******************************************************** DC.Title = L'ENGAGEMENT TÉMÉRAIRE, COMÉDIE DC.Author = ROUSSEAU, Jean-Jacques DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Bergerie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 08:08:21. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/ROUSSEAU_ENGAGEMENTTEMERAIRE.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** L'ENGAGEMENT TÉMÉRAIRE COMÉDIE EN TROIS ACTES 1747 par Mr ROUSSEAU Représenté pour la première fois en 1747 au Château de Chenonceau. AVERTISSEMENT. Rien n'est plus plat que cette pièce. Cependant j'ai gardé quelque attachement pour elle, à cause de la gaîté du troisième acte, et de la facilité avec laquelle elle fut faite en trois jours, grâce à la tranquillité et au contentement d'esprit où je vivais alors, sans connaître l'art d'écrire, et sans aucune prétention. Si je fais moi-même l'édition générale, j'espère avoir assez de raison pour en retrancher ce barbouillage, sinon je laisse à ceux que j'aurai charges de cette entreprise le soin de juger de ce qui convient, soit à sa mémoire, soit au goût présent du public. PERSONNAGES DORANTE, ami de Valère. VALÈRE, ami de Dorante. ISABELLE, veuve. ÉLIANTE, cousine d'Isabelle. LISETTE, suivante d'Isabelle. CARLIN, valet de Dorante. UN NOTAIRE. UN LAQUAIS. La scène est dans le château d'Isabelle. ACTE I SCÈNE I. Isabelle, Éliante. ISABELLE. [Note : Hymen : signifie aussi poétiquement le mariage. [F]]L'hymen va donc enfin serrer des noeuds si doux ;Valère, à son retour, doit être votre époux :Vous allez être heureuse. Ah ! Ma chère Éliante ! ÉLIANTE. Vous soupirez ? Eh bien ! Si l'exemple vous tente,Dorante vous adore, et vous le voyez bien. Pourquoi gêner ainsi votre coeur et le sien ?Car vous l'aimez un peu ; du moins je le soupçonne. ISABELLE. Non, l'hymen n'aura plus de droits sur ma personne,Cousine ; un premier choix m'a trop mal réussi. ÉLIANTE. Prenez votre revanche en faisant celui-ci. ISABELLE. Je veux suivre la loi que j'ai su me prescrire ;Ou du moins... Car Dorante a voulu me séduire,Sous le feint nom d'ami s'emparer de mon coeur ;Serais-je donc ainsi la dupe d'un trompeur ?Qui, par le succès même, en serait plus coupable, Et qui l'est trop, peut-être ? ÉLIANTE. Il est donc pardonnable. ISABELLE. Point ; il ne m'aura pas trompée impunément.Il vient. Éloignons-nous, ma cousine, un moment.Il n'est pas de son but aussi près qu'il le pense ;Et je veux à loisir méditer ma vengeance. SCÈNE II. DORANTE, seul. Elle m'évite encor ! Que veut dire ceci ?Sur l'état de son coeur quand serai-je éclairci ?Hasardons de parler... Son humeur m'épouvante :Carlin connaît beaucoup sa nouvelle suivante ; Il aperçoit Carlin.Je veux... Carlin ! SCÈNE III. Carlin, Dorante. CARLIN. Monsieur ? DORANTE. Vois-tu bien ce château ? CARLIN. Oui, depuis fort longtemps. DORANTE. Qu'en dis-tu ? CARLIN. Qu'il est beau. DORANTE. Mais encor ? CARLIN. Beau, très beau, plus beau qu'on ne peut être.Que diable ! DORANTE. Et si bientôt j'en devenais le maître,T'y plairais-tu ? CARLIN. Selon : s'il nous restait garni ;Cuisine foisonnante, et cellier bien fourni ; Pour vos amusements, Isabelle, Éliante ;Pour ceux du sieur Carlin, Lisette la suivante ;Mais, oui, je m'y plairais. DORANTE. Tu n'es pas dégoûté.Eh bien ! réjouis-toi, car il est... CARLIN. Acheté ? DORANTE. Non, mais gagné bientôt. CARLIN. Bon ! par quelle aventure ? Isabelle n'est pas d'âge ni de figureÀ perdre ses châteaux en quatre coups de dé DORANTE. Il est à nous, te dis-je, et tout est décidéDéjà dans mon esprit... CARLIN. Peste ! La belle emplette !Résolue à part vous ? C'est une affaire faite. Le château désormais ne saurait nous manquer. DORANTE. Songe à me seconder au lieu de te moquer. CARLIN. Oh ! Monsieur, je n'ai pas une tête si vive ;Et j'ai tant de lenteur dans l'imaginative,Que mon esprit grossier, toujours dans l'embarras, Ne sait jamais jouir des biens que je n'ai pas :[Note : Crésus : dernier roi de Lydie, de la race des Mermandes, célèbre par ses richesses, monta sur le trône en l'an 559 avant JC, et partagea son règne entre les plaisirs, la guerre et les arts. (...) [B]]Je serais un Crésus sans cette maladresse. DORANTE. Sais-tu, mon tendre ami, qu'avec ta gentillesseTu pourrais bien, pour prix de ta moralité,Attirer sur ton dos quelque réalité ? CARLIN. Ah ! De moraliser je n'ai plus nulle envie.Comme on te traite, hélas ! Pauvre philosophie !Çà, vous pouvez parler, j'écoute sans souffler. DORANTE. Apprends donc un secret qu'à tous il faut celer,Si tu le peux, du moins. CARLIN. Rien ne m'est plus facile. DORANTE. Dieu le veuille ! En ce cas tu pourras m'être utile. CARLIN. Voyons. DORANTE. J'aime Isabelle. CARLIN. Oh ! Quel secret ! Ma foi,Je le savais sans vous. DORANTE. Qui te l'a dit ? CARLIN. Vous. DORANTE. Moi ? CARLIN. Oui, vous : vous conduisez avec tant de mystèreVos intrigues d'amour, qu'en cherchant à les taire, Vos airs mystérieux, tous vos tours et retoursEn instruisent bientôt la ville et les faubourgs.Passons. À votre amour la belle répond-elle ? DORANTE. Sans doute. CARLIN. Vous croyez être aimé d'Isabelle ?Quelle preuve avez-vous du bonheur de vos feux ? DORANTE. Parbleu ! Messer Carlin, vous êtes curieux. CARLIN. Oh ! Ce ton-là, ma foi, sent la bonne fortune ;Mais trop de confiance en fait manquer plus d'une,Vous le savez fort bien. DORANTE. Je suis sûr de mon fait,Isabelle en tous lieux me fuit. CARLIN. Mais en effet, C'est de sa tendre ardeur une preuve constante ! DORANTE. Écoute jusqu'au bout. Cette veuve charmanteÀ la fin de son deuil, déclara sans retourQue son coeur pour jamais renonçait à l'amour.Presque dès ce moment mon âme en fut touchée, Je la vis, je l'aimai ; mais toujours attachéeAu voeu qu'elle avait fait, je sentis qu'il faudraitMénager son esprit par un détour adroit :Je feignis pour l'hymen beaucoup d'antipathie,Et, réglant mes discours sur sa philosophie, Sous le tranquille nom d'une douce amitié,Dans ses amusements je fus mis de moitié. CARLIN. [Note : Peste : se dit quelquefois par admiration ou par imprécation ou serment. [F]]Peste ! Ceci va bien. En amusant les bellesOn vient au sérieux. Il faut rire auprès d'elles ;Ce qu'on fait en riant est autant d'avancé. DORANTE. Dans ces ménagements plus d'un an s'est passéeTu peux bien te douter qu'après toute une année,On est plus familier qu'après une journée ;Et mille aimables jeux se passent entre amis,Qu'avec un étranger on n'aurait pas permis. Or, depuis quelque temps j'aperçois qu'IsabelleSe comporte avec moi d'une façon nouvelle.Sa cousine toujours me reçoit du même oeil ;Mais, sous l'air affecté d'un favorable accueil,Avec tant de réserve Isabelle me traite, Qu'il faut ou qu'en secret prévoyant sa défaiteElle veuille éviter de m'en faire l'aveu,Ou que d'un autre amant elle approuve le feu. CARLIN. Eh ! Qui voudriez-vous qui pût ici lui plaire ?Il n'entre en ce château que vous seul et Valère, Qui, près de la cousine en esclave enchaîné,Va bientôt par l'hymen voir, son feu couronné. DORANTE. Moi donc, n'apercevant aucun rival à craindre,Ne dois-je pas juger que, voulant se contraindre,Isabelle aujourd'hui cherche à m'en imposer Sur les progrès d'un feu qu'elle veut déguiser ?Mais, avec quelque soin qu'elle cache sa flamme,Mon coeur a pénétré le secret de son âme ;Ses yeux ont sur les miens lancé ces traits charmants,Présages fortunés du bonheur des amants. Je suis aimé, te dis-je ; un retour plein de charmesPaie enfin mes soupirs, mes transports et mes larmes... CARLIN. Économisez mieux ces exclamations ;Il est, pour les placer, d'autres occasionsOù cela fait merveille. Or, quant à notre affaire, Je ne vois pas encor ce que mon ministère,Si vous êtes aimé, peut en votre faveur :Que vous faut-il de plus ? DORANTE. L'aveu de mon bonheur.Il faut qu'en ce château... Mais j'aperçois Lisette.Va m'attendre au logis. Surtout, bouche discrète. CARLIN. Vous offensez, monsieur, les droits de mon métier.On doit choisir son monde, et puis s'y confier. DORANTE, le rappelant. Ah ! J'oubliais... Carlin, j'ai reçu de ValèreUne lettre d'avis que, pour certaine affaireQu'il ne m'explique pas, il arrive aujourd'hui. S'il vient, cours aussitôt m'en avertir ici. SCÈNE IV. Dorante, Lisette. DORANTE. Ah ! c'est toi, belle enfant ! Eh ! bonjour, ma Lisette :Comment, vont les galants ? À ta mine coquetteOn pourrait bien gager au moins pour deux ou trois :Plus le nombre en est grand, et mieux on fait son choix. LISETTE. Vous me prêtez, monsieur, un petit caractère,Mais fort joli vraiment ! DORANTE. Bon, bon, point de colère.Tiens, avec ces traits-là, Lisette, par ta foi,Peux-tu défendre aux gens d'être amoureux de toi ? LISETTE. Fort bien. Vous débitez la fleurette à merveilles, Et vos galants discours enchantent les oreilles,Mais au fait, croyez-moi. DORANTE. Parbleu ! tu me ravis, Feignant de vouloir l'embrasser.J'aime à te prendre au mot. LISETTE. Tout doux ! monsieur ! DORANTE. Tu ris,Et je veux rire aussi. LISETTE. Je le vois. Malepeste !Comme a m'interpréter, monsieur, vous êtes leste ! Je m'entends autrement, et sais qu'auprès de nousCe jargon séduisant de messieurs tels que vousMontre, par ricochet, où le discours s'adresse. DORANTE. Quoi ! tu penserais donc qu'épris de ta maîtresse... LISETTE. Moi ? je ne pense rien : mais, si vous m'en croyez, Vous porterez ailleurs des feux trop mal payés. DORANTE, vivement. Ah ! je l'avais prévu : l'ingrate a vu ma flamme,Et c'est pour m'accabler qu'elle a lu dans mon âme. LISETTE. Qui vous a dit cela ? DORANTE. Qui nie l'a dit ? c'est toi. LISETTE. Moi ? je n'y songe pas. DORANTE. Comment ? LISETTE. Non, par ma foi. DORANTE. Et ces feux mal payés, est-ce un rêve ? est-ce un conte ? LISETTE. Diantre ! comme au cerveau d'abord le feu vous monte !Je ne m'y frotte plus. DORANTE. Ah ! daigne m'éclaircir.Quel plaisir peux-tu prendre à me faire souffrir ! LISETTE. Et pourquoi si longtemps, vous, me faire un mystère D'un secret dont je dois être dépositaire ?J'ai voulu vous punir par un peu de souciIsabelle n'a rien aperçu jusqu'ici. À part.C'est mentir. Haut.Mais gardez qu'elle ne vous soupçonne ;Car je doute en ce cas que son coeur vous pardonne. Vous ne sauriez penser jusqu'où va sa fierté. DORANTE. Me voilà retombé dans ma perplexité. LISETTE. Elle vient. Essayez de lire dans son âme,Et surtout avec soin cachez-lui votre flamme ;Car vous êtes perdu si vous la laissez voir. DORANTE. Hélas ! Tant de lenteur me met au désespoir. SCÈNE V. Isabelle, Dorante, Lisette. ISABELLE. Ah ! Dorante, bonjour. Quoi ! Tous deux tête à tête !Eh mais ! vous faisiez donc votre cour à Lisette ?Elle est vraiment gentille et de bon entretien. DORANTE. Madame, il me suffit qu'elle vous appartient Pour rechercher en tout le bonheur de lui plaire. ISABELLE. Si c'est là votre objet, rien ne vous reste a faire,Car Lisette s'attache a tous mes sentiments. DORANTE. Ah ! Madame... ISABELLE. Oh ! surtout, quittons les compliments,Et laissons aux amants ce vulgaire langage. La sincère amitié, de son froid étalageA toujours dédaigné le fade et vain secours :On n'aime point assez quand on le dit toujours. DORANTE. Ah ! du moins une fois heureux qui peut le dire. LISETTE, bas. Taisez-vous donc, jaseur. ISABELLE. J'oserais bien prédire Que, sur le ton touchant dont vous vous exprimez.Vous aimerez bientôt, si déjà vous n'aimez. DORANTE. Moi, madame ? ISABELLE. Oui, vous. DORANTE. Vous me raillez, sans doute ? LISETTE, à part. Oh ! ma foi, pour le coup mon homme est en déroute. ISABELLE. Je crois lire en vos yeux des symptômes d'amour. DORANTE. Haut, à Lisette, avec affectation.Madame, en vérité... Pour lui faire ma cour,Faut-il en convenir ? LISETTE, bas. Bravo ! prenez courage. Haut, à Dorante.Mais il faut bien, monsieur aider au badinage. ISABELLE. Point ici de détour : parlez-moi franchement ;Seriez-vous amoureux ? LISETTE, bas, vivement. Gardez de... DORANTE. Non, vraiment, Madame, il me déplaît fort de vous contredire. ISABELLE. Sur ce ton positif, je n'ai plus rien à dire :Vous ne voudriez pas, je crois, m'en imposer. DORANTE. J'aimerais mieux mourir que de vous abuser. LISETTE, bas. Il ment, ma foi, fort bien ; j'en suis assez contente. ISABELLE. Ainsi donc votre coeur, qu'aucun objet ne tente,Les a tous dédaignés, et jusques aujourd'huiN'en a point rencontré qui fût digne de lui ? DORANTE, à part. Ciel ! Se vit-on jamais en pareille détresse ! LISETTE. Madame, il n'ose pas, par pure politesse, Donner à ce discours son approbation ;Mais je sais que l'amour est son aversion. Bas, à Dorante.Il faut ici du coeur. ISABELLE. Eh bien ! J'en suis charmée,Voilà notre amitié pour jamais confirmée,Si, ne sentant du moins nul penchant à l'amour, Vous y voulez pour moi renoncer sans retour. LISETTE. Pour vous plaire, madame, il n'est rien qu'il ne fasse. ISABELLE. Vous répondez pour lui ! C'est de mauvaise grâce. DORANTE. Hélas ! J'approuve tout : dictez vos volontés.Tous vos ordres par moi seront exécutés. ISABELLE. Ce ne sont point des lois, Dorante, que j'impose ;Et si vous répugnez à ce que je propose,Nous pouvons dès ce jour nous quitter bons amis. DORANTE. Ah ! Mon goût à vos voeux sera toujours soumis. ISABELLE. Vous êtes complaisant, je veux être indulgente ; Et pour vous en donner une preuve évidente,Je déclare à présent qu'un seul jour, un objet,Doivent borner le voeu qu'ici vous avez fait.Tenez pour ce jour seul votre coeur en défense ;Évitez de l'amour jusques à l'apparence Envers un seul objet que je vous nommerai ;Résistez aujourd'hui, demain je vous feraiUn don... DORANTE, vivement. À mon choix ? ISABELLE. Soit, il faut vous satisfaire ;Et je vous laisserai régler votre salaire.Je n'en excepte rien que les lois de l'honneur : Je voudrais que le prix fût digne du vainqueur. DORANTE. Dieux ! Quels légers travaux pour tant de récompense ! ISABELLE. Oui : mais si vous manquez un moment de prudence,Le moindre acte d'amour, un soupir, un regard,Un trait de jalousie enfin, de votre part, Vous privent à l'instant du droit que je vous laisse :Je punirai sur moi votre propre faiblesse,En vous voyant alors pour la dernière fois :Telles sont du pari les immuables lois. DORANTE. Ah ! Que vous m'épargnez de mortelles alarmes ! Mais quel est donc enfin cet objet plein de charmesDont les attraits pour moi sont tant à redouter ? ISABELLE. Votre coeur aisément pourra les rebuter :Ne craignez rien. DORANTE. Et c'est ? ISABELLE. C'est moi. DORANTE. Vous ? ISABELLE. Oui, moi-même. DORANTE. Qu'entends-je ! ISABELLE. D'où vous vient cette surprise extrême ? Si le combat avait moins de facilité,Le prix ne vaudrait pas ce qu'il aurait coûté. LISETTE. Mais regardez-le donc ; sa figure est à peindre ! DORANTE, à part. Non, je n'en reviens pas. Mais il faut me contraindre.Cherchons en cet instant à remettre mes sens. Mon coeur contre soi-même a lutté trop longtemps ;Il faut un peu de trêve à cet excès de peine.La cruelle a trop vu le penchant qui m'entraîne,Et je ne sais prévoir, à force d'y penser,Si l'on veut me punir ou me récompenser. SCÈNE VI. Isabelle, Lisette. LISETTE. De ce pauvre garçon le sort me touche l'âme.Vous vous plaisez par trop à maltraiter sa flamme,Et vous le punissez de sa fidélité. ISABELLE. Va, Lisette, il n'a rien qu'il n'ait bien mérité.Quoi ! pendant si longtemps il m'aura pu séduire, Dans ses pièges adroits il m'aura su conduire ;Il aura, sous le nom d'une douce amitié... LISETTE. Fait prospérer l'amour ? ISABELLE. Et j'en aurais pitié !Il faut que ces trompeurs trouvent dans nos capricesLe juste châtiment de tous leurs artifices. Tandis qu'ils sont amants, ils dépendent de nous :Leur tour ne vient que trop sitôt qu'ils sont époux. LISETTE. Ce sont bien, il est vrai, les plus francs hypocrites !Ils vous savent longtemps faire les chattemites :Et puis gare la griffe. Oh ! d'avance auprès d'eux Prenons notre revanche. ISABELLE, en soi-même. Oui, le tour est heureux. À Lisette.Je médite à Dorante une assez bonne pièceOù nous aurons besoin de toute ton adresse.Valère en peu de jours doit venir de Paris ? LISETTE. Il arrive aujourd'hui, Dorante en a l'avis. ISABELLE. Tant mieux, à mon projet cela vient à merveilles. LISETTE. Or, expliquez-nous donc la ruse sans pareilles. ISABELLE. Valère et ma cousine, unis d'un même amour,Doivent se marier peut-être dès ce jour.Je veux de mon dessein la faire confidente. LISETTE. Que ferez-vous, hélas ! de la pauvre Éliante ?Elle gâtera tout. Avez-vous oubliéQu'elle est la bonté même, et que, peu délié,Son esprit n'est pas fait pour le moindre artifice,Et moins encor son coeur pour la moindre malice ? ISABELLE. Tu dis fort bien, vraiment ; mais pourtant mon projetDemanderait... Attends... Mais oui, voilà le fait.Nous pouvons aisément la tromper elle-même ;Cela n'en fait que mieux pour notre stratagème. LISETTE. Mais si Dorante, enfin, par l'amour emporté, Tombe dans quelque piège où vous l'aurez jeté,Vous ne pousserez pas, du moins, la railleriePlus loin que ne permet une plaisanterie ? ISABELLE. Qu'appelles-tu, plus loin ? Ce sont ici des jeux,Mais dont l'événement doit être sérieux. Si Dorante est vainqueur et si Dorante m'aime,Qu'il demande ma main, il l'a dès l'instant même ;Mais si son faible coeur ne peut exécuterLa loi que par ma bouche il s'est laissé dicter,Si son étourderie un peu trop loin l'entraîne, Un éternel adieu va devenir la peineDont je me vengerai de sa séduction,Et dont je punirai son indiscrétion. LISETTE. Mais s'il ne commettait qu'une faute légèrePour qui la moindre peine est encor trop sévère ? ISABELLE. D'abord, à ses dépens nous nous amuserons ;Puis nous verrons après ce que nous en ferons. ACTE II SCÈNE I. Isabelle, Lisette. LISETTE. Oui, tout a réussi, madame, par merveilles.Éliante écoutait de toutes ses oreilles,Et sur nos propos feints, dans sa vaine terreur, Nous donne bien, je pense, au diable de bon coeur. ISABELLE. Elle croit tout de bon que j'en veux à Valère ? LISETTE. Et que trouvez-vous là que de fort ordinaire ?D'une amie en secret s'approprier l'amant,Dame ! attrape qui peut. ISABELLE. Ah ! très assurément Ce procédé va mal avec mon caractère.D'ailleurs... LISETTE. Vous n'aimez point l'amant qui sait lui plaire,Et la vertu vous dit de lui laisser son bien.Ah ! qu'on est généreux quand il n'en coûte rien ! ISABELLE. Non, quand je l'aimerais, je ne suis pas capable... LISETTE. Mais croyez-vous au fond d'être bien moins coupable ? ISABELLE. Le tour, je te l'avoue, est malin. LISETTE. Très malin. ISABELLE. Mais... LISETTE. Les frais en sont faits, il faut en voir la fin,N'est-ce pas ? ISABELLE. Oui. Je vais faire la fausse lettre.À Valère feignant de la vouloir remettre, Tu tâcheras tantôt, mais très adroitement,Qu'elle parvienne aux mains de Dorante. LISETTE. Oh ! vraiment,Carlin est si nigaud que... ISABELLE. Le voici lui-même :Rentrons. Il vient à point pour notre stratagème. SCÈNE II. CARLIN. Valère est arrivé ; moi j'accours à l'instant, Et voilà la façon dont Dorante m'attend.Où diable le chercher ? Hom, qu'il m'en doit de belles !On dit qu'au dieu Mercure on a donné des ailes :Il en faut en effet pour servir un amant,S'il ne nourrit son monde assez légèrement Pour compenser cela. Quelle maudite vieQue d'être assujettis à tant de fantaisie !Parbleu ! ces maîtres-là sont de plaisants sujets !Ils prennent, par ma foi, leurs gens pour leurs valets ! SCÈNE III. Éliante, Carlin. ÉLIANTE, sans voir Carlin. Ciel ! Que viens-je d'entendre ? Et qui voudra le croire ? Inventa-t-on jamais perfidie aussi noire ? CARLIN. Éliante paraît ; elle a les yeux en pleurs !À qui diable en a-t-elle ? ÉLIANTE. À de telles noirceursQui pourrait reconnaître Isabelle et Valère ? CARLIN. Ceci couvre à coup sûr quelque nouveau mystère. ÉLIANTE. Ah ! Carlin, qu'à propos je te rencontre ici ! CARLIN. Et moi, très à propos je vous y trouve aussi,Madame, si je puis vous y marquer mon zèle. ÉLIANTE. Cours appeler Dorante, et dis-lui qu'Isabelle,Lisette, et son ami, nous trahissent tous trois. CARLIN. Je le cherche moi-même, et déjà par deux foisJ'ai couru jusqu'ici pour lui pouvoir apprendreQue Valère au logis est resté pour l'attendre. ÉLIANTE. Valère ? Ah ! Le perfide ! Il méprise mon coeur,Il épouse Isabelle ; et sa coupable ardeur, À son ami Dorante arrachant sa maîtresse,Outrage en même temps l'honneur et la tendresse. CARLIN. Mais de qui tenez-vous un si bizarre fait ?Il faut se défier des rapports qu'on nous fait. ÉLIANTE. J'en ai, pour mon malheur, la preuve trop certaine. J'étais par pur hasard dans la chambre prochaine ;Isabelle et Lisette arrangeaient leur complot.À travers la cloison, jusques au moindre mot,J'ai tout entendu... CARLIN. Mais, c'est de quoi me confondre ;À cette preuve-là je n'ai rien à répondre. Que puis-je cependant faire pour vous servir ? ÉLIANTE. Lisette en peu d'instants sûrement doit sortirPour porter à Valère elle-même une lettreQu'Isabelle en ses mains tantôt a dû remettre.Tâche de la surprendre, ouvre-la, porte-la Sur-le-champ à Dorante ; il pourra voir par làDe tout leur noir complot la trame criminelle.Qu'il tâche à prévenir cette injure cruelle,Mon outrage est le sien. CARLIN. Madame, la douleurQue je ressens pour vous dans le fond de mon coeur... Allume dans mon âme... une telle colère...Que mon esprit... ne peut... Si je tenais Valère...Suffit... Je ne dis rien... Mais, ou nous ne pourrons,Madame, vous servir... ou nous vous servirons. ÉLIANTE. De mon juste retour tu peux tout te promettre. Lisette va venir : souviens-toi de la lettre.Un autre procédé serait plus généreux ;Mais contre les trompeurs on peut agir comme eux.Faute d'autre moyen pour le faire connaître,C'est en le trahissant qu'il faut punir un traître. SCÈNE IV. CARLIN. Souviens-toi ! c'est bien dit ; mais pour exécuterLe vol qu'elle demande, il y faut méditer.Lisette n'est pas grue, et le diable m'emporteSi l'on prend ce qu'elle a que de la bonne sorte.Je n'y vois qu'embarras. Examinons pourtant Si l'on ne pourrait point... Le cas est important ;Mais il s'agit ici de ne point nous commettre,Car mon dos... C'est Lisette, et j'aperçois la lettre.Éliante, ma foi, ne s'est trompée en rien. SCÈNE V. Carlin, Lisette, avec une lettre dans le sein. LISETTE, à part. Voilà déjà mon drôle aux aguets : tout va bien. CARLIN. À part.Hasardons l'aventure. Haut.Eh ! comment va Lisette ? LISETTE. Je ne te voyais pas ; on dirait qu'en vedetteQuelqu'un t'aurait mis là pour détrousser les gens. CARLIN. Mais, j'aimerais assez à piller les passantsQui te ressembleraient. LISETTE. Aussi peu redoutables ? CARLIN. Non, des gens qui seraient autant que toi volables. LISETTE. Que leur volerais-tu ? pauvre enfant ! je n'ai rien. CARLIN. Carlin de ce rien-là s'accommoderait bien. Essayant d'escamoter la lettre.Par exemple, d'abord je tâcherais de prendre... LISETTE. Fort bien ; mais de ma part tâchant de me défendre, Vous ne prendriez rien, du moins pour le moment. Elle met la lettre dans la poche de son tablier du côté de Carlin. CARLIN. Il faudrait donc tâcher de m'y prendre autrement.Qu'est-ce que cette lettre ? où vas-tu donc la mettre ? LISETTE, feignant d'être embarrassée. Cette lettre. Carlin ? Eh mais, c'est une lettre...Que je mets dans ma poche. CARLIN. Oh ! vraiment, je le vois. Mais voudrais-tu me dire à qui ?... Il tâche encore de prendre la lettre. LISETTE, mettant la lettre dans l'autre poche opposée à Carlin. Déjà deux foisVous avez essayé de la prendre par ruse.Je voudrais bien savoir... CARLIN. Je te demande excuse ;Je dois à tes secrets ne prendre aucune part.Je voulais seulement savoir si par hasard Cette lettre n'est point pour Valère ou Dorante. LISETTE. Et si c'était pour eux... CARLIN. D'abord, je me présente,Ainsi que je ferais même en tout autre cas,Pour la porter moi-même et vous sauver des pas. LISETTE. Elle est pour d'autres gens. CARLIN. Tu mens ; voyons la lettre : LISETTE. Et si, vous la donnant, je vous faisais promettreDe ne la point montrer, me le tiendriez-vous ? CARLIN. Oui. Lisette, en honneur, j'en jure à tes genoux. LISETTE. Vous m'apprenez comment il faudra me conduire.De ne la point montrer on a su me prescrire ; J'ai promis en honneur. CARLIN. Oh ! c'est un autre point :Ton honneur et le mien ne se ressemblent, point. LISETTE. Ma foi, monsieur Carlin, j'en serais très fâchée.Voyez l'impertinent ! CARLIN. Ah ! vous êtes cachée !Je connais maintenant quel est votre motif. Votre esprit en détours serait moins inventif,Si la lettre touchait un autre que vous-même :Un traître rival est l'objet du stratagème,Et j'ai, pour mon malheur, trop su le pénétrerPar vos précautions pour ne la point montrer. LISETTE. Il est vrai ; d'un rival devenue amoureuse,De vos soins désormais je suis peu curieuse. CARLIN, en déclamant. Oui, perfide, je vois que vous me trahissezSans retour pour mes soins, pour mes travaux passés ;Quand je vous promenais par toutes les guinguettes, Lorsque je vous aidais à plisser vos cornettes,Quand je vous faisais voir la Foire ou l'Opéra,Toujours, me disiez-vous, notre amour durera.Mais déjà d'autres feux ont chassé de ton âmeLe charmant souvenir de ton ancienne flamme. Je sens que le regret m'accable de vapeurs ;Barbare, c'en est fait, c'est pour toi que je meurs ! LISETTE. Non, je t'aime toujours. Mais il tombe en faiblesse. Pendant que Lisette le soutient et lui fait sentir son flacon, Carlin lui vole la lettre.Pourquoi vouloir aussi lui cacher ma tendresse ?C'est moi qui, l'assassine. Eh ! vite mon flacon. À part.Sens, sens, mon pauvre enfant. Ah ! le rusé fripon ! Haut.Comment te trouves-tu ? CARLIN. Je reviens à la vie. LISETTE. De la mienne bientôt ta mort serait suivie. CARLIN. Ta divine liqueur m'a tout réconforté. LISETTE, à part. C'est ma lettre, coquin, qui t'a ressuscité. Haut.Avec toi cependant trop longtemps je m'amuse ;Il faudra que je rêve à trouver quelque excuse,Et déjà je devrais être ici de retour.Adieu, mon cher Carlin. CARLIN. Tu t'en vas, mon amour ?Rassure-moi, du moins, sur ta persévérance. LISETTE. Eh quoi ! peux-tu douter de toute ma constance ? À part.Il croit m'avoir dupée, et rit de mes propos :Avec tout leur esprit, les hommes sont des sots. SCÈNE VI. CARLIN. À la fin je triomphe, et voici ma conquête.Ce n'est pas tout ; il faut encore un coup de tête : Car, à Dorante ainsi si je vais la porter,Il la rend aussitôt sans la décacheter ;La chose est immanquable : et cependant ValèreVous lui souffle Isabelle, et, sous mon ministère,Je verrai ses appas, je verrai ses écus Passer en d'autres mains, et mes projets perdus !Il faut ouvrir la lettre... Eh ! oui ; mais si je l'ouvre,Et par quelque malheur que mon vol se découvre,Valère pourrait bien... La peste soit du sot !Qui diable le saura ? moi, je n'en dirai mot. Lisette aura sur moi quelque soupçon peut-être :Eh bien ! nous mentirons... Allons, servons mon maître,Et contentons surtout ma curiosité.La cire ne tient point, tout est déjà sauté ;Tant mieux : la refermer sera chose facile... Il lit en parcourant.Diable ! voyons ceci.« Je vous préviens par cette lettre, mon cher Valère, supposant que vous arriverez aujourd'hui, comme nous en sommes convenus. Dorante est notre dupe plus que jamais : il est toujours persuadé que c'est à Éliante que vous en voulez, et j'ai imaginé là-dessus un stratagème assez plaisant pour nous amuser à ses dépens, et l'empêcher de troubler notre mariage. J'ai fait avec lui une espèce de pari, par lequel il s'est engagé à ne me donner d'ici à demain aucune marque d'amour ni de jalousie, sous peine de ne me voir jamais. Pour le séduire plus sûrement, je l'accablerai de tendresses outrées, que vous ne devez prendre à son égard que pour ce qu'elles valent ; s'il manque à son engagement, il m'autorise à rompre avec lui sans détour ; et s'il l'observe, il nous délivre de ses importunités jusqu'à la conclusion de l'affaire. Adieu. Le notaire est déjà mandé : tout est prêt pour l'heure marquée, et je puis être à vous dès ce soir. » ISABELLE. Tubleu ! Le joli style !Après de pareils tours on ne dit rien, sinonQu'il faut pour les trouver être femme ou démon.Oh ! que voici de quoi bien réjouir mon maître !Quelqu'un vient ; c'est lui-même. SCÈNE VII. Dorante, Carlin. DORANTE. Où te tiens-tu donc, traître ? Je te cherche partout. CARLIN. Moi, je vous cherche aussi :Ne m'avez-vous pas dit de revenir ici ? DORANTE. Mais pourquoi si longtemps ?... CARLIN. Donnez-vous patience.Si vous montrez en tout la même pétulance,Nous allons voir beau jeu. DORANTE. Qu'est-ce que ce discours ? CARLIN. Ce n'est rien ; seulement à vos tendres amoursIl faudra dire adieu. DORANTE. Quelle sotte nouvelleViens-tu ?... CARLIN. Point de courroux. Je sais bien qu'IsabelleDans le fond de son coeur vous aime uniquement ;Mais, pour nourrir toujours un si doux sentiment, Voyez comme de vous elle parle à Valère. DORANTE. L'écriture, en effet, est de son caractère. Il lit la lettre.Que vois-je ? malheureux ! d'où te vient ce billet ? CARLIN. Allez-vous soupçonner que c'est moi qui l'ai fait ? DORANTE. D'où te vient-il ? te dis-je. CARLIN. À la chère suivante Je l'ai surpris tantôt par ordre d'Éliante. DORANTE. D'Éliante ! Comment ? CARLIN. Elle avait découvertToute la trahison qu'arrangeaient de concertIsabelle et Lisette, et pour vous en instruire,Jusqu'en ce vestibule a couru me le dire. La pauvre enfant pleurait. DORANTE. Ah ! Je suis confondu !Aveuglé que j'étais ! comment n'ai-je pas dû,Dans leurs airs affectés, voir leur intelligence ?On abuse aisément un coeur sans défiance.Ils se riaient ainsi de ma simplicité ! CARLIN. Pour moi, depuis longtemps je m'en étais douté.Continuellement on les trouvait ensemble. DORANTE. Ils se voyaient fort peu devant moi, ce me semble. CARLIN. Oui, c'était justement pour mieux cacher leur jeu.Mais leurs regards... DORANTE. Non pas ; ils se regardaient peu, Par affectation. CARLIN. Parbleu ! Voilà l'affaire. DORANTE. Chez moi-même à l'instant ayant trouvé Valère,J'aurais dû voir, au ton dont parlant de leurs noeudsD'Éliante avec art il faisait l'amoureux,Que l'ingrat ne cherchait qu'à me donner le change. CARLIN. Jamais crédulité fut-elle plus étrange ?Mais que sert le regret ? et qu'y faire après tout ? DORANTE. Rien ; je veux seulement savoir si jusqu'au boutIls oseront porter leur lâche stratagème. CARLIN. Quoi ! Vous prétendez donc être témoin vous-même ? DORANTE. Je veux voir Isabelle, et, feignant d'ignorerLe prix qu'à ma tendresse elle a su préparer,Pour la mieux détester je prétends me contraindre,Et sur son propre exemple apprendre l'art de feindre.Toi, va tout préparer pour partir dès ce soir. CARLIN, va et revient. Peut-être... DORANTE. Quoi ? CARLIN. J'y cours. DORANTE. Je suis au désespoir.Elle vient. À ses yeux déguisons ma colère.Qu'elle est charmante ! Hélas ! comment se peut-il faireQu'un esprit aussi noir anime tant d'attraits ? SCÈNE VIII. Isabelle, Dorante. ISABELLE. Dorante, il n'est plus temps d'affecter désormais Sur mes vrais sentiments un secret inutile.Quand la chose nous touche ; on voit la moins habileÀ l'erreur qu'elle feint se livrer rarement.Je prétends avec vous agir plus franchement.Je vous aime, Dorante ; et ma flamme sincère, Quittant ces vains dehors d'une sagesse austèreDont le faste sert mal à déguiser le coeur,Veut bien à vos regards dévoiler son ardeur.Après avoir longtemps vanté l'indifférence,Après avoir souffert un an de violence, Vous ne sentez que trop qu'il n'en coûte pas peuQuand on se voit réduite à faire un tel aveu. DORANTE. Il faut en convenir ; je n'avais pas l'audaceDe m'attendre, madame, à cet excès de grâce.Cet aveu me confond, et je ne puis douter Combien, en le faisant, il a dû vous coûter. ISABELLE. Votre discrétion, vos feux, votre constance,Ne méritaient pas moins que cette récompense ;C'est au plus tendre amour, à l'amour éprouvé,Qu'il faut rendre l'espoir dont je l'avais privé. Plus vous auriez d'ardeur, plus, craignant ma colère,Vous vous attacheriez à ne pas me déplaire ;Et mon exemple seul a pu vous dispenserDe me cacher un feu qui devait m'offenser.Mais quand à vos regards toute ma flamme éclate, Sur vos vrais sentiments peut-être je me flatte,Et je ne les vois point ici se déclarerTels qu'après cet aveu j'aurais pu l'espérer. DORANTE. Madame, pardonnez au trouble qui me gêne,Mon bonheur est trop grand pour le croire sans peine. Quand je songe quel prix vous m'avez destiné,De vos rares bontés je me sens étonné.Mais moins à ces bontés j'avais droit de prétendre,Plus au retour trop dû vous devez vous attendre.Croyez, sous ces dehors de la tranquillité, Que le fond de mon coeur n'est pas moins agité. ISABELLE. Non, je ne trouve point que votre air soit tranquille ;Mais il semble annoncer plus de torrents de bileQue de transports d'amour : je ne crois pas pourtantQue mon discours, pour vous, ait eu rien d'insultant, Et sans trop me flatter, d'autres à votre placeL'auraient pu recevoir d'un peu meilleure grâce. DORANTE. À d'autres, en effet, il eût convenu mieux.Avec autant de goût on a de meilleurs yeux,Et je ne trouve point, sans doute, en mon mérite, De quoi justifier ici votre conduite :Mais je vois qu'avec moi vous voulez plaisanter ;C'est à moi de savoir, madame, m'y prêter. ISABELLE. Dorante, c'est pousser bien loin la modestie :Ceci n'a point trop l'air d'une plaisanterie : Il nous en coûte assez en déclarant nos feux,Pour ne pas faire un jeu de semblables aveux.Mais je crois pénétrer le secret de votre âme ;Vous craignez que, cherchant à tromper votre flamme,Je ne veuille abuser du défi de tantôt Pour tâcher aujourd'hui de vous prendre en défaut.Je ne vous cache point qu'il me paraît étrangeQu'avec autant d'esprit on prenne ainsi le change :Pensez-vous que des feux qu'allument nos attraitsNous redoutions si fort les transports indiscrets, Et qu'un amour ardent jusqu'à l'extravaganceNe nous flatte pas mieux qu'un excès de prudence ?Croyez, si votre sort dépendait du pari,Que c'est de le gagner que vous seriez puni. DORANTE. Madame, vous jouez fort bien la comédie ; Votre talent m'étonne, il me fait même envie ;Et, pour savoir répondre à des discours si doux,Je voudrais en cet art exceller comme vous :Mais, pour vouloir trop loin pousser le badinage,Je pourrais à la fin manquer mon personnage, Et reprenant peut-être un ton trop sérieux... ISABELLE. À la plaisanterie il n'en ferait que mieux.Tout de bon, je ne sais où de cette boutadeVotre esprit a péché la grotesque incartade.Je m'en amuserais beaucoup en d'autres temps. Je ne veux point ici vous gêner plus longtemps.Si vous prenez ce ton par pure gentillesse,Vous pourriez l'assortir avec la politesse ;Si vos mépris par moi veulent se signaler,Il faudra bien chercher de quoi m'en consoler. DORANTE, en fureur. Ah ! per... ISABELLE, l'interrompant vivement. Quoi ! DORANTE, faisant effort pour se calmer. Je me tais ISABELLE, à part. De peur d'étourderie,Allons faire en secret veiller sur sa furie.Dans ses emportements je vois tout son amour...Je crains bien à la fin de l'aimer à mon tour. Elle sort en faisant d'un air poli, mais railleur, une révérence à Dorante. SCÈNE IX. DORANTE. Me suis-je assez longtemps contraint en sa présence ? Ai-je montré près d'elle assez de patience ?Ai-je assez observé ses perfides noirceurs ?Suis-je assez poignardé de ses fausses douleurs ?Douceurs pleines de fiel, d'amertume et de larmes,Grands dieux ! que pour mon coeur vous eussiez eu de charmes ! Si sa bouche, parlant avec sincérité,N'eût pas au fond du sien trahi la vérité !J'en ai trop enduré, je devais la confondre ;À cette lettre enfin qu'eût-elle osé répondre ?Je devais à mes yeux un peu l'humilier ; Je devais... Mais plutôt songeons à l'oublier.Fuyons, éloignons-nous de ce séjour funeste ;Achevons d'étouffer un feu que je détesteMais ne partons qu'après avoir tiré raisonDu perfide Valère et de sa trahison. ACTE III SCÈNE I. Lisette, Dorante, Valère. LISETTE. Que vous êtes tous deux ardents à la colère !Sans moi vous alliez faire une fort belle affaire !Voilà mes bons amis si prompts à s'engager ;Ils sont encor plus prompts souvent à s'égorger ; DORANTE. J'ai tort, mon cher Valère, et t'en demande excuse : Mais pouvais-je prévoir une semblable ruse ?Qu'un coeur bien amoureux est facile à duper !Il n'en fallait pas tant, hélas ! pour me tromper. VALÈRE. Ami, je suis charmé du bonheur de la flamme.Il manquait à celui qui pénètre mon âme De trouver dans ton coeur les mêmes sentiments,Et de nous voir heureux tous deux en même temps. LISETTE, à Valère. Vous pouvez en parler tout-à-fait à votre aise ;Mais pour monsieur Dorante, il faut, ne lui déplaise,Qu'il nous fasse l'honneur de prendre son congé. DORANTE. Quoi ! songes-tu ? LISETTE. C'est vous qui n'avez pas songéÀ la loi qu'aujourd'hui vous prescrit Isabelle.On peut se battre, au fond, pour une bagatelle,Avec les gens qu'on croit qu'elle veut épouser :Mais Isabelle est femme à s'en formaliser ; Elle va, par orgueil, mettre en sa fantaisieQu'un tel combat s'est fait par pure jalousie ;Et, sur de tels exploits, je vous laisse à jugerQuel prix à vos lauriers elle doit adjuger. DORANTE. Lisette, ah ! mon enfant, serais-tu bien capable De trahir mon amour en me rendant coupable ?Ta maîtresse de tout se rapporte à ta foi ;Si tu veux me sauver cela dépend de toi. LISETTE. Point, je veux lui conter vos brillantes prouesses,Pour vous faire ma cour. DORANTE. Hélas ! de mes faiblesses Montre quelque pitié. LISETTE. Très noble chevalier,[Note : Paladin : Héros, ou ancien aventurier, ou chevalier errant, dont il est fait beaucoup de mention dans les romans, fondé sur ce que la plupart étaient des plus notables officiers de la Cour et du Palais de Charlemagne. [F]]Jamais un paladin ne s'abaisse à prier :Tuer d'abord les gens, c'est la bonne manière. VALÈRE. Peux-tu voir de sang froid comme il se désespère,Lisette ? Ah ! Sa douleur aurait dû t'attendrir. LISETTE. Si je lui dis un mot, ce mot pourra l'aigrir,Et contre moi peut-être il tirera l'épée. DORANTE. J'avais compté sur toi, mon attente est trompée ;Je n'ai plus qu'à mourir. LISETTE. Oh ! Le rare secret :Mais il est du vieux temps, j'en ai bien du regret ; C'était un beau prétexte. VALÈRE. Eh ! Ma pauvre Lisette,Laisse de ces propos l'inutile défaite ;Sers-nous si tu le peux, si tu le veux du moins,Et compte que nos coeurs acquitteront tes soins. DORANTE. Si tu rends de mes feux l'espérance accomplie, Dispose de mes biens, dispose de ma vie ;Cette bague d'abord... LISETTE, prenant la bague. Quelle nécessité ?Je prétends vous servir par générositéJe veux vous protéger auprès de ma maîtresseIl faut qu'elle partage enfin votre tendresse ; Et voici mon projet. Prévoyant de vos coups,Elle m'avait tantôt envoyé près de vousPour empêcher le mal, et ramener Valère,Afin qu'il ne vous pût éclaircir ce mystère ;Que si je ne pouvais autrement tout parer, Elle m'avait chargé de vous tout déclarer.C'est donc ce que j'ai fait quand vous vouliez vous battre,Et qu'il vous a fallu, monsieur, tenir à quatre.Mais je devais, de plus, observer avec soinLes gestes, dits et faits dont je serais témoin, Pour voir si vous étiez fidèle à la gageure.Or, si je m'en tenais à la vérité pure,Vous sentez bien, je crois, que c'est fait de vos feux :Il faudra donc mentir ; mais pour la tromper mieuxIl me vient dans l'esprit une nouvelle idée... DORANTE. Qu'est-ce ? VALÈRE. Dis-nous un peu... LISETTE. Je suis persuadée...Non... Si... si fait... Je crois... Ma foi, je n'y suis plus. DORANTE. Morbleu ! LISETTE. Mais à quoi bon tant de soins superflus ?L'idée est toute simple ; écoutez bien, Dorante :Sur ce que je dirai, bientôt impatiente, Isabelle chez vous va vous faire appeler.Venez ; mais comme si j'avais su vous celerLe projet qu'aujourd'hui sur vous elle médite,Vous viendrez sur le pied d'une simple visite,Approuvant froidement tout ce qu'elle dira, Ne contredisant rien de ce qu'elle voudra.Ce soir un feint contrat pour elle et pour ValèreVous sera proposé pour vous mettre en colère :Signez-le sans façon ; vous pouvez être sûrD'y voir partout du blanc pour le nom du futur. Si vous vous tirez bien de votre petit rôle,Isabelle, obligée à tenir sa parole,Vous cède le pari peut-être dès ce soir,Et le prix, par la loi, reste en votre pouvoir. DORANTE. Dieux ! quel espoir flatteur succède à ma souffrance ! Mais n'abuses-tu point ma crédule espérance ?Puis-je compter sur toi ? LISETTE. Le compliment est doux !Vous me payez ainsi de ma bonté pour vous ? VALÈRE. Il est fort question de te mettre en colère !Songe à bien accomplir ton projet salutaire, Et, loin de t'irriter contre ce pauvre amant,Connais à ses terreurs l'excès de son tourment.Mais je brûle d'ardeur de revoir Éliante :Ne puis-je pas entrer ? Mon âme impatiente... LISETTE. Que les amants sont vifs ! Oui, venez avec moi. À Dorante.Vous, de votre bonheur fiez-vous à ma foi,Et retournez chez vous attendre des nouvelles. SCÈNE II. DORANTE. Je verrais terminer tant de peines cruelles !Je pourrais voir enfin mon amour couronné !Dieux ! À tant de plaisirs serais-je destiné ? Je sens que les dangers ont irrité ma flamme ;Avec moins de fureur elle brûlait mon âmeQuand je me figurais, par trop de vanité,Tenir déjà le prix dont je m'étais flatté.Quelqu'un vient. Évitons de me laisser connaître. Avant le temps prescrit je ne dois point paraître.Hélas ! mon faible coeur ne peut se rassurer,Et je crains encor plus que je n'ose espérer. SCÈNE III. Éliante, Valère. ÉLIANTE. Oui, Valère, déjà de tout je suis instruite ;Avec beaucoup d'adresse elles m'avaient séduite Par un entretien feint entre elles concerté,Et que, sans m'en douter, j'avais trop écouté. VALÈRE. Eh quoi ! Belle Éliante, avez-vous donc pu croireQue Valère, à ce point ennemi de sa gloire.De son bonheur surtout, cherchât en d'autres noeuds Le prix dont vos bontés avaient flatté ses voeux ?Ah ! que vous avez mal jugé de ma tendresse ! ÉLIANTE. Je conviens avec vous de toute ma faiblesse.Mais que j'ai bien payé trop de crédulité !Que n'avez-vous pu voir ce qu'il m'en a coûté ! Isabelle, à la fin par mes pleurs attendrie,A par un franc aveu calmé ma jalousie ;Mais cet aveu pourtant, en exigeant de moiQue sur un tel secret je donnasse ma foiQue Dorante par moi n'en aurait nul indice. À mon amour pour vous j'ai fait ce sacrifice :Mais il m'en coûte fort pour le tromper ainsi. VALÈRE. Dorante est, comme vous, instruit de tout ceci.Gardez votre secret en affectant de feindre.Isabelle, bientôt, lasse de se contraindre, Suivant notre projet peut-être, dès ce jour,Tombe en son propre piège et se rend à l'amour. SCÈNE IV. Isabelle, Éliante, Valère, et Lisette un peu après. ISABELLE, en soi-même. Ce sang-froid de Dorante et me pique et m'outrage.Il m'aime donc bien peu, s'il n'a pas le courageDe rechercher du moins un éclaircissement ! LISETTE, arrivant. Dorante va venir, madame, en un moment.J'ai fait en même temps appeler le notaire. ISABELLE. Mais il nous faut encor le secours de Valère.Je crois qu'il voudra bien nous servir aujourd'hui.J'ai bonne caution qui me répond de lui. VALÈRE. Si mon zèle suffit et mon respect extrême,Vous pourriez bien, madame, en répondre vous même. ISABELLE. J'ai besoin d'un mari seulement pour ce soir,Voudriez-vous bien l'être ? ÉLIANTE. Eh mais ! il faudra voir.Comment ! il vous faut donc des cautions, cousine, [Note : Pleiger : cautionner en justice, répondre pour quelqu'un, et s'obliger de payer le jugé. [F]]Pour pleiger vos maris ? LISETTE. Oh ! oui ; car pour la mine,Elle trompe souvent. ISABELLE, à Valère. Hé bien ! qu'en dites-vous ? VALÈRE. On ne refuse pas, madame, un sort si doux ;Mais d'un terme trop court... ISABELLE. Il est bon de vous dire,Au reste, que ceci n'est qu'un hymen pour rire. LISETTE. Dorante est là ; sans moi, vous alliez tout gâter. ISABELLE. J'espère que son coeur ne pourra résisterAu trait que je lui garde. SCÈNE V. Isabelle, Dorante, Éliante, Valère, Lisette. ISABELLE. Ah ! vous voilà, Dorante !De vous voir aussi peu je ne suis pas contentePourquoi me fuyez-vous ? Trop de présomption M'a fait croire, il est vrai, qu'un peu de passionDe vos soins près de moi pouvait être la cause :Mais faut-il pour cela prendre si mal la chose ?Quand j'ai voulu tantôt, par de trop doux aveux,Engager votre coeur à dévoiler ses feux, Je n'avais pas pensé que ce fût une offenseÀ troubler entre nous la bonne intelligence ;Vous m'avez cependant, par des airs suffisants,Marqué trop clairement vos mépris offensants ;Mais, si l'amant méprise un si faible esclavage, Il faut bien que l'ami du moins m'en dédommage ;Ma tendresse n'est pas un tel affront, je croi,Qu'il faille m'en punir en rompant avec moi. DORANTE. Je sens ce que je dois à vos bontés, madame :Mais vos sages leçons ont si touché mon âme, Que, pour vous rendre ici même sincérité,Peut-être mieux que vous j'en aurai profité. ISABELLE, bas, à Lisette. Lisette, qu'il est froid ! il a l'air tout de glace. LISETTE, bas. Bon, c'est qu'il est piqué ; c'est par pure grimace. ISABELLE. Depuis notre entretien, vous serez bien surpris D'apprendre en cet instant le parti que j'ai pris.Je vais me marier. DORANTE, froidement. Vous marier ! vous-même ? ISABELLE. En personne. D'où vient cette surprise extrême ?Ferais-je mal, peut-être ? DORANTE. Oh ! non : c'est fort bien fait.Cet hymen-là s'est fait avec un grand secret. ISABELLE. Point. C'est sur le refus que vous m'avez su faireQue je vais épouser... devinez. DORANTE. Qui ? ISABELLE. Valère. DORANTE. Valère ? Ah ! mon ami, je t'en fais compliment.Mais Éliante donc ? ISABELLE. Me cède son amant. DORANTE. Parbleu ! voilà, madame, un exemple bien race ! LISETTE. Avant le mariage, oui, le fait est bizarre ;Car si c'était après, ah ! qu'on en céderaitPour se débarrasser ! ISABELLE, bas, à Lisette. Lisette, il me paraîtQu'il ne s'anime point. LISETTE, bas. Il croit que l'on badine :Attendez le contrat, et vous verrez sa mine. ISABELLE, à part. Périssent mon caprice et mes jeux insensés. UN LAQUAIS. Le notaire est ici. DORANTE. Mais c'est être pressés :Le contrat dès ce soir ! Ce n'est pas raillerie ? ISABELLE. Non, sans doute, monsieur ; et même je vous prie,En qualité d'ami, de vouloir y signer. DORANTE. À vos ordres toujours je dois me résigner. ISABELLE, bas. S'il signe, c'en est fait, il faut que j'y renonce. SCÈNE VI. Le Notaire, Isbelle, Dorante, Élante, Valère, Lisette. LE NOTAIRE. Requiert-on que tout haut le contrat je prononce ? VALÈRE. Non, monsieur le notaire ; on s'en rapporte en toutÀ ce qu'a fait madame ; il suffit qu'à son goût Le contrat soit passé. ISABELLE, regardant Dorante d'un air de dépit. Je n'ai pas lieu de craindreQue de ce qu'il contient personne ait à se plaindre. LE NOTAIRE. Or, puisqu'il est ainsi, je vais sommairement,En bref, succinctement, compendieusement,Résumer, expliquer, en style laconique, Les points articulés en cet acte authentique,Et jouxte la minute entre mes mains restant,Ainsi que selon droit et coutume s'entend.D'abord pour les futurs. Item pour leurs familles,Bisaïeuls, trisaïeuls, père, enfants, fils et filles, Du moins réputés tels, ainsi que par la loiQuem nuptioe monstrant, il appert faire foi.Item pour leur pays, séjour et domicile.Passé, présent, futur, tant aux champs qu'à la ville.Item pour tous leurs biens, acquêts, conquêts, dotaux, Préciput, hypothèque, et biens paraphernaux.Item encor pour ceux de leur estoc et ligne... LISETTE. Item vous nous feriez une faveur insigneSi, de ces mots cornus le poumon dégagé,Il vous plaisait, monsieur, abréger l'abrégé. VALÈRE. Au vrai, tous ces détails nous sont fort inutiles.Nous croyons le contrat plein de clauses subtiles ;Mais on n'a nul désir de les voir aujourd'hui. LE NOTAIRE. Voulez-vous procéder, approuvant icelui,À le corroborer de votre signature ? ISABELLE. Signons, je le veux bien, voilà mon écriture.À vous, Valère. ÉLIANTE, bas, à Isabelle. Au moins ce n'est pas tout de bon ;Vous me l'avez promis, cousine ? ISABELLE. Eh ! mon Dieu ! non.Dorante veut-il bien nous faire aussi la grâce ?... Elle lui présente la plume. DORANTE. Pour vous plaire, madame, il n'est rien qu'on ne fasse. ISABELLE, à part. Le coeur me bat : je crains la fin de tout ceci. DORANTE, à part. Le futur est en blanc ; tout va bien jusqu'ici. ISABELLE, bas. Il signe sans façon !... À la fin je soupçonne... À Lisette.Ne me trompez-vous point ? LISETTE. En voici d'une bonne !Il serait fort plaisant que vous le pensassiez ! ISABELLE. Hélas ! Et plût au ciel que vous me trompassiez !Je serais sûre au moins de l'amour de Dorante. LISETTE. Pour en faire quoi ? ISABELLE. Rien. Mais je serais contente. LISETTE, à part. Que les pauvres enfants se contraignent tous deux ! ISABELLE, à Valère. Valère, enfin l'hymen va couronner nos voeux ; Pour en serrer les noeuds sous un heureux auspiceFaisons, en les formant, un acte de justice.À Dorante à l'instant je cède le pari.J'avais cru qu'il m'aimait, mais mon esprit guéri.S'aperçoit de combien je m'étais abusée. En secret mille fois je m'étais accuséeDe le désespérer par trop de cruauté.Dans un piège assez fin il s'est précipité ;Mais il ne m'est resté, pour fruit de mon adresse,Que le regret de voir que son coeur sans tendresse Bravait également et la ruse et l'amour.Choisissez donc, Dorante, et nommez en ce jourLe prix que vous mettez au gain de la gageure :Je dépends d'un époux, mais je me tiens bien sûre.Qu'il est trop généreux pour vous le disputer. VALÈRE. Jamais plus justement vous n'auriez pu compterSur mon obéissance. DORANTE. Il faut donc vous le dire,Je demande... ISABELLE. Eh bien ! quoi ? DORANTE. La liberté d'écrire. ISABELLE. D'écrire ? LISETTE. Il est donc fou ? VALÈRE. Que demandes-tu là ? DORANTE. Oui, d'écrire mon nom dans le blanc que voilà. ISABELLE. Ah ! vous m'avez trahie ! DORANTE, à ses pieds. Eh quoi ! belle Isabelle,Ne vous lassez-vous point de m'être si cruelle ?Faut-il encor... SCÈNE VII. Carlin, botté, et un fouet à la main ; Le Notaire, Isabelle, Dorante, Éliante, Valère, Lisette. CARLIN. Monsieur, les chevaux sont tout prêts,La chaise nous attend. DORANTE. La peste des valets ! CARLIN. Monsieur, le temps se passe. VALÈRE. Eh ! Quelle fantaisie De nous troubler ?... CARLIN. Il est six heures et demie : DORANTE. Te tairas-tu ?... CARLIN. Monsieur, nous partirons trop tard. DORANTE. Voilà bien, à mon gré, le plus maudit bavard !Madame, pardonnez... CARLIN. Monsieur, il faut me taire :Mais nous avons ce soir bien du chemin à faire. DORANTE. Le grand diable d'enfer puisse-t-il l'emporter ! ÉLIANTE. Lisette, explique-lui... LISETTE. Bon ! Veut-il m'écouter ?Et peut-on dire un mot où parle monsieur Carle ! CARLIN, un peu vite. Eh ! Parle, au nom du ciel ! Avant qu'on parle, parle :Parle, pendant qu'on parle : et, quand on a parlé, Parle encor, pour finir sans avoir déparlé. DORANTE. Toi déparleras-tu, parleur impitoyable ? À Isabelle.Puis-je enfin me flatter qu'un penchant favorableConfirmera le don que vos lois m'ont promis ? ISABELLE. Je ne sais si ce don vous est si bien acquis, Et j'entrevois ici de la friponnerie.Mais, en punition de mon étourderie,Je vous donne ma main et vous laisse mon coeur. DORANTE, baisant la main d'Isabelle. Ah ! Vous mettez par là le comble à mon bonheur. CARLIN. Que diable font-ils donc, aurais-je la berlue ? LISETTE. Non, vous avez, mon cher, une très bonne vue, Riant.Témoin la lettre... CARLIN. Eh bien ! De quoi veux-tu parler ? LISETTE. Que j'ai tant eu de peine à me faire voler. CARLIN. Quoi ! C'était tout exprès ?... LISETTE. Mon Dieu ! Quel imbécile !Tu t'imaginais donc être le plus habile ? CARLIN. Je sens que j'avais tort ; cette ruse d'enferTe doit donner le pas sur monsieur Lucifer. LISETTE. Jamais comparaison ne fut moins méritée,Au bien de mon prochain toujours je suis portée ;Tu vois que par mes soins ici tout est content, Ils vont se marier, en veux-tu faire autant ? CARLIN. Tope, j'en fais le saut ; mais sois bonne diablesse ;À me cacher tes tours mets toute ton adresse ;Toujours dans la maison fais prospérer le bien ;Nargue du demeurant quand je n'en saurai rien. LISETTE. Souvent, parmi les jeux, le coeur de la plus sagePlus qu'elle ne voudrait en badinant s'engage.Belles, sur cet exemple apprenez en ce jourQu'on ne peut sans danger se jouer à l'amour. ==================================================