******************************************************** DC.Title = LE PLAISIR, COMÉDIE DC.Author = Abbé MARCHADIER DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 08/05/2020 à 12:57:08. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/MARCHADIER_PLAISIR.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LE PLAISIR COMÉDIE M. DCC. XLIX. Par M. L'ABBÉ MARCHADIER. À PARIS, Chez CAILLEAU Libraire, rue Saint-JAcques, au dessus de la rue des MAthurins, à Saint-André. Représentée pour la première fois sur le Théâtre Français le 3 août 1747. PERSONNAGES LE PLAISIR. L'ESPÉRANCE. UNE ENFANT. UN FRANÇAIS. UNE ANGLAISE. UNE ITALIENNE. La scène se passe sur le Théâtre de la Comédie Française. SCÈNE PREMIÈRE. L'ESPÉRANCE. Il est un Dieu, qu'on adore à tout âge,Qu'on chérit à la Ville, et qu'on fête à la Cour :Il est plus vif, plus piquant que l'Amour ;Le Plaisir est son nom : le Bonheur son ouvrage.Tout l'Univers est son séjour. Dans cette salle-ci, quelquefois il folâtre ;Il doit même en ce jour y paraître un moment :Plus d'un adorateur viendra sur ce théâtrePour implorer ce Dieu charmant :Mais sachez le connaître : on s'y trompe aisément ; Il est un Plaisir faux, nommé par l'Imposture,Qui prend du vrai Plaisir et l'air et la figure,Cachant un noir poison sous d'aimables dehors ;Enfant de la licence et père des remords :Le vrai plaisir, le seul, Messieurs, qui peut vous plaire, Le seul aussi qu'on attend dans ces lieux,Jamais à la Pudeur n'a fait baisser les yeux ;C'est ce Plaisir décent que la Sagesse éclaire ;Ce Plaisir de l'esprit que produit le talent,Ou ce Plaisir du coeur, qui naît du sentiment. Partout où je parais j'annonce sa présence,Et je marche toujours très longtemps avant lui :Je trompe quelquefois, car je suis l'Espérance,Je souhaite, Messieurs, être vraie aujourd'hui...Mais, déjà dans ces lieux il aurait dû se rendre, Ce fripon de Plaisir se fait toujours attendre !Le Spectateur lui-même à chaque instantEst obligé d'essuyer ses caprices ;Tandis qu'au Théâtre on l'attend,Il s'arrête dans les coulisses. Mais, je le vois..... SCÈNE II. L'Espérance, Le Plaisir. LE PLAISIR, éclatant de rire. Ah ! ah ! ah je ris de bon coeur ! L'ESPÉRANCE. Peut-on savoir de quoi ? LE PLAISIR. Je m'en vais t'en instruire.Pour me rendre en ces lieux.... Ah ! ah... L'ESPÉRANCE. Eh bien, Seigneur ? LE PLAISIR. Oh ! Donne moi du moins le temps de rire.... L'ESPÉRANCE. Vous, qui sur ce Théâtre êtes un Dieu pleureur ?... LE PLAISIR. Pleureur ! L'ESPÉRANCE. Tous les jours. LE PLAISIR. Fi ! Le larmoyant m'assomme.Pleureur ! ce n'est pas moi, ce n'est que mon fantôme ;Et le Plaisir doit être un Dieu de bonne humeur. L'ESPÉRANCE. Vous l'êtes aujourd'hui. LE PLAISIR. La cause en est burlesque.Comme l'on court après un enfant tel que moi ! Que les hommes sont fous ! Par leur foule, ma foi,Je viens d'être en chemin assiégé, bloqué presque :Parmi les importuns qui retardent mes pas,J'en vois de tous les rangs, et de tous les états ;J'y vois la Prude austère et le Marquis, folâtre, J'y vois de graves Magistrats,Des Héroïnes de Théâtre,Des Coiffes, des Plumets, et jusqu'à des Rabats. L'ESPÉRANCE. Vous voici par bonheur tiré de l'embarras ;Et vous venez enfin dégager ma parole. LE PLAISIR. Votre parole ! Êtes-vous folle ? L'ESPÉRANCE. Assez souvent. LE PLAISIR. Parlez, qu'auriez-vous donc promis ? L'ESPÉRANCE. Votre présence. LE PLAISIR. Mais tant pis.Voilà qui suffit seul pour gâter un ouvrage.En croyant me servir au fond vous m'avez nui : Quand on ne m'attend point, je plais bien davantage.Le Plaisir annoncé n'est souvent que l'ennui. L'ESPÉRANCE. Ne le soyez pas aujourd'hui.Ce mot pourrait bien être un malheureux présage. LE PLAISIR. L'Espérance tremble ! L'ESPÉRANCE. Mais, oui : Le plus hardi craint dans un jour de guerre.Adieu, pour rassurer le jeune auteur tremblant,Je m'en vais avec lui m'enfermer un moment ;Pour vous, charmant Plaisir, descendez au Parterre ;Vous y serez bien reçu sûrement SCÈNE III. Le Plaisir, Une Enfant. LE PLAISIR. Quelle enfant porte ici sa démarche incertaine ?L'instinct auprès de moi semble guider ses pas.La vieillesse me cherche et ne me trouve pas ;L'enfance me trouve sans peine.Approchez-vous, ma belle enfant, Quoi, vous m'abordez en tremblant ?Je suis donc bien terrible ! L'ENFANT. Eh ! mais, je le soupçonne ;Et vous me paraissez un fripon dangereux. LE PLAISIR. Vous-même, vous serez dans un Printems ou deux,Une forte aimable friponne. L'ENFANT. Vous me trouvez donc bien ? LE PLAISIR. Comment, bien ! à ravir ! L'ENFANT. Mais, qui donc êtes vous, je brûle de l'apprendre ! LE PLAISIR. Je suis un Dieu, qu'on ne peut définir.L'esprit ne saurait me comprendre ;Et c'est au coeur à me sentir. L'ENFANT. Ah ! je vous sens ! vous êtes le Plaisir. LE PLAISIR. De la raison encor elle ignore l'usage ;Elle connaît déjà le sentiment !Ah ! le Plaisir est de tout âge,Et le coeur n'est jamais Enfant. L'ENFANT. Je vous avoue ingénument,Que je vous cherchais. LE PLAISIR. Moi ! L'ENFANT. Vous même.Le Plaisir est le Dieu d'une fille à talent :Vous m'aimerez un jour autant que je vous aime. LE PLAISIR. Ah ! Datez d'aujourd'hui pour mon affection. L'ENFANT. Ce n'est là qu'un à compte au moins.... LE PLAISIR. Elle m'enchante ! L'ENFANT. J'ai quelques droits sur vous par ma profession. LE PLAISIR. Quel est donc votre état ? L'ENFANT. D'Actrice débutante.Dans peu de temps, au Théâtre Français,Je prétends me voir applaudie. [Note : Inès de castro est une tragédie de Antoine Houdard de La Motte (1732), il y a deux rôles d'enfants.]J'y jouais autrefois les enfants, dans Inès,Dans Médée, et dans Athalie.Mais je suis appelée à de plus hauts succès ;Je veux au premier jour entrer dans la carrière :J'ai déjà plusieurs bons amis, Qui me prônent d'avance, et qui m'ont bien promis[Note : Claquer : applaudir.]De me claquer de la bonne manière. LE PLAISIR. Vous ne vous pouviez mieux adresser qu'au Plaisir.Les deux premiers devoirs d'un art comme le vôtre,Sont, l'un, de m'inspirer, l'autre, de me sentir. L'ENFANT. Répondez-moi de l'un ; je vous réponds de l'autre. SCÈNE IV. Le Plaisir, Un Français. LE FRANÇAIS vivement. Pour le coup le voici : je n'en saurais douter ;Je le sens au transport qu'en mon âme il fait naître :Le Plaisir seul peut l'exciter.Ah ! Dieu charmant, mon idole, mon maître ! Souffrez qu'à vos genoux je vienne me jeter. LE PLAISIR. Quel étourdi ! Quel petit maître !Qui vous a dit mon nom ? LE FRANÇAIS. En vous voyant paraître ;Pouvais-je un moment hésiter ?Mon coeur n'a pu vous méconnaître ; Et l'instinct seul vous a nommé. LE PLAISIR. Le mien ne m'a rien dit, ou s'est mal exprimé ;J'ignore gui vous pouvez être. LE FRANÇAIS. Votre plus zélé Sectateur,Un Français : à ce trouble extrême Qui s'est, à votre abord, emparé de mon coeur,À cette impétueuse ardeur,Vous deviez me nommer vous-même ;Le François seul sait vous sentir. LE PLAISIR. Il sent avec transport l'approche du Plaisir ; Mais ce grand feu bientôt n'est plus qu'une étincelle ;Un instant le voit naître et le voit s'assoupir.Et le Français, malgré son ardeur naturelle ;Trop prompt à s'allumer, plus prompt à s'amortir,Est fait pour désirer, et non pas pour jouir. LE FRANÇAIS. Votre pinceau n'est pas fidèle ;Nous peindre ainsi, c'est.... LE PLAISIR. C'est vous définir ;Et vous êtes tous faits, Messieurs, sur ce modèle. LE FRANÇAIS. Oh ! Vous nous jugez tous avec trop de rigueur.Vous devez pour ce peuple avoir plus d'indulgence ; Vous le devez pour votre honneur, Entre ce peuple et vous, il n'est qu'une nuance :Sur le rapport de goûts, de sentiments, d'humeur,On pourrait y fonder un peu de ressemblance. LE PLAISIR. Monsieur, le parallèle est galant et flatteur. LE FRANÇAIS. Ami de l'enjouement, père du badinage,Malin, ainsi que vous, sans fiel et sans noirceur,Le Français, toujours vrai, jamais dur, ni sauvage,Critique sans envie, et raille sans aigreur :Comme vous gai, brillant, aimable ; mais volage ; Mais inconstant, léger, et même un peu trompeur,Malgré tous ses défauts, il est toujours vainqueur.Séduire est son talent ; et plaire est son partage :Et du Dieu qu'adore son coeur,Il est une vivante image. LE PLAISIR. Permettez que j'ajoute un seul trait seulementPour achever le parallèle.Tant qu'il est vu de loin, le Plaisir est charmant :Mais sa beauté trop peu réelle,Dès qu'on le voit de près, s'éclipse promptement ; Et ce Dieu, qui ravit dans le premier instant,Dès le second déjà ne bat plus que d'une aile ;Au troisième il devient d'une fadeur mortelle ;Le Français du Plaisir est le portrait vivantMais du Plaisir du troisième moment. LE FRANÇAIS. Ah ! C'est à bout portant ! l'épigramme est cruelle !Convenez du moins, Dieu fripon,Que les François vous connaissent à fond ;Que du Plaisir notre France est l'école :Et qu'il n'est point de nation, De Paris à Goa, de l'un à l'autre pôle,Qui rende un culte si profond,A votre Déité frivole.Sans cesse les Jeux et les Ris,Et le folâtre essain des Amours et des Graces, Vous promene en triomphe au milieu de Paris ;On n'y peut faire un pas sans rencontrer vos traces :L'hôtel du Financier, le Palais du Seigneur,Les spectacles, les bals, nos jardins magnifiques,Sont autant de temples magiques, Par la main du Plaisir, consacrés au bonheur.Ou plutôt tout Paris n'est qu'un seul Temple immenseOù vous dispensez vos faveurs :Une foule d'adorateursDes bouts de l'Univers y vient en affluence. LE PLAISIR. Vous outrez, pour le coup ; vous chargez la peinture :C'est Paris dans son beau ! LE FRANÇAIS. Dans son vrai je vous jure. LE PLAISIR. Quoique Monsieur dise aujourd'hui,Ce beau Temple est souvent le Temple de l'Ennui. LE FRANÇAIS. Il l'est toujours en votre absence. Pour en faire à jamais le Temple du Plaisir,Soyez moins inconstant, et venez établirPour toujours à Paris votre aimable présence. LE PLAISIR. Mais rien n'est mieux conçu que ce petit plan-là ;Voilà tout le dessein d'un nouvel Opéra : Vous-même jugez-en : je vous en fais l'arbitre.Le Temple du Plaisir : Voilà d'abord le titre :Et ce Temple-là, c'est Paris,Où je viens pour jamais établir mon empire.L'approche du plaisir en chasse les ennuis : Il danse.Il entre précédé des Amours et des Ris ; Après quelque entrechat, leur troupe se retire ;Moi-même avec eux je m'enfuis. Il s'enfuit. LE FRANÇAIS, l'arrêtant. Ah ! LE PLAISIR. Le Français m'arrête, il se trouble, il soupire...Le Plaisir le rassure avec un doux sourire.... LE FRANÇAIS, l'embrassant. Ah ! Le Français sent tout le prix... LE PLAISIR. Que faites vous ? LE FRANÇAIS. C'est un jeu de théâtre ;À l'Opéra, surtout, il doit être permis ;Le nôtre, j'en suis sûr, sera des plus jolis ;Répétons-en ici quelque scène folâtre. LE PLAISIR. Si les François et moi sommes les seuls acteurs,Tous les autres peuples du monde,Que vont-ils devenir ? LE FRANÇAIS. Ils seront.... Spectateurs.C'est encor beaucoup. LE PLAISIR. Oui, la grâce est sans seconde. SCÈNE V. Le Plaisir, Un Français, Une Anglaise. L'ANGLAISE. Toutes les Anglaises, Monsieur, Vous rendent par ma voix grâce d'un tel honneur. LE PLAISIR. Vous avez trop d'appas pour être spectatrice ! LE FRANÇAIS. Vous n'êtes point comprise dans l'arrêt ;Le Plaisir vous excepte : et c'est son intérêt,Car vous pouvez, je crois, faire une aimable actrice ; Voulez-vous avec moi répéter.... L'ANGLAISE. Avec vous ! LE FRANÇAIS. Oui : nous jouerons ensemble une scène charmante.Pour la rendre encor plus piquante,Permettez au Plaisir d'être en tiers avec nous. L'ANGLAISE au François. Il y serait de trop : Au Plaisir.Du sein de l'Angleterre, Pour vous chercher j'arrive exprès :Ah ! Laissez à l'ennui le reste de la terre,Et venez vous fixer.... LE FRANÇAIS. Chez Messieurs les Anglais ! L'ANGLAISE. Vous riez ? LE FRANÇAIS. Oui, je ris d'une folle entreprise.Nous enlever ce Dieu ! L'avez-vous espéré ? Ah ! Le Plaisir a toujours préféréL'aimable Seine à l'altière Tamise. L'ANGLAISE au Plaisir. PouRriez-vous balancer entre Londres et Paris ?Les Grecs et les Romains furent vos favoris.Nous avons droit à la même tendresse ; Dans l'enceinte de nos remparts,Nous avons réunis l'Italie et la Grèce ;Et Londres ainsi que vous connaît tous les beaux Arts. LE FRANÇAIS. Nous pouvons disputer ce titre à la Tamise.Le François des beaux Arts est le restaurateur ; En lui le talent trouve un père, un protecteur,Qui l'aime, l'applaudit, le loue... L'ANGLAISE. Et le méprise.Ce protecteur, ce père des talents,Hait, déchire, flétrit l'auteur des vers qu'il aime :Il accueillit, caresse, embrasse les enfants ; Et poignarde le père même.Moins durs, moins injustes que vous,Nous savons estimer tout ce qui sait nous plaire ;En aimant les enfants nous révérons le père ;Tout, dès qu'il est Plaisir, devient sacré pour nous. Un grand Prince, une actrice aimable,Le peintre et le héros, sont sur le même autel :Nous ne connaissons point le préjugé cruel,Qui flétrit un art estimable.Un Anglais peut avoir des talents sans rougir ; Il peut les afficher sans crainte et sans scrupule ;Amuser le Public, veiller à son plaisir,C'est une gloire à Londres, en France un ridicule. LE PLAISIR. Le Français il est vrai veut trop être charmant,Il s'en pique trop, même à table : L'Angloise réfléchie comme un homme savant,Et le Français agit comme une femme aimable. LE FRANÇAIS. Mais vous commencez un tableau,Et vous restez au milieu de l'ouvrage ?Je m'en vais le finir : je prends votre pinceau. D'une femme aimable, oui le Français est l'image ;Mais je soutiens que c'est pour les seuls agréments,Et point du tout pour le frivole ;Et jusqu'aux riens enchanteurs d'un sexe son idole,Il fait associer les solides talents. Oui, quoique vous disiez, rien n'est plus véritable :Ce Français si léger, si vain dans ses désirs,À son tour, quand il faut, sait être raisonnable ;Il ne se borne pas à savoir être aimable,Il sait penser : l'étude occupe ses loisirs : Tous les goûts, tous les arts sont pour lui des plaisirs :Si son coeur sait sentir avec délicatesse,Son esprit sait lever le bandeau de l'erreur :Et si le solide bonheur,Si la véritable sagesse, Consiste à savoir réunirAu grand art de penser, l'art heureux de jouir,Comme on l'a cru dans tous les âges,Nous sommes les heureux, nous sommes les vrais sages. LE PLAISIR. Hom ! le portrait n'est pas ressemblant tout-à-fait ; Vous avez su d'un vernis infidèleVoiler adroitement les défauts de l'objet :Mais faut-il pour si peu vous faire une querelle ?Lorsque l'on fait soi-même son portrait,Il doit être permis d'embellir le modèle. L'ANGLAISE. Fut-il ressemblant trait pour trait,Il ne fixerait point sur vous la préférence :Nos talents.... LE FRANÇAIS. Près de lui, ne seront rien, je pense ?Madame, le burin, l'équerre, le compas,Vis-à-vis du Plaisir, qui ne les connaît pas, Ne doivent point fournir un grain dans la balance.Moi, je ne plaide point à titre de savant ;Voici mes droits : à Londres, on pense fortement ;On sent avec transport en France :Et le Plaisir n'est point un Dieu qui pense, Il est le Dieu du sentiment. L'ANGLAISE. Quand on sait le sentir, on aime à le connaître :Le Français dédaignant même ce qui lui plaît,Et goûtant le plaisir, ignore ce qu'il est,Ce qui l'éteint, ou ce qui le fait naître. LE FRANÇAIS. L'Anglaise le raisonne, au lieu de le sentir ;Et la réflexion égorge le Plaisir. LE PLAISIR. Mais quel objet vois-je paraître ?Quels accords ? Quel gosier brillant ! SCÈNE VI. Le Plaisir, Le Français, L'Anglaise, une Italienne. Elle entre et s'approche du Plaisir en fredonnant quelques mots Italiens. LE FRANÇAIS, au Plaisir. Ah ! C'est vous aborder gaiement ! LE PLAISIR, à l'Italienne. Qui vous conduit, Madame, en ces lieux ? L'ITALIENNE. La Folie.Je viens pour vous chercher du fond de l'Italie LE PLAISIR. Par tout où vous serez, vous devez me trouver. L'ITALIENNE. De tous vos amateurs je suis la plus zélée,Seigneur, et pour vous le prouver, Par un projet nouveau je me suis signalée :J'ai consacré ma voix et mes talents,À vous faire des partisans ;J'enseigne du Plaisir, la science charmante :J'apprends à vous aimer, j'apprends à vous sentir : Les airs que je compose, et les vers que je chante,Sont tous des leçons de plaisir. LE FRANÇAIS. [Note : Presse : Multitude de personnes qui se pressent. [L]]Ah ! Vous devez Madame, avoir beaucoup de presse !Moi je brûle déjà d'être votre écolier ;Et je serais ravi qu'une telle maîtresse, [Note : Solfier : Déchiffrer ou lire une leçon, un morceau de musique, en prononçant les noms des notes. [L]]Daignât m'apprendre à solfier. L'ITALIENNE. Mon art n'est pas, Monsieur, si facile qu'on pense :Le plaisir que je chante est soumis aux égards ;Dans ses plus folâtres écarts,En badinant il sait se retenir Il respecte la bienséance :Auprès des Grâces qu'il attire ;Il les fait quelquefois sourire ;Sans les faire jamais rougir. LE FRANÇAIS. Madame vous rendez le plaisir respectable ! L'ANGLAISE. C'est le rendre encore plus aimable. L'ITALIENNE, chante. Volez de toute parts, accourez à mes sons ;Je suis en même temps, je suis décente et folle :C'est l'aimable gaieté qui dicte mes leçons ;Et la sagesse apprend à rire à mon école. LE FRANÇAIS. Vous êtes faites en tout pour donner des leçons,Mais le plaisir n'est point un talent qui s'apprenne. LE PLAISIR. Pour me sentir, et m'inspirer sans peine,Savoir plaire : voilà tout ce qu'il faut savoir, LE FRANÇAIS. Ou plutôt le grand Art de n'en point avoir. L'ITALIENNE. Il est pourtant, il est un art très nécessairePour arriver au Plaisir sûrement ; C'est la science du moment,L'art de choisir une heure, un instant salutaire ;Dans l'Univers tout dépend de l'instant ; À la guerre, en amour, c'est l'instant qui décide ;Mais cet instant heureux s'enfuit d'un vol rapide ;Qui le laisse échapper le revoit rarement. Elle chante.Le ruisseau qui serpente, et le torrent qui roule,L'impétueux Borée et l'inconstant Zéphir Sont moins légers encor que le Plaisir :Il va prendre l'essor ; l'heure fuit, le temps coule :Profitez du moment où l'on peut le saisir. LE PLAISIR. Ah ! Leur coeur mieux que vous sait les en avertir ! L'ITALIENNE. Un autre grand secret, mais que je ne révèle Qu'à mes disciples favoris,C'est l'art de réveiller les plaisirs assoupis ;De leur donner une pointe nouvelle.Fuyez, amants, fuyez le bonheur apparentD'une trop facile conquête, Le Plaisir, s'il n'a point d'obstacle qui l'arrête,S'endort sans volupté, s'éteint sans sentiment ;Accablez-le de fers, donnez lui des entraves :Les Plaisirs les plus vifs, sont les Plaisirs esclaves. LE FRANÇAIS. Ce ne sont pas les miens : vive la Volupté, Que suit toujours la douce liberté. L'ITALIENNE. Écoutez, tous les trois : voici la quintessence,Le sublime de l'art, la fleur de la science. Elle chante.Le Papillon léger voltige au même instantDes buissons aux jardins, des jardins sur la treille : L'Abeille quitte une rose vermeille,Pour caresser un lys naissant :Suivez leur exemple en aimant ;Volez en papillon, effleurez en abeille. LE FRANÇAIS. Pour ce précepte-là, je le suis à merveille ! LE PLAISIR, à l'Italienne. Allez, enseignez l'art de me bien effleurer ;En chantant le Plaisir, vous savez l'inspirer. L'ITALIENNE. Du Plaisir, j'ai donc le suffrage ! LE PLAISIR. Je l'accorde aux talents. L'ITALIENNE. C'est leur plus doux partage !Mais, si dans mes projets vous daignez m'approuver, C'est en m'accompagnant, qu'il faut me le prouver. LE FRANÇAIS. En vous accompagnant ! Où ? L'ITALIENNE. Mais dans ma patrie ;Vous plaidez pour la France, et moi pour l'Italie. L'ANGLAISE. À quel titre sur nous pensez-vous l'emporter ! L'ITALIENNE. Je vois en vous deux rivaux redoutables : Mais le Plaisir chérit les Arts aimables.Et quel autre art pourrait le disputerÀ l'art que je professe, à l'aimable harmonie ?C'est des talents, c'est le plus séducteur ;Le compas, le pinceau, l'Art de la poésie, Sont les Arts de l'esprit ; elle est celui du coeur. LE PLAISIR. On ne peut mieux louer un art que j'aime ! LE FRANÇAIS. Mais il est peint en beau ! LE PLAISIR. Mais sans être flatté. L'ANGLAISE. Vous prenez sa défense avec vivacité ! LE PLAISIR. Je le dois : le louer, c'est m'exalter moi-même : L'Univers tient de moi ce trésor précieux :L'Art des accords, et tous les Arts peut-être,Sans moi seraient encor inconnus sous les Cieux.C'est le Plaisir qui les fît naître :Le premier qui chanta fût un amant heureux. Les oiseaux étonnés et ravis de l'entendreDe ses admirateurs, devinrent ses rivaux ;Leur bec s'ouvrît, et leur voix tendrePar des sons ignorés enchanta les échos :Par le succès devenus téméraires, Leur flexible gosier essaya des accords :Bâtit distinctement ses cadences légères...,Ils trouvèrent des sons pour peindre leurs transporteSur leurs ailes bientôt, la touchante harmonieVole aux deux bouts de l'univers ; Elle devient un art, on l'aime, on l'étudie ;Mais elle consacra ses airsÀ célébrer le Dieu dont elle reçut l'être,Et fille du Plaisir, elle le fît renaître. L'ITALIENNE. Vous devez donc me préférer ; L'Italie est son centre unique. L'ANGLAISE. Mais la même raison doit chez nous l'attirer ;Nous y chantons votre musique. L'ITALIENNE. Vous la défigurez par vos sons peu flatteurs :Étrangère partout ailleurs, On ne la reconnaît qu'au sein de sa patrie. LE FRANÇAIS. Mais la nôtre a des droits plus puissants sur les coeurs ! L'ITALIENNE. La vôtre ! Elle m'endort : en France on psalmodie :En Angleterre on siffle : on chante en Italie. LE FRANÇAIS. En France on psalmodie ! Ah ! Que dites-vous là ? Demain, Madame, allez à l'Opéra ;Vous entendrez quelle est nôtre harmonie :Depuis quinze ans, en France, un sublime génieLa porte jusqu'aux Cieux par ses puissants efforts :C'est le Dieu de son Art ; il est pour les accords, Ce que notre Corneille est pour la poésie :Il fait voir... L'ITALIENNE. Arrêtez, Monsieur :C'est une exception : en lui donnant la vie,La nature a fait une erreur ;Rome ou Milan dût être sa patrie, C'est un vol que la France à fait à l'Italie. LE FRANÇAIS. C'est trop laisser nos esprits en suspens :Entre nous trois, il faut que le Plaisir prononce. L'ITALIENNE. Pour mon triomphe, j'y consens. L'ANGLAISE. Moi, j'attends tout de sa réponse ; Le Plaisir va me suivre, et je vais l'emmenerEn Angleterre... LE FRANÇAIS. En France... L'ITALIENNE. En Italie... LE FRANÇAIS. Aimable Dieu, vous devez couronner.Le sentiment... L'ANGLAISE. La raison... L'ITALIENNE. La Folie... LE PLAISIR, à tous les trois. Je m'en vais prononcer... À l'Italienne. Madame, je vous suis À Rome... L'ITALIENNE. Eh bien ! L'Arrêt les pétrifie ! LE PLAISIR, à l'Anglaise. Vous à Londres... L'ITALIENNE. Comment ! Comment ! LE PLAISIR, au Français. Vous à Paris... L'ITALIENNE. Encore ! LE PLAISIR. La Plaisir est e tous les pays.Je suis un Enchanteur aimable : Je sais me transporter partour au même instant :Mais je me cache aux yeux sous un déguisement :Partout divers, et partout agréable :Selon les lieux, selon les temps, Tout est Plaisir, et tout est peine : Je suis en mille lieux, mille objets différents ;Ici, je suis l'Amour, et là je suis la haine....M'accommodant aux lieux, aux tems, au goût, aux moeurs,Nouveau Caméleon, quand je change de terre,Je sais me transformer, et changer de couleur, Je suis peut-être, en Angleterre,Sérieux, sombre, un peu trop refléchi :En France, moins pensé ; peut-être mieux senti :En Italie, un peu moins raisonnable,Plus gai, plus enjoué, peut-être plus aimable : Mais quelqu'habit enfin qui puisse me couvrir,Je suis par tout charmant, et toujours le Plaisir. On vend la Musique de la pièce séparément. DIVERTISSEMENT. LOCUTEUR DU DIVERTISSEMENT Une jeune et brillante Rose ; Est le symbole du Plaisir, La voir, et brûler de désir, C'est à l'instant la même chose. En vain, au tour de cette fleur, Règne une épine vengeresse ; L'Amour pour la Rose intéresse ; On ose tout pour s'en voir possesseur. Le plus riche présent de Flore, En naissant touche à son destin ; Du Plaisir voilà le destin, Souvent il dure moins encore ; La Rose plaît par l'incarnat, Et le Plaisir sait tout séduire, Mais un rien suffit pour détruire De leurs attraits le plus brillant éclat. Le frelon vole à l'aventure, Son dard ne distille que fiel, Et pour lui la Rose est sans miel, Quoiqu'elle soit sa nourriture : Tout plaît ou déplaît ; c'est selon : Le Plaisir se flatte de plaire, Voyant, Messieurs, qu'en ce Parterre, L'abeille en tout prévaut sur le frelon. VAUDEVILLE. LE PLAISIR. Le tragique ne peut me plaire, Y débuter ce n'est pas mon désir ; Début pour début, je préfère De débuter plutôt dans le Plaisir. A vos droits, si Thémis s'oppose, Il est un art, Plaideurs, pour la fléchir ; Faites solliciter la cause, Ou par Plutus, ou bien par le Plaisir. Cher Plaisir, que je vous embrasse ; On a dit bis, nous devons obéir : Messieurs, n'auriez-vous point de grâce, Encor quelque ordre à donner au Plaisir. Damis baisait la main d'Hortense ; Je vis Hortense et sourire et rougir, La rougeur fût pour la décence, Mais le sourire était pour le Plaisir. Vous qui décorez notre scène, Promettez-moi, Messieurs, de revenir ; Et moi, trois jours de la semaine, Je vous promets une heure de Plaisir. ==================================================