******************************************************** DC.Title = L'ENRÔLEUR POLITIQUE, DIALOGUE DC.Author = HUGO, Victor DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Dialogue DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 29/12/2024 à 20:46:03. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/HUGO_ENROLEURPOLITIQUE.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k37488m/f313.item DC.Source.cote = BnF LLA DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** L'ENRÔLEUR POLITIQUE [DIALOGUE] VICTOR HUGO. PARIS. J HETZEL et Cie, 18 rue Jacob. A. QUANTIN, rue Saint-Benoît, 7 PERSONNAGES L'ADEPTE. L'ENRÔLEUR. Extrait de l'édition des OEuvres complètes de Victor Hugo, édition définitive d'après les manuscrits originaux", Paris : Hetzel, Quantin, 1885. pp. 297-304 L'ENRÔLEUR POLITIQUE Et la lumière a lui dans les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont pas comprise. L'ADEPTE. Non, tous vos beaux discours ne m'ont point converti.Et pourquoi voulez-vous que j'embrasse un parti ?N'est-ce donc point assez que d'insolents librairesPréfèrent des pamphlets à mes oeuvres légères ?Est-ce trop peu déjà qu'un stupide mépris Proscrive ces beaux-arts dont mon coeur est épris,Et que le Pinde, grâce au nom de république,Voie en ses verts bosquets régner la politique ?Faut-il passer partout pour esprit de travers,Ou m'unir aux ingrats qui font fi de mes vers ? Et pour rester français, titre qu'on me refuse,Sous le joug libéral dois-je courber ma muse ?.Ah ! je veux être un sot, et, loin de vos drapeaux,Rimer sans auditeurs, mais rimer en repos;Je veux, ainsi qu'un ours, dans mon trou solitaire, Penser avec Pascal et rire avec Voltaire ;Vivre, ignoré du monde, avec mes vieux auteurs,Qui devaient craindre peu d'être un jour sans lecteursEt, fuyant ces salons ou la nullité règne,Consoler de l'oubli les arts qu'on y dédaigne. L'ENRÔLEUR. Tout beau (ces jeunes gens ont grand besoin d'avis !)Tu connais donc bien peu l'heureux siècle ou tu vis !L'on dédaigne les arts ?... Et cent routes nouvellesS'ouvrent aux vrais talents pour fuir les vieux modèlesVoyons, quel est ton genre ? Écoute, et tu vas voir Qu'en travaillant un peu l'or sur toi va pleuvoir.Es-tu peintre ? Transmets à la lithographieNos modernes exploits que Clio te confie.Pour éclipser les faits du preux de Roncevaux,Le brasseur Rossignol t'offre ses grands travaux. Crois-tu que ces guerriers, tous morts aux Thermopyles,Près de nos fédérés auraient dormi tranquilles ?Et que ce général qui battit du tambourNe vaut pas bien Condé sous les murs de Fribourg ?Réponds ! Mais, je le vois, peu sensible à la gloire, Tu ne peux t'élever aux grands travaux d'histoire;Descends donc aux portraits. D'un grand homme ignoréPeins-nous le noble front de rayons entouré;Ou, moderne Callot, dévoue au ridiculeCes vieux sujets du roi dont la France pullule, Fous qui, dans leurs aïeux, osent encor vanterDe gothiques vertus qu'ils surent imiter.Crois-moi, suis mes conseils, dans peu de temps sans douteTu seras de ces gens qu'on flatte et qu'on redoute,Et ton nom, étalé dans plus d'un cabinet, Deviendra quelque jour fameux chez Martinet.Es-tu littérateur ? Une plus vaste arèneSemble encore appeler ta muse citoyenne.Tu peux des esprits forts fabriquer les anas,Ou toi-même inventer de nouveaux almanachs; Ainsi, dans chaque mois, grâce à de doctes plumes,Nous voyons les guerriers succéder aux légumesLa botanique, hier, fut à l'ordre du jour,Il est juste aujourd'hui que l'histoire ait son tour.Vois ce livre, heureux fruit d'un siècle de lumière Il montre au bon bourgeois l'éloquence guerrière ;Fais m'en donc un pareil ; mêle, choisis en grosLe cri d'un soldat ivre ou le mot d'un héros;Et donne au bon Henri quelque place modesteEntre deux bulletins, ou près d'un manifeste. Surtout, si tu décris nos revers, nos succès,Songe qu'un vendéen ne peut être français.Songe encor que ce roi, d'orgueilleuse mémoire,Louis, n'a jamais su ce que c'est que la gloire;Que Vendôme et Villars, qu'on se plaît à vanter, Sont loin de maint héros que tu pourrais citer.Luxembourg comptait-il ses soldats morts par mille ?Qu'est-ce que Catinat ? Brûla-t-il une ville ?Une fois, il est vrai, surpassant Catinat,Turenne mit en feu tout le Palatinat. Mais tout cela n'est rien; qu'on songe à la Vendée,Et d'un bel incendie on aura quelque idée ;Vois Moscou, vois Berlin, et du sud jusqu'au nordDe cent vastes cités les murs fumants encor.Qu'en dis-tu ?. Prouve aussi que, bien qu'il fût despote, Ce Louis, après tout, n'était pas patriote.A-t-il, pour mériter qu'on lui fût si soumis,Construit une colonne en canons ennemis ?À cet enseignement dont notre âge raffoleJamais ce prince ignare ouvrit-il une école ?... Il est bon, vois-tu bien, d'avoir à rapporterDes faits sûrs, de ces faits qu'on ne peut contester.Ne crains pas les brouillards, car toujours la MinerveTiendra pour te défendre une lance en réserve;Et, si tu sais venger d'une odieuse loi Ces innocents bannis qui n'ont tué qu'un roi ;Si tu sais, du parti digne et généreux membre,En citoyen zélé chérir l'heureux septembre,On te verra dans peu de tes mâles écritsÀ la face du monde enrichir L homme gris Et, grâce aux souscripteurs, affrontant les amendesSaper les vieux abus dans les Lettres Normandes.Est-ce assez ? L'ADEPTE. Il suffit ; pour rester en repos,Je vais, par un fait seul, vous répondre à propos.Hier, manquant d'argent, vint s'asseoir à ma table Macer, cet ami sûr, ce parfait pauvre diable.« Ah ! mon cher, me dit-il, je n'ai plus d'avenir.Un jeune homme en nos jours ne saurait parvenir.Tu sais que, préférant l'or à la renommée,De nos indépendants j'ai dû grossir l'armée. Cherchant donc à paraître, en un pamphlet du jourJe voulus, l'autre mois, me produire à mon tour.D'abord, pillant partout des phrases rajeunies,Je m'étais fait un fonds de quelques calomnies;Puis je citais sans crainte, en termes absolus, Et Voltaire et Rousseau, que je n'ai jamais lus.J'invoquais nos grands mots, la vertu, la victoireEt je crois même aussi que je parlais d'histoire.Ajoute à ce mélange un morceau fort adroit,Ou je prouvais que Dieu n'a sur nous aucun droit, Ou même, pour montrer mon âme libre et fière,Je jetais loin de moi le joug de la grammaire.Croirais-tu qu'un discours si fort et si ruséPour le susdit pamphlet fut trouvé trop usé ?Que je perdis mon temps, mes frais, mon éloquence ? Et que, de m'enrichir m'ôtant toute espérance,Le grossier rédacteur m'envoya sans façonÀ ce journal sans sel ou l'on singe Adisson ? »Macer a répondu. Pour moi, je dois me taire.Sans savoir le citer, je sais lire Voltaire; Je hais la calomnie enfin mon esprit lourdNe saurait s'élever à la hauteur du jour. L'ENRÔLEUR. Jeune homme, tu te perds. Écoute-moi, de grâce.Si d'un vrai citoyen ton coeur n'a pas l'audace,Tu peux, quittant le fouet et prenant l'encensoir, Sans renoncer à nous, ramper sous le pouvoir.Le ministre, crois-moi, saura payer le zèleD'un auteur qui pour lui veut bien faire un libelle.On voit dans les honneurs plus d'un homme prudentQue le premier revers peut rendre indépendant; La girouette reste au haut de l'édifice.Je pourrais te citer. L'ADEPTE. Non, rendez-moi justice.Je n'imiterai point ces vils caméléons[Note : Anacréon : poète lyrique grec de l'antiquité./]Qu'un jour la guillotine eut pour Anacréons,Et qui, du plus puissant servant toujours la cause, Se font aujourd'hui plats, pour être quelque chose.J'aimais la gloire, hélas ! Mais dans ce siècle impur,Quand le crime est fameux, la gloire est d'être obscur.Vous qui m'auriez fait grand, arts divins, arts que j'aime,Vous êtes oubliés, je veux l'être moi-même. Racine ! Est-il bien vrai, dis, qu'ils m'ont excitéA blasphémer ces temps ou ta muse a chanté ?Vandales ! quelle est donc leur aveugle furie ?Ils proscrivent ton siècle, et parlent de patrie !Ô Molière ! Ô Boileau ! Pourquoi, nobles esprits, Nous léguer des lauriers que nous avons flétris ?Temps qu'on ne verra plus, seul je vous rends hommage.Du moins, tâchons encor d'en retrouver l'image.Si jamais, je le crains, des orages nouveauxMe viennent, malgré moi, ravir à mes travaux, [Note : Jacques Ier Fitz-James (1670-1734), militaire, maréchal de France, fils de Jacques II Stuart.]Vous qui voulez la paix, ô Fitz-Jame, ô Villèle,Chateaubriand, je veux imiter votre zèle;Je veux puiser en vous, citoyens généreux,L'espoir de voir un jour les français plus heureux. L'ENRÔLEUR. Cet homme est un ultra ! L'ADEPTE. Je suis un homme. L'ENRÔLEUR. À d'autres ! Ces royalistes-là font tous les bons apôtres.Tu n'étais, disais-tu, d'aucun parti ? Fort bien !Tu ne te trompais pas ; que sont tes pareils ? Rien.Ce n'est plus un parti. L'ADEPTE. Non, c'est la France entière. L'ENRÔLEUR. Fait que nos électeurs prouvent à leur manière, Et que voulaient sans doute attester certains crisDont t'ont dû réjouir nos fidèles conscrits. L'ADEPTE. Il est vrai, l'anarchie aux têtes renaissantesS'éveille, et rouvre encor ses gueules menaçantesLe trône, sous ses coups, commence à chanceler ; Mais pour le soutenir on nous verra voler.Nous saurons oublier ; dans ces moments d'épreuve,Les dégoûts dont la haine à dessein nous abreuve.Moi-même, lui gardant et mon bras et ma foi,Dans l'exil, s'il le faut. J'irai suivre mon roi; Dussé-je, pour avoir servi la dynastie,Me voir, à mon retour, puni d'une amnistie.Et si, dans mes vieux jours, comme un vil condamné,Au fond d'un noir cachot je me voyais traîné,Sous le harnais guerrier si ma tête blanchie D'un indigne soupçon n'était point affranchie;Si j'étais accusé, sans même être entendu,D'avoir trahi ce roi que j'aurais défendu;Montrant mon corps brisé, mes cicatrices vaines,Et ce reste de sang, déjà froid dans mes veines, J'irais dire à mon roi, s'il voulait l'épuiser« Sire, il est tout à vous, vous le pouvez verser. » ==================================================