******************************************************** DC.Title = L'IMPROMPTU DE L'HÔTEL DE CONDÉ, COMÉDIE DC.Author = MONTFLEURY, Antoine Jacob dit DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 08:08:20. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/MONTFLEURY_IMPROMPTUCONDE.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k740262 DC.Source.cote = BnF LLA P87/150 DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** L'IMPROMPTU DE L'HÔTEL DE CONDÉ M. DCC. XXXIX. AVEC PERMISSION. PAR A.J. MONTFLEURY À PARIS, chez la Veuve DUCHESNE, Libraire, rue Saint-Jacques, au Temple du Goût. Représentée pour la première fois, en l'Hôtel de Condé, le 11 décembre 1663. ACTEURS. LE MARQUIS. LA MARQUISE. ALCIDON. LÉANDRE, solliciteur de procès. ALIS, marchande de livres. CASCARET, valet du marquis. BEAU-CHÂTEAU. DE VILLIERS. La scène est à Paris dans le Palais. L'IMPROMPTU DE L'HÔTEL DE CONDÉ SCÈNE PREMIÈRE. De Villiers, Beau-Château, Léandre. DE VILLIERS. Il faut nous dépêcher de faire notre emplette :Je vois un chicaneur dont la tête mal faite... LÉANDRE. Ah, ah ! Bonjour, Messieurs ; avez-vous des procès ?Je suis de vos amis, et prends part au succès.Qui vous mène au palais ? BEAU-CHÂTEAU. Le seul dessein d'y faire Emplette de rubans qui nous est nécessaire. LÉANDRE. Eh ! vous en faut-il tant ? DE VILLIERS. Comment, s'il nous en faut ![Note : Edme Boursault (1638-1701) est une auteur dramatique (16 pièces) et d'une Gazette burlesque.]Vous pouvez en juger : demain Monsieur BoursautFait jouer sa réponse, et j'ai l'honneur d'y faireUn Marquis malaisé qui ne saurait se taire. Jugez, après cela, s'il nous faut des rubans. LÉANDRE. Comment, votre réponse ? Elle vient bien à temps ;Tout Paris voudra voir une telle entreprise. BEAU-CHÂTEAU. Nous la donnons demain sans aucune remise. LÉANDRE. [Note : Références à "l'Impromptu de Versailles" de Molière donné en 14 octobre 1663 et "L'Impromptu de l'Hôtel de Condé" le 11 décembre.]Molière a donc poussé sa pointe jusqu'au bout, Il vous en a donné sur le ventre et partout.Sur mon âme, il a bien contrefait vos postures,Bien imité vos tons, votre port, vos figures.De quoi diable alliez-vous aussi vous aviser,Quand vous fîtes dessein de le satiriser ? Aussi mal-à-propos vous vous faites de fête.Dites donc, il vous a fort mal lavé la tête. DE VILLIERS. Il s'en faut consoler, mais enfin notre espoirEst que, Monsieur Boursaut faisant bien son devoir,Nous en aurons raison. LÉANDRE. Boursaut ? Que peut-il dire ? [Note : Daubeur : Celui qui raille les gens, qui en parle mal. [L]]Quoi ! Contre le daubeur vous le faites écrire ? BEAU-CHÂTEAU. Vous êtes son ami ; nous le voyons, Monsieur. LÉANDRE. À vous dire le vrai, je suis son serviteur ;Mais contre L'In-promptu, ma foi, point de réplique. BEAU-CHÂTEAU. On en disait autant, quand il fit la critique ; [Note : "Le Portrait du peintre ou la contre-citique de l'ECole des Femmes" est une comédie d'Edme Boursault (1663).]Et le portrait du peintre a pourtant des appas. LÉANDRE. Mais, je vois un Marquis qui marche sur mes pas ;Il viendra s'enquérir d'un procès, s'il m'avise,Que j'ai sollicité pour certaine Marquise ;Je vais m'en informer. SCÈNE II. De Villiers, Beau-Château. DE VILLIERS. Le bon original ! BEAU-CHÂTEAU. Si ce n'est un Marquis, il ne le fait pas mal. DE VILLIERS. Comme je dois jouer un pareil personnage,Je vais l'étudier ; je crois qu'il n'est pas sageDe se tant démener. BEAU-CHÂTEAU. [Note : Bel air : les manières élégantes. [L]]C'est qu'il a le bel air ;Rangeons-nous à l'écart pour l'entendre parler. SCÈNE III. Le Marquis, Alis, Cascaret. LE MARQUIS. Hé, laquais ? CASCARET. Monsieur. LE MARQUIS. Vois dans cette autre boutiqueSi tu n'y verras pas la Marquise Angélique ;Je crois qu'on doit juger son procès aujourd'hui.Si tu vois Alcidon avec elle, dis lui... Cascaret sort.Rien. Ils s'entr'aiment fort l'un et l'autre, et je gage Que le gain du procès fera leur mariage. À Alis.La Marquise est ici ? ALIS. Pardonnez-moi, Monsieur,Du moins je n'en sais rien. LE MARQUIS. Non ?... Et son Procureur ? ALIS. Vraiment il n'a pas tant de soin de ses parties,Il vient tard, et s'en va dès qu'elles sont sorties. LE MARQUIS. Comme c'est aujourd'hui qu'on juge son procès,Je veux, si je le puis, en savoir le succès ;Car j'y prends quelque part ; mais il les faut attendre. ALIS. Monsieur, n'aurai-je point l'honneur de vous rien vendre ? LE MARQUIS. Oui, mais je veux avoir de ces pièces du temps. ALIS. Voilà la Sophonisbe. LE MARQUIS. Avez-vous du bon sens ? ALIS. [Note : "Sophonisbe" de Pierres corneile a été publié pour la première fois en 1663.]Si j'en ai ? Je le crois, c'est de Monsieur Corneille :C'est du siècle présent l'honneur et la merveille ;Et les oeuvres, Monsieur, d'un homme si vanté,Le feront adorer de la postérité. Nous n'avons point d'auteur dont la veine pareille... LE MARQUIS. Hé ! Madame, l'on sait ce que c'est que Corneille. ALIS. [Note : Philippe Quinault n'aurait pas écrit de pièce nommée Tibère ni de Tibérinius.]Voilà Tibérinus ; c'est de Monsieur Quinault. LE MARQUIS. Hé ! Gardez-moi cela pour quelqu'archi-badaud ;Des pièces qu'il nous fait le sujet est si tendre, Qu'il fait toujours pleurer ceux qui vont pour l'entendre ;Et vous ne savez pas fort bien ce qu'il me faut. ALIS. Voulez-vous le Portrait du peintre ? LE MARQUIS. Par Boursaut,N'est-ce point ? ALIS. Oui, Monsieur, tout le monde le prise. LE MARQUIS. Hé ! Morbleu, brûlez-moi de telle marchandise ; Dieu me damne ! j'aurais le goût bien dépravé. ALIS. Si vous le méprisez, d'autres l'ont approuvé.[Note : "Le Baron de la Crasse" est une comédie de Raymond Poisson, elle fut représentée en juin 1662 à l'Hôtel de Bourgogne.]Monsieur, voulez-vous voir le Baron de la Crasse ? LE MARQUIS. Bon ! Et que voulez-vous, Madame, que j'en fasse ? ALIS, lit. [Note : Claude Boyer (1618-1698) auteur dramatique et académicien (1666). Il ne rencontra que rarement le succès malgré une grande production. ]OEuvres du Sieur Boyer : Monsieur, si vous voulez... LE MARQUIS. Fi ! ses vers sont trop forts, et sont trop ampoulés. ALIS. Dites-moi donc, Monsieur, afin que je vous vende,De qui vous les voulez. LE MARQUIS. De qui ? Belle demande !De Molière, morbleu ! De Molière, de lui,De lui, de cet auteur burlesque d'aujourd'hui ; De ce daubeur de moeurs, qui, sans aucun scrupule,Fait un portrait naïf de chaque ridicule,De ce fléau des cocus, de ce bouffon du temps,De ce héros de farce acharné sur les gens,Dont pour peindre les moeurs la veine est si savante, Qu'il paraît tout semblable à ceux qu'il représente. ALIS. Sans contredit, Monsieur ; mais on ne peut nier... LE MARQUIS. Hé ! Madame, morbleu ! c'est savoir son métier. ALIS, lui présentant des livres. Tenez. LE MARQUIS. Voyons un peu son École des femmes,Je l'ai, je m'en souviens, promise à quelques dames. En regardant le premier feuillet de l'École des femmes où Molière est dépeint.N'est-ce pas là Molière ? ALIS. Oui. LE MARQUIS. Oui, c'est son portrait. ALIS. Oui, Monsieur, comme c'est un sermon qu'il y fait.De peur qu'on n'en doutât, il s'est fait peindre en chaise. LE MARQUIS. Point : c'est qu'étant assis on est plus à son aise.Plus je le vois, et plus je le trouve bien fait. Ma foi, je ris encor, quand je vois ce portrait. ALIS. Et de quoi riez-vous ? LE MARQUIS. Je ris de souvenance.[Note : Agnès est une personnage jeune et naïf de l'Ecole des Femmes.]Voyant dans ce portrait Agnès en sa présence ;Il me souvient toujours à propos de cela.Que Molière lui dit : « Là, regardez-moi là ». Dieu me damne ! Il est bon cet endroit. ALIS. Elle n'ose. LE MARQUIS. « Là, regardez-moi là », c'est une bonne chose. ALIS. Mais... LE MARQUIS. Il faut que tout cède au bouffon d'aujourd'hui.Sur mon âme, à présent on ne rit que chez lui ;Car pour le sérieux à quoi l'hôtel s'applique, Il fait, quand on y va, qu'on ne rit qu'au comique.Mais au palais royal, quand Molière est des deux,On rit dans le comique et dans le sérieux,Dieu me damne ! ALIS. Après tout... LE MARQUIS. Tout le monde le prise. SCÈNE IV. Le Marquis, Alcidon, La Marquise, Alis, Cascaret. LA MARQUISE. Hé bien ! mon procureur est-il venu ? LE MARQUIS. Marquise, Cependant qu'il viendra (car il n'est pas venu)Molière, dites-nous, vous est-il inconnu ?Et ne l'aimez-vous pas ? LA MARQUISE. Il faut que je le die,Je l'aime, et j'ai toujours aimé la comédie ;J'ai voulu la jouer, et, sans ma qualité, Je ne sais pas trop bien ce qu'il en eût été.J'aime à dire des vers, et je crois sur mon âme,[Note : Voir "La Critique de l'ECole des femmes", scène III, Climène.]Que j'aurais si bien dit, « Obscénité, Madame ». LE MARQUIS. Vous ne l'entendez pas. LA MARQUISE. Pourquoi non ? LE MARQUIS. Entre nous,Obscénité, par l'autre est mieux dit que par vous, J'en réponds. LA MARQUISE. Mais pourtant c'est bien là sa manière. ALCIDON. Te voilà donc, Marquis, protecteur de Molière ? LE MARQUIS. Oui, morbleu ! Je le suis, protecteur déclaré :Dis ce que tu voudras, il fait fort à mon gré. ALCIDON. L'on pourrait faire mieux. LE MARQUIS. Cet homme est admirable, Et dans tout ce qu'il fait il est inimitable. ALCIDON. Il est vrai qu'il récite avecque beaucoup d'art,[Note : La Mort de Pompée, tragédie de Pierre Corneille (1644). Pompée est dans le titre mais ce n'est pas un personnage de la pièce.]Témoin dedans Pompée, alors qu'il fait César.Madame, avez-vous vu dans ces tapisseriesCes héros de romans ? LA MARQUISE. Oui. LE MARQUIS. Belles railleries ! ALCIDON. Il est fait tout de même ; il vient le nez au vent,Les pieds en parenthèse, et l'épaule en avant ;Sa perruque, qui suit le côté qu'il avance,Plus pleine de lauriers qu'un jambon de Mayence ;Les mains sur les côtés d'un air peu négligé, La tête sur le dos comme un mulet chargé,Les yeux fort égarés ; puis débitant ses rôles,Un hoquet éternel sépare ses paroles,Et lorsque l'on lui dit, « et commandez ici. Il répond :[Note : Les trois vers qui suivent sont les v.808-810 de La Mort de Pompée de Pierre Corneille.]Connaissez-vous César, de lui parler ainsi ? Que m'offrirait de pis la fortune ennemie,À moi qui tiens le sceptre égal à l'infamie ? » LE MARQUIS. Mais tu ne songes pas bien à ce que tu fais.Parle donc, notre ami, nous sommeS au palais. ALCIDON. Et pour être au palais ? LE MARQUIS. Est-ce pour faire rire Que tu veux mille gens témoins de ta satyre ?Sais-tu ce qu'on dira ? ALCIDON. Que dira-t-on de moi ? LE MARQUIS. Morbleu ! N'as-tu point peur qu'on le moque de toi ? ALCIDON. [Note : Le théâtre du Palais-Royal est le lieu où est établie la troupe de Molière.]Mais au Palais-Royal, ami, quand on y joue,Arnolphe jette bien son manteau dans la boue, Quand auprès de sa porte, accablé de chagrin,Il vient interroger Georgette avec Alain ;Puis, pour instruire Agnès, et : pour se mettre en vue,Il se fait apporter un siège dans la rue,Et dans son Impromptu, comme j'ai su de toi, Met sa scène dedans l'antichambre du Roi.Et pour être au palais je n'oserais te faireCe burlesque portrait ? Là, dis donc que Molière... LE MARQUIS. Non ; pour le sérieux c'est un méchant acteur :J'en demeure d'accord, mais il est bon farceur. Mais, toi, de ce qu'il fait fais encor raillerie.[Note : Le vers cité est le vers 472 de L'École des maris de Molière, Acte II, scène 3, Sganarelle.]« Voyez un peu la ruse et la friponnerie. »Que dis-tu de ce ton : friponnerie ? Hé bien ?Là, dis donc, qu'en dis-tu ? ALCIDON. Qui, moi ? Je n'en dis rien. LE MARQUIS. Je le crois, tu vois bien qu'il fait toucher les âmes. ALCIDON. Témoin dans cet endroit de l'école des femmes :[Note : Les vers cités sont de l'École des femmes de Molière, Anolphe à Agnès, Acte V scène 4, v.1586-1594.]« Mon pauvre petit bec, tu le peux, si tu veux :Écoute seulement ce soupir amoureux,Vois ce regard mourant, contemple ma personne,Et quitte ce morveux et l'amour qu'il te donne ; Sans cesse nuit et jour je te caresserai,Je te bouchonnerai, baiserai, mangerai. » LE MARQUIS. Hé bien ! N'est-ce pas là le ton à faire rire ?Si l'on t'avait donné ces mêmes vers à dire,Dirais-tu pas ainsi ? ALCIDON. Quoi ! Se faire si laid ? LE MARQUIS. Soit dit entre nous trois, j'en sais tout le secret,Mais vous n'en dites rien. ALCIDON. Ce soupçon nous offense.Hé bien ? LE MARQUIS. De Scaramouche il a la survivance ;C'est pourquoi de bonne heure il tâche à l'imiter. ALCIDON. Mais, aux grimaces près, on peut mieux réciter. C'est sur l'air naturel que le récit se fonde. LE MARQUIS. Hé ! notre ami, parbleu ! tu n'es pas du beau monde,Il dit, morbleu ! ces vers... ALCIDON. Comme il fait un amant ;Il pourrait les mieux dire, et plus humainement. LE MARQUIS. Et plus humainement... encore ! Ho, ho ! tu railles ; Voudrais-tu point dauber l'Impromptu de Versailles ? ALCIDON. On m'a dit... LE MARQUIS. Par ma foi, je n'ai jamais tant ri,[Note : Montfleury accepte ici la caricature qu'on fit de lui-même.]Que quand ce singe adroit contrefit Montfleury. Il souffle comme fait Molière dans l'Impromptu de Versailles. ALCIDON. Quoi ! Pour souffler ainsi, ta folie est extrême ! LE MARQUIS. Dieu me damne ! Au ton près, il récite de même, Il dit les mêmes vers. ALCIDON. Je le crois. LE MARQUIS. Qu'en dis-tu ? ALCIDON. Tout ce que tu voudras, mais dans cet Impromptu,Quoi que tu puisses dire, on ne peut mettre en doute... LE MARQUIS. [Note : L'Hotel signifie l'Hôtel de Bourgogne et sa troupe.]Il contrefait, morbleu ! Ceux de l'hôtel. ALCIDON. Écoute ;S'il contrefait si bien leurs tons et leurs détours, Il devrait, par ma foi, les imiter toujours ;Ce serait pour Molière une assez bonne affaire,S'il quittait son récit pour les bien contrefaire ;Car l'on voit à l'hôtel des acteurs merveilleux. LE MARQUIS. Molière, dieu me damne ! en fait vingt fois plus qu'eux. Ces acteurs, dans les vers que l'on leur donne à dire,Ignorent les endroits qui pourraient faire rire,Ils ont beau faire efforts, ils les cherchent en vain ;Mais Molière les trouve, et, c'est le fin du fin.Car, quand il contrefait de Villiers dans OEdipe, Beau-Château dans le Cid, sa femme qu'il constipe,Et que dans Nicomède il fait voir Montfleury,L'on rit dans les endroits où l'on n'a jamais ri ;Et dedans cet endroit où sa main les assemble,Il fait plus rire seul que tous ces quatre ensemble. ALCIDON. Mais ne t'y trompe pas. LE MARQUIS. Consolez-vous tous deux. ALCIDON. C'est de lui que l'on rit, Marquis ; ce n'est pas d'eux,Car dessus ce sujet, quoi que tu puisses dire,Le dessein des acteurs n'est pas de faire rire ;On récite chez eux comme il faut réciter. Crois-tu que dans les vers que l'autre vient citer,Il faille faire rire ? Et peux-tu reconnaître... LE MARQUIS. Si ce n'est leur dessein, morbleu ! Ce devrait l'être ;Car pour le sérieux on devient négligent,Et l'on veut aujourd'hui rire pour son argent. [Note : Turlupinade : Plaisanterie basse, de mauvais goût, fondée sur quelque froid jeu de mots. [L]]L'on aime mieux entendre une turlupinade,Que... ALCIDON. Par ma foi, Marquis, notre siècle est malade.N'es-tu point de ces gens qu'on ne saurait souffrir,Et qui disent partout qu'ils le veulent guérir ? LE MARQUIS. Non ; mais de ces acteurs la galante manière... ALCIDON. J'en disais tout autant ; mais depuis que Molière... LA MARQUISE. Mais Molière, après tout, quoiqu'il fasse le fier,Peut, en les imitant, apprendre son métier ;Mais eux, qu'avec plaisir tout Paris vient entendre,En le contrefaisant, ne peuvent rien apprendre ; J'avouerai cependant, pour devenir bouffons,Qu'ils pourraient bien avoir besoin de ses leçons. LE MARQUIS. Mais je crois qu'ils feront beaucoup mieux de se taire ;Sont-ils assez méchants pour le bien contrefaire ? ALCIDON. Et quand ils en auraient même la volonté, Le plus hardi d'entr'eux serait déconcerté.S'ils y songent, il faut que leur dessein avorte,Car, qui diable croirait un vers de cette sorte ? LE MARQUIS. D'où va venir ce vers ? ALCIDON. Attendez, il est prisDe... (si je m'en souviens) L'École des maris, Quand il parle à son frère. Oui, lorsqu'il lui propose[Note : Citation au vers 1023 de l'Ecole des Maris de Molière.]De signer : « Taisez-vous, vous dit-on, et pour cause. » LE MARQUIS. Hé bien ! Morbleu ! Ce ton n'est-il pas naturel ? ALCIDON. Puisque c'est ton avis, je le veux croire tel.Dis ce que tu voudras, Marquis, moi, je m'engage À faire voir à tous... LE MARQUIS. Dieu me damne ! J'enrage,Quand je vois des lourdauds faire les gens d'esprit.Blâme encor la façon dont ce grand homme écrit ;Dis-moi, trouves-tu pas cette pointe divine :[Note : Citation de l'Impromptu de Versailles.]« Marquis, à tes canons fais prendre médecine... Pourquoi, Marquis, pourquoi ?... C'est qu'ils se portent mal. » ALCIDON. J'en croirai, si tu veux, l'agrément sans égal,Mais... LE MARQUIS. Morbleu ! Je lirais l'un et l'autre Corneille,Que je n'y verrais pas une chose pareille. ALCIDON. Mais dans cet Impromptu que tu fais si plaisant, S'il est comme tu dis, si fort divertissant,Pourquoi rit-on si peu ? LE MARQUIS. Pourquoi ? C'est qu'on admire.Crois-tu, s'il eût voulu, qu'il n'eût pas bien fait rire ?Quoi ! Ne pouvait-il pas, ayant le même corps,En faire encore agir les burlesques ressorts ? Et n'a-t-il pas en lui, cet homme inimitable,De ses contorsions la source inépuisable ?Madame, donnez-nous un peu son impromptu. ALIS. Son impromptu, Monsieur ? LE MARQUIS. Comment ! ALCIDON. Te moques-tu ?Il n'est pas imprimé. LE MARQUIS. Cette pièce est fort bonne ; Molière est mon ami, je veux qu'il vous la donne ;Pour de l'argent, s'entend. ALIS. Quoi ! Ce que tant de gens... LE MARQUIS. Non, non ; c'est l'Impromptu... ALIS. L'Impromptu de trois ans. LE MARQUIS. De trois ans ? ALIS. Oui, Monsieur. LE MARQUIS. De trois ans ; comment diable ! ALIS. Il a joué cela vingt fois au bout des tables, Et l'on fait dans Paris que, faute d'un bon-mot,[Note : Payer son écot : Fig. Il paye bien son écot, se dit d'un homme agréable, à table, en société, ce qui fait qu'on lui donne volontiers à dîner.]De cela chez les Grands il payait son écot. LE MARQUIS. Oui, des comédiens, j'en ai su quelque chose :Mais le reste... ALIS. Le reste est une farce en prose,Aussi vieille qu'Hérode. LE MARQUIS. Aussi l'on s'étonnait Qu'un ouvrage si bon eût été sitôt fait ;Et moi-même... ALCIDON. Dis donc, viendras-tu point me dire,Touchant cet Impromptu, qu'il faut que je l'admire ?Et quand, après trois ans, il vient nous faire voir... LE MARQUIS. C'est-là, morbleu, c'est-là ce qui le fait valoir. Malgré toi, dieu me damne ! Il faut que l'on l'admire.Quoi ! D'une vieille farce où l'on n'a point fait rire,D'un méchant pot-pourri qu'à peine souffre-t-on,En faire un Impromptu plaisant ! Dis donc que non ! À Alis.Vous en vendrez beaucoup, et par toutes les places... ALIS. Il faudrait donc, Monsieur, vendre aussi ses grimaces,Et de peur qu'en lisant on n'en vît pas l'effet,Au bout de chaque vers il faudrait un portrait.Ma foi, je n'en veux point ; pas un de nos LibrairesN'en veut. LE MARQUIS. Mais... ALIS. Mais, Monsieur, chacun sait ses affaires. Si, quand il fait des vers, il les dit plaisamment,Ces vers, sur le papier, perdent leur agrément ;On est désabusé de sa façon d'écrire,L'on rit à les entendre, et l'on pleure à les lire ;Et de ces mêmes vers, tels qui seront charmés? Ne les connaissent plus, quand ils sont imprimés.Sitôt que l'on les lit, un chacun nous vient dire :Je voudrais bien la voir de quoi nous pouvions rire ;Car de tout ce qu'il fait on ne reconnait rienQue le titre, le nom des acteurs et le sien. LE MARQUIS, apercevant Cléante, lui fait signe de son chapeau. Marquis, Marquis ! Laquais, cours après pour lui direQu'il vienne jusqu'ici, s'il a dessein de rire.Là, Madame, parbleu ! Dussiez-vous vous fâcher,Notre ami le Marquis vous entendra prêcher. SCÈNE V. Le Marquis, Cléante, Alcidon, La Marquise, Alis, Cascaret. LE MARQUIS. Bonjour, Marquis. CLÉANTE. Bonjour, la plaisante manière ! Te moques-tu ? LE MARQUIS. Morbleu ! C'est du ton de Molière.Te moques-tu, toi-même, approche, approche-toi.Madame, que voilà, disputait contre moi,Et blâme l'Impromptu. CLÉANTE. Que veux-tu que j'y fasse,Si c'est son sentiment. LE MARQUIS. Maugrébleu de sa face ! Je lui veux faire avoir ; mais elle est sur ce point... ALCIDON. Pour moi, de ce refus je ne la blâme point.Ce serait assez mal fonder son espérance. CLÉANTE. Une chose à mon sens choque la bienséance,Touchant ce grand auteur ; c'est de voir que partout À se faire louer lui-même il se résout ;Car la Marquise, enfin, fait son panégyriqueDedans son IMpromptu, comme dans sa critique.Cette prude est suspect, et je crois ce défaut... LE MARQUIS. Point : c'est pour faire voir qu'il sait bien ce qu'il vaut. ALCIDON. Qu'il prenne garde à lui, Marquis ; car je t'annonceQu'avant qu'il soit deux jours on jouera la réponse,Qu'il y sera daubé, mais daubé finement ;Et tu peux l'avertir d'y songer promptement. LE MARQUIS. Oui, l'on dit que, pendant que la noise redouble, Un certain Montfleury veut pêcher en eau trouble,Et qu'il s'en veut mêler. CLÉANTE. Et que fera Boursaut ? LE MARQUIS. J'ignore la raison qui l'a mis en défaut :Mais le premier venu pourra prendre sa place ;Car on ne pense pas pour cela qu'il la fasse. Ce ne sera pas lui, cela fera donc beau ? CLÉANTE. On dit que le dessein en est assez nouveau ;Enfin, l'on y travaille, et j'en sais bien le titre,Et l'on doit finement dessus certain chapitre... LE MARQUIS. [Note : Citation imprécise de l'École des femmes de Molière, vers 73-74.]« Hé, mon Dieu ! Notre ami, ne te tourmente point. Bien huppé qui pourra l'attraper sur ce point. »Qu'à leur gré ces messieurs satirisent Molière,Qu'ils blâment son récit, son port et sa manière,Il ne répondra plus ; car il veut que le temps... ALCIDON. Je le crois, il n'a plus d'Impromptu de trois ans, Mais s'il en avait un... SCÈNE VI. Le Marquis, La Marquise, Cléante, Alcidon, Alis, Cascaret, Léandre, LA MARQUISE, apercevant Léandre. Monsieur, et mon affaire ? LÉANDRE. Madame, elle est jugée. LA MARQUISE. Et de quelle manière ? LÉANDRE. Hors de cours, sans dépens. LA MARQUISE. Je gagne mon procès ? LÉANDRE. Assurément, Madame. LA MARQUISE. Ô dieu ! L'heureux succès ! LE MARQUIS. Il faut nous divertir toute cette journée, Puis après vous pourrez songer à l'hyménée. LA MARQUISE. Mais l'on peut s'en aller. LE MARQUIS. Nous vous suivons aussi. LA MARQUISE. Sortons ; nous n'avons plus aucune affaire ici. ==================================================