******************************************************** DC.Title = LEA COLOMBE, COMÉDIE DC.Author = GENLIS, Madame de DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 08:07:45. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/GENLIS_COLOMBE.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LA COLOMBE COMÉDIE EN UN ACTE 1829 PERSONNAGES ROSINE. AMÉLIE, soeur de Rosine. ZÉLIS, amie de Rosine et d'Amélie. COLIN, jardinier. La scène est dans une maison de campagne.. Extrait de RECUEIL DES MEILLEURES PIÈCES DU THÉÂTRE D'ÉDUCATION de MADAME DE GENLIS, PAR MADAME DE GENLIS, Par W. Duverger. TROISIÈME ÉDITION, 1829. pp. 12-25 LA COLOMBE SCÈNE I. Rosine, Amélie, Colin. Amélie, auprès d'un arbre, presse une colombe contre son sein ; Rosine tient une corbeille de fleurs, et considère sa soeur en rêvant : elle est appuyée sur un oranger que Colin arrose. ROSINE, après un moment de silence. Elle ne songe qu'à sa colombe... AMÉLIE. Pauvre petite colombe, comme elle reste là sur mon coeur ! Comme elle est douce et tranquille ! Que je l'aime ! Elle la baise. ROSINE, haussant les épaules. Que c'est touchant ! AMÉLIE. Colin, avez-vous mis-du grain et de l'eau dans la volière ? COLIN. Oui, mademoiselle. AMÉLIE. Tenez, portez-y ma colombe, mais prenez bien garde de lui faire du mal. Doucement donc ! Vous allez la blesser... Là, fort bien... délicatement, comme cela. Attendez, Colin, que je lui dise adieu... Elle la baise encore et la caresse.Charmante petite créature ! Allez, Colin... Colin sort avec sa colombe. SCÈNE II. Rosine, Amélie. ROSINE. En vérité, ma soeur, je vous admire de pouvoir ainsi, à votre âge, vous occuper d'un oiseau. AMÉLIE. Mais, moi, je ne critique pas votre goût pour les fleurs ; pourquoi, Rosine, vous moquez-vous de ma colombe ? ROSINE. Quelle différence ! Les fleurs ne sont pour moi qu'un simple amusement, et votre triste tourterelle est pour vous l'objet d'un sentiment très vif, très tendre. AMÉLIE. Très vif !... Très tendre !... Quelle folie !... Mais, après tout, une douce et sensible colombe est plutôt faite pour intéresser qu'une rose. ROSINE. Aussi vous sacrifierais-je sans peine toutes mes roses, mes orangers, mon lilas blanc, et jusqu'au joli myrte que Zélis m'a donné ; et vous, Amélie, vous ne pourriez vous résoudre à me donner votre colombe. AMÉLIE. Que signifient ces reproches ? Depuis quand, Rosine, doutez-vous de mon amitié ? S'est-elle jamais démentie ? ROSINE. Ah ! Je m'entends... AMÉLIE. Pour moi, je ne vous comprends pas. ROSINE. Changeons d'entretien... Zélis arrive aujourd'hui. AMÉLIE. Après six mois d'absence, qu'il me sera doux de la revoir ! ROSINE. Oh, je n'en doute pas ; car, s'il faut expliquer ma pensée, vous n'avez jamais aimé personne autant que Zélis. AMÉLIE, souriant. Le croyez-vous, ma soeur ? ROSINE. Oui, pas même votre colombe. AMÉLIE. Je me rappelle qu'autrefois vous eûtes l'injustice de croire que je vous préférais Zélis ; mais, depuis son départ, vous me paraissiez entièrement guérie de cette prévention... Quand vous m'en assuriez, vous me trompiez donc, ma soeur ?... ROSINE. Je ne vous tromperai jamais, Amélie ; mais je vous aime trop pour n'être pas souvent inquiète, agitée, et peu d'accord avec moi-même... Vous êtes ma seule et véritable amie, et je ne puis souffrir qu'une autre partage avec moi votre confiance et votre tendresse... AMÉLIE. Vous méritiez l'une et l'autre, et vous êtes ma soeur ; ainsi, quand Zélis aurait toutes les qualités qui m'attachent à vous, je vous aimerais toujours plus qu'elle... ROSINE. Parce que je suis votre soeur ! Ah ! Que cela est froid ! AMÉLIE. Mais comptez-vous pour rien le noeud si doux qui nous unit, ces liens sacrés du sang qui nous font un devoir de nous chérir ? ROSINE. Ainsi donc vous ne m'aimez que par devoir ? AMÉLIE. Non, mais ce devoir me rend ma tendresse plus chère. ROSINE. Oh ! Que nous sentons différemment !... Mais quelqu'un vient... AMÉLIE. C'est peut-être Zélis... ROSINE. En effet, je crois reconnaître sa voix... AMÉLIE, courant au-devant de Zélis. Ah ! C'est elle assurément. ROSINE. Quelle joie !... Quels transports !... Que ferait-elle de plus pour moi !... Allons, contraignons-nous. Amélie et Zélis reviennent en se tenant sous le bras. SCÈNE III. Rosine, Amélie, Zélis. ZÉLIS. Où est-elle donc ? AMÉLIE. La voilà... Rosine fait quelques pas, Zélis court à elle et l'embrasse. ZÉLIS. Rosine, Amélie, quel bonheur pour moi de me retrouver avec vous !... ROSINE. Croyez que mon coeur le partage... AMÉLIE ET ROSINE. Nous ne vous attendions que ce soir... ZÉLIS. Oh ! Nous sommes venues sans nous arrêter !... Ma mère avait tant d'impatience de revoir la vôtre ! Car elle l'aime comme nous nous aimons. Pendant qu'elles sont enfermées ensemble, causons en liberté : on a tant de choses à se dire après une absence aussi longue ! AMÉLIE. D'abord, vous nous conterez vos voyages. ZÉLIS. Oh, ce sera le sujet de plus d'un entretien. ROSINE. Combien avez-vous fait de lieues ?... ZÉLIS. [Note : La lieue a eu plusieurs définition de longueur, elle vaut approximativement 4km. Donc ici environ 160 km.]J'en ai fait le calcul sur mon journal... Je vais vous le dire, attendez... Il y a d'ici à Paris quarante lieues : quarante lieues pour aller, quarante lieues pour revenir, cela fait quatre-vingts lieues. ROSINE ET AMÉLIE, ensemble. Vous avez fait quatre-vingts lieues !... ZÉLIS. Tout autant... ROSINE. C'est prodigieux... AMÉLIE. Quatre-vingts lieues en six mois ! Vous devez être bien fatiguée ?... ZÉLIS. Non, pas trop. ROSINE. Ah çà, parlez-nous donc un peu de Paris : comment l'avez-vous trouvé ?... ZÉLIS. Je l'ai trouvé bien bruyant... C'est un train !... AMÉLIE. Vous avez vu les Tuileries, l'Opéra ?... ZÉLIS. Oui ; mais je n'aime pas l'Opéra, il y fait trop chaud ; et puis l'on est enfermé là comme dans une prison : il n'y a aux bonnes places que les demoiselles qui chantent et qui dansent. ROSINE. Et les Tuileries ?... On dit que c'est une si belle promenade ! ZÉLIS. Pas trop. De grandes allées toutes droites, un grand bassin rempli d'une eau sale !... Et puis pas une fleur : imaginez-vous que je n'ai pu trouver un seul brin de violette. ROSINE. Oh ! J'aime mieux notre allée de saules sur le bord de la rivière. ZÉLIS. Et moi aussi, je vous assure. AMÉLIE. Voyez un peu comme les voyageurs mentent, avec tous leurs beaux récits des Tuileries!... ZÉLIS. Moi, qui suis vraie, vous pouvez m'en croire ; le séjour que nous habitons vaut mille fois mieux que Paris. Ici, l'air est si pur, si parfumé... La campagne si fleurie, si riante!... J'étais triste à Paris ; toujours des murs, des maisons, point de verdure ; si vous saviez comme cela serre le coeur !... ROSINE. Je l'imagine facilement... AMÉLIE. Vous serez donc bien aise de revoir nos anciennes promenades ?... ZÉLIS. Oh, demain je me lève avant le jour... Mais par où commencerons-nous? ROSINE. Nous irons à la prairie. ZÉLIS. C'est convenu... Que j'y sauterai de bon coeur !... Ah ! J'oubliais encore... Il est mauvais ton de sauter aux Tuileries !... AMÉLIE. Bon !... ZÉLIS. Oui, réellement... Il faut s'y promener d'un pas bien grave, comme cela... Elle marche avec une gravité ridicule. ROSINE. Juste ciel, quel pays !... J'espère bien ne le visiter jamais... ZÉLIS. Vous en apprendrez bien d'autres quand je vous lirai mon journal... Vous y trouverez le détail de tout ce que j'ai souffert... AMÉLIE. Ah ! Mon Dieu ! ZÉLIS. Et cela dès le lendemain de mon arrivée à Paris... ROSINE. Comment donc ? ZÉLIS. [Note : Corps : Partie des vêtements qui s'applique à la partie supérieure du corps. [L]]Le premier jour on m'arracha deux dents ; le lendemain on me mit deux mille papillottes ; le troisième on m'essaya un corps qui m'étouffait, et le huitième... Ce fut là le vrai supplice... AMÉLIE. Vraiment vous m'inquiétez. ZÉLIS. Le huitième on me mena au bal. ROSINE. Comment ! Ce n'est que cela ; mais, je me faisais du bal une idée délicieuse... ZÉLIS. Juste ciel ! Quelle erreur !... Les préparatifs seuls en dégoûteraient pour la vie... Si vous saviez ce que c'est qu'une toilette de bal, c'est la chose la plus ennuyeuse, et en même temps la plus comique... ROSINE. Contez-nous dons cela... ZÉLIS. J'étais charmée d'aller au bal... Je ne m'en faisais pas une idée. On m'avait seulement parlé de danses, de collations, je n'en avais pas demandé davantage, et j'attendais le grand jour avec impatience ; enfin il arrive, et l'on me dit qu'on va m'habiller en bergère. AMÉLIE. En bergère ! L'habit du moins était bien choisi ; il doit être commode pour danser... ZÉLIS. Oui, commode, joliment ! Ils ont à Paris une drôle d'idée des bergères, vous allez voir... D'abord on commence par m'établir sur la tête un énorme coussin... ROSINE. Un coussin ?... ZÉLIS. Oui. Ils appellent cela une toque... et puis on attache cette toque avec de grandes épingles longues comme le bras ; ensuite on mit là-dessus je ne sais combien de faux cheveux... AMÉLIE. Des faux cheveux ? Et vous en avez de si beaux ! ZÉLIS. N'importe, il faut des faux cheveux ; ils aiment tant l'art, qu'ils remploient même quand il n'est bon à rien, et très-souvent quand il enlaidit : c'est ainsi qu'avec leur maudit hérisson, ils me firent une tête monstrueuse... Et par-dessus cela on plaça un grand chapeau ; et par-dessus le chapeau, de la gaze et des rubans ; et par-dessus les rubans, un boisseau de fleurs ; et par-dessus les fleurs, une demi douzaine de plumes dont la plus petite avait au moins deux pieds de hauteur... ROSINE. Mais finissez donc, vous exagérez, ma chère Zélis ; comment pouviez-vous avoir la force de porter tout cela ?... ZÉLIS. Aussi étais-je accablée sous le faix ; je ne pouvais ni remuer, ni tourner la tête, ou je risquais, au moindre mouvement, de perdre l'équilibre... Ensuite on m'habilla, on me mit mon corps neuf, qui me serrait à m'ôter la respiration, on me passa une considération... AMÉLIE. Qu'est-ce que c'est que cela ? ZÉLIS. C'est une espèce de panier de fer rempli de crin et excessivement lourd. On me para d'un habit tout couvert de guirlandes, et puis on me dit : « Prenez garde d'ôter votre rouge, de vous décoiffer, de vous chiffonner, et divertissez-vous bien. » ROSINE. Ah ! Que je vous plains !... Et pûtes-vous danser ? ZÉLIS. Hélas ! Je pouvais à peine marcher... AMÉLIE. Cependant, dans le bal, vous eûtes votre liberté ?... ZÉLIS. Vous n'y êtes pas. On m'établit sur une banquette, et l'on m'ordonna d'y attendre qu'on vînt me prier. J'attendis longtemps ; j'avais l'air si triste et si malheureux !... Personne ne s'avisa de penser que j'eusse la moindre envie de danser. À la fin pourtant je fus engagée ; mais la place était prise, et je revins à ma banquette. ROSINE. Comment, la place était prise ? ZÉLIS. Et vraiment oui : à ces bals, les demoiselles qui courent le mieux sont celles qui dansent le plus ; elles vont retenir leurs places... AMÉLIE. Comment ! Il n'y en a pas pour tout le monde ?... ROSINE. Mais, d'ailleurs, cela est bien impoli, d'empêcher les autres de danser. ZÉLIS. Oh ! J'ai trouvé au bal des demoiselles qui étaient bien plus qu'impolies, car elles étaient cruelles : elles se moquaient de mon air souffrant et embarrassé ; elles me regardaient de la tête aux pieds avec une mine... Une vilaine mine, je vous assure ; et puis elles riaient entre elles, et aux grands éclats. AMÉLIE. Fi donc ! Eh bien, de tout ce que vous nous avez raconté, voilà ce que je conçois le moins. ZÉLIS. J'étais sans doute ridicule, mais j'avais l'air timide et mal à l'aise : n'auraient-elles pas dû me plaindre et m'excuser? ROSINE. Oh bien, s'il en vient jamais ici avec leurs toques, leurs considérations, leurs perruques et leur rouge, je me moquerai d'elles aussi, et je les défierai à la course ; nous verrons si elles pourront m'atteindre, et si elles sauteront un fossé mieux que moi. AMÉLIE. Non, ma soeur, n'imitons jamais ce que nous condamnons : se voir l'objet d'une moquerie, c'est un petit malheur ; c'en est un grand de se livrer à ce penchant dangereux, puisqu'on prouve par-là qu'on est injuste et cruel. ROSINE. Il est triste pourtant qu'il faille être l'opprimé pour avoir le beau rôle. AMÉLIE. Oui, mais l'opprimé, dans ce cas, se gagne tous les bons coeurs ; comptez-vous cela pour rien ? ROSINE. Oh, non ; car j'aimerais mieux le suffrage d'Amélie que les applaudissements de toutes ces méchantes petites demoiselles qui riaient de la peine et du maintien de Zélis. Mais enfin, achevez donc, Zélis, le récit de votre bal ; finîtes-vous par danser ? ZÉLIS. Mon Dieu non, la place était toujours prise ; et bientôt je fus entièrement délaissée par tous les danseurs. AMÉLIE. Ah ! Quelle indignité !... Et la salle du bal était-elle bien belle ? ZÉLIS. Point du tout ; il y faisait une chaleur insupportable ; quoique immobile sur ma banquette, j'étais en nage. AMÉLIE. Et voilà ce qu'ils appellent des plaisirs, une fête !... Quelle différence avec nos bals champêtres sur la grande pelouse, où l'on n'étouffe point, où l'on danse tant qu'on veut, et où l'on est si gai !... ZÉLIS. Oh ! Je suis d'une joie de me retrouver ici !... Mais revenons à nos projets pour demain : je serais bien tentée d'aller à la ferme ; il y a de si bon lait !... À propos, comment se porte la bonne mère Nicole ? N'est-elle pas bien vieillie ? AMÉLIE. Non, toujours la même, toujours de bonne humeur... ZÉLIS. Et le petit agneau blanc qu'elle m'avait promis ? AMÉLIE. Il est mort... ZÉLIS. Eh bien, j'en avais un pressentiment quand je le quittai, vous en souvenez-vous? ROSINE. Oui, je me le rappelle... Mais Nicole vous en élève un autre. ZÉLIS. Et vos fleurs, Rosine, comment viennent-elles cette année ? ROSINE. Le myrte que vous m'avez donné est plus vert que jamais ; il m'a causé de l'inquiétude pendant deux jours : mais, grâce aux soins de Colin, il a repris sa fraîcheur. ZÉLIS. Et Colin... Je serai charmée de le revoir... AMÉLIE. Vous le trouverez prodigieusement grandi. ZÉLIS, à Amélie. Et la volière ? AMÉLIE. Depuis trois mois j'ai une charmante colombe, qui me fait négliger tous mes autres oiseaux ; elle m'entend, me connaît, vient à moi... et elle est jolie !... ZÉLIS. Blanche, je parie !... AMÉLIE. Oui... ZÉLIS. Un collier noir ? AMÉLIE. Justement. ZÉLIS. Oh ! Je meurs d'envie de la voir. AMÉLIE. Je vous y mènerai tout à l'heure. ZÉLIS. Et elle vous est attachée? AMÉLIE. Oh ! D'une manière surprenante. ZÉLIS. Prenez bien garde de la perdre. AMÉLIE. Je n'ai pas eu le courage de lui couper les ailes, ce qui me laisse un peu d'inquiétude. ROSINE, à part. Voilà une conversation bien intéressante ! ZÉLIS. La menez-vous à la promenade ?... AMÉLIE. Oh ! Je m'en sépare le moins qu'il m'est possible. ROSINE, à part. Ne dirait-on pas qu'elle parle d'une amie ! Je n 'y puis plus tenir. Elle fait quelques pas pour sortir. AMÉLIE. Où allez-vous donc, Rosine ?... ROSINE. Je vais chercher des fleurs que je veux donner à Zélis. AMÉLIE. Venez nous rejoindre à la volière, j'y vais conduire Zélis. ROSINE. Il suffit. À part. J'y serai avant elles. Elle sort en courant. SCÈNE IV. Zélis, Amélie. ZÉLIS, regardant sortir Rosine. Comme elle nous quitte brusquement !... À qui en a-t-elle ?... AMÉLIE. Je l'ignore... Vous savez, Zélis, que souvent Rosine a des caprices dont on ne peut expliquer la cause : elle est bonne, sensible ; mais elle s'inquiète et s'agite presque toujours sans raison. ZÉLIS. Oui, elle a des idées singulières. Elle se plaît à se tourmenter : par exemple, elle vous aime beaucoup, mais elle ne vous aime pas bien, car elle ne compte pas entièrement sur vous ; un rien la fâche ou l'alarme : cela s'appelle, je crois, de la jalousie. AMÉLIE. Mais j'ai dit à Rosine qu'elle était la plus chère de mes amies. Si elle doute de ma bonne foi, comment peut-elle m'aimer encore ? Si elle me croit, comment peut-elle être jalouse ?... Dans l'une ou l'autre supposition, je ne comprends pas sa jalousie. ZÉLIS. C'est que vous êtes raisonnable, et Rosine, à cet égard, ne l'est pas. AMÉLIE. Comment s'y prendre pour la guérir de cette cruelle fantaisie?... ZÉLIS. Je ne sais ; je crains que ce ne soit fort difficile. AMÉLIE. Allons la retrouver... Mais que nous veut Colin ?... Il a l'air bien effaré... SCÈNE V. Zélis, Amélie, Colin. AMÉLIE. Que désirez-vous, Colin ? COLIN. Ah ! Mademoiselle !... AMÉLIE. Eh bien ?... ZÉLIS. Parlez... Qu'est-il donc arrivé ?... COLIN. Un malheur !... AMÉLIE. Ah ciel ! Ma colombe... COLIN. Elle est perdue. AMÉLIE. Grand Dieu ! COLIN. J'ai trouvé la volière ouverte, et la colombe n'y était plus. ZÉLIS. Allez, Colin, laissez-nous... Colin sort.Ma chère Amélie, je vous proteste que je m'afflige mille fois plus de la perte de votre colombe que de celle de mon agneau blanc. AMÉLIE. Ma pauvre petite colombe !... Encore si vous l'aviez vue ! ZÉLIS. Peut-être pourra-t-on la retrouver. AMÉLIE. Je ne m'en flatte pas... Ah ! Si je lui avais coupé les ailes !... ZÉLIS. Je le pensais... mais je n'osais le dire. SCÈNE VI. Zélis, Amélie, Colin, Rosine, tenant un panier ROSINE, à part, au fond du théâtre. Elles sont consternées. AMÉLIE. N'entends-je pas ma soeur ? ZÉLIS. Oui, c'est elle. AMÉLIE. Eh bien, Rosine, ma colombe... ROSINE. Je sais votre malheur, et je vois qu'il est encore plus grand que je ne l'imaginais, car vous en paraissez accablée. AMÉLIE. Quel ton d'ironie !... Ma soeur... Quand vous étiez inquiète de votre myrte, je ne me suis point moquée de vous. ROSINE, à part. Ce reproche me touche... Je le mérite donc ? Elle rêve. ZÉLIS. Amélie, vous êtes injuste ; Rosine vous aime ; ainsi elle doit partager toutes vos peines : et moi ne viens-je pas de pleurer votre colombe ?... L'amitié de Rosine pour vous serait-elle moins tendre ? AMÉLIE. Chère Rosine, vous aurais-je affligée !... Pardonnez-moi... ROSINE, à part. Mon embarras redouble... Ah ! Qu'ai-je fait ? AMÉLIE. Embrassez-moi, ma soeur... Mais, qu'avez-vous donc ? Parlez... ROSINE, l'embrasse. Amélie... AMÉLIE. Eh bien !... ROSINE, avec embarras. Si vous retrouviez votre colombe, seriez-vous bien contente ?... AMÉLIE. Quoi ! Sauriez-vous ?... ROSINE, du même ton. Non, c'est une simple question. ZÉLIS. Cette question m'étonne... Rosine, vous baissez les yeux, vous paraissez interdite... Ah ! La colombe n'est pas perdue ; vous savez où elle est... AMÉLIE. Que dites-vous, Zélis ? Quoi ! Vous pourriez croire ma soeur capable de vouloir m'affliger, de se faire un jeu de mon inquiétude, et de dissimuler avec moi ? Non. Rosine est susceptible ; elle est injuste quelquefois; mais elle est aussi franche que sensible : je connais son coeur, et je ne puis le soupçonner... ZÉLIS. Qu'elle se justifie donc ! Mais regardez, regardez comme elle rougit... Oh ! Quelle mine coupable !... AMÉLIE. Que signifie l'état où je vous vois ? Ma soeur, serait-il possible ?... ROSINE. Ma chère Amélie !... Elle pleure. AMÉLIE. Rosine... qu'est devenue ma colombe ? Ne me le cachez pas. ZÉLIS. Eh bien, Rosine l'a volée, cela est clair. AMÉLIE. Vous ne dites rien, ma soeur. ZÉLIS. Je répondrai pour elle : l'histoire de la colombe est écrite sur son visage. Rosine était jalouse de la colombe, elle a volé et enfermé sa rivale. AMÉLIE. Rosine !... ROSINE. Ah ! Ma soeur, que vous dirai-je ?... Zélis l'a deviné... Oui, j'ai votre colombe. Je comptais cependant vous la rendre, mais je ne veux point chercher à m'excuser. Je sens tout mon tort : je vous ai trompée, je suis ingrate, extravagante ; enfin, je ne mérite plus l'amitié d'Amélie. Vous n'aimerez plus que Zélis, je dois m'y attendre... J'en mourrai, cela est sûr... Du moins, accordez-moi votre pitié. AMÉLIE, l'embrasse. Injuste et chère amie !... ROSINE. Quoi ! Vous m'aimez toujours ? ZÉLIS, en riant. Oui, après moi, vous serez l'amie la plus chère d'Amélie. ROSINE. Ah ! Zélis, quelle amère et cruelle plaisanterie !... ZÉLIS. Dans ce genre vous n'en trouverez jamais de bonnes. AMÉLIE. Ne la tourmentez pas davantage... Mais je ne puis revenir de ma surprise... Vous, Rosine, jalouse ! Et de quoi ? D'un oiseau ! ZÉLIS. Elle l'était de moi quand nous étions ensemble ; et, dans mon absence, elle s'est rejetée sur la pauvre colombe. Elle l'aurait été de la bonne mère Nicole ; car je vois que les jaloux, pour se livrer à leurs fantaisies, n'ont besoin ni de prétextes ni de justes motifs... ROSINE. Elle a raison... AMÉLIE. Quoi, Rosine, vous pouviez penser que j'aimais ma colombe plus que vous !... ROSINE. Oh, non... mais elle vous occupait, vous en parliez sans cesse... AMÉLIE. Je ne vous conçois pas ; si je souffre, vous souffrez comme moi. Cette épine hier qui me blessa la main, fit couler vos larmes ; pourquoi ne partageriez-vous pas mes plaisirs !... ROSINE. Je suis corrigée pour ma vie de ces cruels caprices ; du moins je l'espère : votre douceur, votre raison, votre amitié surtout, me font connaître enfin tout l'excès de mon injustice... Venez, ma soeur, venez retrouver votre colombe ; elle est ici près, dans le petit bosquet de roses... AMÉLIE. Je ne la reprendrai pas, je vous la donne ; Rosine, gardez-la, et que la main qui vous l'offre vous la rende plus chère. ROSINE. Ah ! Ma soeur, que je vais l'aimer désormais ! ZÉLIS. Oui ; mais prenez garde qu'à son tour Amélie n'en devienne jalouse... ROSINE. Plût au ciel !... ZÉLIS. Voyez-vous comme elle se corrige !... Elle vient de louer, votre raison ; mais, au fond du coeur, elle voudrait vous voir partager sa folie... AMÉLIE. Non, non, Rosine a trop d'esprit pour ne pas sentir que la délicatesse qui va jusqu'à la défiance est un tourment pour celle qui l'éprouve, et la plus mortelle injure pour l'objet qui la fait naître. Songez-y bien, chère Rosine, et répétez-vous chaque jour que l'amitié ne peut exister sans l'estime et la confiance. ==================================================