******************************************************** DC.Title = LE MARIAGE INATTENDU DE CHÉRUBIN, COMÉDIE DC.Author = GOUGES, Olympe de DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 01/02/2021 à 07:00:08. DC.Coverage = Espagne DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/GOUGES_CHERUBIN.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6505255m DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LE MARIAGE INATTENDU DE CHÉRUBIN COMÉDIE EN TROIS ACTES ET EN PROSE M DCC. LXXXVIII. Par Madame DE GOUGES. PRÉFACE. Je suis femme et auteur ; j'en ai toute l'activité. Mon premier mouvement est semblable à une tempête ; mais dès que l'explosion est faite, je reste dans un calme profond : tel est l'effet qu'éprouvent toutes les personnes vives et sensibles. Mon Mariage de Chérubin est un enfant de la Folle Journée, qui naquit de l'enthousiasme général, c'est un de mes premiers Ouvrages, duquel je me promettais beaucoup de gloire, et encore plus de profit ; mais, hélas ! c'est bien le cas de dire: Pauvres petits infortunés, Vous êtes morts avant que d'être nés ! Lu à la Comédie Italienne, il y fut accueilli ; mais des considérations de Théâtre à Théâtre en ont empêché la représentation, je le présente aujourd'hui au Public, rempli de fautes, tel que doit l'être une production faite en vingt-quatre heures à laquelle je n'ai rien changé. Cependant des hommes de Lettres, ainsi que MM. les Comédiens. y ont trouvé quelque mérite digne de fixer l'attention des gens de goût ; plusieurs personnes m'avoient engagé à la donner aux Variétés, au à la faire imprimer ; j'adoptai le dernier parti, et, depuis un an qu'elle est approuvée, je l'avais oublié parmi mes Manuscrits ; mais aujourd'hui que je vois annoncer dans le Journal un Mariage de Chérubin, ma vivacité Languedocienne se réveille, et il ne me reste plus que les regrets de m'être laissé prévenir, et la crainte d'un vol clandestin peut-être aussi suis je comme un poltron qui craint d'être assassiné, au seul aspect d'une épée nue. - Les hommes, sur ce point, sont très chatouilleux ; et les femmes y entendent encore moins raison. Comme je n'ai rien de plus cher que mes productions, je me hâte de réclamer celle-ci, dans le cas qu'on me l'ait volée. La passion qui me domine pour créer de nouveaux sujets, me fait oublier ceux qui les ont précédés ; l'activité de dix Secrétaires ne suffirait pas à la fécondité de mon imagination. J'ai trente Pièces au moins ; je conviens qu'il y en a beaucoup plus de mauvaises que de bonnes ; mais je dois convenir aussi que j'en ai dix qui ne sont pas dépourvues du sens commun. Cependant malgré la richesse de mon porte-feuille et la nouveauté de mes plans, dans ce temps de misère, mes peines et mes travaux me donneront plus de tourment que de gloire. La Comédie Française m'a impitoyablement et injustement ôté les moyens d'obtenir quelque succès. Comme j'ai créé tous mes sujets, excepté celui de Chérubin, j'avais des droits aux suffrages qu'on ne refuse pas à la nouveauté : Zamon et Mirza pourra convaincre le Public de cette vérité ; elle a été reçue à la Comédie Française avec acclamation ; M. Molé, quoiqu'il fut rebattu de ce Drame, ne put le lire sans verser des larmes, et tout le Comité parut éprouver la même sensation ; on a rayé cependant cet ouvrage du tableau de réception, par le comble de l'injustice ; c'est en vain que je me suis plaint, personne n'a pris part à mon injure. J'ai cru qu'en intéressant MM. les Auteurs Dramatiques à ma cause, qui devait être la leur, je pourrais avoir raison de ce procédé : quel était mon espoir ! Ne devais je pas craindre plutôt que le véritable caractère Français ne fut presque évanoui ? Il n'est cependant pas tout-à-fait détruit, puisque de quarante Lettres que j'ai écrites, j'ai eu quatre réponses. Ces Messieurs, qui m'ont prouvé avoir le caractère du véritable Homme de Lettres, se sont trop distingué pour que je ne les nomme pas : MM. La Harpe, le Marquis de Bièvre, Grouvel et Cailhava : le reste a gardé un profond silence. Je me propose d'instruire le Public des procédés que la Comédie s'est permise envers moi, quoique j'eusse mieux, aimé qu'il les ignorât, préférant un médiocre accommodement à un célèbre procès. Je dirai à cette occasion que j'avais fait part il y a quinze mois à M. C[aron] de B[eaumarchais] d'une petite pièce antérieure au Mariage de Chérubin ; sa délicatesse fut blessée, et ne trouva pas le but moral assez bien observé : l'écolier n'imite jamais parfaitement son Maître, et je crus que je ne pouvais mieux réparer mes torts qu'en mettant dans mon Mariage le but moral qui manquait non seulement dans la première pièce que j'avais produite dans ce genre, mais encore dans toutes les productions qui tiennent au Mariage de Figaro ; il paraît que je n'ai pas mieux réussi, malgré toute ma morale, aux yeux de M. C. de B.... qui cependant me fit la grâce de m'écrire plusieurs Lettres assez obligeantes ; j'ai cru que, dans mon malheur et dans le fatal événement qui m'est arrivé à la Comédie Française, M. C. de B. pourrait au moins me donner quelques bons conseils, s'il ne défendait pas ma cause ; et comment ne me serais-je pas flattée qu'il l'eût défendue avec ardeur et zèle ? N'est-ce pas un homme d'esprit ? Un homme qui connaît toute l'importance d'une affaire délicate, et qui fait les lois comme tous les Procureurs ensemble ; et lorsqu'une femme ne lui demandait que ses avis pour répondre à une querelle d'Allemand que la Comédie Frannçaise lui avait faite, elle trouve cet homme, que l'on assure sublime et aimable, sourd, muet, et insensible aux cris de la douleur et du désespoir. Actuellement que je suis un peu consolée de mes chagrins dramatiques, il me reste toujours sur le coeur la galanterie de M.C. de B ; et, comme je suis très franche, j'aime à dire ma façon de penser, et une petite vengeance soulage toujours la femme la plus douce. Celle-ci ne peut blesser la réputation d'un homme invulnérable ; ainsi je déclarerai hautement au Public qu'ayant écrit à M.C. de B. de même qu'à tous les Auteurs Dramatiques, j'ajoutai l'apostille suivante : " J'ai eu l'honneur de vous écrire, Monsieur, comme à tous les hommes de Lettres ; mais je viens chez vous comme les opprimés couraient chez Voltaire ; je suis à votre porte, et je me flatte que vous me ferez l'honnêteté de me recevoir ." Le Suisse me parut poli d'abord ; mais en revenant m'apporter la réponse de son Maître, il me dit avec le ton d'un homme de son état, qu'il était fort occupé, et qu'il ne pouvait m'entendre. - N'étant point faite pour commettre une indiscrétion, je le priai d'aller savoir son jour ; il me répondit des mots assez vagues qui sont inutiles à répéter, venant du Suisse de M.C. de B... . Enfin il obéit à ma supplication en fronçant le sourcil, et revint me dire galamment de la part de son Maître, qu'il ne pouvait pas m'assurer du jour. Je répondis : ni de l'heure, ni du mois, sans doute, allons, fouette Cocher : en me promettant bien de ne jamais réclamer ni l'appui ni les conseils de ceux qui ont oublié le malheur et les adversités : je laisse au Public à décider si M.C. de B. a bien fait de me punir de mon enthousiasme en le comparant à cet homme célèbre, au défenseur de l'opprimé, à l'appui de la veuve et de l'orphelin. Au reste, j'ai dégagé mon coeur du poids qui l'étouffait depuis quatre mois ; je lui dis tout cela sans faire de l'esprit ni des phrases. Peut-être il me répondra ; j'apprendrai de lui mieux que de tout autre l'art de faire une Préface : car, j'avoue mon ignorance, un instinct naturel fait toute ma science, Il n'y a ni savoir ni sexe qui tienne ; les Gens de plume s'expliquent avec leurs armes ; mais si tous s'en servaient avec cette franchise, il y aurait moins de méchants dans la Société : on applaudit à l'adresse d'un lâche calomniateur. Tout est charmant s'il médit avec esprit. Voilà les hommes et leurs affreux principes. Si je me mettais à moraliser, je pourrais ennuyer mon Lecteur ; il a trois actes éternels à lire, je le prie de toute mon âme d'avoir du courage. PERSONNAGES CHÉRUBIN, Capitaine des Gardes du Roi d'Espagne. LE COMTE ALMAVIVA. LA COMTESSE. LE DUC DE MÉDOC, père de Fanchette. LA DUCHESSE. FIGARO. SUZANNE. FANCHETTE, fille du Duc et de la Duchesse, crue fille d'Antonio. ANTONIO. NICOLAS, fiancé de Fanchette. BRID'OISON, Parrain de Nicolas. BASILE. LA FLEUR, Laquais. UN NOTAIRE. PLUSIEURS DOMESTIQUES. PAYSANS et PAYSANNES. La Scène se passe en Espagne, dans un château du Comte. ACTE PREMIER. Le Théâtre représente un salon meublé. SCÈNE PREMIÈRE. Chérubin, Figaro. FIGARO. Enfin, vous voilà, Monseigneur, le maître de ce Château. Vous n'êtes plus Chérubin, et votre élévation à la Cour vous donne la supériorité sur le Comte, Il dépend à son tour de vous. CHÉRUBIN. Tu te trompes, Figaro. Dis plutôt l'ami du Comte et de la Comtesse. FIGARO. Cette générosité est admirable ; mais la Terre n'en est pas moins à vous ; et le dérangement de Monsieur le Comte. CHÉRUBIN. Malgré sa position, il n'a pas voulu accepter mes services. Je n'ai acheté sa Terre qu'à condition que lui et la Comtesse l'habiteraient leur vie durant. FIGARO. Fort bien : vous n'aurez pas les honneurs de la Seigneurie ; mais vous en ferez valoir les droits. Je crois que Monsieur le Comte n'aurait jamais consenti à vous céder sa Terre, s'il n'avait pas vu que votre respect pour la Comtesse augmentait tous les jours, tandis que l'amour que vous aviez pour elle diminuait furieusement : il était si violent qu'il sautait aux yeux des moins clairvoyants ; mais le calme où vous êtes depuis quelque temps n'est pas moins visible. Je suis un vieux routier. Voyons si je ne devinerai pas la cause de cette tranquillité apparente. Madame la Comtesse, se montrant plus traitable à votre égard, pourrait bien... Eh, qu'en dites-vous ? Les femmes sont supérieures dans ce manège : tant qu'elles font les cruelles et qu'elles n'ont rien à se reprocher, elles ne prennent aucun soin pour voiler une intrigue ; mais lorsque leurs bontés deviennent enfin la récompense de nos soins, c'est alors qu'elles emploient toute leur habileté. et nous forment dans l'art de la dissimulation, où elles excellent : les rendez-vous les plus secrets et les plus délicieux éteignent en public ces mouvements impétueux qui nous transportent pour l'objet que nous aimons. Vous rêvez, Monseigneur, qu'avez-vous à répondre ? CHÉRUBIN. Ce que tu dis sur les femmes est véritable et j'en ai fait l'expérience ; mais tu te trompes, Figaro, au sujet de la Comtesse, elle est trop respectable. FIGARO. Je le crois, dès que vous l'assurez. Vous êtes donc bien heureux à présent ? Plus d'amour, plus de folie... Vous vous taisez, Monseigneur ; vous soupirez.... Ah, de grâce, parlez moi. Est-ce que vous ne m'honorez plus de votre amitié ? CHÉRUBIN, embrassant Figaro. Mon cher ami, mon cher Figaro, je n'ose t'avouer... FIGARO, à part. Qu'est-ce que cela veut dire ? Serait-il encore devenu amoureux de ma chère Suzanne ? J'avais bien raison de ne vouloir pas venir au mariage de la cousine de ma femme. CHÉRUBIN. Que parles-tu de sa cousine, de Fanchette ? Elle va donc être mariée à ce butor de paysan ? FIGARO, à part. Ah, je respire. Il faut convenir que la jalousie d'un mari Castillan est terriblement ombrageuse. Ce mal me gagne, il faut que je tâche de m'en corriger. CHÉRUBIN. Qu'est- ce que tu marmottes-là, tout seul ? FIGARO, grotesquement. Mes patenôtres, que j'avais oublié de dire ce matin. Dame, l'amour, à moi, ne m'empêche pas de faire mon devoir. CHÉRUBIN. Tu es toujours fou. Que tu es heureux d'avoir conservé cette gaieté ! FIGARO. Eh ! Que ferais-je sans elle, avec tous les embarras du ménage, et les martels en tête que ma femme me cause ? Mais parlons de Fanchette. Elle vous tente, à ce qu'il me paraît, et je devine que vous sentez pour elle, ce que le Comte éprouvait pour Suzanne. Le droit du Seigneur ne vous tient il pas au coeur ? CHÉRUBIN. Non, Figaro. FIGARO. Quoi donc ? Je croyais, moi, que c'était ce qu'il y avait de plus joli que le droit du Seigneur. Préparer une mariée au pauvre benêt de mari, qui l'attend.... Mais c'est charmant cela ! Le discours du Seigneur influe dans le ménage. CHÉRUBIN. Laisse là la raillerie. FIGARO. Oui, quand vous êtes sérieux comme un Docteur de Salamanque. CHÉRUBIN. Je n'en ai pas la sagesse. FIGARO. Eh bien, soyons donc fous. Amusons-nous à ce mariage. CHÉRUBIN. Je ne le puis ; il faut m'éloigner de ces lieux. FIGARO. Quel parti extrême ! Vous n'avez rien d'un page... Vous êtes donc bien amoureux ! CHÉRUBIN. Plus que jamais. Fanchette est devenue si belle ? Elle a un air si noble et si décent ! Non, elle n'a rien d'une paysanne. FIGARO. Il ne lui manque que les habits pour avoir la mine d'une femme de Cour ; mais cela pouvait-il être autrement, ayant été instruite par ma Suzette, et élevée auprès de la Comtesse ? CHÉRUBIN. Je crois voir en elle une fille de qualité sous l'habit grossier d'une Villageoise. FIGARO. Toujours des idées romanesques. C'est comme moi, qui me croyais un grand personnage ; mais Fanchette n'a pas été perdue, on connaît fort bien son véritable père. Les Paysans sont plus sûrs dans leur commerce. En un mot, elle est fille d'Antonio, et il n'y a point à en douter. CHÉRUBIN. Quel dommage que Fanchette ait une si basse origine ! Si l'on pouvait vaincre le préjugé, qui fait le malheur des hommes. FIGARO. Vous avez raison, Monseigneur ; mais vous auriez tort si vous vouliez le détruire. Quoique devenu votre maître, et parvenu au plus haut degré de fortune et de dignité, vous devez tout à votre rang. CHÉRUBIN. Ce rang est un sot, et cependant il faut avoir l'esprit de le soutenir. FIGARO. Bravo, Monseigneur. Vous êtes le seul à qui j'ai vu le caractère d'un véritable homme : ainsi, vous n'avez pas besoin de mes conseils. Que votre raison seule vous guide, et vous ne ferez pas de sottises. CHÉRUBIN. L'amour est tout puissant. L'absence seule peut le vaincre et non pas la raison. FIGARO. Partez donc au plutôt. puisqu'il le faut, mais je crains bien que Monsieur le Comte ne profite de votre départ pour réaliser ses prétentions. CHÉRUBIN. Tu crois, cher Figaro ? FIGARO. Ma foi, je crois tout de sa part. Respecte-t-il quelque chose en fait de galanterie ? CHÉRUBIN. Tu me fais ouvrir les yeux. Le Comte pourrait abuser ?... Non, je ne partirai qu'après le mariage. FIGARO. Fort bien ; mais voici Monsieur le Comte. Changeons de conversation. SCÈNE II. Chérubin, Figaro, Le Comte. LE COMTE, à Chérubin. Je reçois de Madrid des nouvelles bien intéressantes, et qui vous regardent aussi, Monsieur le Marquis. CHÉRUBIN. Sur quoi, Monsieur le Comte ? LE COMTE. Vous êtes allié, ainsi que Madame la Comtesse, à la Maison de Médoc ; vous savez que cette Famille avait reçu une tache à l'occasion d'un mariage secret avec le Duc Don Fernand : ce mariage avait été cassé, votre parente fut mise au couvent, le Duc exilé. CHÉRUBIN. Eh bien, Monsieur le Comte ? LE COMTE. Ce mariage vient d'être réhabilité, et la cérémonie a été faite à la Cour. CHÉRUBIN. Quel bonheur ! Ma famille est donc enfin tout-à-fait relevée ? LE COMTE. Ce n'est pas tout. Ce couple infortuné, autant qu'intéressant, vient nous voir ; mais ce qui me paraît bien singulier, c'est qu'ils me parlent dans leurs lettres d'Antonio ; beaucoup de Fanchette. FIGARO, rêvant et se frappant la tête. Je ne me trompe pas. Ai-je rêvé cette histoire ou bien est-ce Suzanne qui me l'a racontée ? Je vais vous mettre au fait. Je vaux mon pesant d'or pour me retrouver dans ces aventures. La femme d'Antonio fut prise pour Nourrice, et on l'emmena avant qu'elle fut accouchée ; l'enfant de cette dame mourut au bout de trois mois, Mathurine revint dans son village avec sa fille, chargée de bijoux et de présents. J'imagine qu'il n'y a pas eu de sa faute si l'enfant est mort, et comme Fanchette est sa soeur de lait en venant dans le pays, ils seront fort aises de la voir. LE COMTE. Il est incroyable et n'est jamais en défaut ; il fait tout. Il faut convenir que sans Monsieur Figaro, on ne trouverait pas toutes ces choses-là, et j'oubliais que j'en avais ouï parler. FIGARO, à part. Voilà de l'eau bénite de Cour, il a besoin de moi. Haut.Votre Excellence me flatte. Si j'ai donné de l'esprit à des ignorants, j'ai bien fait des bêtes de gens d'esprit. Je réussis où tous les autres échouent. Une heureuse gaieté fait ma philosophie ; je fais la loi aux sots ; je brave les méchants, et suis humain comme personne, faisant le bien en dépit de mes ennemis. CHÉRUBIN. Mais à quoi sert, Figaro, ce dialogue que tu nous fais-là ? Nous parlions de Fanchette. Tu dis ?... FIGARO. Hé bien, je vous dis tout ce que j'en fais. Chacun parle de ce qui l'intéresse. LE COMTE. Il a ses raisons. Quand Monsieur Figaro a quel que coup de patte à me donner, il ne m'épargne pas. Vous faites l'important, Monsieur le Financier parvenu. Ne vous souvient-il plus que vous avez été mon valet, et ancien médecin de chevaux en Catalogne ? FIGARO. J'ai eu l'esprit de ne pas l'oublier, et vous n'avez pas eu celui de ne plus vous en souvenir. Tenez, Monseigneur, point d'apostrophe. Je suis un homme comme vous, et je connais mes droits. Il y a un million de fois plus de mérite à être parvenu moi seul, sans l'aide de personne, à la place que j'occupe. Votre Excellence n'en peut pas dire autant. CHÉRUBIN. Il est vrai qu'il a essuyé bien des évènements et des tracasseries dans sa vie. LE COMTE. Et tout a tourné à son avantage. Le voilà bien malade. Pauvre petit, je lui conseille de se plaindre. C'est bien le mortel le plus heureux : son étoile vaut deux mille ans de noblesse. FIGARO. Je conviens que je suis ne coiffé ; que tout autre, qui aurait éprouvé mes catastrophes, se serait cru perdu. Je me suis vu à la fois loué, blâmé, et traité comme un petit garçon. J'avais autant de probité qu'il en fallait pour faire un honnête quoiqu'elle soit regardée dans ce siècle comme un papier monnaie, qui ne passe qu'à la faveur du crédit. J'ai fait une étude particulière des hommes ; je sais comme il faut s'y prendre pour les mener. Si je vous racontais.... LE COMTE. Grâce, grâce, Monsieur Figaro ; vous allez nous faire un discours éternel. FIGARO. Voilà les Grands Seigneurs ! Les rapproche-t-on du but et de la vérité, on ne trouve plus personne. On entend du bruit.Mais voici nos Dames avec la mariée. CHÉRUBIN, à part. Comment cacher mon trouble ? Je me sens tout ému à son aspect. SCÈNE III. Chérubin, Figaro, Le Comte, La Comtesse, Suzanne, Fanchette. LE COMTESSE. Voici un nouveau Mariage, Monsieur le Comte, qui se prépare. Que ferons-nous pour Fanchette ? Pas autant que nous le désirerions. Notre fortune a bien changé. FRANCHETTE. Madame, je préfère vos bontés à tous les dons de la fortune. LE COMTE. Qu'elle est devenue intéressante ! SUZANNE. Elle ne chérit pas autant son Nicolas que j'aimais mon Figaro. Ce mariage ne sera pas heureux. CHÉRUBIN. Eh, pourquoi forcer son inclination ? SUZANNE. Son père le veut. FRANCHETTE. Je le veux moi-même. Il faut humilier mes sentiments qui sont trop élevés pour la fille d'un jardinier. FIGARO. Un Jardinier est un homme. CHÉRUBIN. Et sa fille peut prétendre au rang le plus élevé, quand elle a autant de mérite que Fanchette. LE COMTE, à part. Il en est amoureux comme un Espagnol. Je m'en étais douté : voilà ce qui l'a guéri de sa passion pour la Comtesse. Je n'en suis pas fâché. FIGARO, bas au Comte. Je le crois, Monseigneur ; voilà votre honneur à couvert : vous avez couru de grands risques. LE COMTE, de même. Chut. SUZANNE. Voyez comme l'éloge la fait rougir. LE COMTESSE. C'est une vérité. FRANCHETTE. Madame la Comtesse, ne me gâtez pas, je ne le suis que trop. FIGARO. Les femmes en conviennent rarement ; mais elle est si jeune, si simple, que la vérité n'a pas encore corrompu son âme. LE COMTE, bas à Figaro. Cela viendra, Monsieur Figaro, cela viendra. FIGARO. Vous l'espérez, Monseigneur. LE COMTE. J'y compte. CHÉRUBIN, à Fanchette. Mais pourquoi épouser un homme que vous n'aimez pas ? LE COMTE. On dit que l'amour vient avec le temps. FIGARO. Et moi, je soutiens qu'il s'en va. SUZANNE. Figaro a raison. FIGARO. Je l'aurais juré. LE COMTESSE. Surtout du côté des hommes. FIGARO. Voilà le correctif. Les femmes ne veulent jamais avoir tort les premières, et c'est toujours nous qui les prévenons. LE COMTESSE. Il faut cependant égayer la fête. Vous aller nous laisser seules. Nous avons la toilette de Fanchette à faire. Je la mets en habit de Cour pour le jour de son mariage. FRANCHETTE. Madame, il n'est pas nécessaire : il faudra le quitter. SUZANNE. Tout est permis ce jour-là : c'est le plus beau de la mariée. FIGARO. Et du marié ? LE COMTE. Je peux rester à la toilette. Vous savez que je m'y entends très bien. Chérubin et Fanchette se regardent pendant le dialogue suivant, et forment une scène muette et intéressante. FIGARO, à part, s'apercevant des regards que se lancent nos deux amants. Comme la prunelle va son train ! On peut bien dire que les amants sont semblables à ces intelligences célestes, qui se communiquent leurs pensées en se regardant. Que ce langage muet est délicieux ! Heureux temPs de mes amours, ne reviendras-tu plus pour moi ? SUZANNE. Qu'as-tu, mon Figaro ? Tu soupires, mon ami. FIGARO, à part. La traîtresse me devine et se moque de moi. Haut.Ce jour me rappelle celui de notre mariage. SUZANNE. Eh bien ! Qu'as-tu à te plaindre ? N'a-t-il pas été des plus heureux ? N'avons-nous pas prospéré au-delà de toute espérance ? Sois persuadé que nous serons longtemps unis, et que notre cinquantaine couronnera encore nos amours. LE COMTESSE. Allons, Messieurs, sortez. J'ai à parler en particulier à Fanchette et à Suzanne. FIGARO. Je sors. Il sen va. SCÈNE IV. Chérubin, Le Comte, La Comtesse, Suzanne, Fanchette. CHÉRUBIN. Mais, Monsieur le Comte, on devrait attendre Madame la Duchesse. LE COMTESSE. Madame la Duchesse ! LE COMTE. J'oubliais ma chère Comtesse, de vous apprendre cette nouvelle. Votre parente, qui l'est en même temps du Marquis, vient d'être réunie à son époux le Duc de Médoc : on a réhabilité leur mariage, qui couronne une confiance que les années et l'absence n'ont pu affaiblir de part ni d'autre. Ils viennent nous voir ; voilà leur lettre. Je vais donner mes ordres pour les recevoir. À Chérubin. Venez avec moi, Monsieur le Marquis. Ils sortent. SCÈNE V. La Comtesse, Suzanne, Fanchette. LE COMTESSE. Quel bonheur pour ma parente ! Après avoir lu bas.Elle parle de toi, Fanchette. FRANCHETTE. Hélas, je suis la soeur de lait de leur fille infortunée, qui mourut âgée de trois mois, à ce que m'a raconté mon père. SUZANNE. Ma tante Mathurine m'a parlé très souvent de tout cela. Elle pleurait en se ressouvenant de la cruauté qu'on avait mise en séparant ces deux époux, et regardant Fanchette, elle lui disait : Tu aurais joué un grand rôle, mon enfant, et moi aussi. Car elle avait de l'ambition, pour une paysanne. Son mari n'est qu'une bête ; mais elle ne manquait pas d'esprit et d'un certain jugement. LE COMTESSE. Je n'ai jamais connu ma parente, j'étais trop jeune dans ce temPs-là ; mais j'ai appris tous ses malheurs. Quel plaisir je vais goûter en la voyant ! À Fanchette. Qu'as tu Fanchette ? FANCHETTE, à part. J'éprouve intérieurement des mouvements inconnus. L'arrivée de ces personnes, un penchant qu'il me faut étouffer ; tout cela me bouleverse le coeur et l'esprit. Haut.Je n'en puis plus. LE COMTESSE. Fanchette, vous pâlissez ? [À] Suzanne.Elle se trouve mal, Suzanne : approche ce fauteuil. SUZANNE. C'est ce maudit homme que son père la force d'épouser. LE COMTESSE. Console-toi, ma chère Fanchette ; je parlerai à Antonio, et, s'il n'écoute pas mes raisons, nous trouverons des moyens pour rompre ce mariage. FRANCHETTE. Il est trop avancé ; tout est préparé pour demain. SUZANNE. Nous gagnerons du temps. N'avons-nous pas le prétexte de l'arrivée de Monsieur le Duc et de son épouse ? FRANCHETTE. Mon père n'écoutera rien. SCÈNE VI. La Comtesse, Suzanne, Fanchette, La Fleur. LA FLEUR. Antonio et le prétendu de Fanchette demandent à parler à Madame la Comtesse. LE COMTESSE. Faites entrer. La Fleur sort. SCÈNE VII. La Comtesse, Suzanne, Fanchette. LE COMTESSE. Ils viennent bien à propos. SCÈNE VIII. Les mêmes, Antonio, Nicolas. ANTONIO. Je venions, Madame la Comtesse, pour avoir l'honneur de vous présenter notre biau-fils. NICOLAS. C'est beaucoup d'honneur pour nous, Madame la Comtesse. LE COMTESSE. Je suis fort aise de vous voir tous les deux ; et pour quand le mariage ? ANTONIO. Tatidienne, Madame la Comtesse vous savez ben que c'est demain. J'avons prié tout le village pour assister à la fête, sans compter ceux qui viendront de l'endroit de notre gendre. NICOLAS, d'un ton niais. Je sommes assez riches pour fêter tous ceux qui viendront à notre noce. À sa Future. Vous ne nous dites rien, Mademoiselle Fanchette. Il vous tarde d'être mariée, n'est-ce pas ? SUZANNE, à part. Le sot animal ! Où la Fortune a-t-elle été se nicher ? FRANCHETTE. C'est une question qu'on ne doit pas faire, Monsieur Nicolas. NICOLAS, riant. Ah ! Nous vous en ferons ben d'autres, quand nous serons mariés. ANTONIO, riant. C'est un Compère, que notre biau-fils. LE COMTESSE. Cessons cette conversation. Antonio, vous savez que votre femme fut mise en qualité de nourrice auprès de la Duchesse, épouse du Duc Don Fernand ; ils arrivent tous les deux dans cette Terre. ANTONIO. Je savons ben cela, Madame la Comtesse ; et si vous voulez, j'allons vous raconter.... LE COMTESSE. Je fais tout cela. Ils s'intéressent beaucoup au sort de Fanchette, et je vous conseille de ne pas terminer avant leur arrivée. ANTONIO. Ça nous fait ben grand plaisir Madame la Comtesse, mais qu'ils se dépêchent de venir. On ne peut pas reculer la fête, Madame la Comtesse sent cela aussi bien que nous. LE COMTESSE. Je ne vois rien qui vous force à précipiter la cérémonie. SUZANNE. Mon oncle, voudriez-vous manquer à des personnes de ce rang, et à qui vous devez tant de reconnaissance ? FRANCHETTE. Mon père ! ANTONIO, faisant la grimace. Eh ben ! Mon père. - Taisez-vous, petite péronnelle. À la Comtesse. J'avons nos raisons, Madame la Comtesse. Monsieur Nicolas est un brave garçon, qui a du bien, qui ne veut plus que je sois jardinier, et qui prend ma fille telle qu'elle est. SUZANNE, à part. Que veut-il dire ? J'entrevois du mystère. Bas à la Comtesse. Tâchez d'éclaircir cela, Madame, nous allons vous laisser avec lui. NICOLAS. Je la prenons jolie, parce qu'elle l'est, morguenne, je l'épouserions de même, quand elle ne le serait pas. Suffit que j'avons donné notre parole ; notre beau-père nous connaît ben ; j'avans le coeur sur la main, dà. SUZANNE, à part. Quelle bonne tournure de mari ! Qu'on en trouve un plus benêt, et je prends sur le champ la poste aux ballons pour l'aller dire à Rome. Haut à Fanchette.Suivez moi, ma cousine. À Nicolas.Et vous aussi, mon prétendu cousin. NICOLAS, faisant des révérences. J'avons l'honneur de vous saluer, Madame la Comtesse. S'approchant de sa Future.Donnez-moi le bras, Mademoiselle Fanchette, j'allons être votre conducteur. SUZANNE, riant. Donnez-moi aussi la main. Nous aurons-là, ma foi, un élégant Ecuyer. Nicolas met sur sa tête son chapeau qui l'embarrassait, et on lui fait faire deux ou trois tours, parce qu'il s'est présenté gauchement ; la Comtesse sourit. Ils sortent. SCÈNE IX. La Comtesse, Antonio. ANTONIO. Madame Figaro a pris l'air goguenard comme son vaurien de mari. Je n'aimons pas toutes ces façons. LE COMTESSE. Qu'avez-vous à me dire concernant Fanchette ? ANTONIO. Tenez, Madame la Comtesse ; vous êtes une femme respectable ; j'allons vous décharger notre coeur. Vous connaissez Monsieur le Comte, il a toujours des prétentions sur les jeunes filles, mais je craignons encore plus ce gringalet de page, quoiqu'il soit devenu fort raisonnable, à ce qu'on dit, depuis que c'est un grand personnages je ne m'y fions guère, je l'avons surpris plusieurs fois avec Fanchette, ils avaient tous les deux un pied de rouge sur le nez : je n'avons pas la berlue. Est-ce que Monsieur le Marquis est fait pour fréquenter ma fille, et chercher à lui parler partout ? LE COMTESSE. Ce qu'il en fait n'est que par politesse. ANTONIO. Je savons ben que parmi les grands Seigneurs, on fait donner de biaux noms à ce qui n'est guère biau de soi-même. LE COMTESSE. Enfin tout ce que vous me dites là n'est pas une raison pour ne pouvoir retarder ce mariage de quelques jours. ANTONIO. Je vous disons tout ce que je savons, et je ne savons pas tout : tant y a que je sommes forcés de veiller notre fille comme le lait sur le feu. Ça n'est pas un petit embarras, et puis les frais sont faits. Les habits de noce sont achetés ; il faut que le contrat se signe demain. Vous voyez, Madame la Comtesse, qu'on ne peut pas retarder, ni déprier tous les assistants. BASILE, dans la coulisse. Je vais faire part à Madame la Comtesse de ce qui se passe. SCÈNE X. La Comtesse, Antonio, Basile. BASILE. Un Courrier vient d'arriver, Madame la Comtesse ; vous n'aurez que dans quinze jours votre parente. LE COMTESSE. Monsieur le Comte en est-il instruit ? BASILE. Non, Madame la Comtesse. LE COMTESSE. Je vais le trouver. Au Jardinier.Suivez-moi Antonio. Elle sort avec Antonio. SCÈNE XI. BASILE, seul. La petite fille en tient pour Chérubin, c'est en vain que Monseigneur a jeté son dévolu sur elle ; le page aura la préférence pour le droit du Seigneur, et Monsieur le Comte n'aura rien. SCÈNE XII. Basile, Le Comte. LE COMTE, entrant doucement. Vous en aurez menti, Monsieur le mauvais Prophète. BASILE, étonné. Vous m'écoutiez, Monseigneur ? Votre Excellence a pu voir que dans mes paroles il n'y avait que le regret du passe-droit que je crains pour vous. LE COMTE. C'est à quoi il faut parer, s'il est possible. La Duchesse n'arrive pas, je vais persuader à Chérubin que le devoir l'appelle auprès de sa parente ; qu'il doit partir pour Madrid et revenir avec elle. Je me défie de Figaro, il est plus son ami que le mien, il faut l'engager à partir avec Chérubin. Fanchette abhorre son prétendu ; elle ne se refuserait pas, comme sa cousine, au droit qui m'est dû. Si l'on pouvait faire partir la Comtesse, en promettant qu'on retarderait la fête. Une fois tout le monde éloigné, nous laisserions agir Antonio. BASILE. À qui mes conseils persuaderaient de ne pas perdre un moment pour conclure ce mariage. J'entends, Monseigneur, et je vais arranger tout cela avec des accompagnements sur ma guitare. LE COMTE. Allez, et ne vous trompez pas dans les variations. Voilà pour l'accord parfait. Il lui donne de l'argent. BASILE. [Note : La Pièce de Chérubin, donnée aux Italiens, est tombée au moment que Chérubin imitait la voix du Rossignol. [NdA]]Je n'oublierai rien, et ne me tromperai pas même d'une triple-croche. J'imiterai la voix du rossignol ; mais je ne me laisserai pas prendre par la patte, crainte de tomber. Reposez-vous sur moi, Monseigneur ; vous savez comme je mène ces sortes d'affaires. Je suis comme César, qui croyait n'avoir rien fait, lorsqu'il lui restait encore quelque chose à faire. Il sort. SCÈNE XIII. LE COMTE, seul. Voilà bien ce pédant toujours avec ses citations ! - Ce serait admirable de me venger de Figaro et du Page, en faisant de Fanchette ma maîtresse. Elle me plaît encore plus que Suzanne ; elle n'a pas l'esprit naturel et l'enjouement de sa cousine ; mais aussi qu'elle est intéressante dans sa candeur naïve ! Comment ! Elle a un air de dignité qui m'en impose, quand je veux badiner avec elle. « Je ne suis plus un enfant me dit-elle », en me faisant gravement la révérence, et puis elle me laisse là très poliment. Allons préparer nos affaires, elle changera de ton quand elle sera mariée. SCÈNE XIV. Le Comte, La Comtesse. LE COMTESSE. Vous n'ignorez pas, sans doute, Monsieur le Comte, qu'un courrier est arrivé de la part de Monsieur le Duc et de Madame la Duchesse, et que nous ne les aurons ici que dans huit jours ? LE COMTE. Je le savais. LE COMTESSE. Il conviendrait fort de retarder ce mariage. Je ne puis rien obtenir du père de Fanchette ; mais, Monsieur le Comte, vous pourriez peut-être lui faire entendre raison. LE COMTE. Cet homme est trop entêté. Je viendrais plutôt à bout de changer un Gouvernement. LE COMTESSE. Fanchette me paraît avoir bien de la répugnance pour son prétendu. LE COMTE. Je crois qu'elle aurait plus de goût pour Chérubin. LE COMTESSE. Quelle idée ! LE COMTE. Pas si folle ; et je crois que votre parent ne voit pas ce mariage avec plaisir. L'Amour se plaît à rapprocher les rangs. La Comtesse paraît surprise. LE COMTE. Cela vous afflige. LA COMTESSE, avec une froideur apparente Quoi ! Vous croyez que deux enfants... LE COMTE. Vous vous êtes accoutumée à regarder Chérubin comme un enfant ; mais il ne l'est plus aujourd'hui. Ce n'est plus cet espiègle qui faisait rire les femmes par ses aimables folies, c'est maintenant un grand personnage. Avec finesse.N'êtes-vous pas fâchée de ce changement ? LA COMTESSE, avec sensibilité. Et pourquoi voudriez-vous, Monsieur, que je fusse fâchée de le voir heureux ? LE COMTE. Et vous voyez avec plaisir son refroidissement pour vous ? LE COMTESSE. Vous me faites sans cesse des questions qui offensent ma délicatesse. Vous Monsieur, qui avez tant de torts à mon égard ! Je ne vous parle cependant de rien. J'étouffe dans mon coeur des reproches que vous avez trop mérités. Du moins, ne soyez pas injuste : si je vous pardonne tout, faites moi grâce de ce que vous n'avez rien à me reprocher. LE COMTE. J'en conviens, mon adorable Comtesse ; mais, à travers mes erreurs, je n'ai jamais cessé de vous estimer. LA COMTESSE, malignement. Ah ! Je suis bien sûre de celui-là : je l'ai trop mérité, et voilà mon seul tort envers vous. LE COMTE. Vous en êtes plus méritante et plus respectable. LE COMTESSE. Mais moins aimée. LE COMTE. Ah ! Le reproche est sanglant. Est-on jaloux : quand on n'aime pas ? LE COMTESSE. On l'est par amour-propre et par orgueil. Voilà comme vous m'aimez. LE COMTE. Vous êtes injuste à votre tour, ma chère Comtesse ; mais brisons là-dessus, et parlons de votre parente. Je crois qu'il est convenable que vous alliez au-devant d'elle pour la feliciter sur l'heureux événement qui la rejoint à son époux. Elle fera sensible à cette marque de votre attention. LE COMTESSE. Je n'aurais osé vous en demander la permission, et je suis enchantée que vous m'ayez prévenue. Ce n'est pas le devoir qui me guidera auprès de ma parente, mais le sang et l'amitié. LE COMTE. Comme Chérubin est du même sang, il faudra qu'il vous accompagne. LE COMTESSE. Vous ferez donc de la partie ? LE COMTE. Je ne puis aller à Madrid. Je ne pourrais garder l'incognito dans cette circonstance. LE COMTESSE. Mais vous pourriez venir avec nous jusqu'auprès de l'Escurial. Vous auriez l'occasion de voir votre oncle. LE COMTE, d'un ton embarrassé. Je le voudrais de tout mon coeur ; mais j'ai donné parole à mes Gens d'Affaire pour après demain. Si pourtant la chose est possible, je ne me priverai pas de ce plaisir. Je vais donner les ordres pour ce départ, tout de suite après le mariage. LE COMTESSE. Je vais faire préparer ce qu'il me faut ; ainsi que la parure que je destine à Fanchette pour le jour de ses noces. LE COMTE. Mais vous souperez avec nous ? LE COMTESSE. Non, je ne prendrai rien de ce soir. J'ai ma migraine, et je vais rentrer chez moi. LE COMTE. Je vais vous donner la main jusqu'à votre appartement. À part, en s'en allant. Bon ! Les choses en sont au point où je les voulais. Ils sortent. ACTE II Le Théâtre représente le même salon. La scène est dans l'obscurité de la nuit, et s'éclaire par degrés. SCÈNE PREMIÈRE. FANCHETTE, seule, échevelée, et son habit en désordre. Tout le monde repose dans ce Château. Que le sommeil est loin de ma paupière. Tout paraît calme ici, mon coeur seul est troublé par une terreur inexprimable. Ah ! Chérubin, Chérubin ! Son image me poursuit partout. Hélas ! Je ne suis point née pour lui. Le sort me destine à être la compagne d'un paysan, et non pas d'un homme de qualité. Ce n'est plus ce Page, cet étourdi ; c'est un homme raisonnable, décent ; il n'en est que plus dangereux pour une âme sensible. Aurai-je la force de l'oublier ? Je le dois, il faut me résigner à ma triste destinée, et remplir le devoir, qu'elle me prescrit. SCÈNE II. Fanchette, Basile, dans le fond. BASILE, à part. Bon ! La voilà seule, allons avertir Monseigneur. Il aura le temps, avant que personne ne se lève, de s'expliquer avec elle. Il sort. SCÈNE III. FANCHETTE, seule et s'asseyant. Quelle cruelle position que la mienne ! Je n'ose confier mes peines à personne, pas même à Suzanne, ma cousine, ma plus tendre amie. Une douleur cachée devient plus aiguë et plus difficile à supporter. SCÈNE IV. Fanchette, Chérubin. CHÉRUBIN, au fond. J'ai passé la nuit dans le parc sans m'en apercevoir. J'erre dans ce château sans rencontrer personne ; mais Fanchette est toujours présente à mes yeux. L'apercevant.Dieux ! Ne me trompai-je pas ! C'est elle-même. FANCHETTE, surprise se levant. Ciel ! C'est lui ! CHÉRUBIN. Ah ! Ma chère Fanchette, que faites-vous ici, si matin ? FANCHETTE, baissant les yeux. Et vous-même, Monseigneur, qu'y cherchez vous ? CHÉRUBIN. Le repos, qu'il m'est impossible de trouver. Ô, mon aimable Fanchette ! Votre coeur ne devine-t-il pas tout ce que souffre le mien ! FANCHETTE, d'une voix basse. Je suis plus à plaindre que vous. Songez à m'oublier. Hélas, aurai-je la force de suivre le conseil que je vous donne ? À part.Non, je le sens, cet effort est au-dessus de moi. CHÉRUBIN. Peut-on détruire un amour si pur ? Cet amour formé dès notre enfance, dont les années n'ont fait qu'accroître la violence, sans rien diminuer de sa pureté. FRANCHETTE. La raison le condamne. Quel est votre espoir ? CHÉRUBIN. Je n'en ai point, je n'en vois aucun dans l'avenir, et je vous honore trop pour vous proposer aucun parti qui puisse alarmer votre délicatesse. FRANCHETTE. Ah ! Je vous rends justice : votre âme est trop noble pour donner accès à la moindre idée qui puisse offenser la vertu. La pureté de vos sentiments vous rend bien digne du fort heureux qui vous a favorisé. SCÈNE V. Fanchette, Chérubin, Basile. CHÉRUBIN. Que parlez-vous de bonheur ! Il n'en est plus pour moi. BASILE, ayant écouté du fond. Je le crois. Les sentiments ne sont pas fortune dans le siècle où nous sommes, et surtout avec les femmes. Ah ! Pauvre Page, que tu es devenu ennuyeux ! Les belles ne se le disputeront plus ; mais il pourra réussir avec les prudes. Monseigneur n'arrive guère. Allons le faire dépêcher. Il sort. SCÈNE VI. Fanchette, Chérubin. FANCHETTE, alarmé. Je suis perdu : je viens d'entendre la voix de ce méchant Basile. Il a l'affreux talent de noircir les choses les plus innocentes. Éloignez-vous, Monseigneur. CHÉRUBIN, tristement. Oui, je va vous quitter, et pour jamais. Adieu, charmant et unique objet d'un amour qui me suivre jusqu'au tombeau. FRANCHETTE. Adieu, cher Chérubin. CHÉRUBIN. Permettez-moi de m'informer de vous. Vous recevrez de mes nouvelles. Ne me refusez pas cette seule et dernière grâce. FANCHETTE. Je ne vous refuserai jamais rien de ce que mon devoir me permettra de vous accorder. CHÉRUBIN. Adieu. Je vais devancer mon service à la Cour. Je n'ai, dans ce moment, que la force qu'il me faut pour m'éloigner de vous. Il lui baise la main et sort. SCÈNE VII. Fanchette, Le Comte, Basile. BASILE, bas au Comte. Monseigneur, l'Oiseau est déniché ; mais il nous reste la Femelle. - Vous suis-je nécessaire ? LE COMTE. Sans doute, elle se méfiera moins de moi. À Fanchette.Une fille est bien éveillée le jour de ses noces. FANCHETTE, toute troublée. Ah !... Monseigneur, on fait de rudes réflexions ce jour-là. LE COMTE. L'ancien Page sait les rendre plus supportables. FANCHETTE, à part. Je reconnais bien là toute la méchanceté de ce scélérat de Basile. À Basile. Homme dangereux, qu'avez-vous pu dire ? BASILE. Moi, je n'ai rien entendu ; je n'ai fait que voir en passant. J'avoue que j'ai été surpris de ce rendez-vous dans la nuit. FANCHETTE, en colère. Dans la nuit, homme détestable ! LE COMTE. Calmez-vous, Fanchette ; je vais renvoyer Basile, puisqu'il vous déplaît. FRANCHETTE. Au contraire. Monseigneur, c'est moi qui vais lui céder la place. LE COMTE, à part. Ce n'est pas ce que je veux. Haut.Eh bien, il restera. Vous craignez, sans doute, avec moi, plus qu'avec Chérubin. À part.Ce maudit page, fou ou raisonnable, il est décidé que, dans tous les temps il me coupera l'herbe sous le pied. FRANCHETTE. Non, Monseigneur. Je crains moins avec vous qu'avec lui. LE COMTE, regardant Basile. Cette réponse naïve est assez méchante. Qu'en pensez-vous, Basile ? BASILE, gravement. Il y a beaucoup de chose à dire là-dessus, Monseigneur. LE COMTE, à Fanchette. Vous n'êtes pas aussi heureuse que votre cousine : elle adorait Figaro. Le pauvre Nicolas, je crois, ne fera pas aussi fortuné. FRANCHETTE. Si l'amour vient avec le temps, comme vous le prétendez, Monseigneur, il le sera un jour. BASILE, à part. Il le sera, j'en suis sûr. LE COMTE, à part. Inspirons-lui de la confiance. Haut, avec bonté, à Fanchette.Allons, ouvrez-moi votre coeur. Je veux au moins obtenir votre amitié. FRANCHETTE. Monseigneur, vous l'avez déjà, et mon respect... LE COMTE, à part. Ce respect m'assomme. BASILE. Il n'aime pas à en imposer en amour, c'est bien différent avec ceux qui le servent. LE COMTE. Que dites-vous, Basile ? BASILE. Je regarde, Monseigneur, le lever du soleil : ses rayons m'offusquent les yeux. Je me plaignais, mais il m'en impose. Le Théâtre achève d'être éclairé. LE COMTE, à part. Ce maudit Figaro a donné la manie à tous mes gens de faire de l'esprit. FRANCHETTE. Monseigneur, je vais me retirer. LE COMTE. Quoi ! Sans me dire un mot sur la situation de votre coeur ? Si vous avez absolument de la répugnance pour Nicolas, je romprai ce mariage. FRANCHETTE. Quels que soient mes sentiments, je dois obéir à mon père. Puisqu'il faut que je sois établie, j'aime autant ce garçon qu'un autre. LE COMTE. C'est fort bien, Fanchette ; vous serez une femme raisonnable. Je veux absolument obtenir votre confiance. Allez auprès de Madame la Comtesse ; on vous prépare des ajustements que vous ornerez plus qu'ils ne vous embelliront. Fanchette sort. SCÈNE VIII. Le Comte, Basile. BASILE. Vous n'avancez guère, Monseigneur. LE COMTE. J'ai mes raisons. Fallait-il la dégoûter du mariage, en faisant mention du droit que je veux exercer avec elle ? Voilà comme j'ai manqué Suzanne. Il faut déterminer tout le monde à partir ; et quand nous n'aurons qu'Antonio, le Juge, Nicolas et la jeune personne, nous réussirons sans obstacle. BASILE. C'est reculer pour mieux sauter. Regardant au fond. Mais voici Suzanne et son mari. Tenez-vous sur vos gardes, Monseigneur. LE COMTE. Et vous surtout. SCÈNE IX. Les mêmes, Suzanne, Figaro. SUZANNE, bas à son mari. Il y a du complot, Figaro. FIGARO, de même. Je m'en doute. Les voilà de bonne heure ensemble ! Ils ne s'aiment guère cependant ; mais l'utilité les rapproche. LE COMTE. Tout le monde est déjà sur pied ! FIGARO. Vous y êtes bien, Monseigneur. LE COMTE. Je vais à la chasse, mais je serai de retour pour la noce. Je veux mettre la Comtesse [da]ns [une] voiture. SUZANNE. Si Madame la Comtesse voulait me prendre avec elle ? LE COMTE. N'en doutez pas. Vous lui ferez grand plaisir d'être de la partie ; mais ce qui me fait de la peine, c'est que je n'ai pas de courrier à vous donner. FIGARO. [Note : Bidet : Cheval ordinairement de petite taille, spécialement destiné à porter un cavalier dans les voyages. Bidet de poste, bidet pour les courriers. [L]]Son Excellence me prend actuellement pour un zéro en chiffre. Je ne suis pas encor si lourd que je ne puisse courir la poste. Je vais endosser la veste, d'un postillon, prendre des bottes, un fouet, et me voilà bidet. LE COMTE. Vous avez un peu grossi. FIGARO. Je n'en suis pas moins leste, Monseigneur. BASILE. C'est juste. FIGARO. Qui te parle, à toi, Pédant ? Tu sens l'application, c'est fort heureux! BASILE. [Note : Épigramme : Courte pièce de vers qui se termine par un mot ou par un trait piquant. [L]]Quoi, Monsieur Figaro ! Toujours des épigramme ? FIGARO. Je badine, notre ancien Maître à chanter. Ce sont des gentillesses que je vous dis : vous pouvez me les rendre. SCÈNE X. Le Comte, Basile, Suzanne, Figaro, La Comtesse. LE COMTESSE. EH bien, Suzanne il faut faire la toilette, de Fanchette. Elle ne veut plus qu'on retarde ; elle est déterminée à épouser Nicolas pour ne point fâcher son père. FIGARO. C'est un exemple d'obéissance extraordinaire. SUZANNE. Madame la Comtesse ne sait pas que nous partons avec elle. LE COMTESSE. Tout de bon ; ma chère Suzanne ? LE COMTE. Elle et figaro se sont offerts pour vous accompagner. LE COMTESSE. Vous me faites grand plaisir. Par réflexion.Mais cette pauvre Fanchette va rester seule. Si nous la prenions aussi BASILE. Il faudrait donc vous charger en même temps du mari et d'Antonio? LE COMTE. [Note : Berline : Carrosse suspendu et fermé, à deux fonds et à quatre roues.[L]]Vous savez, ma chère Comtesse, qu'il n'y a ici qu'une voiture et qu'un attelage de berline. SUZANNE. Mais, Monseigneur ; venez aussi avec nous. FIGARO. Est-ce que Monseigneur ne vient pas ? BASILE, regardant le Comte. Monseigneur fait bien qu'il a des affaires avec ses fermiers. LE COMTE. J'ai des choses essentielles à régler avec eux. Sans cela j'aurais été du nombre volontiers. Je vais partir pour la chasse. Comtesse, je vous laisse le soin de disposer tout pour la fête où j'assisterai à mon retour. LE COMTESSE. Je suis d'avis qu'on la fasse dans le parc. LE COMTE. C'est fort bien vu. Les Filles du village le préféreront. Elles aiment mieux danser sur la verdure que sous des lambris dorés. Adieu, je vous laisse. À Basile. Suivez-moi. Ils sortent. SCÈNE XI. Suzanne, Figaro, La Comtesse. FIGARO, à part. Je ne sais ; mais je soupçonne un stratagème entre le Comte et Basile, plus terrible que celui qu'on a employé à mon mariage. Ils se lançaient des regards l'un à l'autre, et Basile s'empressait de prévenir le Comte. SUZANNE. Quelle habitude as-tu de parler toujours tout seul ? FIGARO. C'est une vieille coutume dont j'abuse quelquefois. LE COMTESSE. Qu'avez-vous donc, Monsieur Figaro ? FIGARO. Rien, Madame. Je dis que tout ceci va au mieux. LE COMTESSE. Je vois que vous avez des soupçons sur Monsieur le Comte. FIGARO. Depuis quelques jours, je le vois, encore plus souvent qu'à l'ordinaire, avec Basile ; et tout franc... SUZANNE. Il est vrai qu'il est affreux qu'un Seigneur tel que lui, soit perpétuellement avec cet homme. FIGARO. Mes soupçons peuvent n'être pas fondés, et la tranquillité où Madame la Comtesse me paraît être, doit bien la dissiper. LE COMTESSE. Je ne suis pas aussi tranquille que vous le pensez, Monsieur Figaro. J'ai tout à craindre de la part de mon mari. FIGARO. Voulez-vous suivre mes conseils. Feignons de partir tout de suite après la cérémonie. Si vous voulez ne point revenir sur nos pas, vous m'attendrez à la première poste ; et sous prétexte d'avoir oublié quelque chose, je viendrai ici à la découverte. LE COMTESSE. C'est bien conçu, et par cette conduite, je me mets à l'abri de la plainte et des reproches. SUZANNE. Moi, je crois que Monsieur le Comte a changé de principes, et que c'est prendre une fausse alarme. FIGARO. C'est ce qu'il faudra voir. LE COMTESSE. Figaro, veille surtout en attendant notre départ ; et moi, je vais préparer la fête. À sa Camériste.Venez avec moi, Suzanne. Elle sort. SCÈNE XII. Suzanne, Figaro. SUZANNE. Adieu, mon Figaro. Ce jour me rappelle notre mariage. Celui-ci ne sera pas aussi gai, ni aussi couru : n'est-ce pas, mon ami ? FIGARO. Non, ma chère Suzanne. Tout ici va clopin-clopant. Le Mari est un imbécile ; la prétendue va dire Oui comme si elle prononçait des voeux. Parle-moi de notre amour : nous mettions tout en danse ; on se soulait, on se ruait pour courir à notre mariage. À celui-ci on s'en retournera dans son triste ménage sans y rapporter le plaisir de la noce. SUZANNE. Tâchons au moins, par notre gaieté, de rappeler cet heureux jour à ceux qui s'y sont trouvés. FIGARO. Tu crois cela fort aisé ! SUZANNE. Oui, si tu m'aimes encore. FIGARO. Que veux-tu dire ? SUZANNE. Je m'entends. Adieu, Figaro. Elle sort. SCÈNE XIII. FIGARO, seul. Elle est toujours espiègle. C'est un défaut qu'il faut bien lui passer, puisqu'il plaît généralement à tout le monde. Cela ne laisse pas d'être quelquefois incommode dans le ménage ; mais nous, pauvre maris, nous devons porter les charges et laisser le plaisir aux autres. SCÈNE XIV. Chérubin, Figaro. FIGARO. EH bien, Monseigneur. Vous êtes des nôtres. Vous allez accompagner Madame la Comtesse, et moi je vous servirai de courrier. CHÉRUBIN. J'en serais bien aise si l'on partait tout de suite ; mais ce qui me met au désespoir, c'est d'être forcé de rester à cette cérémonie. FIGARO. Au désespoir ! C'est une expression bien forte. Allons, Monseigneur, point de mélancolie amoureuse. Que vous reviendra-t-il de vous désoler ? Où je ne vois pas de remède, je ne veux pas qu'on ait du mal. Fanchette est une paysanne : la voilà bientôt mariée à un sot, j'en conviens ; vous vous désolez, quand vous avez tout lieu d'espérer. CHÉRUBIN. Ah, Figaro, qu'elle est belle, qu'elle est séduisante avec ses nouveaux habits ! Faut-il qu'elle devienne la femme d'un paysan ? Est-elle faite pour un lourdaud de cette espèce ? FIGARO. Monseigneur, ne touchons pas à l'espèce, elle fournit de bons maris, plus que celle des gens de Cour. CHÉRUBIN. Je ne reviendrai de longtemps dans cette terre. FIGARO. Tant mieux pour Monsieur le Comte ; il profitera de votre absence. CHÉRUBIN. Tu crois qu'il a des desseins sur Fanchette et qu'elle y répondra. FIGARO. Je n'assure pas le dernier ; mais son Excellence ne négligera rien pour réussir, après que tout le monde sera parti et le droit du Seigneur sera la première attaque. CHÉRUBIN. Ce droit ne lui appartient plus. FIGARO. Je le sais ; mais, dans vos arrangements, vous avez mis tant de générosité, que son Excellence en profiter sans réserve. CHÉRUBIN. Si je le croyais, Monsieur Figaro, je ne partirais pas ; je déclarerais hautement mes droits, pour les abolir solennellement. FIGARO. Point d'éclat, Monseigneur. Feignons de partir. Madame la Comtesse se doute des intentions de son mari ; nous n'irons pas loin ; et s'il y a du complot, vous vous serez connaître, et préviendrez les mauvais desseins de votre rival. CHÉRUBIN. C'est bien avisé. Le Comte aura tort s'il pousse les choses à cette extrémité. Sa conduite dirigera la mienne. FIGARO. Voilà cet imbécile d'Antonio. Qu'est ce qu'il cherche ? SCÈNE XV. Figaro, Chérubin, Antonio. ANTONIO. Voudriez-vous, notre neveu, annoncer Monsieur le Juge ? Il est parrain de notre biau fils, et il vient voir Madame la Comtesse. FIGARO. [Note : Butor : Familièrement, un homme stupide, grossier, maladroit. [L]]Mais voyez donc ce butor. Il me prend pour un laquais. Est-ce qu'il n'y a personne dans l'antichambre. ANTONIO. Tatidienne, non ; sans cela je ne vous en aurions pas prié. FIGARO. Grand merci de la préférence, notre oncle. SCÈNE XVI. Figaro, Chérubin, Antonio, Nicolas, Brid'oison en robe. FIGARO, à Chérubin. Monseigneur, il manque un attelage de chaise pour partir ensemble. Il n'y a qu'à les brider tous les trois, ce sera la poste aux ânes. BRID'OISON, reculant et bégayant, ainsi que dans tout le cours de son rôle. Une belle réception qu'on me fait là. C'est toujours la.... la... même chose. On n'est pas plus poli qu'il ne faut dans cette maison. FIGARO. Pourvu qu'on le soit assez, Monsieur le Juge, pour vous rendre ce qui vous est dû. BRID'OISON. Il n'est pas mauvais avec son compliment ! Il pense que j'en suis la... la dupe. CHÉRUBIN. Vous avez mal entendu, Monsieur le Juge. Figaro a une manière de s'exprimer... BRID'OISON. J'entends, tout-à-fait plaisante, n'est-ce pas ? CHÉRUBIN. Oui, Monsieur Brid'oison. Je vais vous annoncer moi-même à Madame la Comtesse. Il sort. SCÈNE XVII. Figaro, Antonio, Nicolas. BRID'OISON. Celui-ci est honnête, cela s'entend. ANTONIO. Au diantre la politesse des Grands Seigneurs qui engeôlent toutes les filles. NICOLAS. Oh dame, quand je serons mariés, je n'entendons pas qu'ils viennent se frotter dans notre ménage. BRID'OISON. Écoute, mon garçon, tu dois être honnête avec les Grands, si tu veux parvenir. ANTONIO. Parguienne, le voilà tout venu. N'a-t-il pas ses deux yeux poussés dans la tête, avec deux bons bras, C'en est assez pour travailler. BRID'OISON. C'est juste. FIGARO, à part. Ces trois imbéciles m'amuseraient, si j'avais le loisir de les entendre. On ne peut pas dire d'eux cependant que ce soient trois têtes dans un bonnet ? Car ces trois là n'en valent pas une ; mais ne tardons plus. Allons préparer le déguisement qui me fera paraître ici sans être connu. Il sort. SCÈNE XVIII. Antonio, Nicolas, Brid'oison. BRID'OISON, avec la tournure de son rôle, regardant aller Figaro. Je n'aime pas Monsieur Figaro. C'est un fort mauvais plaisant. ANTONIO. Je ne l'aimons pas non plus ; mais ce qu'on ne peut chasser, il faut bien le souffrir. BRID'OISON. C'est bien dit, et la politesse le veut. C'est ce que je voulais dire à ce garçon. À Nicolas.Or ça, mon filleul, il faut que tu te laisses conduire par moi. Je veux faire de toi un homme d'esprit, quoique Monsieur Figaro prétende que je ne suis qu'une bête. C'est bientôt dit ; mais il faut le prouver. Une bête et moi ce sont deux, et j'ai bien plus coûté à ma mère que ça. Il rit niaisement, ainsi que Nicolas et Antonio. NICOLAS. Ah, qu'il est bon, mon parrain ! ANTONIO. Vous êtes ben drôle, Monsieur le Juge, quand vous vous y mettez. BRID'OISON. Hé, hé, pas mal, pas mal. Allons voir si Madame la Comtesse est visible : car on nous fait un peu attendre. NICOLAS. Votre robe va vous faire tomber, mon parrain. Voulez-vous que je la retrousse ? BRID'OISON. Pas de ça, mon garçon, je n'aurais plus l'air d'un juge. ANTONIO. Tatidienne, est-ce que votre science est dans votre robe, Monsieur Brid'oison ? BRID'OISON. Pas tout-à-fait. ANTONIO. [Note : Brimborion : Chose sans valeur et sans utilité. [L]]Mais un petit tantinet. C'est tout de même que le Bailli, mon ancien camarade. Il n'en savait plus pas que moi ; mais depuis qu'il a endossé ce brimborion de manteau noir, il est devenu si savant, que nous tous n'osons lui parler qu'avec respect. SCÈNE XIX. Antonio, Nicolas, Brid'oison, La Fleur. LA FLEUR, à Brid'oison. Madame la Comtesse fait dire à Monsieur le Juge qu'il peut entrer chez elle. Il sort. SCÈNE XX. Antonio, Nicolas, Brid'oison. BRID'OISON. Ce jeune homme a tenu sa parole, il est honnête. À Nicolas. Songe à bien te présenter, et n'aie pas l'air d'un nigaud. Qu'il paraisse que je suis ton parrain. NICOLAS. Ah, laissez-moi faire, j'allons bien vous imiter. BRID'OISON. Fort bien ! ANTONIO. Allons, dépêchons-nous. Passez devant, Monsieur le Juge, je vous devons le pas. NICOLAS. Je vous le devons aussi notre biau-père. Brid'oison passe le premier Antonio le suit dans ce moment la porte du fond s'ouvre, ce qui fait reculer le Juge, il va tomber sur Antonio. SCÈNE XXI. Antonio, Nicolas, Brid'oison, La Fleur. LA FLEUR, à Brid'oison. Voilà Madame la Comtesse qui vient. SCÈNE XXII. Les mêmes, Chérubin, La Comtesse, Figaro, Suzanne, donnant la main à Fanchette, Paysans et Paysannes. ANTONIO, à Brid'oison. Heureusement pour vous, Monsieur le Juge, que je me suis trouvé derrière ; sans cela vous alliez tomber comme un benêt. BRID'OISON, piqué. Benêt vous-même ! Voyez donc ce paysan ! FIGARO, prenant la tête d'Antonio pour le pousser sur Brid'oison. Embrassez votre ami. Vous vous êtes dit vos vérités. J'aime beaucoup cette franchise. Les gens d'esprit sont plus dissimulés entre eux, mais ils n'en pensent pas moins. BRID'OISON, bégayant. Savez-vous, mon ami, que je vous... Vous m'entendez. FIGARO. Parfaitement ; mais le diable m'emporte si je vous comprends. CHÉRUBIN, à part. Je suis au supplice. FIGARO, bas à Chérubin. Du courage, morbleu, du courage ; point de faiblesse humaine. Songez que la vie est remplie de misère. Il faut tout supporter avec philosophie. FANCHETTE, regardant Chérubin et soupirant. Quel jour affreux pour moi ! Ah, s'il pouvait, lire au fond de mon coeur... LE COMTESSE. Tu pleures, ma chère enfant ? ANTONIO. [Note : Mijaurée : Fille ou femme qui montre des prétentions par des manières affectées et ridicules. [L]]Madame la Comtesse est bien bonne de faire attention aux larmes de cette mijaurée ! A-t-on jamais vu rire la mariée le jour de ses noces ? C'est bien différent le lendemain. Tatigoi, comme elle est éveillée ! BRID'OISON. Et le mari bien sot. FIGARO. Assez souvent ; mais notre homme n'est pas si bête dans cette occasion. LE COMTESSE. Ma chère Fanchette, quelle est la cause de son chagrin ? Ouvre-moi ton coeur mon enfant., FRANCHETTE. Excusez-moi, Madame. Non, je n'ai rien à dire. Croyez.... SUZANNE. Quelle obstination ! CHÉRUBIN, à part. Que ne puis-je renoncer à tout ce que je suis ! L'état où je me trouve est trop violent, il faut en sortir. À la Comtesse. Souffrez, ma cousine, que je vous devance auprès de notre parente. LE COMTESSE. Nous allons partir dans l'instant. Il faut signer le contrat. CHÉRUBIN. Veuillez m'en dispenser. Je suis obligé de vous quitter pour un objet que j'avais oublié. Je vais, voir si tout est prêt. Il sort. SCÈNE XXIII. Antonio, Nicolas, Brid'oison, La Fleur, Ca Comtesse ; Figaro, Suzanne, Fanchette, Paysans et paysannes. LE COMTESSE. Chérubin est tout changé depuis quelque temps. Il a sans doute quelque chagrin secret, donc j'ignore la cause. ANTONIO. Je la devinons bien. BRID'OISON. Si vous le savez ne nous faites pas languir. Je m'intéresse à lui, c'est un joli garçon ; il fait ce qu'on doit aux gens ; il connaît la politesse. FIGARO. Que voulez-vous savoir ? Les Grands sont comme les jolies femmes : ils sont rêveurs par ton. SUZANNE. Tu es insupportable, tu plaisantes toujours. FIGARO. Ne faut-il pas que je garde mon caractère ? Sans cela vous seriez tous tristes comme des Chartreux. - Mais je vois Monseigneur avec le notaire. SCÈNE XXIV. Les mêmes, Le Comte, Un Notaire. LE COMTESSE. Avez-vous vu Chérubin, Monsieur le Comte ? LE COMTE. Il est déjà à cheval, et m'a chargé de vous faire les excuses. Il va vous faire préparer des chevaux à la poste. FIGARO. [Note : Courir à franc étrier : courir autant que le cheval peut aller. [L]]Chacun doit être à sa place. C'était à moi à courir à franc étrier. BRID'OISON. C'est mon avis. Basile crie de la coulisse. SCÈNE XXV. Antonio, Nicolas, Brid'oison, La Fleur, La Comtesse, Figaro, Suzanne, Fanchette, Le Comte, Le Notaire, Basile, Paysans et Paysannes. BASILE. C'est affreux, c'est abominable. Il m'a très bien reconnu, et mon habit est assez noir pour qu'on le voie de loin. FIGARO, à part. Voici un tour de Page admirable. Ce n'était point à son costume qu'il en voulait, mais bien à ses épaules. Haut.Qu'est-ce, notre ancien Maître à chanter ? Qu'y a-t-il de neuf ? BASILE. L'ancien Page, qui prétend m'avoir pris pour un postillon. J'étais dans un coin de l'écurie, et sous le prétexte que son cheval n'était pas harnaché... FIGARO. Il t'a bridé à sa place. BRID'OISON. [Note : Brider : Brider la figure à quelqu'un d'un coup de fouet, cingler un coup de fouet au travers du visage. [L]]Comme il y va ! Brider un homme ! BASILE, se frottant les épaules. Il m'a donné cent coups de fouets : j'avais beau crier que j'étais Basile l'Organiste, il redoublait de plus belle. FIGARO. Il t'a reconnu, à la fin ? BASILE. Oui, quand son fouet s'est cassé. FIGARO. Celui-là n'est pas de sa faute. BRID'OISON. J'en suis persuadé ; il est trop honnête pour cela. BASILE. Il est venu ensuite me faire un million d'excuses. BRID'OISON. J'en étais bien sûr. FIGARO, à part. Comme le hasard punit quelquefois un coquin ! Ah ! Si je puis un jour le tenir sous ma main, comme il en aura ! SUZANNE. Te voilà dans ton centre, mon ami. FIGARO. Si je m'y étais trouvé, l'erreur n'aurait pas fini sitôt, je t'en assure. SUZANNE. Oh ! Je m'en rapporte à ton zèle. FIGARO. C'est que je ne vois rien de plus doux que de payer ce qu'on doit à un vilain : mais je m'acquitterai un jour. LE COMTE, à part. Je ne plains pas Basile, mais je vois le motif de Chérubin. Haut.Terminons, signons le contrat, Comtesse. LE NOTAIRE. Le voilà. Le Comte, la Comtesse et Brid'oison signent. LE NOTAIRE. Où donc est le père ? ANTONIO. Parguienne, est-ce que vous ne me voyez pas ? LE NOTAIRE. Signez donc. ANTONIO. Est-ce que vous ignorez que je ne savons ni lire, ni écrire ? FIGARO. Ce n'est pas un grand tort pour un faiseur de salades : mais pour un faiseur de comédies, c'est un grand malheur. LE COMTE. Un auteur qui ne sait ni lire, ni écrire ! Où avez-vous trouvé cela ? FIGARO. Il faut vous dire d'abord que cet Auteur est une femme. Elle m'a fait l'honneur de me jouer deux ou trois fois. On ne peut pas dire que ce qu'elle fait soit absolument mauvais, l'on doit lui savoir gré de ses faibles productions, puisque c'est avec un esprit naturel qu'elle compose. BRID'OISON. Comment peut-elle faire, n'ayant pas les moyens de déposer ses idées sur le papier ? FIGARO. Elle vous apprendrait encore beaucoup de choses que vous ignorez, Monsieur le Juge. Elle fait comme les grands Seigneurs, elle se sert de secrétaires. LE COMTE. N'a-t-elle pas aussi un teinturier ? FIGARO. Non et c'est en quoi elle diffère des grands Seigneurs. Elle demande souvent des avis, et finit toujours par s'en tenir à ses idées. C'est ce dont on peut se convaincre en lisant ses ouvrages. LE COMTE. Laissons-là cette conversation, Monsieur Figaro, quoiqu'elle vous intéresse infiniment. Les auteurs perdent souvent de vue les choses essentielles, en s'occupant de celles qui sont inutiles. Au Notaire.Je vais signer pour Antonio. Il signe, ainsi que Nicolas et Fanchette. Six jeunes filles apportent un bouquet et un guirlande. Fanchette se met à genoux ; deux jeunes filles chantent un duo du temps, tandis qu'on place la couronne sur la tête de la mariée ; la Comtesse et le Comte la relèvent, la prennent chacun par une main et sortent avec elle, tout le monde les suit. ACTE III Le Théâtre change et représente l'intérieur d'un parc, avec deux cabinets sur les côtés. On entend les tambours, la musique. La noce arrive, Basile. est à la tête avec sa guitare ; Nicolas et Antonio tiennent Fanchette sous les bras ; Brid'oison les suit, de même qu'une multitude de gens de village. SCÈNE PREMIÈRE. Basile, Nicolas, Fanchette, Antonio, Brid'oison, Paysans et paysannes. Nicolas et Fanchette dansent un menuet, l'un en Paysan, et l'autre en Demoiselle. BRID'OISON, à Fanchette. Je dois danser le menuet aussi, et vous deviez. Mademoiselle, m'en faire la politesse. FRANCHETTE. Monsieur, je ne demande pas mieux. BRID'OISON. À la bonne heure. Il lui prend la main, la symphonie joue le commencement de l'air de Rose et Colas :Ah, comme il y viendra. Il s'approche des Musiciens et leur dit : Mais, Messieurs, ce n'est point cela. Voudriez-vous bien avoir la complaisance de noter l'air que je veux vous chanter ; vous le jouerez ensuite. Il chante l'air le plus baroque et le plus ancien. La symphonie l'exécute, pendant que Fanchette et lui dansent le Menuet ; il va s'asseoir ensuite avec elle à la porte d'un des cabinets, où sont deux fauteuils et des bougies allumées. Antonio s'impatiente de toutes ces cérémonies, et sort. SCÈNE II. Basile, Nicolas, Fanchette, Brid'oison, Figaro, déguisé en Marchand de chansons, et tenant une guitare, Paysans et paysanneS. BRID'OISON, à Basile. Pourquoi ce cabinet est il éclairé, Monsieur l'Organiste ? BASILE. Vous connaissez, Monsieur le Juge, les droits de Monseigneur. Il faut qu'il interroge la fiancée. FIGARO, à part, et s'étant approché d'eux pour les écouter. Le fripon ! Je ne me suis pas trompé. Un vieux renard, comme moi, voit les choses de loin. On ne se doute pas de notre retour ; j'ai pris le devant, et j'ai laissé tout mon monde pas bien loin d'ici. Pour éviter des préparatifs, le Duc voulait surprendre le Comte Almaviva ; mais son Excellence sera bien plus surprise de leur présence. Regardant Basile qui fait de grands gestes, en parlant tout bas à Brid'oison.Comme il se démène ! Il tâche de convertir le juge, et ce benêt approuvera tout. Il s'approche de plus près. BRID'OISON, à Basile. C'est juste et comme on dit, à tout Seigneur tout honneur. Si la mariée ne se conformait pas aux lois, le mariage ne serait point consommé, et on pourrait le faire casser. BASILE. Je suis persuadé que Monseigneur a de bonnes intentions, et que les avis qu'il donnera à la mariée la feront prospérer dans son ménage. C'est à vous, Monsieur le Juge, à lui montrer son devoir. BRID'OISON. Oui, cela me regarde. FIGARO, à part. Le scélérat ! S'il s'éloignait un peu d'ici, à la faveur de mon costume, je pourrais lui rincer les épaules. BRID'OISON, se levant. Venez ici, Fanchette. FANCHETTE, se levant aussi. Que voulez-vous, Monsieur le Juge ? BRID'OISON. Il s'agit, ma chère enfant, de prouver votre soumission et votre respect à votre père et à votre futur époux. BASILE. Et surtout à Monseigneur. FRANCHETTE. Je sais ce que je dois à tous trois. BRID'OISON. Fort bien ! Ainsi, ma belle enfant, Monseigneur sera fort content de vous cette nuit. FRANCHETTE. Cette nuit ! Qu'est-ce que cela veut dire, Monsieur le Juge ? BRID'OISON, riant. Cela veut dire que vous passerez la nuit à causer avec Monseigneur. C'est la loi de... C'est le droit. FANCHETTE, en colère. Quoi, Monsieur le Comte pourrait me soumettre à ce droit injurieux ! Je n'y consentirai jamais. BRID'OISON. Le mariage ne vaudra rien. FANCHETTE, à part. Ah ! Tant mieux, je respire. Haut.Vous pouvez déclarer mes intentions à Monseigneur. Je vais, dès ce moment, trouver mon père : il approuvera ma résolution. Elle sort avec vivacité les Paysans et les Paysannes la suivent. SCÈNE III. Basile, Nicolas, Brid'oison, Figaro. Nicolas s'approche de Brid'oison et lui parle bas. FIGARO, à part. Comme elle est enchantée de la menace qu'on lui a faite, la pauvre petite ! Assurément elle ne s'intéresse pas beaucoup à la validité de ce mariage. NICOLAS, à Brid'oison. La Fiancée s'enfuit sans me dire mot ! Qu'est-ce que cela veut dire, notre parrain ? BRID'OISON. Ça veut dire que votre mariage n'aura pas lieu. NICOLAS. Eh pourquoi ça ? BASILE. Il y a du remède. BRID'OISON. Je n'en vois pas. Se refuser à la loi ! Est-ce que je suis un Magistrat en peinture ? FIGARO, à part. Sans doute, et l'on peut dire un parfait original. BRID'OISON. Se refuser à la loi ! Je n'en reviens pas. BASILE, apercevant Figaro. Que veut cet homme, Monsieur le Juge ? BRID'OISON. Il me regarde depuis longtemps avec un certain plaisir. À Figaro. Approchez, l'ami. FIGARO, à part. Fabriquons un langage inconnu. Haut.Hospé hal, lidi cirici, cara maladida impogod pospodogo. BRID'OISON, reculant de frayeur. Quelle est cette langue, Monsieur Basile ? Ce n'est ni du latin ni de l'Espagnol. BASILE. Il faut que ce soit de l'Arabe. À Figaro.Est-ce que vous ne savez pas parler Français ? FIGARO. In yerli pla nigoudouil fripouil késaco. À part.Il est temps de m'en aller. Ah ! Si je pouvais tenir ce coquin de Basile dans quelqu'endroit écarté. Allant en dansant.Cara miladida, inferni plain pla béta jugea, bêta jugea. Il sort. SCÈNE IV. Basile, Nicolas, Brid'oson. BASILE, à Brid'oison. Que dites-vous de cet homme, Monsieur le Juge ? C'est quelqu'arracheur de dents. BRID'OISON. Vous avez deviné. Il parle en charlatan. Ne vend-il pas aussi des chansons ? BASILE. Je crois que oui. Ne trouvez-vous pas qu'il ressemble beaucoup à cet impertinent de Figaro ? BRID'OISON. Oh, que nenni ! L'autre parle bien, et celui-ci ne fait pas dire un mot. Bêta jugea, pospolo. Je ne saurais jamais prononcer cette diable de langue. Il m'a pourtant amusé. Rappelez-le. BASILE. Vous aller être satisfait, Monsieur le Juge ; tâchez, en attendant, d'exhorter Nicolas à résoudre son épouse. Il sort. SCÈNE V. Nicolas, Brid'oison. BRID'OISON. Cet étranger, vraiment, a l'air tout-à-fait singulier. Il y a comme ça des gens qui courent le monde, et qui mènent une étrange vie. - Te rappelles-tu, mon Filleul, tout ce qu'il a dit ? NICOLAS. Ah ! J'ouvrions bien les oreilles, dà ; mais je n'avons rien compris à son jargon. On ne parle pas comme ça cheux nous. BASILE, criant dans la coulisse. Au secours, au secours ; on me tue. À moi Monsieur le Juge ! Nicolas. BRID'OISON, se retournant. Qu'est-ce que cela veut dire ? À Nicolas.Ne me quitte pas, mon garçon. Il y a toujours du trouble dans cette maison. On tue cet homme. SCÈNE VI. Nicolas, Brid'oison, Basile. BASILE, accourant tout effaré. À moi, à moi. NICOLAS, au fond du Théâtre. Qu'avez-vous, Monsieur Basile ? BASILE. C'est ce malheureux Podogo qui m'a roué de coups de bâton. BRID'OISON. Oh, oh ! Eh pourquoi ? Que lui aviez-vous fait ? BASILE. Moi, rien du tout. Je lui disais de revenir vous trouver ; il m'a pris par la main, et m'a arrangé. BRID'OISON. De la bonne façon, n'est-ce pas ? BASILE. Cela ne se sent aussi que trop. Il s'est enfui toute de suite ; mais je le reconnaîtrai bien. BRID'OISON. Le croyez-vous ? BASILE. Voilà Monseigneur. SCÈNE VII. Nicolas, Brid'oison, Basile, Le Comte. LE COMTE. Qu'avez-vous fait, Basile ? Je viens de rencontrer tout le village assemblé autour de Fanchette, et cet imbécile d'Antonio, qui me menace de ne plus être mon jardinier. BASILE. Son Excellence doit le punir de son impertinence, en faisant valoir ses droits et son autorité. BRID'OISON, au Comte. Vous avez, Monseigneur, tout pouvoir sur la fille et sur le père. Vos ordres doivent être exécutés. NICOLAS. Mais, mon parrain, je suis le maître de Fanchette. Il n'y a que moi qui avons tout pouvoir sur elle. BRID'OISON, en colère. Après Monseigneur. Entendez-vous, petit garçon ? Taisez-vous. LE COMTE, à part. Feignons et soutenons ce que je viens d'avancer. À Basile en lui faisant des signes.Basile, vous connaissez mes intentions, et, malgré les desseins de Chérubin... BASILE, sans faire attention aux signes du Comte. Oui, Monseigneur, vous avez des raisons pour interroger la mariée et lui faire connaître tous les pièges de ce Page dangereux, LE COMTE. Vous ne savez, Basile, ce que vous dites. Ce n'est pas moi qui prétends instruire la mariée. Vous le savez bien. BASILE, à part. Ah, ah, c'est du nouveau. LE COMTE, avec dissimulation à Brid'oison. Vous ignorez, Monsieur le Juge, que j'ai vendu ma Terre à Chérubin. Dans nos arrangements je me suis seulement réservé la jouissance. C'est Monsieur le Marquis qui réclame des droits que j'avais abolis. BASILE, surpris. Oh, oh ! BRID'OISON. J'ignore le fait ; mais il est le maître de cette loi, et j'ai bon augure de sa capacité. LE COMTE. En deux mots je vais vous mettre au fait. Chérubin a feint de partir pour se trouver ce soir dans ce cabinet. Il a charge Basile de lui amener la mariée ; peut être ses intentions sont bonnes ; il faut, Monsieur le Juge, faire exécuter ses ordres. À Basile, en le pinçant par la manche.Est-ce que vous ne m'entendez pas ? BASILE. Pardonnez-moi, Monseigneur. À part.Diable m'emporte si je devine. NICOLAS. Est-ce que je ne serons pas avec elle ? BRID'OISON. Tu n'es pas nécessaire. Il faut être circonspect et respecter la volonté des Grands. NICOLAS. Quelle chienne de volonté ! Aussi cela me fâche. Tenez, je craignons que ce Page n'ait de mauvaises intentions. On l'assure bien méchant pour les jeunes filles. BRID'OISON, en colère. Je crois, ma foi de Juge, qu'il fait le mutin. Je te donne de ma houlette, si tu ne finis pas. Voyez donc ce petit garçon ; ça veut raisonner de ce où il n'a rien à voir. Je t'apprendrai... Entends-tu bien ? Hé, hé ! Il remue la tête. LE COMTE. Rassure-toi, Nicolas ; je serai caché dans un coin, et je verrai tout. À Brid'oison.Allez donc, Monsieur le Juge, et vous aussi, Nicolas, rassurer la mariée, en lui disant que Chérubin veut faire valoir ses droits, mais gardez-vous de lui dire que je dois être caché ; représentez-lui seulement que la loi lui impose la plus grande obéissance. BRID'OISON. Reposez-vous sur moi, Monsieur le Comte. Je vais lui faire une bonne morale de ma façon qui la rendra soumise. Il sort avec Nicolas. SCÈNE VIII. Basile, Le Comte. LE COMTE. Eh bien ! Monsieur Basile, que dites-vous de tout ceci ? BASILE. J'entrevois vos projets, et que vous voulez prendre la place de Chérubin. Vous êtes bien sûr que Fanchette ne se refusera pas à ce rendez-vous : mais j'entrevois aussi de l'embarras. LE COMTE. Toujours un rien vous embarrasse, et vous ne savez vaincre les difficultés qu'au poids de l'or : mais, dans cette occasion, il n'en est nullement besoin. BASILE. Pardonnez-moi, Monseigneur,l'argent est toujours nécessaire. LE COMTE. Allez vous joindre à Monsieur le Juge, pour tâcher de déterminer Fanchette. Au reste, ce que j'en fais n'est que par simple curiosité, et pour savoir ses véritables sentiments au sujet de Chérubin. BASILE. Je vais seconder vos desseins : la nuit s'approche, tout vous favorise. LE COMTE. Oui, mais soyez bien circonspect. Vous soufflerez les bougies quand elle arrivera. Basile sort. SCÈNE IX. LE COMTE, seul. Fanchette ne m'aime point. Si Chérubin était à ma place, il tirerait plus de parti de ce rendez-vous. Que vais-je faire ? Si cette aventure ne peut demeurer cachée, je me perds dans l'esprit de ma femme, du Duc et de la Duchesse. Je sens au fond de mon âme des mouvements de crainte dont je ne puis me défendre : Je suis amoureux et respectueux tout à la fois. Je ne veux que lire dans le coeur de Fanchette ; si elle ne m'aime pas, je saurai respecter son innocence. J'entends du bruit. Elle résiste pour avancer. Cachons nous. Il va dans le cabinet. SCÈNE X. Basile, Brid'oison, Fanchette, Antonio, Nicolas. ANTONIO. Ventredienne, Monsieur le Juge, toutes ces façons ne nous conviennent guère et je n'aimons pas plus cette loi à Monsieur le Comte qu'à son Page devenu Marquis. Je voulons bien qu'il parle à notre fille, mais en notre présence. À Nicolas.N'est-ce pas, mon biau-fils ? NICOLAS. C'est bien dit, biau-père, et je l'entends de même que vous. BRID'OISON, se reculant. Que prétendent ces deux imbéciles. Je vous ordonne, par mon pouvoir, par ma place, de vous conformer aux lois auxquelles tous les humains sont soumis, sous peine de mort à la moindre résistance de votre part. ANTONIO. Ah ! C'est une autre affaire. Je ne sommes par curieux d'être pendu pour la vertu de notre fille. Elle est assez grande pour savoir se garder. FRANCHETTE. Ne craignez rien, mon père, ni vous aussi Nicolas. Je rends justice à Monsieur le Marquis, ses intentions sont pures. À part.C'est ce que je vais apprendre, ou l'accabler de ma colère. BRID'OISON. Nous allons, Madame, vous laisser seule. Suivez-moi, vous autres. Basile éteint les bougies, et ils sortent. SCÈNE XI. Fanchette, Le Comte. FANCHETTE, se croyant seule. Ah,je ne crains rien. Quoi, Chérubin, pourriez-vous être coupable d'un complot aussi noir ? Vous voulez donc me forcer à vous haïr, à vous mépriser ! - Le mépriser ! Peut-il cesser d'être estimable ? Hélas, il vient me faire ses derniers adieux. Autant j'étais saisie d'horreur à la seule idée de me trouver avec le Comte, autant un penchant invincible m'entraîne vers Chérubin. Quelle est ma faiblesse ! Avec fermeté.Il faut la surmonter en fuyant un entretien qui nous rendrait plus à plaindre. Elle va pour s'en aller. LE COMTE, la retenant et déguisant sa voix. Fanchette, vous me fuyez. FRANCHETTE. Ciel ! Il n'y a plus de lumières. Ah ! Je vous ai mal connu, Chérubin. LE COMTE. Fanchette, vous devez m'excuser. La passion la plus vraie et la plus respectueuse doit me justifier à vos yeux. FRANCHETTE. Non, je dois vous abhorrer. Je vois que vous vous êtes flatté de m'éblouir par votre rang, et qu'une pauvre paysanne ne pourrait résister à un grand Seigneur. Je ne suis qu'une fille de village ; mais apprenez que j'ai des sentiments trop élevés pour répondre à vos coupables désirs. J'ai pu vous aimer tant que je vous ai cru honnête ; mais je vois que vos vertus n'étaient qu'une feinte pour me séduire, et que vous êtes un homme aussi méprisable que Monsieur le Comte. LE COMTE, à part. Quelle déclaration elle me fait là ! Haut, se mettant à genoux.Que j'obtienne mon pardon, ou que j'expire à vos yeux. FRANCHETTE. Oui, je vous l'accorde, si vous me prouvez que vos sentiments n'ont rien perdu de leur pureté. LE COMTE, se relevant. N'en doutez point, aimable Fanchette. On entend un tumulte éloigné.Mais qu'est-ce que j'entends. Quel bruit !... Fanchette, suivez-moi. Je suis le Comte lui-même. FANCHETTE, avec surprise. Ô Dieu ! Se peut-il ?... Quoi, Monseigneur, vous osez employer cet horrible stratagème ! Vous connaissez mes sentiments. Croyez qu'il ne pourront m'écarter de mes devoirs. Je vais auprès de mon époux. Le bruit redouble. BASILE, derrière le Théâtre. Madame la Duchesse arrive. Entendez-vous, Monsieur le Comte ? LE COMTE. Venez, Fanchette ; entrez dans ce cabinet, en attendant qu'on ait traversé le parc. J'entends des voitures, je vois des flambeaux. Cachez-vous, ne craignez rien. FRANCHETTE. Pourquoi me cacher ? L'innocence n'a rien à redouter. SCÈNE XII. Fanchette, Le Comte, Basile, Chérubin ; l'épée nue, Brid'oison, Figaro, Nicolas, Antonio, Plusieurs domestiques, portants des torches allumées. BASILE, à Chérubin à Figaro. Monseigneur est au Château, ce n'est pas le chemin pour y arriver. LE COMTE, tirant Fanchette par le bras. Entrez, vous dis-je, pour vous et pour moi. CHÉRUBIN, en colère, et présentant à Basile son épée sur la poitrine. Scélérat, si tu continues de me barrer le chemin, je te perce. BASILE, tombant de frayeur. Monseigneur, je vous demande pardon. CHÉRUBIN, apercevant Fanchette et courant vers elle. Ah, ma chère cousine ! LE COMTE. Sa cousine !... Qu'ai-je entendu ? FRANCHETTE. Ah, Chérubin ! FIGARO, marchant sur le corps de Basile, qui se relève ensuite. Voilà un pont très agréable à passer. CHÉRUBIN, se jetant aux genoux de Fanchette. Oui, nous serons unis pour la vie ; le préjugé ne pourra plus s'opposer à notre bonheur. Ah, mon âme est accablée sous le poids de la félicité. Fanchette, le relève. NICOLAS. [Note : Jarnigoi : Sorte de jurement. Les paysans de la comédie disent jarnigoi, jarnigué, jarniguienne, jerniguienne. [L]]Mais voyez donc les cajoleries qu'il fait à notre femme devant nous. Jarniguoi. Il veut courir à Chérubin. FIGARO, l'arrêtant. Ta femme, pauvre nigaud ! Tu pourras t'en passer pour cette fois. BRID'OISON. La tête tourne à tous ces gens-là. ANTONIO. Que diable tout cela veut-il dire ? FIGARO. Cela veut dire que Fanchette n'est point votre fille. BRID'OISON. Comme il y va ! Il ôte une femme à son mari, une fille à son père ; il voudra me débaptiser aussi, moi. Ah, ah, ah ! Ils sont incroyables dans cette maison. LE COMTE, à Chérubin. Expliquez-vous, Monsieur le Marquis. CHÉRUBIN. Oui, Monsieur le Comte. Vous connaissez le mariage secret du Duc Don Fernand. BRID'OISON. Ah, je me rappelle l'aventure. Il y eut un enfant de ce mariage qui fut confié à sa nourrice. C'est moi qui fis le procès verbal. C'était je crois, une petite fille qui fut marquée à l'oreille. CHÉRUBIN. Cette petite-fille est Fanchette. FIGARO. C'est tout comme moi, je sus marqué aussi. ANTONIO. C'est une rage que toutes ces marques : mais on a biau dire, Fanchette est notre fille. FRANCHETTE. Ah, Chérubin ! Se peut-il ?... Ne me trompez-vous pas ? Je n'ose me livrer à ma joie. Mais non, vous ne pouvez me jeter dans une erreur qui serait mon supplice quand je l'aurais reconnue. Ma naissance est telle que vous le dites ; j'en crois mes sentiments, trop élevés pour une villageoise, et qui sont actuellement à leur place. Ah, Chérubin, Monsieur le Comte, courons tous ; que j'aille serrer dans mes bras les auteurs de mes jours. Consolez-vous, Antonio, vous serez toujours mon père. NICOLAS. Et resterons-je aussi votre mari. BRID'OISON. Il n'y a pas d'apparence ; mais console-toi, mon garçon, je te marierai avec une fille dont le père et la mère seront bien sûrs. ANTONIO. Je ne suis plus son père, soit ; mais je voulons des preuves. FIGARO. Qu'avez-vous fait de cette cassette que votre femme, Mathurine, a recommandé de n'ouvrir qu'au moment où il serait question du mariage de Fanchette ? ANTONIO. Je n'y avons pas touché.? FIGARO. C'est dans cette cassette que vous trouverez l'extrait mortuaire de votre véritable fille Fanchette et les titres de Mademoiselle Don Fernand, que voilà. ANTONIO. J'allons voir tout cela. Je courons la chercher. Il sort. SCÈNE XIII. Fanchette, Le Comte, Basile, Chérubin, Brid'oison, Figaro, Nicolas, Plusieurs domestiques. LE COMTE, à Chérubin. Monsieur le Marquis, aux termes où les choses en sont, je vous dois une explication. Ma conduite à l'égard de Mademoiselle a pu vous donner des soupçons ; mais elle peut me rendre justice. Je n'ai voulu que connaître ses véritables sentiments ; j'ai respecté son amour dès que je n'ai pu en douter. Jouissez d'un coeur qui vous appartient. FANCHETTE, à Chérubin en souriant. Monsieur le Comte. LE COMTE. J'ai pu concevoir, sans vous offenser, le désir de vous plaire. CHÉRUBIN. Je m'en rapporte à l'opinion que j'ai de la délicatesse de vos procédés. Permettez, Monsieur le Comte, que je vous embrasse, et soyons unis, comme de bons parents. LE COMTE. J'y consens du meilleur de mon coeur. FIGARO, à part. Quel effort ! Le bon Apôtre ! Mais voici nos Dames. SCÈNE XIV. Fanchette, Le Comte, Basile, cherubin, Brid'oison, Figaro, Nicolas, Suzanne, La comtesse, Le Duc, La Duchesse, plusieurs domestiques. LE DUC, à Fanchette. Chère enfant, viens embrasser ton père. LA DUCHESSE. Cher gage de notre tendresse. FRANCHETTE. Quoi je tiens dans mes bras ceux qui m'ont donné l'être ! Je suis le fruit de votre amour si longtemps malheureux. Je vois couler vos pleurs ; laissez-moi recueillir dans mon sein ces larmes précieuses ; qu'elles se mêlent avec les miennes. Ce sont des pleurs de joie dont aucun plaisir ne peut égaler la douceur. LE COMTESSE. Ma chère cousine ! SUZANNE. Vous n'êtes plus la mienne. FRANCHETTE. Si, ma chère Suzanne, toujours. BRID'OISON. Je pleure aussi. On dirait d'abord que ces gens-là sont fous, et je finis toujours par pleurer de toutes leurs aventures. LE DUC. Mais je crois que c'est Monsieur Brid'oison. BRID'OISON. Il en est quelque chose, Monseigneur, hors que vous ne vouliez que je ne le sois plus. LE DUC. Excusez, Monsieur le Juge, si je ne vous ai pas reconnu plutôt. Je n'ai point oublié les obligations que je vous ai, et je vous revois avec un sensible plaisir. Vous nous serez utile dans cette circonstance. SCÈNE XV et dernière. Fanchette, Le Comte, Basile, Chérubin, Brid'Oison, Figaro, Nicolas, Suzanne, La Comtesse, Le Duc, La Duchesse, Antonio, portant une cassette, Plusieurs domestiques, Paysans et paysannes. ANTONIO. Je ne l'avons pas ouverte : voyez ce qu'il y a dedans. FIGARO. Ce sera bientôt expédé. Ouvrant la cassette.Voilà d'abord l'extrait mortuaire de la véritable Fanchette. Voilà votre procès-verbal, Monsieur Brid'oison, dont Monsieur le Duc a la copie. C'est le plus intéressant pour ces articles des bijoux, des diamants et de l'or. BASILE. Et de l'or ! FIGARO, le regardant. Oui, de l'or. Cela vous tente et vous fait sortir de votre léthargie. FANCHETTE, au Duc et à la Duchesse. Chers et respectables auteurs de mes jours ; vous que je n'ai eu le bonheur de connaître qu'en ce moment, votre fille osera-t-elle vous demander la permission de disposer de ces effets ? LA DUCHESSE. Ils sont à toi, ma chère fille, et tu peux en disposer à ta volonté. FRANCHETTE. Eh bien, j'en fais présent à mon père Antonio. ANTONIO. Tatiguoi, qu'elle est aimable ! Je l'aimons encore davantage, quoique je ne soyons que son père de lait. BASILE. Je voudrAis bien être à sa place. Il n'y des a eu que coups de bâton pour moi. NICOLAS. Et moi, j'en suis pour un pied de nez. FIGARO, à Basile en riant. Eh, te souvient-il encore du Podogo ? Il est à ton service. LE DUC. Allons nous occuper du bonheur de ces deux amants. À Chérubin.Ma fille sera heureuse avec vous, Monsieur le Marquis, et sa félicité bien va nous dédommager des peines que nous avons souffertes. Il me tarde de la présenter à la Cour. LE COMTE. Elle en sera le plus bel ornement. FIGARO, à Basile. Que dites-vous de tout ceci, notre Maître à chanter ? Vous en paraissez ébahi. BASILE. Je vois que tout est possible, dans ce bas monde. Tout est bien, dit un certain axiome ; moi j'y mets une variation. Tout est bien pour ceux à qui tout réussit. FIGARO. Ainsi, d'après ta morale, je vois, notre ancien Maître à chanter, que tu n'as plus rien à faire dans cette maison ; je te conseille donc de parcourir philosophiquement les quatre parties du monde, et, si tu trouves un de ces Messieurs commodes... tu m'entends, qui te vaille, crois-moi, abandonne-lui ton infâme métier, qui ne t'a produit, jusqu'à présent, que des coups de bâton. Au Public.Messieurs, il faut convenir que mon mariage a excité la verve de tout le monde ; plusieurs m'ont traité d'extravagant, et n'ont pas moins multiplié ma folie. Si cette nouvelle production vous paraît plus remplie de défauts que celles qui l'ont précédée, daignez lui accorder votre suffrage en faveur du sexe de son auteur. Une femme qui marche dans la carrière dramatique, sans autre appui que ses propre forces, a des droits à votre indulgence. Vos yeux, accoutumés aux prestiges de l'art, ne pourront-ils se détourner un moment pour examiner les jeux d'une imagination qui n'a d'autre guide que la nature ? Fin du troisième dernier Acte. VAUDEVILLE Sur l'Air de celui de la Folle Journée. FIGARO. Premier Couplet.Souvent des auteurs femelles,Le Public est satisfait :Mais des pédants sans cervellesNe trouvent rien de parfait ;Dans leurs censures cruelles Ils maltraitent tous les joursLes Grâces et les Amours. SUZANNE. Second Couplet.Vivat plus que la centaine,Figaro, le bon Docteur,Qui, cher à l'espèce humaine ; L'instruit et fait son bonheurTon illustre cinquantaineFera toujours même honneurÀ ton esprit, à ton coeur. CHÉRUBIN. Troisième Couplet.Je ne suis donc plus ce page ; Si prompt à se travestir :De Lutin me voilà Sage,Toujours pour vous divertir,Qu'importe mon caractère,Si je puis vous réjouir ? C'est toujours faire plaisir. LE COMTE. Quatrième Couplet.Si d'une aimable folieOn veut imiter l'auteur ;D'un succès digne d'enviePour obtenir tout l'honneur, Il faut avoir sa magieEt son talent créateur,Son esprit et son bonheur. FIGARO. Cinquième Couplet.Les gens de Lettres, nos frères,Ne connaîtraient pas le fiel, Si dans le sein de leurs mèresIl avaient sucé le miel :C'est le lait des étrangèresQui, se tournant sur le coeur,Produit la bile et l'humeur. BASILE. Sixième Couplet.Je vais donc, sans compagnie,Dans une île, vivre en paixIl faudra sans calomnie,Passer mes jours désormais,Mais, pour égayer ma vie, J'apprendrai, dans les forêts,À chanter aux perroquets. SUZANNE. Septième Couplet.Qu'un mari, dans les alarmes,Aille toujours en rodant ;Si sa femme a quelques charmes ; Il en tient, j'en suis garant:Il aura toujours pour armes,Sur son écu triomphant,Une lune en son croissant. BRID'OISON. Huitième Couplet.Si j'en crois ce que j'écoute, Adieu ma paternité,Ce n'est pas de moi, sans doute ;Que mon fils tient sa beauté.Mais la loi me nomme père,Et, sans prendre un soin fâcheux, Je le crois, et c'est le mieux. FIGARO. Neuvième et dernier Couplet.Quoiqu'avoir femme jolieEt sage, ce soit le hic ;Quoique de ma jalousieJ'ai fait rire le Public, Il me craint, se plaint et crie,Au bonheur dont je jouis ;[Note : Profitez bine né.][Note : Citation du Mariage de Figaro, Vaudeville de fin.]Gaudeant bene nati. BASILE. Non.Gaudeat bene nanti. ==================================================