******************************************************** DC.Title = LE THÉÂTRE DE NEPTUNE EN LA NOUVELLE-FRANCE DC.Author = LESCARBOT, Marc DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Pièce DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 28/02/2023 à 06:30:54. DC.Coverage = Canada DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/LESCARBOT_NEPTUNE.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k72805t DC.Source.cote = BnF RLR Rés. Ye-4455 DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LE THÉÂTRE DE NEPTUNE EN LA NOUVELLE-FRANCE Représenté sur les flot de Port-Royal la quatorzième de Novembre mille six cent six, au retour du Sieur de Poutrincourt du pays des Armouchiquois. M. DC. XII. Avec Privilège du Roi. PERSONNAGES NEPTUNE. TRITONS. SAUVAGES. Extrait de "Les muses de la Nouvelle-France à Monseigneur le Chancellier" Paris, Jean Millot, 1612, pp. 17-27 LE THÉÂTRE DE NEPTUNE Neptune commence rrvêtu d'un voile de couleur bleue, et de brodequins, ayant le chevelure et la barbe longues et chenues, tenant son trident en main, assis sur son chariot paré de ses couleurs : ledit chariot traîné sur les ondes par six tritons jusques à l'abord de la chaloupe où s'étaient mis ledit Sieur de Poutrincourt et ses gens sortant de la baque pour venir à terre. Lors ladite chaloupe accrochée, Neptune commence ainsi. NEPTUNE. [Note : C'est un mot de Sauvage, qui signifie Capitaine. [NdA]]Arrête, Sagamos, arrête toi ici,Et regardes un Dieu qui a de toi souci.Si tu ne me connais, Saturne fut mon père,Je suis de Jupiter, et de Pluton le frèreEntre nous trois jadis fut parti l'Univers, Jupiter eut le ciel, Pluton eut les Enfers,Et moi plus hasardeux eu la mer en partage,Et le gouvernement de ce moite héritage.NEPTEUNE, c'est mon nom, Neptune l'un des DieuxQui a plus de pouvoir sous la voûte des cieux. Si l'homme veut avoir une heureuse fortuneIl lui faut implorer le secours de Neptune.Car celui qui chez soi demeure casanierMérite seulement le nom de cuisinier.Je sais que le Flamand en peu de temps chemine Aussitôt que le vent jusques dedans le Chine.Je sais que l'Homme peut, porté dessus mes eaux,D'un autre pôle voir les inconnus flambeaux,Et les bornes franchis de la zone torride,Où bouillonnent les flots de l'élément liquide. Sans moi le Roi Français d'une superbe éléphant N'eut du Persan reçu le présent triomphant :Et encore sans moi onc les Français gendarmesEs terres du Levant n'eussent planté leurs armes.Sans moi le Portugais hasardeux sur mes flots Sans renom croupirait dans ses rives enclos,Et n'aurait enlevé les beautés de l'AuroreQue le monde insensé folâtrement adore.Bref sans moi le marchand, pilote, marinierSerait en sa maison comme dans un panier Sans à peine pouvoir sortir de sa province.Un Prince ne pourrait secourir l'autre PrinceQue j'aurai séparé de mes profondes eaux.Et toi même sans moi après tant d'acte beauxQue tu as exploités en la Françoise guerre, N'eusses eu le plaisir d'aborder cette terre.C'est moi qui sur mon dos ai des vaisseaux porté Quand de me visiter tu as eu volonté.Et naguère encor c'est moi qui de la ParqueAi cent fois garanti toi, les tiens, et ta barque. Ainsi je veux toujours seconder tes desseins,Ainsi je ne veux point que tes efforts soient vains,Puisque si constamment tu as eu le courage,De venir de si loin rechercher ce rivage,Pour établir ici un Royaume français, Et y faire garder mes statuts et mes lois.Par mon sacré trident, par mon sceptre je jureQue de favoriser ton projet j'aurai sûre,Et oncques je n'aurai en moi-même reposQu'en tout cet environ je ne voie mes flots Ahanez sous le faix de dix mille naviresQui fassent d'un clin d'oeil tout ce que tu désires.Va donc heureusement, et poursuis ton cheminOù le sort te conduit : car je vois le destinPréparer à la France un florissant Empire En ce monde nouveau, qui bine loin fera bruireLe renom immortel de De Monts et toi[Note : Henri : Henri IV roi de 1589 à 1610;]Sous le règne puissant de HENRI votre roi. Neptune ayant achevé, une trompette commence à éclater hautement et encourager les tritons à faire de même. Cependant le sieur de Poutrincourt tenait son épée en main, laquelle il ne remit point au fourreau jusques à ce que les tritons eurent prononcé comme s'ensuit. PREMIER TRITON. Tu peux (grand Sagamos) tu peux te dire heureux Puisqu'un Dieu te promet favorable assistance En l'affaire important que d'un coeur vigoureuxHardi tu entreprends, forçant la violenceD'Éole, qui toujours inconstant et léger, Adesquidés : Mot de sauvage qui signifie ami. [NdA]Tantôt adesquidés, tantôt poussé d'envie,Veut te précipiter, et les tiens au danger. Neptune est un grand Dieu, qui cette jalousieFera comme fummée en l'air évanouir :Et nous ses postillons, malgré l'effort d'Éole,Ferons en toutes parts de ton courage ouïrLe renom, qui déjà en toutes terres vole. DEUXIÈME TRITON. Si Jupiter est Roi ès cieuxPour gouverner àa bas les hommes,Neptune aussi l'est en ces lieuxPour même effet ; et nous qui sommes,Ses suppôts, avons grand désir De voir le temps et la journéeQu'aies de tes travaux plaisirAprès ta course terminée,Afin qu'en ces côtes iciBientôt retentisse la gloire Du puissant Neptune ; et qu'ainsiTu éternise ta mémoire. TROISIÈME TRITON. France, tu as occasionDe louer la dévotionDe tes enfants dont le courage Se montre plus grand en cet âgeQu'il ne fit onc ès siècles vieux,Étant ardemment curieuxDe faire éclater tes louangesJusques aux peuples plus étranges, Et graver ton los immortelMême sous ce moment mortel.Aide doncques et favoriseUne si louable entreprise,Neptune s'offre à ton secours Qui les tiens maintiendra toujours« Contre toute l'humaine force,Si quelqu'un contre toi s'efforce. » QUATRIÈME TRITON. Celui qui point ne se hasardeMontre qu'il a l'âme couarde Mais celui d'une brave coeur Méprise des flots la fureurPour un sujet rempli de gloireFait à chacun aisément croireQue de courage et de vertu, Il est tout ceint et revêtu,Et qu'il ne veut que le silenceTienne son nom en oubliance.Ainsi ton nom (grand Sagamos)Retentira dessus les flots Dorénavant, quand dessus l'ondeTu découvres ce nouveau monde,Et y plantes le nom français,Et la Majesté de tes Rois. CINQUIÈME TRITON. Un gascon prononça ces vers à peu près en sa langue.Sabets aquo que volio diro, Aqueste Neptune bieillartL'autre jou faisio del bragart,Et comme un bergalant se miro.Nagaires que faisio l'amou, Et baisavio un jeune hillo Qu'ero plan polide et gentilloEt la cerquavo quadejou.Bezets, ne vous fiets pas tropEt aquels gens de barbos grisos,Car en aquebas entreprisos Els ban lou trot et lou galop. SIXIÈME TRITON. Vive HENRI le grand Roi des FrançaisQui maintenant fait vivre sous ses loisLes nations de sa Nouvelle-France,Et sous lequel nous avons espérance De voir bientôt Neptune révéré Autant ici qu'oncq'il fut honoréPar ses sujets sur le gaulois rivage.Et en tous lieux où le brave courageDe leurs aïeuls jadis les a porté. Neptune aussi fera de con côtéQue leurs neveux s'employants sans feintiseÀ l'ornement de leur belle entrepriseTous leurs desseins il favorisera,Et prospérer sur ses eaux il sera. Cela fait, Neptune s'écarte un petit pour faire place à un canot, dans lequel étaient quatre sauvages, qui s'approchèrent apportant chacun un présent audit sieur Poutrincourt. PREMIER SAUVAGE. [Note : Le premier sauvage offre un quartier d'Ellan ou Orignac, disant ainsi.]De la part des peuples sauvagesQui environnent ces paysNous venons rendre les hommagesDus aux sacrées Fleur de lysEs mains de toi, qui de ton prince Représentes la Majesté,Attendant que cette provinceFasses florer en piété,En moeurs civils, et toute choseQui sert à l'établissement De ce qui est beau, et reposeEn un royal gouvernement,Sagamos, si en nos servicesTu as quelques dévotion,À toi en faisons sacrifices Et à ta génération.Nos moyens sont un peu de chasseQue d'un coeur entier nous t'offrons,Et vivre toujours en ta grâceC'est tout ce que nous désirons. DEUXIÈME SAUVAGE. Le deuxième sauvage tenant son arc et sa flèche en main, donne par son présent dans peaux de castor, disant :Voici la main, l'arc, et la flèche Qui ont fait la mortelle brècheEn l'animal de qui la peauPourra servir d'un bon manteau(Grand Sagamos) à ta hautesse Reçois donc de ma petitesse Cette offrande qu'à ta grandeurJ'offre du meilleur de mon coeur. TROISIÈME SAUVAGE. Le troisième sauvage offre des Matachias, c'est à dire écharpes, et bracelets faits de la main de sa maîtresse, disant :Ce n'est seulement en FranceQue commande Cupidon, Mais en la Nouvelle-France,Comme entre vous, son brandonIl allume ; et de ses flammesIl rôtit nos pauvres âmes,Et fait planter le bourdon. Ma Maîtresse ayant nouvelleQue tu devais arriver,M'a dit que pour l'amour d'elleJ'eusse à te venir trouver,Et qu'offrande je te fisse De ce petit exerciceQue sa main a su ouvrer.Reçois doncques d'allégresseCe présent que je t'adresseTout rempli de gentillesse Pour l'amour de ma maîtresseQui est ores en détresse,Et n'aura point de liesseSi d'une prompte vitesseJe ne lui dis la caresse Que l'aura fait ta hautesse. QUATRIÈME SAUVAGE. Le quatrième n'ayant heureusement chassé dans les bois, se présente avec un harpon en main, et après ses excuses faite, dit qu'il s'en va à la pêche.SAGAMOS, pardonne moiSi je viens en telle sorte,Si me présentant à toiQuelque présent je n'apporte. Fortune n'est pas toujoursAux bons chasseurs favorable,C'est pourquoi ayant recoursÀ un maître plus traitable,Après avoir maintes fois Invoqué cette FortuneBrossant par l'épée des bois, Je m'en vais suivre Neptune,Que Diane en ses forêtsCeux qu'elle voudra caresse, Je n'ai que trop de regretsD'avoir perdu ma jeunesseÀ la suivre par les vaux,Avecque mille travaux,Sous des espérances vaines. Maintenant je m'en vais voirPar cette côte marineSi je pourrai point avoirDe quoi fournir ta cuisine :Et cependant si tu as Quelque part en ta chaloupe[Note : C'est du pain. [NdA]]Un peu de caraconas,Fournis-en moi et ma troupe. Après que Neptune eut été remercié par le sieur de Poutrincourt de ses offres au bieN de la France, les sauvages le furent semblablement de leur bonne volonté et dévotion, et incités de venir au Fort-Royal prendre du caracona. À l'instant la troupe de Neptune chante en musique à quatre parties ce qui s'enfuit.Vrai Neptune donne nousContre tes flots assurance, Et fais que nous puissions tousUn jour nous revoir en France. La musique achevée, le trompette sonne derechef, et chacun prend sa route diversement : les canons bourdonnent de toutes parts, et semble à ce tonnerre que Proserpine soit en travail d'enfant : ceci causé par le multiplicité des échos que les coteaux s'envoient les uns aux autres, lesquels durent plus d'un quart d'heure. Le Sieur de Poutrincourt arrivé près du Fort-Royal, un compagnon de gaillarde humeur qui l'attendait de pied ferme, dit ce que s'enfuit.Après avoir longtemps (Sagamos) désiréTon retour en ce lieu, enfin le ciel iréA eu pitié de nous, et nous montrant ta face, Il nous a fait paraître une incroyable grâce.Sus doncques rôtisseur, dépensiers, cuisiniers,Marmitons, pâtissiers, fricasseurs, taverniers,Mettez dessus dessous pots et plats et cuisine,Qu'on baille à ces gens ci chacun sa quarte pleine, Je les vois altérés Ficut terra fine aqua.Garçon dépêche-toi, baille à chacun son K.Cuisiniers, ces canards sont ils point à la broche ?Qu'on tue ces poulets, que cette oie on embroche,Voici venir à nous force bons compagnons Autant délibérés des dents que des rognons.Entrez dedans Messieurs, pour votre bienvenue,Qu'avant boire chacun hautement éternue,Afin de décharger toutes froides humeursEt remplir vos cerveaux de plus douces vapeurs. Je prie le lecteur excuser si ces rimes ne sont pas si bien limées que les hommes délicats pourraient désirer. Elles ont été faites à la hâte. Mais néanmoins je les ai voulu insérer ici, tant pour ce qu'elle servent à notre Histoire, que pour montrer que nous vivions joyeusement. Le surplus de cette action se peut voir à la fin du chap. 16. liv. 4 de mon Histoire de la Nouvelle France. ==================================================