******************************************************** DC.Title = ADRIENNE LECOUVREUR, ÉTUDE HISTORIQUE DC.Author = JOLY, Adolphe DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Étude historique DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 16/07/2023 à 05:18:25. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/JOLY_ADRIENNELECOUVREUR.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1417319q?rk=64378;0 DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** ADRIENNE LEGOUVREUR ÉTUDE HISTORIQUE EN VERS Adolphe JOLY PERSONNAGES. ADRIENNE LECOUVREUR, actrice à la Comédie française. La loge de mademoiselle Adrienne Lecouvreur, à la Comédie française : ameublement Louis XV. ? Une toilette Pompadour couverte de flacons et de petits pots. Un guéridon chargé de fleurs, de rubans et de papiers. ? Une cheminée, dans laquelle il y a du feu. Texte extrait de "Essais et Monologues drmatiques d'Adolphe Joly, jouées sur les principaux théâtres de Paris", Adolphe Joly, Paris : A. Huré, 1873. [cote BnF YF 9642] ADRIENNE LEGOUVREUR ADRIENNE entrant, à la cantonnade. Ne levez le rideau que quand je serai prête. Elle entre.Le public est nombreux, il se fait une fêteD'applaudir Adrienne, et cependant j'ai froid :Je n'ai jamais joué Molière sans effroi ; .Ce génie éclatant, je l'aime. je l'admire ; Son oeuvre est un miroir où l'univers se mire,Mais je suis impuissante à bien l'interpréter.En vain. depuis dix ans, j'ai beau le répéter,On persiste à me voir grimacer Célimène :Célimène: un écueil ! Avec force.Non, non, mon vrai domaine C'est ton noble héritage, ô belle Champmeslé:À moi le drame; à moi ce beau ciel constellé !Hermione. - Roxane, - Eriphile. - Athalie ;À moi Phèdre, - Jocaste, - Agrippine, - Émilie.Il me faut le cothurne et le voile de deuil ; Le sceptre ou le poignard, le trône ou le cercueil.Non, la gaité jamais ne me fut familièreEt j'habite en tremblant la maison de Molière ;Mais le public commande, il a son bon plaisir,Il est maître et seigneur et je dois obéir. Voici tout l'arsenal de la coquetterie;Apprenons le bel air et la minauderie. Elle prend un livre, s'assied et lit.Célimène :« Le pauvre esprit de femme est le sec entretien :Lorsqu'elle vient me voir ; je souffre le martyre ; Il faut suer sans cesse à chercher que lui dire,Et la stérilité de son expressionFait mourir à tous coups, la conversation.En vain, pour attaquer son stupide silence,De tous les lieux communs vous prenez l'assistance : Le beau temps et la pluie, et le froid, et le chaudSont des fonds qu'avec elle on épuise bientôt.Cependant sa visite, assez insupportable,Traîne en une longueur encore épouvantable,Et l'on demande l'heure, et l'on baille vingt fois Qu'elle grouille aussi peu qu'une pièce de bois. » Elle se lève, pose le livre sur le guéridon, tourne la tête et appelle.Martine, mon écrin. Elle s'arrête en souriant.Mon Dieu ! Que je suis folle.Mon diadème d'or, à la douce auréole,Mes perles, mes bijoux, j'ai tout vendu pour lui:Pour lui, que j'aime tant !... Je n'ai plus aujourd'hui, Que des fleurs, des rubans... Ajustons ma coiffure. Elle prend quelques fleurs et commence à se coiffer.Des fleurs, mais c'est toujours la plus belle parure. Un temps, elle s'interrompt en rêvant.Maurice ! Mon coeur bat à ce frais souvenir.Être sa femme, - moi ! - quel heureux avenir ![Note : Maurice de Saxe, comte de la Raute (1696-1750) fut un militaire allemand au service du Royaume de France, nommé maréchal sous Louis XV. Il était grand amateur de théâtre.]Lui, Maurice de Saxe : un soldat. un grand homme, Lui. le héros du jour, - c'est ainsi qu'on le nomme, ?me doter de son nom, - c'est un rêve charmant. Un temps.Maurice ne sera jamais que mon amant !Et pourtant, il m'a dit: « Tu seras mon épouse. »l'n bruit court, qu'à Millau, ce nouveau Charles douze, Amant, tant bien que mal, de fidèles laquais,A soutenu l'assaut que livraient au palais[Note : Alexandre Danilovitch Menchikov (1673-1729), général russe, gouverneur général de Saint-Petersbourg, compagnon de Pierre Ier.]Le prince Mentchikov et de nombreux Tartares,Et, qu'après le combat, on vit tous les barbares,Bien penauds et fort las, morts de faim, demi-nus, S'en aller en criant, comme ils étaient venus. Un temps.Le théâtre, sur nous, sème sa poésie.Ô Phèdre, je comprends ta sombre jalousie :Aimer sans être aimée, être trahie, avoirAux lèvres, dans le coeur, ces deux mots : plus d'espoir ! C'est un supplice lent, dont l'aspect m'épouvante.Je souffrirais, je crois, comme un damné du Dame,Si Maurice, oublieux, me délaissait un jour :On ne partage pas ses baisers, son amour ! Avec légèreté.Mais mon brave Saxon rêve d'autres conquêtes; Allons, ce soir, mes fleurs feront tourner des têtes. À la cantonnade.Martine, venez donc assouplir ces cheveux.Non... Restez... Je ne sais vraiment ce que je veux :J'ai l'esprit inquiet, rien ne peut me distraire :Caprice féminin me soufflerait Voltaire, Mon vieil adorateur. - Il est un peu félin,Il griffe en caressant, le poète malin.Ah ! je ris en songeant à la bonne figureQu'il faisait l'autre soir : la plaisante aventure :Voltaire tricotant, et tricotant, ma foi, Mieux qu'une paysanne, et certes mieux que moi.Pour son auteur chéri, la grande CatherineCisela sur le tour une vieille racineQue son ambassadeur lui remit l'autre jour.Voltaire admira fort cet étui fait au tour. Le méchant, ? l'anecdote amuse fort la ville, -Voulant remercier, d'une façon civile,Le tourneur couronné, se mit le lendemainA tricoter des bas... Des bas faits de la mainQui signa tant d'écrits, qui fit tant de chefs?d'oeuvre. [Note : Vieillard de Ferney : surnom donné à Voltaire. Il avait une demeure en cette ville de l'Ain jouxtant la Suisse .]Le vieillard de Ferney se propose ? couleuvre ! ?De les porter, lui même, à cet ambassadeur.Ce présent ne va pas augmenter sa faveurAuprès de l'autocrate. Elle trouve un billet placé sous des rubans.Un papier !... Quel mystère ?Qui donc l'a placé là ? Sans doute de Cythère Il arrive tout droit. Oh ! Qu'il est ennuyeuxD'entendre répéter que nos bras, que nos yeux,Sont les bras les plus beaux, les plus beaux yeux du monde. En riant.Eh ! nous le savons bien ; toute cette facondeNe nous en dit pas tant que notre vieux miroir : [Note : Poulet : Fig. Billet de galanterie, missive d'amour. [L]]Vite, au feu le poulet !... Elle s'approche de la cheminée pour y jeter le billet, et s'arrête.Pourtant, il faut savoir,Avant de la brûler, d'où me vient cette prose. Elle tourne le billet et l'examine.Le parfum est très doux, ouvrons ce papier rose. Elle l'ouvre et lit :« Celui que vous aimez, l'homme pour qui vous avez vendu vos diamants, le beau, l'élégant Maurice de Saxe, vous trompe ! » Avec force.Qu'ai-je lu !... C'est affreux ! C'est faux !... Ce billet ment...Maurice me tromper ! Non, non, ah ! Quel tourment! Elle examine le billet.On ne l'a pas signé : pas d'armes, pas d'indice : Elle se tourne vers le fond.De quelque lâcheté cette fille est complice.Si je l'interrogeais ? Non, je ne saurais rien. Un temps.Un rival éconduit veut rompre ce lienDe fleurs au doux parfum...Mais c'est une infamie ! Ne pas mettre son nom. Elle réfléchit.Je n'ai qu'une ennemie :C'est elle !... Elle a dicté ce perfide brouillon :Je vous reconnais la princesse de Bouillon ! Elle laisse tomber le billet.La princesse!... j'ai peur... cette femme, elle l'aime ;Elle est venue ici me le dire, à moi-même, À moi !... me défiant du geste, du regard.J'entends encor ses cris, je vois son oeil hagard,Son sourire méchant. Sa lèvre fière, ardente,Me répéta tout bas: « Imprudente !... Imprudente !...C'est jouer bien gros jeu, que s'attaquer à moi : Tu m'as pris mon amant, mon Maurice, mon roi.Mais je te poursuivrai, sans remords, sans faiblesse :Je frappe qui m'offense, et brise qui me blesse! » Elle passe la main sur son front.Je dois jouer ce soir, mais j'ai le front brûlant.Essayons d'oublier ! Elle se laisse tomber dans un fauteuil et rend machinalement un journal placé sur le guéridon.[Note : Le Mercure de France, livre périodique, qui se donnait, à Paris, tous les mois, et qui contenait divers ouvrages d'esprit, avec une courte exposition de tout ce qui regardait les sciences, les arts, l'état civil, politique, etc. de la France ; il fut commencé, sous le nom de Mercure galant, en 1672, par Monsieur de Visé, qui l'interrompit, en 1674, jusqu'au mois de mars 1677. [L]]Le Mercure galant. Peut-être, en parcourant la nouvelle gazette,Trouverai-je un récit, une bonne disetteQui me rendra le calme. Elle lit tout bas : son visage s'anime; ses yeux expriment une angoisse douloureuse; le journal s'échappe de ses mains.Ah ! le sort me poursuit :Un bandeau m'aveuglait... il tombe ; le jour luit. Elle ramasse le journal.« On connaît maintenant les motifs de la tentative de Maurice de Saxe : la princesse Anna Ivanova, duchesse douairière et fille de Pierre le Grand, a avoué qu'elle avait promis au héros Saxon de l'épouser, s'il parvenait à se faire élire duc de Courlande. »Ainsi, ce vaste plan, dont mon âme était fière Et que j'attribuais à son ardeur guerrière,Cachait un mariage, une autre passion,Et j'étais le jouet de son ambition ! Elle se lève.Cet homme dont la main me broie et me torture,Qui m'a frappée au coeur; cet homme, je le jure, J'aurais donné pour lui gloire, bonheur, enfants...Quand j'entendais sa voix, mes regards triomphantsAnnonçaient hautement mon orgueil, ma tendresse,Et je n'étais pour lui qu'une folle maîtresseQu'on quitte par ennui, sans lui redire adieu! Princesse, c'est ton roi... son roi !... C'était mon Dieu. Un temps.À cette trahison étrange, inexplicable,Je ne survivrai pas ; ce dernier coup m'accable.Je ne crois plus à rien ; je ne sais pas souffrir,Mon âme est envolée, allons, il faut mourir ! Elle tire de son doigt une petite bague.Cet anneau, qu'il m'offrit d'une voix douce et tendre,Contient un poison sûr... Je ne dois pas attendre.Je suis faible, et demain... Non, pas de lâcheté ;Contemplons froidement la froide éternité. Elle porte la bague à ses lèvres.Le deuil est dans mon coeur, la tombe est mon refuge : Vous qu'on ne trompe pas, Seigneur, soyer mon juge! On entend dans la coulisse le bruit d'une cloche, puis un long murmure de voix.Ah ! J'avais oublié mon rôle, mon devoir :Adrienne se meurt, en ne doit plus la voir. Avec force.Que je souffre!... un peu d'eau pour apaiser la flammeQui me brûle... Pitié ! Maurice !... c'est infâme ! Par grâce, tuez-moi !... Perfide trahison !Je n'y vois plus... j'ai peur ! Le poison... Le poison !Maurice. sauve-moi ! J'entends un rire étrange,Un rire de démon... sois satisfait, archange :Ma tombe va s'ouvrir. Ta haine, pas à pas, Suit ma lente agonie... Insulte à mon trépas.Réjouis-toi, Satan : mon amour et ma gloire,Tout est brisé... L'amour !.. L'amour!... Rêve illusoire,Blasphème !... Qu'ai-je dit ? Je meurs avec la foi,[Note : Le décès d'Adrienne Lecouvreur née Couvreur date du 20 mars 1730.]Oui, j'ai beaucoup aimé : mon Dieu, recevez-moi ! Elle meurt. ==================================================