******************************************************** DC.Title = CHEZ LA CLIENTE, MONOLOGUE. DC.Author = FERRIER, Paul DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Monologue DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 09/06/2024 à 16:58:28. DC.Coverage = France DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/FERRIER_CHEZLACLIENTE.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2079440 DC.Source.cote = BnF LLA DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** CHEZ LA CLIENTE MONOLOGUE 1881 Tous droits réservés. Par M. PAUL FERRIER F. Aureau. - Imprimerie de Lagny PERSONNAGE. MAÎTRE DUCANOIS. Paris, de nos jours. Texte extrait de "Saynètes et monologues : Première-huitième série. Première série", Paris, Tresse Editeur, 1881. pp 99-110. CHEZ LA CLIENTE Un salon très riche. Deux portes latérales. Entre antres meubles, un bahut couvert de bibelots. Sur le bahut un magot vieux chine, une lettre cachetée. Un fauteuil crapaud a gauche du bahut, un second à droite. Sur celui-ci un chapeau d'homme. DUCANOIS, à la cantonade. Madame Charveron ? Vous direz que c'est moi :Elle m'attend, ou doit m'attendre ! - Quoi ?Puisque j'avais écrit hier !... Cette soubretteEst, pardieu ! Stupide, ou discrète !- Voici ma carte : « Ducanois Avocat à la cour. » Il donne une carte de visite et uo personnage hors do vue;- Stupide ? - Son minoisDit non. - Discrète alors ? - Discrète ! Elle doit l'être :J'en atteste son oeil luron !- D'ailleurs Madame Charveron Au regard de ses gens aura soustrait ma lettreEt... Marton ne sait pas que je suis attendu ! Il descendAttendu ?... - Non pas, hélas ! CommeD'aucuns l'ont peut-être entenduJe dis « hélas » ! Car cette pomme, Où du coin de l'oeil j'ai mordu,M'est encor du fruit défendu !Je dis « encor ? » ayant quelque espérance en somme,De reprendre en ce lieu le Paradis perdu,Bien que... Je dis « bien que » de cet air morfondu, À cause du dicton, beaucoup trop répandu,Qu'un avocat n'est pas un homme !Pas un homme ? - J'en ris ! - Pas un homme ? - Croit-onQue l'étude des lois nous glace, et nous corrodeL'âme, et fasse de nous des bavards de carton ? Qu' la place du coeur nous ne portions qu'un code,Et que chaque avocat soit doublé d'un Caton ?...- Allons donc ! Et pourquoi faire les bons apôtres ?Les sceptiques ? Les esprits forts ?Nous sommes, sous bien des rapports, Tout aussi bêtes que les autres !L'école fait des avocatsEt ne fait point des phénomènes !Nous payons notre écot aux faiblesses humaines,[Note : Célimène : personnage de coquette dnas la comédie Le Misanthrope de Molière.]Notre tribut aux Célimènes, Et comme les jolis danseurs de mazurkas,Nous aimons !...C'est juste mon cas :J'aime je le confesse et m'en fais gloire, même !Sans succès jusqu'ici - mais non pas sans espoir - J'aime... Qui ?... Devinez qui j'aime ?... La déesse de ce boudoir !Pourquoi dissimuler d'abord ? Mon coeur est commeUn livre ouvert, portant à chaque folioLe nom charmant dont on la nomme« Marthe. » - Je vous aurais fait un imbroglio, Mon regard m'eût trahi ! - C'est l'histoire éternelleL'amour fait, scintillant au coin de sa prunelle,Le secret de Polichinelle[Note : Fortunio : Personnage littéraire d'un roman de Théophile Gautier (1837) et d'un opéra-comique de Jacques Offenbach (1861).]Du secret de Fortunio !Et quelle occasion de « chanter à la ronde » « Si vous voulez »Que je l'adore et qu'elle est blonde« Comme les blés ! »Car elle est blonde ! Elle a vingt-deux ans ! Elle est blanche !Une goutte de lait dans un rayon de miel - Son oeil est bleu, du bleu de la pervenche,Un bleu très préférable au bleu dit bleu de ciel !Son sourcil ! Oh ! Il est épique,Son sourcil ! Un seul trait d'un pinceau hasardeux !Son nez... le plus joli des nez, et je me pique De m'y connaître ! Sa bouche... microscopique,Sa bouche... à partager une noisette en deux 1Joignez à cette tête étonnamment jolieUn corps que Phidias eût signé volontiers,Une main par vingt ans d'oisiveté pâlie, Et dont la petitesse enrage ses gantiers,Un pied de noble dame à trente-six quartiers,Plus d'esprit à la fois que tous nos gazetiers,Et puis, étonnez-vous qu'on l'aime à la folieElle a tout pour elle : beauté, Charme, esprit, grâce sans étude,Elle a tous les dons !...... ExceptéLe don de l'exactitude !Car j'attends, sapristi !... J'attends ! Consultant sa montre.Deux heures vingt, déjà ! L'ingrate en prend à l'aise, Et sans reproche, à Dieu n'en plaise,Sans reproche - je perds mon temps.Ma clientèle m'accapare :Je n'ai pas un moment à moi !Dans mon cabinet, à la barre, Pas d'heure qui n'ait son emploi !Tandis que j'attends de la sorte,Cloué là par mon fol amour,Bien des gens assiègent ma porte,Que je fais attendre à leur tour. La cohorte s'impatiente,Et j'immole - restant céans - Une hécatombe de clientsAux pieds d'une seule cliente !Sans vanité, je suis très couru ! Question De spécialité : la mienne est... plantureuse !Je plaide, avec succès la séparationJe dis : « avec succès » ayant la main... heureuse,Car j'ai séparé tant de gens,Tant de gens las du mariage, À qui mes avis obligeantsÉpargnaient la fin du voyage,Que je me surprends à chercher- Ne pouvant suffire à ma tâche - Comment la mairie en attache Autant qu'il m'en faut détacher ! Il regarde sa montreDeux heures et demie !... Et rien ! Pas de nouvelle ! Appelant.Lise ! - Marton ! ? Justine ! ? Oh ! oh ! personne ?... Rien ?...Vient-on ?... - Oui, c'est le chat ! Pas même c'est le chien,[Note : Nivelle, Jean de : né en 1423, embrassa le parti du Duc de Bourgogne et refusa de marcher contre ce prince, malgré les ordres de Louis XI. (...) et devenu en France un objet de haine et de mépris et le peuple lui donne le surnom injurieux de "chien". [B] syn. de traître méprisable.]Et le chien. de Jean de Nivelle! J'avais écrit pourtant, pour éviter ceci.Madame Charveron eût dû se tenir prête.Je la trouve très indiscrèteDe me faire poser ainsi !Car elle plaide !... Oui ! Elle plaide En séparation, on s'en était doutéEt c'est moi qu'elle a consulté,Moi qui de la défendre aurai la volupté !Cristi ! J'ai séparé plus d'une femme laide,Que ne ferai-je point par l'amour exalté ? Vive Dieu ! Je pressens des torrents d'éloquence ! Montrant son front, puis son coeur.J'ai là, mon plaidoyer... et là ! - Je serai beau !Ce Charveron, son mari... son bourreau,Je l'atteste de confiance - Je me promets, à l'audience, De le laisser sur le carreau.Oui !... Troublé !... Pantelant sous ma voix vengeresse ! Il plaide.... Honte et malheur sur toi, jardinier sans honneur,Qui, de la frêle fleur commise à ta tendresse,N'as été que le moissonneur ! - Moissonneur !... J'aime assez cette image... nouvelle ;Je la mettrai dans mon improvisation.Oui, messieurs, oui - dirai-je avec explosion - Regardez ma cliente : elle est jeune ! Elle est belle !Et sous le joug amer d'un époux odieux, Elle a déjà connu la douleur et les larmes !Ah ! Messieurs, laissez-vous gagner par tant de charmes !Séparez-nous ! Justice et vengeance, messieurs !Vous avez les cachots, vous avez les gendarmes,Frappez le scélérat qui fit pleurer nos yeux ! Changeant de ton.Hélas ! À ce pleur que je verse,Pour émotionner la cour,Je prévois trop ce qu'à son tourRépondra la partie adverse.Mon confrère n'est pas naïf, Et - pour le succès de sa cause - Dira brutalement la chose :Que dans le contrat processifNous avons donné du canif. Plaidant.Du canif ?... Autre injure! Eh ! Quoi, messieurs... On ose ?... Naturellement.- On ose ! J'ai vu le mari,Il se plaint que sa femme aurait un favoriUn Sigisbé, je suppose,Qui la suivrait constamment !Un patito !.. Ce qu'en prose Nous appelons un amant.Les griefs, s'il est vrai, seraient donc réciproques ?- Le mari, tout au moins, parait sûr de son fait,Car l'affaire est des plus baroques !Je l'ai vu, le mari, même il m'a fait l'effet, Au fond, d'un gentleman parfait.Il voulait me charger de sa cause ! - Est-ce drôle !- Mais moi, j'avais mon plan : je guettais l'autre rôle,Et préférais - malgré le susdit favori - La cliente au client, et la femme au mari ! Consultant sa montre.Trois heures dix !... Mort dieu !... Corps dieu !... Appelant.Mademoiselle Thérèse !- Anna ! - Jenny ! - Louise ! - Ayez du zèle !- Est-elle seulement chez elle ?La chambrière avait un air mystérieux !- Agathe ! - Fanny ! - Rose ! - Il faut que je lui parle Pourtant ! La chose en vaut la peine, mille dieux !Et si les griefs du mari sont sérieux ?S'il existe, ce monsieur Charle,De qui l'autre, en causant, m'a lâché le prénom ?Charle... Je ne sais quoi ! Baron de... trois étoiles ! Charle ! Il faudrait tirer les voiles,Et tout me dire, car, s'il existait ?... Mais non !- S'il était vrai ?... Pourquoi repousser l'hypothèse ?L'épouse criminelle, et l'époux innocent,La cause du mari gagnerait cent pour cent ! Quelle fortune quelle thèse ! Il plaide.Que nous reproche-t-on ? Quel est notre forfait ?Précisez vos griefs ! Sommes-nous en effetAussi noir qu'on voudrait nous faire ?De ce que nous allons au cercle l'on infère Que nous sommes pervers, joueur, et caetera !...On nous a vu, deux jours de suite, à l'Opéra,C'est que, dans le ballet, nous avons quelque intrigue !Nous aimons les chevaux - donc nous sommes prodigue !La chasse est un prétexte à dissipation : Le prétendu lapin recèle une rivale,Et l'on voit une orgie à la SardanapaleDans un souper de réveillon !Sont-ce là des griefs ? Sommes-nous homme à pendrePour aller à la chasse, et souper entre amis, Deux plaisirs innocents également permis ?Vous nous accusez, vous ! C'est trop de vous défendre !Osez-le, cependant ! Défendez-vous ! - L'effroiVous glace ! - Qui des deux fut parjure à sa foi ?Au foyer conjugal qui sema les ruines ? Qui paya, bassement, l'autre de trahison,Et violant les lois humaines et divines,Lequel introduisit Charle dans la maison ?- Charle, ce n'est pas nous - nous, ce serait Charlotte !Or, c'est Charle, baron X - On saura te nom : Le baron un tel ! Sacrelotte !Vous pensez quel coup de canon !- On vous a dit, Messieurs, que l'adversaire est belle ?Ce n'est, certes, pas moi qui prétendrai que non !Elle est belle, il est vrai, mais sa beauté n'appelle Qu'un châtiment plus rigoureux,Car - étant établi qu'elle n'est pas fidèle,Quand l'honneur nous enjoint de nous séparer d'elle,Plus elle est belle, et plus nous sommes malheureux ! Consultant sa montre, et perdant patience.Trois heures trente !... Oh ! Oui belle ! - mais inexacte !... Il appelle.[Note : Hékla : Nom d'un volcan islandais culminant à 1488m d'altiude.]Mademoiselle !... Oh ! oh !... oh ! Je bous ! J'ai l'HéklaLà ! Je suis en délire, et capable d'un acte...D'un acte extravagant ! Je vais faire un éclat ! Cherchant sur les meubles.Une sonnette ! - Un timbre ! - Un tamtam ! - Quelque choseQui réveille subitement Cette autre Belle au bois dormant !Un obusier ! - La foudre ! - Il trouve la lettre.Ah ! Bah ! Ma lettre... close ?Ma lettre ? - Étrange !... On n'a pas même ouvert le pli ?Bizarre insouciance... inconcevable oubli !Close ! - Est-ce là le cas qu'elle fait de ma prose ?2 Quel souci tant pressant l'absorbe à cet excès Qu'elle en néglige son procès ? Il décachette la lettre, et lit :« À deux heures, demain. » - N'ayant pas eu ma lettre,Elle ne m'a pas attendu.Mais ma carte ?... Ma carte ?... On a dû lui remettre Ma carte ?... Alors quoi ?... Quoi ?... J'en reste confondu !Ceci m'agace et me défriseD'avoir posé comme un nigaud !Holà ! Quelqu'un, vite ! Ou je briseEn mille pièces ce magot ! Il apostrophe le magot.Oui, Japonais qui me flagornes,Monstre hideux ! Méchant poussah !Tu me voudrais faire les cornes,Mais la patience a des bornes, Et je te... Exaspéré, il lève le poing, s'arrête, et se laisse tomber sur le fauteuil de droite.Je suis fou ! Je suis fou ! Je suis... Ah ! Sapristi! je me suis assis sur quelque choseD'étranger à ce crapaud.Qu'aurai-je écrasé ?... Je n'oseMe relever... Il se lève et prenant le chapeau plat.Un chapeau !Juste ciel un chapeau d'homme, [Note : Méchef : Terme vieilli. Fâcheuse aventure. ]Chez elle ! Dernier méchef !Un horrible couvre-chefQue j'assomme... Et qui m'assomme !Car c'est évident, c'est clairQue j'ai fait un pas de clerc ! Marthe n'est qu'une coquine,Et tant pis pour Charveron !Ce chapeau que je taquineEst le chapeau du baron ! Il donne des coups de poing dans le chapeau.Le chapeau du baron, coquette ! Du moins, je vous mènerai loin,Et je réserve pour l'enquêteCet irrécusable témoin !Car ce coup, dont l'horreur me glace,Ne sera qu'un coup d'éperon, Et je veux me mettre à la placeDe l'infortuné Charveron.Je reprends ma lettre inutile,Et, rompant un charme menteur,D'allié je deviens hostile, De défenseur, accusateur !Changeant de rôle et de langagePour ne faire rien à demiJe passe, avec tout mon bagage,Sous le drapeau de l'ennemi, Et c'est avec la même flammeQue, devant le juge attendri,Au lieu de plaider pour la femme,Je plaiderai pour le mari ! Dans un grand geste qu'il fait avec le chapeau, une carte de visite tombe da chapeau. ? Il la ramasse.Une carte de visite Dans la coiffe du chapeau !Lis-je ? - Ne lis-je pas ? - J'hésite.La justice partout doit porter son flambeau !Ce nom, d'ailleurs, je le soupçonne... lit la carte.Oh !... Oh !... Quel coup ! J'en demeure ahuri ! Il brosse vivement le chapeau, le remet à la forme sur son poing, le replace sur le fauteuil et en sortant à pas de loup.Je ne plaiderai pour personne,C'était le chapeau du mari ! ==================================================