******************************************************** DC.Title = POINSINET ET MOLIÈRE, DIALOGUE. DC.Author = IMBERT, Barthélémy DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Dialogue DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 25/05/2022 à 06:21:14. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/IMBERT_POINSINETMOLIERE.xml DC.Source = http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1510020d DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** POINSINET ET MOLIÈRE DIALOGUE AMSTERDAM M. DCC. LXXII. PAR M. IMBERT Représentée, pour la première fois, au Théâtre Français, le 9 Avril 1782. ACTEURS POINSINET. MOLIÈRE. POINSINET ET MOLIÈRE DIALOGUE. POINSINET. Quoi ! Vous feriez cet illustre Molière,Ce fameux excommunié,Qui divertit l'Europe entière,Que Louis honora d'une tendre amitié,Et qui, privé de la lumière , Obtint à peine par pitiéUn petit coin d'un cimetière ? MOLIÈRE. Pourquoi s'en étonner ? J'avais prévu mon sort.L'arrêt lancé contre Thalie,Ce préjugé, qui révolte d'abord, N'est qu'une vaine barbarie ;Je le bravai pendant ma vie,J'en ris encore après ma mort.Eh ! Qu'importe en quels lieux, comment, sous quel auspice.Le corps que j'ai quitté gisse après mon départ ? Les vers pour nous auraient-ils plus d'égard,Dans les caveaux de Saint-Sulpice,Que dans l'enceinte de Clamart ? POINSINET. Non ; mais un peu de symphonie,Bruyant De profundis, pompeuse draperie, Chanteurs, Pleureurs, marchants à petit pas,Riche cercueil, brillante sonnerie,Ce luxe aux morts ne messied pas. MOLIÈRE. Ce sont d'orgueilleuses misères,Dont je fis toujours peu de cas ; Toutes ces pompes funérairesNe règlent point notre rang ici-bas.Et vous y trouveriez peu d'honneurs et de gloire,Vous qu'un riche cercueil fans doute renferma,Si pour titre en ce jour, au Dieu de l'onde noire, Vous n'apportiez que le mémoireDu Curé qui vous inhuma. POINSINET. Qui ? Moi ! Sans pompe funéraire,Un funeste hasard m'a conduit au tombeau.Pour parvenir en ce noir hémisphère, J'ai quitté la route ordinaire,[Note : M. Poinsinet s'est noyé dans le Guadalquivir.]Et je suis arrivé par eau.Un peu trop tôt pour ce voyage,Je me suis embarqué sur le Guadalquivir ;Mais plus d'un immortel Ouvrage Doit ici-bas me réunirAux morts fameux, à qui l'on rend hommage. MOLIÈRE. Avez-vous d'Appollon suivi l'auguste Cour ? POINSINET. Oui ; mes efforts ont illustré la scène. MOLIÈRE. Avez-vous évoqué Thalie, ou Melpomène ? POINSINET. L'une et l'autre soeur tour à tourDe mes divers accents fit retentir la Seine.Que n'avez-vous pu voir votre postérité !Ah ! Si Molière eût pu renaître,La Morale avec nous l'eût sans doute emporté ; Plus profond dans son Art. Philosophe peut-être,Il eût servi l'humanité. MOLIÈRE. Philosophe ? Il cherchait à l'être ;Et sur quoi jugez-vous qu'il ne l'a point été ? POINSINET. Mais sur ses OEuvres Dramatiques, Où le ton de moralitéN'offre jamais, en termes énergiques,Une sublime vérité. MOLIÈRE. Eh quoi ? Du vrai me serais-je écarté ?Ai-je pris des routes obliques ? Ou voudrait-on qu'en des pièces comiques,J'eusse gravement débitéDes sentences philosophiques ? POINSINET. Pourquoi non ? Je le vois, votre goût erronéVous fuit encore en cette vie. Sachez donc que le nôtre a perfectionnéL'Art qu'ébaucha votre génie. MOLIÈRE. Ébaucher est modeste. POINSINET. Il est sans flatterie.Eh ! Quels essais vous firent admirer ?Dans vos écrits , puisqu'il faut vous le dire, Que trouve-t-on ? Toujours le mot pour rire,Pas un petit mot pour pleurer. MOLIÈRE. Vous m'étonnez ; Paris va voir Thalie... POINSINET. Pour le plaisir de répandre des pleurs. MOLIÈRE. Ce n'est donc plus le miroir de la vie, Ce n'est donc plus la naïve copieDes ridicules et des moeurs. POINSINET. Au lieu d'un vain hochet, elle a pris la férule,Par elle maintenant le vice est combattu ;Elle jouait le ridicule, Elle nous prêche la vertu.Veut-on fléchir un père de famille ?On s'étend en discours moraux,Plus de sentences que de mots ;On se jette à genoux : ah ! Mon père... Ah ! Ma fille !... On pleure, et nous applaudissons.Mais vous que l'erreur déifie,Au lieu de ces graves leçons,Que donnez-vous ? Une vaine saillie. MOLIÈRE. Quoi ! C'est là, depuis mon décès, Le style de la Comédie !Un sermon dramatique amuse ma patrie !Qui l'aurait cru, Peuple Français,Que la morale un jour dût être ta folie !Je t'avais mal connu ; mais s'il en est ainsi, Je ne vis plus au Temple de Mémoire,Mes Ouvrages font morts aussi. POINSINET. Un vieux respect : pour votre vieille gloireLes en a sauvés jusqu'ici ;Et lorsque votre Muse ose se reproduire , (Car sur la scène encore on la souffre aujourd'hui)Le Spectateur, égayé malgré lui,Est étonné de se voir rire.Nous laissons folâtrer nos rustiques ayeux ;Qui dit un Français, dit un Sage. MOLIÈRE. Le titre est vraiment glorieux.Mais n'est-il point de rebelle courage ?... POINSINET. Oui, naguère avec vous un auteur égaréA voulu recrépir votre antique Thalie.C'est le célèbre auteur de la Métromanie, Ouvrage, au genre près, digne d'être admiré ;Il pétille à la fois d'esprit et de génie,Ah ! Par le goût que n'est-il inspiré ! MOLIÈRE. On juge au feu qui vous anime,Combien votre génie est différent du sien ; Votre Apollon, si je m'y connais bien,N'a jamais commis un tel crime. POINSINET. J'en rougis jusqu'au fond du coeur,Je l'ai commis. J'ai dans le goût antique[Note : C'est sans doute du cercle qu'il veut parler.]Acquis un immortel honneur ; Mais bientôt abjurant, détestant mon erreur ;Je léguai la saillie à l'Opéra-Comique.Sur les débris du vôtre, avec pompe élevé,Ce Théâtre est l'orgueil, l'idole de la France ;Ce joli monstre , à nous seuls réservé, De Thalie et d'Euterpe a reçu la naissance.Un orgueilleux instinct : peu fait pour obéir,Donne au génie une âme indépendante ;On ouvre une carrière, on réforme, on invente,[Note : Sandomir ou Ernelinde, Opéra de M. Poinsinet.]Et c'est ainsi que naquit Sandomir. MOLIÈRE. Sandomir ! Seriez-vous cet Auteur Dramatique,Ce Poinsinet si connu, si vanté?Je l'avais pressenti par la naïvetéDe votre ardente Rhéthorique. POINSINET. Oui, lui-même. C'est moi, dont la muse héroïque De cette illustre nouveautéEnrichit la scène lyrique,Et qui, fièrement révoltéContre la Fable et son droit chimérique,La chassai de son trône antique, Pour y placer la vérité. MOLIÈRE. Vous, Poinsinet ! J'en ai l'âme ravie,Vous n'êtes point étranger sur ces bords ;Même avant de quitter la vie,Vous étiez fameux chez les morts. POINSINET. Quoique souvent ma gloire eût été poursuivie,Je ne vis, malgré les clameurs,Que deux sectes dans ma patrie :Mes envieux, et mes admirateurs. MOLIÈRE. Oh ! Je le crois. Toujours l'Envie Poursuit les vrais talents, et vit de leurs succès.Mais retracez-moi, je vous prie,Et l'origine et les progrèsDe la nouvelle comédie. POINSINET. La Parque avait tranché le fil de votre vie, Alors qu'on vit, chez les Français,S'élancer la Philosophie.Elle vient, de l'erreur écarter le poison ;Et le glaive de l'éloquence,Et le flambeau de la raison, Arment ses mains, annoncent sa vengeance.Des superstitions , qu'adoraient les mortels ,Elle abat l'hydre renaissante,Et du noir fanatisme embrasant les autels,Enchaîne sa rage impuissance. Fière de ses succès, elle veut qu'à la foisToutes les nymphes d'HypocrèneViennent lui demander des lois ;Rien ne l'arrête ; elle envahit la scène,Et subjuguant Thalie et Melpomène, Les remplit de son âme, et parle par leur voix. MOLIÈRE. Qu'au sort j'ai de grâces à rendre,De m'avoir enlevé si tôt !Eh ! Que ferais je encor là-haut?Fort sagement il m'en a fait descendre. Là, désormais inutile aux humains,Mon Apollon briserait sa férule,Et la verge du ridiculeResterait oisive en mes mains.Car si d'un crayon bien fidèle, Ce grand événement par vous m'est retracé,Ma patrie a dû prendre une face nouvelle ;Du pis au mieux, tout sans doute a passé.Toujours d'heureux vieillards, sous leurs lois paternelles,Tiennent des fils, sages comme eux ; Jamais le médecin, d'un mal n'en a fait deux,Les femmes s'adorent entre elles ;Les Grands, sans créanciers, sont enfin vertueux,Le Marchand, toujours scrupuleux,Les épouses toujours fidèles. POINSINET. Pas tout-à-fait encor. Ce jour n'est point venu ;Mais on l'attend. MOLIÈRE. Vous en aurez la gloire,Ô Poinsinet ! Car j'aime à croireQue ce triomphe vous est dû.Votre muse longtemps a pleuré sur la scène ? POINSINET. Non ; le Destin, jaloux de mes succès,A trompé mes efforts par une mort soudaine,Mais je prétends ici poursuivre mes projets.Oui, c'en est fait ; ma verve se ranime :Je veux, ressuscitant mes antiques concerts, D'un drame larmoyant, étonner les Enfers ;[Note : Allusion à ce vers de M. de Voltaire : Bâtir est beau , mais détruire est sublime.]Rire est fort beau, mais pleurer est sublime.Je laisse dans le deuil le Parnasse Français ;Mais mon esprit me fuit dans ces Royaumes sombres ;La France perd beaucoup ; je veux que désormais Le malheur des vivants tourne au profit des ombres.Je veux plus ; je veux de votre ArtVous faire abjurer la chimère,Vous changer enfin ; Je l'espère,J'y compte. MOLIÈRE. Me changer ! C'est s'y prendre un peu tard : Les morts ne se corrigent guère. POINSINET. Jamais à mes desseins le fort ne fut contraire ;Je ne promis rien au hasard.Il eût fallu me voir renverser la statueDu tendre et doucereux Quinaut ; Elle fut sans peine abattue;Et le fade jargon d'Armide et de Renaud... MOLIÈRE. Tout beau ! Ce fol enthousiasme,Jeune homme, égare vos esprits ;De Despréaux l'injurieux sarcasme Ne peut autoriser vos insolents mépris.J'ai voulu voir, jusqu'où la suffisancePourrait enfin vous emporter ;Eh ! Qu'êtes-vous, pour insulterAux Maîtres, qu'adopta la France ? Vous allez voir ici ces immortels auteurs,Qu'ose attaquer votre vaine arrogance ;Tombez à leurs genoux, expiez l'insolenceDe vos propos blasphémateurs.Le siècle de LOUIS vous laissa des modèles. Que vous ne sauriez surpasser :Et ne pouvant les effacer,Vous cherchez des routes nouvelles.L'insuffisance des talentsRend la nouveauté nécessaire ; On court vers elle avec de grands élans,Et le bon goût reste en arrière.Le vôtre, avec tous ses appas,N'est qu'une vaine effervescence ;Fils de la mode, il n'y survivra pas, Et, croyez-moi, le jour de sa naissanceEst la veille de son trépas. POINSINET. Laissez-là le style emphatique :Le haut ton vous est étranger ;[Note : Opéra-Comique de M. Poinsinet.]Sancho Pansa saura bien me venger De votre verve satyrique. MOLIÈRE. Oui, vous surnagerez sur l'abîme des temps ;Pradon, Cotin, vivront à jamais dans l'Histoire.Parmi le Peuple Auteur, deux chemins différentsMènent au Temple de Mémoire : Le ridicule et les talents.La Gloire, compagne fidèle,Au sentier des talents, nous conduit par la main,Là, croissent les lauriers ; quant à l'autre chemin,Vous savez si la route est belle. ==================================================