******************************************************** DC.Title = LES SAUVAGES, PARODIE. DC.Author = RICCOBONI, ROMAGNESI DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Parodie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 22/06/2022 à 06:08:55. DC.Coverage = États-Unis DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/ROMAGNESIRICCOBONI_SAUVAGES.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LES SAUVAGES PARODIE DE LA TRAGÉDIE D'ALZIRE. EN UN ACTE EN VERS. M. DCC. XXXVI. Avec Approbation et Privilege du Roi. De Messieurs ROMAGNESI et RICCOBONI. À PARIS, Chez PRAULT, père, Quai de Gesvres, au Paradis. Représentée pour la première fois par les Comédiens Italiens, le 5 mars 1736. ACTEURS. L'ALZIRE, femme du Gouverneur. NEGRITTE, suivante de l'Alzire. BONHOMMÉS, père de Garnement. GARNEMENT, Gouverneur. FADEZE, père de l'Alzire. MATAMORE, amant de l'Alzire. NEGRILLON. SUITE. UN GARDE. La scène est en Amérique. SCÈNE PREMIÈRE. Bonhommés, Garnement. BONHOMMÉS. Oui, de me succéder mon fils aura l'honneur,[Note : Missouri : Nom d'une tribu amérindienne qui a donné son nom à la rivière qui se jette dans le Mississipi et à un état des USA.]Et chez les Missouris le voilà Gouverneur.Mais écoutez-moi bien ; le droit de la vieillesseEst de moraliser la bouillante jeunesse : Dussent tous mes discours ici vous ennuyer, Pour l'exposition il les faut essuyer ;De me faire estimer j'eus toujours l'avantage,Vous avez de l'esprit et même du courage ;Mais vous êtes hautain, fat, insolent, brutal.Moi, je suis simple, doux, bienfaisant et loyal : Et quoique père et fils, différents l'un de l'autre,Bonhommés est mon nom, Garnement est le vôtre. GARNEMENT. Comment ferait-on voir que l'on est grand Seigneur,Si l'on ne se donnait un air supérieur ?Il faut tenir son rang, et d'un coup d'oeil sublime, Pour se faire estimer, montrer que l'on s'estime.Il faut que les petits tremblent à notre aspect,Et l'orgueil fut toujours le père du respect. BONHOMMÉS. Ah, mon fils ! Oubliez cette morale étrange,On aime la vertu depuis que le goût change ; Un homme tel que vous se voit mal accueilli.Si vous aviez connu le Comte de Neuilly !C'était un coeur rempli de vertus héroïques ;Père de ses vassaux et de ses domestiques,Pour se couvrir de gloire il n'a rien épargné : C'était un bon Seigneur ! GARNEMENT. Il a beaucoup gagné.Si dans quelques maisons il parut respectable,Il se vit, en public, bien moins recommandable.Il faut être brillant, et n'importe à quel prix ;Toujours du singulier l'univers fut surpris. Suis-je moins estimé, malgré mon caractère ? BONHOMMÉS. Vous devez cet éclat au nom de votre père.Ce qu'il fit autrefois parle en votre faveur,Et la prévention fait tout votre bonheur.Mais, pour la conserver, devenez honnête homme, Le Peuple Américain n'aime pas qu'on l'assomme ;Vous le traitez fort mal ; trop de sévéritéRend chez nos ennemis votre nom détesté :Moins bien armés que nous, ils ne sont pas moins braves ;Nous ne venons ici que pour les rendre esclaves, Ils voudraient éviter un joug aussi fatal.Ah ! Battez les, mon fils, sans leur faire de mal. GARNEMENT. La chose, à dire vrai, me paraît difficile ;Mais à vos volontés il faut être docile.Puisque vous l'ordonnez, on peut les ménager. Hélas ! À mes chagrins vous me faites songer ;Vous savez que mon bras, dans la guerre dernière,Avec des prisonniers fit une prisonnière.Cette esclave à l'instant me soumit à ses lois ;Mais, bien loin de sentir tout l'honneur d'un tel choix, Elle fuit mes soupirs, méprise ma tendresse.Quoi, ne puis-je gagner le coeur d'une Négresse ?J'ai beau faire éclater ma fureur à ses yeux.... BONHOMMÉS. Vous vous y prenez mal, et je m'y prenais mieux ;J'affectais des égards et de la politesse : Il faut de la douceur auprès d'une maîtresse ;Un amour furieux ne peut que la choquer,L'homme le moins galant saurait vous critiquer.Elle va cependant devenir votre femme,Son père, dans ce jour, l'accorde à votre flamme ; La fille en est fâchée, et ne vous aime point :Mais pour se marier on passe sur ce point.Vous allez être heureux ! Que dans cette journéeTout se ressente ici de ce doux hyménée ;Mettez en liberté ces pauvres prisonniers, Qu'aux pieds de nos remparts on prit ces jours derniers. GARNEMENT. Ils sont six, et venaient pour surprendre la ville. BONHOMMÉS. Ils ne le pourraient pas quand ils seraient six mille.Écoutez, et voyez quelle obligationEut jadis votre père à cette Nation : Un jour dans ces forêts, sans crainte de surprise,De m'aller promener j'avais fait la sottise ;Les Sauvages bientôt mirent en désarroiDeux malheureux valets que j'avais avec moi.Je suis pris ; et, suivant sa coutume barbare, À manger votre père un peuple se prépare.Un d'entr'eux, tout à coup, en m'entendant nommer,Fait éteindre le feu qu'on venait d'allumer :Bonhommés, me dit-il, reçois la récompenseDes bienfaits que sur nous a versés ta clémence ; Ta vertu de mon coeur a banni le courroux,Et tu mériterais d'être né parmi nous.Va, tu peux, sans danger, rejoindre ton armée.Voyez ce que nous vaut la bonne renommée ! GARNEMENT. Vous leur devez beaucoup, mais ce sont des coquins ; Doit-on s'intéresser pour des Américains ? On les ménage peu dans le temps ou nous sommes. BONHOMMÉS. Pour être un peu plus noirs, ils n'en sont pas moins hommes,Mon fils, mettez enfin un terme à leurs malheurs,Je demande leur grâce, et vous voyez mes pleurs. GARNEMENT. Il faut vous obéir. De leur sombre demeurePour paraître au grand jour, ils vont sortir sur l'heure. BONHOMMÉS. Votre beau-père vient, et je dois lui parler. GARNEMENT. Pour vous laisser ensemble il faut donc m'en aller. Il sort. SCÈNE II. Bonhommés, Fadéze. FADEZE. Bonjour, cher Bonhommés. BONHOMMÉS. Bonjour, mon cher Fadéze. FADEZE. Comment vous portez-vous ? BONHOMMÉS. Très bien. FADEZE. J'en suis fort aise.Je m'intéresse à vous. BONHOMMÉS. Pourquoi ? FADEZE. Je n'en sais rien.Et, quoique vous m'ayez emporté tout mon bien,Je vous aime beaucoup. C'est la façon de prendreQui rend pour le voleur notre âme dure, ou tendre. Depuis trois ans ici vous avez soin de moi,Et je suis plus content que lorsque j'étais roi.D'ailleurs, vous n'avez point méprisé ma famille,Puisque nous marions Garnement et ma fille. BONHOMMÉS. Oui, c'est bien mon dessein ; mais je crains qu'en ce jour, Ta fille, pour mon fils, n'ait pas assez d'amour ;Et, par la, j'envisage un avenir funeste. FADEZE. Bon ! Ma fille toujours eut de l'amour de reste ;Vous n'avez rien à craindre, et je vais lui parler. BONHOMMÉS. Veux-tu qu'en ce moment je la fasse appeler ? FADEZE. Non, elle viendra bien sans qu'on l'en avertisse,Toujours à nos desseins le hasard est propice,Car la voici qui vient. BONHOMMÉS. Pour la déterminer,Fais voir en ce moment que tu sais raisonner. Il sort. SCÈNE III. Fadeze, L'Alzire. L'ALZIRE. Dieu ! Quels sont mes malheurs ! FADEZE. Approche-toi, l'Alzire, J'ai, pour nos intérêts, quelque chose à te dire :Tu vas voir les Français tomber à tes genoux,Tu vas donner la main au plus illustre époux.Le ciel, par ton secours, va nous combler de joie,Et sa faveur sur nous aujourd'hui se déploie ; Tu vas monter au trône, et, pour le dire en bref,Tu seras aujourd'hui la femme du grand Chef. L'ALZIRE. Pourrais-je y consentir ? Hélas ! Je pleure encoreLe destin malheureux du vaillant Matamore ;Je ne puis oublier que ce jeune héros Nous avait assuré qu'il finirait nos maux ;Qu'il allait des Français arrêter l'entreprise ;Que pour prix de ses soins ma main lui fut promise ;Que pour premier essai de sa rare vertu,Il alla pour les battre, et qu'il en fut battu. FADEZE. C'est qu'il eut du malheur. L'ALZIRE. Il y perdit la vie.Sa mort, de mes regrets sera toujours suivie,Je lui serai fidèle... FADEZE. Apaise ces transports ;Il est tant de vivants, pourquoi songer aux morts ? L'ALZIRE. Ah ! De tous les humains, celui qu'on me présente, Est le seul dont l'aspect m'alarme et m'épouvante ;Vainqueur de mon amant, je ne puis sans horreurRecevoir une main qui lui perça le coeur. FADEZE. Il est vrai que la chose est très désagréable ;Mais d'un pareil effort un grand coeur est capable. L'ALZIRE. Je ne puis à ses jours attacher mon destin,Je le hais, je l'abhorre... Eh ! Pense-t-on qu'enfin,Un Français freluquet ici me dédommageDes solides vertus d'un illustre Sauvage ? FADEZE. Matamore, il est vrai, te convenait bien mieux, C'était un bon garçon quoi qu'un peu furieux.Mais enfin, chacun sait qu'une fille sauvage,N'est pas si difficile en fait de mariage.Allons donc, résous-toi ; pour notre bien communIl te faut un époux, et c'en est toujours un. L'ALZIRE. Victime du devoir et de la politique,Il faut donc s'immoler pour la cause publique.On le veut, j'obéis : mais je dois, à ses yeux,Faire éclater l'horreur que m'inspirent ses feux.Après un tel aveu, pour peu qu'il s'y hasarde, Il pourra m'épouser ; mais qu'il y prenne garde. FADEZE. Je le vois. Il te doit obtenir aujourd'hui ;Et, comme de raison, je te laisse avec lui. SCÈNE IV. L'Alzire, Garnement. GARNEMENT. Madame, apparemment on vient de vous instruireDe l'hymen qu'on prépare, et du bien ou j'aspire. On vous a dit que c'est pour elle un grand honneur,Pour peu qu'une sauvage épouse un Gouverneur ;Qu'à ce poste éclatant vous ne pouviez prétendre,Si l'amour jusqu'à vous ne m'avait fait descendre.Remplissez les devoirs qu'exige cette amour, Songez que c'est à vous à me faire la cour. L'ALZIRE. Sans vouloir me choquer de votre impertinence,Je vais vous dire ici deux mots en confidence.Lorsqu'un père commande, il lui faut obéir,Mais, en dépit de moi, vous allez m'obtenir. Ma main fut autrefois promise à Matamore,À mon coeur, à mes yeux il est présent encore ; Je l'aimerai toujours : oui, je vous le promets,Les premières ardeurs ne s'éteignent jamais. GARNEMENT. Vous en aimez un autre, et venez me le dire ? L'ALZIRE. Jugez de ma candeur, et connaissez l'Alzire.[Note : Les vers 177 et 178, sot semblables aux vers 307 et 308 de Alzire de Voltaire : Qui peut se déguiser pourrait trahir sa foi, C'est un art de l'Europe, il n'est pas fait pour moi.]D'autres, sans avertir, savent manquer de foi,C'est l'usage d'Europe, il n'est pas fait pour moi.Je serai votre femme, et vous serai fidèle.Après ce que j'ai dit, la promesse est nouvelle, Mais je tiendrai parole ; et vous pouvez compterSur la vertu d'un coeur qui va vous détester.Un semblable discours vous surprend, et, je gage,Que personne avant moi n'a tenu ce langage ;Mais la simple Nature habite parmi nous, Et parle dans ces lieux autrement que chez vous. Elle sort. GARNEMENT. D'un hymen arrêté, que sur l'heure on va faire,Voila, je vous l'avoue, un beau préliminaire.Puis-je l'aimer encore après un tel aveu,Moi qui suis si hautain ? C'est m'estimer bien peu ! Je ne sais ou j'en suis, la fureur me transporte !Que penser ? Que résoudre ? Elle me hait. N'importe, Par les noeuds de l'hymen il la faut engager,Et je l'épouserai, dussai-je en enrager. Il sort. SCÈNE V. Matamore, Negrillon, Suite. MATAMORE. Amis infortunés, qui partagez mes peines, Nous revoyons le jour, on a brisé nos chaînes.Prétend-on nous tuer, ou nous faire du bien ?En quels lieux sommes-nous ? NEGRILLON. Personne n'en sait rien.Peut-être croyez-vous l'apprendre dans la suite,Mais non ; de la façon que la chose est conduite, [Note : Potosi : Il existe une ville de Bolivie nommée Potisi et qui signifie Tonnerre en Quechua.]Je leur donne à choisir dans tout le Potosi,Quel que soit cet endroit, il est fort mal choisi. MATAMORE. Hé bien, n'en parlons plus. Mais si tu veux m'entendre,Ce que tu sais déjà, je m'en vais te l'apprendre.Depuis trois ans entiers on croit que je suis mort ; Tu vois qu'il n'en est rien, et par un coup du sort, Après avoir souffert les tourments effroyablesQue me firent subir nos tyrans implacables,Je lassai leur fureur, du moins je la trompai ;En un mot, j'étais mort lorsque j'en réchappai. Depuis ce temps fatal, courant de bois en plaine,Je rassemble une armée, en ces lieux je l'amène ;J'y cherche Garnement, et viens à tout hasard ;Mes gens sont dans le bois ; j'approche du rempart ;On me voit, on m'attaque ; et j'ai beau me défendre, Pour la seconde fois je me laisse encor prendre. NEGRILLON. Peut-être quelque jour seras tu plus heureux.Mais que veut ce vieillard ? Il a l'air langoureux. SCÈNE VI. Bonhomme's, Matamore, Negrillon, Suite. Il sort. BONHOMMÉS. Soyez libres. Vivez. MATAMORE. Oui, c'est bien notre envie. BONHOMMÉS. C'est à moi, mes enfants, que vous devez la vie. MATAMORE. Tu parais Espagnol ? BONHOMMÉS. Non, non, je suis Français. MATAMORE. Je ne m'étonne plus du bien que tu me fais. BONHOMMÉS. J'ai pour ta nation une amour fraternelle,Et je te rends ici ce que j'ai reçu d'elle :Que ne puis-je aujourd'hui par un pareil secours Être utile au héros qui conserva mes jours ! MATAMORE. Que vois-je ! Sa vieillesse et son air respectable...Connaîtrais-tu la main qui te fut secourable ? BONHOMMÉS. Mais c'était un jeune-homme ; et franchement je crois... MATAMORE. Est-ce toi, Bonhommés ? BONHOMMÉS. Ah ! Mon ami. c'est toi ! On se retrouve ainsi, lorsque moins on y pense ;Et voila le brillant d'une reconnaissance. MATAMORE. Ah que je suis charmé de te voir en ces lieux !Mais satisfais, de grâce, un désir curieux :Fadéze est-il vivant, et règne-t-il encore ? Je devrais le savoir, cependant je l'ignore.Mon père, excuse-moi, si je verse des pleurs. BONHOMMÉS. Tu fais bien ; ce moment attendrit tous les coeurs :La situation est vraiment pathétique,Et l'on se fait honneur, quand on pleure au tragique. Oui, Fadéze respire, et je vais l'avertirQue tu voudrais le voir avant que de partir.Mais ce n'est pas assez, dans ce jour plein de joieJe vais chercher mon fils, et je veux qu'il te voie,Que vous soyez amis. MATAMORE. Comment l'appelle-t-on ? BONHOMMÉS. Il ne faut pas encor que tu saches son nom :Mais le plus grand bonheur pour ce cher fils s'apprête ;Tu le partageras, et seras de la fête. MATAMORE. Quelle est donc cette fête ou je dois prendre part ? BONHOMMÉS. Ne t'inquiète point, tu le sauras plus tard. MATAMORE. Mais est-il naturel de m'en faire un mystère ? BONHOMMÉS. Non, je devrais parler, et j'ai tort de me taire ;Mais aux coups de théâtre on doit un peu songer ;On aime la surprise, il faut la ménager. SCÈNE VII. Matamore, Negrillon, Suite. MATAMORE. Le bonhomme, sans doute, est souvent en délire : Mais Fadéze est vivant, et je verrai l'Alzire,L'Alzire, dont le nom est si cher à mon coeur,Conserve-t-elle encor pour moi la même ardeur ? NEGRILLON. Mais je n'y comprends rien ! Pourquoi de cette belleNe demandais-tu pas au moins quelque nouvelle ? MATAMORE. Je m'en suis bien gardé ; plus fin que tu ne crois,Je ne dis jamais tout des la première fois.Mais quel est ce vieillard que nous voyons paraître ? NEGRILLON. C'est Fadéze ; aisément tu dois le reconnaîtreTu le voyais souvent, et presque son beau-fils... MATAMORE. Je ne connais plus rien dans ce maudit pays. SCÈNE VIII. Matamore, Fadeze, Negrillon, Suite, Gardes. MATAMORE. Quoi, nous nous revoyons ? Quel bonheur est le nôtre !Embrassons-nous, mon père. FADEZE. En voici bien d'une autre !Matamore en ces lieux ! Je suis tout confondu ;On t'a fait un tombeau, c'est de l'argent perdu. MATAMORE. De ta Fille au plutôt apprends-moi des nouvelles. FADEZE. Tu vas dans un moment en apprendre de belles ! MATAMORE. Je viens vous délivrer de cette oppression Sous laquelle gémit la triste nation ;Aux fers de vos tyrans mon bras va vous soustraire. FADEZE. Hélas ! Mon pauvre enfant, que prétendrais-tu faire ?Nos vainqueurs trop puissants bravent notre courroux ;Avec de tels bretteurs nous devons filer doux.Que produirait l'effort de nos armes fragiles,Des habitants des eaux dépouilles inutiles ? MATAMORE. Tu t'exprimes ici d'une étrange façon ! FADEZE. Je n'ai pas voulu dire arêtes de poisson ;Et quoique né Sauvage, apprends que je me piqueD'employer très souvent des fleurs de rhétorique.Voila ce que l'on gagne avec les beaux parleurs. MATAMORE. Les Français t'ont gâté. FADEZE. J'en estime les moeurs,Et les armes surtout. Quand il nous font la guerre,Tu sais que sur l'épaule ils portent le tonnerre,Et qui pis est encor, qu'ils combattent gisantsSur des monstres guerriers, pour eux obéissants. MATAMORE. [Note : Pécore : se dit figurément en burlesque pour signifier une personne sotte, stupide, et qui a de la peine à concevoir quelque chose. [F]]Je n'y puis plus tenir, peste de la pécore ! Quoi ! Tu vis avec eux, et tu n'as pas encoreDétruit l'illusion qu'un préjugé trompeurFaisait sur nos esprits dérangés par la peur ?Finissons, je te prie, et montre moi l'Alzire ; Mon coeur toujours pour elle avec ardeur soupire.Tu me l'avais promise, et je ne doute pasQue son père à mes voeux, n'accorde tant d'appas. FADEZE, à part. Tu pourrais te tromper ! MATAMORE. Qu'annonce un tel silence !Quoi ! N'oses tu répondre à mon impatience ? FADEZE. Tiens, laisse-la ma fille, et pour cause. MATAMORE. Comment ? FADEZE, a part. Je ne sais que lui dire ! MATAMORE. Ah quel étonnement !Ne te souvient-il plus qu'à mon destin unie.... SCÈNE IX. Matamore, Fadeze, Negrillon, Suite, Un Garde. LE GARDE. Seigneur, on vous attend pour la cérémonie. FADEZE. J'y vais. Adieu mon cher. MATAMORE. Partout je te suivrai ! FADEZE. Oh ! Non pas s'il te plaît, je t'en empêcherai. MATAMORE. Apprends-moi le destin qu'à mes feux on apprête ? FADEZE. Il n'est pas encor temps ; je ne suis pas si bête,Tu pourrais tout gâter. MATAMORE. Mais enfin, conduis-moiÀ ta cérémonie. FADEZE. Oh ! Que non. MATAMORE. Et pourquoi ? FADEZE. Gardes, je veux qu'ici votre main le retienne. LE GARDE. De quelle part, Seigneur ? FADEZE. Ce n'est pas de la mienne,Mais il est avec vous un accommodement ;Obéissez, prenez que ce soit Garnement. Ils sortent. SCÈNE X. Matamore, Negrillon, Suite, Gardes. MATAMORE. Garnement en ces lieux commande ! Ce barbare ?... Mais quelle est aujourd'hui la fête qu'on prépare ?Pourquoi Fadéze ici me fait-il arrêter ?Le fourbe me trahit, il n'en faut point douter ;Il me cache L'Alzire et manque à sa promesse...Ah ! Ma rage s'accroît par leurs cris d'allégresse. Allons troubler la fête..... NEGRILLON. Il n'est pas encor temps, La vengeance doit mieux ménager ses instants ;Tu sais que nous avons à deux pas de la VilleUne nombreuse armée à tes ordres docile,Je prétends sous ces murs la conduire sans bruit, Et les escalader à l'ombre de la nuit, MATAMORE. Ne parle pas si haut, la garde peut t'entendre. NEGRILLON. Bon, bon ! À nos discours que peut-elle comprendre ?Nous parlons Iroquois. MATAMORE. Ils le parlent aussi,Et nous faisons fort mal de conspirer ici. NEGRILLON. D'ailleurs, je te dirai que tous leurs bruits de guerre,Leur appareil pompeux, leur prétendu tonnerreNe doivent étonner que d'ignorants esprits,Qui des moindres effets sont frappés et surpris.Leur foudre est un apprêt de soufre et de salpêtre, Qu'on ne redoute plus, quand on sait le connaître.Mes yeux de l'artifice ont été les témoins. MATAMORE. Leur secret découvert nous en tuera-t-il moins ?De ton raisonnement j'admire la finesse : Mais sortons au plutôt, et cherchons ma maîtresse. NEGRILLON. La garde dans ces lieux doit arrêter mes pas. MATAMORE. Elle se prête à tout, ne t'inquiète pas. Ils sortent. SCÈNE XI. L'ALZIRE, seule. Quoi donc ! Autour de moi je ne vois plus personne ?Avec juste raison ce changement m'étonne.Fadéze, Bonhommés, la Cour de Garnement Devraient me ramener à mon appartement.Tous me suivaient en foule à la cérémonie,Et je viens seule ici d'abord qu'elle est finie !Puisqu'on laisse un champ libre à mes justes douleurs,On veut apparemment que je verse des pleurs. Les âmes par mes maux seront intéressées,Si je les entretiens de mes amours passées.Quoique de ma vertu je fasse grand fracas,Que j'en parle beaucoup, mon coeur ne l'aime pas. En prenant un époux, j'ai promis ma tendresse, Mais je crains de manquer bientôt a ma promesse ;Et l'époux dit en vain, qu'il doit être chéri,Si la femme en son coeur soutient un favori. SCÈNE XII. L'Alzire, Negritte. NEGRITTE. Madame, un des captifs, qui dans cette journée,N'ont du leur liberté qu'à ce grand hyménée, En secret, à vos pieds, demande à se jeter. L'ALZIRE. À mes pieds ! Quel qu'il soit, il peut se présenter ;D'un secret entretien la beauté singulièreAux tendres sentiments donne une ample carrière. SCÈNE XIII. Matamore, L'Alzire, Negritte. MATAMORE. M'est-elle enfin rendue ? Est-ce elle que je vois ? L'ALZIRE. Qu'entends-je ! Ah ! C'est lui-même, et je le reconnais. MATAMORE. Le ciel a donc permis après trois ans d'absence,Que je puisse jouer encor de ta présence. L'ALZIRE. Je ne sais que penser, que dire en ce moment ?Le jour de mon hymen je revois mon amant ; Celui qui le premier eut le don de me plaire,Il me baise la main, et je le laisse faire ! MATAMORE. J'ai conservé pour toi toujours la même ardeur ;J'ai bien fait du chemin, j'ai bien eu du malheur :Mais sans te fatiguer d'un discours inutile, On dit que Garnement commande en cette ville ;Je le cherche partout afin de l'égorger. L'ALZIRE. Oui, j'aime ta fureur, et tu dois te venger.Frappe !... MATAMORE. Que me dis tu ? Je vois couler tes larmes ! L'ALZIRE. Frappe !... MATAMORE. Et qui donc frapper ? D'ailleurs je n'ai point d'armes. L'ALZIRE. Ah ! C'est avec raison que tu hais Garnement ;Je viens de l'épouser en ce même moment ! MATAMORE. Ciel ! Il est ton époux ? L'ALZIRE. Oui, je suis criminelle,Mais pour te consoler, je te serai fidèle ;Un autre est mon époux, tu seras mon amant. [Note : Pauline : Personnage de Polyeucte de Pierre Corneille mais aussi personnage de La Mort de Sénèque de Tristan l'Hermite. ]Pauline en pareil cas parle tout autrement,Et loin de se servir d'une indécente excuse,[Note : Les vers 388 à 400 sont aussi les vers 462-478 de Polyeucte de Pierre Corneille.]À Sévere elle dit... " Qu'une autre vous abuse.Pauline a l'âme noble et parle à coeur ouvert ;Le bruit de votre mort n'est point ce qui vous perd : Si le ciel à mon choix eut mis mon hyménée,À vos seules vertus je me serais donnée ;Mais puisque mon devoir m'imposait d'autres lois,De quelque amant pour moi, que mon père eut fait choix ;Quand à ce grand pouvoir que la valeur vous donne, Vous auriez ajouté l'éclat d'une couronne ;Quand je vous aurais vu, quand je l'aurais haï,J'en aurais soupiré, mais j'aurais obéi ; Et sur mes passions ma raison souveraineEut blâmé mes soupirs et dissipé ma haine. " Moi, dont le caractère est la simplicité,Je mets pour un moment la vertu de côté,Oubliant les devoirs du saint noeud qui me lie,Ma tendresse renaît quand je te vois en vie ;Et quoique de l'hymen je connaisse les droits, Je dirai que je t'aime encor plus de vingt fois. MATAMORE. Puisque je suis aimé, je ne dois plus rien craindre,Garnement en ce cas sera le seul à plaindre. SCÈNE XIV. Bonhommés, Garnement, L'Alzire, Matamore, Negritte. BONHOMMÉS. Ah mon fils ! Le voici ; venez remercierCelui dont les bienfaits ne peuvent se payer. Cet ami généreux qui me sauva la vie,À votre femme encor vient tenir compagnie. GARNEMENT. Que vois-je ! MATAMORE. Garnement ! Quoi le Ciel a permisQue cet honnête père eut ce fripon de fils ? GARNEMENT. Insolent ! MATAMORE. Ah ! Tout doux, je n'ai rien dit encore. Dans ce moment fatal, reconnais Matamore.Son aspect imprévu semble t'embarrasser ;Oui, tu le reconnais, tu n'oses le fixer. BONHOMMÉS. Matamore ! MATAMORE. C'est lui que ta cruelle rageAccabla de tourments dans un dur esclavage. Vieillard, je te respecte et j'abhorre ton fils ;Quand je l'aurai tué, nous serons bons amis. BONHOMMÉS. Puis-je croire, mon fils, ce que je viens d'entendre ?Par de bonnes raisons pourrez-vous vous défendre ? GARNEMENT. Me défendre, mon père ! Y pensez-vous ? Et quoi, Contre ce malheureux ? Vous vous moquez de moi. L'ALZIRE. Taisez-vous tous, c'est moi qui dois avoir la gloireDe captiver ici l'esprit de l'auditoire.La situation est neuve assurément, Mon mari d'un côté, de l'autre mon amant. Je hais l'un, j'aime l'autre, et mon malheur, extrêmeMe donne à qui je hais, et m'ôte à ce que j'aime.Voyons, que ferons-nous et comment accorderDeux hommes, dont chacun veut seul me posséder ?J'offense mon époux par ma folle tendresse ; Je trahis mon amant qui reçut ma promesse,Je sais que le mari le devrait emporter ;Que ce n'est point ici matière à disputer :Mais en faisant combattre et l'épouse et l'amante,La rareté du fait rend la chose charmante. Vengez-vous l'un et l'autre, en terminant mon sort,Quand on ne sait que dire, on demande la mort. MATAMORE. Vois quelle est sa bonté ! Renoncer à la viePour ne point s'exposer à faire une folie !Mais ce n'est pas ton sang qu'on doit ici verser, Garnement, c'est mon sein que ton bras doit percer.Je suis ton prisonnier, et n'ai point de défense ;Viens, tu peux me donner la mort en assurance.Pourquoi balances-tu ? Frappe un rival aimé, Profite du moment ou je suis désarmé. GARNEMENT. Oses-tu me tenir un semblable langage ?Vaincu dans un combat et mis dans l'esclavage,Du respect qu'on me doit tu reçus les leçons.Quoi ! Jusqu'en Amérique on trouve des Gascons ?Punissons l'orgueilleux. Gardes ! Qu'on le saisisse. BONHOMMÉS. Mon fils, n'ordonne point une telle injustice ;J'ai de l'amour pour lui presque autant que pour toi ;L'un tient de moi la vie, à l'autre je la dois :N'es-tu pas possesseur de l'aimable L'Alzire ?Il est assez puni, mon fils, laisse-le dire. GARNEMENT. Ah ! J'enrage, et mon coeur ne peut plus soutenirLes fatiguants discours qu'on vient de me tenir.Dans l'état ou je suis, mon unique espéranceEst de me satisfaire au moins par la vengeance,Ma femme effrontément me traite comme un sot ; Mon rival me menace, et je ne dirais mot ? SCÈNE XV. Matamore, Garnement, Bonhommés, L'Alzire, Negritte, Un Garde, Suite. LE GARDE. Seigneur, préparez-vous, les Sauvages paraissent ;Autour de nos remparts ces barbares s'empressent.Dans un ordre nouveau, marchant à pas comptés,Ils semblent depuis peu s'être enrégimentés ; Et pour mieux attaquer, ils ont eu la malice,D'apprendre comme nous à faire l'exercice :Ils savent Matamore enfermé dans ces lieux ;Et son nom par leurs cris est porté jusqu'aux cieux. GARNEMENT. Oui nécessairement il faut qu'on l'emprisonne ; Gardes ! C'est tout de bon qu'à présent je l'ordonne.Je pourrais t'envoyer commander tes soldats,Pour te faire sentir que je ne te crains pas :L'action serait noble et le trait héroïque ; Mais j'ai moins de grandeur et plus de politique. MATAMORE. C'est ainsi qu'un tyran sait se faire raison,Et sa grande ressource est de mettre en prison. Il sort. SCÈNE XVI. Bonhommés, L'Alzire, Garnement, Negritte, Suite. Il sort. BONHOMMÉS. Va combattre, mon fils. GARNEMENT. Il n'en est pas besoin ;Ce sont des ennemis qu'on peut vaincre de loin,Qu'on tire du canon du haut de la muraille, Et vous verrez s'enfuir toute cette canaille. BONHOMMÉS. En effet un combat coûterait trop de temps. L'ALZIRE. Negritte, écoute-moi, NEGRITTE. Suffit, je vous entends. BONHOMMÉS. Je vais donc ordonner qu'on ferme bien la porte,Et qu'à se retirer, le canon les exhorte. SCÈNE XVII. GARNEMENT, L'ALZIRE. L'ALZIRE. Seigneur, jusques ici, j'ai pu vous faire voirUn coeur sur qui le vôtre avait peu de pouvoir ;Essayons si l'objet de votre vive flammeAura plus de crédit à présent sur votre âme :Celui que dans l'instant vous faites arrêter, Est mon meilleur ami, vous n'en sauriez douter. GARNEMENT. Encore ! L'ALZIRE. Écoutez-moi. Par un effort sublime,Vous pouvez aujourd'hui mériter mon estime ;Mettez en liberté ce malheureux rival,À qui vous n'avez fait déjà que trop de mal ; Donnez de vos vertus une preuve éclatante.Ou bien si leurs attraits n'offrent rien qui vous tente,Les vices quelquefois font agir noblement ;Faites-le par orgueil ; il n'importe comment. GARNEMENT. Je n'aurais jamais cru qu'une fille sauvage De la Métaphysique eut si bien fait usage ;À pareille démarche osez-vous recourir ? L'ALZIRE. On fait tout pour l'amant qu'on voit prêt à périr ;Et si vous m'accordez la grâce que j'implore,Je ne vous promets pas de vous aimer encore. GARNEMENT. Oh ! Parbleu, c'en est trop, et l'on ne vit jamaisLe plus stupide époux souffrir de pareils traits ;Loin d'exaucer vos voeux, apprenez, ma mignonne,Que je serai bien bon, si je vous le pardonne. L'ALZIRE. La nature trop simple aura pu m'abuser ; Je connais peu vos moeurs, vous devez m'excuser. GARNEMENT. Vous donnez trop souvent de ces raisons frivoles,J'en crois les actions, et non pas les paroles ;Depuis trois ans entiers habitant parmi nous,Nos moeurs ont eu le temps de passer jusqu'à vous, Et vous n'ignorez pas que fille qu'on marie,Doit n'aimer que l'époux à qui l'hymen l'allie ;Même en votre pays on se fait une loiDe vaincre son penchant pour conserver sa foi.Et puisque vous parlez toujours de la nature, Sɧachez que de ses lois c'est ici la plus pure Vous voulez ménager une restriction,Pour donner un champ libre à votre passion ;Mais votre caractère enfin se développe,Vous n'agissez que trop comme on fait en Europe. Il sort. SCÈNE XVIII. L'ALZIRE. Je n'ai pu rien gagner, et je m'en doutais bien,Mais je réussirai par un autre moyen,[Note : Agnès : Personnage de l'Ecole des Femmes de Molière.]Et quoique d'une Agnès j'affecte ici la mine,Garnement a raison, oui je suis assez fine. SCÈNE XIX. L'Alzire, Negritte. NEGRITTE. MAdame, ç'en est fait, mes soins ont réussi, Matamore bientôt va reparaître ici ;Et le même soldat qui veillait à sa porte,Pour l'amener vers vous, doit lui servir d'escorte ;Des qu'il a vu de l'or, ses esprits enchantés... L'ALZIRE. Ce métal sait lever bien des difficultés ; Mais je crains cependant qu'une telle entreprise... NEGRITTE. Non, non, ne craignez rien, la nuit nous favorise. SCÈNE XX. L'ALZIRE, NEGRITTE, UN GARDE. LE GARDE. Madame, on vous attend, et je viens vous chercher,Monsieur le Gouverneur est prêt à se coucher. L'ALZIRE. Comment ? LE GARDE. Un jour d'hymen c'est l'usage ordinaire. L'ALZIRE. Je ne le savais pas ; mais j'ai certaine affaire...Allez, et dites-lui qu'il s'endorme toujours. LE GARDE. Mais il dit que... L'ALZIRE. Marchez c'est assez de discours. SCÈNE XXI. L'ALZIRE, MATAMORE, NEGRITTE, GARDE. Il sort. L'ALZIRE. Il prend fort bien son temps, quand je suis inquièteDu périlleux dessein que mon âme projette. Mais j'aperçois quelqu'un. MATAMORE. Objet de tous mes voeux !Pour te revoir encor je suis assez heureux.Je ne l'espérais plus ; cette prison affreuseÀ ton amant déjà paraissait ennuyeuse,Je croyais n'en sortir que pour être immolé ; Mais tes soins généreux m'ont bientôt consolé. L'ALZIRE. Que ne ferait-on pas pour un coeur aussi tendre !Sors vite de ces lieux, on pourrait te reprendre. MATAMORE. Éloignons-nous ; partons, car je ne doute pasQue ton dessein ne soit d'accompagner mes pas, Ta tendresse pour moi s'est trop bien annoncée.Pour que d'un trait pareil tu sois embarrassée. Marchons, et que ta fuite assure mon bonheur. L'ALZIRE. Non, il faut une fois avoir un peu d'honneur. MATAMORE. D'Honneur ! Nous convient-il de vouloir le connaître ? Le mouvement du coeur doit être notre maître :Tu m'aimes ; viens, suis-moi. L'ALZIRE. Je n'y puis consentir,J'en aurais grande envie, à ne te point mentir,Mais lorsque du grand monde on a la connaissanceOn y doit mesurer ses pas avec décence. Fuis, te dis-je. MATAMORE. Non, non, il ne sera pas ditQue cette occasion se présente à crédit :Mon rival en ce jour épouse ce qu'il aime ;Et loin de profiter de ce bonheur extrême.Il laisse la sa femme au milieu de la nuit. Du devoir de l'amant l'époux même m'instruit.Suis-moi. L'ALZIRE. Non, Matamore. Et toi, soldat fidèle,Accompagne des pas confiés à ton zèle,Réponds-moi du trésor que je livre à tes soins, Que sa fuite soit prompte et n'ait aucuns témoins. MATAMORE. Tu ne veux pas me suivre ! L'ALZIRE. Hélas ! non. MATAMORE. Ah perfide !Je vais donc me livrer au courroux qui me guide,Ne crois pas, dans l'horreur ou tu plonges mes jours.Qu'une fuite honteuse en prolonge le cours.Adieu cruelle, adieu ; tu vas bientôt apprendre Ce qu'un amant jaloux peut enfin entreprendre. L'ALZIRE. Que vas-tu faire ? Arrête ! Au nom de notre ardeur... MATAMORE. Ne mêle point l'amour à ces instants d'horreur,Laisse-moi tout entier à ma funeste rage. L'ALZIRE. Ah ! Sans doute, Negritte, il va faire tapage, Ne l'abandonne pas et calme ses transports.Hélas ! J'aurai tenté d'inutiles efforts. Negritte sort.Je voulais le sauver, et je le perds, sans doute,Malgré mes soins, l'argent et l'honneur qu'il m'en coûte : Que va-t-il faire ? Ô ciel ! Je tremble, je frémis ! Il est environné d'un monde d'ennemis.Ah ! Puisqu'à le sauver l'amour m'avait réduite,J'aurais aussi bien fait de partager sa fuite,Et la fatalité de cet événementMe fait trahir sans fruit et l'époux et l'amant ; Mais quel tumulte affreux ! Quelle alarme soudaine !Allons voir ce que c'est : non ce n'est pas la peine.Un Garde vient. SCÈNE XXII. L'Alzire, Garde. LE GARDE. Madame, en ce fatal moment,J'arrive pour vous faire un mauvais compliment. L'ALZIRE. Qu'est-ce ? LE GARDE. Il faut en prison me suivre tout-à-l'heure. L'ALZIRE. En prison ! LE GARDE. S'il vous plaît. L'ALZIRE. Moi, dans cette demeure !Dites au moins pourquoi ? LE GARDE. Non pas, c'est un secret. L'ALZIRE. Ah ! Monsieur l'Alguazil, vous faites le discret !Comme de tout ceci je dois savoir la cause,Sans vous faire prier, dites m'en quelque chose. LE GARDE. Votre père dans peu viendrait vous le conter ;Mais aussi bien que lui je vais m'en acquitter.Il faut savoir d'abord que le soldat stupide,Qui de votre galant devait être le guide,S'est laissé dépouiller comme un franc animal ; Et, quoiqu'à votre amant son habit allât mal,Il se glisse au palais avec cet uniforme,Résolu d'y commettre un attentat énorme.Le sentinelle crie aussitôt : Halte la !Mais comme il n'avait point réponse à, Qui va la ? Il tire son épée, il veut forcer la porte ;Chacun accourt, surpris d'une rumeur si forte ;Matamore, à l'instant, partout environné,Pour la troisième fois se voit emprisonné.Le Conseil transcendant, et rempli de justice, Veut de la trahison découvrir le complice ; Et ne vous voyant point auprès de votre époux,S'imagine d'abord que ce doit être vous. L'ALZIRE. Eh ! Quoi ? Si peu de temps aurait-il pu suffire ? LE GARDE. Cela s'est fait plutôt que je n'ai pu le dire : Mais, suivez-moi, Madame. L'ALZIRE. Il n'en est pas besoin.D'amener mon amant prenez plutôt le soin,Puisqu'il faut avec lui qu'ici je m'entretienne,Que tout doit y finir ; que tout le monde y vienne. LE GARDE. J'aperçois Matamore, et vous n'attendrez pas. Il sort. SCÈNE XXIII. Matamore, L'Alzire. MATAMORE. Je suis donc assuré d'obtenir le trépas ;Le Conseil, avec moi, condamne mon amante.La mort va nous unir, n'es-tu pas bien contente ? L'ALZIRE. Tu n'en saurais douter, je mourrai noblement, Des héros comme nous meurent-ils autrement ? MATAMORE. Mais, je vois Bonhommés ; d'un air triste il s'avance :Il s'est chargé du soin de lire la sentence. SCÈNE XXIV. Bonhommés, Matamore, L'Alzire. BONHOMMÉS. Hélas ! Mes chers enfants, vous allez expirer ! MATAMORE. Quand nous ne pleurons pas, pourquoi veux tu pleurer ?Parle sans t'émouvoir comme je vais t'entendre. BONHOMMÉS. De la rigueur des lois, je n'ai pu vous défendre,De l'arrêt à peu-près je vous rends la teneur :Toi, pour n'avoir pas pu tuer le Gouverneur,Toi, pour avoir osé favoriser sa fuite,Vous allez tous les deux mourir de mort subite : Pour conserver tes jours, j'ai fait ce que j'ai pu ;Mais malgré mon crédit ; va, tu seras pendu. SCÈNE DERNIERE. Garnement, Matamore, L'Alzire, Bonhommés. GARNEMENT. Doucement, s'il vous plaît, car c'est moi qui commande ;Et je ne prétends point du tout que l'on le pende.Matamore peut bien n'être pas criminel, Peut-être venait-il m'appeler en duel ;Car je ne pense pas qu'une âme bien placéePut d'un assassinat concevoir la pensée. À l'Alzire.Pour vous, que vainement on voudrait corriger,Qui mettiez mon honneur et ma vie en danger, Qui des coeurs vertueux êtes la parodie,Trouvez bon, s'il vous plaît, que je vous répudie :Bien plus, à mon rival je vous cède aujourd'hui,Non pas dans le dessein de me venger de lui ;Je n'ai point de rancune, et mon coeur lui pardonne. MATAMORE. Il ne promettait pas d'avoir l'âme si bonne ;Si je l'avais tué je m'en repentirais. GARNEMENT. Oh ! Si j'étais mourant, chez moi je me tiendrais,Et j'aurais ordonné, pour la dernière scène,Que de venir me voir on se donnât la peine ; Alors, en beaux discours, j'aurais éloquemment,Fait en votre faveur un fort long testament. Au Parterre.Quiconque sur ce point voudra se satisfaire,En toute sûreté peut aller voir mon frère,Sur la fin de sa vie il a fait éclater Des traits que la Critique a lieu de respecter ;Nous les trouvons si beaux, que nous ferions scrupule,De répandre sur eux le moindre ridicule. ==================================================