******************************************************** DC.Title = AMOUR POUR AMOUR, COMÉDIE . DC.Author = NIVELLE DE LA CHAUSSEE, Pierre Claude DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 09/02/2023 à 20:20:48. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/NIVELLE_AMOURPOURAMOUR.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5846230q DC.Source.cote = BnF LLA 8-YTH-776 DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** AMOUR POUR AMOUR COMÉDIE EN TROIS ACTES ET EN VERS AVEC UN PROLOGUE Représentée sur le Théâtre de la Comédie Française au mois de janvier 1742. Le prix est de 30 sols. M. DCC. LIII. Avec Approbation et Prévilège du Roi de M. Nivelle DE LA CHAUSSÉE, de l'Académie Française. À PARIS, chez LE BRETON, Quai des Augustins, au coin de la rue Gît-le-Coeur, à la Fortune.De l'Imprimerie de Jacques Guérin, quai des Grands Augustins, 1735. Réprésentée pour la première fois, au Théâtre français, le 3 février 1735. AZEMIRE, Toi qui m'as prêté tes talents enchanteurs, Assemblage parfait des dons les plia flatteurs, Élève et modèle des Grâces : Aimable et cher objet, que Thalìe et ses soeurs. Ne peuvent couronner que de ces mêmes fleurs Que tu fais naître sur tes traces. Si je n'ai point encore essuyé de revers ; Je n'en dois, qu'à toi seule, un éternel hommage ; Tes charmes et ta voix sont l'âme de mes vers. Mais, que dis-je, ils sont ton ouvrage, Qui les inspira, les a faits. Qu'ils te soient consacrés par la reconnaissance. Tes yeux n'ont rien laissé de plus en ma puissances Et je ne puis t'offrir que tes propres bienfaits. ACTEURS DU PROLOGUE. L'AUTEUR. UN AMI de l'Auteur. UN JEUNE SOT. DAMIS. NOMS DES ACTEURS DE LA COMÉDIE. UNE FÉE, sous le nom d'Assan. Mademoiselle Dumesnil. AZOR, Génie. Monsieur Grandval. ZALEG, second Génie. Monsieur Armand. ZÉMIRE. Mademoiselle Gauffin. NADINE. Mademoiselle Dangeville. La scène est sur le théâtre. PROLOGUE SCÈNE I. L'Auteur. L'Ami de L'Auteur. L'AMI. Ma foi, pour un Auteur, c'est avoir du courage . . - Que de venir ainsi faire tête à l'orage. L'AUTEUR. On n'a que des soupçons, qui seront dissipésSitôt qu'on me verra si fort en évidence.Comptez que les plus fins y seront attrapés. D'ailleurs, je veux savoir au vrai ce que l'on penseM'entendre, sans détour, juger de vive voix ;Peser le bien, le mal, la louange, le blâme ;Récapituler tout dans le fond de mon âme, Et recueillir de quoi mieux faire une autre fois. L'AMI. Ma foi, l'intention est très bonne, sans doute :Mais l'exécution ?... L'AUTEUR. Je sais ce qu'elle coûte. L'AMI. Vous êtes inquiet ? L'AUTEUR. Où peut-il s'être mis ? L'AMI. Qui cherchez-vous de l'oeil ? L'AUTEUR. Je ne vois point Damis. L'AMI. Il ne manque jamais une pièce nouvelle. L'AUTEUR. Oh ! Je ne doute pas qu'il ne vienne aujourd'hui,Il sait bien que ce jour est un grand jour pour lui ;Est que plus d'un Bureau d'esprit mâle et femelle,De ses décisions. Écho toujours fidèle,Attend ce qu'il dira pour se déterminer, Pour juger, comme lui, sans rien examiner. L'AMI. Sa Sentence, je crois, n'est pas toujours mortelle. L'AUTEUR. Mais il est c[h]ef de meute ; on le fuit au hasard ; Et malheur aux Auteurs ; du moins à la plupartIl est et fut toujours en butte : C'est un homme excellent pour hâter une chute.. L'AMI. Le beau talent ! L'AUTEUR. Aussi l'a-t-il, jusqu'à ce jour ;Exercé, sans quartier, sur les pièces qu'on donne. L'AMI. Il est bien attrapé, quand une pièce est bonne, L'AUTEUR. Un auteur qui fait bien, lui joue un mauvais tour. L'AMI. Pourquoi donc ? L'AUTEUR. Ah pourquoi ? Quand une ComédieEst, par malheur pour lui, justement applaudie,Que diable voulez-vous qu'il en dise ? L'AMI. Du bien. L'AUTEUR. Eh, ne voyez-vous pas qu'il irait trop du sien ?Il croirait déroger, en donnant son suffrage. L'AMI. Déroger ! Et comment ? L'AUTEUR. En louant un ouvrage. L'AMI. Mais il faut être fou pour se l'imaginer. L'AUTEUR. En matière d'esprit, on ne veut point de maître.Sur les gens du métier on aime à dominer.On s'érige en Juge, on veut l'être, On se met au dessous de ceux qu'on applaudit :Au lieu, qu'en se rendant difficile et caustique On se met au dessous de ceux que l'on critique.Outre que l'amour propre y fait mieux son profit,Le rôle de Censeur a bien plus de ressource. La louange est si sèche, elle produit si peu !Mais la Critique abonde ; elle coule de source,Anime le génie, et lui donne du jeu :Le rend vif, pétillant, ironique, fertile ; Lui fournit des bons mots qui, trottant parla Ville, Font citer leur Auteur, et penser comme lui.On ne brille jamais mieux qu'aux dépens d'autrui. L'AMI. Cela pourrait bien être. L'AUTEUR. Ah ! Vous pouvez m'en croire ! L'AMI. Ma foi, serviteur à la gloire ?Sans être cependant aveugle admirateur, Pour moi, j'embrasserais l'honnête homme d'auteurQui me régalerait d'un excellent Ouvrage,Je lui donne du moins hautement, mon suffrage ;J'applaudis franchement sans en être fâché,Sans regretter l'encens que je donne est échange : Parbleu, c'est du plaisir que je paye en louange ;Et je pense que c'est l'avoir à bon marché. L'AUTEUR. Je suis de votre avis... Mais qui vois-je paraître ?De grâce, dites-moi quel est ce nouvel être. L'AMI. Et qui donc ? L'AUTEUR. Cet adolescent Que l'on voit depuis peu, comme un astre naissant,Commencer sa carrière, et parfumer le mondeDe l'ambre qu'il exhale, une lieue à la ronde,Eh ! Le voici lui-même avec tout son éclat, Qui soit de la coulisse, armé de sa lorgnette. L'AMI. La définition en sera bientôt faite.Ce n'est qu'un jeune sot qui voudrait être un fat.Ah ! Le voici qui nous regarde.Il va nous aborder si nous n'y prenons garde.Tâchons de l'éviter. SCÈNE II. Le Jeune Sot, L'Aufeur, L'Ami. LE JEUNE SOT. Où diable courez-vous ? L'AMI. Nous allons nous placer. LE SOT. Parbleu, vous êtes fous. L'AMI. Pourquoi ? LE SOT. Dans un moment vous ferez à votre aise.Prétendez-vous rester ? L'AMI. Si vous le trouvez bon. LE SOT. Restez ; amusez-vous beaucoup. L'AMI. Et pourquoi non ? LE SOT. Vous ne savez donc pas ?.... L'AUTEUR. Que la pièce est mauvaise. LE SOT. Fiez-vous à l'Affiche ! On va faire un beau bruit. L'AMI. Qu'est-il donc arrivé ? Peut-on en être instruit ? LE SOT. Point de pièce nouvelle : oui, vous dis-je, elle est nulle ;On ne la donne point. Rien n'est plus ridicule. L'AMI. Mais le savez-vous bien ? LE SOT. Attendez un moment. Suivant toutes les apparences,L'Orateur de la troupe, après trois révérences,Vous va faire un sot compliment ;Et puis, du Bajazet, tant qu'il pourra s'étendre,Que vous ferez priés très humblement d'entendre, À votre avis, le tour vous paraît-il galant ?Du Bajazet ! Ma foi rien n'est plus régalant !Qu'en dites-vous ! Parlez, je veux voir la déroute. L'AMI. Ce que vous m'apprenez, m'étonne. L'AUTEUR. Et moi, j'en doute. LE SOT. J'ai vu dans les foyers les acteurs en turban, [Note : Doliman : Nom d'un habit turc, sorte de longue robe de dessus, avec des manches étroites, boutonnées au poignet. [L]]Les actrices en Doliman.Répliquez. Vous riez ? L'AMI. Je n'ai point de réplique. LE SOT. Peut-être les acteurs, en ce moment critique,Un peu mieux avisés, ont craint un mauvais sort.Mais n'importe ; la Troupe a tort, Une pièce nouvelle est toujours assez bonne.Les vieilles à présent n'amusent plus personne. L'AMI. Et celle qu'on devait aujourd'hui nous donner,Vous est-elle connue ? LE SOT. On m'en a fait l'histoire, L'AMI. Eh bien ? LE SOT. Je n'en ai pas surchargé ma mémoire. L'AUTEUR. Ce que nous dit Monsieur, a de quoi m'étonner ;Car l'auteur ne lit guère, autant qu'on n'a pu dire. LE SOT. J'avais pourtant promis de me la laisser lire.La Lecture devait s'en faire un certain jour,( Lecture d'amitié s'entend ) J'en devais être. Justement j'eus à faire un voyage à la Cour.On remit la partie. L'AUTEUR, à part. Ah, le sot petit-maître ! L'AMI. Mais à votre retour on sut mieux ménager... LE SOT. Les femmes, à leur tour, ne purent s'arranger,Tenez, la pièce est malheureuse. Cette fatalité, qui la poursuit ici,A fait qu'aucun projet ne nous a réussi.L'Auteur, je crois, m'en garde une rancune affreuses L'AMI, Comment ? LE SOT. C'est qu'il comptait un peu sur mes avis. L'AMI, Ah ! Je n'y pensais pas. L'AUTEUR. Il les aurait suivis. LE SOT. Peut-être ; mais du moins, il me l'a fait accroire. L'AMI. Vous vous intéressez fortement à fa gloire ? LE SOT. Oh ! Beaucoup. Il peut s'en flatter, L'AMI. Vous le connaissez ? LE SOT. Fort. L'AUTEUR, à part. Oh ! Je vais éclater. L'AMI. Il est de vos amis ? LE SOT. On ne peut davantage. L'AUTEUR. Cet aveu m'est bien cher ; je vous suis obligé. LE SOT. De quoi ? L'AMI. C'est que Monsieur est votre protégé. L'AUTEUR. Ah ! J'ignorais que j'eusse un si grand avantage.[Note : Vers 129, on lit "datter" qui n'est pas connu.]Du jour qu'il vous plaira, nous n'aurons qu'à dater.Soyez toujours pour moi, Monsieur, ce que vous êtes. L'AMI, à part. Oui, c'est-à-dire un sot. LE SOT, saluant. Monsieur... L'AUTEUR. Ce font des dettes.Que ma reconnaissance aura soin d'acquitter. LE SOT. Je connais tant d'auteurs, que j'ai crû vous connaître.D'ailleurs, je suis ravi... L'AUTEUR. Non ; c'est moi qui dois l'être. LE SOT. Messieurs, je vous salue. L'AMI. Adieu donc. LE SOT, de loin. Serviteur. SCÈNE III. L'Auteur, L'Ami. L'AMI. N'êtes-vous pas charmé de cette connaissance ?Vous venez d'acquérir un nouveau protecteur. L'AUTEUR. N'ai-je point trop blessé fa sotte suffisance ? L'AMI. Il peut être fâché ; mais non pas affligé.Comptez qu'il est puni, sans être corrigé. Mais Damis vient. Il a quelque chose à vous dire, Tenez-vous bien. L'AUTEUR. Pourquoi ? L'AMI. Votre procès est fais.Ne le voyez-vous pas à son air satisfait ! SCÈNE IV. Damis riant. L'Auteur. L'AMI. Peut-on rire avec vous de ce qui vous fait rire ? DAMIS. Je ris de la détresse et de l'épuisement De ceux qui sont chargés de notre amusement :Oui nos faiseurs de ComédiesVont-ils présentement chercher leurs rhapsodies ?Il est bien singulier que lés Auteurs du tempsNe puissent rien tirer de la source publique ! Et que, pour leur fournir une pièce comique,Il faille un autre monde, et d'autres habitants !Ah ! Bientôt ils iront se pourvoir dans la Lune ; Oui, les auteurs iront... L'AMI. C'est La même rancuneQue vous gardez toujours contre ces pauvres gens ! DAMIS. Point du tout ; je suis juste, et des plus indulgents .Et j'éclate, à regret, contre leur ignorance.Ne fournissons-nous plus à rire à nos dépens ?Est-ce que le bon sens a fait fortune en France ?Et les Originaux y sont-ils moins fréquents ! À la Ville, à la Cour, l'espèce manque-t-elle ?Il me semble pourtant que la moisson est belle ;Et que, sans en taxer directement aucun,Il en est parmi nous, plus de cent, au lieu d'un,Dont les Ministres de Thalie Peuvent avec succès célébrer la folie. L'AMI. Que n'êtes-vous auteur ? DAMIS. Vous vous moquez de moi. L'AMI. J'en serais bien fâché. Mais à propos de quoi,Où va cette tirade ? Elle est pourtant fort belle. DAMIS. Parbleu, c'est à-propos de la pièce nouvelle. L'AMI. On vous l'a lue apparemment ? DAMIS. Non : mais dans les Foyers une petite amieM'en a fait à l'instant toute l'anatomie. L'AMI. C'est une actrice, ah bon ! Suivant son sentiment.Cela ne vaut donc rien ? DAMIS. C'est assez son idée : Mais ce n'est pas par où l'affaire est décidée ;Car on peut appeler de ces jugements-là ;D'autant plus, que pour l'ordinaireUne Actrice ne voit que le rôle qu'elle a. S'il n'a pas l'honneur de lui plaire, Sur le reste, aussitôt, elle étend son arrêt. L'AMI. Et vous, sur son rapport, qu'est-ce qui vous déplaît ?D'abord lé titre est bon. DAMIS. Oui, s'il tient fa promesse.C'est ce qu'on ne voit point pour la plupart du temps ;Et je ne crois non plus au titre d'une pièce Qu'aux affiches des charlatans. L'AMI. Celle-ci, selon vous, ne peut qu'être mauvaise ? DAMIS. Très mauvaise. L'AMI. Voyons. DAMIS. C'est que, par parenthèseLa fable en est absurde. L'AUTEUR, à part. Ah ! Ceci me confond. DAMIS. Oui, bizarre, apocryphe, étrange, imaginaire. L'AUTEUR. Elle peut n'être pas dans la forme ordinaire. DAMIS. Soyez sûr que la forme emportera le fond.Voici d'abord sur quoi ma critique s'exerce.Le lieu de la Scène est en Perse.Les personnages sont des Français déguisés ; Ou, si vous l'aimez mieux, des Persans francisés ;Dont l'habit et le nom, suivant toute apparence,Feront entre eux et nous la seule différence :Car l'auteur aura fait comme les autres font. Sans doute il n'a pas pris la peine De nous représenter des Persans tels qu'ils sont. L'AUTEUR. Ose-t-on aujourd'hui dépayser la scène ?L'auteur en connaît le danger.Imputez-en la faute..... DAMIS. À qui donc ? L'AUTEUR. À vous autres ;Qui ne supportez rien qui vous soit étranger, Et qui n'admettez plus d'autres moeurs que les vôtres ;Eh ! Comment varier vos plaisirs en ces lieux ?Renfermés dans la sphère où le sort vous fit naître,Vous bornez la nature à votre façon d'être.Tout ce qui n'est point vous, est absurde à vos yeux. Vous ne reconnaissez aucune autre manière ;De parler, de penser, et même d'exister,Que celle qui vous est propre et particulière.Que faire ? L'on a beau réclamer, insister ;Vous ne voulez plus voir, que vous, sur vos théâtres, Ou de vos préjugés soyez moins idolâtres,Ou souffrez, puisqu'on cherche à combler vos désirs,Que l'uniformité règne dans vos plaisirs. DAMIS. Vous êtes du métier, Monsieur, à vous entendre ? L'AUTEUR. Et vraiment oui, pour mes péchers. DAMIS. Je ne sais pas pourquoi vous vous le reprochez :Mais aurez-vous aussi la bonté de défendreUne autre absurdité ? L'AUTEUR. Voyons-la, j'y consens. DAMIS. L'Auteur a crû faire un chef-d'oeuvre,En mettant la Féerie en oeuvre. L'AUTEUR. C'est une nouveauté. DAMIS. Qui n'a pas le bon sens.Comment ! Du merveilleux et de l'imaginaireDans un tableau des moeurs, où tout doit être vrai.Dans un portrait naïf de la vie ordinaire,Dans une Comédie ; enfin ? L'AUTEUR. C'est un essai[.] DAMIS. Qui tombera d'abord ; comptez sur ma parole. L'AMI. Il peut plaire... DAMIS. Jamais. Le genre est trop frivole. L'AMI. Mais on s'y prête ailleurs. DAMIS. Oui, dans un conte bleu ; Ou sur le Théâtre Lyrique :On veut bien souffrir là, que tout soin chimérique ;. Mais à la Comédie, il n'en est pas ainsi. L'AUTEUR. N'est-ce pas le plaisir que vous cherchez ici ? DAMIS. Oui : mais on veut qu'il soit d'une certaine espèce.Sitôt qu'il extravague, il nous choque, il nous blesse.Il a son caractère, il a son genre à part, Prescrits dans tous les temps par les règles de l'Art. L'AUTEUR. Comment, vous prétendez lui donner des entraves,Mais le connaissez-vous, le plaisir ? DAMIS. Je crois qu'oui. L'AUTEUR. Vous y gagnerez plus en dépendant de lui.Loin d'être ses tyrans, devenez ses esclaves. Ennemi d'un joug rigoureux,Si tôt qu'il n'est plus libre, il devient l'ennui même.Renoncez au plaisir, ou changez de système.Quand il cherche à vous rendre heureux,Cessez de lui prescrire une triste formule. Les moyens qu'il saisit sont toujours les meilleurs :Quelque forme qu'il prenne, ici tout comme ailleurs,Croyez que le plaisir n'est jamais ridicule.Son nom le définit. Dès qu'il est, c'est assez.Les règles n'y font rien. Il est au dessus d'elles. Quant à nous, ne soyons jamais embarrassezQue de le présenter sous des formes nouvelles,C'est à nous autres d'en trouver ;C'est à vous de les approuver. L'AMI. Eh mais ! Il a raison : que diable ! Au bout du compte, Nous ne devons ici proscrire que l'ennui. DAMIS. S'il est vrai, craignez donc la pièce d'aujourd'hui. L'AMI. Elle peut réussir. DAMIS. L'épreuve en serait prompte. L'AMI. Je me préviens pour elle. DAMIS. Ah ! Je m'en réjouis.Pour moi, je suis prévenu contre. L'AMI. Êtes-vous toujours juste en pareille rencontre ? DAMIS. Seriez-vous curieux de perdre cent Louis ? L'AMI. Gagez contre Monsieur. DAMIS. Il en est bien le maître. L'AUTEUR, à part. Il ne risque déjà que trop. L'AMI. Cela peut être. L'AUTEUR, à Damis. Et combien mettrez-vous ? DAMIS. Autant. L'AUTEUR. Ah ! C'est trop peu. Quand il s'agît du fort d'une pièce nouvelle,On a tant d'avantage à parier contre elle,Qu'on ne peut mettre moins de dix contre un au jeu.Pour qu'elle réussisse il saut presque un miracle.Mais la toile se lève. DAMIS. Adieu, Messieurs, adieu. Je m'en vais me placer. L'AMI. Vous vous troublez ? L'AUTEUR. Morbleu,Son préjugé pourrait devenir un oracle. ACTE I SCÈNE PREMIÈRE. Azor, Zaleg. AZOR. Tu sors d'avec Nadine ; et cet objet charmantT'aura communiqué son aimable enjouement.Car on prend volontiers l'humeur de ce qu'on aime ; N'est-il pas vrai, Zaleg. ZALEG. Je ris d'un stratagème,Dont je vais essayer le succès en ce jour. Mais à quoi me sert-il d'être heureux en amour ? AZOR. Comment donc ? ZALEG. Si la Fée eût eu la moindre envieDe nous laisser revoir un jour notre Patrie, Dès longtemps sa promesse aurait eu son effet. AZOR. Tu murmures ? ZALEG. J'ai tort ! AZOR. Sans doute. ZALEG. Tout à fait !Pour des êtres tels que nous sommes, Il est fort amusant de vivre avec des Hommes ;Pour peu qu'on les connaisse, on en est bientôt las. Notre exil eut d'abord pour moi quelques appas ;Et je regrettai moins le séjour des Génies.À tout prendre, il est vrai, que chez le genre humain,On peut rencontrer sous la mainDes Mortelles assez jolies ; Et que parmi l'espèce, il se trouve des coeurs,Dont il nous serait doux de nous rendre vainqueurs Mais ? Tout ce que l'on en peut dire,Est que la Terre a ses plaisirs.Hé comment pourraient-ils remplir tous nos désirs, Puisqu'à ceux des Mortels ils ne peuvent suffire ? AZOR. Tu n'as donc plus d'espoir. ZALEG. Ma foi, je n'en ai plus. AZOR. Et nous verrons finir notre métamorphose.Tu sais la loi qu'on nous imposePour rentrer dans les droits dont nous sommes déchus. ZALEG. Oui, sous cette figure assez hétérocliteJe sais qu'il faut nous faire aimerD'un objet qui soit jeune, et digne de charmer :C'est la condition que l'on nous a prescrite :Nous avons satisfait à tout exactement. AZOR. Il faut croire que non. ZALEG. Comment ?N'avons-nous pas rempli cette clause importune. AZOR. J'en doute. ZALEG. Ah ! C'est à quoi je ne m'attendais pas.Quelque part où le sort ait promené nos pas,Quoi ! N'avons-nous pas fait vingt conquêtes pour une ? Cependant nous voilà, tout comme au premier jour,Habitants enchaînés dans ce maudit séjour :Et la clause a pourtant été bien accomplie. AZOR. Pour obtenir notre retour,Il fallait inspirer un véritable amour : Cette condition n'a pas été remplie. ZALEG. En voici bien d'une autre ! Hé, qu'avons-nous donc fait ? AZOR. Nous n'avons inspiré qu'un goût faible et volage,Et l'on n'a pris, pour nous, qu'un amour, de passage. ZALEG. Ma foi, je n'en crois rien : je suis sûr de mon fait, J'ai plu, je me suis fait aimer. AZOR. En apparences. ZALEG. Et mais, on me l'a dit cent fois. AZOR. Vaine assurance. ZALEG. Vous me poussez, à bout... Parbleu j'en suis charmé ;Vous verrez qu'on peut être heureux sans être aimé. AZOR. Le véritable Amour n'est plus guère en usage. ZALEG. Vous raffinez surtout... Pour moi, je suis plus sage.Nous ferions selon vous, pour jamais en exil,Puisqu'on ne peut trouver de cet amour sincère !Mais où se tient-il donc ? C'est donc une chimère !Et vous, Seigneur Azor, dites-moi, se peut-il Qu'on n'ait point eu pour vous un amour véritable ? AZOR. Ah ! Rien n'est plus indubitable,Mais laissons le passé, songeons présentement... ZALEG. Croyez que le présent n'ira pas autrement AZOR. Et pourquoi donc ? Nadine, et l'aimable Zémire, Sont capables d'aimer bien véritablement. ZALEG. On se flatte toujours de ce que l'on désire.Aussi, que n'avez-vous aiméCette fée, à présent inflexible et cruelle,Dont le coeur fut pour vous vainement enflammé ? C'est notre Souveraine. Elle était assez belle.Elle ne nous eut pas envoyés ici-bas,Pour chercher un amour qui ne s'y trouve pas.Car, sur quoi fondez-vous un espoir qui m'étonne ?Si la fée eut voulu nous laisser nos attraits, Passe encor : mais Seigneur, nous paraissons tout prêtsD'entrer dans la saison qui précède l'automne. AZOR. Depuis que, sous ces traits, nous sommes déguisés,Ont-ils changé ? ZALEG. Non : mais nos trésors épuisés.... AZOR. En avons-nous besoin auprès de nos maîtresses ? Ce ne font, à leurs yeux, que de fausses richesses. ZALEG. L'amour le plus honnête en consomme toujours.Il vous est défendu de dire qui vous êtes.Et vous ne pouvez faire entrer dans vos fleurettesTous ces mots consacrés aux plus tendres amours : Ceux d'aimer, d'adorer, de flamme, de tendresse,Ne vous sont pas permis. La défense est expresse.Vous en êtes réduit aux soins officieux,Aux assiduités, au langage des yeux,Aux marques d'amitié. AZOR. Que faire ? ZALEG. Quand on donne, on n'a pas besoin de commentaire.Et pour vous achever, vous avez un rival,Qui ne s'en tiendra pas à l'amour pastoral.Ses grands airs, ses grands mots, son rang, son opulence,Doivent emporter la balance, Qu'avez-vous à pouvoir mettre en comparaison ?De l'esprit, du savoir, du sens, de la raisonEt le reste ; Seigneur, tout, cela mis en sommeFait tout juste en amour zéro, je le sais bien. AZOR. Mais Assan n'est qu'un fat. ZALEG. Et morbleu, n'est-ce rien ? Pour l'ordinaire, un fat supplante un honnête homme.C'est l'ordre. Attendez-vous à jouer de malheur. AZOR. Ah ! Zémire, Zémire, aurais-je la douleurDe vous voir devenir son heureuse conquête ? ZALEG. Il a tout ce qu'il faut pour lui tourner la tête. Zémire aura le sort que tant d'autres ont eu. AZOR. Ne la compare point à tout ce que j'ai vu.Toute comparaison serait injurieuse. ZALEG. Je m'attendais à ce discours ;Car, en fait de maîtresse, il arrive toujours Qu'on croit que la dernière est la plus merveilleuse. AZOR. Ah, quelle différence ! Et que j'ai de raisonsPour excepter Zémire, et pour mieux juger d'elle !À cet âge, où l'on croit qu'il suffit d'être belle,Zémire croit avoir besoin de mes leçon Que dis-je ? Elle en connaît le prix.Loin de lasser sa complaisance,Mes conseils sont reçus avec reconnaissance.Les progrès que j'ai faits, ne m'ont pas moins surprisQue le fonds de son coeur et de son caractère. Non, Zaleg, les soins assidusQue je prends tous les jours d'une élève si chère,Pour Zémire et pour moi ne seront point perdus. ZALEG. Et ne voit-elle rien à travers ce mystère ? AZOR. Hélas ! Je n'en sais rien. Mais indépendamment De l'ordre rigoureux qui me force à me taire,Je n'aurais pas voulu me conduire autrement.Je crois que le plus sûr est de chercher à plaire,D'aimer, avant que d'être un amant déclaré.Un aveu bien souvent ne devient téméraire Que faute d'être préparé.C'est ainsi que mes soins, agréés par Zémire,La mènent pas à pas vers l'amoureux empire ;Elle s'attache à moi, sans s'en apercevoir.Elle s'accoutume à m'entendre ; La sincère amitié qu'elle me laisse voir,Se changera bientôt en amour le plus tendre :Ce moment n'est pas loin ; il viendra ; je l'attends. ZALEG. Ce moment pourrait bien n'arriver de longtemps.Supposez que Zémire, à qui vous pourriez plaire Ait, pour vous cet amour qui vous est nécessaire ;S'il demeure secret, il vous servira peu.Il faut qu'elle en fasse l'aveu,De façon que la fée en soit bien convaincue :Autrement, marché nul, et l'affaire est rompue. Il faut qu'avec sincérité,Et sans aucune obscurité,Zémire dise d'elle-même ;J'aime Azor ; c'est Azor que j'aime.Ce sont les mots prescrits. AZOR. Hélas ! Je le sais bien. ZALEG. Tous les équivalents ne serviraient à rien. AZOR. Zémire les dira. ZALEG. La chimère est nouvelle !Elle ne les sait pas ; comment les dira-t-elle ! AZOR. Comment ? ZALEG. Oui ; répondez à cette objection. AZOR. La nature et l'amour les lui pourront apprendre. ZALEG. Ah Seigneur ! C'est fort bien le prendre.En admettant la supposition,Pourra-t-elle, avec vous, en faire aucun usage,Que vous ne vous soyez déclaré son amant ;Que vous n'ayez parlé, comme on parle en aimant ? Préviendra-t-elle votre hommage ?Quand vous en seriez adoré,Ira-t-elle au-devant d'un amour ignoré ?Elle doit vous laisser venir, et vous attendre.Et vous vous attendrez tous deux. AZOR. Ainsi le veut la Fée. ZALEG. Ah ! Je crois mieux l'entendre.Je compte, en dépit d'elle, être bientôt heureux,Sans craindre qu'elle s'en offense,J'ai trouvé le. secret d'éluder sa défense.Nadine va savoir, à n'en pouvoir douter, Que je l'aime. AZOR. Tu sais ce qui peut t'en coûter. ZALEG. Ne craignez rien pour moi. J'ai chargé du messageCertains jeunes oiseaux dressés pour cet usage.Nadine, avant la fin du jour,Aura bien entendu parler de mon amour. AZOR. Va donc, et réussis. ZALEG. Je n'en suis pas en peine. AZOR. Adieu. SCÈNE II. AZOR, seul. Voici l'heure à peu près :Voyons dans la route prochaineSi Zémire n'est point sous ces ombrages frais. SCÈNE III. Zemire, Nadine. NADINE. Ne ferions-nous pas mieux d'être avec nos compagnes À folâtrer ensemble au milieu des campagnes ? ZÉMIRE. Ces prétendus plaisirs ne flattent plus mes sens. NADINE. En trouvez-vous ici de plus intéressants ?Et peut-on préférer ces bois à nos prairies ?Je voudrais égayer un peu mes rêveries. Pour moi j'irais plutôt au bord de nos ruisseaux :On entend leur murmure ; on voit couler leurs eaux ;Assise sur les fleurs qu'ils sont sans cesse éclore ;On en cueille ; on s'en paie ; on s'embellit encore ;On y respire un air délicieux, Qui donne à nos attraits une fraîcheur nouvelle : Leur onde claire et pure est un miroir fidèle ;On peut avec plaisir y promener ses yeux ;Le Ciel s'y peint, et l'on s'y voit soi-même. ZÉMIRE. Ces amusements-là ne sont plus ceux que j'aime. Tu vois comme l'on change ! NADINE. Oui, sans savoir pourquoi.Ne réprouvai-je pas moi-même ? Expliquez-moi,Pourquoi, de jour en jour, je deviens si joyeuse.Souvenez-vous du temps, où vous disiez très bien Qu'une fille ennuyée est toujours ennuyeuse. Je l'étais ; ou plutôt je n'étais bonne à rien ;Mais nous avons troqué d'humeur l'un avec l'autre ;Vous avez pris la mienne ; et moi, j'ai pris la vôtre : Je crois, en bonne foi, vous devoir du retour. ZÉMIRE. Peut-être. NADINE. Ah ! Rien n'est plus visible, Eh quoi ! Tous vos plaisirs s'envolent chaque jour. ZÉMIRE. D'autres ont succédé. NADINE. Cela n'est pas possible !Et quels sont ces plaisirs ? ZÉMIRE. Ce sont ceux que le temps,L'âge, avec la raison, amènent chaque année. NADINE. Ah, ah, vous parlez d'âge ! À peine êtes-vous née. ZÉMIRE. Hé quoi donc ? Dans quatre ans n'aurai-je pas vingt ans ? NADINE. Et mais, un jour viendra que nous en aurons trente.D'ici-là, c'est un siècle. On n'en voit pas la fin.Cependant, profitons de la saison courante.Dans les plaisirs du temps coulons notre destin. Nous serons comme ont fait nos mères, nos parentes.D'ailleurs, chaque saison a des fleurs différentes ;Chaque âge doit avoir ses plaisirs ; au surplus... ZÉMIRE. Tout me donne à rêver[.] NADINE. Et moi tout me dissipe. ZÉMIRE. Je me forme l'esprit[.] NADINE. Et moi je m'émancipes. ZÉMIRE. J'occupe mes loisirs. NADINE. Pour moi je n'en ai plus. ZÉMIRE. Tandis que je le puis, j'amasse, je rassembleDe quoi me faire, un fond heureux et suffisantPour un temps à venir[.] NADINE. Vous perdez le présent Qui vaut tout l'avenir ensemble. On ne rajeunit pas. ZÉMIRE. Hé qu'importe ! NADINE. Fort bien. ZÉMIRE. Ah ! De grâce, finis ce fâcheux entretien. NADINE. Vous ne méritez pas ; d'être à l'âge où vous êtes, Ni même les saveurs que le ciel vous a faites.Peut-on s'en soucier si peu ! Ce que parmi les fleurs est la rose nouvelle,Vous l'êtes parmi nous ; et d'un commun aveu, Nous vous cédons l'honneur d'en être la plus belle ;Encor faut-il y prendre un peu de part.Quelque riche qu'on soit des dons de la nature, Il ne faut pas laisser que d'y joindre un peu d'art,La beauté même a besoin de parure.Pardonnez ma franchise, et sachez votre état ;Déjà cette langueur qui vous est étrangère,A fait sur vos appas une trace légère : Et l'ennui qui vous gagne altère votre éclat. ZÉMIRE. Je suis donc bien changée. NADINE. Eh mais, un peu, vous dis-je ;Si vous n'y mettez ordre... ZÉMIRE. Hélas ! NADINE. Vous soupirez ? ZÉMIRE. Il est vrai. NADINE. Qu'avez-vous ? Quel sujet vous afflige,Zémire, est-ce là tout ce que vous me direz ? ZÉMIRE. Tu m'en demandes plus que je n'en sais encore. NADINE. Le mystère entre nous n'est pas trop de saison. ZÉMIRE. Puis-je expliquer ce que j'ignore ? NADINE. Hé quoi, vous prétendez que c'est à la raisonQu'il faut attribuer votre métamorphose ? ZÉMIRE. Je l'ai cru. NADINE. Mais il faut qu'elle ait une autre cause. ZÉMIRE. Une autre cause ? NADINE. Assurément.C'était votre pensée ; et moi, voici la mienne.Lorsque la raison vient (puisqu'il faut qu'elle vienne)Peut-elle en même temps, et si différemment, Changer, comme elle a fait, mon humeur et la vôtre ;Égayer l'une, attrister l'autre ?Elle doit opérer de la même façon. ZÉMIRE. Mais effectivement j'en ai quelque soupçon. NADINE. Avouez-moi d'où vient vôtre langueur extrême. Qu'est-ce donc qui se passe au-dedans de vous-même ? ZÉMIRE. Avec étonnement je regarde ces lieux.Hélas ! Depuis un temps que suis-je devenue ?Il semble que j'habite une terre inconnue :Tout ce qui m'environne est étrange à mes yeux : Je vois différemment ce qui s'offre à ma vue; Mon âme est autrement émue.Mes esprits et mes sens n'ont plus le même cours.J'y trouve un changement qui n'est que trop visible ;Je me cherche en moi-même, et je m'y perds toujours. Je n'ai plus rien de libre. Il ne m'est pas possibleDe démêler d'où vient le trouble de mon coeur.C'est en vain que je veux sortir de ma langueur :Je m'y sens retenir par d'invincibles charmes.Je m'exhale sans cesse en soupirs, en regrets : Et sans savoir quels sont mes sentiments secrets,Souvent je m'attendris jusqu'à verser des larmes.Cependant, quel que soit l'état où tu me vois,Il ne me déplaît sans autant que tu le crois. NADINE. Le meilleur serait, ce me semble, De chercher à sortir d'un état importun.C'est comme un sort : il y ressemble,À l'égard du remède, il doit s'en trouver un.Que ne consultez-vous ?.... ZÉMIRE. Qui donc ? NADINE. Azor. ZÉMIRE. Je n'ose. NADINE. Vous, n'osez ? ZÉMIRE. Non, vraiment. NADINE. Et quelle en est la cause ? ZÉMIRE. Hélas ! C'est ce que jusqu'iciJe n'ai pas encor éclairci. Elle se regarde.Mais à propos de lui, vraiment, je me rappelleQu'il faut que je retourne au hameau promptement.Attends-moi. Je reviens ici dans un moment. NADINE. J'attendrai. ZÉMIRE. Sois toujours ma compagne fidèle.Je t'ai confié ma douleur ;Tu vois que j'ai bien du malheur :C'est un titre de plus pour m'aimer davantage. NADINE. Allez, je sais à quoi notre union m'engage : Comptez de plus en plus sur ma tendre amitié. ZÉMIRE. Ne t'en vas pas. NADINE. Hé non. SCÈNE IV. NADINE, seul. Elle me fait pitié.Azor la perd. Depuis cette époque fatale,Zémire chaque jour fond, change, et dépérit.Et voilà ce qu'on gagne à raisonner morale ; Et, qui pis est encore, à s'en remplir l'esprit !J'ai toujours bien pensé qu'elle nous est mortelle.La fureur de savoir quelque chose de plus,Et de primer sur nous d'une façon nouvelle,De pouvoir abonder en discours superflus De parler, ou plutôt d'ennuyer comme un livre,Entre Azor et Zémire a fait la liaison.Si, par un coup du Ciel, elle ne s'en délivre,La pauvre malheureuse y perdra la raison. SCÈNE V. Azor, Nadine. NADINE. Vous cherchez Zémire ? AZOR. Oui, Nadine, Je la cherche. NADINE. Elle sort à l'instant de ces lieux.Peut-être qu'elle a craint de paraître à vos yeux. AZOR. Pourquoi donc ? NADINE. Je me l'imagine. AZOR. Elle me voit toujours avec tant de bonté ! NADINE. Ne fait-on jamais rien contre sa volonté ? Excusez ma franchise. AZOR. Elle est un peu cruelle. NADINE. Vous veniez reprendre avec elleCes sublimes discours, ces propos merveilleux,Ces entretiens abstraits, que d'abord on admire,Et qu'on ne tarde guère à trouver ennuyeux ? AZOR. Nos entretiens sont tels qu'il convient à Zémire. NADINE. Je ne sais pas comment elle a pu s'en coiffer.Ce n'est point notre fait que de philosopher.Quoi qu'on dise en faveur du sexe dont nous sommes,Les éloges sont faux, ou du moins trop flatteurs. Le Ciel ne nous fit point pour être des docteurs :C'est un métier qu'il faut abandonner aux hommes,Par forme, comme on dit, de dédommagement.Chacun a son talent. L'art de plaire est le nôtre ;Celui de raisonner, bien ou mal, est le vôtre. Ainsi tout s'est trouvé réparti sagement.Zémire vient d'en faire une épreuve assez belle.Avant que vous eussiez sur elleAcquis un peu trop de pouvoir,Elle avait tout l'esprit que nous devons avoir ; Elle cherchait à plaire ; elle parait ses charmes ;Et de l'ajustement y joignait le secours. AZOR. Sa beauté n'a besoin que de ses propres armes. NADINE. Chansons ! En se parant, on y gagne toujours.D'ailleurs, tout s'en suivait ; les plaisirs et les grâces Semblaient voltiger sur ses traces. AZOR. Ne les y voit-on plus ? NADINE. Non. AZOR. C'est donc d'aujourd'hui ? NADINE. La date n'y fait rien. Elle se meurt d'ennui. AZOR. Je n'en sais pas la moindre chose. NADINE. C'est que l'on ne sait pas tous les maux que l'on cause. AZOR. Je la vois tous les jours. NADINE. Mais je la vois aussi. AZOR. Elle ne semble pas avoir aucun souci. NADINE. Sa tristesse paraît assez sur son visage ;Et je ne comprends pas que l'on dispute un fait. AZOR. À part. De l'amour que j'inspire est-ce un heureux présage ? Aurais-je le bonheur de causer cet effet ?Ou bien serait-ce Assan, pour qui Zémire !... Haut.Mais quelle vision ! Que venez-vous me dire ?Votre amie a précisémentCette douce gaieté, cet aimable enjouement, Qui, sans aller jamais jusques à la folie...S'éloigne également de la mélancolie. NADINE. Eh ! C'est qu'apparemment je ne m'y connais point. AZOR. Je ne puis vous passer ce point.Elle, de la tristesse ; elle n'en a pas l'ombre. NADINE. Elle est si bien en proie au chagrin le plus sombre Que même sa beauté s'en ressent. AZOR. Ah, grands Dieux !Jamais un feu plus vif n'a brillé dans ses yeux : Les beaux jours du printemps ne font pas plus beaux qu'elle :À chaque instant quelque grâce nouvelle Vient, d'un nouvel éclat, embellir ses appas. NADINE. Il faut donc qu'avec vous elle se contrefasse; AZOR. Nadine, la beauté ne se contrefait pas. NADINE. Je voudrais qu'elle vînt pour vous confondre en face :Je l'attends ici justement. AZOR. Je conviens avec vous que son ajustementN'emprunte point de l'art la folle bigarrure ;Que la simplicité fait toute sa parure.Nadine je ne puis la blâmer en cela. NADINE. Vous avez raison. SCÈNE VI. Zemire, avec gaîté et ornée galamment avec des purs. Azor, Nadine, Zemire. ZÉMIRE. Me voilà. AZOR. Quelle parure ! Ah Ciel ! NADINE. Quelle joie éclatante ! À part. AZOR. Zémire cherche à plaire, et ce n'est pas à moi.J'ai suivi tes avis. NADINE. Je devine pourquoi.Vous me paraissez bien contente ! ZÉMIRE. Pour contente, à présent je la suis. NADINE. Un moment. Apporté bien du changement. AZOR. Ah ! Nadine, un moment, laissez-nous, je vous prie. NADINE. Volontiers : aussi bien le sérieux m'ennuie. SCÈNE VII. Azor, Zémire. ZÉMIRE. Azor !... AZOR. Zémire !... ZÉMIRE. Hé mais.... AZOR. Hé bien ? ZÉMIRE. Vous paraissezRêveur ? AZOR. Je le deviens. ZÉMIRE. Pourquoi donc ? AZOR. Je ne sais. ZÉMIRE. Par quelle aventure imprévueAurais-je le malheur de blesser votre vue ? AZOR. Votre éclat m'éblouit. ZÉMIRE. Quel est ce sombre accueil ?Azor ne daigne pas m'honorer d'un coup d'oeil ! AZOR. Ah ! Vous embellissez ce qui pare les autres. ZÉMIRE. Des compliments si vains ne peuvent me flatter. AZOR. Vous vous les attirez. ZÉMIRE. Daignez mieux me traiter ;Azor, au nom des Dieux, quels chagrins sont les vôtres ? AZOR. Que me demandez-vous ? ZÉMIRE. D'en être de moitié. AZOR. Je suis trop malheureux. ZÉMIRE. Mes instances sont vaines ! Si vous ne voulez pas que j'entre dans vos peines,Quand voulez-vous jouir de ma tendre amitié ?Elle peut, au défaut de mon expérience,Du moins, de vos malheurs, adoucir la rigueur. AZOR. Mais vous, qui me pressez de vous ouvrir mon coeur, Avez-vous bien en moi la même confiance ?Depuis qu'auprès de vous je me suis attaché,Voyons, n'avez-vous rien que vous m'ayez caché ?La confiance exige, et veut du réciproque.Ce doux épanchement doit être mutuel. Hé quoi donc ? Vous gardez un silence équivoque ? ZÉMIRE, à part. Nadine aura tout dit. AZOR, à part. Ah, quel moment cruel ! Haut.Le trouble et la rougeur vous servent d'interprète. ZÉMIRE. Azor, ne croyez pas une amie indiscrète. AZOR. Ce reproche ingénu n'est pas un désaveu. Zémire... ZÉMIRE. Qu'ai-je dit ?. AZOR. Remettez-vous un peu.Concertez mieux votre réponse. On entend un bruit de cors de chasse.Qu'entends-je ? C'est Assan ! Ce grand bruit nous l'annonce.Vous l'attendiez, sans doute ! Il tourne ici ses pas,Et viens, fort à propos, vous tirer d'embarras. Je ferai beaucoup mieux de lui céder la place. À part.Observons-les des yeux. SCÈNE VIII. Assan, Zemire. Suite d'Assan. ASSAN, à sa suite. Je rejoindrai la chasse. SCÈNE IX. Assan, Zemire. ASSAN, à part. Sous ces traits empruntés, continuons toujoursÀ me venger d'Azor, en troublant ses amours ;L'ingrat n'a pu m'aimer, empêchons qu'on ne l'aime. Haut.Ah ! Zémire, c'est vous ! Mon bonheur est extrême.Je m'échappe en secret pour venir honorerL'objet le plus charmant que le Ciel ait fait naître.Dans son plus bel ouvrage, Assan vient t'adorer.Zémire, à ce portrait, devrait se reconnaître. ZÉMIRE, inquiète. Qui, moi ? ASSAN. Vous seule y ressemblez.Ramenez vos regards errants dans ces retraites.Ne cherchez point ailleurs ce qui n'est qu'où vous êtes.L'amour et la beauté sont ici rassemblés ;Assan vient, à vos pieds, déposer son hommage. Vous ne me dites rien ? ZÉMIRE. Vous parlez un langage.Qui ne s'est pas encore introduit dans ces lieux. ASSAN. C'est celui qu'il convient de parler à Zémire ;Et je n'exprime rien que ce qu'elle m'inspire. ZÉMIRE. Si je vous inspirais, je vous entendrais mieux. ASSAN. Zémire, se peut-il que rien ne vous éclaire ?Quoi ! Vous ne voyez pas que je cherche à vous plaire,Que je vous aime enfin ? ZÉMIRE. Vous m'aimez ! Et pourquoi !À peine avez-vous fait connaissance avec moi. ASSAN. Vous avez triomphé dès la première vue, Mon coeur fut pénétré d'une atteinte imprévue,Quand j'ai voulu combattre, il n'en était plus temps. ZÉMIRE. Plus vous vous expliquez, et moins je vous entends.Ces grands mots de combat, de triomphe, d'atteinte,M'embarrassent l'esprit. ASSAN. En quoi ? ZÉMIRE. Il semblerait que c'est par forcé et par contrainteQue vous avez conçu de l'amitié pour moi. ASSAN. Vous parlez d'amitié, lorsque je vous adore !Ce que vous m'inspirez porte un nom plus charmant. ZÉMIRE. Et quel est-il ? ASSAN. L'amour, dont le feu me dévore. ZÉMIRE. Dites-moi, cet amour est donc un sentiment. ASSAN. Ah Ciel, si c'en est un ! ZÉMIRE. Voilà ce que j'ignore.Plus doux que l'amitié ? ASSAN. Mille fois plus-encore.De tous les sentiments, l'amour est le plus doux.Tel qu'il est dans mon coeur, il les renferme tous. ZÉMIRE, à part. Il peut avoir raison. ASSAN. Le rapport est fidèle.Puissiez-vous en juger par vous-même en ce jour ! La plus vive amitié n'en est qu'une étincelle : Ou plutôt elle n'est que l'ombre de l'Amour. ZÉMIRE. Jamais rien d'approchant n'a frappé mes oreilles : J'en ignorais jusques au nom...Pourriez-vous m'expliquer de si grandes merveilles ?Quand on a de l'amour, à quoi le connaît-on ? ASSAN. À tout ce que je sens, quand le sort nous rassemble. ZÉMIRE. Et que ressentez-vous ? ASSAN. Tous les plaisirs ensemble. ZÉMIRE, à part. Voilà l'effet qu'Azor produit sur tous mens sens. ASSAN. Puis-je vous exprimer tout ce que je ressens,L'effet que font sur moi vos armes invincibles ?On ne définit bien l'amour qu'aux coeurs sensibles.Ce qu'on ne ressent point ne s'imagine pas. ZÉMIRE. Fort bien. ASSAN. M'entendez-vous ? ZÉMIRE. Je vous suis pas à pas.Et quand vous me quittez ? ASSAN. Quelle horreur m'environne !Oui, Zémire, aussitôt mon bonheur m'abandonne ;Les chagrins, les soucis m'attendent au retour ;Partout ailleurs, qu'au fond de cet heureux séjour, Aucun amusement n'est plus à mon usage :Je ne sais quelle affreuse et mortelle langueurRépand autour de moi le plus sombre nuage. ZÉMIRE, à part. Il semble, mot-à-mot, lire au fond de mon coeur.Aurais-je de l'amour ? Achevons de m'instruire. Haut.Je devine, à peu près, ce que vous m'enseignez.J'imagine l'état que vous me dépeignez :Mais quel but à l'amour ? À quoi peut-il conduire ? ASSAN. Au bonheur le plus grand, quand il est mutuel. ZÉMIRE. Et quand il ne l'est pas ? ASSAN. Ah ! Rien n'est plus cruel. ZÉMIRE. Comment faut-il qu'il soit pour être réciproque ? ASSAN. On ne peut s'y tromper ; rien n'est moins équivoque.Pour être l'un à l'autre, il semble qu'on soit né ;Chacun, vers l'objet de sa flamme,Par un penchant égal, est sans cesse entraîné ; On ne fait plus qu'un coeur, qu'un esprit et qu'une âme ;On ne pense, on n'agit, on n'existe en effetQu'autant que l'on s'adore ; on devient ce qu'on aime. ZÉMIRE, avec joie. Ce que vous m'apprenez est le bonheur suprême.Ah ! De tous les états, voilà le plus parfait. ASSAN. Ce n'est pas assez de me croire :Pour en être plus sûre, agréez la victoireQui me met en votre pouvoir. ZÉMIRE. C'en est assez ; j'ai su ce que je veux savoir. ASSAN. Non, Zémire, il vous reste encore À goûter le plaisir d'aimer à votre tour. ZÉMIRE. Que savez-vous si je l'ignore ? ASSAN, se jette aux pieds de Zémire. Que cet aveu m'est cher ! Oh, trop heureux retour !Zémire, l'on peut donc vous aimer et vous plaire ? ZÉMIRE. Ce transport n'est pas nécessaire. À part, en voyant Azor et fuyant. SCÈNE X. AZOR prend la place de Zémire, Assan. ASSAN. Je connais le prix d'un don si précieux.Zémire, aimez autant que vous êtes aimée ; Et soyez, à jamais, ma fortune, mes dieux... Il se lève.Qu'est devenu l'objet dont mon âme est charmée ? À Azor.C'est toi qui l'as fait fuir, rival trop indiscret ! Reste ; et dévore ici ta honte et ton regret. SCÈNE XI. AZOR, seul. Ce qu'il me fait entendre, a de quoi me confondre ;Il n'est donc plus de coeur dont on puisse répondre ?D'où vient qu'à mon aspect Zémire a disparu ?Elle a fui dès qu'elle m'a vu. Serait-ce par égard pour moi-même, où pour elle ?Que veut dire un coup d'oeil confus, embarrassé, Qu'elle semble m'avoir tendrement adressé ?La victoire d'Assan peut n'être pas réelle.N'en croyons que Zémire. On peut lire aisément Dans le coeur ingénu de cet objet charmant.Je pourrais avoir pris une alarme trop forte...Je cherche à m'abuser, je le sens ; mais n'importe ;Saisissons une erreur qui flatte mes désirs :On n'en refuse point de la main des plaisirs. ACTE II SCÈNE PREMIÈRE. ZALEG, seul. L'Amour m'a fait trouver un heureux stratagèmeNadine doit savoir à présent que je l'aime.[Note : Truchement : Fig. Une personne qui parle à la place d'une autre, qui exprime les intentions d'une autre. [L]]On n'avait jamais pris de pareils truchements.Mais il suffit d'aimer ; et tout sert aux amants. SCÈNE II. Nadine, Zalec. NADINE. Reprenez vos oiseaux. ZALEG. Pourquoi donc ? NADINE. Quel dommage ! Vous leur avez gâté leurs chants harmonieux,En y substituant un refrain ennuyeux.Je ne puis soutenir cet étrange ramage. ZALEG. Que vous, disent-ils donc de si fâcheux. NADINE. Comment ?Du matin jusqu'au soir s'entendre incessamment Répéter, fredonner, ramager à l'oreille ;Zaleg aime Nadine ! Est-il gêne, pareille ?Que ne leur laissiez-vous les sons mélodieuxDont ils font retentir nos forêts etc nos plaines. ZALEG. Ils vous parlent de vous. NADINE. J'aimerais cent fois mieux Les entendre chanter leurs plaisirs que vos peines. ZALEG. On peut varier ce refrain.Qui vous paraît trop uniforme.Pour lui donner une autre forme,Vous avez un moyen certain.. En transposant les noms.... NADINE. J'ai peine à vous entendre. ZALEG. Et mais, vous pourriez leur apprendreÀ mettre votre nom à la place du mien. NADINE. Cela dirait : Nadine aime Zaleg. ZALEG. Fort bien.Alors ils chanteraient mes plaisirs et les vôtres. NADINE. Je ne veux pas qu'ils soient dans la bouche des autres.Bon voyage aux oiseaux : en faveur de leurs chants,Ils vont tous, de ma grâce, avoir la clef des champs. ZALEG. Soit. Ils iront dans ces retraites.Continuer leurs chants nouveaux ; Et bientôt les autres oiseauxSeront aussi mes interprètes.Ils auront des petits qui les imiteront.Les uns, de proche en proche, iront dans les campagnes,Dans les forêts, sur les montagnes, Les apprendre aux échos qui les répéteront ;D'autres, accoutumés à de plus grands voyages,Traverseront les vastes mers,Et porteront au bout de l'universLa nouveauté de leurs ramages ; Et par-là, nos deux noms réunis désormais,Seront connus partout, et ne mourront jamais. NADINE. Non ; un pareil honneur n'est pas ce qui m'anime,Plus nous faisons de bruit, et moins on nous estime.Ainsi je garderai vos petits indiscrets, Afin qu'ils n'aillent pas répandre nos secrets. ZALEG. Ah ! Nadine, achevez de me rendre la vie, NADINE.. NADINE. Avec Zémire ici je suis en rendez-vous.Je la vois ; elle vient. Laissez-nous, je vous prie ;Elle n'a pas besoin d'un témoin tel que vous. SCÈNE III. Zemire, Nadinë. ZÉMIRE. Nadine, excuse-moi, si je t'ai fait attendre. NADINE. Quand j'attends, je m'amuse au lieu de m'ennuyer.Eh bien, Azor, Assan, n'ont pu vous égayer ? ZÉMIRE. Je ne sais plus auquel entendre. NADINE. Eh ! De leur tyrannie il faut vous affranchir. ZÉMIRE. Ah, Nadine ! NADINE. Quoi donc ? ZÉMIRE. J'ai bien à réfléchir. NADINE. Sur quel sujet ? ZÉMIRE. Sur tout ce que je viens d'apprendre.Assan, qui me déplaît, que je ne puis souffrir,Vient pourtant de me découvrirDes choses qui vont te surprendre, Dont il semble qu'Azor ait craint de me parler,Et qu'au fond de mon coeur j'ai peine à démêler. NADINE. Voyons. ZÉMIRE. C'est une découverteQui pourra bien causer ma perte. NADINE. Que vous a-t-il appris ? ZÉMIRE. Le secret de mon coeur. NADINE. Comment ? ZÉMIRE. Oui, la cause cachée De cette mortelle langueurQue tu m'as, tant de fois, vainement reprochée. NADINE. La découverte est bonne ; elle doit vous charmer. ZÉMIRE. Nous croyons nous aimer autant qu'on peut aimer ? NADINE. L'amitié nous unit : rien n'égale la nôtre, ZÉMIRE. Eh bien dans la nature, il est un sentimentCent sois plus doux, plus vif, plus tendre, et plus charmant,Que toute l'amitié qu'il nous joint l'une à l'autre. NADINE. Et ce sentiment-là, comment l'appelez vous ? ZÉMIRE. Il le nomme l'amour. NADINE. Eh bien, s'il est si doux,Soit ; ayons de l'amour, Zémire, il en faut prendre. ZÉMIRE. J'ai bien peur d'en avoir. On vient de me l'apprendre. NADINE. Comment vous craignez d'en avoir ? ZÉMIRE. Oui, ma chère Nadine. NADINE. Et ne peut-on savoir Pourquoi, loin d'en être enchantéeZémire me paraît en être épouvantée ?Ne m'avez-vous pas dit qu'il n'est rien de plus doux ? ZÉMIRE. Oui : mais il n'est charmant qu'autant qu'on en inspireS'il n'est pas mutuel, c'est un cruel martyre. NADINE. Mais, vraiment, il sera mutuel entre nous.Si c'est là le moyen de s'aimer davantage,Zémire, vous n'avez qu'à m'en communiquer. ZÉMIRE. Nous ne pouvons ensemble en faire aucun partage.Cet amour.... je ne sais comment te l'expliquer... Ah, que j'y suis embarrassée ! NADINE. Je ne puis deviner. ZÉMIRE. Non, j'ai dans la penséeQu'il faut que tout me reste, ou qu'un autre que toi,Que je n'ose nommer, le partage avec moi.Par exemple, Assan m'aime ; il me l'a fait connaître : Il a pour moi de cet amour :Il sera malheureux autant qu'on puisse l'être ;Il n'obtiendra de moi jamais aucun retour. NADINE. L'énigme est un peu moins obscure;Mais voyons, contez-moi cette étrange aventure. Cet Assan, dites-vous, a pour vous de l'amour,Et faute d'un certain retour,Sa situation deviendra bien affreuse ? ZÉMIRE. Je serai dans le même cas. NADINE. Et ne pourriez-vous l'être un peu moins malheureuse ? ZÉMIRE. Non ; puisque apparemment Azor ne m'aime pas, NADINE, à part. J'ai mes raisons aussi pour chercher à m'instruire. Haut.Mais à quoi voyez-vous qu'Azor n'a point d'amour ?Quel effet dans son coeur aurait-il dû produire ? ZÉMIRE. Tous les transports qu'Assan m'a fait voir en ce jour. Il vient de me jurer qu'il m'aime, qu'il m'adore ;Qu'ils a pris dans mes yeux un feu qui le dévore :En termes plus flatteurs, plus doux, et plus charmants,On ne peut jamais rendre un si sensible hommage,L'encens qu'on offre aux Dieux ne vaut pas ce langage : Hélas ! c'est celui des amants.Dans la bouche d'Azor qu'il aurait eu de charmes !Et qu'il m'épargnerait de soupirs et de larmes !Il s'en serait servi, s'il avait de l'amour :Et peut-on en parler un autre à ce qu'on aime ? Je ne me souviens pas qu'Azor, jusqu'à ce jour,M'ait jamais fait jouir de la douceur extrêmeDe lui voir éprouver ces transports enchanteurs :Jamais, en me parlant, il ne m'a fait entendreNi ces expressions, ni ces termes flatteurs, "Dont je crois que l'usage est si doux et si tendre.Les aurais-je oubliés, s'il les eût employés !Azor n'a point d'amour. NADINE. Mais dites-moi, Zémire,Supposé que vous en ayez, Est-il sûr que ce soit pour Azor ? ZÉMIRE. Je t'admire ! Et quel autre que lui pourrait m'en inspirer ?Sur ce qu'Assan m'a dit, je me suis reconnue.Le détail qu'il m'a fait a dessillé ma vue :Ce n'est que loin d'Azor qu'on me voit soupirer ;Son absence, m'accable, et me devient mortelle : Il semble que ce soit une éclipse cruelle.Mais sitôt que je le revois,Ma situation change, elle n'est plus la même.Il ranime mes yeux, mon esprit, et ma voix.Je me retrouve alors dans un état que j'aime. Qu'il est doux ! Ah ! Nadine, en effet, je jouisDu bonheur que je crois le plus grand de la vie.Dans ces moments, toujours trop tôt évanouis,L'avenir, le passé, tout se perd et s'oublie.Mes chagrins sont si bien détruits ou suspendus, Qu'il ne me souvient pas d'en avoir jamais eus. NADINE, à part. Je m'instruis fort bien avec elle. Haut.Ah ! Comme vous vous animez !Vous avez deviné, c'est lui que vous aimez. ZÉMIRE. Oui : mais j'aimerais seule. NADINE. Il vous fuit avec zèle ; Il vous donne des soins ; il vous préfère à nous. ZÉMIRE. D'accord. NADINE. Il ne se plaît seulement qu'avec vous. ZÉMIRE. Il n'entre point d'amour dans toute sa tendresse.Ce n'est que l'amitié qui pour moi l'intéresse.Tous ses soins les plus doux peuvent s'y rapporter, Il ne me trouve pas digne d'un autre hommage.Je manque apparemment d'attraits, d'esprit ou d'âge.Je ne puis plus me supporter. Elle s'assied. NADINE, à part. Tout bien considéré, je crois que Zaleg m'aime ?Que ne me l'a-t-il dit ? D'où viennent ces égards. ZÉMIRE. Qu'est-ce que tu dis-là 3 NADINE. Je compte avec moi-même. ZÉMIRE. Cependant, quand je songe à ces tendres regardsQu'il attachait sur moi !... Me serais-je trompée ?Les miens plus d'une fois ont fait baisser les siens :J'en ai souvent été frappée. J'ai surpris des soupirs tout semblables aux miens. NADINE. Tant mieux. ZÉMIRE. J'ai crû lui voir du trouble, des alarmes,Et quelquefois les yeux prêts à verser des larmesEt tout à l heure ; encore. NADINE. Il peut-être enflammé. ZÉMIRE. Mais sa bouche jamais ne m'a rien confirmé. NADINE. Eh ! Ne gardez-vous pas avec lui le silence ? ZÉMIRE. Le sien peut-il se colorer ?Nadine, ah, quelle différence !Supposé qu'Azor m'aime, il ne peut l'ignorer... Il me vient une idée. Oserais-je la croire ? Est-il honteux d'aimer ? Faut-il garder son coeur ?Et serait-ce blesser son honneur et fa gloireQue de reconnaître un vainqueur ?Ah ! S'il faut que l'amour ne soit qu'une faiblesse,Voilà ce que j'ignore. NADINE. Il n'est pas naturel... ZÉMIRE. Cette idée en effet me révolté et me blesse, NADINE. Elle n'a donc rien de réel.Vous vous fabriquez-là des terreurs insenséesQu'il faut combattre, au lieu de s'en laisser saisir ?Dans la confusion de vos tristes pensées Votre esprit se travaille, et se perd à plaisir.J'en pourrais comme vous avoir en affluence.Par bonheur je n'ai plus l'esprit de m'attrister. Elle entend quelque bruit, et va regarder.Qu'entends-je ? ZÉMIRE, languissamment. Quelle douce et paisible influenceVient assoupir mes sens ? Je n'y puis résister. Sur mes yeux accablés le sommeil va descendre :C'en est fait ; il triomphe, et me force à me rendre. NADINE, revenant. Ce n'est rien. Je croyais que l'on venait ici.Mais, Zémire, espérez. Zaleg qui m'aime aussi,M'en avait, jusqu'ici, toujours fait un mystère. Ce n'est que d'aujourd'hui que, lassé de se taire,Il m'a fait savoir son amour.Me diriez-vous pourquoi l'ingénieux détourDont Zaleg s'est servi, ne m'a pas moins charmée,Que le plaisir d'en être aimée ? Je vais vous le conter.... Mais je parle aux échos !Ah, ah ! Je vous endors ? Hé bien, à la pareille.Mais, ne nous fâchons pas de ce qu'elle sommeille ;La pauvre infortunée a besoin de repos. SCÈNE IV. Assan, Zemire endormie. ASSAN. Le charme a réussi, Zémire est endormie. Sommeil je t'ai livré ma mortelle ennemie : Daigne m'aider, redouble tes pavots.Tandis qu'elle jouit des douceurs du repos,Employons les moyens qui rendent tout possible ;Déployons à ses yeux, prodiguons, répandons Les biens les plus parfaits, les plus précieux dons :Zémire comme une autre y doit être sensible. On lui apporte un coffret ouvert, plein de perles et de pierreries qu'elle pose a coté de Zémire.Qu'elle en trouve, en se réveillant,L'assemblage le plus brillant :Cette richesse imaginaire Ne peut manquer d'avoir son succès ordinaire.Mais, si le piège que je tendsNe produit pas l'effet que j'en attends ;Quelle sera ma honte et ma douleur extrême !Dans un songe enchanteur faisons que mon ingrat Apparaisse à Zémire avec tout son éclat.Opposons Azor à lui-même.Puisse-t-elle, à mon gré, lui plaire, l'enflammer,Et perdre son bonheur en se faisant aimer...Je dois tout espérer de ce double artifice.... Que m'importe, pourvu qu'un des deux réussisse 3Azor n'en aura pas un destin moins fatal. Elle sort. SCÈNE V. Azor, avec un bouquet à la main. Zemire endormie. AZOR. Amour conduis mes pas... Quoi, toujours mou rival :Il semble qu'en tous lieux son ombre m'accompagne !C'est ici que Nadine a laissé fa compagne : Elle y doit reposer loin du jour et du bruit.Avançons, et cherchons cette aimable mortelle.Je ne vais qu'en tremblant où mon coeur me conduit;La voici.... Mais, ô Ciel ! Que vois-je à côté d'elle !Les dons de mon rival ont prévenu les miens. Quelle profusion ! Je l'avais bien prévue.Zémire, en s'éveillant, y portera la vue.Mes yeux font éblouis ! Que deviendront les siens ?Et moi, pour soutenir un combat si funeste,Voilà ce que j'oppose, et quel est mon pouvoir. Cette faible ressource est tout ce qui nie reste.Si le plus tendre amour ne la fait pas valoir,Que vais-je devenir ?... Zémire, On vous outrage.Ce tribut offensant doit blesser votre honneur ;Et vous devez sentir que cet indigne hommage Vient moins d'un tendre Amant que d'un vil suborneur,Déposons à ses pieds une offrande plus pure.Puisse-t-elle.trouver quelque grâce à ses yeux !Ah ! Du moins je la tiens des mains de la nature.Ce que j'offre à Zémire, est ce qu'on offre aux Dieux. SCÈNE VI. ZÉMIRE, seule, se réveillant. Qui suis-je ? Est-il bien sûr que ce ne soit qu'un songe,N'ai-je point en effet disposé de ma foi ?Rassurons-nous ; ce n'est heureusement pour moiQu'une de ces erreurs où le sommeil nous plonge.Tâchons d'en effacer la triste impression... Elle aperçoit les diamants.Serait-ce une autre illusion ?Suis-je encore endormie ? Ah Ciel ! Est-il possible ?Est-ce à moi qu'on en veut ! La frayeur me saisit,Tandis que je dormais, quelle main invisibleAmis auprès de moi ?... Mais lisons cet écrit. Elle lit.Zémire... c'est ainsi qu'Assan prouve qu'il aime.Mon coeur ne se sent point flatterDe ces preuves d'amour, qu'Assan fait éclater.Quand j'y pense, j'éprouve un sentiment contraire.Il croit que l'intérêt pourrait me maîtriser. Quoi ! Se peut-il qu'Assan soit assez téméraire.Je ne sais point haïr ; mais je sais mépriser. Elle aperçoit le bouquet.Ah, que! don plus flatteur se présente à ma vue ?Mon âme, à cet aspect, est tendrement émue : Il vient d'une autre main... Ah, s'il venait d'Azor, Et quel autre que lui m'offrirait ce trésor ?De sa tendre amitié c'est un aimable gage.Elle prend le bouquet et l'admire.Rien n'est pour moi plus précieux.Qu'il m'est cher ! Je l'accepte. Oui, j'en vais faire usage. Que je l'admire encore ! Il enchante mes yeux.Il semble que ce soient autant de fleurs nouvellesQu'auparavant je ne connaissais pas.Je ne leur avais point découvert tant d'appas :Jamais je ne les vis si fraîches et si belles. On n'en pouvait pas mieux assortir les couleurs. Elle le flaire.On ne peut respirer de plus douces odeurs. Elle l'essaye.Que je vais être ornée, et peut-être embellie ! Elle l'attache.Il sera beaucoup mieux... Non, rien n'est plus parant.Je n'aurai point été si belle de ma vie. Le plaisir que je sens m'en est un sûr garant. 5CÈNE VII. Azor, Zemire. AZOR, à part. C'en est fait, mon secret n'est plus en ma puissance.Tombons à ses genoux... Je perdrais mon bonheur. ZÉMIRE, lui montrant le bouquet. Voyez votre bienfait et ma reconnaissance. AZOR. Je vois qu'on ne peut pas lui faire plus d'honneur. ZÉMIRE. Azor, il faudrait lire au fond de ma pensée :L'expression ne peut en rendre la moitié. AZOR. Il est vrai que jamais la plus tendre amitiéNe fut mieux reconnue et mieux récompensée. ZÉMIRE avec dépit, à part. Quoi, toujours l'amitié ! AZOR. Je sens à tous moments Qu'elle augmente pour vous mes tendres sentiments. ZÉMIRE. Lui dirai-je mon rêve ? Oui. AZOR, à part. Qui peut la distraire ? ZÉMIRE, à part. Sur mes doutes secrets il faut que je m'éclaire.Que vais-je faire ? Ô Ciel ! AZOR. Vous semblez soupirer ? ZÉMIRE. Je soupire, il est vrai. AZOR. Quel chagrin vous attriste ? Aurais-je le malheur de vous en inspirer ? ZÉMIRE. Vous ? AZOR. Ah ! Permettez que j'insiste. ZÉMIRE. Hélas ! AZOR. Dissipez mon effroi.Sur des moments d'abord si remplis d'allégresse,Et que j'ai crû, pour vous, aussi chers que pour moi, Pourquoi répandez-vous la plus sombre tristesse ? ZÉMIRE, après avoir rêvé. Elle vient malgré moi d'un songe que j'ai fait. AZOR. Un songe, dites-vous ? ZÉMIRE. L'impression m'en reste ; Il semble m'annoncer un avenir funeste ;Et je crains qu'il n'ait son effet. AZOR. Quoi ? Vous donnez dans une erreur pareille,Une chimère, une vapeur,Qui ne durent qu'autant que la raison sommeille,Troublent votre repos ! Un rêve vous fait peur ?Ah, Zémire, est-il vrai ? ZÉMIRE. Je l'avoue à ma honte. Mais il faut cependant que je vous le raconte.Peut-être me calmerez-vous. AZOR. Voyons ; j'y ferai mon possible. ZÉMIRE. Vous m'avez tant parlé d'un Génie insensible,Dont la punition est d'errer parmi nous.... AZOR. Je sais que je vous ai raconté son histoire,Et que même vous l'avez plaint. ZÉMIRE. Azor, vous ne pourrez me croireMais, tel que vous l'avez dépeint,Sous la même figure, avec les mêmes charmes, Qui forcèrent la fée à lui rendre les armes,Aujourd'hui ce Génie... AZOR. Hé bien ! ZÉMIRE. M'est apparu. AZOR. Je vous suis ; il vous est apparu ? ZÉMIRE. C'est lui-même. AZOR, transporté, à part. Ah ! Faut-il lui cacher que c'est moi qu'elle a vu ? ZÉMIRE. Je ne puis revenir de ma surprise extrême. Je l'ai vu de mes yeux, et j'ignore commentJe l'ai trouvé charmant... Mais c'était en dormant.Sa beauté m'a frappée ; il faut que je le dise. AZOR. Ne cherchez point, Zémire, à vous en excuser. ZÉMIRE. Et mais pardonnez-moi ; je dois m'en accuser. Je n'ai pas même été surpriseQu'une fée ait voulu lui plaire, et le charmer :En effet, elle a pu s'en laisser enflammer. AZOR. Il a dû vous trouver plus adorable qu'elle. ZÉMIRE. Du moins, il me l'a dit. AZOR. Je le crois aisément. ZÉMIRE. Elle doit m'en punir, puisqu'elle est si cruelle, AZOR. Je devine facilementQu'il vous aura rendu l'hommage le plus tendre. ZÉMIRE. Le plus tendre, il est vrai. AZOR, à part. Que ne m'est-il permis !... Haut.Sans doute il vous aura promis De vous aimer toujours ? ZÉMIRE. Il me l'a fait entendre. AZOR. Et vous, Zémire ? ZÉMIRE. Et moi ? AZOR. Qu'avez-vous répondu ?Votre coeur a-t-il pu demeurer inflexible 3 ZÉMIRE. Non... Mais ce n'est qu'un songe, au moins. AZOR. Bien entendu. ZÉMIRE. Le traître, malgré moi, l'a rendu trop sensible. AZOR. Fort bien. ZÉMIRE. Comment, vous l'approuvez ? À part.Est-ce ainsi que je l'intéresse ? AZOR. Je vous en applaudis. De grâce, poursuivez. ZÉMIRE, avec dépit. J'ai promis de répondre un jour à sa tendresse. AZOR. Tant mieux. ZÉMIRE. Vous n'êtes pas étonné, confondu ? AZOR. Non : je ne vois rien là qui ne soit très possible.Ensuite ! ZÉMIRE. Je ne sais ; mais un charme invincible.Sur lui, comme sur moi, s'est fort répandu,Qu'alors vers un autel j'ai suivi ce Génie ;Il m'a dit qu'il fallait que je lui fusse unie. Tous mes voeux se trouvant d'accord avec les siens,J'ai reçu ses serments, il a reçu les miens.Aussitôt le sommeil, le Génie, et le songe,Tout a fui. Quel plaisir n'ai-je pas eu de voirQue ce n'était-là qu'un mensonge ! AZOR. Peut-être. ZÉMIRE. Comment donc ? AZOR. Ce songe peut avoirUn effet plus constant que vous ne pouvez croire. ZÉMIRE. J'aurais à redouter qu'il ne devint réel ? AZOR. Vous pouvez l'espérer. ZÉMIRE. Que vous êtes cruel !Au lieu de le chasser de ma triste mémoire, Vous augmentez l'effroi qu'il me laisse après lui.Mais pourquoi pensez-vous autrement aujourd'hui ?D'où vient que vous changez à présent de langageNe m'avez-vous pas dit qu'un songe est une erreur ?Qu'en bien ainsi qu'en mal, il n'est d'aucun présage ; Qu'il ne doit inspirer ni crainte, ni terreur ;Conciliez-vous donc. Que faut-il que je croie ?D'un Génie inconnu je deviendrais la proie !Je l'aimerais par force, ou par enchantement !Non ; je n'aurai jamais un destin si contraire : C'est en vain qu'il viendrait réclamer mes serments. AZOR. Eh quoi ? N'a-t-il pas eu le bonheur de vous plaire ? ZÉMIRE. Ai-je agi librement en cette occasion ?Je n'ai point eu de part à cette illusion. AZOR. Ne répondez de rien. ZÉMIRE. Je crois en être sûre. AZOR. Non, vous ne l'êtes pas ; c'est moi qui vous l'assure,Vous pourriez vous dédire avant la fin du jour. ZÉMIRE. Et moi, je jure, je protesteQue jamais ce Génie avec tout son amour.... AZOR. Ah ! Zémire, arrêtez. N'achevez pas le reste. Tout ce qui vous est cher, vous presse par ma voix... ZÉMIRE. Azor, c'en est assez ; j'aurais tort, je le vois.À vos sages avis, Zémire doit se rendre.Il faut nous épargner des débats superflus.Quel que soit l'avenir, Azor, je vais l'attendre. Ce sera loin de vous.... Ne nous rencontrons plus ;Évitons-nous tous deux ; moi, par obéissance ;Et vous, Azor, par complaisance. Elle détache son bouquet, et le lui rend, en le jetant avec dépit.Au surplus, reprenez ce que je tiens de vous :Assan en serait trop jaloux. SCÈNE VIII. AZOR, seul. Que son dépit la rend touchante !Non, jamais il ne fut un objet plus charmant.Ah Dieux, que la beauté s'embellit en aimant !Que son courroux est cher à mon coeur ! Qu'il m'enchante !Mais ce n'est pas assez, s'il ne peut l'engager À prononcer l'aveu de sa tendresse extrême.Ne dira-t-elle point que c'est Azor qu'elle aime ?Fée injuste, à jamais voulez-vous vous venger ? ACTE III SCÈNE PREMIÈRE. Zemire, Nadine. ZÉMIRE. Ne me reprochez plus ma tristesse profonde. NADINE. J'ai crû que votre coeur devait être content ; Zaleg, que je quitte à l'instant,M'a dit qu'Azor était le plus content du monde. ZÉMIRE. Sa joie est un outrage ; et l'éclat qu'il en fait.Est d'une cruauté.... NADINE. Vous pleurez. ZÉMIRE. Oui, je pleure.De tout ce qu'il m'a fait entendre tout à l'heure, Il devrait être satisfait. NADINE. Mais-le dépit qui vous anime,Est-il bien raisonnable ? ZÉMIRE. Ah ! J'ose t'en prier,Ne parlions plus d'Azor ; épargne sa victime. NADINE. Allons, n'y pensons plus. ZÉMIRE. Je le veux oublier. Ah ! Fallait-il qu'il vînt, exprès dans ces retraites:,'M'apprêter le sujet d'un si long repentir ?Sais-tu ce qu'il m'a dit, ce que j'ai du sentirDans les réponses qu'il m'a faites ?Il me cède sans peine à qui voudra m'aimer ; Je lui suis devenue une charge importune ;Il se lasse des soins qui semblaient le charmer ;Il veut, dans d'autres mains, remettre ma fortune ;En termes assez clairs il vient de m'annoncerQu'à l'espoir d'être à lui, mon coeur doit renoncer. NADINE. C'est trop offenser votre gloire.D'Azor et de ses soins on pourra se passer.De votre souvenir il le faut effacer. ZÉMIRE. Hé, peut-on disposer ainsi de sa mémoire ! NADINE. Pour des sujets moins importants, Je vois que, parmi nous, tous les jours on oublieSa plus chère compagne, et sa meilleure amie :.Bien ou mal-à-propos, pour la plupart du teins,.On se brouille avec elle ; on la quitté; on en changesOn la punit, et l'on se venge. Zémire, ce doit être, à plus forte raison,Tout de même en amour. ZÉMIRE. Quelle comparaison ! NADINE. Vous pouvez, en changeant, vous venger à votre aise.Assan... ZÉMIRE. Hé, que veux-tu que j'en fasse ? NADINE. Un vengeur. Assan n'a qu'à vous plaire... Est-ce un si grand malheur ? ZÉMIRE. Mais comment veux-tu qu'il me plaise ? NADINE. Sais-je comme on inspire, et comme on prend du goût ?Je crois que tout cela se fait à l'aventure.On cède à son étoile, et l'on fuit la nature.Assan vous aime. Hé bien, le dépit mène à tout ; Il tient lieu de raison dans un coeur qu'on outrage. ZÉMIRE. Je veux prendre un guide plus sage.L'oubli sera plus sûr, j'en ferai mon bonheur. NADINE. L'oubli me paraîtrait plus sûr que tout le reste ;Mais il traîne en longueur. La vengeance est plus prête, Et d'ailleurs, fait bien plus d'honneur. ZÉMIRE. Ainsi donc, contre Azor, Nadine se déclare !Elle veut m'engager à le sacrifier,Au lieu de m'obliger à le justifier ! NADINE. Ah, ah, l'amour rend donc l'esprit un peu bizarre ? ZÉMIRE. Je vois que, sur ses maux, on a tort d'éclater,Que dans le fonds de l'âme il faut qu'on les dévore,Je consulte une amie, elle m'accable encore ;Elle a la cruauté de ne me point flatter. NADINE. J'admire jusqu'où va votre injustice extrême. ZÉMIRE. Laisse-moi, j'aurai soin de m'abuser moi-même. SCÈNE II. ZÉMIRE, seule. Le pourrai-je en effet ! Ah, trop funeste jour,Où l'on m'a fait savoir ce que c'est que l'amour !J'étais bien moins à plaindre avant que d'être instruite ;Mon ignorance était paisiblement séduite. Mon malheur, ce me semble, avait moins de rigueur.Ah, qu'il m'est douloureux de connaître mon coeur !Pourquoi faut-il qu'Assan m'ait découvert la cause ?... SCÈNE III. Assan, Zemïre. ASSAN. Zémire, connaissez quel est votre pouvoir.Je n'ai d'autre plaisir que celui de vous voir ; En vous, est le seul bien que mon coeur se propose.Je n'envisage plus d'autre félicité,Que de brûler pour vous de la plus vive flamme ;Et d'exciter pour moi dans lé fond de votre âmeUn peu de sensibilité. J'y pourrais aspirer sans être téméraire. ZÉMIRE. Mais quel droit avez-vous pour prétendre à me plaire ? ASSAN. Je puis vous procurer un sort digne de vous.C'est là mon titre le plus doux, À part.Tâchons de l'éblouir. ZÉMIRE, à part. Cherchons à m'en défaire. ASSAN. Vous n'avez pas soumis un amant ordinaire. ZÉMIRE. Je ne pourrai jamais en connaître le prix. ASSAN. Vous n'avez vu tantôt que de faibles prémices :Ces garants de l'amour dont mon coeur est épris,Ont dû vous annoncer de plus grands sacrifices. ZÉMIRE. Vous vous abaissez trop ; placez mieux votre choix.Je ne mérite point cette grâce importune.Mon destin a fixé ma vie et ma fortuneDans ce hameau prochain, et dans l'ombre des bois. ASSAN. Ne faites point au sort cet injuste reproche. C'est la beauté qui fait les rangs :Et je n'en connais point que l'amour ne rapproche. ZÉMIRE. Ils me sont tous indifférents. ASSAN. Tant de beautés ne sont point faitesPour languir tristement dans ces sombres retraites ; C'est dans un plus grand jour qu'elles doivent briller.Adorable Zémire, apprenez ma puissance. ZÉMIRE. Épargnez-vous le soin de me la détailler.Je me sens attachée aux lieux de ma naissances.Laissez-moi profiter des bontés du hasard ; Qui m'a fait naître au fond de cette solitude..Soit préjugé, soit habitude,Je l'aime. Je serais étrangère autre part.Et qu'irais-je y chercher ? Ailleurs, rien ne m'appelleL'innocence rassemble ici les vrais plaisirs. La nature avec soin remplit tous nos désirs :Elle règne sur nous ; et nous régnons sur elle. ASSAN. Votre empire est partout. Daignez suivre mes pas,Et devenez sensible au plaisir d'être aimée.Au milieu d'une Cour attentive et charmée, Un Trône vous attend. ZÉMIRE. Je ne m'y plairais pas. ASSAN. Zémire, y pensez-vous ? Quel est donc ce langage ? ZÉMIRE. Ah ! Je n'ai pas besoin d'y penser davantage. ASSAN. Un Trône vous déplairait ! ZÉMIRE. Oui. ASSAN. Quoi, je ne pourrais pas vous le rendre agréable ? ZÉMIRE. Non. ASSAN. Ce refus est inouï. ZÉMIRE. Il n'en est pas moins véritable. ASSAN. Je vois ce qui vous rend si contraire à mes voeux. ZÉMIRE. Eh ! Que croyez-vous voir, quoi ? ASSAN. L'erreur où vous êtes.Il est un inconnu, qu'un destin malheureux A relégué dans ces retraites. ZÉMIRE. Est-ce Azor ? ASSAN. Oui. Peut-être espérez-vous qu'un jourSon amitié pourra se changer en amour.S'il eût été sensible, il vous aurait aimée ;Son âme, dès longtemps, se serait enflammée. Depuis qu'il vous connaît il serait votre amant.D'ailleurs, un tendre engagement. Est rarement le fruit d'une longue habitude.La foudre est, dans les airs, moins lente à s'allumerQue l'amour dans nos coeurs n'est prompt à se former ; Avec autant de promptitude.Il nous porte le coup qu'il nous a destiné ;On ne l'évite point ; l'atteinte est imprévue.Un regard, un coup d'oeil, dès la première vue,Le font éclore ; aussitôt il est né. On a beau le cacher, il devient si sensible?Que l'on ne tarde guère à le rendre visible : Oh le déclare : heureux si l'aveu qu'on en faitPouvait toujours produire un bon effet ? ZÉMIRE, à part. Il n'a jamais rien eu que de triste à m'apprendre. Haut.Ne me trompez-vous pas ? ASSAN. Voudrais-je vous surprendre ? ZÉMIRE. Mais pourtant vous m'aimez. ASSAN. Beaucoup. ZÉMIRE. Hé bien, quelle est votre espérance ? ASSAN. De vous rendre sensible à ma persévérance. ZÉMIRE. L'amour ne vient jamais, s'il ne vient tout d'un coup : Dès le premier abord j'aurais eu l'âme éprise :Ainsi, vous voyez bien, sans que je vous le dise,Que je n'aurai jamais aucun amour pour vous. ASSAN. Mais vous vous appliquez ce qui n'est que pour nous.C'est à nous, les premiers, à vous rendre les armes. Nous devons commencer d'abord par vous aimer.Il faut qu'auparavant esclaves de vos charmes,Nous cherchions à vous enflammer,Pour arriver enfin à ce bonheur suprême.Ainsi Zémire, en vous aimant, Je pouvais me flatter que mon amour extrêmeObtiendrait un retour charmant. ZÉMIRE. Ces distinctions-là ne vous avancent guère. ASSAN. Mais il s'agit d'Azor ; Zémire, en bonne foi,Ce rival est-il fait pour obtenir sur moi La préférence la plus chère ?Par où mérite-t-il un don si précieux ?Ce n'est qu'un mortel ordinaire : Je ne vois rien en lui qui puisse tant vous plaire. ZÉMIRE. Je ne saurais le voir qu'avec mes propres yeux. ASSAN. Tout diffère entre nous, nos rangs, nos biens, nos âges,Je crois avoir sur lui d'assez grands avantages. ZÉMIRE. Ils peuvent être vrais ; mais je ne les sens pas. ASSAN. Mais, Zémire, songez qu'à vos divins appasSon coeur ne s'est jamais offert en sacrifice : Il ne l'en croit pas digne ; il s'est rendu justice :S'il eût été pour vous, épris du moindre feu,Je vous l'ai déjà dit, je le répète encore,Croyez que dès longtemps, il en eût fait l'aveu.Il vous aurait cent fois juré qu'il vous adore. ZÉMIRE. Il ne met l'a pas dis. Mais l'amour par hasard,N'a-t-il point quelqu'autre langageOù la bouche n'a point de part. ASSAN. Celui des yeux est quelquefois d'usage :Mais c'est lorsqu'on ne peut se parler autrement. ZÉMIRE. Et les soupirs ? ASSAN. Sont le partageD'un tendre et malheureux amant.Mais, au sujet d'Azor, sans chercher davantageÀ vérifier un soupçon ;Qui blesse votre gloire autant que ma tendresse ; À l'objet de votre faiblesse,Zémire, gardez-vous, en aucune façons ;D'en laisser échapper les moindres témoignages. ZÉMIRE. Pourquoi ? ASSAN. D'un insensible ils seraient mal reçus.Vous ne devez jamais prévenir nos hommages. Ce serait mendier l'opprobre d'un refus.Qu'un mystère si déplorableNe se découvre point. Forcez-le de resterDans l'ombre et le secret d'un coeur impénétrable,Et ne vous l'avouez que pour le détester. À part.Que n'ai-je mieux suivi les conseils que je donne ? ZÉMIRE. Je n'espère jamais aucune guérison :Mais vous persuadez ma gloire et ma raison.À vos sages avis mon amour s'abandonne :Je jure, entre vos mains, qu'ils auront leur effet, Hélas ! Quoi qu'il en coûte à ma tendresse extrême,Azor ne saura point que c'est lui seul que j'aime :Oui, c'est Azor que j'aime. ASSAN. Le Théâtre change, et représente un bosquet orné d'orangers, avec un berceau de fleurs, au milieu duquel est la statue de Zémire.Arrêtez. c'en est fait,Les mots sont prononcés. C'est moi qui suis punie.Tu vois devant tes yeux cette fée ennemie Qui poursuivait un coeur qui n'est fait que pour toi.Azor n'eût pas été moins heureux avec moi.Jouis de ton bonheur ; ma vengeance est finie. SCÈNE IV. Azor en Génie, et habillé galamment, Zemire. ZÉMIRE. Azor, quoi, c'était vous ?... AZOR. Oui, je suis ce Génie,Heureux dans son exil, heureux dans son amour Puisque vous le payez du plus tendre retour.Il fallait cet aveu que vous venez de faire. ZÉMIRE. Que n'ai-je su plutôt qu'il était nécessaire ? AZOR. S'il me rend plus digne de vous,Zémire, ce sera son effet le plus doux. SCÈNE V. Zalag, Azor, Zemire, Nadine, Zaleg, Troupe d'Habitans et d'Habitantes des campagnes voisines. NADINE. Peut-on savoir où vous en êtes ?Vos explications sont-elles bientôt faites ? ZÉMIRE. Azor m'aimait ; il m'aime ; il me l'a dit, NADINE. Ne vous avais-je pas préditQu'Azor brûlait pour vous d'une flamme secrète ? Votre félicité rend la nôtre complète.Hé bien, partons-nous pour les cieux ? ZÉMIRE. Ah ! demeurons plutôt en ces aimables lieux,Où notre amour a pris naissance.Qu'ils vont, de plus en plus, être chers à mes yeux AZOR. Établissons ici notre heureuse puissance,Habitants, jouissez d'un sort délicieux. NADINE. Allons, régnons où l'on nous aime.Qu'en dit Zaleg ? ZALEG. Je pense assez de même ;Où peut-on être mieux que dans l'heureux séjour .i Ou l'on trouve Amour pour Amour. DIVERTISSEMENT. Entrée d'habitants et d'Habitantes des hameaux voisins, ornés de fleurs et de guirlandes. LA PRINCIPALE HABITANTE. Venez tous, venez tous[...] éclater vos transports les plus doux. On danse autour d'elle. Air adressé à ZémireFour éterniser notre hommage,Nous vous consacrons ce bocage. Régnez ; et qu'il serve à jamaisDe Temple à vos attraits. AIR chanté par Zémire.La félicité mêmeCouronne mes désirs :Régner sur ce qu'on aime, C'est régner sur tous les plaisirs. On danse. VAUDEVILLE. ZÉMIRE. Le coeur dans cet heureux séjour,Prend autant d'amour qu'il en donne.La plus belle couronneNe vaut pas amour pour amour. Aimer et trouver du retour,Est sur quoi mon bonheur se fonde ;De tous les biens du monde,Je ne veux qu'amour pour amour. ZALEG. J'ai fait l'épreuve, tour à tour, D'aimer à la Cour, à la ville ;Il est trop difficileD'y trouver amour pour amour.Le temps d'aimer fuit sans retour,Sachez en faire un bon usage : Au-delà du bel âge,Il n'est plus d'amour pour amour.Les biens et les sangs, tour à tour,Engagent la main d'une belle ;Mais le coeur en appelle, Il ne veut qu'amour pour amour.On dit que les amants de Cour.Sans aimer veulent qu'on les aime ; Quel étrange système De vouloir amour sans amour ; À tous les échos d'alentour,Adonis même eût fait redire ;Ah, que n'est-ce ZémireQui me rend amour pour amour.Coquette et légère, à mon tour, Je sais me venger d'un volage :Mais je change d'usageQuand je trouve amour pour amour.Le vieux Philémon, l'autre jour,Me disait qu'il voudrait me plaire ; Hé ! Qu'en pourrait-il faire,S'il trouvait amour pour amour ?Mon Amant trouve, chaque jour,Mille beautés qu'on me préfère,Mais je lui suis plus chère, Il ne veut qu'amour pour amour. Le divertissement finit par une contre-dance. ==================================================