******************************************************** DC.Title = LE DERNIER KLEPHTE, POCHADE GRECQUE. DC.Author = MONS, François DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 08:07:46. DC.Coverage = Grèce DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/MONS_DERNIERKLEPHTE.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2079440 DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LE DERNIER KLEPHTE POCHADE GRECQUE 1881. Tous droits réservés. PAR M. FRANÇOIS MONS F. Aureau. - Imprimerie de Lagny. PERSONNAGES STANISLAS BELAMANDOPOULOS, brigand grec. YOLAND SPENGLER, touriste. AMANDA SPENGLER, sa femme. La scène se passe à Marathon (Grèce), de nos jours. LE DERNIER KLEPHTE La plus belle chambre du repaire des brigands klephtes. - Luxe à volonté. Accessoires indispensables : un lit et un secrétaire quelconques. Une panoplie et quelques siéges. - Au mur pend un tube acoustique. SCÈNE PREMIÈRE. STANISLAS, AMANDA, SPENGLER. STANISLAS, entraînant Amanda. Allons, entrez ; entrez, vous dis-je. AMANDA. Mais, monsieur, vous me faites mal ! STANISLAS. Tant mieux ! Un grand bien sort souvent d'un grand mal ; supportez le mal pour l'instant ; le bien viendra plus tard. SPENGLER, avec admiration. Quels hommes que ces Klephtes ! STANISLAS, se retournant. Tiens ! Comment êtes-vous là, vous ? Ceci est le côté des dames ; allons, allons, suivez-moi. Il remonte. SPENGLER, très calme. Envoyé en mission en Grèce par l'Académie libre des sciences inutiles de la Caroline du Sud, pour rechercher, d'après des documents que nous n'avons pas lieu de croire apocryphes. STANISLAS. L'arrivée de votre rançon fera mieux votre affaire que toutes les missions de la terre. SPENGLER. Pourriez-vous me dire, monsieur, si cette fameuse pantoufle que l'on attribue à la Belle Hélène ?... STANISLAS, le repoussant au dehors. Allons, voyons ! Allons, voyons ! SPENGLER, résistant. Quels hommes que ces Klephtes ! Venu en Grèce, en ma double qualité d'helléniste et de philhellène. STANISLAS, l'entraînant. Côté des hommes, mon bon monsieur ; côté des hommes !... SPENGLER, se débattant. Ma femme, ma femme ! Si vous trouvez des documents précieux... STANISLAS, l'enlevant dans ses bras. C'est bon, c'est bon ! On vous écrira. Stanislas et Spengler disparaissent ; la porte de la caverne se referme. AMANDA, seule. Que dites-vous de cette aventure ? STANISLAS, reparaissant. Vous, Madame, attendez. Il disparaît de nouveau. SCÈNE II. AMANDA, seule. Et comment n'attendrais-je pas? Je suis sous clef. Sortant un carnet et lisant. Le 24 avril 1877, mariée à l'église Notre-Dame de Lorette et, le 25, à la chapelle Taitbout, avec sir Yoland Spengler, directeur du journal américain l'Evening Morning de Paris, membre de soixante-dix-neuf sociétés savantes, et auteur du fameux mémoire sur la queue du chien d'Alcibiade ; le 26 au soir, embarquée à Marseille, après vingt heures de chemin de fer ; première nuit nuptiale, à bord ; mal de mer de mon mari ; le 27, avoir admiré l'immensité ; nuit du 27 au 28, continuation du mal de mer de mon mari ; le 28, avoir encore admiré l'immensité, guérison de mon mari ; le 29, avoir à mon tour beaucoup souffert ; mon mari me dit en riant que c'est aussi un mal de mer ; avoir ri comme lui, mais sans en avoir envie ; le 29, avoir écrit à maman une lettre consultative ; le 30, débarquée à Athènes ; le 31, partie après déjeuner, avec mon mari, pour visiter les champs de Marathon. » Écrivons. Elle écrit.Arrêtée par des bandits et violemment séparée de sir Yoland. Stanislas réparait au fond.Ah ! Quelqu'un ! Elle remet son carnet dans sa poche. SCÈNE III. Amanda, Stanislas. STANISLAS. Me voici, Madame. AMANDA, fuyant. Ne m'approchez pas ! STANISLAS. Oh ! Pas de cris ! AMANDA. Je veux crier, moi ! Au secours, à l'assassin ! STANISLAS. Vaine rhétorique ! AMANDA. Comment ? STANISLAS. Je dis que vos cris ne sont que de vieilles métaphores. AMANDA. Vous n'êtes donc point un assassin ? STANISLAS, avec pudeur. Oh ! Fi, l'horreur ! AMANDA. Un voleur, en tous cas ? STANISLAS. Eh quoi ! Madame, vous vous arrêtez à ces bruits de salon ? AMANDA. Qu'êtes-vous alors ? STANISLAS. Brigand, belle captive ; brigand pour vous servir. AMANDA, reculant. Ah ! Vous voyez bien ! STANISLAS. Oh ! Mais n'allez pas me confondre avec ces bandits vuigaires et mal débarbouillés que l'on rencontre d'habitude sur nos routes départementales. Je suis leur chef, moi ; je possède un château historique sur le versant opposé de la montagne, j'ai une avant-scène au théâtre de Corinthe et j'occupe les cinq cent trente-deux cavernes que nous ont léguées nos aïeux. Se découvrant.Que Dieu ait leurs âmes! - Je ne vous cacherai pas, car je suis franc ; que ma tête est mise a prix ; mais comme je commande à tous les Kiephtes de la Grèce, tel que vous me voyez, Madame, je dors les poings fermés... Vous verrez comment je dors. AMANDA, se récriant. Comment, je verrai ?... STANISLAS. Oui, madame, mais pas d'impatience. - Je disais donc que vous n'aurez rien à craindre au milieu de mes vieux Klephtes. AMANDA. Vos Klephtes, qu'est-ce que c'est que ça ? STANISLAS. Vous ne le savez pas ? AMANDA. Puisque je vous le demande. AMANDA. Je vais vous l'apprendre ; écoutez la chanson du Klephte. LA VOIX DE SPENGLER, du dehors. Il n'y a plus de Klephtes ! STANISLAS, à Amanda. Vous vous trompez, Madame. LA VOIX DE SPENGLER. Le Klephte est tombé sous les balles ! STANISLAS. Oh ! Madame, vous allez voir que non. AMANDA. Je ne vous ai rien dit. STANISLAS. J'avais cru entendre... Air : de madame Angot. Jadis les Klephtes, ici même, De pillage faisaient métier ; Ils avaient résolu l'problème D'vivre aux dépens du monde entier. Les Klephtes d'aujourd'hui n'ont guère Changé d'manières ni de moeurs Mais, n'ayant plus d'quoi fair' la guerre, Ils s'rabatt'nt sur les voyageurs !... Ce sont toujours les fils d'Hélène ! Est-ce bien la peine, Bis. Est-ce la peine en vérité D'leur préférer l'antiquité ?... II Sous d' vains prétextes de commerce, Nos aïeux écumaient la mer Depuis l'Egypt', l'Inde et la Perse Jusqu'à Marseille, troun dé l'air !... Leurs fils ont gardé leur recette, Mais ils s'en servent mieux encor ; C'est au jeu qu'ils font la conquête De la moderne toison d'or !... Le roi d'atout est philhellène. Est ce bien la peine, Bis. Est-ce la peine en vérité D'nous préférer l'antiquité ?... II Les Klephtes d'autrefois, Madame, Etaient artistes de bon goût, Puisque, dans leurs temples, la femme Et l'amour passaient avant tout ! De leur glorieuse légende Nous sommes dignes, vous l'voyez; Comme Hercule, je ne demande Qu'à filer... La carte à vos pieds !... V'Là la Grèce contemporaine !... Est-ce bien la peine, Bis. Est-ce la peine en vérité D'lui préférer l'antiquité ?... AMANDA. C'est fort intéressant. STANISLAS. Et absolument exact, foi de Stanislas Bétamondopotdos ! AMANDA, stupéfaite. Quoi ! Bélamando !... STANISLAS. ... Poulos, oui, madame, pour vous servir avec dévouement, je le répète. AMANDA. Le grand chef de brigands qui a été pendu ? STANISLAS. Oui, Madame ; c'est-à-dire non, car je n'ai pas été pendu. Vous avez dû lire ça dans les journaux ? AMANDA. En effet. STANISLAS. Toujours imparfaitement renseignés. Ils ont mis monsieur au lieu de madame ; c'est ma femme qui a été pendue. J'ai, d'ailleurs, envoyé partout une rectification. AMANDA. Votre femme à été pendue ? STANISLAS. Oh ! Mon Dieu, bien par sa faute ; elle avait conservé de son éducation bourgeoise une habitude qu'elle a payée de sa pauvre tête. Elle tenait à faire son marché elle-même. J'avais beau lui dire « N'y va pas », elle persistait à y aller tous les samedis. Noble coeur ! Belle âme ! Un jour, à propos d'un melon de Thessalie qu'elle avait négligé de payer, la fruitière se fâcha ; il y eut des mots échangés... Mais je vous raconterai les détails une autre fois, quand nous serons tout à fait intimes. AMANDA. Vous comptez donc me retenir longtemps ici ? STANISLAS, galamment. Mais toujours, madame, toujours! Car vous ne commettrez pas, vous, l'imprudence d'aller au marché, n'est-ce pas ? Vous me paraissez appartenir à un monde qui ne va pas au marché, excepté au marché aux fleurs peut-être, et encore comme marchandise. À part. Attrape-moi ce madrigal. Un silence.Eh bien, pas de remerciments ? À part.C'est un four. Haut.Bref, je suis veuf, vous êtes jolie, j'ai besoin d'une femme, et je vous garde ! AMANDA. Ah ! C'est uniquement parce que vous êtes veuf ?... STANISLAS. Oh ! Et par amour aussi, va !... Mais parlons sérieusement ; je vais vous laisser un instant ; quand je reviendrai, j'espère que vos scrupules seront évanouis ; n'allez pas faire comme eux, car je suis pressé et je n'aurais guère le temps de vous soigner. Au revoir donc, je vous laisse ensemble. AMANDA. Ensemble ? Avec qui ? STANISLAS. Eh bien, avec vos scrupules, parbleu ! Tâchez de leur faire entendre raison ; je compte sur vous. Il sort. SCÈNE IV. AMANDA. Voila ce qui peut s'appeler de l'imprévu. Je demandais du terrible, de l'inouï ; j'en ai, vous le voyez. Mon mari est venu en Grèce, avec la mission de rechercher quelle était la longueur du pied de la Belle Hélène. Vous savez qu'on a découvert, je ne sais où, une pantoufle antique extrêmement petite et que l'on se querelle maintenant pour savoir si elle a appartenu au pied de la Belle Hélène où à celui de Cléopâtre. On a expédié un savant dans la Basse-Egypte et un autre savant en Grèce. L'autre savant, c'est mon mari, et je vous assure qu'il prend sa mission très au sérieux... Hélas ! Encore un ouvrage qu'il laissera inachevé. Je vous ai déjà, dit que je ne suis mariée que depuis six jours... et me voici déjà veuve ! Est-ce là un événement malheureux ou heureux ?... S'il y avait des femmes ici, elles pourraient m'édifier ; quant à moi, je n'ai pas d'opinion bien arrêtée. À quoi tient pourtant la destinée humaine ? Si j'avais épousé un autre homme qu'un savant, nous serions allés en Suisse, au lieu de venir en Grèce, et nous n'aurions pas rencontré de brigands. Il y a peut-être un Dieu pour les femmes ! On entend le sifflet du tube acoustique.Bon qu'est-ce que C'est que ça ? LA VOIX DE SPENGLER. Être généreux et humain, m'entendez-vous ? AMANDA. La voix de mon mari ! Elle va au tube et répond.Oui, je vous entends, parlez. LA VOIX DE SPENGLER. Qui que vous soyez, ayez pitié d'un pauvre prisonnier ! AMANDA, au tube. Que désirez-vous ? Madame Spengler, peut-être ? LA VOIX DE SPENGLER. Non. Je voudrais ce qu'il faut pour écrire ; j'ai à rédiger un mémoire. AMANDA, au tube. Je n'y puis rien ; je suis votre femme, prisonnière comme vous. LA VOIX DE SPENGLER. Ah !... Et êtes-vous bien où vous êtes ? AMANDA, au tube. Non ; et vous ? LA VOIX DE SPENGLER. Oui, très bien. AMANDA, au tube. Tant mieux ! LA VOIX DE SPENGLER. Mon geôlier m'a laissé seul, et je voudrais jeter sur le papier quelques réflexions de statistique. AMANDA, redescendant. J'ai épousé mon mari dans des circonstances particulières ; je ne le connaissais pas. Un jour que j'étais arrêtée devant un des nombreux Tibère du musée du Louvre, un monsieur m'aborda : « Mademoiselle, me dit-il, vous aimez donc beau coup les antiques ? - Mon Dieu, monsieur. - Oui, oui, vous les aimez, je vois ça ; voulez-vous m'épouser ? Je suis riche. » Mes parents ont consenti. LA VOIX DE SPENGLER. Ma femme ! Avez-vous découvert quelque documents curieux ? AMANDA, criant. Oui, un brigand très extraordinaire. LA VOIX DE SPENGLER. Bon ! Étudiez-le avec soin. AMANDA. Cette aventure ne nous serait pas arrivée, si mon mari ne s'était occupé que de sa mission ; mais il a tenu à visiter les plaines de Marathon, et voilà où cela nous a conduits.Voyons, où suis-je et que va-t-il m'arriver ? Drôle d'instaation ; je peux bien, sans forfaire aux lois de l'honneur, voir un peu ce qu'il y a chez un voleur. Elle ouvre le secrétaire.Peut-être des documents précieux pour mon mari. Ah ! voici des papiers. Un diplôme de bachelier ès-sciences de la faculté d'Aix. Bah ! Un passeport, un contrat de mariage... Il est bien en règle, ce brigand. Elle remet tous ces papiers dans le secrétaire, ouvre un autre tiroir et en retire une lettre.Et ceci ? Ah ! Une lettre timbrée de Téhéran, c'est peut-être curieux. Lisons. Bon ! Voilà mon homme qui rentre. Elle referme le secrétaire et cache la lettre dans sa poche. Ouf ! Il était temps. SCÈNE V. Amanda, Stanislas. STANISLAS, à part. Cette fois, j'ai terminé toutes mes petites affaires. Haut.Mille pardons, madame, de vous avoir fait attendre. Vous avez dû vous ennuyer ferme, en mon absence? AMANDA. Nullement, monsieur STANISLAS. Vous m'étonnez. - Donnez-vous donc la peine de vous asseoir. AMANDA, s'asseyant. Je veux bien. STANISLAS. Vous êtes Française sans doute ? AMANDA. Où voyez-vous ça ? STANISLAS, modestement. - Je suis si physionomiste !... AMANDA. En effet, monsieur ; mon mari est Américain, mais je suis, moi, de Paris-Batignolles, où vit encore mon vieux père, artiste distingué du théâtre Taitbout. STANISLAS. Quelle chance ! Moi qui ai toujours eu le plus vif désir de devenir le gendre d'un artiste ! Et votre mari, disiez-vous, était Américain ? AMANDA, se levant. Comment ! Était ? Vous l'avez donc assassiné ? STANISLAS. Oh ! Madame, pour qui me prenez-vous ? AMANDA. À la bonne heure ! STANISLAS. Ce n'est que dans deux heures, si sa rançon n'est pas arrivée. AMANDA. Eh bien ?... STANISLAS. Eh bien, parbleu ! Que vous serez veuve. AMANDA. Mais, monsieur, c'est infâme ! STANISLAS. Tiens ! C'est ainsi que vous me remerciez ?... Donnez-vous donc la peine de vous asseoir de nouveau. - Et qu'est-ce qu'il fait, votre mari ? AMANDA, s'asseyant. Il écrit dans les journaux. STANISLAS, riant. Il n'est pas riche, alors ? AMANDA. Mais si, il a de quoi. STANISLAS. C'est étonnant ! Vous regardez mon appartement, madame ?... Je vous prierai en ce cas d'excuser le disparate de mon mobilier ; vous n'ignorez pas qu'il faut du temps pour faire une bonne maison, surtout lorsque, comme moi, l'on méprise souverainement l'ameublement moderne. Il n'y a plus de goût, de nos jours. Ajoutez que je n'ai pas, comme vous autres Parisiens, la ressource d'aller à l'hôtel Drouot et que je suis forcé d'attendre les occasions. Telle qu'elle est cependant, cette installation vous conviendra. - De ce côté, vous avez la cuisine et la salle à manger ; de l'autre, les cabinets de toilette et de travail, le tout creusé dans le roc, frais en été et chaud en hiver. Vous vous plairez ici ; Madame, je me connais. AMANDA. Monsieur, ce langage, auquel je ne suis point habituée, votre façon d'agir, vos manières, - qui ne sont même pas celles des brigands de roman, tout cela me déroute, je vous l'avoue. ? Si je ne m'abuse, et par le peu que je sais des hommes, vous attendez de moi... ? STANISLAS. Mon Dieu, Madame, j'ai peu de goût pour les marivaudages. Tel que vous me voyez, je suis un homme de l'écoledu bon sens, tout d'une pièce et parlant net. AMANDA. Alors ?... STANISLAS. Alors vous habiterez cette caverne jusqu'à ma fortune faite ; c'est une affaire de deux ans, tout au plus. Après quoi, nous nous retirerons en bons rentiers dans mon château historique qui est à trois pas d'ici, je céderai le commandement à mon premier lieutenant et je régulariserai votre position. J'ai l'air artiste, mais je suis bourgeois au fond. AMANDA. En un mot, vous me retenez prisonnière ? STANISLAS. Bien qu'un peu crue, Madame, cette expression est celle de la vérité. AMANDA. Et je devrai vous servir ? STANISLAS. Oh ! Que non ! Oh ! Que non !... On vous servira, au contraire, et très-bien, je vous l'assure... Seulement, je suis veuf et il me faut une femme. AMANDA. C'est indispensable ? STANISLAS, se levant. Oh ! Oui !... De plus, je dois être endormi avant minuit, comme tous les jours. ? Je vous confierai plus tard les motifs de cette manière bizarre... Quelle qu'elle soit, d'ailleurs,vous n'avez pas par conséquent beaucoup de temps à consacrer aux préliminaires de notre traité de paix ; mais vous pouvez vous rendre sans fausse honte je déclare d'ors et déjà votre honneur à couvert. J'en témoignerai, s'il le faut. AMANDA, se jetant. Eh quoi ! Monsieur le brigand, sans même me faire la cour, sans chercher à me plaire, vous oseriez espérer qu'une femme ?... Ah ! Monsieur, il faut nous connaitre bien peu pour nous juger avec une telle désinvolture. STANISLAS. C'est ce qui vous trompe, Madame ; je connais toutes les pudeurs féminines et je les apprécie. Voyons, sérieusement, voulez-vous que je vous fasse ma cour ? Y tenez-vous vraiment beaucoup ? AMANDA. Mais sans doute. STANISLAS. Alors, Madame, asseyons-nous une troisième fois; je commence. Ils s'asseoient.Je vais donc vous faire la cour ! AMANDA. Voyons un peu. STANISLAS. D'abord, moi, Madame, je vous adorerai. AMANDA. Bon, cela ! STANISLAS. Et je n'exigerai en retour que votre amour et votre fidélité. AMANDA. Vos prétentions ne sont point excessives. STANISLAS. N'est-ce pas ?... Mais, par exemple, si vous me trompiez, je vous punirais comme j'ai puni la première madame Belamandopoutos. AMANDA. Ah ! Racontez-moi donc ça ? STANISLAS. Bien volontiers. Je l'aimais beaucoup, car elle était belle et très bien apparentée ; tous ses parents avaient eté pendus ; elle se nommait Périeline Zampa et m'avait apporté une dot présentable. AMANDA. Zampa ! Une descendante de l'illustre ?... STANISLAS. Sa cousine au vingtième degré seulement ; mais enfin elle était de bonne famille. AMANDA. Je ne pourrai malheureusementpas vous en offrir autant, Monsieur. STANISLAS. Oh ! Ne vous tourmentez pas à cet égard ; ma position est maintenant à peu près faite et je puis me payer le luxe d'un mariage d'inclination et même, à la rigueur, d'une mésalliance. - Donc, Périeline me trompa, et avec qui, je vous le demande ? Avec l'un de mes sergents-fourriers. C'eût été avec un homme du dehors, je ne lui en aurais peut-être pas voulu ; mais avec un Klephte subalterne, était-ce tolérable ? N'y avait-il pas là une question de discipline et de hiérarchie ? D'ailleurs, brigand pour brigand, le chef est toujours préférable. Est-ce votre avis ? AMANDA. Pour me prononcer, Monsieur, il me faudrait au moins connaître ce sergent-fourrier. STANISLAS. Je ne peux malheureusement pas vous le présenter, car il s'est enfui en Belgique avec ma caisse ; mais, très sincèrement, il était moins bien que moi ; un petit maigriot, un véritable aztèque... J'avais dû le mettre aux écritures. AMANDA. Et votre femme ? STANISLAS. Péricline ? - Ah ! Madame, je suis de la nouvelle école française je n'admets pas l'infidélité, chez la femme, du moins, - et j'ai tué la mienne. AMANDA. Vous me disiez tout à l'heure que c'était au marché d'Athènes... STANISLAS. Justement. Après avoir vainement poursuivi l'amant, je dis à Périctine : Vas-tu demain au marché ? - Oui, me répondit-elle. - Eh bien, achète-moi un melon de Thessalie ; c'est une envie, j'en veux un à mon dîner de demain mais surtout tâche de ne pas le payer, car il n'y a pas de petites économies. - Sois tranquille, » fit Périctine. Là-dessus, j'écrivis au commissaire de police que la femme Belamandopoulos, née Zampa, complice de tous les crimes de son mari, (nous étions mariés sous le régime de la communauté ) - se trouverait le lendemain, samedi, au marché du Parthénon et qu'on la reconnaîtrait à un melon volé. En effet, on la pinça et, deux jours après, on la pendit ! - Et maintenant, Madame, que je vous ai fait ma cour, dépêchons, je vous prie. Il se lève. AMANDA. Je vais bien vous étonner, Monsieur, mais je ne suis pas du tout convaincue ; vous avez une manière de faire la cour... STANISLAS. C'est la bonne. STANISLAS. Je suis un Desgenais ; est-ce que, par hasard, je ne vous plairais pas physiquement ? AMANDA. Eh bien, non ! Je ne ressens pas le coup de foudre, foi d'Amanda Spengler. STANISLAS, bondissant. Eh quoi ! Madame, vous vous appelez Amanda ? AMANDA. Oui, monsieur. STANISLAS. Alors, vous devez comprendre que je veuille à tout prix réussir. Il fredonne l'Amant d'Amanda.Vous le comprenez, n'est-ce pas ? AMANDA. Pas encore, et si vous n'avez pas de meilleures raisons à faire valoir. STANISLAS. Parlons franc, Madame ; vous me trouvez trop abrupt, trop montagnard. Vous préféreriez peut-être un civilisé, un gommeux ? AMANDA. Je ne dis pas non. STANISLAS. C'est bien je vous ai laissé votre montre, quelle heure est-il ? AMANDA. Dix heures et demie. STANISLAS. Il faut qu'avant minuit je sois endormi ; mais j'ai de l'usage et du tact, et nous avons le temps ; je vous donne encore un quart d'heure pour réfléchir. J'espère qu'en un quart d'heure vous aurez apprécié les avantages et l'honnêteté de mes propositions et que votre décision sera prise. À part.Respectons l'amour-propre des femmes. Haut.Adieu, Amanda. On entend le sifflet du tube acoustique. Tiens, qu'est-ce que c'est que ça ? LA VOIX DE SPENGLER. Ma femme ! STANISLAS. Votre mari ?... Ah ! C'est curieux ; une conspiration pour s'évader, sans doute !... Allant au tube.Que veux-tu ? AMANDA. Prenez garde ! Je ne le tutoie pas. STANISLAS. Tant mieux, ça le flattera. LA VOIX DE SPENGLER. Avez-vous découvert des documents ? STANISLAS, répondant. Non, mon ami. LA VOIX DE SPENGLER. Vous ennuyez-vous là-bas ? STANISLAS, répondant. Oui, beaucoup. À part.Nous allons voir ce qu'il veut. LA VOIX DE SPENGLER. Voulez-vous que je vous récite le premier chant de l'Illiade ? Ça vous fera passer le temps. STANISLAS, répondant. Merci, vous êtes trop bon ; je vais dormir. STANISLAS, répondant. C'est dommage. STANISLAS. Allons, ce n'est pas dangereux : mais je vais pourtant le faire surveiller. - Au revoir, Amanda ! Dans un quart d'heure, vous savez... Il sort en chantonnant de nouveau le refrain de l'Amant d'Amanda. SCÈNE VI. AMANDA, seule. Ah ! Mais il me semble qu'il va un peu vite en besogne, ce beau Klephte !... Quant à moi, mon rôle est tout tracé je dois me défendre jusqu'au bout. Comment faire ? Me barricader ici ?... Ce serait bon si c'était possible ; mais cette caverne doit être toute pleine de chausse-trappes, de judas, de portes secrètes. Le mieux est encore de laisser espérer.... pour plus tard. Il n'y a pas d'exemple qu'une femme qui dit non... Or, je dirai certainement non, du moins jusqu'à ce qu'il y ait une réponse catégorique au sujet de la rançon de mon mari. Il est malheureusement clair que si elle n'arrive pas, et s'il me faut passer ma vie entière en tête-à-tête avec ce beau Klephte qui a si envie de dormir. Mais on enverra la rançon, je l'espère ; je l'espère surtout pour mon mari, car il n'aura pas, lui, la ressource suprême qui m'est offerte... Voyons, il ne s'agit pas de penser au lendemain conjurons d'abord les périls de cette nuit ; je vais m'installer là, sur cette chaise, et il sera bien malin si... Retirant un papier de sa poche.Qu'est-Ce que c'est que ça ? Ah ! La lettre persane. Elle s'asseoit. « Téhéran, l'an 1251 de l'hégire et le 4 février. Mon cher enfant... »Ah ! C'est en vers et ça se chante. RONDEAU Air de la Foire Saint-Laurent.Je reçois ta lettre et suis très heureux De ta confiance en moi persistante ; J'ai, sans lanterner, consulté les cieux Et je te réponds séance tenante. - Tu dis que depuis quatre cent quatre ans, Sans distinction d'âge ni de sexe, À minuit précis meurent tous tes parents. Ce qui sur toi mêm' te rend très perplexe ! Par bonheur pour toi, dans le firmament J'ai su déchiffrer certaine ordonnance Qui, si tu la suis scrupuleusement, Pourra prolonger ta chère existence C'est que tous les jours, mon beau Stanislas, Tu dormes avant que minuit ne sonne. Le remède est dur, très-dur, mais hélas ! Peut-on regimber quand le ciel ordonne ?... De ton vieil ami, suis donc le conseil, Rentre bien avant l'heure accoutumée Et n'laisse jamais troubler ton sommeil Par la douce voix d'une femme aimée !... Le danger est là ; penses-y, mon bon, Si tu veux sauver ton corps et ton âme ; Contrairement donc au fameux dicton, Prends cette devise « Éviter la femme ! » Cela dit, fais-moi parvenir au moins Quinze bourses d'or, sinon davantage, Pour mon ordonnance et pour mes bons soins, Et crois-moi toujours ton cher petit mage. Et c'est signé « MIRZA-KHAN dit GUSTAVE, astrologue assermenté près le tribunal de commerce ». Et en marge, de la main de mon bandit sans doute : « Quinze bourses ! N'en faut pas ; avec quinze francs, tu seras rien fier ! » - Quel style, grand Dieu ! Pour un fils de Thémistocle ! Et quel genre ! Elle se lève. Ah ! Mais tout ça est bon à savoir ; maintenant, je suis armée et le monstre n'a qu'à bien se tenir. Comment faire pour qu'il soit encore éveillé à minuit ?... Mon Dieu, il y aurait peut-être un moyen... Mais non, non ! Pas celui-là ! Ah ! Une idée ; je vais avancer ma montre il est dix heures cinquante, mettons-la à minuit moins cinq ; s'il est superstitieux, nous verrons bien. Bon, c'est fait, et maintenant attendons-le. Elle s'asseoit et feint de dormir. SCÈNE VII. Amanda, Stanislas. STANISLAS, habit noir, gilet en coeur ; gardenia à la boutonnière. AMANDA, se levant. Qui va là ? Qui êtes-vous ? STANISLAS, rayonnant. C'est moi, Stanislas Belamandopoulos. Il fait jouer le cri-cri. AMANDA. Bah ! C'est vous ? STANISLAS. Vous me trouviez trop abrupt, trop grossier ; j'ai voulu vous prouver que l'élégance et le bon goût n'ont pas encore disparu de l'Attique, leur pays natal. À part.Ce n'est pas mal rédigé, je crois. Amanda rit aux éclats.Qu'avez-vous donc ? AMANDA, riant toujours. Oh ! Ce brigand ! STANISLAS. Mais je ne suis pas brigand toute l'année, Madame ; j'habite Paris et Londres pendant huit mois, je ne viens faire ici que la saison. AMANDA. Oh ! Non, c'est trop amusant! STANISLAS. Vous n'aviez encore vu que le Spartiate, j'ai tenu à vous montrer l'Athénien. AMANDA. Alcibiade, alors ? STANISLAS. Alcibiade, vous l'avez dit. Mais, je vous en prie, dépêchons et surtout soyons précis ; une plus longue résistance serait oiseuse, vous pouvez vous rendre. Il dépose son chapeau et sa montre sur la table.Vous m'avez déjà vu sous deux de mes aspects. Ne marivaudons plus. AMANDA, à part. Comment arrêter sa montre ?... Ah ! Elle est là... Stanislas entre dans le cabinet de droite ; Amanda prend la montre.C'est un remontoir, rien de plus facile ; il marque onze heures, je le mets à minuit. Stanistas rentre en pantoufles. STANISLAS. Me voilà en pantoufles. AMANDA. Eh quoi ! Vous allez vraiment...? STANISLAS. Parbleu ! Puisqu'il faut qu'à minuit je sois complétement endormi. AMANDA. Et vous ne craignez pas que pendant votre sommeil je ne délivre la Grèce de votre redoutable personne ? Si je faisais comme cette Judith qui trancha la tête d'Holopherne !... STANISLAS, ôtant son habit. Oh ! Je suis tranquille, extrêmement tranquille ; quand je m'endormirai, vous m'aurez pardonné. Eh bien ! que faites-vous ? AMANDA, s'asseyant sur la chaise et s'enveloppant dans son châle. Vous le voyez, Monsieur ; bonne nuit. STANISLAS. Comment ? Mais pas du tout ! Ce n'est pas ainsi.... Cependant, voyons, je veux être bon et causer encore une fois bien amicalement. Il s'asseoit auprès d'Amanda.Faut-il que j'aie recours à la force ? AMANDA. Oh ! Monsieur, sous ce costume d'homme du monde ! STANISLAS, se levant. Je vais le remettre. Il remet son habit.Vous oseriez vous conduire comme un homme de mauvaise compagnie ?... Habit noir oblige, monsieur. STANISLAS. À quoi ? AMANDA. Mais à plaire, à attendre. STANISLAS. Je ne vous plais donc pas ? AMANDA. Pas du tout ! STANISLAS. Pourquoi ça ? Il me semble pourtant, Marquise, que la nature s'est montrée à mon égard d'une largesse, d'une prodigalité. AMANDA, se levant et avec éclat. Tiens, veux-tu que je t'avoue tout, ô Klephte ? À part.Ma foi, aux grands maux. STANISLAS, transporté. [Note : ABOUT, Edmond (1828-1885) : Ecrivain français prolifique. Il écrivit aussi bien des romans que des pièces de théâtre.]Par Edmond About ! Elle m'a tutoyé ! AMANDA. [Note : Fez : Calotte de laine rouge et blanche, à l'usage des hommes et des femmes, que l'on fabrique à Fez, capitale du Maroc, et dont il se fait en Turquie un commerce considérable. [L]]Eh bien ! Par ce même Edmond ! Je te préférais sous ton beau vêtement de Klephte ! Ah ! Que je te revoie encore avec ton fez rouge et son gland d'azur, ta veste de toréador, ta jupe de brasseur de bière, ton poignard turc, ton fusil kabyle et tes guêtres de chasseur suisse ! Oh ! Les guêtres surtout... Les guêtres !! STANISLAS, paterne. [Note : Paterne : Qui appartient à un père (ne se dit que dans le langage familier ou en badinant). [L]]Mais, Amanda, puisqu'il est l'heure de les ôter. AMANDA. Ah ! Je t'en conjure à deux genoux, mon beau tourbillon, mon infatigable guerrier ! STANISLAS, ému. Tu le veux ? Mon Dieu, je ne demande pas mieux que de te contenter... Je ne tiens pas plus que toi à cette livrée de la décadence égalitaire. Déshabillez l'homme des salons, le libre enfant de la montagne reparait ! Mais c'est un peu long et en aurai-je le temps ? Quelle heure est-il ? AMANDA. Minuit cinq. STANISLAS, bondissant. Malédiction ça n'est pas vrai AMANDA. Si, regarde... Mais qu'importe l'heure, Stanislas ? STANISLAS, regardant la montre d'Amanda. [Note : Patraque : Machine usée, sans valeur, ou qui va mal. Cette montre n'est qu'une patraque. [L]]En effet, minuit cinq ; mais votre montre ne va pas, c'est une affreuse patraque ! Je vous en donnerai une autre. Prenant sa montre.Minuit quatre à la mienne ! Oh ! Je suis ruiné, deshonoré, mort !... Mais j'ai donc perdu la raison et jusqu'à la notion du temps ?... Ah ! Détestable sirène, tu vas payer chèrement cette mauvaise farce ! AMANDA. Eh ! La ! La ! Quelle fureur ! STANISLAS, s'arrêtant. Mais je suis frappé d'une idée subite... AMANDA. Dis, oh ! Dis ?... C'est si bon une mort... Non, une idée subite !... STANISLAS, rêveur. Puisque je vais mourir, ai-je le droit de commettre un crime ? AMANDA. Non. STANISLAS. C'est mon avis, je n'en ai pas le droit. Laissez-moi me recueillir un instant. Il se recueille. AMANDA. Ne pourrait-on pas savoir ?... STANISLAS. Taisez-vous, pas un mot de plus ; laissez-moi faire comme si vous n'étiez pas là. Voyons, mon fils, ne perdons pas de temps. À l'heure de la mort, il est sage de se repentir et de réparer les maux qu'on a causés ; c'est difficile, car je n'ai pas sous la main tous ces récalcitrants dont la rançon est arrivée trop tard ; mais à l'impossible je ne suis pas plus tenu que les autres. Occupons-nous donc des affaires courantes. À Amanda. Madame, je vous rends votre liberté. Quant à votre mari, s'il est encore vivant, je vais vous le rendre aussi. Il va au tube acoustique et donne des ordres. Lâchez le savant captif ! À Amanda.Vous m'entendez bien, Madame : je vous rends votre liberté et votre mari ! C'est une ironie ; au collège de Marseille, on aurait appelé ça un contre-sens et on m'aurait privé de sortie. Vous serez plus indulgente que l'Université, vous, Madame, car vous devez être bonne. Oh ! Dites-moi que vous êtes bonne et que vous me pardonnez ?... Je ne vous ai rien fait de trop pénible, bien que mes intentions aient été un peu... C'est entendu, n'est-ce pas ? Je vais vous signer un bon sauf-conduit pour vous deux. Il écrit.Vous remettrez aussi à mon lieutenant cet ordre de licenciement de tous les Klephtes ; puis, vous ferez parvenir ma soumission au gouvernement. Il n'y aura plus désormais de brigands sur le sol hellénique ; ils se feraient tous pincer, je les connais : les fortes têtes s'en vont, j'étais la dernière ! Il donne ces trois papiers à Amanda.Voici, madame. Et maintenant, partez ; je vais faire mon testament et recommander mon âme à Saint-Stanislas. Il va être bien étonné, Saint-Stanislas. Allons, adieu, Madame, gardez un bon souvenir de moi et priez quelquefois pour votre bon Belaman. Spengler entre. SCÈNE VIII. Stanislas, Spengler, Amanda. SPENGLER, entrant. Comment ! Votre bon bel amant ?... STANISLAS. Belamandopoulos, Monsieur. Ah ! Je ne pense plus aux femmes, allez ! AMANDA, allant à son mari. Yoland ! SPENGLER. Ma femme ! Seule avec ce bandit ? STANISLAS. Je vais vous dire ; j'ai enlevé votre femme pour la préserserver du contact de mes hommes, qui sont des bêtes fauves : je vous la rends pure. SPENGLER. Bien vrai ? STANISLAS. Je vais mourir, Monsieur, je ne saurais mentir. AMANDA. C'est la vérité, Yoland ; monsieur est un gentilhomme. STANISLAS. Oh ! Madame, que de bontés ! AMANDA. Oui, Monsieur, vous êtes un loyal chevalier. STANISLAS. Oh ! Madame, pour un simple sauf-conduit que je vous donne avec joie, je ne mérite vraiment pas... SPENGLER, avec admiration. Quels hommes que ces Klephtes ! À Amanda.Si tu savais comme ils m'ont bien traité ! Quelques coups de crosses de fusils, c'est vrai ; mais, à part ça, quels égards, quelle hospitalité, quelle langue ! La langue de Salamine et des Thermopyles !.. « Ouk élabon, podas ôkus Achilleus. » Belle citation, hein ? STANISLAS. Oui, et surtout en situation. SPENGLER. Ainsi, Monsieur, je suis libre avant l'arrivée de ma rançon ? STANISLAS. Oui. On va même vous rendre votre argent. SPENGLER. On rend l'argent ?... STANISLAS. Toujours, - quand on a cessé de plaire. SPENGLER. Quels hommes que ces Klephtes ! STANISLAS. Seulement, fuyez vite. Je n'ai plus le temps de bavarder. Celui qui va mourir vous salue. À propos, monsieur, vous êtes journaliste ? SPENGLER. Directeur de L'Evening Morning. STANISLAS. Bigre! Vous paraissez matin et soir ? À Amanda.? Mes compliments, Madame. J'ai toujours beaucoup aimé les journalistes, monsieur ; ils nous sont si utiles, nous prévenant toujours à l'avance des dangers que nous courons et rendant compte de nos dernières moments. J'espère, Monsieur, que vous voudrez bien attester que je me suis éteint avec grâce et dans les meilleurs sentiments d'honnêteté ? SPENGLER. Comptez sur moi ; mais quelle idée baroque vous avez de mourir subitement ? STANISLAS. C'est une idée héréditaire, mais trop longue à raconter. Adieu. Fausse sortie. AMANDA, redescendant. Eh bien, non, Monsieur, je ne puis pas partir ainsi ! STANISLAS. Je le regrette autant que vous, Madame, mais monsieur votre mari est là... et jamais devant lui je n'oserais... SPENGLER. Quels hommes que ces Klephtes ! AMANDA. Monsieur Belamandopoulos, êtes-vous un homme d'honneur et me promettez-vous, quoi qu'il advienne, de ne pas revenir sur votre bon mouvement ? STANISLAS. Foi de bandit, je vous le jure ! AMANDA. Eh bien, Stanislas, du courage ! Relevez votre belle et noble tête, vous ne mourrez point ! STANISLAS. Ô ciel, que dites-vous ? AMANDA. Je connaissais la prophétie qui vous concerne et j'ai avancé les aiguilles de nos deux montres ; il n'est pas minuit. SPENGLER, à part. Pas minuit !... Que veut-elle dire ? AMANDA. Il est onze heures cinquante. SPENGLER, regardant sa montre. En effet onze heures cinquante ; regardez vous-même. STANISLAS. C'est vrai. Ah ! Ils vous ont rendu votre montre ? Tant mieux Bravo ! Mais puisque je ne vais pas mourir, rendez-moi le sauf-conduit, je me rétracte. AMANDA. Oh ! Stanislas ! Et votre parole ? SPENGLER. Oh ! Belamandopoulos ! Et la foi jurée ? AMANDA. D'ailleurs, si vous voulez un bon conseil, couchez-vous vite; vous n'avez que dix minutes pour vous endormir. STANISLAS. Diable ! Je n'y pensais plus ; je vous remercie. Partez donc. À Spengler.Mais, à une condition. SPENGLER. Dites. STANISLAS. C'est que vous me conserverez votre estime ? SPENGLER. Je le crois bien. - Quels hommes que ces Klephtes ! - Allons, couchez-vous. STANISLAS, soupirant. Adieu, Madame ! SPENGLER, impatienté. Ah ! Trop de paroles, à la fin !... Aidez-moi, Amanda, puisqu'il faut employer la force. Spengler et Amanda entraîne Stanislas sur le lit.Pardonnez-nous cet acte de violence, mais il s'agit de votre vie ! AMANDA, à Spengler. Là, à droite, sa robe de chambre. Spengler sort par la droite. STANISLAS, se soulevant. Madame, rendez-moi mon décret de licenciement ? AMANDA. Jamais ! SPENGLER, rentrant. Voilà la robe de chambre ; l'ancienne chlamyde ! C'est bien toujours la même coupe.... Quel pays ! AMANDA, à Spengler. Son bonnet de nuit, vite, vite ! Spengler sort de nouveau. STANISLAS. Rendez-moi, au moins, ma soumission au gouvernement?. AMANDA. Rien du tout ! SPENGLER, rentrant, une pantoufle à le main. Victoire ! Triomphe ! Eurêka !... Enfoncés les partisans de Cléopâtre ! STANISLAS. Qu'avez-vous donc ? Ce n'est pas là mon bonnet de nuit. SPENGLER, radieux. Parbleu ! Je le sais bien, c'est la deuxième pantoufle de la Belle Hélène, je la reconnais ! Quelle chance inespérée ! Nous avons la paire !... STANISLAS. Mais pas du tout ; c'est la pantoufle de ma femme, de Péricline. SPENGLER, hébété. Non ! STANISLAS. Elle a perdu l'autre, il y a un an, dans un souterrain d'Athènes où nous nous étions réfugiés. SPENGLER, à part. C'est bien là qu'on l'a retrouvée. AMANDA. Allons, monsieur Spengler, partons. SPENGLER, à part. Ça m'est égal, je soutiendrai mon dire... D'ailleurs, ce brigand peut bien se tromper. Haut.Oui, partons. À Stanislas.Venez-vous quelquefois à Paris, Stanislas ?... STANISLAS. Les jours de premières, seulement. SPENGLER. Votre couvert sera toujours mis chez nous. Adieu. À part.J'emporte la pantoufle. STANISLAS, se soulevant. Un mot, Madame. AMANDA, s'approchant. Parlez. STANISLAS, à voix basse. Je vous écrirai tous les dimanches, poste restante; passez-y sans faute. Il retombe sur son oreiller. Spengler et Amanda le regardent s'endormir. - Minuit sonne. SPENGLER. Minuit !... AMANDA. Il est sauvé ! Partons, monsieur. SPENGLER. Quels hommes que ces Klephtes ! AMANDA, pénétrée. Ah oui, quels hommes ! Ils sortent. ==================================================