******************************************************** DC.Title = LES FLACONS, COMÉDIE DC.Author = GENLIS, Madame de DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 08:08:19. DC.Coverage = Pays féérique DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/GENLIS_FLACONS.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LES FLACONS COMÉDIE EN UN ACTE 1829 BELIN-LEPRIEUR ET MORIZOT Éditeurs, 5 rue Pavé-Saint-André. PERSONNAGES LA FÉE. MÉLINDE. CÉNIE. IPHISE. La scène est dans le palais de la fée. issu de THÉÂTRE D'ÉDUCATION à l'usage de la Jeunesse par Mme de Genlis, Nouvelle édition revue et corrigée, pp. 73-86 LES FLACONS SCÈNE I. La Fée, Mélinde. LA FÉE. Les enfants que vous m'avez confiés, chère Mélinde, m'ont fait éprouver bien des chagrins depuis trois mois ! MÉLINDE. Quoi ! Mes filles... LA FÉE. Ne vous effrayez pas, le mal n'est pas sans remède : vous savez que je présidai à leur naissance ; mais comme mon pouvoir est borné, je ne pus leur faire qu'un seul don. Il m'était permis de choisir, je n'hésitai pas : je leur donnai un coeur reconnaissant... MÉLINDE. C'était en même temps travailler pour vous et pour elles ; ce don vaut tous les autres. LA FÉE. Je ne me repens point de ce que j'ai fait ; les qualités du coeur valent mieux sans doute que les charmes extérieurs. Mais pour être heureuse, pour être aimée, elles ne sauraient suffire. J'ai consulté pour vos filles le livre des destinées, et j'ai vu que leur bonheur dépend uniquement du cas qu'elles feront des avantages de la figure et surtout de ceux de l'esprit. MÉLINDE. Elles sont élevées par vous, je dois être tranquille. LA FÉE. Je donne à leur éducation tous les soins dont je suis capable ; mais je vous avoue qu'elles n'y répondaient pas d'abord à mon gré. Cénie a de la douceur, d'heureuses dispositions pour apprendre ; mais elle est entêtée, indolente, et rarement appliquée. MÉLINDE. Et sa soeur ? LA FÉE. Iphise est franche, sensible et gaie ; mais elle est étourdie, légère, violente. Avec cela, elles ont déjà beaucoup d'amour-propre : on leur a dit qu'elles étaient jolies, et au lieu de ne voir dans ce compliment qu'une politesse, elles l'ont pris pour une vérité. Elles ne sont pas désagréables, mais elles sont fort loin d'être charmantes... Jugez de l'avenir qu'elles se préparent. MÉLINDE. Eh mon Dieu ! De quoi seraient-elles vaines ? Elles ont toutes deux de grands défauts, et si l'on admire en elles quelques perfections, elles ne les doivent qu'à vous seule. LA FÉE. Cependant j'en suis plus contente depuis deux mois ; j'ai trouvé le moyen de les punir et de les rendre plus soumises. MÉLINDE. Comment ?... LA FÉE. J'ai eu recours à mon art pour leur fasciner les yeux et leur faire croire qu'elles sont hideuses ; aussi, toutes les fois qu'elles se regardent, se trouvent-elles laides à faire peur. J'ai donné le mot à tout ce qui les entoure ; on leur a répété à chaque instant, les premiers jours, qu'elles étaient affreuses : d'abord elles ont beaucoup pleuré ; Iphise surtout paraissait inconsolable. Je ne leur ai pas épargné les remontrances ; le meilleur parti à prendre, leur ai-je dit, c'est de tâcher de faire oublier votre difformité par vos bonnes qualités, vos vertus et vos talents ; elles m'ont cru, et... Mais j'entends du bruit : ce sont elles... Elles vous cherchent ; je vous laisse ensemble : adieu, n'oubliez pas de les confirmer dans leur erreur. Elle sort. SCÈNE II. Mélinde, Génie, Iphise. Ces deux dernières restent à la porte en se cachant le visage. MÉLINDE. Les pauvres petites n'osent approcher, elles craignent que leurs figures ne me fassent horreur. CÉNIE, en pleurant. Allons, ma soeur, il faut bien que notre mère nous voie. IPHISE. Avancez la première. CÉNIE. Je n'ose... MÉLINDE, à part. Feignons de ne les pas connaître. Haut.Mes enfants ne viennent point, je vais les aller chercher... CÉNIE. Entendez-vous, Iphise ? IPHISE. Je vois que la fée ne l'aura pas prévenue... CÉNIE. Elle nous regarde et ne nous reconnaît pas. IPHISE. Comment le pourrait-elle, dans l'état où nous sommes ? CÉNIE. Cruelle fée !... MÉLINDE, s'approchant de ses filles, Qui êtes-vous ? Que voulez-vous ? Voilà deux étranges figures. CÉNIE, à Iphise. Voyez l'effroi que nous lui causons. IPHISE. Nous sommes bien à plaindre. CÉNIE. Pour moi, je n'ai jamais tant ressenti le chagrin d'être laide. MÉLINDE. Mais de grâce, mesdemoiselles, dites-moi à qui vous en avez ? IPHISE et CÉNIE, se jetant à ses pieds. Ah ! Maman !... MÉLINDE. Qu'entends-je ?... CÉNIE. Oui, nous sommes vos enfants. MÉLINDE. Mes enfants ! Grand Dieu !... IPHISE. Maman, daignez nous reconnaître ; malgré notre hideux changement, nos coeurs sont toujours les mêmes. MÉLINDE, les relevant. Il suffit. Je vous plains d'un malheur pourtant fort supportable, et croyez que je ne vous en aimerai pas moins. IPHISE. Que vous êtes bonne ! CÉNIE. Et bien ! Me voilà consolée. MÉLINDE. Embrassez-moi, mes chers enfants ; soyez aimables, douces, honnêtes, et vous pourrez vous passer des charmes frivoles qui vous manquent. CÉNIE. Maman, je suis Cénie. IPHISE, en soupirant. Et moi, Iphise. MÉLINDE. Je vous avais distinguées l'une et l'autre au son de votre voix. CÉNIE. La fée ne vous avait donc rien dit ? MÉLINDE. Elle m'avait caché votre laideur ; seulement j'ai su d'elle que vous lui avez donné les plus grands sujets de mécontentement; mais depuis deux mois elle n'a qu'à se louer de vous. IPHISE. Eh bien j'ai pris mon parti sur ma laideur ; le temps que je passais à ma toilette, je l'emploie à lire, à jouer du clavecin... MÉLINDE. Et c'est là un sage parti. CÉNIE. Après tout, la beauté est éphémère ; si nous l'avons perdue un peu plus tôt, nous devrons du moins à notre malheur une instruction que nous n'aurions peut-être jamais eue sans cela. MÉLINDE. C'est penser à merveille. IPHISE. Il vaut mieux plaire par les charmes de son esprit, que par ceux de sa figure ; et si avec la mienne j'y puis parvenir, j'en serai plus flattée que si j'étais encore jolie. MÉLINDE. Encore jolie !... Réellement, Iphise, vous croyez avoir été jolie ?... IPHISE. Je puis dire à présent ce que j'en pensais ; c'est comme si je parlais d'une autre personne. MÉLINDE. Eh bien ?... IPHISE. Eh bien, maman, sans être régulière, ma figure était fort agréable, et réellement jolie. MÉLINDE. Vous êtes dans l'erreur, mon enfant ; vous n'étiez point laide, mais vous aviez une figure infiniment médiocre. IPHISE. Vous dites cela pour diminuer mes regrets, maman ; vous êtes trop bonne... MÉLINDE. Non, car je vous suppose assez raisonnable pour n'en point avoir. Et vous, Cénie, vous trouviez-vous charmante ? CÉNIE. Oh non, maman, mais.., MÉLINDE. Achevez. CÉNIE. Je croyais ma figure plus régulière qu'agréable, et j'aurais mieux aimé avoir celle de ma soeur. MÉLINDE. Fort bien, vous vous trouviez belle : en vérité, mes enfants, vous étiez folles toutes les deux... Mes chères amies, vous étiez l'une et l'autre passables... Mais voilà tout. IPHISE. Ce n'est pas ce qu'on disait. MÉLINDE. Quand vous connaîtrez le monde, vous saurez le cas que l'on doit faire de ses louanges. CÉNIE. Ah ! Si le monde est menteur, je ne l'aimerai pas. MÉLINDE. Il faut le connaître, s'en défier, ne le point haïr, car il y faut vivre ; et s'en faire estimer, parce qu'il nous juge. IPHISE. S'il est trompeur, je le fuirai. MÉLINDE. Il ne trompe que ceux que l'amour-propre aveugle, les sots ou les fous. Plus léger que méchant, plus frivole que dangereux, il est injuste quelquefois, mais il revient de ses préventions. Il honore et respecte toujours la vertu ; et même, en tolérant le vice, il le démasque et le punit. Plus il y aura d'hommes rassemblés, plus on trouvera de défauts et de travers ; ainsi, en souffrant de ceux du monde, on les doit excuser. IPHISE. Il faut pour cela bien de la générosité ! MÉLINDE. Dites de la justice. Êtes-vous sans défaut ? N'aurez-vous jamais besoin de l'indulgence des autres ? Disposez-vous donc à vouloir bien accorder ce que vous exigerez sûrement. IPHISE. J'ai de grands défauts, il est vrai; mais je travaillerai à m'en corriger. MÉLINDE. L'indulgence est au nombre des vertus, elle fait valoir toutes les autres ; la perfection même ne vous en dispenserait pas. CÉNIE. Il me semble, du reste, plus commode de se taire que de se fâcher ; il faut détester le mal, et fermer les yeux, autant qu'il est possible, sur celui qu'on ne peut empêcher. MÉLINDE. D'ailleurs l'intolérance entraîne toujours avec elle la dispute et l'aigreur ; évitons les méchants, mais sachons vivre avec eux, si nous y sommes forcés, et plaignons-les. CÉNIE. Maman, expliquez-moi ce que c'est que d'être méchant, je ne le comprends pas bien. MÉLINDE. Ma fille, un méchant n'aime rien ; c'est un mauvais coeur, incapable d'aucune espèce de sensibilité... CÉNIE. Ah ! Maman, vous avez raison de dire que l'on doit le plaindre, car il ne peut jamais être heureux. MÉLINDE. Il faut distinguer entre les méchants et les méchancetés : celles-ci sont produites ordinairement par le défaut d'esprit, par le désoeuvrement et la légèreté. IPHISE. Quoi ! L'on peut faire des méchancetés sans être méchant ? MÉLINDE. C'est ce qui arrive tous les jours. Avec un bon coeur, beaucoup de vertus, on se laisse souvent aller aux égarements les plus coupables... IPHISE. Comment ? MÉLINDE. En ne se corrigeant pas de défauts légers en apparence, d'un amour-propre mal raisonné, de l'étourderie... IPHISE. De l'étourderie ! Vous me faites frémir, maman. Quoi ! Je pourrais un jour... Ah ! Ma soeur, corrigeons-nous. MÉLINDE. Rien n'est plus facile, il ne s'agit que de réfléchir et de le vouloir sincèrement. CÉNIE. J'y vais travailler sans relâche. MÉLINDE. C'est un moyen, mes enfants, d'assurer votre bonheur et le mien. Mais qui vient nous interrompre ? C'est la fée. SCÈNE III. La Fée, Mélinde, Cénie, Iphise. MÉLINDE. Venez, Madame, venez recevoir mes remerciements ; je suis enchantée de Cénie et d'Iphise ; c'est à vous qu'elles doivent toutes les qualités que j'ai reconnues en elles. LA FÉE. J'en suis charmée. MÉLINDE. Je suis surtout satisfaite de leurs promesses, de l'espoir qu'elles me donnent de se corriger de leurs défauts. LA FÉE. Eh bien, je viens leur en offrir un moyen sûr et prompt. MÉLINDE. Quel est-il ? IPHISE et CÉNIE. Ah, parlez ! LA FÉE. Écoutez-moi avec attention. J'ai été obligée, mes enfants, pour vous ôter une ridicule vanité, de vous rendre laides l'une et l'autre. De tous les avantages, le moins précieux c'est celui de la beauté. Pourtant je conviens qu'il est cruel d'avoir une figure repoussante. Si je pouvais vous donner toutes les vertus, toutes les grâces de l'esprit en partage, vous n'auriez pas, je crois, fait un mauvais marché. Mais je veux vous traiter suivant votre goût, et voici ce que je vous offre. J'ai composé pour chacune de vous deux fioles qui contiennent une essence divine ; l'une peut vous ôter votre laideur, et vous rendre telles que vous étiez ; l'autre vous donnera toutes les qualités du coeur et de l'esprit qui vous manquent ; mais il faut choisir : je ne puis vous accorder ces deux dons réunis, mon pouvoir ne va pas jusque-là. IPHISE. C'est bien dommage! LA FÉE. Voici les flacons... Celui-ci, qui est couleur de rose, fera disparaître votre laideur ; de même que ce flacon blanc vous rendra parfaites. MÉLINDE. Eh bien, qu'en dites-vous ? CÉNIE. Maman, c'est à vous de nous conseiller. LA FÉE. Non ; décidez vous-mêmes. IPHISE. Voyons le flacon couleur de rose. Je ne veux que le regarder. La fée lui donne le flacon.Ah ! Qu'il sent bon ! LA FÉE. Nous allons vous laisser seules, consultez-vous ensemble ; dans une demi-heure nous reviendrons savoir votre réponse. CÉNIE. Ne nous quittez pas ! LA FÉE. Il le faut. IPHISE. Si nous buvions les deux flacons ? LA FÉE. Ils ne produiraient aucun effet ; le mélange leur ferait perdre leurs vertus. Tenez, Cénie, voici vos deux flacons ; et vous, Iphise, voici les vôtres. Adieu. IPHISE. Le flacon couleur de rose nous rendra notre première figure... LA FÉE. Ils ont leurs étiquettes, vous ne pourrez pas vous tromper. Allons, laissons-les. MÉLINDE. Chère Cénie !... Chère Iphise !... LA FÉE, à Mélinde. Venez, suivez-moi. SCÈNE IV. Cénie, Iphise. CÉNIE, après un moment de silence. Eh bien, ma soeur ! IPHISE. Eh bien, Cénie ! CÉNIE. Que ferons-nous ?... IPHISE. Il faut y réfléchir. Elles s'asseyent l'une et l'autre, et posent leurs flacons sur une petite table. CÉNIE. La fée elle-même l'avoue : c'est un grand malheur d'avoir une figure repoussante. IPHISE. Et nous sommes effroyables... Ah !... Le hasard est singulier... Voilà un miroir qui se trouve sur cette table. CÉNIE. Je parierais que c'est une malice de la fée. Un miroir dans un pareil moment ! C'est une dangereuse tentation ; Iphise, ne nous y regardons pas. IPHISE. Voilà un plaisant scrupule; un miroir est toujours bon à consulter. Elle dresse le miroir sur la table. CÉNIE. Ne consultons que la raison. IPHISE. Il faut écouter les avis de tout le monde. Elle se regarde dans le miroir.Quelle figure !... CÉNIE. Ma soeur ! Prenez garde, vous allez préférer le flacon couleur de rose. IPHISE, se regardant toujours. Je n'ai jamais trouvé ma laideur si singulière, si repoussante... Certainement, Cénie, la vôtre est moins désagréable. CÉNIE. Jusqu'ici vous m'aviez paru penser tout le contraire. IPHISE. C'est que je ne m'étais pas examinée avec soin... Oui, je me rends justice; assurément votre figure n'est pas aussi choquante que la mienne. CÉNIE. Quelle idée!... IPHISE. D'abord, vous êtes beaucoup moins bossue. CÉNIE. Je n'en crois rien. IPHISE, se regardant tonjours. Je suis sans comparaison plus rousse que vous. CÉNIE. Je ne vois pas cela. IPHISE. Mais regardez nos deux figures dans ce miroir ; vous en conviendrez. CÉNIE, se penche et se regarde. Il n'y a pas à en douter, je suis mille fois plus affreuse que vous. IPHISE. Ma soeur, quel parti prendre ? CÉNIE. Je ne sais... cette glace a dérangé toutes mes idées. Elle s'y regarde encore. IPHISE. La fée a beau dire, il est impossible qu'avec de semblables visages on se décide jamais à se montrer dans le monde. CÉNIE. Sous un dehors aussi hideux, prendrait-on la peine d'aller chercher de l'esprit, un bon caractère ?... IPHISE. On nous laisserait là avec notre perfection intérieure. CÉNIE. D'ailleurs, sans le secours du flacon blanc, ne pouvons-nous pas nous corriger de nos défauts ? Il est vrai que cela ne sera pas aussi prompt. IPHISE. Mais nous ne sommes pas si pressées... CÉNIE. Sans doute nous sommes bien jeunes. IPHISE. Allons, allons, ne balançons plus. Elle prend les flacons couleur de rose.Tenez, ma soeur. CÉNIE. Donnez... IPHISE débouche le sien. Cénie devient rêveuse.Cénie, qui vous arrête ? CÉNIE. Iphise !... IPHISE. Qu'avez-vous donc? vous tremblez. CÉNIE. Ah ! Ma soeur, qu'allons-nous faire ! IPHISE. Vous ne savez pas prendre un parti ; allons, je vais vous donner l'exemple. CÉNIE, lui arrachant le flacon. Non, chère Iphise, vous devez le recevoir de moi, je suis la plus âgée. IPHISE. Et moi, la plus raisonnable. CÉNIE. Écoutez, de grâce !... Si nous préférons ce flacon, nous affligerons maman. IPHISE. Ah ! S'il devait en être ainsi, je le casserais plutôt. CÉNIE. Et bien, ma soeur, soyez-en sûre ; j'ai remarqué l'inquiétude de maman quand elle nous a quittées ; elle tremblait que nous ne fissions un choix imprudent. IPHISE. En effet, je me rappelle le dernier regard qu'elle a jeté sur nous en partant ; il était plein de tendresse. CÉNIE. Ce regard nous apprenait notre devoir ; il faut le suivre. IPHISE. Notre laideur nous est moins cruelle que maman ne nous est chère. CÉNIE. Maman et la fée désirent notre bonheur. IPHISE, prenant les flacons. Sacrifions-nous pour elles ; tenez, chère Cénie. CÉNIE, prenant le flacon. Je n'hésiterai pas pour celui-ci. Elles boivent toutes les deux. IPHISE, après avoir bu. Me voilà donc accomplie !... CÉNIE, regardant sa soeur. Que vois-je !... IPHISE. Ma soeur ! Je ne m'abuse point ! Vous avez repris votre première figure !... CÉNIE. Et vous aussi !... Mon Dieu ! Nous serions nous trompées de flacons ?... SCÈNE V. La Fée, Mélinde, Cénie, Iphise. LA FÉE. rassurez-vous, mes chères enfants, et embrassez-nous. MÉLINDE, les embrassant. Iphise !... Cénie !... Que je vous aime ! CÉNIE. Nous sommes donc bien heureuses. Mais par quel prodige le flacon blanc... LA FÉE. Après une pareille action, vous n'êtes plus des enfants. Je ne dois plus vous tromper, tout ce qui vous est arrivé n'était qu'une épreuve. Votre tendresse pour Mélinde et pour moi a su l'emporter sur votre vanité ; ce sacrifice était à la fois l'ouvrage de la raison et du sentiment... Jugez si nos coeurs savent l'apprécier. IPHISE. Mais nous aurons toujours les mêmes défauts. MÉLINDE. En choisissant le flacon blanc, c'était presque prouver que vous n'en aviez pas besoin. CÉNIE, à Mélinde et à la fée. Enfin vous êtes contentes, ainsi nous devons l'être. MÉLINDE. Vous avez perdu votre laideur, et vous nous êtes plus chères que jamais ; voilà ce que vous avez gagné à vous bien conduire. N'oubliez jamais, mes enfants, que, dans tous les événements de la vie, la résolution la plus honnête et la plus vertueuse est toujours la plus sûre et la meilleure. ==================================================