******************************************************** DC.Title = ATHÉNAÏS, TRAGI-COMÉDIE DC.Author = MAIRET, Jean DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Tragi-comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 08/05/2020 à 13:30:59. DC.Coverage = Grèce DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/MAIRET_ATHENAIS.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k71240f DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** ATHÉNAÏS TRAGI-COMÉDIE M. DC. XXXXII. Avec Privilège du Roi. DE MAIRET À PARIS, Chez JONAS DE BREQUIGNY, au Palais, en la salle Dauphine, à l'Envie.Achevé d'imprimer pour la première fois le 2 Mai 1642. Représenté pour la première fois en en 1639 à Paris. MONSEIGNEUR, Quand je vous offre cet outrage, ie ne prétends pas vous présenter rien de nouveau, de rare, ni de surprenant, puisqu'il y a plus de quatre ans que mon ATHÉNAÏS vous est connue, et que je me suis engagé solennellement à vous, de ne la mettre jamais au jour que sous les Auspices de votre Nom. Je m'acquitte donc aujourd'hui de cette promesse, que je vous fis en un temps et dans une condition où je ne prévoyais pas que vous fussiez un jour l'agréable sujet de ma servitude. Mais il est vrai que vous avez une rencontre et des manières d'accueillir les honnêtes gens, dont il est malaisé de se défendre. C'est par ces grâces du dehors qui plaisent généralement à tout le monde, que vous m'avez particulièrement attiré à l'honneur de votre service, et c'est par la connaissance de vos plus secrètes vertus, qu'on m'y verra toujours arrêté. Comme vous êtes (MONSEIGNEUR) assez indulgent pour n'user pas à la rigueur de tout le droit que vous avez sur moi, vous trouvez bon que la nécessité de mes affaires et le commerce des Muses, qui me demandent souvent à Paris, me dispensent quelques-fois des assiduités que je voudrais rendre à votre personne : Et néanmoins, durant quatre ou cinq mois seulement que j'ai passés auprès de vous, je n'ai pas laissé d'y remarquer tant de lumière d'esprit, tant de science et de probité, qu'il est impossible de vous approcher, qu'on n'en devienne aussitôt beaucoup meilleur et plus éclairé. De sorte (MONSEIGNEUR) que si j'estimais auparavant avoir mérité quelque chose en me donnant à vous, je crois maintenant au contraire que vous m'avez chargé d'une particulière obligation en me recevant, jusques-là même que n'ayant jamais connu de Trésor plus précieux que la liberté, je suis marri de ne vous avoir pas rendu Maître de la mienne plutôt, vu que c'est un bien dont je ne pouvais pas mieux jouir, ni me servir plus utilement qu'en le perdant entre vos mains. L'Hôtel du grand Henry de Montmorency et la Maison de feu Monseigneur le Comte de Belin, ont été les deux illustres écoles où j'ai pu m'instruire suffisamment à la pratique du Monde, de la bienséance et de l'Honneur : Mais il importait à ma bonne fortune que je cherchasse encor chez vous la consommation de cette excellente nourriture, afin de passer de l'étude des choses de la Terre, à la connaissance de celles du Ciel et de la véritable sagesse, qui consiste principalement en la piété que vous professez. Oui, MONSEIGNEUR, il était de mon bonheur et de mon Destin tout ensemble, que je fusse témoin domestique de la beauté de votre vie, pour en former un exemple à la conduite de la mienne, n'ignorant pas que le chemin de la Vertu ne soit le plus court et le plus assuré de tous ceux qui peuvent conduire à vos bonnes grâces un Esprit fait comme le vôtre, aime moins par inclination que par jugement ; Et vous jugerez plutôt de moi par l'intégrité de mes moeurs que par la réputation de mon nom et de mes ouvrages. La plupart des Maîtres et des grands seigneurs, donnent quasi toujours leurs amitiés à ceux qui les flattent, et leurs récompenses à ceux qui les trompent. Mais, grâces à Dieu, vous n'êtes non plus d'humeur à recevoir de moi ces lâches devoirs et ces complaisances criminelles, que je suis en disposition de vous les rendre. C'est pourquoi, MONSEIGNEUR, j'ai cet avantage en ma sujétion, que je puis vous plaire sans bassesses, et vous louer sans flatteries. Je ne crains pas que l'absence ou la calomnie me fassent de mauvais offices auprès de vous, ni que vous manquiez de me faire du bien aux occasions, pourvu que je ne manque pas d'être moi-même homme de bien. Pour cet effet je n'ai qu'à vous suivre quelquefois en ces fructueuses visites, où la dévotion du peuple, la charité de l'Évêque à l'instruire, et sa patience à le confirmer, me font une parfaite image du zèle ardent de la primitive Église ; Je n'ai qu'à considérer le soin que vous apportez à l'édification des Bons et à la réformation de ceux qui ne le sont pas, l'innocence et l'exacte justice que vous apportez à la Collation des Ordres et des Bénéfices je n'ai qu'à me rendre attentif à ces éloquentes Prédications dont vous ravissez les plus délicats ; En un mot, je n'ai qu'à vous imiter quoi qu'imparfaitement en vos actions les plus ordinaires, pour atteindre en peu de temps à la perfection du Christianisme et de la Morale. Il fallait nécessairement à la Mitre que vous soutenez, un successeur de votre prix, pour réparer la perte qu'elle avait faite en la dernière tête qui l'a portée. La place que vous aaez prise, pouvait être occupée de plusieurs, et peu sans doute étaient capables de la remplir. Ceux qui vous connaissent bien, MONSEIGNEUR, n'ont jamais estimé qu'une récompense de moindre prix que celle-là, dût satisfaire un mérite comme le vôtre : Quoi que disent l'Envie et la Médisance, je ne désespère pas que ce même mérite ne fasse quelque jour autant de bruit au Vatican qu'il en a déjà fait au Louvre par l'approbation du plus juste de tous nos Rois, et qu'ensuite il ne vous élève à l'Éminence de ces grands personnages, les Cardinaux de Bourbon, de Luxembourg et de Rambouillet, qui se sont assis devant vous dans la Chaise de Saint-Julien. Il est croyable que le successeur de Saint-Pierre voudra confirmer en vous le digne choix du successeur de Charlemagne et de Saint-Louis, par la dernière marque d'honneur qu'il peut donner aux premiers hommes de l'Église. Quoi qu'il en arrive, si les bonnes prédictions des poètes ne sont pas toujours prophétiques, à tout le moins ne sont-elles pas de mauvais augure ; Et pour peut la Fortune soit raisonnable, elle doit rendre en votre faveur ce témoignage authentique de sa réconciliation avec le Mérite. Elle donna jadis un exemple beaucoup plus rare de sa Justice et de sa Puissance, en l'aventure d'Athenais, de qui la victoire merveilleuse qu'elle est partout, n'a point d'incident qui vous plaise davantage que celui de sa conversion. Le soin que vous prenez du salut d'âmes, me fait avoir cette pensée ; et c'est par là que je prétends vous rendre agréable la lecture de cet ouvrage, plutôt que par la beauté des vers et des sentiments de MONSEIGNEUR Votre très humble et très obéissant serviteur, MAIRET. Épigramme à Mr. de MAIRET, sur son Athénais. Bien que Théodose en mourant ; Soit pour la gloire ou pour l'adresse, Doive emporter le nom de Grand sur tous les Princes de la Grèce : Puisqu'Athénaïs aujourd'hui Est dans l'Empire autant que lui, Si sans avoir en est la cause ; MAIRET au jugement de tous, C'est être plus que Théodose Que d'être aussi savant que vous. Le Tombeau d'Athénaïs au mesme. Ci git (où vit l'honneur qui naquit avec elle) La docte Athénaïs, soeur ou fille des Dieux, Qui vécut et vivrait adorable a nos yeux Si la vertu rendait une femme immortelle. Sa fortune ici bas fut si grande et si belle, Que même elle en rendit son auteur envieux, Et perdant à la mort un bien si précieux, La douleur qu'elle en eut fut juste et naturelle. Mais depuis qu'un ouvrage et si grand et si beau À l'égal de son trône illustra son Tombeau, L'Ouvrage est son Auteur sont si dignes d'envie, Qu'en l'état glorieux qu'ils ont réduit son sort, S'il était à son choix de rentrer dans la vie, Elle aurait plus de peine a sortir de la mort. A. D. L. A. D. N. PERSONNAGES ATHÉNAÏS, fille du Philosophe Léonce. THÉODOSE, Empereur d'Orient. PULCHÉRIE, soeur de Théodose. TEGNIS, confidente de Pulchérie. PAULIN, favori de Théodose. VALÈRE, frère d'Athenaïs. PHOCAS, capitaine des Gardes de Théodose. La Scène est à Athènes, ville de Grèce. ACTE I SCÈNE PREMIÈRE. Théodose, Paulin. THÉODOSE. Il est vrai mon cher Paulin, qu'à ne considérerQue cette Majesté qui nous fait adorer,Et cette vaine pompe étonnant le vulgaire,Qui nous coûte beaucoup et ne nous sert de guerre,Le peuple mal instruit nous croit aussi content Que dans l'or et la pourpre il nous voit éclatants.Mais ceux qui par sagesse, ou par expérience,Parlent de notre sort avec plus de science,Savent que les chagrins et les cuisants soucisSont avec les grands Rois dans les Trônes assis. Pour moi qui fais briller mes armes et ma gloireDes rivages de l'Inde à ceux de la mer Noire :Moi, qui règne absolu sur tant de régions,Autant par mon crédit que par mes légions,Et qui dans les travaux que la Couronne apporte, Suis encore assisté d'une âme grande et forte,D'une fidèle soeur sans reproches ett sans prix,Dont le sens merveilleux est rarement surpris,Et qui par ses conseils prudents et salutairesAgit si clairement dans la nuit des affaires : J'éprouve néanmoins en mon état présentQue le faix d'un Empire est un faix bien pesant,Qui laisse rarement ou le temps ou l'envieD'abandonner son âme aux plaisirs de la vie. PAULIN. Sans complaire ou flatter, je m'étonne en effet De voir un Empereur, des Princes le mieux fait,Vivre avec tant de soin ou tant de retenueQue l'ombre des plaisirs ne lui soit pas connue,Quoi qu'ils s'offrent à vous par tout où vous allez,Surtout depuis trois mois si doucement coulés, Que votre Majesté visite ses provinces.Pour le commun bonheur des sujets et des Princes.Quant à moi, je confesse avec sincéritéQue des lieux de la Grèce où nous avons été,Aucun n'est comparable à la ville où nous sommes, Pour le nombre et le prix des femmes es des hommes :Aussi de tous les Grecs, le peuple AthénienS'estime le mieux fait et le plus ancien,Et croit qu'avec l'éclat qui suit votre présence,Athènes, en beauté surpasserait Byzance. THÉODOSE. Vous me vantez, si fort cet aimable séjour,Que j'en soupçonne en vous quelque raison d'amour,Et je suis bien trompé si des beautés d'AthènesQuelqu'une en peu de jours ne vous met dans ses chaines.Une certaine brune est souvent chez ma soeur, Qui pourrait bien surprendre et gagner votre coeur. PAULIN. Ce n'est pas d'aujourd'hui que le Dieu de la terreMe fait sur mes amours une agréable guerre :Mais de la raillerie entrons au sérieux.Vous le meilleur des Rois et le plus glorieux, Ne donnerez-vous point d'une couche secondeDes serviteurs au Ciel, et des Maîtres au monde ?Le siècle où nous vivons serait bien détestéS'il avait vu finir en votre MajestéL'incomparable sang de Trajan et d'Arcade. THÉODOSE. Va Orateur qui plaît aisément persuade.De cet hymen d'État j'approuve la raison.Mais j'en remets l'effet à quelqu'autre saison,Rien ne presse, Paulin, cet esclavage illustreMe viendra qu'assez tôt à mon neuvième lustre. PAULIN. Et quoi pour satisfaire à l'ardeur de nos voeuxAttendriez vous que l'âge eut blanchi vos cheveux ?Le plaisirs d'hymenée et les fruits qu'il nous donne,Valent mieux au printemps, qu'ils ne font en automne. THÉODOSE. Si la raison d'État m'en pouvait dispenser, Jamais celle d'amour ne m'y ferait penser. PAULIN. L'Auguste Théodose est encore en un âge,Où l'on change aisément d'humeur et de langage. THÉODOSE. En tout temps l'homme sage est maître de son coeur :Mais j'aperçois venir la Princesse ma soeur Avec les mouvements d'un visage qui montreQu'elle vient a dessein de chercher ma rencontre. SCÈNE II. Pulchérie, Théodose, Paulin. PULCHÉRIE. Seigneur, je vous cherchais avec empressement, Pour vous dire la joie, ou le ravissementOù vient de me plonger un merveilleux spectacle, Le chef-d'oeuvre du Ciel et son plus beau miracle, Une beauté naïve, aimable en la froideur,Et dont l'honnêteté paraît en sa pudeur,D'une assurance grave, et d'un regard modeste,Telle enfin qu'on peindrait une beauté céleste. Sachant donc la puissance où j'ai toujours étéDe connaître de tout sous votre autorité,Elle est tantôt venue implorer notre grâceContre la cruauté d'un frère qui la chasse,Et plaignant son malheur, nous la représenté Avec tant d'éloquence et tant de netteté,Qu'au point du jugement, je l'ai voulu suspendre, Pour me donner encor le plaisir de l'entendre,L'obligeant à dessein de revenir iciPour vous donner moyen de l'écouter aussi, Comme je viens exprès vous en prier moi-même. THÉODOSE. Vous me faites, ma soeur, une faveur extrême,Et je ne doute point, après votre rapport,Que cette nouveauté ne me contente fort. PULCHÉRIE. Mais de peur que l'éclat qui suit votre personne Avec juste raison ne la trouble et l'étonne,Il serait à propos que sans qu'elle vous vit,Sa grâce vous charmât, et sa voix vous ravit. THÉODOSE. Le moyen ? PULCHÉRIE. Le moyen se présente sans peinePar cet endroit vitré de la chambre prochaine. THÉODOSE. Il faut voir ce miracle, et nous sommes contentsDe suivre vos avis quand il en sera temps. PAULIN. Je brûle également de la voir et l'entendre. PULCHÉRIE. Vous pourrez tous les deux et sans beaucoup attendre,Puisque mal aisément aura-t-elle manqué De revenir au temps précisément marqué,Phocas qui la connaît, pour être aussi d'Athènes,Nous en dira bientôt des nouvelles certaines :Il s'est chargé du soin de me la présenter,Et c'est en sa faveur qu'il vient solliciter. PHOCAS, survenant. Je vous ramène encor l'innocence oppressée,Cette jeune orpheline. PULCHÉRIE. Où l'avez-vous laissée ? PHOCAS. Dans la salle, Madame, où ses larmes en vainCombattent les rigueurs de ce frère inhumain,Que l'on peut mieux nommer un monstre d'avarice. PULCHÉRIE. Amenez-les tous deux, on leur fera justice. THÉODOSE. Phocas rentre.Phocas est pour la soeur. PAULIN. Je suis pour la Beauté. PULCHÉRIE. Et moi, qui dois juger, je sais pour l'équité.Passe donc dans la chambre avant qu'elle vous voie,D'où les sens tous remplis de merveille et de joie, Vous verrez aisément sans paraître au dehorsLa beauté de l'esprit jointe à celle du corps :Hâtez-vous, la voici, qui triste autant que belle,Augmente la pitié qui me parle pour elle. SCÈNE III. Athénaïs, Pulchérie, Valère, Tegnis, Phocas. PULCHÉRIE. Faites-les approcher, Phocas. PHOCAS. Avancez-vous. PULCHÉRIE. Non, non, je ne veux pas qu'on me parle à genoux,Levez-vous l'un et l'autre, et que chacun sans crainteExpose ses raisons de défense et de plainte. VALÈRE. Madame, en peu de mots, feu mon père et le sienLui donnant tous ses soins, me donna tout son bien. PULCHÉRIE. Taisez-vous, votre soeur doit parler la première. VALÈRE. Mais j'ai part le premier aux droits de la lumière. PULCHÉRIE. N'importe, taisez-vous, vous parlerez après. ATHÉNAÏS. Celui dont je me plains me touchant de si près,Que sa vie et la mienne ont commencé leur course Et dans un même sang et d'une même source,Que n'ont pu la Nature et nos communs parentsEmpêcher ou finir nos honteux différents.On ne me verrait pas Princesse incomparableAccuser à vos yeux un frère inexorable, Noircir mon propre sang, et rougir aujourd'huiPour la part que je prends à la honte d'autrui.Exemple de bonté ! Faut-il que je produiseDevant le Tribunal où vous êtes assiseUn exemple inouï de dureté de coeur, De mauvais naturel et d'injuste rigueur ?Qui sans avoir failli me traite en criminelle,Me ferme indignement la maison paternelle,Et me refuse ailleurs, pour comble de tous maux,Ce que trouvent partout les plus vils animaux, Qui tiennent en pur don des mains de la NatureLe bienfait du couvert et de la nourriture ;C'est de tout notre bien qu'il a tout aujourd'huiLa seule et moindre part que j'exige de lui,Qui loin d'être lui seul mon tuteur et mon père, Est le seul qui m'opprime et qui me désespèreAu mépris du devoir et du sang qui nous joint,Au mépris de mes pleurs qui ne le touchent point,Et de son propre honneur dont le soin le convieÀ me donner au moins ce qu'il faut pour la vie, Avec la liberté d'appliquer mon espritÀ l'étude des arts que mon père m'apprit :Ce sont ces mêmes arts acquits par mon étude,Qui servent de prétexte à son ingratitude.Il dit que notre père avec son amitié, M'a donné de ses biens la plus noble moitié,Me donnant sa vertu, son temps et sa science :Le partage en effet est plus grand qu'il me pense,C'est le seul que j'estime et que je puis vouloirSi j'obtiens les moyens de le faire valoir : Mais à quoi ce partage à mon sexe honorable,Qui parmi les savants me rend considérable,Si par un coup fatal à tant de vertueuxL'extrême pauvreté le rend infructueux ?Que me sert de connaître et le Ciel et la Terre Si la nécessité me déclare la guerre ?Est-il esprit si grand, ou si bien affermi,Qui ne cède aux efforts d'un semblable ennemi ?Contre la cruauté d'un monstre si terrible[Note : Alcide : autre nom d'Hercule.]Alcide aurait perdu le titre d'invincible ! Plus celui qu'il attaque a le courage haut,Moins il a d'avantage à souffrir son assautMais une autre raison, la plus faible du monde,Appuie un autre point où sa rigueur se fonde.C'est assez (dira-t-il) que les Astres amis Ne manqueront jamais à ce qu'ils m'ont promis :Mais s'il croit ce qu'il dit, il n'est pas raisonnable,Et s'il ne le croit pas, il est impitoyable :S'il pense que le Ciel m'appelle à de grands biens,Pourquoi par ses bienfaits n'attire-t-il les miens ? En l'espoir du futur, il devrait par avancePour son propre intérêt gagner ma bienveillance,Et loin de me traiter avec sévérité,Prendre part de bonne-heure à ma prospéritéEt s'il croit que jamais mon destin ne se change, Sa haine ou sa rigueur n'est-elle pas étrange ?Si mon frère aujourd'hui me refus ses soins,Dois-je plus espérer de ceux qui me sont moins ?Bref, préférant d'une âme à l'étude adonnéeL'olive de Minerve au myrthe d'hyménée, J'ai beau lui demander les moyens suffisantsPour jouir des amours de mes plus jeunes ans,C'est ce qu'il me refuse et ce que tristesseAvec pleurs et soupirs demande à votre Altesse,Qui sans doute attentive et bonne comme elle est, Médite en ma faveur un équitable arrêt. VALÈRE. Je me garderai bien, ayant à me défendre,De tenter le chemin que ma soeur vient de prendre,Celui de l'éloquence étant le plus aiséPour arriver au but qu'elle s'est proposé Je ne saurais comme elle enrichir ma harangueDe tous les ornements de l'art et de la langue :Je lui cède en ce point, et n'ai entreprisDe surprendre comme elle, et charmer vos esprits.Les écrits d'Aristote et ceux de Démosthène N'ont jamais occupé ni mon temps ni ma peine :Mais je sais pour le moins qu'on ne peut par la loiM'obliger au bienfait qu'elle exige de moi,Et qu'un acte public fait à mon avantageLa prive expressément de tout notre héritage : C'est une vérité qui tombe sous les sens,Un Oracle de droit qui ne reçoit qu'un sens,Et qui décide tout en pareille aventure. PULCHÉRIE. Donnez le testament, j'en ferai la lecture. Testament de Léonce.Je donne tous les biens qui sont en mon pouvoir À mon fils, dont l'humeur, l'esprit et la conduiteFont juger du besoin qu'il en pourrait avoir.Quant a ma chère fille, il suffit qu'elle hériteDe toute mon étude et de tout mon savoir,Et qu'une vérité dans les astres écrite, Lui promette et me fasse voir,Que la fortune et le mériteS'accorderont un jour afin de la pourvoir. VALÈRE. Peut-on plus nettement expliquer sa pensée ? TEGNIS. Peut-on plus mal traiter une soeur oppressée, De qui les bonnes moeurs ont assez méritéVotre reconnaissance ou votre piété ?Dites si vous pouvez, quelle faute ou quel crimeLui rend votre rigueur ou moindre ou légitime,Vous ne mérités pas une si digne soeur, Et vous la traiteriez, avec plus de douceurSi vous n'étiez que lâche, ou simplement avare :Mais vous êtes né Grec et vivez en barbare.Je vous en dirais plus si nous étions ailleurs. ATHÉNAÏS. Mon frère aurait pour moi des sentiments meilleurs, Si l'amour d'une épouse à qui je n'ai su plaireN'eut attiré sur moi sa haine et sa colère,Ce mauvais naturel a le sien corrompu,Et contre mon repos a fait ce qu'il a pu. VALÈRE. Je prends du procédé tout le tort et le blâme, e m'excusez, donc plus en accusant ma flamme. ATHÉNAÏS. Je serai lâche, avare, et tigre au dernier point :Mais j'aurai tout le bien, et vous n'en aurez point. PHOCAS, à Tegnis. Voyez, rien ne l'émeut cette insensible souche. TEGNIS. Puisqu'il veut tout avoir, et que rien me le touche, soit donc, que son Altesse en juge s'il lui plait. VALÈRE. Qu'elle en juge. ATHÉNAÏS. Ha mon frère ! PULCHÉRIE. Écoutez mon arrêt. Suivant du testateur le sens et le langage, Qui dans ce parchemin nous parle clairement, J'ordonne que le frère, aura tout l'héritage Que lui donne le Testament, Avec droit et pouvoir d'en user librement, Sans laisser à la soeur un plus grand avantage Que le mérite seulement. La fortune et l'espoir, qui seront son partage. Voilà mon jugement. PHOCAS. Dieu, qu'il est surprenant ! VALÈRE. Qu'en dites-vous, ma soeur, ai-je tort maintenant ? ATHÉNAÏS. Vous aurez, toujours tort, si comme je l'espère,Vous ne me tenez, lieu de tuteur et de père, VALÈRE. Avec tant de beauté, de grâce et de savoir, C'est une vérité dans lesastres écrite,Que la fortune et le mérite Il s'en va. s'accorderont un jour afin de vous pourvoir. ATHÉNAÏS. Et moi, je quitte aussi votre présence auguste, À Pulchérie.Sans plaindre ou murmurer contre un arrêt si juste, Estimant que le sort est encore assez douxQui m'a causé l'honneur de baiser vos genoux. PULCHÉRIE. Ne vous affligez pas, ayez bonne espérance. ATHÉNAÏS. Hélas en qui l'apprendre, et sur quelle apparence ? PULCHÉRIE. Et moi, sur ma parole, et sur mon amitié. ATHÉNAÏS. Si mon affliction vous émeut à pitié,J'ose tout espérer sans défiance aucune. PULCHÉRIE. Oui, j'aurai soin de vous et de votre fortune,Remenez-la Phocas, et tantôt sur le soirSouvenez-vous encor de me la faire voir. ATHÉNAÏS. L'excès d'une bonté si grande et si parfaite,Rend mes esprits confus, et ma bouche muette. PULCHÉRIE. Adieu, retirez-vous. L'Empereur vient ici,Sachons si nos desseins auront bien réussi. SCÈNE IV. Pulchérie, Théodose, Pavlin. PULCHÉRIE. Qu'en dites vous, Seigneur ? THÉODOSE. Que ce sont des merveilles Qui m'ont ravi d'un temps les yeux et les oreilles ! PAULIN. Et possible le coeur. THÉODOSE. Je ne dis pas cela,Non que son rare esprit joint aux beautés qu'elle a,Ne la rende en effet bien digne d'être aimée. PULCHÉRIE. Je confesse pour moi que j'en reste charmée. THÉODOSE. Témoin le jugement que vous avez rendu. PULCHÉRIE. Faisant ce que j'ai fait, j'ai fait ce que j'ai dû.Avez-vous observé son air sa modestie,Et quand elle est entrée, et quand elle est sortie,Sa grâce, son adresse, et son bon naturel À couvrir les défauts de ce frère cruel ?Surtout, sa retenue a paru toute entièreComme en sa plus illustre et plus haute matière.Quand j'ai donné l'arrêt qui vous a tant surpris,Là certes sa douceur a charmé mes esprits, Et la compassion m'a conseillé sur l'heureDe lui donner espoir de fortune meilleure. THÉODOSE. C'est le dernier discours que nous avons ouï,Et qui l'a consolée, et qui m'a réjoui :C'est une autre en effet digne de Pulchérie, Aidez-la donc, ma soeur, sa vertu vous en prie. PULCHÉRIE. Je le ferai, Seigneur, par générosité,Et par obéissance à votre Majesté :Mais il s'agit encore d'une plus grande affaireQui rend votre présence au Conseil nécessaire, Où les Ambassadeurs se trouveront exprès. THÉODOSE. Allez-y seulement, je vous suivrai de près. PULCHÉRIE. Allons-y donc. Il aime, ou je suis bien trompée. SCÈNE DERNIÈRE. Théodose, Paulin. THÉODOSE. Quelle agréable peste a mon âme frappée ?Quel venin ai-je pris, quel poison ai-je bu ? Qu'ai-je oui, cher Paulin, ou plutôt qu'ai-je vu ? PAULIN. On croirait à la fin que vous parlez sans feinte. THÉODOSE. Je souffre une sensible et véritable atteinte,Une pointe de flamme, un violent désirMe pique avec douceur, me trouble avec plaisir, Et mon coeur amoureux, court, s'envole et soupireAprès le bel objet qui le charme et l'attire :De là m'est survenue avec beaucoup d'effortsCette agitation et d'esprit et de corps,Qu'assez visiblement je vous y témoignée. En ce cruel instant qu'elle s'est éloignée :Alors avec douleur, j'ai senti que mon coeurS'est détaché de moi pour suivre son vainqueur. PAULIN. De tous les changements c'est là le plus étrange. THÉODOSE. C'est le visible effet de l'Amour qui se venge, Et qui sur Théodose appesantit ses mainsPour en faire un exemple au reste des humains,Montrant aux nations, de sa force étonnées,Qu'il impose le joug aux têtes couronnées.Ô mes bons sentiments, en un moment trahis, Que ne m'empêchiez-vous d'aimer Athénaïs !Peu prévoyante soeur pourquoi vous ai-je crue ?Trop charmante Beauté, pourquoi vous ai-je vueMais quoi si je me plains d'avoir vu ses appas,Je me plaindrai bien plus si je ne les vois pas. C'est ici que mon mal doit être mon remède,C'est ici, cher Paulin, que j'implore ton aide,Pour l'extrême besoin que t'en pourrais avoirÀ me faciliter les moyens de la voir. PAULIN. Votre adorable soeur, qui l'estime et qui l'aime, Vous rendra sans dessein cet office elle-même,Je crois que sa pensée est de la retenir. THÉODOSE. Ô Dieu ! Si ce bonheur me pouvait advenir,Que j'en prie ardemment l'Amour et la Fortuné !Mais le soin du conseil me trouble et m'importune : Allons toutefois puis qu'il y faut aller. PAULIN. Voilà le plus grand feu dont on puisse parler. ACTE II SCÈNE PREMIÈRE. Tegnis, Athénaïs. TEGNIS. Pourquoi donc s'ennuyer, et soupirer sans cesse ?Pourriez-vous être mieux qu'auprès d'une Princesse,Qui fait de son Palais une école d'honneur, Où toujours le mérite est suivi du bonheur,Où le joug glorieux de notre servitudeNe vous empêche point de vaquer à l'étude,Où tout le monde admire et recherche à l'enviVotre esprit excellent, dont chacun est ravi ? ATHÉNAÏS. Épargnez-moi de grâce. TEGNIS. Ou l'Empereur lui-même,Pour comble de bonheur vous estime et vous aime. ATHÉNAÏS. Ce bonheur me suffit restreint à la moitié,J'en souhaite l'estime, et non pas l'amitié :Mais pour se divertir on parle de la sorte. TEGNIS. Je ne me moque point en ce qui vous importe. ATHÉNAÏS. Moquez-vous, s'il vous plaît, ou parlez tout de bon,Il m'importe fort peu que cela soit ou non. TEGNIS. Vous n'aurez pas toujours cette humeur méprisante,La bonheur se doit prendre alors qu'il se présente, Autrement il échappe, et nous laisse confusDu tardif repentir qui suit notre refus.Il faut n'avoir point d'yeux pour ne pas reconnaître.Que vous êtes aimable autant qu'on le peut êtreVous avez des beautés, des grâces, des appas, Vous n'aurez pas toujours cette humeur mépriEt des talents d'esprit que les autres n'ont pasSur la foi des savants on croirait que les MusesAuraient toutes en vous leurs sciences infuses. ATHÉNAÏS. Aurez-vous bientôt fait ce merveilleux tableau ? TEGNIS. Je m'en vais le finir en deux coups de pinceau,Et dire seulement, après la renommée,Que la gloire du sexe est en vous consommée :Mais ce divin esprit qui vous fait admirer,Et cet aimable corps qui vous fait désirer, Vous rendront à la fin la Nature importune,Si ses biens ne sont joints à ceux de la Fortune.Quittez, quitez, ma soeur, cette humeur qui vous nuit,Attendez pour le moins le bonheurq ui vous suit,Et recevez le bien que l'Amour vous envoie. ATHÉNAÏS. Je n'en veux point avoir que par la belle voie,Et l'amitié du Prince en cette occasion,Ne sauroit aboutir qu'à ma confusion. TEGNIS. Votre philosophie est un peu trop farouche,J'ai charge de sa part, et de sa propre bouche, De vous bien assurer qu'il restreint son espoirDans l'innocent plaisir de parler et de voir.Je crois que ma vertu (sans offenser la vôtre)Ne le cèderait pas à la rigueur d'une autre :Mais ayant le mérite et l'heur que vous avez, Et pouvant sur le Roi ce que vous y pouvez,Sans confondre l'honneur le scrupule,Je serais indulgente à l'ardeur qui le brûle,Et sans m'effaroucher souffrirais ses discours,Tant que la modestie en règlerait le cours : [Note : Assiette : Manière de se poser, d'être posé. [L]]C'est ainsi que Tennis, en l'assiette où vous êtes,Gagnerait la faveur par des moyens honnêtes :C'est ainsi qu'en tous lieux aussi bien qu'à la Cour,On ménage l'Honneur,la Fortune et l'Amour.Ce discours cependant vous doit rendre assurée De la vraie amitié que je vous ai jurée. ATHÉNAÏS. Votre amitié m'oblige autant que vos avis,Que toute autre en ma place eut possible suivis :Mais vous me permettrez de repousser encoreUne amour qui me trouble autant qu'elle m'honore, Et sortir en fuyant de ce combat douteux,Puisque l'événement en peut être honteux. TEGNIS. L'étude qui toujours à votre âme occupée,Vous fait haïr la Cour, ou je suis bien trompée. ATHÉNAÏS. Il est vrai que j'embrasse une condition Qui choque mon humeur et mon élection,Et sans que Pulcherie en puisse être offensée,[Note : Lycée : Gymnase, lieu d'exercice, situé en dehors d'Athènes du côté du levant, et garni d'allées couvertes. C'est dans le Lycée qu'Aristote tint école de philosophie. [L]]Son palais me plaît moins que ne fait le Lycée.Je chercherais plutôt, s'il était à mon choix,L'étude des savants que la chambre des Rois. Hélas, si les Destins à mon bonheur contraires,Me laissaient pour le moins les choses nécessairesÀ cultiver les Arts que mon père m'apprit,Avec la quiétude et la paix de l'esprit,Je bornerais mes voeux, ma gloire et mon envie Dans la tranquillité d'une si chère vie.Tantôt considérant et de l'âme et des yeuxLes diverses beautés de la Terre et des Cieux,Je verrais en tous deux, comme en une peinture,Le merveilleux pouvoir du Dieu de la Nature. Tantôt je me plairais à montrer les raisonsDe l'ordre qui varie et change les saisons :Tantôt celles des vents, des frimas, des tempêtes,Et des corps enflammés qui grondent sur nos têtes.Après, pour délasser mon esprit curieux D'une étude si vague et si laborieux,Je le promènerais dans ces belles allées,Ces paisibles coteaux, ces secrètes vallées,Et ces bois de laurier éternellement verts,Ou coule à flots d'argent la fontaine des vers. Mais quoi ! La pauvreté, ce monstre épouvantable,Qui plus il est honteux, plus il est redoutable,Confond tous mes desseins, les réduit en vapeur,Et de son seul aspect m'étonne et me fait peur :Ce mortel ennemi, dont je suis menacée, Rend ma lyre muette, et ma veine glacée :Car enfin vous savez, ô Nymphes que je sers !Qu'on porterait en vain dans vos sacrés désertsUn esprit accablé d'aucune inquiétude,Qui par les soins du corps interrompe l'étude, Vu qu'il est des beaux vers comme des AlcyonsQui veulent un long calme à leurs productions.Sages dispensateurs des fortunes du monde,Seuls en qui désormais tout mon espoir se fonde,Si du trône céleste, où vous êtes assis, Vous daignez des mortels contempler les soucis,Voyez ceux que je souffle, et ceux que me prépareL'injustice d'un frère autant cruel qu'avare,Qui me fait rechercher en la faveur d autruiCe que celle du sang me promettait de lui. TEGNIS. Voilà donc le sujet d'où vient votre tristesse,Mais à quoi cet esprit ? ATHÉNAÏS. Allons chez son Altesse. TEGNIS. Je vois bien le sujet qui vous en fait aller.Adieu, le Roi vous chasse, et je veux lui parler. ATHÉNAÏS. Je fuis son entretien, et non pas sa rencontre. SCÈNE II. Théodose, Paulin, Tegnis. THÉODOSE. Quoi, vous disparaissez sitôt que je me montre,Et ma discrétion ne pourra m'obtenirLa faveur seulement de vous entretenir ? PAULIN. Que votre Majesté se donne patience,Sa rigueur vient de crainte, elle est en défiance, Non de sa propre force, ou de vos passions,Mais de la pureté de vos intentions.Sa naissance à la vôtre est si fort inégale,Qu'elle croit votre amour à son honneur fatale,Et que vous voir souvent ; ce serait allumer Le bucher qui dans peu le pourrait consumer.Il faut donc la guérir de cette injuste crainte :Car pour s'imaginer que sa rigueur est feinte,Ou que par artifice elle s'enfuit exprès.Pour piquer vos désirs de s'emporter après. On voit à sa façon son air, et sa jeunesse,Qu'elle a trop d'innocence, et trop peu de finesse. THÉODOSE. Mon coeur (puisqu'en effet il n'a rien de trompeur)La peut guérir du mal, mais non pas de la peur.Plût au Ciel que son oeil put lire dans mon âme Aussi facilement qu'il y jette sa flamme,Afin que mon penser, qui n'a rien de brutal,La guérit pour jamais de la peure et du mal. TEGNIS. Sire, Paulin et moi, trouverions, ce me semble,Plus de force et d'adresse à l'attaquer ensemble. Nos discours, nos avis, et même nos leçons, Emporteraient si bien ses injustes soupçons,Qu'elle aurait pour le moins un peu de complaisance,Et pour votre entretien, et pour votre présence. PAULIN. Tegnis entend la chose, el la prend comme il faut, Allons donc de ce pas lui donner un assaut. THÉODOSE. Stances à l'Amour. Amour qui me faisant la guerre, Troubles aussi mal à propos Le plus noble moitié des peuples de la terre, De qui ma vigilance assure le repos, En me jetant l'esprit dans une nuit profonde, Veux-tu le désordre du monde, Toi qui l'as retiré de celui du chaos ? Si tu ne veux que je respire Ou sous la trêve ou sous la paix, J'abandonne le trône et les soins de l'Empire. Prends de tout l'Orient la conduite et le faix : Mais récompense au moins mon trouble domestique Par la tranquillité publique, Et par le bien d'autrui, le mal que tu me fais. Donc, ô puissante intelligence ! Si mon Ciel est digne de toi, Si tu veux de mon sceptre exercer la régence, Mêle tes intérêts aux intérêts du Roi, Punissant pour tous deux, une ingrate rebelle, Qui d'une audace criminelle Refuse ton Empire, et me donne la loi. Mais mon erreur est sans pareille, Comme mon mal est sans espoir : Craindrait-elle l'Amour, cette aimable merveille ? Elle dont l'Amour même emprunte son pouvoir. Que sa rébellion soit soufferte ou punie, Il n'importe, aveugle Génie, Si je puis seulement lui parler ou la voir. Belle Athénais ! Mais voici Pulchérie. SCÈNE IV. Théodose, Pulchérie. PULCHÉRIE. Je comprends le sujet qui fait sa rêverie.Depuis quand Théodose aime-t-il à rêver ? THÉODOSE. Depuis. PULCHÉRIE. Comment depuis ? Il faut donc achever. THÉODOSE. Le trouble de mon coeur s'explique de lui-même. PULCHÉRIE. Vous mettez mon esprit en une peine extrême, Je ne puis deviner n'en ayant pas le don.Est-ce que désormais mon conseil n'est plus bon,Que mon gouvernement a gâté les affaires,Et qu'enfin mes avis ne sont plus salutaires ? THÉODOSE. Vous en avez de bons, et de mauvais aussi. PULCHÉRIE. Il me semble pourtant qu'ils ont bien réussi,Puisque tout l'Orient voit ses provinces calmesJouir d'un long repos à l'ombre de vos palmes,Que votre nom divin, aux mortels sacré-saint,Du Danube et de l'Inde est également craint, Que vous seul avez droit de donner à la terreEt les biens de la paix et les maux de la guerre :Puisque le bruit fameux de vos derniers exploitsFait trembler les lauriers sur la tête des Rois,Que même on ne croit pas qu'entre les mains d'Auguste L'Empire ait eu son corps plus sain et plus robuste,Ni que l'Aigle Romain ait volé plus avant,Ou regardé plus loin que le soleil levant.La paix est dans vos champs, la pompe est dans vos villes,Vos Grands n'excitent point des tempêtes civiles, Tout le monde est content, et sans être haïVous êtes craint partout, et partout obéï :C'est le meilleur état où puisse être l'Empire. THÉODOSE. Celui de l'Empereur ne saurait être pire,Puisque lui conseillant de voir Athénaïs Vous avez sa franchise et son repos trahis.À travers ce cristal, sa parole et sa vue. Il montre le cabinet vitré.Ont jeté dans mon coeur le poison qui le tue.Mon feu depuis trois jours s'est accru tellement,Que ce n'est plus un feu, mais un embrasement. PULCHÉRIE. Certes la passion est extrêmement forte,Qui vous peut obliger à parler de la sorte ?Ce changement d'humeurs subit et si grandAvec juste raison m'étonne et me surprend. THÉODOSE. C'est qu'Amour pour me vaincre a pris toutes les armes Que lui peuvent fournir les attraits et les charmes,Et presque en même temps, assaillant et vainqueur,S'est emparé d'assaut du rempart de mon coeur. PULCHÉRIE. Tout bien considéré, vous n'êtes point blâmableD'aimer une beauté parfaitement aimable, En qui la main du Ciel a voulu renfermerTout ce qui peut ravir, ou qui peut faire aimer,Pourvu que cet amour sans respect et sans brideNe vous emporte pas ou sa fureur le guide. THÉODOSE. Non, ma soeur, la raison qui règle mes désirs, Me défend d'aspirer à d'injustes plaisirs. PULCHÉRIE. Quelle est donc votre fin, qu'en pouvez-vous prétendre ? THÉODOSE. Le seul contentement de la voir et l'entendre. PULCHÉRIE. Seigneur, à dire vrai, vous n'espérez pas tantQu'il ne soit bien aisé de vous rendre content. THÉODOSE. Sa rigueur est pourtant un obstacle invincible,Qui jusqu'à mes regards la rend inaccessible.Je n'ai pu l'aborder depuis le même jourQue de ma propre bouche elle apprit mon amour. PULCHÉRIE. Si le seul entretien faisait comme vous dites, De vos sages désirs les dernières limites,Par un discret silence il fallait s'empêcherDe choquer son esprit, et de l'effaroucher. THÉODOSE. Oui, je me suis perdu par ma langue indiscrète,Si vous ne réparez la faute que j'ai faite : Aussi bien mon agent est trop tôt de retourPour avoir fait sa charge au gré de mon amour.Et bien la verrons-nous cette aimable merveille ? PAULIN. Sire. THÉODOSE. Il n'est plus besoin de parler à l'oreille. PULCHÉRIE. Parlez, parlez tout haut, Ambassadeur discret, Ne voyez-vous pas bien que je suis du secret ? PAULIN. Commençant ma harangue à cet esprit farouche,Avec cette réponse il m'a fermé la bouche.Je tiens chers et révère autant que je le doisLes avis de Paulin, et les grâces du Roi : Mais que sa passion soit véritable ou feinte,En me comblant de gloire elle m'emplit de crainte,Et sans trop me commettre ou trahir mon devoir,Je ne puis en secret l'écouter ni le voir.Qu'il vive donc en paix, ou qu'il m'y laisse vivre, Mettant fin, s'il lui plaît, aux assauts qu'il me livre,Ou mon éloignement l'obligera dans peuD'employer mieux ailleurs ou d'éteindre son feu,Là, rouge d'un dépit qui l'a faite plus belle,Elle s'en est allée, et Tegnis avec elle. Que ne croit déjà plus que votre MajestéAdoucisse jamais cette austère Beauté ? THÉODOSE. C'est à vous, chère soeur, à mes maux secourable,À me rendre auprès d'elle un office agréable,En lui persuadant, comme vous le pouvez, Que ma flamme est sans feinte, et que vous l'approuvez. PULCHÉRIE. Lui répondre pour ou d'une fureur extrême.Dont vous ne sauriez pas vous répondre à vous-même ?Approuver des désirs, qui tous sages qu'ils sont ?Peuvent perdre en croissant l'innocence qu'ils ont ? Seigneur, il nous sied mal, du sexe dont nous sommes,De répondre en amour de la vertu des hommes.Ainsi donc, s'il vou plaît, vous m'en dispenserez,Et lourez mon refus, quand vous y penserez ? THÉODOSE. Doutez-vous de ma force, ou de ma retenue ? PULCHÉRIE. En semblable rencontre elle m'est inconnue,Et je serai bien aise en cette occasionDe ne le prouver pas à ma confusion,Puisque de vos destins l'étrange différenceD'une louable fin montre peu d'apparence, Et que l'Amour lui-même assez hardi de soi,Devient audacieux dans l'esprit d'un grand Roi,Pour suivre bien souvent, tout respect en arrière,Ses violents désirs qui n'ont plus de barrière. THÉODOSE. C'est vouloir me réduire avec trop de rigueur. Aux termes de mourir, ou de vivre en langueur.Vos conseils cependant sont la première causeDes troubles que l'Amour excite en Théodose,Et sous devez sans doute au mal que vous causez,Le remède innocent que vous lui refusez. Suffit dans un tourment ou personne ne m'aide,Ma résolution doit être mon remède.Il faut que malgré vous, ô beauté sans pitié !Confidents sans pouvoir et soeur sans amitié,Mon amour, du désir passe à la jouissance Par un dernier effort digne de ma puissance.Oui, me rendant heureux sans la faveur d'autrui,Le coup que j'entreprends, fera voir aujourd'huiQue les difficultés irritent mon envie. PULCHÉRIE. Voudriez-vous obscurcir l'éclat de votre vie, Et par quelque action qu'on vous pu reprocherPerdre ce fonds d'honneur que vous eûtes si cher ?À ce brusque départ et ce morne silence,Je crains qu'il ne s'emporte à quelque violence :C'est pourquoi, cher Paulin, de tout votre pouvoir, Allez, le retenir aux termes du devoir ;Et s'il entreprend rien ou d'injuste ou de lâche,Ne pouvant l'empêcher, faites que je le sache,Afin que pour le moins, à toute extrémité,On mette Athénaïs en lieu de sûreté. PAULIN. Il désire ardemment, pourtant je ne puis croireQu'il voulut possèder aux dépens de sa gloireJe m'en vais toutefois, suivant votre ordre exprès,Joindre mes pas aux siens, et l'éclairer de près. PULCHÉRIE. Et moi, puisqu'en tout cas la prévoyance est bonne, Assurer son Amante auprès de ma personne. ACTE III. SCÈNE PREMIÈRE. Pulchérie, Paulin, Tegnis. PULCHÉRIE. Et bien, sage Paulin, l'esprit de l'Empereur,Écoute-t-il encor son aveugle fureur ? PAULIN. Que craignez vous de lui ? PULCHÉRIE. Tout ce que sa puissanceLui peut faire entreprendre avec toute licence. TEGNIS. Le langage en effet, qu'il vient de me tenir,Nous avertit d'un mal qu'il faudrait prévenir.Oui Tegnis (m'a-t-il dit d'une froideur extrême)On connaitra dans peu que je règne, et que j'aimeÀ juger sainement ce discours menaçant, En la bouche d'un Prince amoureux et puissant,Montre le désespoir où sa fureur le jette. PAULIN. Il n'entreprendra rien que l'honneur ne permette. TEGNIS. Trop souvent chez les Grands ce qui plait est permis,Et quand un crime plaît il est bientôt commis, Surtout lorsque la honte est une fois bannie,Et que l'autorité rend la faute impunie. PULCHÉRIE. Pour moi je ne crois pas qu'en toute extrémitéIl perde le respect qu'il m'a toujours porté,Ni qu'il veuille irriter par le crime et le blâme À la possession de l'objet qui l'enflamme. Que si (comme l'Amour pars ses yeux criminelsPeut gâter à la fin les plus beaux naturels ?)Si, dis-je il arrivait par un malheur insigne,Qu'il me désobligeât d'un traitement indigne, Je le dis devant vous, son confident discret,Je mourrais de dépit, de honte et de regret ;Et son ingratitude une fois éprouvée,Je vivrais pour toujours en personne privée. PAULIN. L'état de notre Empire, après cet accident, Ne serait pas meilleur que celui d'Occident,Et nous saurions trop tard à quel point nous importeLa soutien d'une main si fidèle et si forte : PULCHÉRIE. Non, pourvu que le Roi me veuille conserverCe qu'il pourra toujours, en conformant sa vie Aux lois de l'équité qu'il a toujours suivie.Que si le trait d'Amour dans son âme cachéPar sa propre vertu ne peut être arraché,Si la possession est l'unique remèdeCapable de guérir le mal qui le possède, Il peut dés aujourd'hui trouver sa guérison,Sans faire violence aux droits de la raison,Puisqu'un prompt hyménée en sa fin légitimeLui garde une maison de voluptés sans crime. PAULIN. Ce remède est si bon, que l'ayant proposé, Vous blâmeriez le Roi s'il en avait usé. PULCHÉRIE. Pourquoi ? PAULIN. Pour des raisons qui me sont assez claires. PULCHÉRIE. Possible en avons-nous qui sont toutes contraires.Tegnis, qu'en croyez-vous ? TEGNIS. Que sans vous offenser[Note : Penser : nom masculin au XVIIème pour « pensée ».]Il ne peut concevoir un semblable penser, Ni le mettre en effet sans vous faire une injure. PULCHÉRIE. Rien moins. PAULIN. Rien moins Madame ! PULCHÉRIE. Oui, Paulin, je vous jure. PAULIN. Je ne craindrai donc plus de vous entretenirDu sujet qui m'arrête et qui m'a fait venir,Sans tenir plus longtemps votre esprit en balance, Son amoureuse fièvre a tant de violence,Et de si chauds désirs redoublent ses accès,Qu'il n'en faut plus attendre un vulgaire succès.Au point où j'ai connu que sa flamme le range,Elle nous produira quelque chose d'étrange ; Non d'injuste pourtant, et dont le souvenirSoit de mauvaise odeur aux siècles à venir.Il veut, lassé d'un sort qui devient toujours pire,[Note : Parque : Déesse qui selon les anciens païens, préside à la vie des hommes. [T]]Que les mains de la Parque achèvent son martyre,Ou que celles d'Hymen couronnent ses amours : Ce sont des vérités que ses propres discours,Tous confus qu'ils étaient, m'ont assez témoignées. TEGNIS. Ces deux extrémités sont beaucoup éloignées,Un miracle d'amour les peut joindre pourtant. PULCHÉRIE. Et que ne fait-on point pour se rendre content ? Théodose a raison. Pulchérie en sa placeÉchaufferait ainsi cette Beauté de glace,Achetant par le prix d'une telle actionSa vertu, sa personne, et son affection :Mais sans dissimuler, croyez>vous que sa flamme Aille jusqu'à ce point ? PAULIN. Oui, je le crois, Madame.Ma bouche en dirait plus, si pour l'en empêcherJe n'avais dans le coeur la peur de vous fâcher. PULCHÉRIE. Je vous ai, déjà dit que je parlais sans feinte ;Ouvrez-vous donc à moi sans réserve et sans crainte. En cette occasion que craignez-vous pour moi ?Ai-je offensé l'Amour, ai-je fâché le Roi,Ou suis-je en sa disgrâce ? PAULIN. Aussi peu l'un que l autre.Loin d'être en sa disgrâce, il craint d'être en la vôtre,Et que blâmant l'ardeur dont son coeur est épris, Vous ne soyez contraire au dessein qu'il a pris. PULCHÉRIE. Quel dessein a-t-il pris ? PAULIN. D'assoir un diadèmeSur le pudique front de la beauté qu'il aime. PULCHÉRIE. Il veut donc l'épouser ? PAULIN. N'en doutez nullement. TEGNIS. Ô Dieu ! PAULIN. Suivant mon ordre et son commandement Je venais de sa part assurer votre Altesse,Qu'il trouve dans sa joie un sujet de tristesseQuand sa crainte lui dit, afin de l affliger,Que ce qu'il entreprend vous peut désobliger. PULCHÉRIE. Vous pouvez hardiment l'assurer du contraire, Un Hymen qui lui plaît ne me saurait déplaire,Et loin de m'opposer à son contentement,J'y donne mon suffrage et mon consentement.Où le trouverez-vous ? PAULIN. Possible à votre porte,Où seules sans repos il attend que je sorte. Je vais donc, s'il vous plaît, le tirer de souci. PULCHÉRIE. Allez . PAULIN. Dans un moment vous le verrez ici. SCÈNE II. Pulchérie, Tegnis. TEGNIS. Madame, à dire vrai, je suis bien étonnée,Du coup prodigieux qui fait cet hyménée,Que de la complaisance à le faciliter Que vous-même avec joie, y semblez apporter. PULCHÉRIE. Vous ne croyiez donc pas que je fusse assez bonnePour agréer la soeur que mon frère me donne,Que son contentement me fut cher comme il est,Que ce qu'il entreprend fut mon propre intérêt, Qu'en obligeant autrui moi-même je m'oblige,Et qu'enfin cet Hymen, qui vous semble un prodige,Fait le plaisir du Roi son repos et le mien ? TEGNIS. Cet énigme d'État, ou je ne comprends rien,M'ôte la liberté d'enquérir davantage. Suffit que votre Altesse est parfaitement sage. PULCHÉRIE. Non, non, chère Tegnis, l'esprit que vous avez,Et vos fidèles soins tant de fois éprouvés,Veulent avec raison que vous soyez instruiteEt de nos intérêts et de notre conduite : Sachez qu'en cette affaire, entre nous résolu,L'Empereur ne veut rien que ce que j'ai voulu,Que j'avais commencé l'ouvrage qu'il achève,Et désigné le plan du trône qu'il élèveÀ cette inestimable et divine Beauté, Plus digne de l'encens que de la Royauté.À son premier abord je me sentis forcéeDe concevoir pour elle une bonne pensée,Et voulus que le Roi l'écoutât et la vit ;Afin que cet objet par deux sens le ravit. Ainsi par mon moyen fut la flamme allumée,Mais l'absence ou le temps l'eut réduite en fumée !Si je n'avais pris soin de lui représenter !Celle dont les beaux yeux la pouvaient irriter,Et de qui la rigueur, qui force Théodose ! En lui refusant tout, l'oblige à toute chose :Car enfin cet esprit traité plus doucement,Eut fait de son amour un long amusement.Au reste, en cet hymen dont mon âme est ravie,Avec mes intérêts je cache mon envie. Ainsi je le fais mieux et plus adroitement,Sans me rendre garant de son événement. TEGNIS. Ce chef d'oeuvre du Ciel est tel que vous le dites,Elle est riche d'honneur, d'appas et de mérites,Que sans trop de malice on ne peut envier, Et que sans trop d'envie on ne saurait nier : Mais sa condition est un puissant obstaclePour empêcher l'Amour d'achever son miracle,Et c'est, à mon avis, ce qu'on peut opposer.À cet illustre amant, qui la veut épouser. PULCHÉRIE. L'Amour comme la Mort égale toute chose. TEGNIS. si la raison d'Amour excuse Théodose,L'auguste Pulchérie, habile comme elle est,S'en doit-elle servir contre son intérêt,Procurant elle-même à sa maison Royale Une alliance obscure et si fort inégale ? PULCHÉRIE. Votre raisonnement vous abuse en ce pointQu'il met mon intérêt où je ne le mets point,Puisqu'une belle-soeur est un mal nécessaire.Que le bien de l'État est contraint de me faire. Mon intérêt se trouve à n'en point recevoirDe qui l'autorité balance mon pouvoir.Je sais qu'Athénais par mérite et par grâceD'une grande Princesse occupera la place :Mais lui devant céder en la gloire du rang, J'aime qu'elle me cède en la gloire du sang,Afin que cet orgueil, que la naissance inspire,N'approche point ses mains su Timon de l'Empire TEGNIS. Votre Altesse a raison, et je pense en effetQu'elle reconnaîtra l'honneur qu'elle lui fait : Mais quand les fruits d'Hymen l'auront bien établie,Je crains que son devoir à la fin ne s'oublie,Que ce puissant Esprit méprisant vos leçons,Ne tourmente la vôtre en beaucoup de façons,Et qu'au gouvernement sa force ou son adresse Ne vous la rende un jour ou compagne ou maîtresse. PULCHÉRIE. On la verra toujours d'un Empire pareilMaîtresse dans le trône, et moi dans le Conseil.Elle a trop de prudence, et l'âme trop bien faite,Pour se mêler de rien si je ne le souhaite. Mais voici notre amant. SCÈNE III. Théodose, Pulcherie, Paulin, Tegnis. THÉODOSE. Est-il vrai, chère soeur,Voulez-vous consentir à la paix de mon coeur ?Parlez, et d'un langage éloigné de la feinte.Achevez, d'arracher les restes de ma crainte. PULCHÉRIE. Ne craignez pas, Seigneur, qu'un jugement bien sain Ose au puisse blâmer votre amoureux dessein. THÉODOSE. S'il est à votre sens absolument contraire,Je ferai tous efforts afin de m'en distraire,Mais quoi ? Tous mes efforts seront de peu d'effet. PULCHÉRIE. Il est selon mes sens et selon mon souhait ; L'équité le soutient, l'honneur le favorise,La Terre le demande et le Ciel l'autorise :Elle n'a pas des Rois pour ses prédécesseurs,Mais enfin elle est noble et de sang et de moeurs :Pour son honnêteté vous l'avez éprouvée, Et puis un vertueux l'a toujours élevée,Un sévère Léonce, un père plein d'honneur,Dont l'étude a produit et prévu son bonheur. PAULIN. Moi-même plusieurs fois je me suis enquis d'elle.Par un certain Ménandre, homme adroit et fidèle : Et tout ce que Ménandre en a toujours appris,A toujours confirmé son estime et son prix. PULCHÉRIE. Avant qu'à mon service elle fut retenue,sa réputation m'était déjà connue. TEGNIS. Je recherchai sa vie avec beaucoup de soins. THÉODOSE. Son procédé tout seul me vaut mille témoins.La vertu qui résiste à l'amour d'un Monarque,Lui donne de sa force une assez bonne marque :Mais voyons de ses yeux les aimables clartés. PULCHÉRIE. Appelez-la, Tegnis. TEGNIS. Athénaïs, sortez. THÉODOSE. Au milieu de mes feux je frissonne, je tremble,Je souhaite sa vue, et la crains tout ensemble. PAULIN. Elle entre. THÉODOSE. Sa froideur augmente mon amour. PULCHÉRIE, à Athen. Attendez en ce lieu mon ordre ou mon retour. ATHÉNAÏS. Mais, Madame... PULCHÉRIE. J'entends ce que vous voulez dire. Entretenez le Roi, si le Roi le désire. ATHÉNAÏS. Que Tegnis pour le moins... PULCHÉRIE. Non, n'appréhendez, rien,Outre que votre honneur est à l'ombre du mien,Il est seul et sans arme assez fort de lui-mêmesous le règne et la foi du Prince qui vous aime : Donnez donc quelque chose à son contentement, SCÈNE IV. Théodose, Athénaïs. THÉODOSE. Plutôt que de devoir à son commandementLe plaisir que mon coeur goûte en votre présence,Que ne le tiens-je au moins de votre complaisance ? Mais hélas ! Quel espoir peut flatter mon ennui, Si j'en suis redevable à la faveur d'autrui ?Ô chère Athénaïs, des beautés la merveille !Quel destin vous contraint, quel esprit vous conseille De traiter Théodose, et son affectionAvec tant de mépris ou tant d'aversion ? ATHÉNAÏS. Il doit croire pourtant que j'ai pour sa personneLe zèle et le respect que le devoir m'ordonne ;Et si je suis l'objet des voeux d'un si grand Roi,J'estime cette grâce autant que je le dois. THÉODOSE. Il semble à vos discours que vous doutez encore Si j'ai pris dans vos yeux le feu qui me dévore :Mais je forme un dessein qui vous va mettre au point.De répondre à ma flamme, ou de n'en douter point. Après ce rare effet de l'ardeur qui me brûle .Vous pourrez être ingrate, et non pas incrédule, Et vous ne feindrez plus d'ignorer mon tourment,De peur d'être obligée à mon soulagement. ATHÉNAÏS. Quand vous me convaincriez d'être assez malheureusePour exciter en vous cette ardeur amoureuse,Pourriez-vous inférer avec juste raison Que je sois obligée à votre guérison ?si ce n'est en tuant par votre prompte absenceUn feu de qui ma vue eut causé la naissance. THÉODOSE. C'est avec ce remède, et me traitant ainsi,Que vous tueriez le mal et le malade aussi. ATHÉNAÏS. Le temps chasse l'amour du coeur le plus sensible,Le remède en est lent, mais il est infaillible. . THÉODOSE. Loin de me soulager, et loin de me guérir,Pour peu que j'en usasse il me ferait mourirC'est de vous que dépend, et non point d'aucun autre, Le bonheur de ma vie et celui de la vôtre,Au moins si votre sort peut être bienheureuxPar les sceptres offerts d'un Roi bien amoureuxQui sans vous amuser de promesses frivolesEst tout prêt d'accorder les effets aux paroles, Et le sang de Léonce à celui de Trajan. ATHÉNAÏS. Mais des roseaux du Nil aux cèdres du Liban,Le rapport est plus grand et la distance moindre. THÉODOSE. L'Amour nous rend égaux, et l'hymen nous peut joindre. ATHÉNAÏS. Ce miracle est possible, et non pas apparent. THÉODOSE. Ma soeur à son retour en sera garent,Consentez, seulement, et sans faire autre chose,Laissez agir pour vous l'amour de Théodose. ATHÉNAÏS. Je ferais une injure à votre MajestéSi je la soupçonnais de peu de vérité, Je crois que ses discours ont le don des Oracles.Comme ses actions ont celui des miracles,Par tout votre puissance éclate également,Et l'obstacle en ceci vient de moi seulement,Qui ne puis contempler la fortune où vous êtes, Sans craindre en même temps l'honneur que vous me faites.Quelle amour ! Quel esprit ! Quelle présomptionÉloignerait de moi cette appréhension ?Puis-je avoir tant de biens sans en être accablée,Ni voir tant de splendeur sans en être aveuglée ? Le destin de Sémélé en un sujet pareil,Me doit servir ici d'exemple et de conseil.Mais quand la vanité m'aurait pu faire accroîtreQue je puis supporter l'éclat de votre gloire,Ce feu prodigieux qui contre mon dessein D'une si vive ardeur vous embrase le seinPar un effet du temps trop justement à craindre,[Note : Alentir : Rendre plus lent. [L]]Peut-il pas à la fin s'alentir ou s'éteindre ?Y pourrait-on pas voir succéder quelque jourLe mépris à l'estime, et la haine à l'amour ? Ce malheur qui possible irait jusqu'au divorce,De toute ma constance épuiserait la force,Et l'état déplorable où je serais alors,Me ferait envier la fortune des morts,Non pour me voir tomber par une chute étrange Du Trône Impérial au milieu de la fange :Alors le seul regret de m'éloigner de vous,Serait entre mes maux le plus cruel de tous.Car alors mon devoir autorisant ma flamme,Je serais triste amante et malheureuse femme. THÉODOSE. Ainsi que mon désir c'est mon opinion,Que la mort seulement rompra notre union.Mais que je suis raui de vous voir disposéeÀ répondre aux transports de mon âme embrasée !Montez, montez sans crainte au sommet des grandeurs, Et souffrez que mes feux surmontent vos froideurs. SCÈNE V. Pulchérie, Tegnis, Théodose, Ayhénaïs. PULCHÉRIE. Quoi ? D'une défiance à la fin importune,Résiste-t-elle encore à sa bonne fortune ?Oui, chère Athénais, donnez sur notre foi,Celle que vous devez aux paroles du Roi, Qui brûle d'acquérir au prix d'une couronneLe don de votre amour et de votre personne. ATHÉNAÏS. Mon zèle, mon estime autant que mon devoir,Vous donne sur vous deux un absolu pouvoir. PULCHÉRIE. Et ie vous donne aussi par zèle et par estime Au pouvoir absolu d'un amant légitime,Tour régner en sa couche, et prendre de ses mainsLe sceptre qui régit la moitié des humains. ATHÉNAÏS. Dans l'admiration d'un si profond mystèreJe ne puis qu'obéir, adorer et me taire. THÉODOSE. Moi qu'admirer un don en beautés si parfait,Et baiser mille fois la main qui me le fait. PAULIN. Que son plaisir est grand ! TEGNIS. Que sa flamme est extrême ! THÉODOSE, à Athénaïs. Ô Dieu si vous m'aimiez autant que je vous aime !Mais que voulez-vous faire adorable Beauté ? ATHÉNAÏS. Embrasser le genou de votre Majesté. THÉODOSE. Levez-vous, et pensez que la foi conjugaleDoit rendre désormais notre fortune égale,Et que vous m'élevez, au faîte du bonheurComme je vous élève au sommet de l'honneur. ATHÉNAÏS. Donc en ce grand hymen les plus humbles voléesAux plus superbes monts se verront égaléesPar la seule vertu du plus grand des mortels. PULCHÉRIE. Il faut rendre au besoin ce qu'on doit aux autels,Surtout en un sujet de pareille importance. Allons du Tout-puissant implorer l'assistance,Afin qu'un bon succès couronne le desseinQui son divin esprit nous amis dans le sein. TEGNIS. Ô coup miraculeux d'Aour et de Fortune ?Depuis qu'on voit aux Cieux le Soleil et la Lune, En quel endroit du monde a-t-on ouï parlerDe rien qui te surpasse ou te puisse égaler ?Mais Phocas vient à moi, ce mystère le touche,Et je l'obligerai s'il l'apprend de ma bouche. SCÈNE VI. Phocas, Tegnis. TEGNIS. Vous venez, à propos pour entendre de moi Un discours merveilleux et bien digne de foi.Sachez qu'avec le Roi, la Princesse conspireD'élever ma compagne au trône de l'Empire. PHOCAS. Laquelle ? TEGNIS. Athénaïs, je ne me moque point.Adieu, votre fortune est grande au dernier point. PHOCAS, seul. Je connais sa famille, et prévois un obstacleQui peut absolument empêcher ce miracle :Mais en le découvrant, je ne ferais pas bienDe trahir son bonheur, et peut-être le mien. ACTE IV SCÈNE PREMIÈRE. THÉODOSE. stances. Au jour de la plus belle fête Où le flambeau d'hymen ait jamais éclairé, Un démon de l'Enfer contre moi conjuré Me souffle une horrible tempête, , M'éloigne et rend mal assuré, Un bien dont je touchais le faite Mêle à mes douceurs tant de fiel, Et met à mes désirs un si puissant obstacle, Qu'il est croyable que le Ciel Ne me peut rendre heureux s'il ne fait un miracle. Quelle aventure non prévue S'oppose injustement à mes justes plaisirs, Et m éloigne si fort du but de mes désirs, Que je le perds quasi de vue ! Unique objet de mes soupirs ! Savante Athénaïs de tant d'attraits pourvue ! Faut-il que l'Enfer et le sort Se déclarent nos adversaires, Et que nos deux esprits étant si bien d'accord Nos deux religions se trouvent si contraires ? Faut-il que de grossières fables Qui choquent la raison, l'honneur et le devoir Des Dieux sans connaissance ainsi que sans pouvoir. Et mille impostures semblables, Vous empêchent de recevoir Avec votre amitié des grandeurs véritables, Et connaître que dans nos mains Le sceptre est un plus fort tonnerre Que ceux dont Jupiter, ce père des humains, Au moins dans vos Romans épouvante la terre ? Coupable objet de ma vengeance, Dont le grand Constantin mit les Temples à bas, Les peines de l'exil, ou celles du trépas, Par une exacte diligence Vous banniront de mes États. Restes d'idolâtrie, abominable engeance, Mais, ô monstre indigne du jour ! Paganisme, chimère vaine, Le mal que ton erreur apprête à mon amour Passe bien tous le maux que j'apprenne ma haine. Mais quelqu'un vient à moi de cet endroits fatal, D'où j'attends avec crainte ou mon bien ou mon mal :C'est Tegnis qui rapporte une faible espéranceDu lieu de l'assemblée et de la conférence,Sache d'un même temps? et d'un même rapportL'état de la dispute et celui de ton sort. SCÈNE II. Théodose, Tègnis. THÉODOSE. Que me rapportez vous ? Que venez vous m'apprendre ?Ne l'a-t-on point réduite aux termes de rendre ? TEGNIS. Sire, malaisément en viendra-t-on à bout.Sans le secours du Ciel, dont la force peut toutCar votre Majesté n'a plus d'habiles hommes Qu'à la confusion de tout ce que nous sommes,Ce merveilleux esprit n'ait sans doute lassé,Et que par aventure il n'ait embarrassé,Tant sa vivacité paraît ingénieuseÀ défendre une erreur qui la rend malheureuse. Les savant Hermodore, et le grand Fortunat,Plus vaincus que vainqueurs sont sortis du combat :Mais Paulin maintenant qui dispute avec elle,Oppose à ses raisons la raison naturelle,Et par la seulement prétend lui faire voir, Que Mars et Jupiter sont des lieux sans pouvoir,Dont l'histoire fertile en dangereux exemples,Autorise le crime et le met dans les Temples.Si bien que de la grâce et de l'air qui s'y prend.Il en faut espérer quelque chose de grand. THÉODOSE. Il faut désespérer jusqu'à la moindre chose,Puisque le Ciel lui-même mon bonheur s'oppose,Me donnant comme il fait un obstacle à forcer,Dont la religion ne me peut dispenser .Ha ! Quel tempérament à l'excès de ma joie ? Ce bizarre accident me suscite et m'envoieSur le point de jouir d'un trésor amoureux,Qui seul me pouvait rendre absolument heureuxCe malheur non prévu, que l'Enfer a fait naître,Retarde notre hymen, et l'empêche peut-être. Vouloir ce que je veux, pouvoir ce que je puis,Elle être ce qu'elle est, et moi ce que je suis,Tous deux pour même chose avoir la même envie,Et qu'elle ne soit pas de son effet suivie.Ô Ciel qui m'entends plaindre, et non pas murmurer ! De quel heur un mortel se peut-il assurer ?Faut-il que des Phoebus, des Mars, et des Hercules,Du véritable Dieu, fantômes ridicules,Eux qui ne sont que bois, que pierre et que métal,Cessent d'être impuissants pour me faire du mal. De quel trait de douleur mon âme percéeAlors qu'elle m'apprit son erreur insensée ?Sa voix fut un poignard qui m'entra dans le sein Je changeai de couleur, mais non pas de dessein,Et mêlant à ma flamme une vertu chrétienne, Plaignis également sa disgrâce et la mienne. TEGNIS. Elle est digne en effet de plainte et de pitié,Puisqu'elle perdrait tout perdant votre amitié. THÉODOSE. Son erreur pour le moins lui fermerait la portePar où l'on peut venir aux sceptres que je porte, Et par les droits d'hymen partager avec moiLa gloire, la puissance, et le titre de Roi.C'est pourquoi de ce pas retournez auprès d elleLui rendre les devoirs d'une amitié fidèle.Dites-lui qu'elle peut, apprêtant de combats Avec gloire et profit mettre les armes bas,Et qu'il s'agit ici de l'infaillible perteOu du gain assuré d'une couronne offerte. TEGNIS. La parole et l'aspect de votre MajestéAuraient bien plus de force et plus d'autorité. N'obéis toutefois à ce qu'elle m'ordonne. THÉODOSE. Sachant que mon aspect la contraint et l'étonne,Je ne veux point ravir à son entendementLa liberté d'élire, et d'agir librement.Dans la Religion la contrainte est un crime. En celui qui la souffre, et celui qui l'imprime.Je ne demande point qu'elle donne les mainsÀ l'indigne respect des intérêts humains,La créance est trop pure, et la chose trop saintePour être profanée ou d'espoir ou de crainte. Mais que sans s'obstiner contre la vérité,Elle ouvre seulement les yeux à la clarté,Qui doit chasser la nuit de son idolâtrie ,C'est à quoi je l'exhorte, et de quoi je la prie,De tout ce triste coeur qui souffre nuit et jour. Les glaces de la crainte et les feux de l'Amour.Comme j'ai pris en vous beaucoup de confiance,J'ai pour votre retour beaucoup d'impatience.À quoi se résoudra cet orage imprévuAu jour le plus serein si puissamment émue ? Grand Dieu dont la sagesse est une mer profonde !Achevez pour le Ciel ce miracle du monde,Qui ferait tout mon bien, et serait sans défautsi pour vous seulement il croyait ce qu'il faut.Ô créance ! Ô lumière et tous deux nécessaires, Mais ma soeur qui sans cesse a le coeur aux affaires,M'en vient entre tenir assez hors de propos. SCÈNE III. Pulchérie, Théodose. PULCHÉRIE. Seigneur, voici de quoi vous donner du repos,L'orgueilleux Baranes défait en deux batailles,Et réduit maintenant à garder ses murailles, Ennuyé de la guerre et des maux qu'elle a faits,Par ses Ambassadeurs vous demande la paix. THÉODOSE. Je demeure d'accord que la nouvelle est grande,Et que j'eusse acheté la paix qu'il me demande :Mais un autre succès d'un plus noble souci Me rend presque insensible au bien de celui-ci.Ma satisfaction ne peut être parfaite,Si d'un pire ennemi je n'apprends la défaite. PULCHÉRIE. Qui prenez-vous encore pour un pire ennemi ? THÉODOSE. Ce vieux monstre d'erreur que l'Enfer a vomi, Et qui sans le secours d'un esprit tout célesteAurait déjà perdu la force qui lui reste,Aux pieds de la raison dès longtemps étendu,Si d'une Athénaïs il n'était défendu.C'est la seule victoire ardemment souhaitée, Qui peut rendre le calme à mon âme agitée,Et qui doit enfanter, s'il faut parler ainsi,La paix de l'Empereur et de l'Empire aussi :Car que mes légions par tout victorieuses,Établissent partout mes lois impérieuses, | Si de cet adversaire on ne vient point à bout,Avec tous mes lauriers je suis vaincu partout.Que la paix de mon règne, aussi craint qu'il est juste,Égale mon printemps à l'automne d'Auguste,Si de cet ennemi je ne reste vainqueur, J'aurai toujours la guerre au milieu de mon coeur. PULCHÉRIE. Si pour rendre à votre âme et la joie et le calme,Il ne vous manque plus qu'à gagner cette palme,Croyez assurément que vous l'emporterez,Et soient tous les démons contre vous conjurés, Peuvent-ils surmonter la puissance suprême,Qui dans votre parti s'intéresse elle-même.C'est la cause du Ciel qu'on dispute aujourd'hui,En travaillant pour vous il travaille pour lui,Sa main, qui peut tirer la clarté des ténèbres, Gagne quand il lui plaît des combats plus célèbres.Que l'Enfer qui s'oppose à vos contentementsEn retarde le cours par mille empêchements,Il saura bien forcer toutes sortes d'obstacles. THÉODOSE. Je sais bien que le Ciel peut faire des miracles, Mais après quatre jours en dispute passées,Et nos plus forts esprits ou défaits ou lassés,Pour vaincre absolument cette belle adversaire,Il faut un coup du Ciel qui ne soit pas vulgaire. PULCHÉRIE. Paulin qu'on croit habile, et qui l'est en effet, La gouverne autrement que les autres n'ont fait.D'un esprit complaisant qui surprend et qui charme,Il s'empare du sien, le force et le désarme,La combat sans orgueil, la reprend sans aigreur,Et sans l'effaroucher lui montre son erreur : Au lieu de l'étourdir, au lieu de la confondre,Lui donne l'assurance et le temps de répondre,Entre dans ses raisons, et les élève exprès,Pour plus utilement les renverser après,Prend de sa propre main les flèches qu'il lui tire Et par des arguments qu'on ne peut contredire,Tirez, de la Morale et du raisonnement, .Au lieu de l'éblouir l'éclaire doucement :Si bien qu'apparemment c'est de là que j'espèreEn votre âme et la sienne un changement prospère. Je voudrais cependant que votre Majesté,Pardonner quelque joie a son coeur attristé,Allât voir la peinture agréable et diverse,Des drapeaux que la Thrace a gagnés sur la Perse,Tandis que Martian diligemment venu, Des affaires en gros me dirait le menu. THÉODOSE. Aux termes ou la crainte que notre âme réduite,N'attendez, rien de nous, ni de notre conduite.En l'état où je suis l'État n'a point de Roi,Il souffle maintenant un interrègne en moi, Sensible seulement à l'amour qui me touche, Et pour tout autre soin une insensible souche.Laissez-moi donc en paix, ne me contez pour rien,Agissez, toute seule, et vous agirez bien,Mais on ouvre la chambre ou mon sort se décide. Que j'ai d'impatience, et que je suis timide !Venez-vous m'annoncer la vie ou le trépas ? SCÈNE IV. Tegnis, Théodose. TEGNIS. Je viens vous annoncer que vous n'en mourrez pas. THÉODOSE. On a donc converti mon aimable infidèle. . TEGNIS. Recevez-en de moi l'agréable nouvelle. THÉODOSE. Est-il bien vrai, Tegnis, ne me trompez-vous point ?Ici la défiance à la raison se joint,Et ce n'est pas en moi qu'il est juste de direQue l'on croit aisément les choses qu'on désire. TEGNIS. Ma parole vers vous a bien peu de crédit. THÉODOSE. Ô Dieu qu'à cet aspect je demeure interdit ? SCÈNE V. Paulin, Athenaïs, Théodose, Tegnis. PAULIN. Sire, après un combat des longue durée,La victoire à la fin est pour nous déclarée.Voici cet ennemi si redoutable aux coeurs,Dont nos raisonnements sont demeurés vainqueurs. ATHÉNAÏS. Oui, l'honneur des Césars, mon abus rend les armes. THÉODOSE. C'est plutôt ma raison qui les rend à vos charmes.Madame, levez-vous. ATHÉNAÏS. Non divin Empereur,Que je n'aie à vos pieds abjuré mon erreur,Et que votre bonté ne me l'ait pardonnée. THÉODOSE. Par la main de l'Amour grâce est signée,Cessez donc de troubler le plaisir que je sens .Par de fâcheux respects à tous deux indécents. ATHÉNAÏS. Quelles soumissions peuvent être assez grandesPour vous à qui je dois d'éternelles offrandes ? Vous qu'en toute rencontre, en tout temps, en tout lieu,Il me faut adorer comme un visible Dieu. THÉODOSE. Ce discours ne dit pas que vous soyez guérie En riant.Du mal du Paganisme et de l'idolâtrie : On voit encore en lui de grands restes d'abus Tour la Religion de Mars et de Phoebus. ATHÉNAÏS. La nuit de mon erreur est trop bien dissipéePour croire que jamais j'y sois enveloppée.J'ai ce bienfait du Ciel, de vous et de Paulin,Qui tous pour mon salut ayant eu même fin, Par différents moyens avez fait même chose.Oui la bonté du Ciel, l'amour de Théodose,Et l'esprit de Paulin, plus clair que le soleil.Ont fait pour ma fortune un miracle pareil. THÉODOSE. Ha Paulin ! Quel efforts faudrait-il que je fisse, Pour payer dignement un si digne service ?Que pourriez-vous attendre ou recevoir de moi,Qui ne fût au dessous de ce que je vous dois ?Pour un si grand bienfait la terre est trop petite :C'est le Ciel seulement qui m'en peut rendre quitte. ATHÉNAÏS. Et moi, que le bienfait oblige absolument,Je le reconnaitrai du désir seulement,Si le Roi qui peut tout, et sait mon impuissance,Ne se charge pour moi de la reconnaissance. PAULIN. Quand de vos souvenirs je serais effacé, Suis-je pas trop heureux et trop récompenséD'être en la main de Dieu l'instrument honorable ; Dont il fait un miracle à la terre adorable ?Ai-je pu trop d'honneur d'avoir illuminéCe merveilleux esprit, ce bel aveugle né Qui n'avait jamais vu la lumière céleste,Bien qu'il en soit lui-même un rayon manifeste ? TEGNIS. Sans ravir à Paulin ce qu'il a mérité,Et sans au Ciel avec impiétéThéodose lui seul a causé ce me semble, Un effet aussi grand que tous les deux ensemble,Puisque par son amour il a pu disposerEt le Ciel et Paulin à nous favoriser. THÉODOSE. Pour suivre de Tegnis l'obligeante pensée,Si délicatement à ma gloire énoncée, Je dirai que le Ciel a fait pour mon reposCe qu'il fit autrefois pour fendre le chaos.Le monde à sa naissance était (s'il en faut croireLes contes que la fable a forgé sur l'histoire) L'ouvrage le plus noble et le mieux achevé, Où le Ciel eut encor son travail éprouvé : .Sa beauté toutefois, de tous points accomplie,Dans une nuit profonde était ensevelie,Et le serait encor si le flambeau d'AmourN'eut répandu sur lui la lumière du jour : En cette occasion l'aventure est pareille,Le Ciel a fait en vous sa plus rare merveille.Mais à tant de beautés, et d'ornements divers ,Il manquait la lumière ainsi qu'à l'Univers ;À la fin, grâce à Dieu, l'Amour vous la donnée ; Et depuis que votre âme en est illuminée,On dirait que vos yeux ont pris à même temps,Des rayons bien plus vif et bien plus éclatants.Soit charme, soit miracle, ou raison naturelle,Je vous trouve depuis plus brillante et plus belle, Les grâces de l'esprit embellissent le corps,Et les feux au dedans éclatent au dehors.Si bien que mon amour est la cause premièreDe votre changement en ange de lumière. ATHÉNAÏS. Que ne puis-je oublier l'erreur où j'ai vécu ? Ô fortuné combat, ou mon esprit vaincuDans sa confusion a rencontré sa gloire,Et gagné le triomphe en perdant la victoire ! THÉODOSE. Dites, dites encore, ô combat fortuné,D'où l'on voit revenir le vaincu couronné ! La pensée en est juste, et la couronne est prête,Qu'aujourd'hui notre hymen vous mettra sur la tête. ATHÉNAÏS. Sire, pour mon repos et votre propre honneur,Éloignez de trois jours l'effet de mon bonheur.Faites-moi cette grâce, accordez-moi ce terme, Afin que ma créance en demeure plus ferme. THÉODOSE. Trois jours pour un amants ont bien tard écoulez,J'y consens néanmoins, puisque vous le voulez :Mais mandons à ma soeur, ou lui portons chez elle,De mon dernier bonheur la première nouvelle./ ACTE V SCÈNE PREMIÈRE. Tegnis, Phocas. TEGNIS. L'Empereur (dites-vous) en sa chambre enfermé,Sous un ennui secret a le coeur opprimé.Mais dans l'aise et la paix que lui donne sa flamme,Rien ne peut, ce me semble, importuner son âme,Et le mal de Paulin, qu'il soient de visiter, N'est pas si dangereux qu'il s'en doive attrister.De moi, si mon penser se peut dire sans crime,Je craindrais (et ma crainte est assez légitime)Que le sort de l'amante, ou son retardement,N'eust mis quelque froideur en l esprit de l'A- PHOCAS. La Fortune et l'Amour ont si peu d'assurance,Sa longueur est fâcheuse, et le Prince en effetPeut trouver de dégoût au dessein qu'il fait. TEGNIS. Possible ce désordre est venu d'autre chose,Et bientôt Pulchérie entrouvera la cause Nous allons de ce pas le luy faire savoir,Afin que de bonne heure elle y puis pourvoir. PHOCAS. Et moi, je me retire où ma charge m'appelle.Je vois Athénaïs, et le Prince avec elle. SCÈNE II. Théodose, Athénaïs. THÉODOSE. Sors d'ici malheureuse, et n'y rentre jamais. Mon oreille et mon coeur te sont clos désormais. ATHÉNAÏS. Puisque votre justice en coupable me traite,Quelle m'apprenne au moins la faute que j'ai faite.C'est le dernier effet de grâce et de bonté,Que j'attends à genoux de votre Majesté. THÉODOSE. Ta faute est volontaire, et tu l'as ignorée,Va, retourne au néant, d'où je t'avais tirée,Impudente, indiscrète, et peu chaste beauté,Qui joins l'ingratitude à la déloyauté.Adieu, je ne veux plus, ni te voir ni t'entendre. SCÈNE III. ATHÉNAÏS, seule. En cette obscurité quel flambeau dois-je attendre,Qui m'éclaire assez bien pour ne rencontrer pasLe précipice ouvert où s'adressent mes pas ?Chère Philosophie, à mon aide appelée,Hâte-toi d'appuyer ma constance ébranlée, Un illustre laurier veut d'illustres efforts,Mon malheur est puissant, mes ennemis sont forts,L'injuste Théodose et l'aveugle fortune,Font à mon innocence une guerre commune,Ma raison étonnée implore ton secours, Soutiens la donc ici de tes plus forts discours,Afin que nous vainquions en ce combat de marque,Et l'aveugle Déesse, et l'injuste Monarque,Tous doux en un instant contre moi déclarésEt d'amis qu'ils m'étaient, mes ennemis jurés, Qui me causant tous deux de sanglantes alarmes,M'assaillent cependant de différentes armes.Les traits de la fortune attaquent mon bonheur,Les traits de Théodose attaquent mon honneur,Celle-là me rabaisse, et celui-ci m'opprime, L'une fait ma misère, et l'autre fait mon crime,Imputant comme il fait à ma déloyautéLe trop visible effort de sa légèreté.Ha ! Prince qui sans cause, et peut-être sans peineAvez, sitôt passé de l'amour à la haine, Qu'il est aisé de voir à vos feux inconstantsQue si vous aimez fort vous n'aimez pas longtemps :Et que c'est bien en vous une chose assurée,Que l'amour violente est de courte durée.Ô Dieu ! Qui l'eut pu dire ou penser seulement, Qu'une amitié belle en son commencement,Si sainte en son progrès, en tous les deux si forte.À moins que d'un prodige eut fini de la sorte,Ce merveilleux désordre éclate néanmoins,C'est une vérité dont mes yeux sont témoins, Tant l'espérance est faible alors qu'elle se fondeSur la grâce ou l'amour des plus grands Rois du monde.Ô trop volage amant, et trop injuste Roi.Vous cherchez un prétexte à manquer de foi,Le sort d'Athénaïs fait honte à Théodose, Il hait de ses transports les effets de la cause :Mais pour m'avoir aimée avec aveuglément,En dois-je être punie avec ressentiment ? Pour vous avoir paru trop aimable et trop belle,Devez-vous me haïr, dois-je être criminelle ? Et l'éclat que mes yeux pour les vôtres ont euDoit-il faire obscurcir celui de ma vertu ?Non, je n'ai point usé pour allumer vos flammesD'artifice, de fard, ou de moyens infâmes,Pour gagner votre esprit, je n'ai point exercé Le métier de Médée, ou celui de Circé,Ni murmure sur vous les puissantes paroles,Que la magie enseigne en ses noires écoles,Si vous eûtes pour moi des transports indécents,J'ai toujours eu pour vous des charmes innocents, Et si votre âme auguste est encor indignéeDe l'excessive amour qu'elle m'a témoignée,Outragez mon visage en le défigurantPlutôt que ma pudeur eu me déshonorant,Et ne déguisez plus votre humeur inégale, En m'appelant peu chaste, ingrate et déloyalePuis qu'il est assuré que je ne suis rien moins,Par la terre et le ciel que j'en prends à témoins,Va retourne au néant d'où je t'avais tirée :Mais plutôt à la paix que tu m'as procurée, Inconstant, qui me rends avec la liberté,Le repos de l'esprit que tu m'avais ôté.Oui ton affection ou feinte ou véritable,A tant gagné sur moi que tu m'es regrettable,Et mon coeur qui jamais ne t'a manqué de foi, [Note : Déprendre : Fig. Détacher, faire qu'on ne soit pas attaché. [L]]Ne saurait quasi plus se déprendre de foi,Il le fera pourtant, la raison l'y convie,Quand même cet effort lui coûterait la vie, Touchant à son coeur.Sors d'ici Théodose, et n'y rentre jamais,Mon oreille et mon coeur te sont clos désormais, Mais quelqu'un vient ici SCÈNE IV. Pulchérie, Athenais, Tegnis. PULCHÉRIE, parlant à une foule de monde. Donnez vous patience,Et demain s'il se peut vous aurez audience,Vraiment je n'en puis plus de son entretien,L'esprit d'Athenais ne délasse le mien,Mais votre émotion marque une âme troublée. ATHÉNAÏS. On peut dire d'ennuis, et de maux accablée. PULCHÉRIE. Que dites vous ma soeur, parlez vous tout de bon ? ATHÉNAÏS. Il n'est plus à propos que j'aie un si beau nom,Je suis Athénaïs, et le grand Théodose,N'a pas voulu souffrir que je fusse autre chose ! PULCHÉRIE. Dieu ! D'où cet accident nous peut-il arriver ? TEGNIS. N'est-ce point que le Roi la voudrait éprouver ? ATHÉNAÏS. Vous tomberiez d'accord sachant sa procédureQu'amour ne souffre point une épreuve si dure. PULCHÉRIE. Un si prompt changement m'étonne au dernier point, J'en recherche la cause, et ne la trouve point. ATHÉNAÏS. Depuis une heure encor j'étais dans sa penséeEn l'état glorieux où vous m'aviez placée,Il est venu lui-même avec toute sa courMe donner au jardin mille preuves d'amour, Traversant avec nous ce double rang d'alléesQui mènent dans le parc où nous sommes allées,Je dis nous, car Tegnis était avecques moi. TEGNIS. Oui, Madame. PULCHÉRIE. Et delà qu'est devenu le Roi,Qui s'en est approché depuis votre entrevue ? TEGNIS. Il n'a vu que Paulin si je ne suis déçue,On la vu revenir de son appartement,D'un air qui témoignait du mécontentement,Et s'enfermer après dans la chambre Royale. ATHÉNAÏS. C'est là qu'à son retour m'appelant déloyale, Par un arrêt injuste autant que surprenant,Il m'a mis en l'état où je suis maintenant : Car vous saurez, du temps, Princesse généreuse,Que je suis innocente autant que malheureuse. PULCHÉRIE. Ce n'est pas de Paulin que ce mal est venu. ATHÉNAÏS. C'est à mon désespoir ce qui m'est inconnu. - . PULCHÉRIE. Vous les aurez pourtant avant que le jour passe. ATHÉNAÏS. J'attends encor de vous cette dernière grâce. PULCHÉRIE. J'attends encor de vous cette dernière grâce. TEGNIS. Certes son infortune est digne de pitié. PULCHÉRIE. J'ai trop étudié l'esprit du Roi mon frèrePour m'opposer de front au cours de sa colère,Son âme courroucée est un torrent de feuQu'on ne peut arrêter qu'en lui cédant un peu !À travers ses transports je verrai le nuage Où la noire vapeur qui forme cet orage,Et si j'en ai perdu toute créance en lui,Vous aurez tout sujet de perdre votre ennui,Je vous plains, je vous aime, et suis assez puissante,Pour faire couronner votre tête innocente. Espérez seulement. ATHÉNAÏS. Je n'ai jamais douté,Ni de votre pouvoir ni de votre bonté,Mais avec tous les deux et ma pure innocence,Je crois que mon malheur vaincra votre puissance,Désistez donc Madame, et quittez, s'il vous plait Le soin de ma fortune et de mon intérêt,De la condition, et du coeur que nous sommes,Nous ne contraindrons pas le plus libre des hommes,Qui ne s'engage à rien, ou tout s'engage à lui,Maître de sa parole et de celle d'autrui, Qu'il m'ôte avec l'espoir d'un si grand hyménéeL'espoir de vivre heureuse et d'être couronnée :Mais qu'il me laisse au moins cet estimable bruitQu'on rétablit à peine après qu'on l'a détruit :C'est dans mon triste sort la faveur la plus grande, Que j'espère de vous et que je lui demande. PULCHÉRIE. Ma soeur encor un coup laissez, moi gouvernerAu retour de ma chambre où je vous veux mener,Je reviendrai chercher ce désordre en sa sourcePour avec moins de peine en arrêter la course. ATHÉNAÏS. Madame, au nom de Dieu, ne vous commettez pas. PULCHÉRIE. Venez, notre prudence est en juste compas. SCÈNE V. THÉODOSE. Je m'abandonne à vous, tragiques rêveries,Changez-vous, s'il se peut, en autant de furies.Théodose amoureux, Théodose Empereur, Ne vois que des sujets de haine et de fureur,Ses bienfaits oubliés, son amour abusée,Et son autorité peu crainte ou méprisée,Une infidèle épouse, un lâche favoriDont l'un trahit son Prince et l'autre son mari, Puisque tel se peut dire, après la foi donnée,L'amant dont le désir aspire à l'hyménée,Et qui voit désormais le but de son amourÉloigné seulement de l'espace d'un jour.Ô Ciel ! Pour ta justice et pour mon allégeance, Prends d'un forfait illustre une illustre vengeance ;Joins ta cause à la mienne, et me prête ton bras,Afin d'anéantir ces perfides ingrats :Mais l'excès de mon mal m'ôte la connaissance,Quand on cherche de l'aide on manque de puissance. Non, non, sans faire ici ni prières ni voeux,Voulant ce que je dois, je puis ce que je veux.Pourquoi du juste Ciel emprunter le tonnerre, 'Si je tiens en ma main les foudres de la terre,Le trépas, la prison, et le bannissement, Nécessaires effets de mon commandement ?Que la mort et l'exil soient donc les doux tempêtesDont nous allons tonner sur ces coupables têtesQue l'un des criminels, avec ses faux appas, .Soit puni de l'exil, et l'autre du trépas : Qu'elle aille reconnaître en quelque île déserteLa grandeur de son crime, et celle de sa perte.Cette ingrate beauté, que mes chastes ardeursTiraient de la bassesse au faîte des grandeurs,Qu'elle retombe en terre, où je l'avais trouvée, Cette vapeur légère aux astres élevéePar les puissants rayons d'un amour sans pareil,En cette occasion plus fort que le soleil :Qu'elle vive sans biens, sans repos et sans gloire,Et hors de mon estime, et hors de ma mémoire : Mais pour lui, cet Icare au désir effronté,Sur des ailes cire aux étoiles monté,Ce superbe Ixion, indigne de ma grâce,Qui jusque dans ma couche a porté son audace,Qu'il meure, et que sa mort soit aux audacieux Un sujet de l'opprobre des cieux.Ainsi tombants tous deux a une chuté commune,L'un en perdra la vie, et l'autre la fortuneMoi-même en les perdant, je me perds à mon tour,Malheureux dans la haine autant que dans l'amour. Je perds en les perdant le repos, et la joie,Me livre au désespoir dont je serai la proie,Et trouve en leur malheur, qui me fait malheureux,Plus de rigueur pour moi, que je n'en ai pour eux.N'importe, il faut punir sur eux et sur moi-même Mon extrême imprudence, et leur malice extrême.Je veux les châtier, et porter à la foisLa peine de leur crime et de mon mauvais choix. SCÈNE VI. Pulchérie, Théodose. PULCHÉRIE. Il faut absolument que je vous interrompe,Vous êtes seul pensif, et si je ne me trompe Vous avez dans l'esprit quelque important souci,À quoi pensez-vous donc, que faites-vous ici ? THÉODOSE. Ce que je fais, ma soeur, j'exerce ma constance,Et des fautes d'autrui je fais la pénitence. PULCHÉRIE. Vous voulez en effet quelque étrange dessein, Qu'avez-vous ? THÉODOSE. Ce que j'ai la mort dans le sein,Les glaces et les feux, la fureur et la rage,Mon coeur est de l'enfer l'épouvantable image,Et le vivant tableau des peines des damnés PULCHÉRIE. Ô Ciel, en m'affligeant que vous me surprenez ! Ne m'apprendrez-vous point avant que je vous quitteLe sujet d'un ennui que le silence irrite ? .Puisqu'il est en votre âme un aspic enfermé,Qui devient plus cruel et plus envenimé.Quelle est votre douleur, et d'où procède-t-elle ? THÉODOSE. D'un serviteur ingrat, d'une amante infidèle,Qui m'ont trahis tous deux, m'ont tous deux méprisé,Et la Religion dont ils ont abusé,Couvrants de l'entretien de nos plus saints mystèresCeux dont ils allumaient leurs flammes adultères. Je ne m'étonne plus si ces deux beaux esprits,De même passion également épris,S'enfumaient à l'envi de l'encens des louanges,Et s'élevaient l'un l'autre à la hauteur des anges. PULCHÉRIE. C'est possible un rapport aussi faux qu'odieux. THÉODOSE. C'est un rapport fondé sur la foi de mes yeux,Mon sort est comparable au sort du premier homme,Son malheur et le mien sont sortis d'une pomme. PULCHÉRIE. D'une pomme ? THÉODOSE. Oui, ma soeur. PULCHÉRIE. Que votre majesté.S'explique, s'il lui plaît, avec plus de clarté. THÉODOSE. J'avais à ce matin un fruit de cette espèce,Bien digne d'exercer les Muses de la Grèce,Et de les obliger à remettre en avantCes sujets que la fable a chanté si souvent.Trouvant donc cette pomme admirable et charmante, J'en ai fait un présent à cette indigne amante. PULCHÉRIE. Le malheur n'est pas grand. THÉODOSE. Écoutez ce qui suit.À quelque temps de là, lui parlant de ce fruit,(Voici mon désespoir, et sur quoi je le fonde)C'était (m'a-t elle dit) le plus beau fruit du monde, Oui (dis-je) mais je crois que vous l'avez perdu :Je l'ai mangé (Seigneur) m'a-t-elle répondu. PULCHÉRIE. Ce discours m'embarrasse et j'en prévois la suite. THÉODOSE. J'ai donc cru cette ingrate à l'artifice instruite,Et qui de ce mensonge eut pû se défier, Si le Ciel n'eut pris soin de le vérifier :Car passant chez Paulin, de qui la maladieVient de l'excès d'amour qui fuit sa perfidie,Je l'ai trouvé dormant d'un paisible sommeil,Qui très certainement eut été sans réveil, Si ma discrétion n'eut différé sa perte.Quand la fatale pomme à mes yeux s'est offerte,J'ai été quelque temps de tous mes sens perclus,Me cherchant en moi-même, et ne m'y trouvant plus,Le regard immobile et la triste pensée Entre l'étonnement et l'horreur balancée,Je me suis retiré dans mon appartement,Où notre déloyale a reçu de ma bouche.L'arrêt qui pour toujours la bannit de ma couche :Ne m'étant rien encor c'est assez la punir Que d'en perdre la vue et le souvenirMais pour toi, malheureux et détestable traître,Qui dressais une embûche à l'honneur de ton maître,Le poignard de Phocas, en te privant du jour,Éteindra dans ton sang le feu de ton amour. PULCHÉRIE. Seigneur, à dire vrai, la tempête est bien forte,Qui souffle en votre esprit, et s'émeut de la sorte :Mais seriez-vous marri qu'en vous disant trois mots,On apaisât d'un temps la tempête et les flots ? THÉODOSE. Hélas ! Plut-il à Dieu, divine Pulchérie, Que d'un mal si pressant mon âme fut guérie. PULCHÉRIE. Qu'elle ouvre seulement ses yeux à la raison,Puisque de sa clarté dépend sa guérison. THÉODOSE. Parlez, je vous écoute avecques patience. PULCHÉRIE. Pour vous tirer l'esprit de tant de défiance, Apprenez, s'il vous plaît, que ce fruit malheureux,Qui vous fait soupçonner quelque intrique amoureux,A passé par mon ordre et sous ma connaissance,Sans dessein, sans secret, et sans intelligence,Des mains d'Athénaïs en celles de Paulin, Qui sage comme il est n'en eût pas fait le fin,Si votre Majesté se fut donné la peineD'en tirer de sa bouche une preuve certainesVous-même exempt de mal qui vous trouble à présent,Auriez-vous pu lui faire un plus rare présent, Plus digne d'un malade, et plus cher à la vue,Que ce charmant sujet de soupçon qui vous tue ? THÉODOSE. Vous trompez, Théodose afin de le guérir. PULCHÉRIE. Croyez, que Pulcherie aimerait mieux mourir.Si ces deux malheureux, dont je prends la défense, Ont commis contre vous quelque secrète offense :S'ils sont ingrats, méchants, et coupables d'ailleurs,Je n'ai pas entrepris de les faire meilleurs.Perdez-les, vengez-vous, mais je suis obligéeDe consoler ici l'innocence affligée, De réparer le mal par mon ordre avenu,Et vous faire connaître un droit qui m'est connu. THÉODOSE. Ce que vous m'apprenez est-il bien véritable ? PULCHÉRIE. Oui, Seigneur, ou le Ciel me soit inexorable.Comment ? Croiriez-vous bien que contre votre honneur Je prisse le parti d'un lâche suborneur ?Pensez sur ce sujet, et pour toute autre chose,Que je suis Pulchérie et soeur de Théodose/ THÉODOSE. Mais comment accorder ce premier incidentAvec la vérité d'un mensonge évident ? PULCHÉRIE. Touchant votre présent, je crois que par surpriseLa pauvre Athénaïs à l'offense commise,Et qu'elle croit encor vous avoir obligéEn vous persuadant qu'elle l'avait mangé :Pour moi c'est ma pensée, et quoi qu'il en advienne, Ne doutez nullement que ce ne soit la sienne.Enfin, Athénaïs est coupable en effet,Mais c'est d'une imprudence, et non pas d'un forfait. THÉODOSE. Je vous crois, chère soeur et sur votre parole .Mon coeur triste et troublé se calme et se console. La foi de vos discours a détruit mes soupçons,Et de ma jalousie a fondu les glaçons :Mais il faut réparer le désordre et la honteQu'a pu faire en autrui cette fureur si prompte. PULCHÉRIE. Avant que de sa faute être mieux éclairci, Comment avez-vous pu la maltraiter ainsi ? THÉODOSE. C'est que pour mon malheur elle s'est présentéeAux premiers mouvements de mon âme irritée,C'est que la jalouse en donnant son poison ;Ôte le jugement et trouble la raison. . Allons donc et sachons ce qu'elle est devenue. PULCHÉRIE. Il est ici besoin d'un peu de retenue. THÉODOSE. Venez à moi, Tegnis. TEGNIS, sortant. On vient de m'appeler. PULCHÉRIE. Allez,dire à ma soeur que je lui veux parlerVite. Il est à propos et de la bienséance Que vous soyez, témoin de notre conférence,Afin qu'ayant ouï son discours et le mien,Votre esprit éclairci ne doute plus de rien,Puisque du grand César l'amante légitimeDoit être sans soupçon aussi bien que sans crime. THÉODOSE. Je crois qu'elle est sans crime, et le croirai toujours,Tant j'ai pris d'assurance en vos sages discours,Et tant la voix est forte et d'appas animée,Qui nous parle en faveur de la personne aimée. SCÈNE VII. Athénaïs, Puchérie, Tegnis, Théodose. ATHÉNAÏS. Votre commandement m'a fuit venir ici, Madame. PULCHÉRIE. Approchez-vous, c'est ma prière aussi,Ma soeur, et le désir de vous rendre contenteEn une occasion qui vous est importante :D'où vient, à votre avis, cette aveugle fureurQui ravageait tantôt l'esprit de l'Empereur ? Et d'où procède encor cet ennui qui le ronge ?Elle sort d'une pomme, elle vient d'un mensonge. ATHÉNAÏS. Ha, Madame ! Il est vrai j'ai pensé l'obliger,Et cru par un mensonge innocent et légerDonner à son présent une plus haute estime : Enfin c'est une erreur, mais ce n'est pas un crime.Le Dieu de Théodose, à qui rien n'est caché,Sait bien que mon honneur ne fut jamais taché,Et que le garde encor ma vertu soupçonnéePure comme elle était quand il me l'a donnée : C'est lui qui Tout-puissant, et tout juste qu'il est,Pour sa gloire et mon bien détruira, s'il lui plaît,Les injustes soupçons du plus grand des Monarques. PULCHÉRIE. En vain le juste Ciel nous donnerait des marquesDe l'innocente erreur de votre procédé, Puisque le Roi lui-même en est persuadéÀ croire pour le moins ce qu'il en fait paraître. THÉODOSE. Je le sais en effet autant qu'on le peut-être,Et l'esprit de tristesse et de honte abattu,J'abjure mon erreur aux pieds de la vertu. TEGNIS. Dieu quel effets d'amour ! PULCHÉRIE. Il est bon, ce me semble, De les laisser un peu s'entretenir ensemble. Elles rentrent. SCÈNE DERNIÈRE. Théodose, Athénaïs. THÉODOSE. Je ne demande plus, pour être satisfait,Que la grâce ou l'oubli du crime que j'ai faitDonnez-moi l'un ou l'autre, ô merveille amoureuse ! Et me faites heureux en vous faisant heureuse, ATHÉNAÏS. L'astre de mon bonheur a terminé son cours,C'est bien assez pour moi qu'il ait duré six jours,Suffit pour illustrer mon nom et ma misère,Et pour vérifier l'Oracle de mon père, Suffit quant aux grandeurs, qu'on me les a fait voir,Et ne les ayant pas que j'ai pu les avoir.Fuyons-la cette Cour, et cette vaine pompeDe qui le faux éclat nous attire et nous trompe ;Ce Dédale où l'honneur s'égare si souvent, Cette infidèle mer où l'on craint de tout vent,Où les moindres vapeurs enfantent des orages,Ou les plus grands vaisseaux font les plus grands naufrages,Où même dans le port mille inconnus rochersTrompent la suffisance et l'espoir des nochers. Il vaut mieux pour jouir d'une paix assurée,Retourner au néant, d'où vous m'avez, tirée. THÉODOSE. Dans l'aveugle chaleur de mon mal violentJe vous ai pu tenir ce langage insolentMais le genou il enterre et le remords en l'âme, Je me charge à mon tour de reproche et de blâme.Je suis lâche, indiscret, méchant et criminel,Digne de la rigueur d'un supplice éternel.La fureur toutefois, qui mon âme a saisie,Cette prodigieuse et prompte jalousie, Pourrait être obligeante à toute autre qu'à vous,Puisqu'un moins amoureux eut été moins jaloux. ATHÉNAÏS. Il ne vous souvient plus, faisant ce que vous faites,Ni de ce que je suis, ni de ce que vous êtes. THÉODOSE. Donc pour vous obéir je parlerai debout. ATHÉNAÏS. Je ne commande point à ceux qui peuvent tout. THÉODOSE. Ce que j'ai de pouvoir, mon amour vous le donne.Par le don qu'il vous fait de ma propre personne PULCHÉRIE, sortant. Recevez-le, ma soeur, et pour un si beau don,Donnez-lui de sa faute un généreux pardon, Et qu'un juste regret, tant d'une part que d'autre,Efface pour jamais son erreur et la vôtre.Je voudrais cependant qu'un silence discretRendit même à Paulin cet accident secret,Dont il devrait tirer, sans en savoir la cause, Un surcroit de faveur auprès de Théodose. THÉODOSE. Oui, ma soeur, des bienfaits et sans nombre et sans fin,Vont réparer le tort que j'ai fait à Paulin :Mais c'est trop différer le bonheur ou j'aspire, Parlant à Athénaïs.Vous serez aujourd'hui ma compagne à l'Empire. La pomme de discorde avancera d'un jourL'innocente moisson des fruits de notre amour. ATHÉNAÏS. Sire, toute ma gloire est en votre puissance,Comme tout mon mérite en mon obéissance. TEGNIS. Facile obéissance ! Et que l'Empire est doux Qui nous fait obéir pour commander à tous ! ==================================================