagrins que ce financier donne à mon père ne retardent notre mariage. GRÉGOIRE, à part. Je n'entends pas bien... Mais il me semble qu'ils ont parlé de Financier et de mariage ; c'est qu'ils ont envie de se marier avec mes cent écus. LUCETTE. Si Monsieur Million nous force à déménager, s'il nous fait des affaires, ces frais-là consommeront toute ma dot. PERRETTE. Va, ma fille, ta vertu est un trésor ; et ce trésor-là, personne ne peut te l'ôter. J'allai un jour à la Comédie, et j'entendis une vieille radoteuse fort raisonnable qui chantait : La sagesse est un trésor, etc. GRÉGOIRE, à part. Justement, ils parlent d'argent, d'or, de trésor. Il n'en faut plus douter, ils veulent me voler mes cent écus. Descendons , tenons-nous sur nos gardes, plaçons-nous en sentinelle. COLIN. Quoique vous en disiez, Madame Perrette ; il y a bien des filles qui se font laissé enlever ce trésor-là. GRÉGOIRE, à part, fonçait de la boutique, et se remettant au travail. Ils parlent d'enlever mon trésor : Oh ! Je saurai bien les en empêcher. Il faut premièrement renvoyer ce Colin ; il avait un air de probité qui m'avait trompé... Mais maintenant quand je le regarde, il me semble que j'aperçois dans ses yeux un certain air pendard... LUCETTE. Que marmotez-vous donc là, mon père ? Allons, oubliez les menaces de Monsieur Million. Chantez-nous une petite chanson, chantez-la à demi-voix, et le Financier ne pourra s'en plaindre. Allons, mon petit papa, une petite chanson. GRÉGOIRE. Je ne m'en rappelle pas une. LUCETTE. Bon ! Vous en savez tant ! Avez-vous perdu la mémoire ? Pour vous remettre en train, je vais vous en chanter une.Dans un verger Colinette, etc. GRÉGOIRE, l'interrompant. Tais-toi, il me semble que j'entends du bruit dans ma cave. LUCETTE. Que craignez-vous ? Il n'y a rien dans votre cave. COLIN. On dit que le diable ne revient jamais dans les caves que pour garder des trésors ; et franchement, je crois qu'il ne trouvèrent pas dans la vôtre de quoi faire sentinelle... À propos, Maître Grégoire, vous m'avez promis de me payer à déjeuner au cabaret voisin ? Allez devant, faites tirer le vin, je vais vous suivre. GRÉGOIRE. Je n'ai pas soif. À part.Oh ! Le complot est formé ; ils veulent m'envoyer au cabaret, afin de descendre dans la cave pendant mon absence, et de me voler. PERRETTE. Tu as tort, mon ami, de ne pas faire déjeuner ce pauvre garçon qui travaille ici depuis quatre heures du matin. GRÉGOIRE. Diable ! Tu es bien empressée à m'envoyer au cabaret, toi qui cries tant quand j'y vais ! J'en sais bien la raison : mais nous y mettrons bon ordre. PERRETTE. En vérité, mon ami, tu as le cerveau troublé. GRÉGOIRE. Il me semble que je viens d'entendre dans la cave... PERRETTE. Il perd l'esprit. COLIN. Je vais y descendre ; quand le Diable y serait, dans cette cave, je n'en aurais pas peur. Eh bien, s'il y était, tant mieux ; ce ferait une preuve qu'il y aurait un trésor caché. Donnez-moi la clef. GRÉGOIRE. Tu es bien pressé ; hâte-toi plutôt de faire ton paquet, et de t'en aller. COLIN. M'en aller ! Que voulez-vous dire ? GRÉGOIRE. Je veux dire que je t'ordonne de sortir de ma maison, et de ne jamais la regarder que de loin. COLIN. Eh ! Pourquoi cela, s'il vous plaît ? GRÉGOIRE. Je n'ai peint de compte à te rendre. LUCETTE. Quoi ! Mon père, serait-il possible que vous renvoyiez Colin ? Vous l'aimiez tant ! Ce matin encore, vous lui disiez que dans peu il serait votre gendre ! Qu'a-t-il donc fait ? C'est ce maudit financier qui trouble notre bonheur. Qu'ils font méchants, ces riches ! Ce n'est pas assez de nous pressurer, de nous insulter ; il faut encore qu'ils mettent la discorde parmi nous. PERRETTE. En vérité, Grégoire, je ne te reconnais plus. On ne renvoie pas un garçon sage et laborieux comme celui-là, sans en dire le sujet. GRÉGOIRE. Il suffit que sa vue m'importune, m'offusque. COLIN. Eh bien, si vous voulez, je travaillerai au grenier ; dans la cave, si vous voulez : ma vue alors ne vous offusquera pas. GRÉGOIRE. Vraiment je crois bien que tu voudrais travailler dans la cave, mais je saurai t'empêcher d'y descendre. SCÈNE VII. Les Acteurs précédera, Un Gascon. LE GASCON. Bonjour , Monsieur Grégoire, bonjour ; je viens vous faire mon petit compliment. GRÉGOIRE. Eh ! Sur quoi, s'il vous plaît ? Vous êtes bienheureux d'être voisin d'un Homme de finance. Sandis ! J'aimerais bien un pareil voisinage. PERRETTE. Nous sommes d'un goût bien différent du vôtre ; et je vous jure que nous voudrions demeurer bien loin de Monsieur Million. LE GASCON. Allons, Madame Perrette, allons, ne parlez point contre votre pensée. Je sais que Monsieur Million vient de faire présent à votre mari de cent beaux écus comptant. Cap de Diouz, cent écus, la belle somme ! PERRETTE, à Grégoire. Quoi ! Mon ami, tu m'avais caché ta bonne fortune ? GRÉGOIRE. Oui, je te l'avais cachée ; mais c'était bien en vain. LE GASCON. Moniteur Grégoire n'est pas un thésauriseur ; il est trop raisonnable pour cela. Il placera sans doute son argent, et, s'il veut, je vais lui offrir une occasion de le placer avantageusement. GRÉGOIRE. Oh ! Très volontiers ; car il m'a déjà donné tant d'inquiétude, ce maudit argent, que je voudrais qu'il fût bien loin. Et sur qui le placerai-je, s'il vous plaît ? LE GASCON. Sur moi. GRÉGOIRE. Sur vous ! Placer de l'argent entre les mains d'un Gascon ! Voilà une caution bien solide. LE GASCON. J'hypothéquerai un Marquisat. GRÉGOIRE. Un Marquisat, vous ! Cela est plaisant. LE GASCON. Voulez-vous que l'hypothèque une Baronnie ? GRÉGOIRE. Une Baronnie ! Allez, vous vous moquez de moi. LE GASCON. Voulez-vous que j'hypothèque deux Comtés, trois forêts, six étangs, une douzaine de fermes, et tous mes Domaines ? GRÉGOIRE. Mais puisque vous êtes si riche, dites-moi, s'il vous plaît, pourquoi vous venez faire à Paris votre apprentissage en chirurgie ? LE GASCON. Ne savez-vous pas que tous les grands Seigneurs de mon pays apprennent la Chirurgie par pure humanité, afin de se rendre utiles à leurs vassaux, et de ne pas abandonner leur vie à d'ignorants médecins ? C'est pour mes vassaux que je m'instruis. GRÉGOIRE. C'est aussi par humanité que vous allez tous les matins exercer vos doigts et votre peigne... afin d'être utile à vos vassaux , de les friser, de leur faire la barbe, et de ne pas abandonner leurs cheveux à d'ignorants perruquiers ? LE GASCON. Vous plaisantez toujours, Monsieur Grégoire ; c'était par amitié pour vous que je vous demandais cet argent, qui vous aurait rapporté un gros intérêt. Mais si vous ne voulez pas me donner le tout, donnez-m'en la moitié. GRÉGOIRE. Je ne suis pas qi fou. LE GASCON. Eh bien ! Le quart ? GRÉGOIRE. [Note : Obole : Anciennement, en France, petite monnaie de cuivre qui valait la moitié d'un denier tournois. L'obole valait 4/8 de denier ; la pite, 2/8 ; la semi-pite, 1/8. [L]]Pas une obole. LE GASCON. Quoi ! Pas même un demi-louis ? COLIN. Et pour ce demi-louis, Monsieur hypothéquera six Comtés, dix Marquisats, vingt baronnies, et tous les brouillards de la Garonne. GRÉGOIRE. Monsieur le Marquis, Comte et Baron, vous perdez votre temps ; allez-vous-en, croyez-moi, vos Pratiques s'impatientent. LE GASCON. Sandis , comme je pulvériserais cet insolent Savetier, si j'avais le temps ! Mais j'ai un rendez-vous, et j'y cours. Il s'en va. COLIN. Je vous demande votre protection, et j'espère que vous voudrez bien me faire concierge d'un de vos châteaux. SCÈNE VIII. Grégoire, Perrette, Lucette, Colin, Monsieur Million. PERRETTE. Ainsi tu nous cachais cette somme ! Comme la richesse rend les gens mystérieux ! LUCETTE. Comme elle les rend inquiets ! COLIN. Comme elle les rond soupçonneux ! Car je suis sûr que Maître Grégoire ne me congédiait, que parce qu'il craignait que je n'en lève son trésor. LUCETTE. Ah ! Colin, tu lui fais injure. Jamais une pareille idée n'entra dans sa tête. GRÉGOIRE. Tu te trompes, ma fille ; tu ne connais pas l'effet de l'opulence. Oui, je l'avoue, j'avais soupçonné ma femme, ma fille, mon ami, tous mes voisins. Les maudits cent écus m'ont plus fait souffrir dans un quart d'heure, que je n'avais souffert dans toute ma vie. J'ai été bien pauvre. À l'armée, j'ai manqué de pain, j'ai couché dans la neige ; mais j'aimais mes camarades, et cela me consolait. Depuis que j'ai eu ce trésor, j'ai senti mon coeur s'endurcir par degrés. Je vais me délivrer de ce supplice. Je vais rendre ces écus à l'homme cruel qui me les a donnés. Je sais bien qu'ils m'appartiennent, et que je pourrais les employer à ton mariage ; mais qui sait comment ce financier les a acquis ? Colin, va les chercher ; ils sont dans la cave, sous un pavé marqué d'une craie. Mes enfants, dès demain je vous marie ; nous avons peu d'argent, nous ne ferons pas grand'chair, mais nous en serons plus légers à la danse. À Colin qui rapporte les cent écus. Donne-moi ce trésor infernal, donne-moi le. Il le prend, et va frapper à la porte de Monsieur Million Personne ne répond, tout dort. Il frappe encore. Quoi ! Je ne pourrai pas me débarrasser de cette somme ! C'est la première fois que Monsieur Million n'ait pas fait ouvrir sa porte à un homme qui lui apportait de l'argent. Il frappe encore, et Monsieur Million paraît sur le balcon, dans le désordre d'un homme qui vient de se réveiller. MONSIEUR MILLION. Quel insolent ose frapper de la sorte ? Où font mes gens ? Pourquoi n'ouvre-t-on pas ? Quoi ! Il faudra que je me relève, et que je sois le portier de ma maison. GRÉGOIRE. Monsieur Million, c'est votre serviteur Grégoire, qui vous rapporte votre argent, et qui n'en veut plus. MONSIEUR MILLION. Un homme qui me rapporte de l'argent, et qui n'en veut plus ! Cela est impossible ; je dors encore, et je crois que c'est un rêve... Cependant il me semble que je fuis éveillé, que je me frotte les yeux, et que je me promène sur mon balcon... Mais un homme qui me rapporte de l'argent, qui n'en veut plus ! Non, encore une fois, cela ne se peut pas : je rêve. GRÉGOIRE. Non, parbleu, ce n'est pas un rêve, Monsieur Million. Il lui jette le sac. Tenez, tâtez cet argent, et vous vous apercevrez que vous ne dormez pas. MONSIEUR MILLION. En effet, c'est-là mon sac. Ah ! Je vois bien que je ne parviendrai pas à empêcher ce maraud là de chanter ; il faut que je déguerpisse encore. Mais je sais bien comment m'y prendre pour n'avoir pas autour de moi d'importuns chanteurs. J'achèterai toute une rue, un quartier, s'il le faut, et je ne louerai mes appartements qu'à des traitants ou des gens d'affaires. GRÉGOIRE. Croyez-moi, Monsieur Million, vous prenez le bon parti. Avec de pauvres diables comme nous, on n'a pas beau jeu pour dormir le matin ; plus nous sommes pauvres, plus nous chantons. Contentement passe richesse. Serviteur. ==================================================