******************************************************** DC.Title = VERS LES SAULES, COMÉDIE DC.Author = GLATIGNY, Albert DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 08:07:45. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/GLATIGNY_VERSLESSAULES.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k8630793z DC.Source.cote = BnF LLA Yth 18892 DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** VERS LES SAULES COMÉDIE REPRÉSENTÉE LE 25 JUIN 1864 DANS LES SALONS DE L'ÉTABLISSEMENT THERMAL DE VICHY. ALBERT GLATIGNY Imp. Rochette, Letang et Wallon, Chemin-de-Reuilly, 12, Paris. PERSONNAGES HENRI, Monsieur ARMAND GENTY. MARCEL, Monsieur AURÈLE. PONTCHARTRAIN, Monsieur GAUDY. HENRIETTE, Madame BORELLI-DELAHAYE. BLONDINE, Madame MARIE-PROTAT. ÉLÉONORE, Madame GUÉRARD. À la campagne, au mois de juin. VERS LES SAULES Le théâtre représente un paysage dans les environs de Paris. Au fond, apparaissant entre les branches, de grands arbres et des buissons de roses, une rivière. À droite, un cabaret de village, riant à l'oeil. À gauche, un banc de gazon sous une tonnelle de plantes grimpantes. (DÉCORS DE M. PLANTAD). SCÈNE PREMIÈRE. Henri, Blondine. HENRI, entre. Ramasse qui voudra mon coeur, je n'en veux plus ! BLONDINE, paraissant. Je le prends. Henri la regarde surpris. Elle continue :Vous avez des trésors superflus ?Vous les jetez au vent et le vent me les donne.Exécutez-vous donc, cher Monsieur, je l'ordonne.Ce coeur qui m'appartient, je le veux à l'instant. HENRI. Chère belle, ce coeur, qui m'embarrassait tant,Qu'en ferez-vous ? BLONDINE. Qui sait ? Une boucle d'oreille,Une grappe semblable aux grappes de la treilleEt que je presserai dans mes petites mains ;Le pelote de son où mes doigts inhumains Enfonceront l'acier qui mord ma chevelure,Ou bien j'effilerai sa fine dentelurePour en garnir ma robe aux volants étagés. HENRI. Ah ! Mon coeur est bien vieux pour tant d'emplois, songez...Comment vous nomme-t-on ? BLONDINE. Blondine. HENRI. Ô Blondinette ! Quand on se pend longtemps après une sonnette,Le cordon, un beau jour, se casse. BLONDINE. Grand malheur !On en achète un autre. Après ? HENRI. Ô lèvre en fleur !Vous riez ! Le moulin, haut perché sur la butte,Sait où votre bonnet, hier, fit sa culbute, Au bruit des rires fous et des claires chansons,Et, si nous cherchions bien, dans les prochains buissonsLes rubans du bonnet se trouveraient encore.Abeille, vous savez où le miel se picore :Ce corsage, ces yeux vifs, témoins éclatants, Vont proclamer partout vos jeunes dix-huit ans.Mais moi ! Comme un vieillard dont la nuque grisonne,En matière d'amour, hélas ! je déraisonne,Et, malgré les appels de vos yeux embrasés,Ma lèvre ne sait plus où nichent les baisers ! BLONDINE. Les cantonniers sont là pour indiquer la voie. HENRI. Non ! Ils se cachent tous, de peur qu'on ne les voie. BLONDINE. Écoutez, à me voir on dirait, je le sais,Une cervelle en l'air. Pourtant, j'ai des accèsDe bonté, qui parfois traversent ma folie. Je connais les sentiers de la mélancolie.Vous souffrez, je l'ai vu, car, par les jours d'été,Celui qui s'en va seul est un être attristé.Lorsqu'on entend frémir les airs de la guinguette,Que le plaisir à deux vous appelle et vous guette Et qu'il fait du soleil, il faut souffrir, vraiment,Pour se complaire ainsi dans son isolement !Or, moi qui ris toujours, je n'aime pas qu'on pleure.Je vous suivais depuis quelque temps. Tout à l'heure,Quand vous avez jeté ce cri désespéré, Je riais, et mon coeur s'est tout à coup serré.Cela m'a fait du mal. Et puis, je suis venueTendre à votre douleur une main inconnue,Il est vrai, mais qui peut rendre vos maux moins lourds.Allez-vous repousser ma patte de velours ? HENRI. Cette petite main, je l'aime et je la baise,Mais elle ne peut rien pour moi. Je suis obèse,Triste, cassé. Mon âge est absurde. BLONDINE. Ah ! Vieillard !Votre hâtif hiver est formé de brouillard,Mais le brouillard s'en va, quand les clartés sereines Embrasent l'horizon par les yeux des sirènes,Quand les beaux jours de juin invitent les rêveurs,Quand les pommes pour Ève ont de vertes saveurs !Ce dimanche est charmant parmi tous les dimanches ;Regardez : les bras nus s'échappent de leurs manches, Partout, joie et bonheur, et, si vous en doutiez,Écoutez les couplets épars des canotiers !Les amants, qui toujours trouvent où se repaître,Bravent sous les bosquets l'oeil du garde champêtre,Et, sur l'enseigne en bois du riant cabaret, Cupidon, qu'on barbouille avec du vin clairet,Lance, sans nul repos, ses flèches éternelles,Et les perd au milieu des nombreuses tonnelles ! HENRI. Quand on porte le deuil de ses illusions... BLONDINE. Quand on est assailli de folles visions... HENRI. Ô passé bienheureux ! Henriette ! Henriette ! BLONDINE. Ah ! Je la sais par coeur la vieille historietteQue vos pleurs étouffés murmurent. Tout est vieux,Tout rajeunit pourtant malgré les envieux !Vous aimiez une femme, et la femme inconstante Vers un autre pays porte aujourd'hui sa tente ?Mais, n'est-il qu'une vigne au monde où les raisinsMûrissent ? Il en est sur les côteaux voisinsOù la grappe sanglante est encore accrochée.Nous pouvons nous donner la main. Je suis fâchée Avec Léon. Léon fut mon amant jadis,Eh bien ! Nous chanterons un seul De Profundis,Pour l'amour de Léon, pour l'amour de la belle !Mais les pleurs sont fatals aux yeux. Je me rebelleContre le spleen morose et les pleurs ennuyeux ! Ma bouche veut s'ouvrir pour les éclats joyeux.Or, j'ai quitté Paris et j'ai pris les gondolesPour les champs embaumés où, sous les girandoles,Étoiles que l'on met aux feuillages touffus,Les sons du violon mêlés aux bruits confus, Semblent prendre nos pieds, et leur coudre des ailes ! HENRI. Où, dans le bal poudreux, de vives demoisellesPassent les yeux chargés de flammes et d'éclairs,Où les vins du bouchon que l'eau sut rendre clairs.Se boivent si gaîment sous la verte charmille, Où tout rayonne, où tout flamboie, où tout fourmille ! BLONDINE. Votre regard s'anime en en parlant. PourquoiN'y pas venir, monsieur, au lieu de rester coiComme un épouvantail à pierrots ? HENRI. Ô Blondine !La sagesse a touché ta lèvre grenadine. Tu dictes le devoir, ô mon jeune mentor !Ton ivresse a raison, et je suis un butor. BLONDINE. Eh bien, courons au bal tous les deux. HENRI. Oui, j'accepte !Nous tâcherons de joindre un exemple au précepteEt nous noierons l'amour dans un amour nouveau ! Oui, le soleil de juin frappe sur mon cerveau !Je veux aimer encore, aimer sous les ramures,Aimer comme l'on aime au temps des moissons mûres,Au milieu des bluets et des coquelicots,Au milieu des baisers dont sont pleins les échos ! Il l'embrasse ! BLONDINE. Eh ! Que faites-vous donc ? HENRI. Je t'embrasse, Blondine !Tiens, vois ce cabaret et lis : ICI L'ON DÎNE. BLONDINE. Je ne sais si je dois... HENRI. Pas de scrupules vains !Ne t'en souviens-il plus, chère, c'est toi qui vinsTout d'abord me parler de joie et de folie Et ranimer en moi l'espérance pâlie !J'avais jeté mon coeur et tu l'as ramassé,Viens dîner ! Le menu sera bientôt dressé,Et l'amour surgira, victorieux athlète,Dans le rouge Argenteuil, les pieds sur l'omelette ! Ils entrent dans le cabaret. Paraissent, d'un autre coté, Henriette et Marcel. SCÈNE II. Henriette, Marcel. HENRIETTE. Là nous sommes venus dans le mois des bourgeons ;Des canards barbotaient dans la vase et les joncs,De beaux petits canards que l'on mit à la broche...Bon ! Ma robe aux buissons à chaque instant s'accroche. MARCEL. Tel mon coeur à vos yeux s'accroche, belle enfant. HENRIETTE. Est-il bête ! Le poids de l'air est étouffantEt vous me récitez de ces fadeurs énormes ! MARCEL. Je vous aime ! HENRIETTE. Allez donc m'attendre sous les ormes ! MARCEL. Écoutez-moi... HENRIETTE. Voyons, taisez-vous, à la fin,Ou plutôt, commandez le dîner, j'ai très faim. Marcel veut répondre, mais, sur un geste impérieux d'Henriette, il sort en disant : Oh ! L'adorable fille ! Henriette s'est assise au pied d'un arbre. Entrent par le fond, Monsieur et Madame Pontchartrain. SCÈNE III. Henriette, Monsieur et Madame Pontchartrain. MONSIEUR PONTCHARTRAIN. Oui, nous pourrons, bichette,Donner en cet endroit notre coup de fourchette. ÉLÉONORE. Ces bords de la rivière ont un calme si frais...Oh ! Les rêves charmants qu'en ce lieu je ferais ! MONSIEUR PONTCHARTRAIN. Ouf ! Qu'il fait chaud ! ÉLÉONORE. Arsène ! MONSIEUR PONTCHARTRAIN. Éléonore ! Ils passent. SCÈNE IV. HENRIETTE. Aux branches De ces arbres, jadis pleines de gaîtés franches,J'ai pendu bien des fois mon mantelet. Souvent,J'ai couru, les cheveux soulevés par le vent,Sur ces bords. Il baisait mes tresses répanduesEn ondes sur mon col. Vous êtes-vous perdues, Belles heures d'amour que je cherche partout ?Ô Sèvres, Romainville, ô Meudon, Montretout,Jardins, ô parcs semés de roses, sources pures,Forêts dont le soleil colorait les guipuresDe feuilles et de fleurs ! Je suis triste aujourd'hui. C'est qu'alors, il était près de mes côtés, lui !Pourquoi l'ai-je quitté ? Dans ce mois de décembre,Quand il s'est trouvé seul en sa petite chambre,Quel froid l'a dû saisir alors ! Pauvre chéri,Comme il a dû souffrir ! Tout seul ! Est-il guéri ? Ah ! Sans doute qu'il a pris une autre maîtresse.Comme j'arracherais les yeux de la traîtresse,Si je la rencontrais quelque jour à son bras !Oh ! Dans mon coeur, Henri, dans mon coeur, tu vivras.Éternel souvenir des heures amoureuses, Souvenir éternel des heures bienheureuses ! SCÈNE V. Henriette, Henri. HENRI, revient. Choisissons un endroit propre à notre repas,Afin que les fâcheux ne nous dérangent pas.Vive Blondine ! c'est la maîtresse idéale.Tu brilles sur son front, aurore boréale, Et tout l'azur du ciel dans ses yeux est enclos.Vive Blondine ! Henriette pleure, on entend un léger hoquet.Tiens, on dirait des sanglots,Une femme qui pleure ? Elle est seule. Pauvrette,Son chagrin passera. Je ne sais qui m'arrêteAuprès d'elle. La reconnaissant.Henriette ! HENRIETTE, avec un cri. Ah ! Mon Dieu ! Te voilà. HENRI. Dire que tout ceci pourtant m'ensorcela.Ô ma raison ! HENRIETTE. Monsieur Henri... HENRI. Mademoiselle...Ah ! Quel diable en mon coeur m'entraîne encor vers elle ? HENRIETTE. Je voudrais vous parler, mais je n'ose. HENRI. Achevez. HENRIETTE. Vous allez bien depuis... le jour où... vous savez ? HENRI. Où j'ai cru que j'allais mourir ! Vous êtes bonne.Oui, ce sont de ces jours funèbres qu'on charbonneSur le mur, et ces jours ne s'effacent jamais... HENRIETTE. Autrefois... tous les deux... HENRI. Du temps que je t'aimais !C'est le Donec gratus, la chanson éternelle ! HENRIETTE. Quand nos mains se donnaient l'étreinte fraternelleDans ta petite chambre. Ah ! Que nous nous aimions,Henri ! La nuit venait doucement, nous rêvions,Et le même sourire illuminait nos lèvres. HENRI. Puis, comme pour payer les bijoux des orfèvres, L'amour ne suffit pas... Ah ! comme j'ai pleuré !Si tu savais combien j'étais désespéré ! HENRIETTE. Qu'il fait chaud ! Sous le poids de l'air trop chaud, on plie.Et vous êtes venu... seul ? Est-elle jolie ? HENRI. Qu'irait-on faire au bois tout seul ! J'ai sous le bras Dix-huit ans en jupon. HENRIETTE. Tu me la montreras.Comment la nommes-tu ! HENRI. Blondine. HENRIETTE. Ah ! cette fille ?Mais vous n'y songez pas, Henri, cela babilleAinsi qu'un perroquet. HENRI. Elle parle à mon coeur. HENRIETTE. Mais ses yeux ont toujours un air louche et moqueur. HENRI. Je les ai vus s'ouvrir, et la jeune espéranceA coloré pour moi leur calme transparence. HENRIETTE. Non ! Ce n'est pas cela qu'il vous faut. À son nomJ'ai tressailli de haine et de colère, non,Henri, ne l'aimez pas. Cette fille est méchante, Rien en elle ne vibre, en elle rien ne chante,Comme elle vous rendrait malheureux ! HENRI. Moins pourtantQue celle qui s'en est allée en emportantMes rêves les plus chers ! Ah ! moins que cette ingrateQui m'a fui lâchement, trouvant, l'aristocrate, Que ma chambre n'avait pas assez d'acajou,Et qui m'a laissé là comme on fait d'un joujou,Pour un je ne sais qui doré sur les coutures !Elle était bien aimée entre les créatures,Cependant, cette fille aux froides cruautés ! HENRIETTE. Dites-moi, n'est-ce pas que vous la regrettez ? HENRI. Son épaule, le soir, était douce à ma tête, HENRIETTE. Et pour la recevoir toujours elle était prête. Elle attire la tête de Henri sur son épaule, tous deux se regardent, rouges et embarrassés. HENRI. Ô bizarre destin ! Quand je la rencontraisParfois sur l'escalier, son visage si frais, Son nez si bien rosé, sa démarche hardie,Tout ce qui faisait d'elle une enfant étourdie,Rien ne conseillait l'amour, et je passaisInsoucieux, et toi, cher ange, tu pressaisLe pas, en murmurant : Que ce garçon est drôle ! Un jour... Ah ! quel démon nous soufflait notre rôle ?Nous nous entretenions comme de gais amants.Je t'aimais, tu m'aimais, oh ! Quels enivrements ! HENRIETTE. Comme vous passiez vite, adorables soirées ! HENRI. C'était l'hiver, la nuit abrégeait les vesprées. HENRIETTE. Et comme nous courions parlant à demi-voix,Dans la neige, ignorant si les vents étaient froids ! HENRI. Je t'aimais en ce temps où les portes sont closes,Où l'on s'embrasse, où l'on dit mille folles choses,Près de l'âtre où souvent le feu ne flambait plus. Mais nous n'en savions rien tous les deux ! Tu me plusDans la morne saison où le grand ciel s'ennuieD'être toujours rayé parla bise et la pluie.Ô folle ! tu jouais avec mes vieux bouquins.Lorsque je regardais tes petits brodequins Revenir au logis, crottés et tout humides,Je disais : Espérons ! Quand les bourgeons timidesAnnonceront avril et les prés refleuris,On pourra s'envoler pour un jour de Paris.Les arbres, enivrés de leur nouvelle sève, Ombrageront la mousse ; oui, j'avais fait ce rêve.Je nous voyais tous deux marcher, jeunes et fous,Éveillant les échos bruyants autour de nous ;L'hiver est loin déjà ; les chansons éclatantesAgitent le rideau des feuilles palpitantes, Je suis seul ! Et pourtant, voilà bien le décorRêvé pour le bonheur ! HENRIETTE, lui jetant ses bras autour du cou. Nous sommes deux encor ! HENRI. Que me dis-tu ! HENRIETTE. Henri, c'est l'époque des roses,Les roses auraient peur devant nos fronts moroseAimons-nous et rions ! Écoute dans mon sein Mon coeur se ranimer et battre le tocsin.Oui, tu verras mes pieds vagabonder dans l'herbeEt mes mains entasser les pervenches en gerbe,Viens ! l'air retentira du cri de nos amours,Je suis folle de joie, et je t'aime toujours ! HENRI. Ah ! reste dans mes bras ! Reste, que je la baiseCette tête adorée. Ah ! Mauvaise ! Mauvaise !Que tu m'as fait de mal ! Si tu pouvais savoirTout ce que j'ai souffert ? Si tu m'avais pu voirHeurter en sanglotant mon front sur les murailles, Et demander pourquoi l'heure des funéraillesÉtait lente à venir ainsi ? Quand j'ai reçuCe coup, je suis tombé. Ceux qui m'ont aperçuLes premiers dans ma chambre ont dit : Pauvre jeune homme !Il n'en reviendra pas ! Et le père Anthiome, Tu sais notre voisin, oh ! ce bon vieux ! c'est luiQui m'a le mieux aidé pendant ces jours d'ennuiA porter ma douleur. Tu lui tendras ta joueCe soir. Il ne faut pas trop lui faire la moue,Car il va te gronder, sois en sûre. Ah ! Mon Dieu ! Dis, tu n'essaieras plus de jouer à ce jeu ? HENRIETTE. Pardonne-moi, Henri. HENRI. Oui. Car pendant ces heures,J'évoquais devant moi les autres, les meilleures,Celles qui se passaient en rires infinis,Je vivais ces moments à tout jamais bénis ! Et puis, l'illusion, aidant à la mémoire,J'étais heureux. Mon coeur était comme une armoireOù tous mes souvenirs étaient numérotés,Alors, il me semblait te voir à mes côtés.Oui, mon isolement et mes larmes brûlantes, Mes désespoirs sans fin et mes angoisses lentes,Tout ce qui m'a vieilli, tout ce qui m'a glacé,Je te pardonne tout, pour le bonheur passé ! HENRIETTE. Eh bien, pardonne aussi pour l'ivresse future,Pour le bonheur présent. HENRI. Ô chère créature Perdue et retrouvée ! Ils se tiennent embrassés. Survient Marcel. SCÈNE VI. Henriette, Henri, Marcel. MARCEL. Admirable tableau !Symphonie amoureuse où je fais un solo ! HENRIETTE. Tiens ! C'est vous ? MARCEL. Oui, c'est moi. Merci de la surpriseQue vous me prépariez. HENRIETTE. Mon cher, aucune briseN'a soulevé mon coeur sur ses ailes pour vous. L'hirondelle retourne à l'ancien nid, si doux,Qu'elle aurait du toujours y demeurer blottie. MARCEL. Perfide ! HENRIETTE. Et de quel droit cette absurde sortie !Quand vous ai-je promis quelque chose ? MARCEL. Il est vrai...Mais en prenant mon bras... HENRIETTE. J'ai dit : Je vous suivrai À la campagne, mais, condition expresse :Vous ne me soufflerez pas un mot de tendresse. MARCEL. Je ne dis pas non, mais... HENRIETTE, riant. Ah ! Ah ! Pauvre garçon !J'ai retrouvé Henri. Vous savez la chanson ? MARCEL. Mais être venu deux et rester seul, c'est bête, Surtout quand le soleil vous donne sur la tête. HENRI. Lydie est revenue, ô Calaïs ; allezChercher quelque amoureuse ailleurs, si vous voulez ! HENRIETTE. Adieu, Marcel ! L'oubli vous sera bien facile. Elle prend le bras de Henri et sort en chantant :Et l'on revient toujours, À ses premiers amours. SCÈNE VII. MARCEL, seul. Encore cet oiseau qui m'échappe ! Imbécile !Que pensez-vous de moi, tonnelles, verts rideaux,Qui me regardez là, sottement, grands badauds !Quitterai-je les champs tapageurs où l'on pêche, Sans avoir effleuré le velours d'une pêche ?Non ! non ! je veux rester, je resterai ! Tant pis !Mais il faut que j'égrène aussi quelques épisDans la blonde campagne avec la DorimèneQue le sort vers l'endroit où sont mes pas amène ! En route pour l'amour ! Cherchons bien. JustementUne dame, un monsieur vieux et laid, c'est charmant ! Entrent Monsieur et Madame Pontchartrain. SCÈNE VIII. Marcel, Monsieur et Madame Pontchartrain. MONSIEUR PONTCHARTRAIN. Certes, il est des cas où le sage recule,C'est un fait avéré... ÉLÉONORE. Vous êtes ridicule. MARCEL, s'approchant. Je suis de votre avis, Madame. MONSIEUR PONTCHARTRAIN. Hein ! Quel est Cet intrus, et pour quoi me prend-il, s'il vous plaît ? MARCEL. Je ne vous parle pas, Monsieur. MONSIEUR PONTCHARTRAIN. Comment ? MARCEL. J'approuveCe que Madame a dit à l'instant, et je trouveQu'elle a deux fois raison. Donnez-moi donc la paix.Oui, Madame, cet homme est un butor épais, Vous ayant... MONSIEUR PONTCHARTRAIN. Mais, Monsieur... MARCEL. Assez sur ce chapitre. MONSIEUR PONTCHARTRAIN. Ah ! Vous êtes encore un bien singulier pitre,Convenons-en ! Monsieur arrive là tout droit,Me trouve ridicule, et je n'ai pas le droitDe me fâcher ! Allons, mais je n'aurais pas d'âme ! MARCEL. Encore un coup, monsieur, je m'adresse à Madame. ÉLÉONORE, avec douceur. C'est à moi qu'il s'adresse. MONSIEUR PONTCHARTRAIN, anéanti. Ah ! Très bien ! Je me tais.Grands dieux ! MARCEL. Figurez-vous, Madame, que j'étaisÀ la campagne, avec une jeune amoureuse,Charmante, vive et folle, un oiseau ! Vaporeuse À l'excès. Nous étions venus là pour dînerEnsemble ; puis après nous devions cheminerPar les sentiers perdus, où notre dialogueFût devenu bien vite une divine églogue.Or, dès les premiers vers à peine murmurés, Brisant et disloquant les mètres préparés,Tombe un monsieur du ciel. Mon amante, ô frivole !Tressaille, pousse un cri, puis dans ses bras s'envole.Je reste là, madame. Et notez que j'avaisUn tas de madrigaux qui n'étaient point mauvais, Un galant répertoire admirablement tendre,Et personne, personne à qui le faire entendre !C'était navrant ! Rentrer en dedans mon amour.Mais je vous vois, madame, et je vous fais la cour ;Je tombe à vos genoux, je saisis vos petites Menottes, qui nous font songer aux clématites,À la neige, au jasmin si pur, au lys vainqueur.J'y répands mes baisers. Voulez-vous de mon coeur ?Vous riez doucement. Car, sur votre visage,Le rire est un rayon dans un frais paysage, Et je prends votre bras, que vous m'abandonnez. MONSIEUR PONTCHARTRAIN. Et que fais-je en ceci, Monsieur ? MARCEL. Vous me gênez. MONSIEUR PONTCHARTRAIN. Mon Dieu ! MARCEL. Que fais-je en somme ? Une chose ordinaire. MONSIEUR PONTCHARTRAIN, foudroyé. Quoi, la cour à ma femme, et vous !... sang et tonnerre ! MARCEL, sans l'écouter. Donc, Madame, vos yeux ont de charmants reflets. Tels brillent dans les cieux embrasés, les palaisOù le rouge Phébus remise sa berline.Vous avez une grâce adorable et féline ;Vos mains sont d'un enfant; j'adore votre front,Ciel pur que les soucis jamais n'obscurciront ; Vos douces lèvres sont pareilles aux grenades,Une abeille y viendrait guider ses promenades.N'est-ce pas qu'il est doux, quand on a tout cela,Les yeux où le Soleil lui-même étincelaLe charme, la beauté, la voix pure et sonore, De se l'entendre dire ainsi qu'... MONSIEUR PONTCHARTRAIN, éclatant. Éléonore ! MARCEL. De se l'entendre dire ainsi qu'à vos genoux,Madame, je le dis. MONSIEUR PONTCHARTRAIN. Dieux bons ! Où sommes-nous !Vous allez mettre un terme à ces propos bizarres ! Marcel sans répondre, embrasse la main de la dame.Eh ! Que faites-vous donc ? MARCEL. Parbleu ! Je prends des arrhes. MONSIEUR PONTCHARTRAIN. Voulez... MARCEL. Il est des gens bien impatientants.On m'appelle Marcel, Madame, et j'ai vingt ans,Me voulez-vous aimer ? MONSIEUR PONTCHARTRAIN. Est-ce ainsi qu'on me berne ![Note : Giberne : Anciennement, nom d'une espèce de sac, dans lequel les grenadiers portaient des grenades. [L]]Vous allez à l'instant mettre en votre giberne,Mon beau soldat d'amour, ces déclarations. MARCEL. Vous m'ennuyez avec vos interruptions !Voyons ! Me voulez-vous chercher une querelle ?J'accepte ! MONSIEUR PONTCHARTRAIN. Ma femme est... MARCEL. Je me battrai pour elleEt vous boirez mon sang, énorme spadassin ! MONSIEUR PONTCHARTRAIN. Spadassin ! MARCEL. Vous voulez vous rougir dans mon sein, Rougissez ! MONSIEUR PONTCHARTRAIN. Mais du tout ! ÉLÉONORE, éplorée. Au secours ! SCÈNE IX. Henriette, Henri, les Pontchartrain, Marcel. HENRIETTE et HENRI, attirés par le bruit. Qu'est-ce ? Qu'est-ce ? MARCEL. Eh rien, c'est le fracas de cette grosse caisse. HENRI. Mon oncle Pontchartrain ! MONSIEUR PONTCHARTRAIN. C'est toi ! Dieu soit loué !Viens défendre ton oncle, ô neveu dévoué ! HENRI, majestueux. Vous n'avez pas toujours, pour moi, l'un de vos proches, Été, comme Bayard, un oncle sans reproches,Et je vais demander souvent aux usuriers,Quand les temps sont mauvais, l'argent que vous pourriezMe donner. Vous m'avez refusé ma cousinePour lui faire épouser je ne sais quelle usine, Mais je serai clément, comme le sont les dieux,Plus peut-être. Je suis miséricordieux,Mais juste cependant. Parlez, jouis la cause. MONSIEUR PONTCHARTRAIN. Tu seras indigné quand tu sauras ce qu'oseCe jeune homme. HENRI. Monsieur Marcel ! HENRIETTE. Un bon garçon. HENRI. Spirituel. ÉLÉONORE. Aimable. MONSIEUR PONTCHARTRAIN. Et qui vient sans façonMe dire que je suis ridicule, à ma face !Mais ce n'est qu'un détail oiseux, et je l'efface. HENRI. Hé ! Diable ! MONSIEUR PONTCHARTRAIN. Il tombe aux pieds de mon épouse, puisDit qu'il l'aime. Je suis calme autant que je puis, Je parle doucement d'abord, monsieur m'envoieHaranguer les moineaux, et veut que je le voieTranquillement conter ses fleurettes en l'air MARCEL. Allons, modérez-vous, monsieur, vous avez l'airD'un dentiste enrhumé. Soyez donc plus auguste. HENRI. Les ennuis sont un vin que le sage dégusteQuand le moment en vient. Mon oncle, dégustez. À Marcel.Mais qui peut vous conduire à ces extrémitésD'aller faire la cour à ma tante ? MARCEL. La fauteDe tout ceci, Monsieur, sur le soleil ressaute. Que faire un jour de juin, quand on est dans les champs,Qu'autour de vous, partout, sur les coteaux penchants,Sur la route, on entend jaser sous les ombrellesDes couples de ramiers avec leurs tourterelles !On boit l'amour dans l'air. Moi j'étais venu deux, Et vous avez trompé mon espoir hasardeux.De là ma rage. Puis, vous m'avez dit vous-même :Lydie est revenue, ô Calaïs, et m'aime,Cherchez quelque amoureuse ailleurs si vous voulez ! MONSIEUR PONTCHARTRAIN, à Henri. Tu l'as dit ? HENRI. Je l'ai dit. MONSIEUR PONTCHARTRAIN. Mes esprits sont troublés. HENRI. Mon oncle, vous voyez ; maintenant tout s'explique. MONSIEUR PONTCHARTRAIN. Sa conduite à présent me paraît moins oblique. MARCEL. Madame se présente. Elle a de fort beaux yeux. Peut-on n'en pas sentir le charme gracieux ? HENRI. Ce n'est guère facile en effet. MARCEL. À ma place Qu'eussiez-vous fait, monsieur ? car on n'est pas de glace.Les yeux sont faits pour voir et le coeur pour sentir ? HENRI. L'argument est logique. Essayez d'en sortir. MONSIEUR PONTCHARTRAIN. Mon neveu, tout ceci me rend l'esprit perplexe,Certes, il a raison, mais pourtant ça me vexe... Tiens, je pars. SCÈNE X. Les mêmes, Blondine. BLONDINE, paraissant sur le seuil du cabaret. Ça, voilà deux heures que j'attends. Mouvement général. HENRIETTE. Cette femme, c'était... HENRI, à Blondine. Ma chère, un contre-tempsSurvient dans nos amours et finit le volumeDont le commencement est resté dans la plume.L'encre manquait. Pourquoi fatiguer le papier Qu'on froisserait en vain sans y rien copier ?L'oiseau du souvenir gazouillait dans les chênes,Et mon coeur s'est repris à ses premières chaînes. BLONDINE. Eh, n'en rougissez pas ! heureux qui peut aimer,Mais plus heureux celui qui voit se ranimer L'amour qu'il oubliait, un jour d'ingratitude !Que voulais-je ? jeter en votre solitude,Un peu de ma folie, un peu de ma gaîté !Et, complice en cela du soleil de l'été,Quand vous niiez la joie, arrêter vos blasphèmes Qui se sont, à présent, interrompus d'eux-mêmes.Adieu donc ! Je m'en vais vous laissant, pauvre oiseau,Vous débattre à votre aise au milieu du réseauFatal, où la sirène à la voix tentatriceVous a repris encor. HENRI. Chère consolatrice Qui vous consolera ? Qui consolerez-vousMaintenant ? MARCEL, à Blondine. Vous voyez un homme à vos genoux,Qui vous offre son bras pour aller dans la plaine,Un homme abandonné. Vous pouvez, Madeleine,Encore cette fois répandre vos parfums. BLONDINE. Nous verrons. MARCEL. Voyez vite. HENRI. À nos ennuis défunts !Buvons et que la joie étincelle et fleurisse ! BLONDINE, au public. Notre auteur n'a voulu peindre que son caprice,Dans cette comédie où tout va de travers.Quand il a secoué les rimes de nos vers, Sa raison voyageait sur une mer lointaine. HENRIETTE. Ô messieurs ! Désarmez la critique incertainePour cette oeuvre où l'amour allume son fanal,Et qui prend nos baisers pour tout couplet final. ==================================================