******************************************************** DC.Title = LE NEVEU DE LA MARQUISE, SAYNÈTE. DC.Author = HEYLLI, Georges d' DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Saynète DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 08:07:46. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/HEILLY_NEVEUMARQUISE.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k207939j DC.Source.cote = BnF LLA DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LE NEVEU DE LA MARQUISE SAYNETE DE SALON 1882. Tous droits réservés. PAR M. GEORGES D'HEYLLI F. AUREAU - Imprimerie Lagny. PERSONNAGES LE MARQUISE, 23 ans. ROGER D'ENTRAIGUES. LISETTE, soubrette de Marquise. À Paris, en 1779. Tiré de "Théâtre de Campagne. Huitième série". 1882. pp 53-74. LE NEVEU DE LA MARQUISE Un salon. Porte d'entrée au fond. A gauche, porte de la chambre de la marquise. Fenêtre, à droite, donnant sur la rue. Table chargée de livres et de papiers. SCÈNE PREMIÈRE. LA MARQUISE. Elle est assise et brode au tambour. Elle s'ennuie. Elle pose son ouvrage et prend un livre qu'elle ouvre et dont elle lit quelques lignes. Elle le rejette presque aussitôt sur la table, en poussant un soupir. Après ce petit manège, elle se lève et sonne. Silence. Elle sonne de nouveau.Voyez s'il en viendra un seul ! J'ai trois domestiques à mes ordres ! Elle resonne.et j'ai beau les sonner, les carillonner, pas un ne répond à mon appel ! Elle sonne encore. SCÈNE II. La même, Lisette, entrant vivement. LISETTE. J'achevais en toute hâte de m'habiller, lorsque j'ai entendu ta sonnette de Madame la Marquise. LA MARQUISE. Et Frontin ? Et Jacqueline ?... LISETTE. Madame ne se souvient plus, sans doute, qu'elle leur a donné la permission de s'absenter jusqu'à ce soir pour aller voir la fête et les illuminations en l'honneur du mariage de Monseigneur le Dauphin. LA MARQUISE. C'est vrai, je l'avais oublié. Après un silence.Sais-tu une chose, Lisette ? Je m'ennuie. LISETTE. C'est le mal de bien des gens, mais Madame la Marquise le ressent plus que personne parce qu'elle vit volontairement isolée. LA MARQUISE. C'est vrai, Lisette, mais depuis mon veuvage, je n'ai pu reprendre encore l'habitude de revoir le monde. LISETTE. Peuh !... Madame la Marquise a si peu de temps connu le marquis ! LA MARQUISE. Cela est encore vrai, mais je n'en dois pas moins à sa mémoire, et à moi-même, de respecter le plus longtemps possible mon veuvage. LISETTE. Soit, Madame, respectons votre veuvage, je le veux bien mais franchement, n'avons-nous pas assez fait pour cette illustre mémoire ? Ne nous sommes-nous pas, en l'honneur de ce mort qui, en somme, a laissé si peu de regrets, enterré pendant plus de dix mois dans un vieux castel perdu au fond des montagnes ?... LA MARQUISE. Mais puisque nous voici maintenant à Paris, que demandes-tu de plus ?... LISETTE. Que Madame la Marquise reçoive ses amis, ses connaissances, les personnes de son rang et qu'elle s'empresse de choisir bien vite, parmi tes jeunes seigneurs de la cour, un successeur à feu Monsieur le Marquis. LA MARQUISE. Rien ne presse, Lisette. Un silence. Tiens, pour tuer le temps qui me semble immortel, coiffe-moi. LISETTE, en coiffant la marquise. Et parmi ces seigneurs, Madame la Marquise sait bien qu'elle n'a qu'à choisir. LA MARQUISE. Oui !... Mais je ne veux d'aucun. LISETTE. Alors, nous resterons veuve !... Voilà qui nous promet bien du plaisir. Nous avons cependant le neveu de Monsieur le Marquis, ce jeune officier qui était encore en garnison dans le Nord lors du mariage de madame et dont la visite nous est depuis si longtemps promise. LA MARQUISE. Eh bien ?... LISETTE. Eh bien ! Monsieur Roger d'Entraigues est revenu à Paris, et il n'attend qu'un mot de Madame la Marquise qui, par le fait, est sa tante, pour se présenter chez elle et ramener en même temps, avec lui, toute la belle et illustre société que voyait Monsieur le Marquis. LA MARQUISE. Mais Lisette, tu connais mes affaires mieux que moi-même et tu en sais beaucoup plus que je n'en pourrais dire sur le compte du neveu du défunt marquis, lequel neveu je n'ai jamais vu, ni même,je t'assure, envie de voir. LISETTE. Alors, nous renonçons définitivement même à la perspective d'un nouveau mariage ?... LA MARQUISE. Eh ! Qui veux-tu que j'épouse, grands dieux ?... LISETTE. Monsieur d'Auterive, par exemple... LA MARQUISE. Non certes !... Tu trouvais le Marquis trop vieux ; mais Monsieur d'Auterive est, pour le moins, aussi vieux que lui. LISETTE. Oui... Mais il a un si grand train de maison ; cela fait passer sur bien des choses... puis nous avons le Comte de Duniëres. LA MARQUISE. Trop vieux aussi pour moi. LISETTE. Alors nous avons le Marquis des Réaux... LA MARQUISE. [Note : Podagre : Terme de médecine. Goutte qui attaque les pieds. ] Encore ?... Mais, Lisette, as-tu juré de me faire mourir. Tu me cites les trois plus vieux gentilshommes de la cour. En est-il un, parmi ceux-là, que tu voudrais pour toi-même, si tu étais veuve et marquise ? Les six mois que j'ai vécus avec le Marquis m'ont guérie, à jamais, du goût des unions disproportionnées, au moins au point de vue de l'âge. Je ne veux plus d'un mari maladif et podagre. Le mien a pris le lit au lendemain de notre mariage et il ne l'a quitté que pour entrer au cercueil. Ces six mois, je les ai passés dans la tristesse, dans l'ennui, dans le dégoût même, car je n'aimais pas le Marquis que j'avais épousé pour complaire à mon père et j'étais trop enfant pour bien comprendre ce qu'on me faisait faire. Ce temps d'épreuves m'a vieillie, d'ailleurs, moi aussi, et les longues journées pendant lesquelles j'ai été garde-malade du Marquis n'ont pas été perdues pour mon intelligence, ni pour ma raison. Bien que je n'aie pas encore vingt ans, je t'assure que l'expérience m'est venue avec le chagrin, et, quoi que tu dises, je suis bien décidée, si je me remarie jamais, à choisir quelqu'un qui soit en rapport avec ma situation, avec mes goûts et surtout avec mon âge... LISETTE. Eh bien, précisément, Madame la Marquise... nous avons Monsieur Roger d'Entraigues. Vous êtes déjà sa tante, par suite de votre alliance avec son oncle ; devenez sa femme ; cela ne sortira pas de la famille. LA MARQUISE. Tu es une folle, Lisette, et je suis bien folle aussi d'écouter tes sornettes ! Monsieur d'Entraigues est encore un enfant et d'ailleurs je ne le connais pas ; puis le souvenir de son oncle, mon premier mari, se rattacherait inévitablement à sa personne et à sa présence ici... je préfère donc ne pas le recevoir. On entend un coup de sonnette à !a porte du vestibule extérieur. Va voir, Lisette, qui peut venir je n'attends personne et n'y suis pour personne. LISETTE. J'y vais, Madame. elle sort. SCÈNE III. LA MARQUISE, seule. Cette Lisette a vraiment perdu l'esprit. Un silence.Et cependant, la vie que je mène est bien triste !... On entend un bruit confus de voix dans l'antichambre~tLisette qui s'écrie :« Mais puisque je vous dis que ma maîtresse n'y est pas !... » ? Puis la porte s'ouvre brusquement. SCÈNE IV. La même, Lisette, Roger, jolie toilette de marquis Louis XV.? Très légèrement pris de vin, mais toujours distingué. ROGER. Que me disais-tu donc, soubrette de mon coeur, que ta maîtresse était sortie ? À la Marquise.Ah, belle dame ! Voilà qui n'est pas bien ! Faire dire que vous n'êtes pas là alors, qu'au contraire, vous êtes bel et bien chez vous, en chair et en os, et la plus belle parmi les plus belles... LA MARQUISE, hautaine. Mais, Monsieur, je n'ai pas l'honneur de vous connaître, et... ROGER. Bah! nous ferons vite connaissance. LA MARQUISE. Je n'en ai nulle envie, Monsieur, et ne suis point habituée à être traitée de la sorte je vous prie de vous retirer. ROGER. Me retirer ! Ah, que nenni, par exemple ! J'ai déjà eu assez de mal à pénétrer dans la place pour l'abandonner aussi facilement et aussitôt. LA MARQUISE. Comment ! Vous prétendez demeurer chez moi, malgré moi ?... ROGER. Malgré vous !... Non pas, idéale princesse, mais bien avec votre consentement que vous allez me donner tout de suite, en acceptant que je vous offre à souper ce soir et ici même... LA MARQUISE. À souper !... L'impertinent ! Eh bien, monsieur, puisque vous ne voulez pas partir, c'est moi qui vais vous céder la place et je ne rentrerai dans ce salon, je vous le jure, que lorsqu'il vous aura plu d'en sortir. Viens, Lisette, et laissons Monsieur à ses réflexions. LISETTE, à part. Cela mettra peut-être, d'ailleurs, un peu d'eau dans son vin !... SCÈNE V. ROGER, seul, désappointé. Diable ! Voilà qui commence mal et mes cinq cents louis m'ont l'air bien aventurés. Car j'ai, voyez la belle affaire !... parié ce matin, après boire, cinq cents louis à Chamilly que je ferais la conquête de la première femme que je rencontrerais, et cela dans la première maison qui s'offrirait à moi, sur mon chemin. Cette première maison j'y suis entré ; non sans peine, par exemple cette enragée soubrette voulait à tout prix me jeter dans ses escaliers. Cette première femme, la voici ; mais ce n'est là que la moitié du pari et je tiens, morbleu ! À le gagner tout entier. La dame, d'ailleurs, n'est peut-être pas aussi revêche qu'elle en a l'air, au premier abord, et nous allons bien voir ! Mais, qui est-elle ? Une grande dame ? Une femme galante ? Une comédienne ? Ce doit être, en effet, quelque belle princesse de théâtre. Car elle est jolie, le diable m'emporte, et depuis que je l'ai vue, je rendrais volontiers encore cinq cents louis à Chamilly pour gagner mon pari contre lui. Il s'approche de la table.Ah, des livres ! Que lit-elle, cette dame ? On juge quelquefois une femme sur les ouvrages qu'elle préfère. Prenant un livre.Le Méchant, comédie de Monsieur Gresset, Prenant un autre livre.les oeuvres de théâtre de Monsieur Racine... Serait-ce donc, vraiment, quelque belle dame de comédie ?... Qu'importe, après tout, et voyons si, en dépit de sa magnifique colère, il n'y aurait pas moyen de rentrer en grâce, auprès d'elle ?... Montrant la porte de la chambre de marquise.Elle est sortie par là, c'est donc par là qu'il faut la poursuivre. Au moment où il s'approche de la porte, elle s'ouvre, et Lisette entre en scène. SCÈNE VI. Le même, Lisette. LISETTE. Eh bien, qu'est-ce que vous faites là, Monsieur ? Vous allez forcer la porte de l'appartement de Madame, maintenant ?... Comment, vous êtes encore ici ?... De quelle manière faut-il donc vous donner votre congé pour que vous consentiez à partir ?... ROGER. Ah, c'est toi, soubrette infernale !... Que ta maîtresse m'ait donné congé, je te l'accorde, mais quant à le prendre, c'est une autre affaire. LISETTE. Que voulez-vous dire ?... Vous allez rester ici ?... ROGER, effrontément. Mais oui, Marton ou Lisette... au fait, comment te nommes-tu ?. LISETTE. Que vous importe ?... ROGER. Voyons, ne sois pas si farouche et surtout ne crains pas de perdre ton temps avec moi. Sais-tu bien, ma mie, que si tu consentais à me venir en aide dans mon entreprise, je ne regarderais pas à la récompense ?... Tiens, voilà un acompte, Il m'embrasse.... et en voici un autre encore. Il lui offre sa bourse. LISETTE, repoussant la bourse. Gardez votre argent, Monsieur, je vous le volerais. Votre premier acompte ? À la rigueur, passe encore, je ne déteste pas trop ceux-là ; mais quant à votre bourse, je n'en ai que faire, car je ne veux pas trahir ma maîtresse. ROGER. Voyons, Martine, humanise-toi !... LISETTE. Je m'appelle Lisette, comme une vraie soubrette de comédie mais cependant, à l encontre de la tradition, je ne puis rien pour vous. Allons, croyez-moi, Monsieur, partez, partez. Elle entrouvre la porte qui conduit à l'antichambre. Partez ROGER. Non ! Pas avant que tu m'aies dit qui est ta maîtresse. LISETTE. Mais que vous importe ? Vous ne voulez pas l'épouser, je suppose ?... ROGER. Peut-être. LISETTE. Joli mari, par exemple, et d'une tenue bien engageante ! ROGER. Voyons, encore une fois, Lisette, sois-moi propice ! Dis-moi qui est ta maîtresse. Est-ce une princesse ?... LISETTE. Peut-être, vous répondrai-je aussi. ROGER. Est-ce une comédienne ? LISETTE. Oh ! Vous n'y êtes guère ! ROGER. Tu me mets au martyre, Lisette ! Il lui prend les deux mains et les couvre de baisers.Laisse-toi attendrir, ma petite Lisette, et ta fortune est faite. LISETTE. Ah ! Que vous êtes amusant, monsieur ! Ainsi, parce que je ne suis que Lisette, vous croyez que pour un peu d'amour et un peu plus d'argent, je vais vous servir, aux dépens de Madame qui est bonne pour moi, auprès de laquelle je suis depuis longtemps, qui me témoigne de l'amitié et qui m'établira bien quand je le voudrai. Et tout cela, pourquoi, s'il vous plaît ?... Ni madame, ni moi, ni vous peut-être, nous n'en savons rien ni les uns ni les autres. Et puis qui vous dit que madame soit libre, qu'elle n'ait pas un mari ?... ROGER, brusquement. Elle a un mari ?... LISETTE. Ah ! Voilà qui vous gêne un peu ! N'est-ce pas ? Allons, Monsieur, une dernière fois, allez-vous en, en voilà assez ; si vous ne vous décidez, je unirai par aller chercher la garde. ROGER. Ah ! Elle a un mari ! Résolument. Eh bien, qu'importe, après tout ? Cela augmente encore les difficultés de l'entreprise mais coûte que coûte, je réussirai. Je m'en vais, Lisette. LISETTE. Allons, bon voyage, Monsieur, et adieu !... ROGER. Oh non pas, mais au revoir ; car je ne pars point, je bats en retraite, mais tout en gardant la défensive, et sois en persuadée, je vais reprendre sous peu l'offensive. Voilà [c]omment nous sommes, nous autres gens de guerre... LISETTE, phiMntant. Ah, monsieur est soldat ?... ROGER. Oui, Lisette. LISETTE. Enseigne ou général ?... ROGER. Tu te moques ? Soit, mais rira bien qui rira le dernier... Au revoir, la belle enfant. Il l'embrasse. LISETTE, riant de toutes ses forces. Adieu, grand fou !... Il sort ; elle ferme la porte vivement. SCÈNE VII. Lisette, La Marquise, ouvrant doucement la porte qui donne sur son appartement. LA MARQUISE. Eh bien, Lisette ? LISETTE. Il est parti, Madame. LA MARQUISE. Ah !... Enfin... LISETTE. Oui, mais il a dit qu'il reviendrait. LA MARQUISE. Comment, je puis être exposée, une fois encore, à son indolente visite ?... LISETTE. Ah ! Madame, voilà qui prêche singulièrement en faveur du mariage ! Si vous vouliez consentir à n'être plus veuve, vous auriez au moins, auprès de vous, un défenseur naturel qui saurait bien éloigner de votre porte et de vous-même tous les freluquets dé la ville et de la cour. Mais vous êtes inflexible et vous préférez votre éternel veuvage, toujours et quand même, aux choix qu'on pourrait vous proposer ! Madame y viendra toutefois, sinon par désir, au moins par nécessité... LA MARQUISE, rêveuse. Je ne dis pas non... Nous verrons plus tard... Mais que voulait-il, en somme, ce beau monsieur ? LISETTE. C'est la seule chose, madame, que je n'aie jamais pu savoir. Il m'a parlé d'une entreprise. LA MARQUISE. Dont je suis, sans doute, l'objet ? LISETTE. D'offensive et de défensive ; et à ce propos il est soldat, et, avec cela, jeune, bien fait et entreprenant, n'en doutez pas. Ce qu'il veut, il est homme à vouloir aussi vous le dire à vous-même et à vous forcer de l'entendre. LA MARQUISE. Oh ! Pour cela, je l'en défie... LISETTE. Ne jurez pas, Madame, on ne sait pas ce qui peut arriver. C'est, d'ailleurs, un brillant cavalier et de fort bonnes manières ; il était bien un peu gai, ce matin, mais quand il est parti il avait la tête refroidie et le coeur enflammé. Je parie maintenant qu'il adore madame, et qu'avant peu. LA MARQUISE. Tu en parles avec un feu ! Quoi qu'il en soit, je vais me barricader dans ma chambre, et ce soir, quand Frontin et Marceline seront rentrés, tu les feras veiller en bas et leur recommanderas de faire bonne garde et de n'ouvrir la porte à qui que ce puisse être. LISETTE. Je n'y manquerai pas, Madame. À ce moment un bouquet lancé de la rue, vient tomber par la fenêtre au milieu du salon. LA MARQUISE. Eh bien, Lisette, que veut dire ceci ? LISETTE. C'est sans doute la suite de l'aventure. Elle ramasse ce bouquet.Oh ! Les admirables fleurs ! Ah ! Un billet ! Elle tire un billet du bouquet. LA MARQUISE. Je ne veux pas le lire. LISETTE. Cependant, Madame, il est indispensable que nous soyons, par lui, informées des projets de l'ennemi ; car c'est de notre beau chevalier, n'en doutez pas, que nous vient cette missive. LA MARQUISE, après un moment de réflexion. Eh bien, soit, lis. LISETTE. « Madame, vous m'avez chassé ; j'accepte mon sort ; mais je crois devoir vous déclarer que je veux vous traiter comme une ville forte et faire le siège en règle de votre personne et de votre beauté. Ci-joint le premier projectile. La guerre est donc commencée. Il vous appartient, belle princesse, de me taire savoir si vous voulez me faire attendre bien longtemps la reddition de la place. » LA MARQUISE. Et pas de signature ?... LISETTE, retournant le billet. Aucune !... LA MARQUISE. Ah ! C'est trop fort ! C'est trop d'insolence et d'audace ! Assieds-toi là, Lisette ; je veux lui répondre à ce monsieur. Écris. Lisette s'assied devant la table et se dispose à écrire. La marquise dicte.« Monsieur, toutes les portes vous sont ouvertes. » LISETTE. Comment, Madame, la place capitule sans combattre ?... LA MARQUISE. Oui, c'est le seul moyen d'en finir, qu'il vienne ; il va trouver à qui parler. Continue... « Toutes les portes vous sont ouvertes ; je désire capituler immédiatement. » Bien !... Attache maintenant le billet au bouquet de ce monsieur, et renvoie-le lui par le même chemin. LISETTE, à la fenêtre. C'est bien lui ! Le voici en effet sous vos fenêtres. Elle jette le bouquet. Tenez, galant chevalier, voici vos fleurs et la réponse à votre poulet. Elle se penche à la fenêtre. Il le ramasse... Il lit le billet, te voici qui s'élance ; je vais le recevoir et lui ouvrir. Elle sort. SCÈNE VIII. LA MARQUISE, seule. Ce que je fais là est bien grave, mais c'est le seul moyen de terminer une aussi sotte aventure. SCÈNE IX. La même, Lisette, Roger. ROGER, très cérémonieusement. Madame, je vous remercie. LA MARQUISE, l'interrompant vivement. Ne me remerciez pas, Monsieur ; je vous ai fait venir, non pour ce que votre fatuité peut vous faire croire, mais bien pour vous déclarer que si vous ne quittez à l'instant ma demeure, en abandonnant les projets d'agression dont vous m'avez fait part, je préviendrai Monsieur le lieutenant de police et le prierai de me protéger contre vous. Et sur ce, Lisette, reconduis une dernière fois, Monsieur. ROGER. Madame. LA MARQUISE. Une fois encore, je vous laisse la place, Monsieur. Elle sort majestueusement. SCÈNE X. Lisette, Roger. ROGER. Eh bien, Lisette ? LISETTE. Eh bien, Monsieur ?... ROGER. [Note : Algarade : Incursion militaire. Vive sortie contre quelqu'un, insulte brusque, inattendue. [L]]Comment, c'était pour me faire donner une algarade de cette sorte que tu m'as renvoyé mon bouquet et mon billet ? LISETTE. Hélas ! Oui, monsieur ; mais c'était l'ordre de madame ; je n'y suis pour rien et je n'y peux rien. ROGER, avec un soupir. Ah ! Lisette ! Sais-tu qu'elle est charmante, ta maîtresse ?... Quel air imposant elle avait et quelle noble colère ! Ah, ce n'est pas là une femme vulgaire. C'est une grande dame, Lisette ? LISETTE. Cela se peut, Monsieur... Mais vous avez entendu l'ordre de Madame ? Ainsi, pour la seconde fois, il faut déguerpir. ROGER. Déguerpir ? LISETTE. Ah ! Mon Dieu, oui. ROGER. Et sans la revoir, Lisette ? LISETTE. Sans la revoir. Allons, Monsieur, il n'y a que deux pas à faire, et vous connaissez déjà le chemin. ROGER. Eh bien, Lisette, écoute-moi ; j'ai été un fou ; j'avais fait un bête, un stupide, un ridicule pari ; j'y renonce, je consens à le perdre; je l'ai perdu... Mais vois comme je suis rudement châtié, j'aime ta maîtresse. LISETTE. Ah, vous prenez bien votre temps, par exemple ! ROGER. Je l'aime, te dis-je, et je te somme de me dire si, vraiment, elle a un mari. LISETTE. Elle en a un, oui, Monsieur. ROGER. Ah ! Douleur de ma vie ! LISETTE. Mais il est mort... ROGER, sautant de joie. Ah ! Lisette, elle est libre ! Je la veux ; il me la faut ; dis-le lui va la trouver ; apaise-la ; qu'elle me pardonne et qu'elle me permette de lui faire oublier ma faute !... LISETTE. Tudieu, Monsieur, quel feu ! Quel enthousiasme! Les choses ne peuvent pas aller aussi vite, et Madame la Marquise. ROGER. C'est une marquise ? LISETTE. Ne vous l'avais-je pas dit ? La Marquise d'Entraigues. ROGER, interdit. Comment ? Quel nom as-tu prononcé là ? La marquise d'Entraigues la femme du vieux marquis Raoul d'Entraigues !... LISETTE. Oui, monsieur, celui qui est mort en son château d'Entraigues et dont Madame est veuve depuis bientôt quinze mois. ROGER. Mais alors ta maîtresse est ma tante. LISETTE, vivement. Votre tante ? Quoi ! Vous seriez donc ?... ROGER. Roger d'Entraigues ! Mon père était le propre frère du mari de ta maîtresse. LISETTE. Ah grands dieux !... Eh bien, Monsieur, on peut dire sans se tromper que vous portez votre deuil un peu plus gaiement que nous !... ROGER. Ah ! Lisette ! Je suis furieux. J'ai manqué de respect à ma tante, à celle que je brûlais tant de connaître, que j'aimais sans l'avoir vue ! Mais enfin, Lisette, ta maîtresse ne peut avoir le coeur impitoyable, elle me pardonnera une folie de jeune homme, de sot étourdi. LISETTE. Oh, pour cela, je n'en réponds pas ! ROGER, lui prenant les mains. Voyons, laisse-moi t'implorer ; veux-tu que je tombe à tes genoux ?... LISETTE. Cela n'avancerait en rien vos affaires. ROGER. Je t'en supplie, Lisette, va la trouver ; dis-lui que je l'aime, que je l'adore que je l'aimais depuis longtemps déjà, sur la seule réputation de sa beauté, et que je ne désire rien tant que d'obtenir mon pardon, de lui prouver mon repentir par ma soumission, et de lui offrir de réparer ma faute, en lui demandant sa main. LISETTE. Rien que cela, s'il vous plaît ! ROGER. Oui, Lisette ; dis-lui tout cela... Dis-lui encore que... SCÈNE XI. Les mêmes, La marquise, grande dignité. LA MARQUISE. C'est assez, Monsieur. ROGER, tombant à ses genoux. Ah ! Ma tante. Se reprenant vivement.Ah ! Madame ! LA MARQUISE. Relevez-vous, Monsieur le Comte ; j'ai tout entendu. Vous pouvez vous retirer, je sais qui vous êtes, vous savez qui je suis. Vous m'avez gravement offensée, mais l'ignorance où vous étiez de mon nom n'est point une excuse de la conduite que vous avez tenue vis-à-vis de moi. Je ne puis oublier ce qui s'est passé aujourd'hui entre nous. Lisette, reconduisez encore une fois Monsieur le comte d'Entraigues. Roger m'incline très humblement, et se retire. LISETTE, à part, en le conduisant à la porte. Voyons, Monsieur le Comte, faites bonne contenance et revenez demain. J'aurai arrangé les choses, et que je perde mon nom si dans quinze jours vous n'avez pas gagné complètement, mais ce qui s'appelle complètement, votre pari ! ==================================================