******************************************************** DC.Title = L'ORAISON FUNÈBRE DE MADAME BOURGEOIS. DC.Author = NADAUD, Gustave DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 08:07:47. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/NADAUD_ORAISONFUNEBRE.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k207939j DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** L'ORAISON FUNÈBRE DE MADAME BOURGEOIS 1881. Tous droits réservés. PAR M. GUSTAVE NADAUD F. Aureau. - Imprimerie de Lagny. PERSONNAGE MONSIEUR BOURGEOIS. L'ORAISON FUNÈBRE DE MADAME BOURGEOIS À C. Coquelin. L'ORATEUR. Un jour, monsieur Bourgeois, bonhomme, forte tête, Heureux pour un mari, pour un marchand, honnête, Digérait son journal après le déjeuner, Comme doit toujours faire un prudent abonné. Il savourait gaiement les nouvelles diverses, Rixes, assassinats, vols, coups de vent, averses, Quand soudain ses cheveux se dressent ; il pâlit, Se frotte les deux yeux, lit encore et relit Cet article : « On écrit du Havre, hier dimanche Le vapeur le Félix a sombré dans la Manche. Le navire est perdu ; sauf quatre matelots, Marins et passagers ont péri dans les flots ! » Jugez de sa douleur ! J'oubliais de vous dire Que madame Bourgeois était sur ce navire. Que fait notre homme alors ? Il court tout effaré Prévenir ses parents, le maire, le curé ; Puis il rentre chez lui, tombe sur une chaise, Et se plaint, et gémit, et pleure tout à l'aise. « Morte elle est morte ! Ô Dieu ! Que vais-je devenir ? Charlotte, ma moitié ! Quel deuil, quel avenir ! Elle seule savait m'attacher à la terre, Et je vis, j'ose vivre oisif et solitaire. Quel désert ! Sur ce siège elle venait s'asseoir. Quel silence ! C'est là que nous causions le soir. Adieu nos doux projets, nos rêves de famille ! Nous voulions un garçon, nous voulions une fille. Ô parfait assemblage inconnu jusqu'alors De toutes les beautés de l'esprit et du corps ! Coulez, mes pleurs ; mes yeux, changez-vous en fontaines, Et que mon sang jaillisse en larmes de mes veines ! Mais aussi quel oubli, quel remords ! Et pourquoi La laissai-je partir et voyager sans moi ? Nous serions morts tous ensemble, ou je l'aurais sauvée. Et son corps roule au fond de la mer soulevée. Mais on le trouvera, ce corps pudique et beau, Qui doit m'appartenir jusque dans le tombeau. Va, je veux t'élever un riche mausolée Où ton ombre attendra mon ombre inconsolée. Je veux voir le porphyre et le bronze soudés Avec des larmes d'or et des vers commandés. Le travail sera long et la dépense forte Du porphyre, de l'or et des vers.... Il n'importe ! On évaluera mieux, en supputant les frais, À quel taux insensé j'élève mes regrets. Elle est morte... Mon Dieu, pourquoi faut-il qu'on meure ? Votre arrêt nous surprend en tous lieux, à toute heure. Que votre volonté soit faite ! En bon chrétien, Je bénis tout de vous, le mal comme le bien. Je ne me plaindrai plus. Adieu, ma pauvre femme Dieu te rappelle à lui : Dieu veuille avoir ton âme ! Et cependant je vais rester seul tous les jours ; Mon oreille est fermée à ses tendres discours. Je ne l'entendrai plus, avec philosophie, Me dire de ces riens qui font toute la vie. Elle me grondait bien, il est vrai, quelquefois... Elle avait à gronder une si douce voix ! Son caractère était... Il fallait le connaître. Pauvre femme ! Elle est morte... et j'avais tort peut-être. Je veux avoir eu tort. Mon Dieu, pardonnez-lui ! Des défauts dont elle est innocente aujourd'hui. Rassemblons nos esprits : Il faut que je m'apprête Pour assister bientôt à la lugubre fête. Oui, je saurai remplir ce suprême devoir. J'avais précisément besoin d'un habit noir. Ô ma chère moitié, quel vide tu me laisses ! Je vais te commander un habit et des messes. Point de luxe : je hais dès longtemps cet orgueil Qui se plaît à chercher le faste dans le deuil. Il suffit d'une croix de marbre... Non, de pierre ; Quelques plantes feront un très joli parterre. Voilà comme j'entends te rendre un digne honneur, Et la simplicité convient à la douleur. Que ferai-je à présent ? - Je pleurerai sans doute. - Mais dans un mois, deux mois ?... Je vais memettre en route. Les voyages, dit-on, forment le jugement. Ma femme me tenait près d'elle à tout moment. Chevauchant, naviguant sur la terre et sur l'onde, Je verrai du pays, j'étudierai le monde ; Je vivrai. Nous voici sur la fin de l'été ; La chasse est un plaisir fort bon pour la santé ; Elle raffermit l'âme ; elle sèche les larmes ; Elle fait bien au corps... Je vais prendre un port d'armes. Charlotte m'a toujours défendu de chasser ; J'ai quarante ans bientôt et je puis commencer. Je n'ai qu'un vieux fusil, une arquebuse à pierre ; J'en veux acheter un qu'on charge par derrière. J'aurai deux chiens d'arrêt et quatre chiens courants. Tout cela pourra bien me coûter mille francs. Baste qu'est-ce, après tout ? Une dépense faite. Elle me ruinait en chiffons de toilette. Mon Dieu, pardonnez-lui. Chacun tire vers soi : Vous savez qu'elle était économe pour moi. J'étais fort mal vêtu ; mon ménage était chiche ; Mais de pauvre mari je deviens garçon riche. Je vivrai désormais, avec mon petit bien, Comme un prince... j'entends un prince qui vit bien. Je place mon argent ; je quitte ma boutique ; Il ne me convient plus de servir la pratique. Me voilà sans tracas, exempt d'ambition, Rentier, célibataire, oncle à succession. Dieu ! Que la liberté semble douce à l'esclave ! J'aurai bon feu, bon lit, bon logis, bonne cave ; Je donne des raouts et des soupers chantants ; Je respire, je vis, je suis fou, j'ai vingt ans ; Je veux faire mon droit !... Et ma cousine Adèle ?... C'est qu'elle est bonne, et douce, et jeune, et jolie, elle ! C'est qu'elle m'adorait, elle !... Oh ! oh ! Mon gaillard, Vous vous occuperez des Adèles plus tard. À peine êtes-vous libre... Hélas ! Ma pauvre femme ! Je ne l'en blâme pas. Dieu veuille avoir son âme ! Mais elle n'était pas commode tous les jours. M'a-t-elle en quatorze ans joué de mauvais tours ! Et sans plainte pourtant je l'aurais conservée ; Le pouvant, je crois bien que je l'eusse sauvée. Je ne le pouvais pas. Est-ce ma faute, à moi, Si le Félix a fait naufrage ? Non, ma foi, le suis homme et je dois avoir l'âme assez forte Pour souffrir... si pourtant elle n'était pas morte ?... Non, le vapeur Félix... Le nom s'y trouve bien ; Que diable ! Les journaux n'inventent jamais rien. Elle est morte, bien morte, et je n'ai rien à dire, Et quand je veux pleurer je sens que je vais rire. Et si l'on me disait : « Vous avez le pouvoir De la ressusciter voulez-vous la revoir ? » Personne ne m'entend ? Je dirais : « Pas si bête Dieu fait bien ce qu'il fait ; sa volonté soit faite ! » Et quand on m'offrirait par-dessus le marché Mille francs, je dirais : « Messieurs, j'en suis fàché, Mais vous m'en donneriezdeux, trois, quatre. Impossible ! L'argent n'est rien pour moi je suis incorruptible. - Si l'on vous en offrait dix mille ? Non, vraiment. - Quinze mille ? - Nenni. - Vingt mille ?... À ce moment, Un coup bien appliqué retentit à la porte. « Ciel ! Ma femme ! Toi ? - Moi. Que le diable l'emporte ! » Ces quatre derniers mots furent commis si bas, Que madame Bourgeois ne les entendit pas. Un matelot l'avait dans ses bras enlevée. Où ? Comment ? Je ne sais ; bref, il l'avait sauvée. Charlotte avait promis au brave marinier Vingt mille francs tout juste. Il fallut les payer. Ainsi Monsieur Bourgeois, pour racheter sa femme, Compta vingt mille francs. Dieu veuille avoir son âme. ==================================================