******************************************************** DC.Title = LES JOUEUSES, DRAME EN UN ACTE. DC.Author = GARNIER, Thomas DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Proverbe DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 05/07/2023 à 08:08:19. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/GARNIERT_JOUEUSES.xml DC.Source = DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** LES JOUEUSES OU LE VINGT-UN DRAME EN UN ACTE. SIXIÈME PROVERBE. M. DCC. LXXXV. Par MONSIEUR G***. À LIÈGE, Chez F.J. DESOER, Imprimeur-Libraire, sur le Pontd'Isle, à la Croix d'Or. PERSONNAGES MONSIEUR VARSEUIL. MADAME VARSEUIL. LOUISON, fille de Monsieur Varseuil, âgée de douze ans. HENRIETTE, fille de Monsieur Varseuil, âgée de quatorze ans. MINETTE, amie des filles de Monsieur Varseuil. CHOCHON, amie des filles de Monsieur Varseuil. La scène est dans une ville de Province, chez Monsieur Varseuil. Le texte est issu de "Nouveaux proverbes dramatiques ou recueil de comédies de société pour servir de suite aux Théâtres de Société et d'Éducation" par Monsieur G[arnier], 1785. pp. 93-115. LE PASSE-DIX Le théâtre représente une salle basse de la maison de Monsieur Varseuil. On y voit une pendule, une montre d'or avec sa chaîne accrochée à la tapisserie, une table à quadrille sur laquelle est un petit métier de tapisserie, un sofa, une commode, etc. etc. SCÈNE PREMIÈRE. MADAME VARSEUIL, seule. Elle fait plusieurs tours de salle en se regardant dans les glaces, et finit par prendre sa montre. Ceci se dit lentement, et par pauses.Il edt trois heures et demie... Il n'est point encore temps de me rendre chez madame La Fayette... Je la gênerais, elle me gênerait... L'étrange caractère ! Le triste et minutieux détail de sa maison dont je n'ai pu la débarrasser, rétrécit son âme... Si elle eut voulu me croire, j'en aurais fait la femme la plus aimable... Je l'ai pourtant décidée à aller ce soir à l'assemblée chez ma dame de Courmont... Il y aura sûrement grand jeu ; voyons nos fonds. Elle tire sa bourse.Plus que huit louis ! Prendrai-je de l'argent... Non... Cela me mènerait peut-être trop loin. Elle ouvre un tiroir et en tire. une paire de gants avec leurs bracelets et un paquet.Qu'est-ce que ce paquet-là ? Épargnes de Louison Varseuil. Elle laisse ses gants sur la commode pour défaire le paquet qui en contient plusieurs.Ceci doit être curieux ; voyons. Pour avoir une coiffure à la Dauphine, trente-six livres. Ah, ah, petite coquette ! Pour faire garnir ma robe de taffetas des Indes, dix écus. Mais, en vérité, j'aime assez ces petites folies-là. Je vais savoir un peu ce que cela veut dire. Elle appelle. Louison... Henriette... LOUISON et HENRIETTE, du dedans. Ma chère mère. MADAME VARSEUIL. Qu'on descende. Elle se jette sur le sofa. SCÈNE II. Madame Varseuil, Louison, Henriette. LouIfon et Henriette entrent l'une après l'autre immédiatement, et font chacune une profonde révérence ; après quoi elles restent debout immobiles et en silence devant Madame Varseuil, qui, à demi couchée sur le sofa , s'ajuste et leur parle sans les regarder. MADAME VARSEUIL. Qu'est-ce que vous faisiez là haut, mesdemoiselles ? HENRIETTE. J'achevais de broder vos manchettes, ma chère mère. MADAME VARSEUIL. Est-ce fini ? HENRIETTE. Oui, ma chère mère. MADAME VARSEUIL. Et vous, à quoi vous occupiez-vous, Mademoiselle Louison ? LOUISON, timidement. Je montais votre bonnet. MADAME VARSEUIL, jetant un coup d'oeil sur Louison. Qui vous a coiffée aujourd'hui, petite fille ? LOUISON, interdite. Mais... ma chère mère... en vérité. Bas, à Henriette. Est-ce que je suis singulièrement coiffée, Henriette ? MADAME VARSEUIL. À qui est-ce que je parle, Louison ? Qui est-ce qui vous a coiffée ? LOUISON. C'est moi, ma chère mère, et jamais... MADAME VARSEUIL. C'est vous, Mademoiselle, et votre coiffure à la Dauphine de trente-six livres, pourquoi ne l'avez-vous pas mise ? Henriette se retire un peu derrière sa soeur et rit sous sa main. LOUISON, à part. Ah Ciel ! Je fuis perdue ! Haut.Ma chère mère... En vérité... Je ne sais pas ce que vous voulez dire. MADAME VARSEUIL. Vous ne savez pas ce que je veux dire, impertinente, vous m'entendez trop bien. C'est donc là l'emploi que vous faites de votre argent, il sert à entretenir votre coquetterie. J'y mettrai bon ordre ; certainement j'arrêterai ces dépenses extravagantes. D'un ton plus doux. Si vous aviez envie de vous procurer une coiffure, que ne vous adressiez-vous à moi ? Vous savez que je ne vous refuse rie n: j'en ai une là-haut qui ne m'a servi qu'un été, je vous l'aurais donnée, je m'en serais privée pour vous, car elle est très propre. Elle regarde fixement Louison, qui pleure. Voilà ce qu'il fallait faire, Mademoiselle, et ce qu'aurait fait à votre place une fille bien élevée... Oui, pleurez... Mais, je suis bonne, je veux bien oublier votre faute et vous faire présent de ma coiffure. Pour votre argent, il serait dangereux de vous le laisser ; je veux en fixer l'emploi à quelque chose qui vous soit utile. C'est mon devoir. Elle surprend Henriette à rire. Qu'est-ce que vous avez à rire, Mademoiselle Henriette ? HENRIETTE. Je ne ris point, ma chère mère. MADAME VARSEUIL, avec colère. J'en impose donc ? HENRIETTE. Je vous demande pardon ; mais... MADAME VARSEUIL. Mais... mais... Taisez-vous. Vous ne pouvez ouvrir la bouche sans perdre le respect. Votre ouvrage, où est-il ? HENRIETTE tire une pièce de broderie de son sac à ouvrage et s'assied d'un air boudeur pour travailler. À part.Sur quelle herbe a-t-elle donc marché aujourd'hui ? Louison, pendant ce temps, prend son métier de tapisserie, s'assied et travaille en s'essuyant de temps en temps les yeux. Madame Varseuil se lève pour sortir, lance un regard courroucé sur Henriette, qui baisse les yeux et les relève à l'instant avec un souris amer et en pliant les épaules. MADAME VARSEUIL, revenant sur ses pas. Où est votre père ? HENRIETTE. Il est sorti. MADAME VARSEUIL. Taisez-vous, insolente, je vous ai défendu de me parler. Où est votre père, Louison ? LOUISON, fanglottant. Il est... sorti je crois, avec... Monsieur Florelle. MADAME VARSEUIL. C'est bon... Vous aurez la bonté, Mesdemoiselles, de travailler ici... Oui, ici... toute la soirée. Je ne prétends pas que vous passiez le seuil de la porte, ni que vous montiez dans vos chambres. Je vous défends aussi très expressément de recevoir qui que ce soit : cette cohue d'amies, de connaissances qui ne finissent point, me déplait souverainement. Le moindre mal qui en résulte, est la perte de votre temps. Songez bien à ce que je vous dis... Songez-bien... Entendez-vous ? LOUISON. Oui, ma chère mère. Madame Varseuil sort. SCÈNE III. Louison, Henriette. LOUISON, pleurant. Que je suis malheureuse ! HENRIETTE. Tu es bien sotte, Louison, de pleurer ; ne suis-je pas aussi à plaindre que toi ? Ce qui t'arrive aujourd'hui, m'est arrivé hier ; mais cela ne m'attriste pas, et j'ai bientôt fait de prendre mon parti. LOUISON. Mes épargnes de dix-huit mois ! Ah ! Ciel ! Est-il possible ! HENRIETTE. Et pourquoi as-tu la simplicité de les laisser traîner dans le tiroir de la commode, où tu fais que ma mère fouille à chaque instant. En vérité, cela n'est pas pardonnable, et je dirais presque que tu mérites ce qui vient d'arriver. LOUISON, sanglottant. Hélas ! Je venais de recevoir la plus grande partie de cet argent ; tu fais qu'il provient des ouvrages que je fais en cachette, et souvent bien avant dans la nuit. Et dans le moment, où... Ah Ciel !... HENRIETTE, riant. Et pour... Achève donc : La réflexion est plaisante. Écoute, Louison, tranquillise toi, tes pleurs n'aboutiront à rien. Tiens, imite-moi, rien ne m'attriste, je me mets au-dessus de tout, et par ce moyen je suis heureuse. Ma mère me prive des petits profits que me procurait mon travail ; eh bien, ma chère amie, au lieu de me désespérer inutilement, je ne travaille plus ; aussi bien est-il ridicule de nous donner bien des peines pour augmenter les menus plaisirs de madame, qui, au fond, ne nous en fait pas plus de gré. LOUISON. Quelle charmante gaieté ! Ce caractère fait le bonheur de ta vie. HENRIETTE. Imite-moi, tu seras heureuse. Dédommageons-nous, en absence de Madame Varseuil, des désagréments qu'elle nous fait éprouver lorsqu'elle est à la maison... Elle est actuellement à l'assemblée chez madame de Courmont ; je savais cette partie-là dès ce matin ; j'ai averti Mademoiselle Minette et la petite Chonchon, et nous pourrons prendre de notre côté un divertissement honnête. LOUISON. Un peu contraint. HENRIETTE. Tant mieux, il n'en fera que plus vif. Ma mère ne s'imaginerait jamais que, grâces à ses foins, nous nous divertissons mieux que si elle s'empressait de nous choisir des amusements. LOUISON. Mais, si ma mère allait revenir ? HENRIETTE. N'aie pas peur ; elle s'amuse, crois-tu qu'elle pense à nous ? LOUISON. Mais, si mon père allait rentrer ? HENRIETTE. Pour celui-là, je te réponds que non ; il est sorti avec l'éternel monsieur Florelle, l'Apothicaire. LOUISON. Mais, si.... HENRIETTE. Oh ! Tes mais, tes si, ne finiront jamais. Quand je te dis d'être tranquille ; est-ce que je ne risque pas autant que toi ? On entend tousser derrière le théâtre.J'entends tousser dans la rue ; c'est sûrement notre monde. Elle sort. SCÈNE IV. LOUISON, seul. Qu'elle est heureuse, ma soeur ! Rien ne l'inquiète, c'est toujours le même enjouement. Pour moi, je sèche sur pied ; le plus petit plaisir est accompagné de peines si cruelles ! SCÈNE V. Louison, Henriette, Minette, Chonchon. Cette dernière est petite, laide et grimacière. Minette et Chanel ; on entrent en marchant sur la pointe du pied, regardent de tous côtés. Louison est rêveuse. MINETTE, à Henriette qui la fuit. Ta mère est sûrement sortie, Henriette ? Bonjour, Mademoiselle Louison. LOUISON. Bonjour, ma chère Minette. CHONCHON, grasseyant. Ah, mon Dieu ! Comme z'ai eu peur; z'ai cru voir là bas ta maman. HENRIETTE. Paix donc, folle, elle est bien loin, va ; elle est chez Madame de Courmont ; je crois qu'elle n'a pas envie de revenir fitôt. CHONCHON. Avoue donc que c'est une singulière femme que ta maman ; bien me prend de n'en pas avoir une pareille. HENRIETTE. Hé bien, si tu en avais une pareille, tu t'y ferais. Voyez la belle histoire ; nous nous y faisons bien, nous. CHONCHON. Ah Ciel ! Si z'étais dans ce cas-là, ze la ferais tant enrazer, qu'elle serait oblizée de me laisser vivre à ma fantaisie. HENRIETTE. Bon, bon, si tu étais dans ce cas-là, tu verrais qu'elle en saurait plus que toi pour te faire enrager... Mais ne perdons point de temps ; as-tu des cartes ? CHONCHON. Non, c'est ma cousine Minette qui s'est çarzée d'en apporter. MINETTE. Je ne sais si j'en ai dans mes poches ; pourquoi n'avez-vous pas voulu garder celles que j'avais apportées la dernière fois ? LOUISON. Il n'aurait plus fallu que cela, vraiment. Si ma mère les avait trouvées, nous aurions été de jolies filles. MINETTE, cherche dans qes poches. Quelle triste vie ! CHONCHON. Vous êtes, vraiment, bien à plaindre. HENRIETTE, à Chonchon. Encore. À Minette.Eh bien ? MINETTE. En voici, heureusement. Elle tire de sa poche deux jeux de cartes complets. HENRIETTE. Louison, avance un peu la table à quadrille... Là... Plaçons-nous. Louison met la table au milieu du théâtre : Minette jette les cartes dessus ; elles se placent toutes quatre autour ; les deux soeurs sont vis à vis l'une de l'autre. MINETTE. Quel jeu allons-nous jouer ? Le Reversis ou l'Whist. HENRIETTE. Non, non, le Vingt-et-un ; il est plus amusant celui-là. Celle prend les cartes et sépare les jeux pour le vingt-et-un. CHONCHON. Oh ! Votre vilain vingt-et-un, ze ne l'aime pas, il me fait perdre tout mon arzent. L'autre zour z'y ai perdu un écu de six francs. Z'aime mieux zouer l'As qui coure. HENRIETTE. Tais-toi, imbécile, avec ton As qui court. Est-ce que tu nous prends pour des enfants ? D'ailleurs, au Vingt-et-un si l'on perd beaucoup, on gagne beaucoup ; n'est-ce pas, ma soeur ? LOUISON. Tu as raison. CHONCHON. Allons donc. Vous faites de moi tout ce que vous voulez. HENRIETTE. Ah ! Ça, Mesdemoiselles, argent sur jeu, s'il vous plait. Bas à Minette. Prête-moi six francs, ma bonne amie Minette. MINETTE. Tiens, ma bonne amie ; mais tu me les rendras au moins, si tu gagnes. HENRIETTE. C'est tout simple. À Chonchon.Chonchon, prête donc un demi-louis à ma soeur ; elle n'ose pas te le demander. LOUISON. Non, ma bonne amie Chonchon, car je ne fais pas quand je pourrais vous le rendre. CHONCHON. Dame, si ze le prête, ze fuis bien aise d'être sûre de le ravoir. HENRIETTE, à Louison. Hum, nigaude ! Pardi, Mademoiselle Chonchon, vous êtes bien drôle ; est-ce que vous vous imaginez que nous ne sommes pas bonnes pour vous rendre votre demi-louis ? Si ma soeur ne le fait pas, je m'en charge, moi. CHONCHON. Tenez ; mais sonzez à ce que vous me promettez touzours. MINETTE. Oh ! Mon Dieu, ma cousine, comme tu obliges nos bonnes amies de mauvaise grâce. CHONCHON. Dame, ça t'est bien aisé à dire ; ze n'ai pas plus d'arzent qu'il m'en faut, moi ; et z'ai oui dire que quand on prêtait au zeu, c'était mauvais signe. HENRIETTE. Finirez-vous, et commencerons-nous à jouer ? Il faut fixer les fiches à trois sols. Le voulez-vous ? MINETTE. Comme il vous plaira. CHONCHON. Ze le veux bien. LOUISON, à part. Que je suis inquiète. Si ma mère allait revenir. HENRIETTE. Qu'as-tu, Louifon ? Tu ne dis rien, tu parais triste : allons donc, sois un peu à ton jeu... Mettez vos fiches, Mesdemoiselles. Oh, Minette, deux ! Diantre, tu fais la prudente... Et toi, Chonchon, trois ! Cela ne va guère vite. À Louison.À ton tour : combien mets-tu de fiches ? LOUISON, distraite. Comme tu voudras. HENRIETTE. Pefte, tu es bien accommodante ! À part. Imbécile ! Haut. Tiens, je ne t'en mets qu'une, parce que c'est le commencement. Elle distribue les cartes. T'y tiens-tu, Chonchon ? CHONCHON, niaisement. Dame, ze ne fais pas, zai dix-fept. HENRIETTE. Tiens, voila encore une carte. CHONCHON. Un sept ! Oh ! z'ai perdu, tu aurais bien dû me donner un quatre, touzours. Elle fait la moue. HENRIETTE, riant. Il fallait m'avertir d'avance. À toi, Minette. MINETTE. Je m'y tiens. HENRIETTE. Et toi, Louison , t'y tiens-tu ? LOUISON, toujours distraite. Je crois qu'oui. HENRIETTE. Celui-là est bon ; tu trois. LOUISON, jetant les cartes et se levant avec précipitation. ' i SCÈNE VI. Madame Varseuil, Louison, Henriette, Minette, Chonchon. Madame Varseuil salue poliment et d'un air riant les étrangères, lance des regards terribles sur ses filles, et va prendre ses gants qui étaient restés sur la commode. Louison se retire dans un coin de la salle, où elle se met à pleurer. Les trois autres se lèvent et restent debout à leurs places. MADAME VARSEUIL. Mais, voici une joyeuse compagnie ; vous ne vous ennuyez pas, Mesdemoiselles ? HENRIETTE, d'un petit air hardi et mutin. Ce font ces demoiselles qui nous ont fait l'honneur de nous rendre visite ; elles nous ont ensuite proposé une partie de jeu que nous n'avons pas cru devoir leur refuser. MADAME VARSEUIL, sévèrement. C'est fort bien fait, ma fille ; mais il aurait dû vous souvenir que je vous avais défendu d'introduire ici personne en mon absence. Il est vrai que ses défenses ne pouvaient pas regarder ces demoiselles : mais je ne m'attendais pas à l'honneur qu'elles vous ont fait ; et en tout cas vous deviez m'obéir ; elles ne s'en seraient sûrement pas formalisées. CHONCHON. Oh ! Pour nous, Madame... Nous ne sommes pas... Nous ne nous formalisons pas. MADAME VARSEUIL, d'un air gai. À propos, Mademoiselle Chonchon, j'ai rencontré à deux pas d'ici Madame votre mère ; elle me paraît en peine de vous ; vous ne l'avez sûrement pas informée que vous étiez ici ; et vous ne feriez pas mal d'aller calmer ses inquiétudes. Chonchon sort en faisant une grande révérence à Madame Varseuil qui la lui rend d'un air gracieux. SCENE VII. Madame Varseuil, Louison, Henriette, Minette. MADAME VARSEUIL. Mademoiselle Minette, on sera peut-être en peine de vous. Je suis enchantée de vous voir, mais je partage les alarmes de Madame votre mère ; elle ne fait probablement pas où vous êtes ? MINETTE. Pardonnez-moi, Madame, je lui ai dit je venais ici. MADAME VARSEUIL. Comment se porte-t-elle, Madame votre mère ? MINETTE. Vous lui faites bien île l'honneur, ma dame, elle eft'en très-bonne fanté. MADAME VARSEUIL. J'en suis vraiment charmée. Faites-lui bien mes compliments, Mademoiselle Minette, car c'est une femme que j'estime beaucoup. Priez-la, en même temps, de vous envoyer ici lorsque j'y ferai. Je suis bien aise de vous voir aussi , moi ; c'est un plaisir que j'envie à mes filles. Votre servante, Mademoiselle Minette. Minette fait une profonde révérence à Madame Varseuil et sort. SCÈNE VIII. Madame Varseuil, Louison, Henriette. MADAME VARSEUIL. Voilà donc de vos tours, Mesdemoiselles ; vous avez la hardiesse d'introduire ici du monde en mon absence et de faire de ma maison une petite académie de jeux ! En vérité, je ne me ferais jamais attendue à celui-là. A-t-on jamais poussé plus loin l'insolence ? Mais vous avez donc perdu toute honte, toute retenue. HENRIETTE. Mais, mon Dieu, quel grand mal avons-nous donc fait ? Ces Demoiselles viennent nous voir, et nous tâchons de les recevoir le plus gracieusement qu'il nous est possible. Où est le crime? MADAME VARSEUIL. Quel grand mal ! Impertinente ! Premièrement, celui de me désobéir. HENRIETTE. Il fallait donc leur fermer la porte au nez. MADAME VARSEUIL. Oh ! Je n'y puis plus tenir, voilà de ces répliques qui assomment. Petite effrontée ! Vous ne pouviez pas les congédier poliment, trouver pour cela un prétexte honnête. Mes ordres, par exemple... SCÈNE IX. Monsieur et Madame Varseuil, Henriette, Louison. MONSIEUR VARSEUIL. Que veut donc dire tout ce vacarme-là ? MADAME VARSEUIL. Entrez, entrez, Monsieur, vous allez apprendre de jolies choses. Que diriez-vous de deux filles qui, pendant notre absence, introduisent ici des je ne sais pas qui pour brelander. C'est pourtant la conduite de vos filles. Elle montre les cartes et l'argent qui sont sur la table. [Note : Brinborion : Chose sans valeur et sans utilité. [L]]Voyez quelles étaient leurs petites occupations. Perdre leur temps et entretenir leur passion pour le jeu, voilà l'udage qu'elles dont de leur argent, ou bien acheter des brimborions de coquetterie ; témoin Mademoilelle, En montrant Louison.qui met trente-six livres à une coiffure. LOUISON. Oh ! Mon Dieu, si je... Elle rencontre un coup d'oeil de sa mère qui l'empêche de continuer. HENRIETTE. En vérité, ma chère mère, vous nous traitez bien mal. Ces je ne fais pas qui, dont vous parlez, vous les connaissez aussi bien que nous : ce sont Chonchon Plumeau, la fille du Notaire, et Minette Duval, fille de cette madame Duval, la Marchande que vous estimez tant. MADAME VARSEUIL. Mademoiselle, vous plairait-il de vous taire ? HENRIETTE. Si jamais de la vie... MADAME VARSEUIL. Taisez-vous, Henriette. HENRIETTE, avec la dernière vivacité. Non, quand vous devriez me tuer, vous ne m'empêcherez pas de dire, qu'il est indigne de nous noircir comme vous le faites auprès de mon père. MADAME VARSEUIL. Pour le coup, je perds patience. Elle s'avance pour donner un soufflet à Henriette. MONSIEUR VARSEUIL, l'arrêtant. Point de vivacité, ma bonne amie, je vous en prie. À Henriette, sévèrement. Silence. À ses filles.Vous avez tort, Mesdemoiselles, mais très tort, non que je trouve mauvais que vous ayez fait venir Mesdemoiselles Chonchon et Minette ; ce sont d'aimables filles ; je les crois bien élevées ; elles appartiennent à d'honnêtes gens, et il est à propos que vous vous délassiez en la compagnie de quelques amies. Mais c'est le jeu que je n'aime point : Aujourd'hui, ce n'est plus un amusement, c'est une fureur, une rage ; et la seule manière de s'en garantir est de ne point toucher de cartes absolument. Voilà précisément ce que j'exige de vous, Mesdemoiselles ; je n'entends pas qu'il entre de cartes ici. Pour tous les autres divertissements, je vous les verrai prendre avec plaisir. Voyez vos amies, amusez-vous avec elles, chantez, dansez, mais surtout point de jeu. À Madame Varseuil. Vous devez sentir, ma bonne amie, l'inconvénient de priver vos filles de toute espèce d'amusements ; leur interdire ceux qui sont permis, c'est le vrai secret de leur donner du goût pour les plus défendus. ==================================================