******************************************************** DC.Title = LES DEUX DUMAS. DC.Author = MONSELET, Charles DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 01/02/2021 à 07:00:10. DC.Coverage = Pays mythologique DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/MONSELET_DEUXDUMAS.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k208359n DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LES DEUX DUMAS 1859. Traduction et reproduction réservés. M. CHARLES MONSELET PARIS, POULET MALASSIS ET DE BROISE, LIBRAIRES ÉDITEURS, 9 rue des Beaux-Arts PERSONNAGE. DUMAS PÈRE. DOMINGO. UN GAMIN. LE CRITIQUE. DUMAS FILS. DES PASSANTS. Texte extrait de l'ouvrage LES TRÉTEAUX de Charles Monselet avec un frontispice dessiné et gravé par Bracquemond, pp. 111-124. [Le découpage des scènes est propre à notre édition] LES DEUX DUMAS « Le critique c'est celui qui, au lieu de vous montrer l'homme bien assis dans son fauteuil, bien enveloppé dans son manteau, bien boutonné dans son habit, lui tire son fauteuil, lui arrache son manteau, lui met bas son habit, qui l'examine d'abord tel que la nature l'a fait, lui met la main sur le coeur, le doigt sur le crâne, et dit : « Voilà la part du tempérament, voilà la part de l'éducation, voilà la part de l'art. » (Alexandre Dumas père. ? Premier numéro du Mousquetaire, 12 novembre 1853.) I. Le théâtre représente un cabinet très richement et très artistiquement meublé. Une table recouverte d'un tapis ; tout ce qu'il faut pour écrire. Portes à droite, et à gauche pour les collaborateurs ; porte au fond pour le public. À la glace, une carte de visite : celle de madame Bader. ? Au lever du rideau, un homme ou plutôt un géant, Alexandre Dumas père, en petite veste, écrit sans s'arrêter. La sueur dégoutte de son front. Et pourquoi se donne-t-il tant de mal, bon Dieu ? Pour rédiger des tranquillités à peu près conçues dans le goût suivant. DUMAS PÈRE, seul. « Chers lecteurs, Vous rappelez-vous où nous en sommes restés de notre dernière causerie ? Si vous ne vous le rappelez pas, je vous le dirai, moi. Si vous vous le rappelez, je vous le dirai encore. Car j'ai une mémoire prodigieuse, moi. Tenez, je vais vous en donner un exemple. Vous connaissez Leuven, ? Adolphe de Leuven, un rare et excellent coeur, en même temps qu'un rare et excellent esprit. Leuven est mon ami depuis vingt-cinq ans. Vous savez que j'ai cinquante mille connaissances, mais que je n'ai que cinquante amis. Encore est-ce beaucoup ! Eh bien ! Leuven est à la tête des cinquante. Une supposition, chers lecteurs. Supposons, si vous voulez, que j'aie besoin de cent mille francs. Une bagatelle ! Supposons qu'il me les faille immédiatement, non pour moi, bien entendu, mais pour quelques-unes de ces bonnes actions dont vous m'aidez si fréquemment à porter le fardeau, chers lecteurs. Comment me les procurerai-je ? C'est bien facile et bien simple, allez. Regardez-moi seulement. Je fais un signe à Leuven, ? tenez, comme cela, ? et je dis : Pssst ! Rien de plus, rien de moins. Au bout de cinq minutes, s'il est à Paris ; au bout d'une heure, s'il est à Versailles ; au bout de quatre heures, s'il est à Orléans ; au bout de quinze heures, s'il est à Lyon ; au bout de trente heures, s'il est à Marseille, Leuven arrive et m'apporte les cent mille francs demandés. À moins cependant qu'il ne m'en apporte deux cent mille. Ce qui est fort probable. N'est-ce pas Leuven ? » Après cent lignes de cette force, Alexandre Dumas père ôte sa cravate ; après deux cents lignes, il ôte ses bottes. Quand l'article est fini, il n'a plus rien à ôter. Alors il sonne son domestique. - Domingo parait. II. ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Domingo ! DOMINGO. Monsieur ? ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Tu vas me faire une commission. DOMINGO. Laquelle, Monsieur ? ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Très bien. Tu commences à avoir une idée du dialogue. Pour peu que tu continues, je te mettrai aux scènes d'hôtellerie et en suite aux duels. Tu feras mes provocations. DOMINGO. Ah ! Monsieur, que de gratitude ! ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Que de gratitude est vaudeville. Un Moi, monsieur ? eût été préférable. Songe que tu n'es qu'un serviteur, et ne crains pas de blanchir tes répliques. DOMINGO. Oui, Monsieur. ALEXANDRE DUMAS PÈRE. À la bonne heure. Lui désignant la table.Tu vois ces papiers. DOMINGO. Ces papiers ? ALEXANDRE DUMAS PÈRE. C'est de la copie pour mon journal. Tu vas la prendre. DOMINGO. Voilà. ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Ensuite... DOMINGO. Ensuite ? ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Tu la porteras... DOMINGO. Où ? ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Bravo ! Chez l'imprimeur. DOMINGO. Monsieur Dubuisson ? ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Et compagnie. DOMINGO. Rue... ALEXANDRE DUMAS PÈRE, vivement. Coq... DOMINGO, de même. [Note : Le rue du Coq-Héron se trouve au centre de Paris (1er arr.) qui va de la rue de la Coquilière à la rue du Louvre.]Héron... ALEXANDRE DUMAS PÈRE, plus vivement encore. N°... DOMINGO, de même. 5. ALEXANDRE DUMAS PÈRE, piqué au vif. ...! La scène reste vide fendant quelques instants. Alexandre Dumas père, n'aimant pas les monologues parce qu'ils prennent un temps considérable sans faire avancer l'action, est allé se rhabiller dans une chambre à côté. Il reparait, avec un grand gilet blanc ; et il sort en faisant : Broum ! broum ! - Le théâtre change et représente les boulevards. III. ALEXANDRE DUMAS PÈRE, à droite et à gauche. [Note : Alfred Émilien O'Hara van Nieuwerkerke (1811-1892), d'origine hollandaise, sculpteur mais surtout fonctionnaire du second Empire en tant de surintendant des Musée Impériaux..]Bonjour, cher, bonjour... Je suis pressé... Tiens ! Bénédict Masson ! Mon cher enfant, j'ai parlé de vous l'autre jour à Niewerkerke... Allez le voir... Adieu ! À un autre.Baisez pour moi les belles mains de Madame Porcher, n'est-ce pas ? UN GAMIN, s'approchant. La charité, mon bon monsieur. ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Hein ? LE GAMIN. La charité, s'il vous plaît. ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Tu me demandes la charité ? LE GAMIN. Oui, monsieur. ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Tu sais donc qui je suis ? LE GAMIN, étonné. Non, m'sieu. ALEXANDRE DUMAS PÈRE, très haut. Prends ce louis ; tu diras que c'est Alexandre Dumas qui te l'a donné. LE GAMIN. Oui, m'sieu. Le gamin s'éloigne, en criant : Vive Monsieur de Lamartine ! ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Chez moi, l'homme de lettres n'est que la préface de l'homme généreux ! Personne ne se retourne. Un peu contrarié, Monsieur Alexandre Dumas père continue son chemin. Il se trouve face à face avec un critique de sa connaissance. Le fécond romancier fronce légèrement le sourcil, car il n'aime pas les critiques. IV. LE CRITIQUE. Monsieur Dumas, je vous salue. ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Comment dites-vous cela, très-cher ? Répétez, je vous prie. LE CRITIQUE. Je dis : Monsieur Dumas, je... ALEXANDRE DUMAS PÈRE, avec amertume. Monsieur Dumas ! J'avais bien entendu. Allez, vous êtes un ingrat, comme les autres. LE CRITIQUE. Un ingrat ? ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Voilà trente ans que je travaille pour que vous ne m'appeliez pas monsieur. LE CRITIQUE, souriant. Eh bien ? Mon cher Dumas, pardonnez-moi. Désormais vous pouvez compter sur ma familiarité. Comment se fait-il qu'on vous rencontre aujourd'hui, vous l'homme le plus enfermé de France ? ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Je vais mettre en scène à la Gaîté un drame que j'ai écrit en quatre-vingt-six heures trente-huit minutes. LE CRITIQUE. Diable ! On dit que vous avez donné une chose charmante à Montigny. ALEXANDRE DUMAS PÈRE. L'Invitation à la Valse ? LE CRITIQUE. [Note : Il s'agit du théâtre du Gymnase et du Théâtre du Vaudeville.]Je ne sais pas. Je ne vais plus au Gymnase, je vais au Vaudeville. ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Merci. LE CRITIQUE. À propos de cette pièce... ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Eh bien ? LE CRITIQUE. J'avais hâte de vous voir pour vous dire combien je suis affligé... ALEXANDRE DUMAS PÈRE. De quoi ? LE CRITIQUE. Vous savez... de cet odieux article qui a paru ce matin contre vous. ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Bah ! Ce n'est que cela ? Un article ! LE CRITIQUE. Atroce... Abominable... Pas mal fait cependant... ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Eh bien ! Très cher, cessez de vous affliger. J'ai pour principe, encore plus que pour habitude, de ne lire aucun journal. Par conséquent, je n'ai pas lu l'article dont vous parlez, et maintenant surtout que me voilà averti, soyez certain que je ne le lirai pas. LE PERFIDE CRITIQUE. On va un peu loin... ALEXANDRE DUMAS PÈRE, lui frappant en riant sur l'épaule. Avouez une chose, très cher. LE CRITIQUE. Quelle chose ? ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Avouez que vous avez le numéro du journal dans votre poche. L'AFFREUX CRITIQUE. Oh ! Par hasard ! ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Par hasard, bien entendu. C'est toujours par hasard. Mais convenez d'une autre chose, très cher... LE CRITIQUE. Une autre chose ? ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Convenez que vous veniez chez moi tout exprès pour me le communiquer. L'INFÂME CRITIQUE. Dans votre intérêt ! ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Cela se comprend. Aussi, très cher, je mets mon coeur dans ma main, et je vous dis : Merci. Maintenant, gardez votre journal. LE CRITIQUE. À votre place, je ferais un procès. ALEXANDRE DUMAS PÈRE. [Note : Gustave Planche (1808-1857), célèbre critique littéraire de la Revue des Deux Mondes. Il avait une aversion pour les Romantiques, sauf Vigny et Sand.]Un procès à Planche ? LE PÂLE CRITIQUE. L'article n'est pas de Planche. ALEXANDRE DUMAS PÈRE. [Note : Jules Janin (1804-1874), académicien, critique au Journal des Débats et écrivain prolifique. Il était surnommé le Prince des Critiques.]Bah ! Il est donc de Janin ? LE CRITIQUE. Pas davantage. ALEXANDRE DUMAS PÈRE. [Note : Charles-Augustin Sainte-Beuve (1804-1869), écrivain et critique. Son oeuvre la plus célèbre est Les Causeries du Lundi.]De Sainte-Beuve, alors ? LE CRITIQUE ENVIEUX. Non. ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Dans ce cas, très cher, qu'est-ce que vous venez me chanter ? S'il n'est ni de Planche, ni de Janin, ni de Sainte-Beuve, il n'est de personne. LE CRITIQUE. C'est un jeune homme très... ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Il n'y a pas de jeunes gens ! LE CRITIQUE, révolté. [Note : Philibert Audebrand (1815-1906), romancier historique prolifique, journaliste et critique.]Ah ! Il y a Philibert Audebrand. ALEXANDRE DUMAS PÈRE, radouci. C'est vrai. Mais l'article n'est pas de lui ? LE CRITIQUE. Oh ! Non, non, non. ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Vous voyez bien que cela n'a rien qui m'intéresse. La critique, quelque chose qu'elle puisse dire de moi, n'empêchera pas que je n'aie fait Antony, Angèle, Richard d'Arlington, Teresa, Mademoiselle de Belle-Isle, Catherine Howard, je ne sais plus combien de succès encore. LE CRITIQUE, livide. Mais vos collaborateurs... ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Mes collaborateurs ? LE CRITIQUE. Oui. ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Qu'est-ce que cela prouve ? J'ai eu des collaborateurs comme Napoléon a eu des généraux. LE CRITIQUE, abasourdi. Ah ! Ses bras tombent. ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Un conseil, très cher. Si vous tenez absolument à avoir le placement de votre journal, faites une chose. Venez chez moi ce soir. Nous serons plusieurs, des confrères, des amis. Vous ne pouvez pas vous dispenser d'être là. Apportez l'article de ce monsieur, de votre jeune homme. De mon côté, je ferai venir un punch. Vous comprenez, n'est-il pas vrai ? Ceci allumera cela, comme dit Hugo, dans sa Notre-Dame de Paris. LE CRITIQUE. Je crains qu'il ne me soit pas possible de... ALEXANDRE DUMAS PÈRE, l'interrompant. Faisons mieux encore. Amenez le jeune homme, aussi. Il doit m'exécrer, me considérer comme un exploiteur et comme un vampire. Oh ! Je sais l'opinion de la critique sur mon compte ; mais je n'ai, comme Hercule, qu'à la soulever de terre pour l'étouffer. Eh bien ! Très cher, je vous propose une gageure. Nous allons mettre chacun de notre côté un nombre égal de napoléons, ou de doubles napoléons, comme vous voudrez et autant que vous voudrez. Si, avant la fin de la soirée et du punch votre jeune homme ne me saute pas au cou et ne se proclame pas mon meilleur ami, - mon meilleur ami, vous entendez bien, - les napoléons qui seront à mon côté passeront au vôtre. Et dans le cas contraire... ALEXANDRE DUMAS FILS, entrant dans la conversation comme un physicien dans un cercle formé sur la voie publique. À qui le valet de carreau ? ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Toi ! ALEXANDRE DUMAS FILS. Bonjour, père. ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Bonjour. LE CRITIQUE, profitant de cette rencontre pour sortir d'un pas difficile. Adieu, mon cher Dumas. ALEXANDRE DUMAS PÈRE. C'est convenu, hein ? À ce soir, très cher ! Le critique ne répond pas, et s'esquive. Alexandre Dumas père rit comme une grosse caisse. ALEXANDRE DUMAS FILS. Comment vas-tu ? ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Comment je vais ? Je rajeunis. ALEXANDRE DUMAS FILS. Peste ! L'année prochaine tu seras donc revenu à l'état embryonnaire. ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Veux-tu connaître mon secret ? ALEXANDRE DUMAS FILS. Dame ! ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Travaille comme moi. ALEXANDRE DUMAS FILS. Comme toi ou autant que toi ? ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Une épigramme ? ALEXANDRE DUMAS FILS. C'est pour ne pas perdre la main. Ils marchent. ALEXANDRE DUMAS PÈRE. As-tu lu mon roman des Compagnons de Jéhu ? ALEXANDRE DUMAS FILS. Non, papa ; et toi ? ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Ah ! Piron d'enfant ! C'est égal, franchement, là, tu as tort. ALEXANDRE DUMAS FILS. Pourquoi ai-je-tort ? ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Parce que c'est très réussi. Figure-toi huit volumes de deux cent cinquante mille lettres chacun, soit deux millions de lettres pour la totalité. Mets quarante lettres à la ligne, cela fait six mille deux cent cinquante lignes par volume, et cinquante mille pour le tout. À vingt lignes la page, nous avons trois cent douze pages le volume, ce qui, pour les huit volumes, donne deux mille quatre-vingt-seize pages. Qu'en dis-tu ? ALEXANDRE DUMAS FILS. Ah ! Ce doit être un bel ouvrage. ALEXANDRE DUMAS PÈRE. N'est-ce pas ? ALEXANDRE DUMAS FILS. Seulement, à ce compte, le serpent de mer est un bel ouvrage aussi. ALEXANDRE DUMAS PÈRE, riant. Oui, mais il n'est pas signé. Le prenant par le bras.Et toi, qu'est-ce que tu fais ? On n'entend plus parler de toi. ALEXANDRE DUMAS FILS. Tu es bien exigeant en matière de bruit. J'ai pourtant fait un mot hier. ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Un mot ? ALEXANDRE DUMAS FILS. Oui. ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Prête-le moi ; j'en ferai un roman. ALEXANDRE DUMAS FILS. Laisse donc ! Je n'aurais à mon tour qu'à te demander tes romans pour en faire des mots. ALEXANDRE DUMAS PÈRE, sévèrement. Alexandre ! ALEXANDRE DUMAS FILS. Papa ? ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Tu as trop d'esprit. ALEXANDRE DUMAS FILS. Il faut bien avoir quelque chose. Tu ne m'as laissé que cela à prendre. ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Serpent ! ALEXANDRE DUMAS FILS. Voyons, ne tourne pas au Géronte. Est-ce que je t'empêche, moi, de blaguer ma question d'argent ? ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Mais, cher enfant, Alexandre bien-aimé, voilà où la raison t'abandonne complètement. La Question d'argent, c'est ce que tu as écrit de mieux. ALEXANDRE DUMAS FILS. Merci. Je la connais celle-là. On l'a assez faite à Augier pour le Mariage d'Olympe. ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Je te jure... ALEXANDRE DUMAS FILS. Fi ! Papa, ne donne donc pas dans ces rengaines. ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Cependant... ALEXANDRE DUMAS FILS. [Note : Xavier de Montépin (1823-1902), romancier, il écrivit plus de 90 romans.]Cesse, ou je te demande des nouvelles de Xavier de Montépin ! ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Il suffit. Je me tais. Chemin faisant, il salue et distribue des poignées de main. ALEXANDRE DUMAS FILS. Quelles diables de connaissances as-tu là ? ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Comment, quelles diables de connaissances ? Ce sont des artistes, des braves gens. ALEXANDRE DUMAS FILS. Ah ! Oui, de ceux qui t'appellent : Cher maître. Il rit. ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Que veux-tu ? Ils m'adorent. ALEXANDRE DUMAS FILS. Tu crois cela ? ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Ils me l'écrivent. ALEXANDRE DUMAS FILS. Pour que tu l'imprimes. Ah çà, papa, où as-tu appris la vie ? ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Je me suis bien gardé de l'apprendre. Où aurais-je pris le temps d'écrire ? D'ailleurs, sait-on jamais la vie ? ALEXANDRE DUMAS FILS. Un paradoxe ! Renvoyé à Gozlan. ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Qu'est-ce que tu as donc découvert de si important dans la vie, toi ? De quoi se compose ton expérience ! Au fond de tous tes ouvrages, qu'y a-t-il ? Un coupé, un cabinet chez Vachette et une crinoline ; ou une crinoline, un cabinet chez Vachette et un coupé ; ou un cabinet chez Vachette, un coupé et une crinoline. Tourne et retourne tes romans tant que tu voudras, eu voilà l'élément principal. Le reste est fait avec un peu de passion, beaucoup de cigares et des phrases d'atelier. Tu appelles cela être moderne. J'y consens. Mais veux-tu que je te dise, ma pensée tout entière ? Eh bien ! J'ai toujours, malgré moi, des in quiétudes pour ma santé, quand je sors d'un de tes livres ou d'une de tes pièces. ALEXANDRE DUMAS FILS. Des grrrandes dames ! De bien grrrandes dames ! ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Ah ! Tu me rappelles le bon temps. Il n'y avait alors que deux hommes en France : Hugo et moi. Encore Hugo n'a-t-il jamais su charpenter un drame. ALEXANDRE DUMAS FILS. Pauvre Hugo ! ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Tu crois que je plaisante ? ALEXANDRE DUMAS FILS. Non pas ! ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Alors, tu crois que j'y mets de l'amour-propre ? ALEXANDRE DUMAS FILS. Oh ! ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Si, tu le crois. Eh bien ! Quand cela serait ? ALEXANDRE DUMAS FILS. Au fait ! ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Quand j'aurais de la vanité, de l'orgueil même ? Qu'importe, si c'est là une des conditions de mon talent ! Tu me connais, toi, je suis comme les ballons : je ne m'élève que tout autant que je suis gonflé. ALEXANDRE DUMAS FILS. À qui en as-tu, cher père ? Tu vas ameuter les passants. ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Tant mieux; c'est ce que je désire. Ils me reconnaîtront, je leur chanterai : Mourir pour la patrie ! Un refrain avec lequel j'ai fait une révolution. Tu n'as pas fait une révolution, toi ? ALEXANDRE DUMAS FILS. Pas encore. Mais tais-toi, papa. Sais-tu à qui tu ressembles en ce moment? ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Non. ALEXANDRE DUMAS FILS. Au Jupiter tonnant. Montons plutôt en voiture, et viens avec moi. ALEXANDRE DUMAS PÈRE. Où cela ? ALEXANDRE DUMAS FILS. Monte toujours. Je te le dirai en route. ALEXANDRE DUMAS PÈRE, montant en voiture. C'est égal Alexandre, lis les Compagnons de Jéhu. Des passants narquois entendent les derniers mots. PREMIER PASSANT narquois. J'ai eu... bien du mal... DEUXIÈME PASSANT narquois. D'enfant... tassin... TROISIÈME PASSANT narquois. Quactes et douze tableaux. Un troisième Dumas [Adolphe] traverse la chaussée. Il reconnaît dans la voiture le père et le fils, et, désirant faire route en leur compagnie, il dit au cocher d'arrêter. Mais le cocher lui répond qu'il n'y a de place que pour deux. Adolphe Dumas soupire et reste sur le pavé. Tableau. ==================================================