******************************************************** DC.Title = LE MARIAGE DE RIEN, COMÉDIE DC.Author = MONTFLEURY, Antoine Jacob dit DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 15/05/2020 à 13:54:18. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/MONTFLEURY_LEMARIAGEDERIEN.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k73981f DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LE MARIAGE DE RIEN COMÉDIE M. DC. LX. AVEC PRIVILÈGE DU ROI. PAR LE SIEUR JACOB AVOCAT À PARIS, chez GUILLAUME DE LUYNE, Libraire Juré, au Palais, à la Salle des Merciers, à la Justice.Achevé d'imprimé le 10 mai 1660. Représentée pour la première fois, en l'Hôtel de Condé, le 11 décembre 1663. MONSIEUR L'Approbation que vous avez donnée au Rien que je vous présente, me donne lieu d'espérer que vous le recevrez avec autant de bonté que si c'était quelque chose, et que la lecture que vous en ferez ne détruira pas l'estime que la représentation vous en a été faite. Ce n'est pas MONSIEUR, que faisant réflexion sur la parfaite connaissance que vous avez de toutes sortes d'ouvrages, je n'eusse perdu l'envie de vous consacrer mon coup d'essai, si je n'avais considéré en même temps, que vous n'avez pas moins d'indulgence, pour en excuser les défauts, que de facilité à les connaître ; et que m'osbtinant à vouloir vous offrir quelque chose digne de vous, je me mettais au hasard de vous donner jamais de preuves de mon respect. Si toute la France n'était persuadée que la netteté d'esprit égale l'éclat de votre illustre naissance, et que la prudence que vous avez toujours fait remarquer dans l'administration d'une charge aussi glorieuse pour vous, qu'utile pour le public, ne peut recevoir de comparaison sans perdre de son lustre, je m'efforcerais d'en instruire ceux qui en pourraient douter, exagérant les rares qualités dont vous êtes avantageusement pourvu ; mais comme il n'est pas nécessaire d'avoir tous ces avantages, qui sont connus de tout le monde, pour mériter un ouvrage qui vaut si peu, il me serait inutile et dangereux de l'entreprendre, je passerai donc ces choses sous silence, pour vous protester que j'estimerai mon bonheur sans pareil, si vous êtes assez prodigue d'estime pour en donner à RIEN, et si ce RIEN que je vous offre avec toute sorte de respect, me peut faire obtenir la grâce de me dire. MONSIEUR, Votre très humble et très obéissant serviteur. JACOB, Avocat au Parlement. ACTEURS. LE DOCTEUR. ISABELLE, fille du Docteur. LISANDRE. LE PÖÈTE. LE PEINTRE. LE MUSICIEN. LE CAPITAN. L'ASTROLOGUE. LE MÉDECIN. BÉATRIX, suivante d'Isabelle. LE MARIAGE DE RIEN SCÈNE PREMIÈRE. LISANDRE, seul. Je vois déjà briller l'auroreJ'en aperçois, point encore,Celle qui doit bientôt iciFinir, ou croitre mon souci.Cette paresseuse suivante. À mon humeur impatienteFait souffrir un rude tourment,Elle me doit dans ce moment,Instruire de ce qu'il faut fairePour me faire agréer du père, De celle de qui les trésors,Me charment bien plus que le corps ;Puisqu'en épousant cette fille,Unique dedans sa famille.Je deviens riche d'indigent. Car enfin, il faut de l'argent,Dans ce maudit siècle où nous sommesPour être bien venu des hommes ;Et qui n'en a point n'est qu'un sot.Mais Béatrix paraît. SCÈNE II. Lisandre, Béatrix. LISANDRE. Un mot. Et bien, vois tu quelque apparence,À notre future alliance.Et pourrai-je par ton moyen ?... BÉATRIX. Ma foi je n'y connais plus rien,Ma maîtresse se désespère. Parce que le docteur son pèreTrouve des défauts en tous ceuxQui lui font offre de leurs feux ;De fous, d'ignorants il les traite,Je crois que c'est une défaite, Et que même tant qu'il vivra.Jamais il ne la marieraDe peur de dégarnir sa bourse,Que c'est l'origine et la source.De tout le mépris qu'il fait deux. LISANDRE. Hélas ! Que je suis malheureux,Ne saurais-je par quelque adresse,Gagner le coeur de ta maîtresse ? BÉATRIX. Croyez-moi, je le sais fort bien,Cela ne servirait de rien. Vous n'avez autre chose à faireQu'à tâcher de plaire à son père,Et lorsqu'il y consentiraJe sais bien qu'elle le voudra,Car je crois s'il n'y remédie, Si bientôt il ne la marie,Qu'on la verra mourir d'ennuis ;Elle pleure toutes les nuits,Et crains si fort de mourir filleEt de voir manquer sa famille, Que cette crainte, de ses joursPourrait bien avancer le cours,Mais il faut que je me retire,Le docteur vient. LISANDRE. Quoi sans m'instruire ?Un mot de conservation. BÉATRIX. Songez à quelques invention,Quelque ruse, quelque artifice,Pour paraître à ses yeux sans vice ;Si vous trouvez, comme il le faut,Un art sans tâche et sans défaut, S'il n'y trouve rien à reprendre,Soyez certain d'être son gendre. LISANDRE. Je vais de ce pas y songer,Tâche toujours à m'obliger. SCÈNE III. Le Docteur, Isabelle. ISABELLE. Enfin vous voulez donc mon père, Voir toujours durer ma misère ?Et jamais ne me marier ? LE DOCTEUR. C'est que je veux bien m'allier. ISABELLE. Qui que ce soit qui se présente,Votre humeur n'est jamais contente. LE DOCTEUR. Mais toi de qui la passion,Appelle la conjonction.Et le lieu du mariage,Sais-tu bien quel en est l'ouvrage ?Connais-tu quel en est le fruit ? Sais-tu quels enfants il produit ?Apprends que le ce haines mortellesLes contentions, les querelles,Les débats, la dissension,Le mépris et l'aversion, En font les effets et la fuite,Les hommes grands et de conduiteComme fut autrefois Platon,Lactance, Epicure, AriftonQuintilien, Anaxagore . Draco, Lucrece, PithagoreÉtant sur ce point en débat,Ont tous loué le célibat.Socrate homme savantissime,Consulté sur cette maxime, A dit, que qui se mariera.Tôt ou tard s'en repentira ISABELLE. Mars il en est de qui les charmes,Loin de nous causer des alarmes,Des plaintes, des soupirs, des pleurs, Sont remplis de milles douceurs. LE DOCTEUR. Faire aux savants un tel outrageDes douceurs dans le mariage !Avec qui donc cette douceur ? ISABELLE. Le soldat serait ?... LE DOCTEUR. Querelleur. ISABELLE. Le noble ? LE DOCTEUR. Plein de fourberies. ISABELLE. L'historien. LE DOCTEUR. De menterie. ISABELLE. Le Juge ? LE DOCTEUR. De sévérité. ISABELLE. L'interprète. LE DOCTEUR. D'obscurité.Le devin. De sorcellerie. Le poète. Plein de rêveries,Le rhétoricien. Flatteur,L'homme d'affaire. Grand parleursLe législateur. Sans conduite,Le particulier. Hypocrite ; L'astronome sera trompeur,L'apothicaire, empoisonneur ;Le philosophe, Sophistique,Et L'alchimiste, chimérique,L'astrologue sera sorcier, Le marchand, trompeur ; usurier,Le chasseur sera sanguinaire,Le notaire sera faussaire.Et le Médicin meurtrier. ISABELLE. À qui donc me marier ? Le vieux ? LE DOCTEUR. Sera fâcheux, avare,Incommode, jaloux, bizarre. ISABELLE. Le jeune étant plein de santé ? LE DOCTEUR. Ce ne fera qu'un éventé,Bref quel que soit ce gendre, J'y trouve toujours à reprendre. ISABELLE. Mais il s'en trouve un comme il faut,Et que vous trouviez sans défaut,Le refuserez vous encore ? LE DOCTEUR. Par les sciences que j'adore, Par les mânes des grands docteursQui furent des arts inventeurs.Par le père de la doctrine,Dont j'ai tiré mon origine ;S'il s'en trouve un tel aujourd'hui, Tu seras conjointe avec lui.Pour multiplier ma famille. SCÈNE IV. Le Poète, Le Docteur, Isabelle. LE POÈTE. Charmé de yeux de votre fille,Auxquels on ne peut résisterJe viens ici me présenter. Pourvoir si j'oserais prétendre,À l'honneur d'être votre gendre. LE DOCTEUR, à sa fille. Ma fille voici bien ton fait. ISABELLE. Cet homme n'est pas trop bien faitMais de peur d'en être frustrée Et de n'être point mariée,Je n'oserais dire que non. LE DOCTEUR. [Note : Vacation : Profession, métier (vieilli en ce sens). [L]]Quelle est votre vacation ? LE POÈTE. Ah ! Si l'on peut par cette voieJouir d'une si belle proie ; Je suis assuré d'être heureux. LE DOCTEUR. Enfin dites moi ?... LE POÈTE. Je le veux.Elle est si noble et si savanteSi parfaite et si fort charmante,Si digne de gloire et d'honneur, Si pleine d'une noble ardeur,Qu'aucune ne peut pare avec elleEntrer jamais en parallèle. LE DOCTEUR. Mais enfin, sachons donc son nom. LE POÈTE. Sachez que l'occupation Qui plaît seule à ma fantaisie,Est la charmante poésiePour vous en faire concevoir,Et l'excellence, et le pouvoirJe pourrait dire que les princes, Dans les plus fameuses provincesOnt souvent fait bâtir des lieux,Magnifiques, industrieuxDes théâtres, des édifices,Faits avec beaucoup d'artifices, Pour voir les effets merveilleux,De cet art descendu des Cieux.Que jamais la Philosophie,La musique, l'Astrologie,Les Médecins, les harangueurs, N'ont joui de tout ces honneurs.Que dedans le milieu des ruesLes poètes ont eu des statuesQue les Oracles se servaientDe ce bel art qu'ils estimaient, Que cet art est fort ordinaire,Au blond Phébus qui nous éclaire,Aussi bien qu'au reste des Dieux.Que les neuf muses en tous lieux,De tous temps furent révérées, Et par les doctes adorées.Mais comme vous n'ignorez pas,Sa puissance ni ces appas.J'emploie en vain mon éloquence,À vous en dire l'excellence Et crois que dès ce même jourVous approuverez mon amour. LE DOCTEUR. Donc parce que vous êtes poète,Vous tenez cette affaire faite ?Sans considérer que ces mots. Delectant Carmina stultos.Sortis de la bouche des poètes,Plus véritables que vous n'êtes,Blâme votre témérité. LE POÈTE. Cet art... LE DOCTEUR. Cet art fut inventé, Plus pour tromper et pour séduire,Les mortels que pour les instruire,Et c'est le plus pernicieux,Qu'on ait inventé sous les cieux,À cause de l'effronterie, Dont il déduit sa menterie. LE POÈTE. Sachez... LE DOCTEUR. C'est aussi de tous temps,Que les poètes sont partisans,Des grands mensonges que vous faites,Ce qui fait que l'on dit des poètes, Qui furent jadis et qui sont,Semper mendacia singunt. LE POÈTE. Mais permettez que je vous die, LE DOCTEUR. C'est à cause de leur folie,Qu'on dit que tout leur est permis Pictoribus, atque Poëtis.Qualibet audendi, semper fuit aqua potestas. LE POÈTE. Mais... LE DOCTEUR. Les Lacédémoniens.Ainsi que les Athéniens,Banissaient ces maudites pestes, Comme à tous les États funestes.Allegants que la probité,À l'innocence et la vérité,Ne pouvant être avec le vice,Doivent être sans artifice, Par ces mots nous l'ont coté,Verum non indiget Arte. LE POÈTE. Quoi, vous ne voulez point m'entendre ? LE DOCTEUR. Je ne veux point de fous pour gendre. LE POÈTE. Cet homme pour juger si mal D'un art qui n'eut jamais d'égalEt pour son trop peu de lumièreIndigne d'être mon beau père. Il fort. LE DOCTEUR, à sa fille. Hé bien ? ISABELLE. Hélas ! J'aurais juréQu'il devait être rembarré Ah ! Que si vous pouvez comprendre,Combien en refusant ce gendre,Vous perdez plus que je ne perds ;Il aurait fait pour vous des vers,Sonnets, madrigaux, épigrammes, Poèmes épiques, anagrammes,.Sizains, quatrains, stances, dizains,Mais ce qui choque mes desseinsEt qui touche le moins votre âme,Il eut fait notre épithalame. LE DOCTEUR. Va ne t'afflige plus ainsi,Un autre s'approche d'ici,Ce sera pour toi, je le jure. ISABELLE. Gardez vous bien d'être parjure. SCÈNE V. Le Peintre, Le Docteur, Isabelle. LE PEINTRE. Serais je bien assez heureux Pour obtenir selon mes veuxL'honneur d'épouser votre fille ?Et d'entrer dans votre famille. LE DOCTEUR. Peut être qu'êtes vous ? LE PEINTRE. Je suisL'auteur des ouvrages finis, Et le singe de la nature,J'excelle dedans la peintureEt si je pouvais animer,Tous le corps que je sais former,Je suis certain que la peinture, L'emporterait sur la nature. LE DOCTEUR. Je crois cela facilement,Puisqu'on pourrait fort aisément,Supposant un si, sans merveille,Vous mettre dans une bouteille. LE PEINTRE. De tous les ouvrages divers,Il n'en est point dans l'univers,Que je ne vous fasse paraître,Par ce bel art où je suis maître,Je sais, d'un seul coup de pinceau, Former un visage plus beau,Que tous ceux qu'on voit sur la terre,Je sais dépeindre le tonnerre.Le foudre, le jour, les éclairsLes bêtes, les plaintes, les airs, Le soleil levant les nuages,Les embrasements, les ravages,Les hommes, l'entre jour et nuit,les herbes les fleurs et le fruit.Les triomphes, la paix, la guerre, L'eau, le feu, le ciel, et la terre,Bref pour achever mon portrait,Et le rendre encor plus parfait,Sachez, qu'Alcidor m'appelle,Que je suis descendu d'Appelle. Celui qu'Alexandre le grand,Éleva dans un si haut rang,À cause de son excellence,Aussi mon art, et ma naissance,Loin de me faire rebuter, Vous oblige de m'accepter. LE DOCTEUR. Sachez Monsieur, que l'on appelleAlcidor descendu d'Appelle.Que je tiens pour fort ignorant.Que je suis docteur Doctorant, Que les sciences de mes pères,Sont dans notre race ordinaires,Et de tous temps de notre estoc,Que le doctorat nous est hoc.Dès le ventre de notre mère, Puisque nous est héréditaire.Et que je dois, ayant l'honneur,D'être, per naturam, Docteur,Rechercher avec soin un gendre,Sur qui l'on ait rien à reprendre, Qu'on me mettrait au rang des fous,Si je m'abaissais jusque à vous.Car qui dit peintre dit fantasque,De quelque art que votre art se masque,Qui dit peintre dit glorieux, Gueux, ivrogne, capricieux,Atqui cette belle alliance,Outre un ivrogne d'importance,Me donnerait de plus un gueux.Un arrogant, un glorieux, Un homme rempli de caprices,Qui n'excelle que dans les vices,Ergo. Je conclus et promets,Propter itas rationes.Que vous ne serez point mon gendre. LE PEINTRE. Mais... LE DOCTEUR. Mais allez vous faire pendre. LE PEINTRE. Cet homme est sans doute insensé, Il sort.Bien plus que je n'avais pensé. LE DOCTEUR. Un peintre dedans ma famille ? ISABELLE. Il faut donc que je meure fille ? Qui voudra plus se présenter ?Ah ! Par ma foi j'en veux tâter. LE DOCTEUR. Ma fille tenir ce langage ? ISABELLE. Je veux dire du mariage, Quand mon père y consentira. LE DOCTEUR. Bientôt un autre s'offrira. ISABELLE. Vous obstinant d'être sans gendre,La vieillesse viendrait me prendre,Et l'on ne voudrait plus de moi. LE DOCTEUR. Va, celui-ci sera pour toi. SCÈNE VI. Le Musicien, Le Docteur, Isabelle. LE MUSICIEN. Pourriez vous refuser de prendre,L'Arion du siècle pour gendre ? ISABELLE, à part. Cet homme parle de bons sens. LE MUSICIEN. Je suis l'Orphée de ce temps,Je charme les sens, j'extasie, Avec bien plus de mélodie,Que Polymnestre, qu'Argien,Enfin, je suis musicienNon pas musicien vulgaire,Puisque celui qui nous éclaire, Me cède l'honneur aujourd'huiDe mieux symphoniser que lui,Et que je suis par mon adresse Unique dedans mon espèce ,Je sais bien rendre les raisons Des intervalles et des sons,De leurs genres, et des partiesQui composent les symphonies.Entre ceux qu'on oyait souvent,Se mêler de cet art savant, On pourrait nommer Thimotée,Néron, Auguste, Ptolomée,Mais tous ces gens là sur ma foi,Ne font que des sots près de moi,Et pour en donner assurance, Pour bannir votre défiance.Et vous le bien certifier,Je veux d'un plat de mon métier,Régaler it ci vos oreilles,Vous aller ouïr des merveilles. LE DOCTEUR, à part. Les gens de ce maudit métier,Ce font ordinairement prier,Par ceux qui les veulent entendre,Deux heures avant que de se rendre,Et ne cessent d'importuner, Ceux qui voudraient souvent donnerDe l'argent pour les faire taire. LE MUSICIEN. C'est un air que je viens de faire. Il chante, et poursuit après avoir chanté.Et bien Docteur, que vous en semble ?A-t-on jamais conjoint ensemble, Si bien, si méthodiquement,La voix avec l'instrument ?Si vous aimez la symphonie,Votre âme doit être ravie,Comment donc vous ne dites rien, Êtes vous sourd, ha ! Je vois bien,Que cette douce mélodieVous transporte, et vous extasie.Mais vous étant comme je vois,Jusque a l'usage de la voix, Je la supprime tout à l'heure,Pour dire qu'il faut que je meure,Si vous ne guérissez mon malPar le noeud matrimonialQuoi donc, vous changez de visage ? LE DOCTEUR. C'est moins de plaisir que de rage,De voir qu'un homme de néant,Prétend si témérairement,Avoir ma fille en mariage. LE MUSICIEN. Vous ne savez pas l'avantage... LE DOCTEUR. Je sais que tous les musiciensSont des fainéants des vauriens,Des efféminés inhabiles,À toutes les choses utiles.Que de tous temps chez les persans, Ils étaient au rang des plaisants,Des diseurs de bouffonneries,De fables, et de menteries,Des bouffons, et des bateleurs,Outre qu'ils ont eu les honneurs. Je sais qu'en chaque républiqueLes inventeurs de la Musique,N'approchaient point des gens bien nés,Parce que ces efféminés,Corrompaient toute leur jeunesse, Par leur chants, et par leur mollesse ;Et que l'illustre Orphée est mort,Pour avoir transporté si fort,Les Esprits des hommes de Thrace,Qu'il avaient rendus tous de glace, Que les femmes de ce pays,Par l'extase de leurs maris,Ne pouvant plus trouver leur conte,Ardentes d'amour et de honte :Tuèrent de leurs propre mains, Ce grand enchanteur des humains.Et que rien n'est plus inutileQue la Musique en une ville :Suivez donc des conseils meilleurs,Et cherchez des partis ailleurs. LE MUSICIEN. Quoi refuser non alliance ? LE DOCTEUR. Allez sortez de ma présence. LE MUSICIEN. Je vais sur ce sujet bouffon,De ce pas faire une chanson. ISABELLE. Hélas ! Que ce refus me pique, Il m'aurait appris la musique,J'aurais appris en même temps,À bien toucher des instruments ;J'aurais connu la tablature, pJ'aurais abattre la mesure, Mais pour mon malheur je vois bienQue je ne saurai jamais rien. LE DOCTEUR. Dans le dessein que j'ai de prendre,Un honnête homme pour mon gendre :Je le veux bien interroger, Avant que de te le donner. ISABELLE. Moi, j'ai toujours entendu dire,Que qui choisir tant prend le pire. LE DOCTEUR. Ma fille a raison sur ma foi,Le pRemier sera donc pour toi. ISABELLE. Comme les autres. LE DOCTEUR. Sois certaine... SCÈNE VII. Le Capitan. Isabelle, Le Docteur. LE CAPITAN. Docteur savez-vous qui m'amène ? LE DOCTEUR. Non... LE CAPITAN. Sachez donc que c'est a dessein,D'être votre gendre demain.Que l'amour en ce lieu m'envoie Pourvu que c'est excès de joie,Ne cause pas votre trépas,Car enfin je ne voudrais pasQue l'honneur que je vous veux faireCoutât la vie a mon beau-père. LE DOCTEUR. Qu'êtes vous ? LE CAPITAN. Ventre qui je suis ?Docteur rassemblez vos esprits,Pour tâcher a le bien comprendre, LE DOCTEUR, à sa fille. Autre fou. ISABELLE. Mais il faut l'entendre,Avant que de juger de lui. LE CAPITAN. Je fuis du désordre l'appui,Je suis partisan du carnage.Et quand je veux par mon courageJe finis des mortels le sort,Et suis substitut de la mort. Rien ne m'ose faire la guerre.Et si l'on voit loin de la terre.Le ciel c'est, Docteur, de l'effroiQue ces habitants ont de moi.[Note : Jupin : autre nom de Jupiter, Dieu du ciel.]Le grand Jupin dès mon enfance, Redoutant déjà ma puissance,Me joua du fort mauvais tour,Qu'il me payera quelque jour ;Ce fut le maquereau célesteQui fut le ministre du reste. En sommeillant je fus jeté[Note : Léthe : Un des fleuves de l'Enfer.]Au milieu du fleuve Léthé,C'était afin que ma mémoire.Ne parut jamais dans l'Histoire,À ce que du depuis je sus Je m'en tirai comme je pus.Et par des efforts incroyablesJe fis enrager tous les Diables.Je donnai cent coups à Pluton,Je rompis la barque à Caron. Je mis en fuite Radhamante,Et dans mon humeur fulminante.Tout l'Enfer fut par moi vaincu,Je fis même Pluton cocu.Ensuite je revins au monde, Montrer ma valeur sans seconde,Ou j'ai seul par mes grands efforts,Rempli l'Enfer de plus de morts,Que les trois parques étonnéesN'ont pu trancher de destinées Et si leur rigoureux efforts,L'avaient remplis de plus de morts,Des parques même étonnées,J'aurais tranché les destinées ;Je suis vainqueur le plus souvent, [Note : Flamberge : Mettre flamberge au vent, tirer son épée ; et fig. faire bravade. [L]]Sans exposer flamberge au vent :Car, d'un regard je mets sans douteUne armée entière en déroute.Tous les livres que l'on a faits,Ne parle que de mes hauts-faits, Mais sous des noms qu'on a dû feindreLes hauteurs ont su les dépeindre,De peur qu'étant trop valeureux,Ils ne parurent fabuleux,Je suis Hector dans la Troade, Achille dedans L'Illiade,Dans Séneque, je fuis JasonQui fut conquêter la Toison.Je suis Jupiter dans la fable ,Le héros dans Robert le Diable Dedans Daviti, Tamerlan,Dedans L'atioste, Roland,Dans le Tite-Live, Romule,Dans l'image des dieux, Hercule,Dans Rabelais Gargantua, Et dans Belzebut, Agrippa.Tout ce que l'on met dans leur vie,Est de la mienne une partie.L'effroi de mon nom glorieux,S'est semé jusques dans les cieux : Les Dieux tremblent en ma présence,Et si l'amour à l'assurance.De ne pas m'éviter comme eux,C'est à cause qu'il n'a point d'yeux :Quoi que tout cède a mon courage, J'use peu de cette avantage.Je laisse les palais aux Rrois,Les autres maisons aux bourgeois :Je laisse aux bergers les chaumières ,[Note : Spélonque : Caverne, antre. [L]]Les spélonques aux bêtes fières, Car j'ai l'on ne le peut nier,L'enfer pour cave ; et pour grenier.Le ciel environné d'étoiles,La terre pour lit et les voilesQue la nuit répand sur les eaux, En font le ciel et les rideaux,Les piliers les pôles du Monde,Et les creux abîmes de l'onde.Me servent de pot a pisser. LE DOCTEUR. J'en réponds s'il vient à casser. LE CAPITAN. J'ai pour chevet la pointe aigüe,Des rochers qui touche la nue.Les feuilles me servent de draps,L'herbe me sert de matelas,La lune me sert de chandelle, Vous en riez belle IsabelleCe discours vous plaît que je crois,Docteur dépêchez dites moi.Me recevrez vous pour gendre. LE DOCTEUR. Je serais assez fou pour prendre, Pour mon gendre le Roi des fous ? LE CAPITAN. Par la ventre que dites vous ? À Isabelle.Si vous n'êtes pas ma maîtresse,Fussiez vous autant que Lucrèce.Je sais bien ce que je ferai. ISABELLE. Quoi donc ? LE CAPITAN. [Note : Tarquiner : licence poétique. Tarquin, dernier roi de Rome et tyran.]Je vous tarquinerai,Docteur, si j'en ai votre fille,Si je n'entre en votre famille.Encore une fois je ferai.Ventre !.... LE DOCTEUR. Quoi ? LE CAPITAN. Je m'en passerai. LE DOCTEUR. Je crains bien que votre impudence,Ne mette à bout ma patience. LE CAPITAN. Quoi vous me refusez aussi. LE DOCTEUR. Si vous ne déloges d'ici... LE CAPITAN. Parbleu ce docteur est colèreEt bien il ne m'importe guère.Car malgré tout votre courroux :Ma foi je ne moquais de vous. Il sort. ISABELLE. C'est en vain que chacun s'empresse, De vouloir finir ma tristesse,Puisque vous les rebutez tous. LE DOCTEUR. Veux tu que j'accepte des fous ? ISABELLE. Ils sont tous fous à votre conte,Votre humeur est un peu trop prompte, Si vous n'avez point rebuté,Ce dernier qui s'est présenté :Je vous eut fait chérir des Princes,Je vous eut conquis des Provinces,Je vous aurait fait respecter. LE DOCTEUR. [Note : Rebuter : Rejeter avec dureté. [L]]Mais je voulais le rebuter. ISABELLE. Mais quand serai je mariée ? LE DOCTEUR. Ce sera dès cette journée,Un autre s'approche d'ici. ISABELLE. Vous l'allez rebuter aussi. LE DOCTEUR. C'est celui-ci que je veux prendre. ISABELLE. Puisqu'il doit être votre gendre,Accomplissez donc son désir.Qu'il m'épouse, à votre loisirVous l'examinerez ensuite. LE DOCTEUR. Je veux connaître son mérite Avant qu'en faire ton époux. ISABELLE. Il le va mettre au rang des fous ;Mais écoutons leur dialogue. SCÈNE VIII. L'Astrologue, Le Docteur, Isabelle. L'ASTROLOGUE. Voudriez-vous d'un astrologue Pour l'appui de votre maison,Si vous ne manquez de raison,Je suis sûr d'être votre gendre,Quand je vous aurai fait comprendreQue mon art est si merveilleux Qui n'a pour objet que les cieux.Pour lire dans les destinées,Les évènements des années.Je ne consulte que les cieux,Les Astres éparts sont mes dieux. Et j'ai la céleste influence,Pour principe de ma science. LE DOCTEUR. Oui, l'astrologie en effet,Est un art divin et parfait,Et dans le siècle où nous sommes, Il se rencontre si peu d'hommes,Qui sachent en bien discourir,Qu'on doit extrêmement chérir,Ceux à qui la toute puissance,En a donné la connaissance. ISABELLE. Faut-il toucher dedans la main ?Quand m'épousera-t-il ? LE DOCTEUR. Demain. ISABELLE. Pourquoi différer davantage ?Concluez notre mariage,Le plus tôt vaut toujours le mieux. L'ASTROLOGUE. J'ai par cet art industrieux,Du sort du mortels connaissance,Je prédis aux uns leurs naissance.Leurs contentement, leurs santés,Leurs bonheurs et leurs dignités, Leurs biens, la longueur de leurs vie,La douceur dont elle est suivie.Leurs victoires, et leurs honneurs,Aux autres, leurs maux, leurs langueursLeurs victoires, et leurs honneurs, Aux autres, leur mort, leurs malheurs,Leurs déplaisirs, leurs maladies,Leurs affronts, leurs ignominies,La perte des biens, des honneurs,Des enfants, leurs maux, leurs langueurs, Bref le plaisir ou le désastre,Selon l'ascendant de chaque astre.Je ne dirai point que Crassus,César, Néron, Déjotarus.Julien l'Apostat, Décie, Ont tous aimé l'astrologie ;Qui portaient honneur singulier,À ceux de ces savant métier.Puisqu'enfin, il est trop illustre,Pour vouloir tirer deux son lustre, Et que l'éclat que j'aurais d'eux,Ne pourrait pas me rendre heureux. LE DOCTEUR. Puisque vous savez chaque chose,Permettez que je vous propose,Quatre mots, afin de bien voir Jusque où s'étend votre savoir. L'ASTROLOGUE. Dites, c'est ce que je demande,Plus la question sera grande,Plus elle aura d'obscurité,Et plus par ma subtilité. Je vous ferai voir et comprendre,Quel homme vous aurez pour gendreLorsque vous m'aurez accepté. LE DOCTEUR. Elle a fort peu d'obscurité, Mais puisque votre complaisance, Me veut donner cette assurance,Savoir ci-dedans ce momentVous pourrez avoir l'avantage.D'avoir ma fille en mariage. L'ASTROLOGUE. La belle proposition, Cette fantasque question,Passe mon art et ma science,Puisqu'en fin notre connaissance,Ne va point jusqu'aux volontés. LE DOCTEUR. Vous ne le savez pas ? Sortez, Portez ailleurs votre science,Votre art, et votre connaissance.Vous ne méritez pas l'honneur,D'être le gendre d'un docteur. L'ASTROLOGUE. Est-il au monde une science, Qui puisse savoir ce qu'on pense ?Certes ce secret merveilleux,Ne peut être commun qu'aux Dieux. ISABELLE. Écoute-le avec patience. LE DOCTEUR. Quelle peut être sa science ? Puisqu'il ne connût pas son fort,En ce qui le touche si fort.Il nous dit que cette science,Lui fait avoir la connaissance.Du sort des mortels de leurs maux, De leurs gloire, de leur travaux,Et de toutes les aventures ;Mais ce sont autant d'impostures,Pourrait il faire pour autrui,Ce qu'il ne peut faire pour lui. L'ASTROLOGUE. Puisque tu refuses de prendre,Un honnête homme pour ton gendre,Pour le prix de ta question,Écoute ma prédiction.Dedans l'an mil six cent soixante, Tu mourras de mort violente.Ta fille dont je ne veux point,Peut sans se tromper du seul pointDès maintenant être assurée,De n'être jamais mariée. ISABELLE. Hélas ! L'ASTROLOGUE. Si comme on peut changer,Elle évite un si grand danger,Puisque tu n'as pas voulu prendre,Quelque savant homme pour gendre,Pour ton malheur et pour le sien Ton gendre Sera... LE DOCTEUR. Quoi donc ? L'ASTROLOGUE. Rien. Il sort. LE DOCTEUR. Que ce dernier a de folie ! ISABELLE. Quelle funeste prophétie ! LE DOCTEUR. Ne me diras-tu point encor,Qu'en le refusant j'ai grand tort ? ISABELLE. Je dis que qui refuse muse,Que je suis la dupe et la buse,Et vous l'ennemi de mon bienEt que je n'espère plus rien,Pourquoi faut il que sa science Me fasse faire pénitence.Et souffrir des maux si cuisants,Ceux qui disent que les enfants.Porte par des lois nécessaires,Les iniquités de leur pères L'ont dit avec grande raison. LE DOCTEUR. Un astrologue en ma maison ?Ces gens sont remplis d'imposture. ISABELLE. Il m'eût dit ma bonne aventure.Ah ! Que cette prédiction, Va croître mon affliction. LE DOCTEUR. C'est par hasard quand il rencontre ;Mais un autre déjà se montre. SCÈNE IX. Le Médecin, Le Docteur, Isabelle. LE MÉDECIN. Sans doute vous ne rebutez,Tous ceux qui ce sont présentés Que pour me faire votre gendreJ'ai peu de peine à la comprendre,Docteur vous avez fort bien fait,Car, Doctor doctorem decet. LE DOCTEUR. Que cet homme a mauvaise mine ! LE MÉDECIN. Je suis docteur en médecine.Et de ce bel art sectateurDont esculape fut auteur,Tout ce que savait Hypocrate,Paraxagore, Herosistrate, Aviscenne, SerapionGalien, et Themison,N'approche point de ma science,Et la parfait connaissance,Que j'ai de tous les végétaux Fait que je guéris tous les maux,Je sais guérir l'épilepsie,La colique, la cacquectie,L'hydropisie, les abscès,Les fièvres, et tous les accès. La pigraine, le pleurésie,Le pourpre, la paralysie,L'accidentelle surdité,Les douleurs des dents, de côté,Le cancer, ainsi que l'ulcère, Le mal de coeur, le mal de mer,De tête, de jambes, de dos,Nec non morbos VevereosEnfin... LE DOCTEUR. Dites je vous supplie,En avez-vous pour la folie ? LE MÉDECIN. Non ce mal ne se peut guérir. LE DOCTEUR. Prenez donc garde d'en mourir. LE MÉDECIN. Apprends pédantesque critique,De qui la sotte politique,T'a du rendre qualifié De nom d'homme stultifié,Et qui me taxes de folie,Qu'il n'est aucune maladie,Qui ne peut abréger nos jours;Sans cet art et sans son secours, Qu'il n'est rien de sis nécessaire,Partout où le soleil éclaire,Que cet art a toujours été,Omne praestnatior arte,Quue sans l'aide des médecines, Des herbes, des fleurs, des racines,[Note : Bolus : Terme de pharmacie. Terre argileuse colorée, qui était employée autrefois en médecine comme tonique et astringente. [L]]Dyrops, bolus, emulsions,Trochisques, miels, décoctions,Poudres diatris, vomitoires,Colloquite, masticatoires, Camphre, cassonade, agaric,[Note : Scamonée : Gomme-résine, très purgative, employée en médecine, dont on a deux espèces. [L]]Scammonée, séné, mesticJujubes, mane, capillaires,[Note : Éluctuaire : Terme de pharmacie. Médicament fait de poudres composées et aussi de pulpes et d'extraits, avec des sirops à base de sucre ou de miel. [L]]Turbith, rhubarbe, électuaire,Casse, jalap, et tamaris, Totus succumberet orbis ;Et que... LE DOCTEUR. [Note : Balle : Fig. et familièrement. Homme de balle, homme sans capacité, sans valeur ; chose de balle, chose sans mérite.]Sachez Docteur de balle,Que c'est en vain que l'on m'étale,Les effets de cet art maudit, Que j'en sais plus que l'on en dit,Et que je tiens la médecine,Plus à craindre que la famine,Que la peste, le feu, ni l'eau,Qu'elle en met plus dans le tombeau, Que toutes ces choses ensemble,Qu'il n'est point d'art qui lui ressemble,De plus, que qui dit médecin[Note : Putréfait : Terme peu usité. Tombé en putréfaction. [L]]Dit putréfait, dit assassin,Sale, meurtrier, homicide, Homme de sang humain avide,Homme ennemi de la santé,Ami de la mortalitéEt qu'étant résolu de prendre,Un homme de bien pour mon gendre ; Je ferais contre mon desseinSi je prenais un médecin. LE MÉDECIN. Quoi donc... LE DOCTEUR. Allez ailleurs vous plaindre,Ou vous apprendrez à ma craindre. LE MÉDECIN. Toi de qui le raisonnement; Méprise témérairement ;Et cet art, et son excellence,Pour punir ton extravagance,Veuillent les Dieux, qu'un médecinSoit dedans peu ton assassin. LE DOCTEUR. Pour un souhait aussi funeste,Veuillent tous les Dieux que la peste,Puisse secondant mon mon desseinT'écouter, et sans médecin. ISABELLE. Il faut donc malgré mon envie, Que je passe toute ma vie,Sans avoir pu me marier ? LE DOCTEUR. De peur de ma mésallier,Je souhaite et je veux, que le gendreQue pour toi j'ai dessein de prendre, Soit si charmant et si parfait,Soit si fort selon mon souhait,Si digne que chacun l'admire,Que sur lui l'on ait rien à dire.Ah ! Si vous aviez pu souffrir Le dernier qui vient de s'offrir,Il eut employé sa science,Et la parfaite connaissance,Qu'il a de tous les végétaux,Pour me guérir de tous mes maux ; Mais hélas !... SCÈNE VII. Lisandre. Le Docteur, Isabelle. LE DOCTEUR. Un autre s'avance. ISABELLE. J'en conçois bien peu d'espérance,Hélas ! S'il prenait cet amant,Que j'aurais de ravissement,Mais c'est en vain que je l'espère ; LISANDRE. Voudriez-vous être mon beau-père ? ISABELLE. Ah Béatrix qu'il est charmant,S'il le refuse assurément LE DOCTEUR. Qu'êtes-vous ? ISABELLE. J'en perdrai la vie ? LISANDRE. Pour satisfaire a votre envie, Je ne fuis ni rhétoricien,Ni peintre, ni musicien,Je ne fuis point dialectique,Téméraire, ni politique,Je ne suis devin, ni joueur, Ni médecin ni harangueur,Je ne suis indigent, ni riche,Je ne fuis libéral, ni chiche,Ni financier, ni magistrat,Je ne gouverne point l'état. Car peut on être quoi qu'on die,Rhétoricien sans flatterie ?Poète sans avoir l'esprit creux ?Peintre, sans être ivrogne on gueux ?Peut-on être dialectique, Sans ignorer quelque rubrique ?Il n'est point de vacation,Exempte d'imperfection.Est-on marchand, sans tromperie ?Est-il un devin sans magie ? Un joueur sans être blâmé ?Est-il un médecin aimé ?Est-on riche sans fâcherie ?Indigent sans ignominie ?De plus sans prodigalité, A[-t-]on la libéralité ?Est on puissant sans injustice ?Économe, sans avarice.Est-on sans peine magistrat ?Est-on sans carnage soldat ? Financier sans inquiétude ?Astrologue, avec certitude ?Ignorant, sans présomption ?Intéressé sans passionSans être scélérat ou traître... LE DOCTEUR. Que Diable voulez vous donc être ? LISANDRE. Sachez que je suis sans défaut. ISABELLE. Ah voici l'homme qui vous faut,Il ne voudrait pas vous le direS'il n'était vrai. LE DOCTEUR. Je veux m'instruire Si, ne m'impose point ; et bienQu'êtes-vous donc ! LISANDRE. Je ne suis rien,Et n'étant rien sans injusticeOn ne peut m'imputer de vice ; LE DOCTEUR. Que Diable peut-on dire à rien ? LISANDRE. Je vous dis de moi plus de bien,Que je ne vous en pourrais dire,Si j'étais maître d'un Empire,En vous disant mes faits divers,Puisque l'auteur de l'univers De rien, produisit chaque chose,Ainsi quoi que l'on se propose,On ne peut dire que du bien,D'un homme qui dit qu'il n'est rien. LE DOCTEUR. Ce rien me surprend et m'étonne, ISABELLE. En effet sa raison est bonneOn ne peut dire que du bienD'un homme qui dit qu'il n'est rien, LISANDRE. Et pour vous le faire comprendre,Qu'est-il de plus grand q'Alexandre Rien ; de plus l'âge que Caton ?Rien ; de plus docte que Platon ?Rien ; de plus beau que l'artifice ?Rien ; de plus grand que la Juftice ?Rien ; de plus vaste que les Cieux ? Rien ; de plus parfait que les Dieux ? ISABELLE. Rien ; de plus heureux qu'une vie,D'un bon mariage suivie ? LISANDRE. Rien ; c'est pourquoi vous voyez bienQu'il n'est rien de plus grand que rien. ISABELLE. C'est par là que la prophétieDe l'astrologue est accomplie. LE DOCTEUR. Moi qui croyait venir à boutDe répondre à tout et sur tout,Je vois que quoi que je propose, Loin de répondre a chaque chose,Je ne saurais répondre a rien.Puisqu'il n'est rien, je vois fort bienQu'on ne lui peut sans injustice,Imputer ni défaut ni vice. Trouverais-je un moyen,De dire quelque chose à rien ?Mais non il ne m'est pas possible,Cette entreprise est trop pénible.J'entreprendrais sur les esprits Dont nous lisons leur beaux écrits,Puisqu'il est certain qu'[E]uripide,Sophocle, Homère, Thucydide.Diogène, Tertullien.Acurse, Balde, Théodose, Ont tout parlé de quelque chose.Et pas un n'a parlé de rien,C'est pourquoi ce premier moyen.Me fournit point de quoi répondre[.]Toutefois si pour le confondre, Au défaut de quelque ancien,Me voilà plus surpris de rien.Que quatre autre chose.Car enfin sur ce qu'il propose,Toute ma science se perd, Et cet homme m'a pris sans vert,Plus je songe à ce nouveau gendre,Moins je vois par où me défendreDe m'acquitter de mon serment,Le Ciel le veut assurément. L'astrologue la su prédire,Rien... sur rien je n'ai rien à dire,Allez je vous rendre heureuxEt vous aurez selon mes voeux,Demain ma fille en mariage Aussi bien mon serment m'engage. LISANDRE. Que vous dois-je point ; enfinJ'ai pourtant été le plus fin. À Isabelle.Serez-vous à mes voeux contraires. ISABELLE. Je veux tout ce que veut mon père. LE DOCTEUR. Rentrons vous autres fongez bien,À ce que vous direz de Rien. ==================================================