******************************************************** DC.Title = LA VEUVE DE SAREPTA ou L'HOSPITALITÉ RÉCOMPENSÉE, COMÉDIE DC.Author = GENLIS, Madame de DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 01/02/2021 à 07:00:08. DC.Coverage = Pays biblique DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/GENLIS_VEUVEDESAREPTE.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LA VEUVE DE SAREPTA ou L'HOSPITALITÉ RÉCOMPENSÉE COMÉDIE EN UN ACTE 1829 BELIN-LEPRIEUR ET MORIZOT Éditeurs, 5 rue Pavé-Saint-André. NOTICE NOTICE Achab, roi d'Israël, épousa Jésabel, étrangère, fille d'Ethbaal, roi des Sidoniens ; corrompu par cette princesse, il adora les idoles. Le prophète Élie, par l'ordre de Dieu, annonça au roi que pendant plusieurs années la pluie et la rosée cesseraient de tomber sur la terre. Ëlie, persécuté, fut obligé de fuir; il se cacha sur les bords du torrent de Carith. Quelque temps après le torrent se dessécha, et Dieu ordonna au prophète d'aller à Sarepta, ville des Sidoniens. Arrivé près de la ville, il rencontra une pauvres femme veuve qui ramassait du bois ; il lui demanda de l'eau à boire, elle alla en chercher. Il la rappela pour lui demander une bouchée de pain ; elle répondit qu'elle n'avait qu'un peu de farine dans un pot, et un peu d'huile dans un vase : il lui dit d'en faire un petit pain cuit sous la cendre, et de le lui apporter; elle obéit, et alors Élie lui dit que la farine du pot et l'huile du vase ne finiraient point jusqu'au jour où le Seigneur ferait tomber la pluie sur la terre. Le fils de cette femme mourut; Élie le ressuscita et le rendit à sa mère, qui dit au prophète : « Je reconnais maintenant que vous êtes un homme de Dieu. » PERSONNAGES ÉLIE, prophète. LA VEUVE DE SAREPTA. L'ENFANT. (Il doit être âgé de onze ou douze ans.) La scène est au pays des Sidoniens, près de la ville de Sarepta. Le théâtre représente un paysage. On voit dans le fond un bois et une chaumière, et sur le devant du théâtre, à l'un des côtés, un arbre au pied duquel est un siège de gazon issu de THÉÂTRE D'ÉDUCATION à l'usage de la Jeunesse par Mme de Genlis, Nouvelle édition revue et corrigée, pp. 211-232 LA VEUVE DE SAREPTA SCÈNE I. La Veuve, L'Enfant. Au lever de la toile, la veuve est occupée à filer ; son fils est assis à côté d'elle. LA VEUVE, à part, après avoir regardé son fils. Comme il est pâle ! Abattu ! Pauvre enfant !... Haut.Mon fils, ne trouves-tu pas ce matin l'air plus frais, le temps plus serein ? L'ENFANT. Je respire avec peine, et déjà le soleil me semble brûlant... LA VEUVE. Voudrais-tu te promener dans le bois ? L'ENFANT. Je ne saurais marcher. LA VEUVE, à part. Pauvre enfant !... L'ENFANT. Ma mère, quand verrons-nous donc de la verdure et des fleurs !... LA VEUVE. Nous sommes dans la saison qui les fait naître, et cependant on n'entend plus le ramage des oiseaux ; les arbres sont dépouillés, les feuilles desséchées tombent sur l'herbe flétrie; le cours des ruisseaux et des fontaines est suspendu : en vain on cherche l'ombre et la fraîcheur, la pluie n'humecte plus la terre, et les plantes, les fruits, les animaux, les hommes, tout languit, tout semble prêt à périr... Tels sont les fléaux qui nous accablent depuis si longtemps !... Tout est changé dans la nature : une révolution funeste nous prive à la fois des beaux jours, de l'abondance et de la santé. L'ENFANT. Ma mère, je ne verrai donc plus de printemps ? LA VEUVE. Ô mon fils ! L'ENFANT. Je me rappelle encore ce temps heureux où les arbres étaient si verts, la prairie si belle... Je n'oublierai jamais cette fontaine qui tombait en cascade du haut du rocher : elle était là, près de notre cabane : elle a disparu, le rocher seul est resté; et quand je le regarde, je me sens plus triste... Et ces fleurs que je cueillais avec tant de plaisir... et notre vigne maintenant abandonnée, et nos brebis... LA VEUVE. Cher enfant ! Tu connais déjà des maux qu'on ignore à ton âge, les regrets amers, les souvenirs douloureux... L'ENFANT. Ma plus grande peine c'est de me rappeler le temps où vous étiez autrefois entourée de femmes qui travaillaient avec vous, qui vous servaient... Maintenant vous êtes seule... LA VEUVE. Ne suis-je pas avec toi ?... Ne me tiens-tu pas lieu de tout ? L'ENFANT. Si je pouvais vous aider dans vos travaux ! J'en ai l'âge, je n'en ai pas là force... LA VEUVE. Tu me plains, tu t'attendris sur mon sort, toi, le seul objet de mes inquiétudes ! Ô mon enfant ! Je puis encore être heureuse si le ciel te rend la santé... L'ENFANT. Vous pleurez, ma mère !... Vous n'espérez donc pas ma guérison ? LA VEUVE. Que dis-tu ?... Si j'en doutais, me serait-il possible de supporter la vie ? L'ENFANT. Cependant je suis si faible... Si vous pouviez me conduire à la ville, j'irais au temple de Baal prier avec vous les idoles... LA VEUVE. Les idoles !... Cessons de les révérer ; le culte de Baal est stérile; il n'inspire point la vertu, il autorise le vice ; n'en doute pas, nos prêtres sont des imposteurs, et nous adorons de faux dieux... L'ENFANT. Et qui donc invoquerons-nous ? LA VEUVE. Celui qui créa l'univers. L'ENFANT. Comment connaîtrons-nous sa loi ?... LA VEUVE. Lui-même a pris le soin de la graver dans nos coeurs, en nous inspirant l'amour du bien, l'horreur du mal : suivre les mouvements de sa conscience, c'est lui obéir... L'ENFANT. Comment le servir, le prier ? LA VEUVE. Je l'ignore ; mais un coeur vertueux et soumis qui désire le connaître, doit conserver l'espoir qu'il daignera l'éclairer. L'ENFANT. Ainsi donc les Sidoniens l'offensent ? LA VEUVE. Ils n'ont que trop mérité sa colère par leurs crimes, par leurs sacrifices inhumains. Cette sécheresse horrible qui désole notre patrie, les maladies, la famine, tous les maux dont nous gémissons, ne sont peut-être que les tristes effets d'une justice qu'ils méconnaissent. On dit que la première cause de nos malheurs vient de l'union de Jésabel, la fille de notre souverain, avec le roi des Hébreux : elle a voulu porter dans ses nouveaux États le culte des idoles, et c'est depuis cette époque funeste que tant de calamités pèsent sur nous... L'ENFANT. Les dieux d'Israël sont donc irrités ? LA VEUVE. Cette nation étrangère n'adore qu'un seul Dieu; elle a, dit-on, reçu de lui des commandements sacrés, des préceptes et des lois équitables... Ah ! S'il est vrai que ce Dieu prescrive la vertu, il deviendra le mien !... L'ENFANT. Ma mère, entendez-vous le vent qui s'élève ? L'air est brûlant ! Quels tourbillons de poussière!... LA VEUVE. Un orage affreux nous menace ; il faut rentrer... L'ENFANT. Le vent redouble... Le ciel s'obscurcit. LA VEUVE. Ne perdons plus de temps... Viens, mon fils, appuie-toi sur mon bras. L'ENFANT. Je me soutiens à peine.... LA VEUVE. Ô ciel !... Et je n'ai pas la force de te porter... L'ENFANT. Ne vous affligez point, je sens que je pourrai marcher jusqu'à notre cabane. LA VEUVE, le soutenant dans ses bras, Viens, cher enfant !... L'ENFANT, marchant lentement. Quelle tempête !... Les arbres ploient, ils cèdent à la violence du vent... LA VEUVE. Hâtons-nous. L'ENFANT, s'arrêtant. Écoutez... Je crois entendre des gémissements... LA VEUVE. Oui, du côté de ce bois. L'ENFANT. Quelqu'un, sans doute, a besoin de secours ; courez, ma mère... LA VEUVE. Je ne puis te laisser ici... Quand je t'aurai conduit jusqu'à notre cabane, j'irai voir quel être malheureux réclame notre assistance. L'ENFANT. Hâtons-nous, ma mère. La veuve et l'enfant arrivent auprès de la cabane. LA VEUVE, ouvrant la porte. Entre, mon fils, je te rejoindrai bientôt. L'ENFANT. Ne vous pressez point ; je me sens mieux, je n'ai besoin que de repos, je vais dormir... LA VEUVE. Que ton sommeil soit doux et paisible !... Elle l'embrasse. SÈCNE II. LA VEUVE, seule. Enfant chéri ! Quelles inquiétudes mortelles tu me causes ! Elle s'avance vers le bois.Le ciel s'éclaircit, le vent s'apaise... Je n'entends plus les accents plaintifs qui semblaient implorer du secours... Cependant ce n'était point une illusion, la voix d'un infortuné s'est fait entendre... Elle s'arrête, et regarde à l'entrée du bois.Je ne découvre rien... Retournons auprès de mon fils... Quel bonheur je goûterai en le voyant dormir !... Je travaillerai doucement auprès de lui... Mais non, le bruit des fuseaux pourrait le réveiller; je le regarderai en silence... Je ne serai point forcé de retenir mes pleurs : je les laisserai couler sans contrainte, il ne les verra pas... Elle joint les mains et les élève vers le ciel.Ô toi que j'ignore, mais qui parles à mon coeur, Dieu qui as créé les cieux et l'univers, qu'il me serait doux dans mes peines de te prier, de t'invoquer pour mon fils !... Je ne te connais que par tes ouvrages. Je vois ta puissance infinie, et puisque tu peux tout, tu dois être bienfaisant. Achève de dessiller mes yeux, rends à mon fils la force et la santé... Ma vie fut innocente, et je cherche la vérité... Ne rejette point ma prière ; daigne m'éclairer et me conserver mon fils... Mais une voix a frappé mon oreille... Elle fait quelques pas vers le bois.J'aperçois un vieillard vénérable ; il paraît accablé de fatigue, secourons-le, s'il est possible. SCÈNE III. La Veuve, Élie. ÉLIE. Où suis-je ? Quel est ce lieu sauvage ? LA VEUVE. Vous êtes sur les terres des Sidoniens, près de la ville de Sarepta. Si vous avez besoin de repos, bon vieillard, venez dans ma cabane... ÉLIE. Qui êtes-vous ? LA VEUVE. Je suis une pauvre veuve, et n'ai qu'un fils. Privée de ma fortune, que j'ai perdue sans désespoir, sans en avoir abusé, je vis aujourd'hui du travail de mes mains. ÉLIE. Quels revers ont changé votre sort ?... LA VEUVE. Les calamités publiques. La terre, privée de pluie et de rosée, est devenue stérile. Tous les travaux des champs sont abandonnés ou superflus, et le plus terrible des fléaux, la famine, établit entre toutes les classes une funeste égalité. Le sort du riche est semblable à celui du pauvre ; et les princes, au fond de leur palais, reconnaissent enfin la frivolité du luxe, et le prix réel des biens offerts par la nature : tels sont les maux qui désolent ma malheureuse patrie !... ÉLIE. Nation insensée et perverse, brisez vos idoles, détruisez ces ouvrages impies élevés par vos mains criminelles, adorez le vrai Dieu, le Dieu d'Abraham et de Jacob ; et le ciel, toujours prêt à pardonner, redeviendra serein pour vous. LA VEUVE. Qu'entends-je ?... Le vrai Dieu, dites-vous ? Faites-le-moi connaître... Mais vous ne m'écoutez pas ?... Vous paraissez souffrir. ÉLIE. La force m'abandonne... La fatigue, la soif... LA VEUVE. Hélas ! Je n'ai pour tout bien qu'un peu de farine dans un pot et un peu d'huile dans un vase, que je conserve pour mon fils. ÉLIE. Votre fils a-t-il passé plusieurs jours privé de nourriture ? LA VEUVE, à part, regardant Élie. Il pâlit, il chancelle... Non, je ne puis le laisser périr... Ce lin que j'ai filé, j'irai aujourd'hui même le porter à Sarepta, j'en aurai quelques aliments pour mon fils ; et cette nuit je ne me coucherai point, je travaillerai jusqu'au jour... Mais si mon fils, en s'éveillant, se trouvait pressé de la faim !... ÉLIE. Secourez-moi!... Vous pouvez me sauver la vie ; secourez-moi !... LA VEUVE. Oh ! Qui pourrait résister à ce cri déchirant ?... Infortuné vieillard, venez, suivez-moi ; tout ce que je possède est à vous... ÉLIE. Je ne puis quitter ce lieu... Allez, je vous attends ici... Il s'appuie contre un arbre. LA VEUVE, allant vers la cabane. Je suis de retour dans un moment. Elle sort, et entre dans la cabane. SCÈNE IV. ÉLIE, seul. Et cette femme est Sidonienne !... Que de vertus ! Ô Dieu ! Daigne élever jusqu'à toi ce coeur si digne de te connaître... Daigne répandre ta divine lumière et tes bienfaits sur cette cabane hospitalière !... Mais qu'entends-je ? Quels cris déchirants ! On entend de l'intérieur de la cabane, dont la porte est ouverte. LA VEUVE qui s'écrie : Mon fils, ô mon fils ! ÉLIE. Quel malheur est arrivé ?... SCÈNE V. Élie, La Veuve éplorée. LA VEUVE. Il n'est plus... C'en est donc fait, j'ai tout perdu... Mon fils !... Elle tombe sur un siège de gazon. ÉLIE. Votre fils est mort ?... LA VEUVE. Malheureux étranger, tu m'as retenue, je n'ai pu recevoir son dernier soupir !... Mon fils... Mais je veux le revoir... Expirer près de lui... ÉLIE. Arrête... Écoute-moi ! Un pouvoir surnaturel me rend toutes mes forces. Ô mère désolée, invoque avec moi le Dieu d'Israël. LA VEUVE. L'invoquer !... Et mon fils est mort... ÉLIE. Il peut lui rendre la vie... LA VEUVE, se précipitant à genoux. Dieu !... Dieu ! ÉLIE. Être éternel et tout-puissant, écoute la voix d'Élie et les gémissements de cette mère infortunée ; daigne lui donner la lumière et lui rendre le bonheur !... Mais tu m'exauces... Je le sens... Tu m'inspires... Il s'élance vers la cabane. LA VEUVE, se relevant. Ciel ! Serait-ce une illusion ?... ÉLIE, se retournant. Garde-toi de douter... Espère tout... Et ne suis point mes pas... Il entre dans la cabane. SCÈNE VI. LA VEUVE, seule. Quoi !... Mon fils, que je viens de voir privé de la vie, il me serait rendu ?... Grand Dieu, je ne puis mettre en doute ta puissance et ta bonté suprême... Mais qu'ai-je fait pour mériter, pour obtenir un prodige ? Elle écoute.Ciel !... C'est sa Voix !... C'est lui !... Elle se précipite vers la cabane. SCÈNE VII. La Veuve, Élie tenant l'enfant par la main. LA VEUVE. Mon fils !... L'ENFANT, se jetant dans les bras de la veuve. Ô ma mère ! LA VEUVE. Tu respires, je te vois, je te serre dans mes bras !... Elle le regarde fixement.C'est toi !... C'est mon fils, et la santé brille sur son visage... Elle se jette aux genoux d'Élie, qui la relève.Homme divin, je le reconnais, la parole du Seigneur est véritable dans ta bouche. Achève de dissiper mon erreur ! Quels hommages dois-je rendre au Dieu bienfaisant que tu sers ?... ÉLIE. L'hommage le plus digne que vous lui puissiez offrir, c'est la reconnaissance d'un coeur tel que le vôtre. LA VEUVE. Et vous, soyez toujours mon génie tutélaire... ÉLIE. Je ne suis qu'un simple mortel. Persécuté par un roi barbare, par une reine impie, j'ai fui dans les déserts. Dieu m'ordonna de venir dans ces lieux ; sa main puissante me conduisait auprès de vous. Il a voulu qu'Élie eût la gloire d'arracher à l'erreur un coeur fait pour chérir la vérité. Les crimes de l'orgueilleuse Jésabel ont armé sa justice redoutable ; mais en punissant les méchants, il sait aussi protéger, récompenser l'innocence et la vertu. Il vous rend votre fils, il redonne à cet enfant chéri la force et la santé. Dès ce moment vous ne souffrirez plus des terribles fléaux dont gémit votre patrie. Ces vases qui ne contenaient qu'un faible reste de farine et d'huile, conservés pour votre fils, et que m'offrit votre main généreuse, sont maintenant remplis ; tant que durera la famine, ils fourniront à la subsistance de votre fils, à la vôtre, à celle de tous les infortunés qui viendront vous implorer. LA VEUVE. C'est à moi désormais à les aller chercher... Grand Dieu, c'est trop de bienfaits !... Quelle félicité peut se comparer à la mienne?... ÉLIE. Elle sera aussi durable qu'elle est pure ! Votre nom ne périra point avec vous; et les exemples de votre vie, les récompenses du Seigneur en perpétueront la touchante mémoire dans la suite de tous les âges. ==================================================