******************************************************** DC.Title = AUGUSTA , TRAGÉDIE DC.Author = FABRE D'EGLANTINE, Jean-François-Nazaire Fabre dit DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Tragédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 13/07/2023 à 14:12:48. DC.Coverage = Italie DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/FABREDEGLANTINE_AUGUSTA.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k314226h DC.Source.cote = BnF RLR RES P-YF-327 (3) DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** AUGUSTA TRAGÉDIE EN CINQ ACTES, EN VERS. Représenté pour la première fois sur le Théâtre Français le 8 octobre 1787. 1787. Par FABRE D'EGLANTINE. PARIS. Représenté pour la première fois sur le Théâtre Français le 8 octobre 1787. PERSONNAGES. AUGUSTA, grande prêtresse de Vesta. Mme Vestris. DOMITIUS, Consul romain. Mr Gran***** AGATHOCLE, fils d'Augusta. Saint Fol FULVIE, Vestale. MAXIME, grand prêtre de Jupiter. Maudet. CENSEURS. TRIBUNS. PEUPLE. PALLANTE, Chef des Licteurs. LICTEURS. ACTE PREMIER Le théâtre représente le péristyle du temple de Vesta. La statue de cette déesse est unepeu au-dessus de l'avant-scène, du côté gauche de l'acteur . Elle est représentée sous les traits d'une vierge fleurie et potelée, assise sur un tertre et couronnée de roses, tenant un tambour à la main. C'est ainsi que Scopas l'avait sculptée, au rapport de Pline. SCÈNE PREMIÈRE. AUGUSTA, seule. Hé ! Que me sert ! Grands Dieux ! De fuir le sanctuaire.Le remords suit partout, et rien ne le fait taire.Tu lis dans mes pensées, immortelle Vesta ; Elle fléchit le genou devant la statue de cette déesse.Daigne voir sans courroux la tremblante AugustaArroser de ses pleurs les pieds de ton image : Je confesse à tes yeux ma honte et ton outrage.D'une main sacrilège, en ce lieu révéré,J'ose à tes autels nourrir le feu sacré.Tant d'audace, il est vrai, surpasse ta clémence.Ma tête s'humilie, achève ta vengeance. Épargne un étranger, objet de ma douleur.Le crime n'a jamais souillé son jeune coeur.Si l'équité des Dieux punit qui les outrage,Protéger l'innocence est leur puissant saint ouvrage. SCÈNE II. Augusta, Fulvie. AUGUSTA, apercevant Fulvie qui est arrivée jusqu'à elle. Ne quitte point l'autel, laisse couler mes pleurs, Laisse-moi ; que veux-tu ? FULVIE. Partager vos douleurs.Accueillez le secours qu'appelle votre plainte,Je viens vous apporter la pais et non la crainte ;Parlez, reconnaissez la voix de la pitié.La confiance est juste envers tant d'amitié. AUGUSTA. Ah ! FULVIE. Mérité-je, hélas !... AUGUSTA. Que dis-tu, ma Fulvie ?Ah ! Pour me consoler des peines de la vie.L'amitié dans ton sein répandit sa douceur.Compagne d'Augusta, bientôt tu fus sa soeur.Soyez bénis, grands dieux ! Que me laissez en elle Pour essuyer mes pleurs une main fraternelle !Je me jette en tes bras et mon dernier regretEst de n'oser payer tes soins de mon secret. FULVIE. Que sont-ils devenus ? Ces jours, où la prêtresseDe tant de confiance honorait ma tendresse ! Parlez, que craignez-vous ? Pour la seconde fois,Domitius, peut-être, au mépris de nos lois,D'un amour indiscret vous apporte l'hommage ?Craignez-vous son dépit, ou son nouvel outrage ?Téméraire Consul, amant audacieux, A-t-il encor osé soupirer à vos yeux ?Il est fier et cruel. AUGUSTA. Si j'ai lieu de m'en plaindreJ'ai rempli mon devoir, et n'ai plus rien à craindre.L'accueil qu'ont mérité ses coupables désirs,A sans doute en leur source étouffé ses soupirs. FULVIE. D'où viendrait votre crainte ?.... Augusta me redoute !Hé ! Quels sont vos malheurs ?... Ils sont bien grands sans doute. AUGUSTA. Ah ! Bien grands, en effet ! FULVIE. D'un regard curieuxJe n'ai point observé vos pleurs mystérieux :Qu'un plus généreux soin, qu'une amitié plus sainte De temple de Vesta m'ont fait quitter l'enceinte !Hélas ! J'ai vu la mort dans votre oeil égaré ;Vos genoux chancelaient près du foyer sacré ;Les pleurs sur votre bouche ont coupé la prière,Et délaissant les soins de votre ministère, Vous avez fui. Soudain, pour vous tendre mes bras,Plus tremblante que vous, j'ai marché sur vos pas. AUGUSTA. Oui, j'ai trop différé l'aveu de ma souffrance.Garde-toi d'accuser ma juste défiance ;Pardonne, si, malgré les noeuds de l'amitié. J'ai pu de mes douleurs te cacher la moitié :Comment oser parler ? Cet effrayant mystèreSerait là tout entier à mon heure dernière,Si du plus tendre noeud partageant le devoir,Tes secours bienfaisants n'étaient tout mon espoir. Chacun de mes secrets est un péril terrible ;Écoute ; mais au moins, si d'une âme sensibleLe ciel trop libéral, comme à moi, t'a fait don,Donne l'exemple aux Dieux, avares d'un pardon.Tu connais ce mortel, qui, dans ce péristyle, Auprès de moi souvent trouve un accès facile ;Portant dans le regard cette douce fierté,Qu'imprime la vertu dans sa simplicité,Ce mortel embelli des grâces, du jeune âge;Superbe en son maintien, naïf en son langage. Agathocle, en un mot ? FULVIE. [Note : Vestale : Chez les Romains, prêtresse de Vesta, consacrée à la virginité. [L]]Vous savez notre sort ;Nous ne pouvons aimer qu'au péril de la mort ;Un terrible serment à la sainte déesse,Sans partage asservit le coeur de la prêtresse.Tout est pur en celui. AUGUSTA. J'entrevois ta frayeur ; Dissipe tes soupçons ; ose lire en mon coeur :Il est l'oeuvre des Dieux, leur célèbre justiceNe peut en exiger un cruel sacrifice.Agathocle peut-il ?... FULVIE. Vous l'aimez, Augusta ? AUGUSTA. Oui, je l'aime et le puis sans offense Vesta. C'est mon fils. FULVIE. Agathocle ! AUGUSTA. Oui, ma chère Fulvie ;C'est mon fils. Nom sacré ! Doux charme de la vie !Ma bouche, qu'enchaînant de trop sévère lois,Te prononce aujourd'hui pour la première fois. Elle s'arrête tout à coup avec un sentiment de terreur.La terreur m'a saisie à ce nom cher et tendre, Comme si dans ce lieu quelqu'un pouvait l'entendre. FULVIE, également effrayée. Ah ! Jamais l'amitié n'éprouva mieux un coeur ;Le mien, comme le vôtre, est frappé de terreur...Mais ce parvis sacré n'a qu'une seule issue : Calmez vous ; nul Romain s'offre à notre vue. AUGUSTA. J'eus un père orgueilleux ; ce fier patricienEstima peu le rang de simple citoyen.Dès que j'eus vu le jour ; sa superbe faiblesseAux autels de Vesta destina ma jeunesse.Tu vois tous les honneurs dont on flatte nos maux. Les licteurs prosternés abaissant leurs faisceaux ;Peuple, guerriers, sénat, consuls, dictateur même;Tout nous défère ici la dignité suprême.La coupable flétri par un arrêt de mort.À la hache homicide échappe à notre abord. Jusques à nos parents nos rayons rejaillissent.Et de notre splendeur leurs coeurs s'enorgueillissentVain dédommagement d'un supplice éternel !Tant de gloire toujours se pleure sur l'autel.À cet autel fatal je fus donc destinée. À peine je touchais à ma quinzième année,Que dans jeune coeur la nature et l'amourPortèrent, malgré moi, les feux d'un nouveau jour. Le grec Léonidas était alors dans Rome ;Un diadème encor n'ornait pas ce grand homme : Il m'aima, je l'aimai. Ma mère dans ce tempsVoyait avec orgueil s'embellir nos printemps.Pour une fille aimante, en ses douces caresses.Que le coeur d'une mère enferme de faiblesse :Ivre de son amour, fière de ses liens Aux penchants de sa fille elle soumis les siens ;Son sein de mes secrets devint dépositaire ;Léonidas gagna cette facile mère ;Et grâce à tous nos soins un hymen clandestin En l'absence d'un père unit notre destin. Imprudente : je crus à cette union prospère !Le ciel vengea bientôt l'autorité d'un père !La guerre, qu'excita Xercès en son courroux, Dans Sparte en peu de jours rappela mon époux :En vain je fis parler et l'épouse et l'amie, Le coeur d'un Spartiate est tout plein de sa patrie ;Je n'ose l'en blâmer. Il me quitta... grands dieux !Il ne me souviens point de de ses tristes adieux,Que mon coeur oppressé par un torrent de larmes,Ne renouvelle encor ses mortelles alarmes. Qu'alors comme aujourd'hui j'eus raison de pleurer !Qui m'eût dit qu'à jamais j'allais m'en séparer !Hélas ! j'appris bientôt que déjà dans la tombeIl reposait couvert d'une triple hécatombe,Couvert, en digne chef de la fleur des guerriers, Des larmes de la Grèce et de tous ses lauriers.Un même jour enfin me rendit veuve et mère ;Des pleurs que je versai sur le trépas du pèreLe fils se vit couvert, en ouvrant l'oeil au jour ;Et la nature ainsi désespéra l'amour. FULVIE. De trouble et de piété vous remplissez mon âme :Quel étonnant secret vous m'apprenez, Madame !Ô mère malheur ! Étouffez vos accents ;Et craignons que frappés de vos gémissements,Les murs de ce parvis n'en révèlent la cause, Que votre âme, Augusta, sur ma foi se repose ;Les Dieux vous sont garants de ma fidélité.Mais quel sort rigoureux ; en cette extrémité ?... AUGUSTA. Que faire en mon malheur ? Déplorable victime,Tout semblait, dès ce jour me reprocher un crime ; Je tremblai, du moment qu'Agathocle fut né,De nourrir de mon sein ce fils infortuné.Par les soins de ma mère, appui de ma tendresse,Ce dépôt précieux fut porté dans le Grèce.Mon père, toutefois fidèle à ses projets, Et surtout ignorant mes dangereux secrets,Prétend qu'à son orgueil à la fin je réponde.Et moi, coupable, et moi, que fatiguait la mondeHeureuse de la fuir, j'errai par désespoir ;Un sacrilège voeu me parut un devoir ; Au mépris de Vesta, mon âme témérairePréféra cet asile à la haine d'un père.Chez les grecs élevé cependant avec soin,D'une mère Agathocle éprouva le besoin :De reconnaître un fils la nature nous presse, Il sut tout. Dans l'Attique porta sa jeunesse.Là, du sage Socrate élève peu connu,Ce fils croissait en paix, par mes soins soutenu.Depuis, sous les efforts d'nue cabale impie,Socrate a terminé sa mémorable vie : La meilleur des mortels ne fut pas épargné :De l'opprobre d'Athènes Agathocle indigné,Contre cette cité coupable et meurtrièreDe ses pieds fugitifs secoua la poussière.Alors, enfin, alors, guidant vers moi ses pas, La nature et son coeur l'ont remis dans mes bras. FULVIE. Que m'avez-vous appris ?... Ô combien de misèresPrépare à leurs enfants cet orgueil de nos pères !Non, ce n'est pas en vain que s'alarme Augusta.La fortune de Rome est liée à Vesta : L'amour entraîne ici la honte et le supplice. AUGUSTA. La mort n'est rien, Fulvie, il est un sacrifice,Il est un déplaisir plus cruel mille fois.Effrayé du malheur que me gardent nos lois,Mon fils désespéré, s'abandonne à sa crainte. De Rome, en frémissant, il habite l'enceinte.Il n'ose me parler ; il tremble de me voir. De l'amour maternel ce précieux devoir.Ce charme consolant, cette ardeur empressée,De porter vers un fils ses yeux et sa pensée, De le chercher toujours d'éprouver joie, ennui,Plaisir, crainte, soupçons, et sans cesse pour lui,Enfin, tout ce qu'on sent, quand on a ma tendresse ;Tout alarme mon fils, tout le trouble et l'oppresse,Il veut fuir, me quitter, s'arracher de mes bras, Porter son désespoir dans de lointains climats,Et par de longs tourments d'une éternelle absence,Me sauver du péril qu'entraîne sa présence :Voilà de tant de pleurs le trop juste sujet. FULVIE. Eh quoi ! Ne pouvez-vous ?... AUGUSTA. Dans l'ombre du secret, La coeur du criminel se cache et se replie.Mais un sentiment pur, mais mon amour, Fulvie ?La cri de la nature est en vain combattu,Il s'échappa sans crainte, il tient à la vertu.Les miens sont chez les morts : plus d'hospice Fulvie, Où ce fils malheureux puisse charmer sa vie...Mais il est étrange ; au soin de ces remparts,Et déjà de l'envie attirant les regards,Ses discours, fruit heureux des leçons de Socrate,Ont exilé des bruits dans cette ville ingrate... Qui sait même si l'oeil de quelque délateurN'a pas déjà percé dans le fond de mon coeur,Si les secours furtifs, dont ma main l'environne,Ne sont secrètement épiés de personne,Je tremble pour lui-même. SCÈNE III. Les précédents, Agathocle. AUGUSTA. Ô mon fils ! Est-ce toi? Eh bien ! C'en est donc fait ?... AGATHOCLE. Tout est fini pour moi ;L'infortune poursuit ma jeunesse flétrie.J'ai tout perdu : parents, amis,maître patrie ;Il me reste une mère, unique et cher trésor,Et le destin cruel me la ravit encore. Ah ! Que n'est ce moi seul que le péril menace !Grand Dieu ! De ce bienfait que je te rendrais grâce !Sous les yeux d'une mère et pressé dans mes bras.Avec un front serein j'attendrais le trépas.Mais non, non, le danger de cette mère tendre, Quand l'invoque la mort, me défend de l'attendre ;Il faut tout immoler au salut de ses jours.Dieu juste ! Au prix des miens prolongez-en le cours !Veille sur Augusta du haut de ton empire :C'est à toi qu'en son âme il appartient de lire. Au sein de la vertu l'erreur a ses forfaits ;Mais l'erreur donne à l'homme un droit à tes bienfaits.Ses soupirs maternels, auteurs de la nature,À tes divins décrets ne sont pas une injure :Tu souffres sa tendresse au pied de ces autels. Et tu ne juges pas ainsi que les mortels. AUGUSTA. Qui ne s'attendrirait pas, Fulvie, à ce langage ?Ah ! C'est est fait, les dieux m'arrachent leur image :Tout le veut, Agathocle, il faut nous séparer.Fuit la foudre des dieux prête à me dévorer : J'aurai soin de ton sort ; cette prudente amieVeillera de ce temple, au bonheur de ta vie.Si nos plaisirs sont vifs, ils sont plus dangereux...Fuis, ne perds point de temps... pense à moi... sois heureux...Adieu, mon Agathocle. AGATHOCLE. Avant qu'un sort barbare L'un de l'autre à jamais, peut-être, nous sépare,Ô vous qui dans les pleurs me donnâtes le jour,Objet de mon respect, objet de mon amour,Bénissez Agathocle, ô mère infortunée ! Il met un genou en terre.Le voeu de la vertu fléchit la destinée. AUGUSTA. Je te bénis cent fois. Toi, regarde en pitié,Redoutable, Vesta, cette sainte amitié !Détourne loin de lui ta céleste colère,Et ne le punis point du crime de sa mère. Agathocle se relève.Adieu... Puisse le Ciel, te prêtant son secours, Te tenir lieu de mère et veiller à tes jours. Agathocle commence à s'éloigner. SCÈNE IV. Les précédents, Domitius, Agathocle. DOMITIUS, voyant Agathocle. Mortel audacieux, près de ce sanctuaireDe quel droit osez-vous mettre un pied téméraire ? AUGUSTA, vivement. Ah ! Seigneur, excusez un timide étranger. Elle hésite.Le ciel... à ses parents annonce un grand danger : Et, pour les secourir, son amour filialeImplorait en ces lieux les voeux de la vestale. Agathocle et Fulvie sortent à mesure que Domitius descend vers l'avant-scène SCÈNE V. Augusta, Domitus. DOMITIUS, affectueusement. Vos voeux, n'en doutez pas seront tous exaucés :Les Dieux à vous servir doivent être empressés.Il est bien des mortels, et j'en nommerais même, Qui sans avoir des Dieux la puissance suprême,À vous plaire attentif,mettraient tous leurs plaisirsÀ pouvoir sur la terre exaucer vos désirs. AUGUSTA. De ce temple, Seigneur, j'aime la solitude ;À n'y rien dévorer je borne mon étude. Servir, prier Vesta, nourrir le feu sacré,Conduire une troupeau saint, à ma garde livré,Demander pour l'État des jours purs et prospère. Avec émotion.Des mortel malheureux adoucir les misères ;Voilà les grands devoirs qu'Augusta doit remplir, Et mon âme au delà n'entend point son désir. DOMITIUS. Cette paix de votre âme est un présent si rare ;Envers moi le destin s'est montré plus avare :Et ce calme profond qu'étalent vos discours,D'un trop juste dépit empoisonne mes jours, Il semble qu'en effet la nature, si sage,Ne devait pas errer dans son plus bel ouvrage,Et lorsque de ses feux elle brûla mon coeur,Elle devait en vous enflammer mon vainqueur. AUGUSTA. Ce langage hardi, si j'ose vous comprendre, Pour la seconde fois ici se fait entendre,Seigneur ; et la froideur dont mon coeur et mes yeuxOnt accueilli déjà vos sacrilèges feux,Aurait dû m'épargner votre audace insensées.Sur mes serments enfin quelle est votre pensée ? Croyez vous à ce point mes voeux mal affermis ?Et depuis quand, Seigneur, vous êtes-vous promisQue pour être couvert de la pourpre romaine,Le crime aurait le droit d'échapper à ma haire :Il m'est plus odieux encore dans cet éclat. Honorez un peu plus, Seigneur, le consulat,Et n'avilissez point sa gloire et son empire,Jusques à mériter ce que je pourrais dire,Jusques à mériter que ma suprême voixN'appelle la vengeance au secours de mes droits. DOMITIUS. On ne m'abuse point par des feintes colères.L'amour sait résister à des lois plus sévères.Quel sera votre crime, après tout, et le mien,Si d'un culte abjuré vous brisez le lien ?La vestale a le droit dès sa trentième année D'abandonner Vesta pour le lit d'hyménée :Qui donc peut empêcher que ces noeuds et mon choixNe couronnent mes voeux, sans offenser les lois ? AUGUSTA. Qui peut donc l'empêcher ? L'honneur qui fut mon guide,Qui le sera toujours, et qui, seul, me décide, Hé ! Ne savez-vous pas quel opprobre éternelCouvre toute vestale,échappée à l'autel.Qui consacre à l'hymen le reste de sa vie ?Rome, qui le permet, y joint l'ignominie.Vestales, au dessus des fiers Patriciens : Épouses, au dessous des plus vils plébéiens :Ce temple nous acquiert et la gloire et l'estime,Et l'hymen,le mépris réservé pour le crime.Regardez Marcia, Tucie, Ema, Méris :De leur flamme imprudente elles en ont eu le prix. Vous, peut-être, Consul, d'une voix indignéeAvez vous, le premier, flétri leur hyménée :Et vous pouvez penser que, de même, AugustaPour vivre dans l'opprobre abjurera Vesta ?Non, Seigneur ; renoncez à ce désir coupable. Je dis plus : et voici que mon sort irrévocable.Sachez qu'en vain l'honneur permettrait à mes voeuxDe s'exprimer sans honte et de payer vos feux ;Vous en auriez encor nul espoir à prétendre.Puisse aujourd'hui Vesta m'approuve et m'entendre ! À sont culte sacré je me voue à jamais.De mon coeur, dès longtemps les voeux satisfaitsL'objet, qui captiva mon âme tout entière.À ce temple, en un mot, a borné ma carrière :Et je mourrais, Seigneur, des plus affreux tourments Plutôt que d'oublier ma gloire et mes serments. DOMITIUS. C'en est trop ; et je vois ce qu'il faut que j'en pense.On est trahit souvent à force de prudence.Un pitié feinte, en ses sombres détours,Cache plus d'une fois de coupables amours. On ne m'a pas trompé ; vos refus ont leur cause,Vous abusez mon coeur ; votre âme m'en impose :Vous aimez. À l'ardeur que je recèle en moi,D'un absolu pouvoir je reconnais le loi.Vous seule, dussiez-vous en être sacrilège Ne tenez point du ciel l'inconnu privilègeDe n'avoir aimé rien, ou de n'aimer jamais.Tremblez ! Je percerai vos odieux secrets.Vous savez si mon âme, ouvert à la vengeance,Sait servir son dépit de toute sa puissance. Craignez Domitius ; et tremblez que ses yeux Ne découvrent bientôt un rival odieux. AUGUSTA, noblement. Vous aggravez l'insulte... et votre hardiesseS'accroît par ma bonté : c'est assez ; et je croisQue l'amour parle ici pour la dernière fois. Si votre rang, le mien me forcent au silence,Mettez à m'imiter votre reconnaissance :Et d'une part et d'autre évitant notre aspect,J'oublierai vos transports ; vous, gardez le respect. SCÈNE VI. DOMITIUS, seul et furieux. Le respect as-tu dit ? Quand ta perfide haine Déchire un coeur brûlant, indigne de sa chaîne ;Le respect ! La fureur marchera devant moi.Oui ; tant de surveillants semés autour de toi,Ne m'ont que trop instruit de tes flammes secrètes,Mon rival paiera cher tes hauteurs indiscrètes. Trop longtemps j'ai douté de tes indignes feux,Et je n'en doute plus : j'en dois croire mes yeux.Oui,c'est cet étranger, c'est Agathocle même...Plus je veux y penser... c'est lui qu'elle aime.En effet, Augusta, par de secrets détours : Dans Rome, m'a-t-on dit, lui prête des secours :Dix fois, près de ces lieux, je l'ai vu dès l'aurore.Aujourd'hui, tout à l'heure, il en sortait encore,Et même, il m'en souvient, l'ingrate avec ennui,Prévenant mes soupçons, m'a répondu pour lui. Mon malheur est certain autant que ma vengeance. Avec une joie cruelle.Disciple de Socrate, en sa jeunesse imprudence,Agathocle a déjà parlé contre nos dieux ;Armons le fanatisme et servons nous des cieux.Ardents à me servir, les prêtres, les augures, Pour leur propre intérêt vengeront mes injures.Oui, pour le prix des maux que j'ai déjà soufferts,Qu'Agathocle d'abord soit jeté dans les fers ;Ensuite, employons tout, et la force et la ruse :Dévoilons les secrets du couple qui m'abuse ; Et si l'ingrate enfin n'a pour moi que mépris,Qu'ils frémissent : Ce coeur leur en garde le prix. ACTE II SCÈNE PREMIÈRE. Augusta, Fulvie. AUGUSTA, entrant précipitamment sur la scène avec tous les signes de la désolation. Laisse-moi, laisse-moi... je veux mourir, Fulvie.Agathocle... mon fils!... FULVIE. Ô malheureuse amie !Suspendez vos frayeurs et vos gémissements. AUGUSTA. Tu le vois, si j'avais de vains pressentiments ?Pourquoi dans ces remparts se trouvait-il encore ?Que n'a-t-il fui soudains ces rives que j'abhorre ! FULVIE. Ah ! Si vous l'aviez vu, le front pâle et flétri,Quitter avec effort la portique chéri. Je le suivais de loin : hé ! Quels coeurs insensiblesNe gémiraient longtemps de ses combats pénibles ?Sa tête à chaque pas, se détournait vers moi ;Cependant il avance, et passe avec effroiLa porte qui conduit au temple de Cibèle : À peine il l'a franchie, une douleur mortelleTout à coup le saisit : il tombe à deux genoux,En longs gémissements il s'exhale vers vous,De son corps, de ses bras il presse la poussière :Je crains à chaque instant qu'il ne nomme sa mère, Le peuple, curieux, et non moins attendri,L'entoure, le relève !... Alors poussant un cri,De farouches licteurs le saisissent, l'enchaînent ;Au bruit de mille voix ces barbares l'entraînent ;Et lui, le front soumis, le regard vers les cieux, Ainsi qu'une victime avançait vers eux. AUGUSTA. Dieux ! Détournez vos coup et reprenez ma vie !Que vous a fait mon fils ? N'a-t-on pas dit, Fulvie,De quel droit, pour quel crime on poursuit l'innocentMon sort est-il connu ? Dans ce danger pressant. Est-ce pour moi qu'il souffre, et mon titre de mère.Pour les Romains enfin n'est-il lus un mystère ? FULVIE. Non : parmi les clameurs du peuple rassemblé,Dans ses propos divers, il ne m'a pas sembléQue de ce grand secret on ait eu connaissance. AUGUSTA. S'il en est temps encor, va, vole à sa défense,Interroge, préviens sur cet événement ;éloigne les soupçons et sème adroitementD'un fils infortuné l'éloge secourable,On aime à déplorer le sort du misérable. Ce stratagème heureux peut le favoriser.En parlant de ce fils je crains de m'exposer :La prudence en ces lieux enchaîne ma tendresse,Et je n'ai qu'à mourir. Hâte-toi : le temps presse,Cours ; ton retard, peut-être, est un péril nouveau ; Et viens me délivrer d'un horrible fardeau. SCÈNE II. AUGUSTA, seule. Quel état est le mien ? Ô mères infortunées !Que le Ciel vous donna d'heureuse destinées !Sans crainte et sans péril, sur votre sein ému,Vous reposez le fruit que vos flancs ont conçu : Sans cesse auprès de vous, sans qu'aucun murmure :Il sourit, vous caresse au gré de la nature,Et retrace le noeud de vos chastes amours ;Je ne puis, comme vous, disposer de mes jours :À Vesta qui m'accable, hélas ! J'en dois le compte : Vos devoirs sont mon crime, et votre orgueil ma honte. SCÈNE III. Augusta, Domitius. Domitius précédé des licteurs qui, à l'aspect de la grande prêtresse de Vasta, mettent bas leurs faisceaux, suivant le coutume des Romains. Domitius fait digne de se retirer. DOMITIUS. Que le fille des Dieux, objet de mon respect,Ne s'effarouche pas de mon nouvel aspect.Sans crainte écoutez-moi : mon âme plus tranquilleNe viens point de ses feux profaner cet asile. J'ai pesé vos avis, tenté quelques efforts,Et mes réflexions ont calmé mes transports.J'ai trop vu qu'en effet il n'était pas possibleQu'à mes feux imprudents Augusta fût sensible.Un Consul s'égarait, vous l'avez combattu ; Laissez nous vous implorer cette haute vertu.Oui, Madame, les Dieux en demandent justice,Sont quelquefois touchés d'un humble sacrifice;Et Vesta, dont la main protège nos remparts,Pour sa fille fidèle aura quelques égards ; Vers son trône immortel portez votre prière.Par ma voix le Sénat? le peuple et Rome entière,Pour expier un crime en ordonnent ainsi ;Et voilà le motif qui me ramène ici. AUGUSTA. Fléchir les Dieux vengeurs n'est pas en nous peut-être ; Mais aux lois de l'état nous savons nous soumettre,Et les ordres pressants que vous nous apportez,Avec zèle, Seigneur, seront exécutés. DOMITIUS. Vous ne demandez pourquoi, par quelle offense,Il nous faut de nos Dieux apaiser la vengeance ? AUGUSTA. L'État a des raisons au dessus de nos soins :Le ciel bien mieux que nous connaît tous nos besoins.Contente de prier au fond de ma retraite,Je ne hasarde point de demande indiscrète. DOMITIUS. L'État fait son devoir, sans faire une faveur. Plus le forfait est grand plus grande est la ferveur :Et Rome justement vous apporte sa crainte,Alors qu'un sacrilège a souillé son enceinte,On blasphème des Dieux ! AUGUSTA. Que dites-vous ? DOMITIUS. Jugez,S'ils voudront d'un impie être bientôt vengés, Et si, pour expier cette éclatante injure,Le Sénat doit choisir la bouche la plus pure. AUGUSTA. Eh quel est le coupable ? DOMITIUS. Un grec, un étranger,Que même ici tantôt vous daignez protéger,Et pourquoi de Vesta, votre sainte imprudence Ainsi que pour les siens, implorait l'assistance.Quoi ! Vous en frémissez ? Votre pieux courrouxPar des signes certains éclate malgré vous ;Cette colère est juste. AUGUSTA, à part. Où fuir ?... Ah ! Malheureuse ! DOMITIUS. D'un sectaire puni l'erreur contagieuse Depuis l'attique bord s'est glissé en ces lieux.Socrate, dont la mort a satisfait les dieux,A laissé, par malheur, des disciples impies,Qui répandent partout leurs nouveautés flétries.Agathocle, en un mot accueilli dans nos murs, Y verse le poison par les détours obscurs.Le Sénat, informé de tant de hardiesse,Veut prévenir du Ciel la fureur vengeresse ;Et l'on a mis aux fers ce hardi novateur.Avant la fin du jour, tout son sang... AUGUSTA. Ah ! Seigneur ! De ce jeune étranger je condamne l'offense ;Mais l'erreur de son âge est souvent l'imprudence ;Quoi, Seigneur, du Sénat les décrets hasardés,Pourraient-ils ?... DOMITIUS. Songez-vous que vous le défendez,Madame ? AUGUSTA. Moi, Seigneur !... Une pitié permise... Fait parler Augusta... Croyez vous... DOMITIUS. Ma surpriseSerait grande en effet de vous voir protéger.Au mépris de nos Dieux, un coupable étranger.Je pense bien plutôt, qu'en ce temple propice.Vos hymnes béniront la céleste justice, Si le Ciel est vengé. AUGUSTA. Je frémis !... Ô douleurs ! DOMITIUS. Vous pâlissez, Madame, et vous versez des pleurs !Ciel ! AUGUSTA. Un coupable à peine échappé de l'enfance,Peut exciter, Seigneur, les dieux à la clémence. DOMITIUS. La clémence !... La mort ! AUGUSTA, d'une voix involontaire. Dieux puissants. DOMITIUS. Mais enfin Quel trouble si pressant agite votre sein ?Madame, qu'avez-vous ? Quelle pitié coupableVous intéresse ainsi pour un grec misérable ?Que peut importer sa honte et son trépas ? AUGUSTA. Seigneur... Augusta étend ses mains vers Domitius avec gradation jusqu'à vouloir tomber à genoux. Domitius la repousse. DOMITIUS. Eh bien ? AUGUSTA. Seigneur, ah ! Ne le perdez pas ! Domitius repousse Augusta sur un fauteuil ménagé derrière elle. DOMITIUS, avec l'indignation la plus marquée. Il est donc révélé cet odieux mystère !Femme artificieuse ! Objet de ma colère !Vous en éprouverez les terribles effets.Hé ! Quoi ! C'est donc ainsi, qu'entassant les forfaits Pour mieux nous les cacher, votre habile prudence De tant de pitié sait montrer l'apparence ?Voilà ces voeux si purs ; voilà cette Augusta,Que ses premiers serments enchaînent à Vesta !Et qui veut expirer avant de les enfreindre !Perfide ! AUGUSTA. Mon malheur est de ne savoir feindre. DOMITIUS. Non, non, vous avez cru m'en imposer assez ;À lire dans les coeurs mes yeux sont exercés.Je suis amant haï, mais rival redoutable.De votre amour obscur cet objet méprisable,Je l'ai cherché, trouvé, j'ai vu : qu'avec effroi Agathocle envisage un rival tel que moi ! AUGUSTA. Que parlez-vous, Seigneur, de rival ? DOMITIUS. Quoi, Madame ?Prétendez-vous encore me déguiser votre âme ?Et que faut-il de plus pour prouver hautementQu'Agathocle triomphe, et qu'il est votre amant ? AUGUSTA. Mon amant ! Lui ! Grands Dieux ! DOMITIUS. Eh bien ? À l'artificeNe faut-il pas encor que je m'assujettisse ?En effet, vos frayeurs m'ont instruit assez mal ;Et, sans doute, il est vrai qu'il n'est pas mon rival :Démentez-moi ! Vos soins dans Rome le protègent ; En ce temple ses pas et ses yeux vous assiègent ;Vous vous troublez, Madame, à son nom seulement,Vous défendez ses jours, il vous semble innocent,Enfin de ses périls votre âme s'épouvante,Vos regards, vos discours décèlent une amante ; Et ce n'est pas ce traître encore que vous aimez ? AUGUSTA, avec le dépit du sentiment. Oui : je l'aime, barbare, oui, les Dieux désarmésBaisseront leurs regards sur un noeud légitime ;Et ce n'est pas à toi de nous en faire un crime. DOMITIUS, furieux. Ah ! Qu'entends-je ! Ainsi vous me bravez... Frémissez des tourments qui lui sont réservés.Adieu. Il veut sortir. AUGUSTA. Ciel ! Arrêtez, arrêtez : la colèreN'est pas le digne prix qu'on doit à ma misère :Ah ! Plaignez-moi plutôt que de menacer ;Vous ne savez pas tout... DOMITIUS. Eh ! Que puis-je penser ? À ce comble d'audace, à tant de perfidieQu'ajoutera de plus une femme hardie ?Toutefois, je le sens, mon esprit indignéNe saurait s'affranchir d'une amour dédaigné.Que dis-je ? Un tel effort est hors de ma puissance. J'aime plus que jamais, j'aime avec violence.Eh bien, parlez, ingrate, achevez vos aveux ;J'écoute ; parlez-moi, j'y consens ; je le veux. Eh bien ? AUGUSTA. Pénible effort ! Dieux ! DOMITIUS. Achevez. AUGUSTA. De grâce ;Au nom de vos parents, par vos pieds que j'embrasse, Ne vous courroucez point... daignez me protéger. DOMITIUS. Plus de détours, parlez : Frémissez du dangers...Taisons-nous de nos Dieux j'aperçois le grand prêtre.Rassurez-vous, Madame. SCÈNE IV. LEs précédents, Maxime. MAXIME. Il est temps de paraître,Seigneur ; et Jupiter, dont j'encense l'autel, Ne peut-il s'indigner d'un retard criminel ?Redoutons son courroux, et respectons sa gloire.Pour juger Agathocle accourons au prétoire.Ce Ciel est attentif à ce sont important ;Sur la place assemblé, le peuple nous attend. DOMITIUS. Maxime, envers les Dieux mon respect est extrême,Pour venger dignement leur majesté suprêmeJe connais mon devoir aussi bien que mes droits,Il m'est doux cependant que votre auguste voix,Que vos soins paternels encore me le rappellent. À Augusta.Madame, ces devoirs et les Romains m'appellent. En faveur de l'État j'ai réclamé vos voeux :Allez vous acquitter de cet emploi pieux ;Et croyez cependant qu'on Consul équitableSe montrer a clément ou bien inexorable, Suivant que les replis du coeurs qu'il veut sonderPourront avec le sien bien du mal s'accorder.Priez Vesta sans crainte, et cette auguste mèreVerra, n'en doutez point, nos soupirs sans colère. AUGUSTA, en tremblant. Seigneur, un étranger, sans sa calamité, Peut obtenir des Dieux un regard de bonté :Le Ciel ne punit pas toujours lorsqu'on l'offense ;Et je ne mets qu'en lui toute mon espérance. Elle sort. SCÈNE V. Domitus, Maxime. MAXIME. Sage Domitius, vos salutaires mainsDes efforts d'un impie ont sauvé les Romains. Nos autels vont fumer ; d'éclatants sacrificesVont demander aux Dieux le prix de vos services ;Nous bénirons ce bras qui confond les pervers ;Et notre juste encens remplira l'univers. DOMITIUS. Exultez moins, de grâce, un devoir nécessaire ; Ce que j'ai fait, Maxime, un Consul doit le faire,Sans trahir de l'État les soins religieux,Aurais-je pu souffrir qu'on offensât les Dieux ?Pour remplir jusqu'au bout de devoir respectable,Que ne me vois-je seul pour juger le coupable ! MAXIME. Quoi, Seigneur, vos souhaits ? DOMITIUS. Oui, Pontife, le Ciel,Le Ciel ici demande un arrêt solennel ;Mais l'état a des lois dont l'issue infidèleRépondra mal, je pense, à notre juste zèle.Entre les mains du peuple est le glaive vengeur. Que fera sa pitié ? Que pourra sa lenteur ?Qu'attendre pour vos droits ces bruyants comices ?Leur faiblesse en tous temps dirigea leurs caprices.Un étranger timide et simple en ces douleurs,Touchant par sa jeunesse autant que par ses pleurs, Sur des esprits léger, et qu'un tel charme attire,Pourra prendre, sans peine, un dangereux empireLe peuple mollira dans la punition,Sa stupide vertu c'est la compassion. MAXIME. Je pense comme vous, Seigneur ; mais le justice Permet tout pour conduire un impie au supplice.Et quoi donc! Pour détruire et le culte et nos moeurs,Armés d'un vain savoir, de subtils corrupteursDans ces remparts sacrés viendront de l'IonieApporter le poison de leur philosophie, Et de leur visions, qu'ils nomment vérité,Versent dans les esprits la funeste clarté ?Non, Seigneur, traçons-nous des routes moins douteuses,Et laissons l'oeuvre entière à vos mains dangereuses.Soyez juge, vous seul. DOMITIUS. Moi, Maxime : Nos lois Dans Rome au peuple seul ont réservé ces droits. MAXIME, avec chaleur. À qui sert bien les Dieux aisément tout succède,À vos généreux soins je vais prêter mon aide.Vous seul pouvez ici remplir un saint devoir :Mon rang, mon nom, ma vois ne sont pas sans pouvoir : Aux romaines tribus je cours me faire entendre ;Dire qui nous outrage qui vient nous défendre ;Et croyez m'en, Seigneur, le plus digne à leurs yeux,Vous fixerez leur choix, et vengerez les Dieux. ACTE III Le théâtre représente la salle du prétoire ; Domitius est seul assis sur la chaise curule un peu au dessus de l'avant scène, sur le côté de l'acteur. Les censeurs sont debout à droite, les tribuns à sa gauche. Maxime arrondit le cercle vers le milieu de la scène. Une nombreuse foule de peuple se tient derrière ces principaux personnages et remplit la salle. SCÈNE PREMIÈRE. Domitus, Maxime, Censeurs, Tribuns, Peuple. DOMITIUS. Le cri des citoyens, je ne sais à quel titre, Du sort d'un malheureux m'a fait le seul arbitreJe n'ai point recherché ce dangereux honneur,Mais je sais le devoir qu'il impose à mon coeur :Romains, c'est un mortel qui va juger un homme.Sur ma foi, cependant, des intérêts de Rome Vous auriez pu sans crainte assez vous reposer ;Nos que trop d'orgueil on puisse m'accuser,Non que je veuille ici blâmer votre prudenceQui vous rend les témoins d'une juste défense ;D'un tel droit votre coeur est justement jaloux. Le coupable bientôt paraîtra devant vous.Vous l'avez ordonné : même intérêt m'anime.Partagez mon devoir : et vous aussi, Maxime.Si ma voix à la mort ne le peut arracher,Rome n'aura du moins rien à me reprocher. SCÈNE II. Les précédents, Agathocle enchaîné, Licteurs. DOMITIUS. Étranger criminel, que le Ciel va confondre,Rome vous interroge et vous pouvez répondre.On dit que de nos Dieux dangereux détracteurs,Parmi nos citoyens vous répandez l'erreur,Et qu'envers les autels vos indignes blasphèmes Aux céleste courroux nous exposent nous-même.Quel coupable projet vous fait agir ainsi ?Et né parmi les Grecs que faites-vous ici ? AGATHOCLE. Il est vrai que le sort, des rives de l'Attique,A dirigé mes pas vers cette République. Athènes a fait périr mon maître vertueux ;Plein d'un juste horreur, j'ai fui ses murs affreux :Assuré que le Ciel, propice à l'infortune,Offre à tous les humains une terre commune,J'ai choisi des romains l'hospice fraternel, Et j'ai cru le pouvoir, sans être criminel. MAXIME, interrompant vivement. Ingrat ! Et le prix d'un généreux hospice,Vous outragez des dieux le bonté protectrice ;Et, parmi nos foyers qui vous servent de port,Lâche perturbateur.... AGATHOCLE, avec modération. Modérez ce transport, Je ne suis point ingrat ; ce reproche est injuste.Du haut du tribunal la loi, toujours auguste,Condamne le coupable et de n'outrage pas.L'insulte est plus amère encore que le trépas.Je me justifiais ; pourquoi ferme ma bouche ? Un juge parle-t-il avec ce ton farouche ?Je puis être innocent daignez donc m'écouter,Et peser ma défense, au lieu de m'insulter. DOMITIUS. Rendez grâce aux Romains de qui l'âme tranquilleTémoigne pour votre âge une pitié facile. Répondez humblement ; et sachez que ma voixVa prononcer sur vous dans le rigueur des lois.À son courroux souvent Rome impose silence ;Mais après tant d'audace il n'est plus de clémence. AGATHOCLE. Je n'en demande point ; et toujours plus altier ? Je ne descendrais pas à me justifier,Si la secrète voix, qui me presse et me crie,Ne m'ordonnait, Seigneur, de défendre ma vie.Errant, persécuté, sans patrie et sans biens, Mes jours sont chers encore à ceux dont je les tiens : Ce qui, pour ma vertu, deviendrait une injure,Est un devoir sacré qu'impose la nature ;Je me défendrai donc, non pas avec fierté,Mais avec la candeur de la simplicité.Romains, dans vos remparts j'ai choisi mon asile ; Sur la publique foi je m'y croyais tranquille ;Me punisse le Ciel si mon coeur à jamaisDe l'hospitalité méconnu les bienfaits.Réunis avec moi par l'attrait du même âge,Quelque jeunes Romains, dont j'ai le témoignage, Touchés de mes regrets, de ces pleurs éternels,Versés sur le trépas du plus sain des mortels,Souvent, m'ont demandé d'une vois importune,Le douloureux récit d'une excès d'infortune ;Moi, qui, dans mes malheurs et dans leur souvenir, Trouve, peut-être, encore un reste de plaisir,Je le ai satisfaits ; et, gloire en soit à Rome !Leurs pleurs ont honoré les les mânes d'un grand homme !C'est trop peu de peindre à leurs sens éperdusLe trépas de Socrate, et j'ai dit ses vertus. « Pleurez leur ai-je dis, innocente jeunesse,Pleurez mon digne maître et sa sainte vieillesse :Âme pure et tranquille en sa simplicité ;Sa vertu fut sans faste et sans austérité :Riche, en dépit du sort, d'une heureuse ignorance. Bien mieux que les savants il prêchait l'innocence ;Et haï des pervers , ne se montra jamaisQu'insensible à l'outrage et sensible aux bienfaits.Tel était ce mortel, que la vois de l'oracleNomma de la vertu la gloire et le miracle, Mes amis, à ces mots, par des cris généreuxMe pressent d'achever ce tableau douloureux.Hélas ! disais-je alors, cette vertu célesteD'un glorieux trépas fut le cause funeste :Des prêtres orgueilleux, de pieux forcenés Se montrèrent bientôt contre lui enchaînés,Et, de trois cents vieillards corrompant la justice,Parvinrent à traîner la sagesse au supplice. » MAXIME. Qu'attendez-vous, Seigneur ? DOMITIUS, se levant. C'en est assez ; je voisÀ quel point la rigueur il faut suivre les lois, Vous connaissez, Romains, le mal que je déplore.Le souverain pouvoir dont votre choix m'honorePour le bien de l'État va servir aujourd'hui.Allez ; mais cependant, je veux, seul avec lui. Montrant Agathocle.Des progrès de l'erreur cherchant la certitude, Délivrer Rome et moi de toute inquiétude,Et détruire un poison en ces murs apporté. Le peuple sort.Vous, Licteurs, laissez-nous en pleine liberté. Les licteurs sortent. Tout le monde sort. SCÈNE III. Domitius, Agathocle. Domitius, après que tout le monde est sorti, remonte le théâtre pour voir si personne ne peut entendre. Tout à cou prenant une marche différente, il vient prendre Agathocle par la main avec rapidité et le ramenant jusqu'au bord de la scène, il lui parle avec chaleur. DOMITIUS. Changeons de discours : viens, réponds-moi téméraire !Au temple de Vesta, parle que vas-tu faire ? Réponds, réponds te dis-je ? AGATHOCLE, troublé. Au temple de Vesta ?... DOMITIUS. Oui, traître, et de quels soins l'infidèle Augusta... AGATHOCLE, à part. Secourez-nous, grand Dieu ! DOMITIUS. Ton trouble te décèle :Mais je sais de vos coeurs l'union criminelle.Tout m'est connu. AGATHOCLE. Seigneur, j'embrasse vos genoux. Ah ! Que votre pitié succède à ce courroux. DOMITIUS. La pitié !... La mort, traître ; attends de ma haine.Frémis, rival obscur, du noeud qui vous enchaîne.D'où te vient cette audace, étranger malheureux,D'offrir à la vestale et ton coeur et tes voeux ? De près le châtiment suivra ton insolence. AGATHOCLE. Seigneur, qu'avez vous dit ? DOMITIUS. Redoute ma vengeance !Toi, l'amant d'Augusta ! Toi, posséder un jourCet objet de tes feux et de tout mon amour ?Allons, que le trépas me délivre... AGATHOCLE. Ha ! De grâce, Consul, écoutez-moi : hé ! Quelle insigne audacePour noircir les bienfaits par la pitié versésEstimez Augusta, Seigneur ! ReconnaissezLe venin du mensonge, ou celui de l'envieDans les affreux soupçons répandus sur sur sa vie, Seigneur, je le répète, une juste pitiéM'a donné dans son coeur les droits de l'amitié :Les transports, les désirs d'une coupable flammeN'ont jamais profané ni son nom, ni son âme.Ô crime, exterminez, moteur de l'univers, De la sainte vertu l'accusateur pervers. DOMITIUS. Et tu crois m'abuser par ce noble langage ?Non, non, perfide. Attends les effets de ma rage.Licteurs, qu'on le conduire... SCÈNE IV. Les précédents, Augusta. AUGUSTA, voulant aller à son fils. Un moment, écoutez... DOMITIUS, s'interposant entre Augusta et Agathocle. Prêtresse de Vesta, les Dieux sont irrités, Et je le suis comme eux. À Augusta.Vous pleurerez sans doute :À votre âme aujourd'hui, je sais ce qu'il en coûte ;Mais laissez le coupable obéir à nos lois,Et s'éloigner de vous pour la dernière fois. AUGUSTA. Pour la dernière fois ! AGATHOCLE, l'interrompant. Augusta... mon supplice En ce moment fatal est un doux sacrifice :Il n'est à mes malheurs d'autre fin que la mort.Ah ! Que l'infortuné la reçoit sans effort !Eh ! Laissez moi mourir : hé ! Que ferais-je au monde ?Qu'y traîner dans l'ennui ma misère profonde ? Mes jours ne me sont rien ; s'ils étaient protégés,D'autres plus chers, peut-être, en seraient abrégés :Qui me consoleraient dans ma douleur amère ?Je n'ai plus de patrie... et surtout point de mère...Point de mère... Les pleurs obscurcissent mes yeux... Ô douleur !... Je chancelle... Aux Licteurs.Ôtez-moi de ces lieux !... Les licteurs l'environnent et le soutiennent. Il sort. AUGUSTA. Je me meurs... Elle tombe sur la chaise où était assis précédemment Domitius. DOMITIUS. Qu'on l'entraîne. SCÈNE V. Domitius, Augusta. DOMITIUS. Infidèle prêtresse,Il n'est plus temps enfin d'abuser ma tendresse.Vous voyez en un mot vos détours superflus,Et sur vos sentiments mes doutes résolus. Mais l'amant, qui peut tout,ne perd pas l'espérance :Le destin d'Agathocle entre mes mains balance ;Le peuple, le Sénat, avec les Dieux d'accord,Laissent en mon pouvoir et sa vie et sa mort.Un seul mot : il n'est plus : ma honte est effacée. De ce terrible arrêt frappez votre pensée.Si dans vos premiers feux vous persistez toujours.Pleurez sur votre amant, c'en est fait de ses jours ;Mais oubliez ce traître et couronnez ma flamme,Agathocle vivra : je le jure, Madame. Oui, dès qu'un doux hymen nous aura réunis,Il est libre, il peur fuir mes regards ennemis.Il lui suffit enfin, malgré ma jalousie,D'être chéri de vous pour obtenir la vie.Choisissez maintenant : ma bouche a prononcé, Et de tant de dédains mon amour est lassé. AUGUSTA. Vous me parlez d'amour ! Est-ce à moi, malheureuse,D'en vouloir éprouver l'atteinte dangereuse ?Qu'à des soins plus cruels, qu'à de plus tendres noeudsLe Ciel a destiné mon âme et tous ses voeux ! Aux amoureux soupirs, au plaisir d'être aiméeDepuis longtemps, Seigneur, cette âme s'est fermée ;Et si vous connaissiez et mon sort et mes maux,Que vous seriez bien loin de craindre des rivaux. DOMITIUS. Quoi ! Je n'en aurais point ? Je ne puis vous comprendre. Vous pleurez : avez-vous des secrets à m'apprendre ?Vous pouvez sans péril, les livrer à ma foi.Vous n'aurez point d'ami plus généreux que moi. AUGUSTA. Dix fois prête à parler, de douleur oppressée,J'ai senti les refus de ma langue glacée : Et ce fatal secret, qui nourrit ma terreur,Toujours avec la crainte st rentré dans mon coeur. DOMITIUS. Dix fois prête à parler, de douleur oppressée,J'ai senti les refus de ma langue glacée:Et ce fatal secret, qui nourrit ma terreur, Toujours avec la crainte est rentré dans mon coeur. DOMITIUS. Juste Ciel qu'est-ce donc ? Je l'avouerai, Madame, J'ai soupçonné tantôt cet état de votre âme :Vos pénibles discours, un peu moins de mépris,D'une lueur d'espoir ont flatté mes esprits ; J'ai cru voir la fierté céder à ma colère :Mais presqu'au même instant ce trait Repoussant loin de moi les utiles secours,Je n'ai vu qu'un rival, ma bonté et vos amours.Je vous rends de nouveau toute ma confiance, Parlez, je vous croirai. Puisse mon espéranceDans vos épanchâmes enfin se confirmer,Et, sans plus m'avilir, me permettre d'aimer. AUGUSTA. Hélas ! DOMITIUS. Vous hésitez ?... Un coeur faut et perfideSait emprunter souvent un langage timide. AUGUSTA. Hé bien, vous saurez tout je cède à ma douleur :Mais n'imaginez pas jouir de mon malheur ;N'en espérez jamais un coupable avantage.Allez, après cela, faire éclater l'orage ;Je dépose,Seigneur, ma vie entre vos mains ; Dénoncez mes forfaits et ma honte aux Romains.Vous en êtes le maître une âme sans reproches.D'un injuste trépas ne craint point les approches.Tel est mon Agathocle, et sur sa fermetéJe verrai sans effroi mon supplice apprêté. Le Ciel le veut, allons : mais du moins je l'atteste,Je mourrai sans souiller la vertu qui me reste.Écoutez-moi ; ce Grec, ce prétendu rival,Qui de vous, pour mourir, n'attend plus qu'un signal,C'est mon fils. DOMITIUS. Votre fils ! Quoi ! Serait-il possible ? AUGUSTA. Ah ! Croyez-en les pleurs d'une mère sensible.Avant qu'un noeud sacré m'enchaînât à l'autel,D'un hymen clandestin c'est le fruit criminel,Que pour mon désespoir me donna la nature.Je vous en tracerai la funeste aventure : Et comment à mon coeur vous êtes-vous mépris ?Aime-t-on son amant comme j'aime mon fils ? DOMITIUS, après une pause. L'espérance me luit et flatte ma tendresse. AUGUSTA. Eh quoi ! Seigneur, encor. DOMITIUS. Rassurez-vous, Prêtresse.Laissez prendre à l'espoir la place des regrets : Mon sein n'en doutez point, sait garder des secrets:Et le vôtre est voilé d'une scrupuleux mystère.Pardonnez à l'amour les frayeurs d'une mère.Goûtez auprès d'un fils des sentiments plus doux :Mais d'un événement que je crois, que j'admire, Cependant, avant tout, vous pourrez mieux m'instruire.Allez trouver ce fils, que vous comptiez perdu :D'un bienfait aussi cher vous présumez la suite ;Vous savez mes désirs, et quel noeud je médite ;Ce n'est pas un refus que j'espère éprouver : Madame, pensez-y : je vous laissez y rêver. Il sort. SCÈNE VI. AUGUSTA, seule. Ah ! J'ai cru repousser la mort et la vengeance,Mais le vice inflexible ignore la clémence.Ma confiance au moins ne reste pas sans prix.Je te rends grâce, ô Ciel ! Je puis revoir mon fils. ACTE IV Le théâtre représente une prison. Agathocle n'est plus enchaîné. SCÈNE I. AGATHOCLE, seul. Qu'ai-je vu ? Qu'ai-je appris ? Quoi ! Ce lâche imposteurM'imputait hardiment le crime de son coeur ?Il ose aimer ma mère : et dans sa perfidie,Avec le fer des lois persécuter ma vie.Et, si, de nos secrets perçant l'obscurité, Il apprenait enfin... grâce, Dieu de bonté !Détourne ses regards de ce fatal mystère :L'opprobre va tomber sur le front de ma mère, Ce n'est qu'à ce prix seul que ce coupable amantSacrifierait ses Dieux et son ressentiment. Mon Dieu, sauve Augusta, redouble ma souffrance,Ma bouche, en expirant, bénira ta clémence.Compense par ce bien le jour que j'ai reçu !Pardonne ! Tu le sais je n'ai que trop vécu. SCÈNE II. Agathocle, Augusta. AGATHOCLE. C'est vous !... Je vous revois... Ô grand Dieu que j'adore ! Tu me rend au moins de l'embrasser encore.Vous, ma mère en ces lieux ! Eh quelle chère main. Il l'embrasse.De ces voûtes de mort vous ouvre le chemin ?Du farouche consul qui suspend la colère?Il n'a point à vos pas opposé de barrière ? Vous pleurez !... AUGUSTA, après s'être jetée dans les bras de son fils, s'en arrache, et cachant sa tête dans ses mains, va s'asseoir sur un banc de pierre et pleure à chaudes larmes. Ah ! AGATHOCLE. Ma mère, apaisez ces sanglots ;Ils me percent le coeur. Dans ces affreux cachotsMon courage... AUGUSTA. Ô mon fils ! Innocente victime !Mon fils, pardonne-moi ta naissance et mon crime. AGATHOCLE. Ô Ciel! Que dites vous ? Non, ne rougissez point Des dons de la nature et du noeud qui nous joint,Plus je souffre de maux, et plus vous m'êtes chère ;Je ne choisirais pas au monde une autre mère.Mais ne redoutez plus l'instant de mon trépas ;Des fureurs du Consul ne me défendez pas. Il me croit votre amant, et ses soupçons coupables Vont dissiper au moins vos dangers véritables,Ne pleurez point sur moi : je suis trop fortunéDe vous sauver le jour que vous m'avez donné. AUGUSTA. Domitius sait tout, mon fils ;et ma tendresse, Ce sentiment sacré, n'a plus rien qui le blesse. AGATHOCLE. Qu'entends-je ! Vos secrets lui sont tous révélés ? AUGUSTA. Je n'ai pu résister à mes sens désolés. AGATHOCLE. Dieu, dieu ! Qu'avez-vous fait ? Quel excès d'imprudence ! AUGUSTA. En défendant l'honneur, j'ai prouvé l'innocence. AGATHOCLE. Craignez Domitius. AUGUSTA. Je saurai le braver. AGATHOCLE. Il peut vous perdre... ô ciel ! AUGUSTA. J'ai voulu te sauver. AGATHOCLE. Me sauver ? Et comment ? SCÈNE III. Augusta, Agathocle, Domitius. Les acteurs sont rangés dans cette scène suivant leur position à commencer par la droite de l'acteur. DOMITIUS. C'est un fils, une mèreQue je viens, trou brûlant d'amour ou de colère,Prêt à les séparer, prêt à les réunir, Pour la dernière fois supplier ou punir. À Augusta.Sentiment, passion, désir, brûlante flamme,Tous les traits dont l'amour peut déchirer une âmeMon coeur les resserrent tous ; et, soit que de ce coeurNul objet comme vous n'eut excité l'ardeur, Ou soit que vos refus, irritant ma tendresse,À son dernier accès en ait porté l'ivresse,Des feux, jusqu'à présent à mon âme inconnus,Vous tiennent asservis tous mes sens éperdus.Laissez, laissez parler, plus tendre et moins rebelle Pour un fils si chéri, la pitié maternelle,Notre hymen va l'absoudre ; il meurt par vos refus.Oui, je le jure, il meurt... Je ne me connais plus ;Mon coeur est entraîné, mon coeur est indomptable ; D'endurer vos mépris je le sens incapable. Fléchissez... ou tremblez d'être, en bravant mes feux,D'un moment de fureur victimes tous les deux. AGATHOCLE, avec fermeté. Eh ! Que peut ce moment amener de funeste,Qu'Augusta ne préfère au noeud qu'elle déteste ?Eh, quoi ! Domitius ! Pour sauver de la mort Des jours que je perdrai sans peine et sans remord,Vous voulez qu'à jamais, coupable et malheureuse.La prêtresse s'impose une chaîne honteuse.L'honneur tient-il de ma vie au-dessus de ses lois ? DOMITIUS, avec une modération contrainte qui fait place peu à peu à la colère. Eh bien, ces deux partis demeurent à son choix. J'attends sa volonté ; répondez-moi, Madame.Voulez-vous couronner ou rebuter ma flamme ?Il ne me faut qu'un mot. Un seul mot fait ma loi.Dites ; qui croirez vous ou d'un fils ou de moi ?Augusta, songez-y c'est sa mort qu'il annonce... Vous vous taisez ? J'entends... ce silence prononce.Allons ; sans plus attendre, il faut vous contenter. Il veut sortir. AUGUSTA, effrayée courant à Domitius. Seigneur... AGATHOCLE, arrêtant sa mère. Que faite vous ? DOMITIUS, indigné à Agathocle. Eh ! Pourquoi l'arrêter ?Téméraire, tremblez ; réprimez tant d'audace ;Vous n'êtes pas le seul que mon pouvoir menace ; Je connais le pouvoir et les lois de Vesta...Et peut être la mort n'est pas loin d'Augusta. AUGUSTA. Livrez, Seigneur, livrez à ce péril extrêmeDes jours empoisonnés proscrits par le Ciel même :Dans le tombeau fatal j'irai m'ensevelir ; Mais qu'a fait Agathocle, et pourquoi le punir ?De vos feux, il est vrai, j'ose écarte l'hommage :Il ne me convient pas d'en demander un gage ;Mais si le sentiment qui vous tient sous ses loisDe la douce pitié peut réveiller la voix, Écoutez-en, Seigneur, le généreux murmure,Pour étouffer l'amour et servir la nature.Sauvez un malheureux sauvez un fils chéri ;N'enviez plus un coeur que les coeurs ont flétri ;Ce coeur infortuné, que la douleur consume, Vous serait un présent trop rempli d'amertume.Dans ce coeur malheureux, pour pour attacher un prixDans le monde il n'est plus que les Dieux et mon fils.Ah ! J'atteste les Dieux ! Que si leur loi sacrée,[Note : Numa Pompilius : un des sept rois de Rome.]De Rome et de Numa si la loi révérée, D'un opprobre éternel ne couvrait de tels noeuds,En dépit de moi-même asservie à vos voeux,D'un époux adoré profanant la mémoire,Je vous immolerais mon repos et ma gloire.Je suis coupable assez. N'exigez pas, cruel, Que d'un crime nouveau je souille encor l'autel. DOMITIUS, avec tout la violence d'un amour concentré. Cessez, cessez vos pleurs et vos cruelles plaintes.Vous portez à mon coeur de nouvelles atteintes.Mon amour s'en augmente, et je viens d'éprouverQue de vous désormais je ne puis me priver. Non, non, ne pensez pas qu'il puisse vous suffireDe quelques pleurs adroits afin de ma séduire.Deux ans sont écoulés depuis que cet amourPour un attrait plus fort s'augmente chaque jour.L'éteindre, y renoncer, c'est m'arracher la vie. Vous qui me haïssez, ce fils qui me défie,De quel droit osez-vous exiger des mes feuxEt d'une âme indignée un sacrifice affreux ?Avez-vous plaint mon coeur ? Ménagé ma colère ?Après tout, suis-je aimé pour ainsi vous complaire ? Non, cruels, mon dépit n'a rien à ménager,Et tremblez des malheurs où je puis vous plongerJe ne le cache point, ma brûlante colère. Avec violence.Immolera le fils... Immolera la mère ;Vous périrez tous deux... À Augusta.Mais avant d'expirer, Vous vous repentirez de me désespérer.Je vous rendrai témoin de mon seul supplice,Et vous ferai frémir d'en être la complice. AUGUSTA, vivement et avec dépit. Eh bien, monstre ! Assouvis ta lâche passion ;Ton âme inaccessible à la compassion, Ne respire en effet que le crime et la honte.Il n'est point de remord que son feu ne surmonte ;Eh bien, sois satisfait... Tu seras mon époux...Ô puissances du Ciel ! Faut-il qu'un nom si doux... N'importe... Je me livre à ta flamme barbare ; Je suis ta proie : allons que ta main s'en empare.Conduis-moi vers l'autel où la honte m'attend...Mon coeur, rassure-toi tu sauves l'innocent. AGATHOCLE, à Augusta, vivement. Me sauver à ce prix !... À ce lâche hyménée,Ma mère, je pourrais vous voir abandonnée ! Ah ! Je jour me fut-il cent fois plus précieux,Je ne l'achète point à ce prix odieux.Croyez-en mes serments ; je jure par mon âme,Ce rayon émané d'une immortelle flamme,Qu'au supplice à l'instant on me verra courir, Ou bien qu'à son défaut ce bras va me servir,S'il devient votre époux. Oui, Consul, la tendresseSe prouve par l'honneur et non par la bassesse. AUGUSTA, à Agathocle. Ô Ciel ! De tous côtés un danger me poursuit,De mon malheur au moins laisse-moi quelque fruit, Mon fils, tu veux aussi désespérer ta mère.Laisse-moi m'immoler et combler ma misère ;Au prix de mon honneur ton sans est racheté.Ah ! Ne déchire par le sein qui t'a porté.Fuis ces horribles lieux : laisse une criminelle épuiser de Vesta la vengeance cruelle ;Ne me refuse point. À genoux.Je t'en pris à genoux.Vois ma crainte, mes pleurs... AGATHOCLE, avec une noble indignation. Ah ! Dieu, rassurez-vous.L'honneur parle, ma mère ; et contre un tel orage,Au lieu de ces regrets, opposons le courage. Craignez qu'en vos douleurs votre coeur abattuNe descende au tombeau comptable à la vertu,Vous voulez que je vive au pris de l'infamie ?...Songez-vous au fardeau d'une honteuse vie ?Chaque fois qu'à mes yeux le soleil de retour Rendrait par ses rayons la lumière du jour,Il faudrait donc me dire ; « au fond de quelque abîmeVa cacher, vil mortel, ta lâcheté, ton crime !Livrée à ses remords, ta mère, en ces momentsReçoit de son hymen les justes châtiments. Le mépris la poursuit, l'opprobre l'environne,Et jusqu'au vil esclave au loin tout l'abandonne ;Honneur, gloire, vertu, légitimes amours,Elle a tout oublié pour conserver tes jours,Et toi, tu l'as souffert ! Disciple de Socrate, Envers ta mère et lui ton âme fut ingrate,Et le prix de ta vie est l'éternel affrontEt le long déshonneur imprimé sur son front,Qui n'a jamais rougi que du jour qui t'éclaire... »Non, non, encore un coup, n'y comptez pas ma mère. Fidèles à l'honneur, par un commun effort ;Préférons à sa perte une sublime mort ;Il est après après la vie une palme éclatanteQui couronne à jamais la vertu triomphante. DOMITIUS. Insensé ! Quelle erreur ! AGATHOCLE, avec la plus grande chaleur. Et toi, Barbare, et toi, Qui lui veux engager et ta main et ta foi,Est-ce de ton amour une marque bien grande,Que le choix odieux que ta bouche commande.Si tu l'aimes, cruel, s'il se peut enfinQu'un reste de pitié repose dans ton sein, Sois touché de ses maux ! Sans bouger de sa place, Augusta témoigne ici par ses gestes les degrés de peine et de supplication, tels qu'Agathocle les exprime et les détaille. Cette situation me paraît neuve.Vois cette mère tendre,Vois ses mains vers ton coeur s'élever et s'étendre.Laisse-toi donc fléchir à ce dernier effort...Elle tombe à tes pieds... DOMITIUS, après avec hésité un moment. Rien, rien. L'hymen, la mort ;Choisissez. AUGUSTA, se relevant avec une fierté mêlée de colère. Eh bien donc ; oui ; je m'y livre. Pour me garder à vous il est affreux de vivre ;De la tombe où je vais descendre sans regrets.Allez, homme cruel, disposer les apprêts.Vous osiez vous vantez de m'aimer ! Vous, barbare !Tisiphone en fureur, des antres de Ténare, A secoué sur toi ses flambeaux dévorants ; Elle abreuva ton coeur du fiel de ses serpents.Ne parle point d'amour ; ton âme criminelleN'en recela jamais la plus faible étincelle.Mourons, mon fils. DOMITIUS, furieux. Eh bien, le sort en est jeté... Périssez donc tous deux. Avec impunitéVous pouvez m'outrager. Mon amour, ma démence,Nous ont tous deux remplis de trop de confiance ;Soyez désabusés : une secrète horreurGlacé déjà mon sang : frémissez de terreur : Loin de moi, plus d'amour, j'en éteindrai le reste...Je l'éteins. Il n'est plus ; c'est fait ; je vous déteste,Adieux, Licteurs ! SCÈNE IV. Les précédents, Pallante, Licteurs. AUGUSTA, voulant embrasser son fils. Mon fils ! Au moins que dans tes bras... DOMITIUS, s'interposant et les séparant. Non, perfide ! Vos coeurs ne s'assembleront pas.Licteurs, séparez-les ; entraînez ce coupable. AUGUSTA. Que je meure avec lui... Consul impitoyable !Je vais tout dévoiler... Elle veut sortir. DOMITIUS, lui barrant le passage, aux licteurs, montrant Agathocle. Qu'au prétoire soudainIl aille de ma bouche attendre son destin.Nous verrons si la mort n'a rien qui l'épouvante. Au chef des licteurs, en montrant Augusta.Qu'on la garde ici même. AGATHOCLE, qu'une partie des licteurs entraîne. Adieu. AUGUSTA. Je cours. Le chef des licteurs s'oppose à son passage.Pallante, Osez-vous arrêter la fille de Vesta ? À Domitius, Augusta est ici désespérée.Oses-tu, scélérat, que Mégère enfanta ?Licteurs ! Malheur à vous, si vos mains sacrilègesViolent de Vesta les divins privilège !...Esclaves, fléchissez !... Les licteurs sont effrayés. DOMITIUS, d'un ton intrépide et furieux. Qu'on suive mes arrêts. Qu'elle ne sorte pas. Respectez mes décrets.À ma suprême voix que votre frayeur cesse ;Au nom de Rome enfin, qu'on garde la Prêtresse. Les licteurs qui sont restés avec leur chef. Pallante entourent Augusta et l'emmènent du côté droit de l'acteur. Domitius sort furieux du côté opposé qui est l'entrée ordinaire de la prison. ACTE V Le théâtre représente le roc tarpéïen dont l'éminence n'est que de quelques pieds au dessus du niveau du théâtre avec lequel elle se joint par une pente. Derrière la roc on voit à peine les éminences des principaux édifices de la ville de Rome, comme pour faire sentir la hauteur du rocher et la profondeur du précipice. L'éminence du roc n'occupe que la moitié du fond, l'autre moitié laissant ce roc isolé fait mieux découvrir le fille. Du c^poté de l'acteur est une porte qui forme l'entrée de la place du Capitole ; de l'autre est la façade du temple de Jupiter Capitolin. SCÈNE PREMIÈRE. Maxime, Peuple, Censeurs. MAXIME. D'une indigne pitié votre coeur est rempli,Romains ; abandonnez à la mort, à l'oubli Un coupable étranger que Jupiter condamne ;Étouffez devant lui cette pitié profane :Vous demandez sa vie ? Et vous ne craignez pasLa colère du Ciel qu'apaise dont trépas ?C'est trop s'intéresser aux malheurs d'un impie. L'arrêt est prononcé ; la loi le sacrifie ;Laissez donc échapper le glaive suspendu.Et qu'un murmure vain ne soit plus entendu.Le Ciel a dans nos murs reçu plus d'une offense ;Et l'État a besoin de toutes sa clémence. Un crime encor nouveau menace nos remparts,Le Consul indigné le cache à mes regards ;Par son ordre au prétoire Augusta détenueÀ l'instant, citoyens, vient de frapper ma vue,J'en frémis ! Quel forfait peut donc l'y retenir ? Bientôt Domitius viendra m'en éclaircir. J'ai pressé cependant son zèle et sa justice,Et d'Agathocle enfin s'apprête le supplice.Pour punir son audace et son impiété,Que du roc tarpéïen il soit précipité ; Tandis que dans ce temple, où Jupiter préside,Les filles de Vaste, d'une bouche timide,Adressent à ce dieu des voeux sacrés et purs ;Usage Antique et saint consacré dans nos purs. SCÈNE II. Agathocle, Maxime, Licteurs. AGATHOCLE. Je vais donc à la mort ! Puisse Rome en sa gloire, Ô Peuple ! De vos soins conserver la mémoire !Si vous savez un jour quels furent mes malheurs,Au sort d'un innocent vous donnerez des pleurs. MAXIME. Son repentir l'accuse, et son coeur plus modesteDéplore maintenant son audace funeste. AGATHOCLE. Vous vous trompez, Pontife, et devant moi du moinsDe votre politique interrompez les soinsN'abusez pas le peuple, en feignant de l'instruireL'impie est l'imposteur qui cherche à le séduire.Mais comme vos arrêts n'ont pu m'intimider, Comme je puis sans honte encore me regarder,Que mon coeur satisfait n'est souillé d'aucun crime.En la sacrifiant, respectez la victimeLaissez les citoyens juger de ma vertu,Et ne m'imputez pas un remords prétendu. MAXIME. Coupable audacieux, quel est donc ce délire ?Quel est ?... AGATHOCLE. Je vais mourir ; ma mort doit vous suffire.Laissez-moi donc en paix à mon dernier soupir. Il s'approche du roc.Voici le précipice où je vais m'engloutir...Ô toi, de tous les grecs reconnu le plus sage, Nous aurons succombé tous deux au même orage.Ô mon maître, du sein de la félicité,Contemple ton disciple et vois sa fermeté. Avec une chaleur affectueuse.Ô Dieu de l'Univers, de ta gloire immortelleÉcoute ; À genoux.Et sois propice à ma voix qui t'appelle Après moi sur la terre un objet précieuxVa demeurer sa proie aux traits d'un furieux.J'y laisse sous ton aile une mère affligée ;De ton bras tout puissant qu'elle soit protégée !Sauve-la du coupable, et par des jours de paix Console la nature et calme ses regrets. Ils se relève avec enthousiasme.Enfin je touche au terme où je dois me connaître.Allons mon âme, allons, reprendre un nouvel être.Voici, voici, l'instant... SCÈNE III. Les précédents, Fulvie, Vestales. FULVIE, sortant du temple de Jupiter à la tête des Vestales. Malheureux ! Arrêtez !Je l'ordonne... Romains, votre Pontife, écoutez. Numa, Rome, les lois, la céleste clémence,Donnant à la vestale une auguste puissance.Par elle, citoyens, je puis sans attentatAnéantir l'arrêt du peuple et du SénatEn ce jour, à l'instant, et la mort et la vie N'ont d'arbitre que nous, s'il est vrai que FulvieSon projet concerté vienne implorer la loi.Un serment solennel doit garantir ma foi.Je jure, par les Dieux, qu'un hasard secourable,A seul conduit mes pas sur les pas du coupable. CE hasard à mon rang donne le droit sacréDe sauver un proscrit à ses bourreaux livré ;Je réclame ce droit, et Vesta protectriceVeut qu'à ma seule voix ici Rome obéisse.Étranger imprudent, rendez grâces aux cieux, Soyez libre, vivez ; j'en rendrai compte aux Dieux. MAXIME. Obéissons aux Dieux. SCÈNE DERNIÈRE. Les précédents, Augusta, tout en désordre. FULVIE, courant précipitamment avec Augusta. Ô Auguste mère !Tendez à ce jeune homme une main salutaire.Je viens de la sauver, il respire, il vivra. AUGUSTA, avec un excès de délire et d'étonnement. Soutiens-moi, je me meure ! FULVIE. Hélas ! S'il s'égara, Le Ciel a pris pitié de sa faible jeunesse ;Mon aspect imprévu... AUGUSTA, après avoir regardé successivement Agathocle de Fulvie. Généreuse Prêtresse !Vesta, qui vous approuve, a montré dans ce jourCe que les Romains elle garde d'amour,Citoyens, sans Vesta qui toujours vous protège, Ici Domitius était seul sacrilège. MAXIME. Augusta, pouvez-vous ?... AUGUSTA, avec foce. Grand prêtre, et vous, RomainsJ'échappe, en frémissant, à ses barbares mains.Apprenez tout. Brûlé d'une coupable flamme,Il m'osa dévoiler le secret de son âme ; Il voulait m'asservir à ses feu corrompus.Ni ma juste fierté,ni mes fermes refusN'arrêtèrent le cours de son audace impie.De jour en jour enfin,sa bouche plus hardieMenaçait, offensait la Vestale et les Dieux. Indignée aujourd'hui d'un projet furieux,Je m'arrache à sa garde en cours au capitole ;Je viens trouver mes soeurs et le peuple ; il y vole,Tour brûlant de fureur, ce génie infernal[Note : Le Mont Quirinal est une des sept collines de Rome.]Me poursuit et m'atteint près du Mont Quirinal. L'insolent me saisit. « Victime de ma haine,Perfide, (m'a-t-il dit,) ta fierté sera vaine.Tu ne publieras point mon crime et tes rigueurs,Tu mourras. » Mais l'aspect de ses lâches fureursL'aspect d'une Vestale à ce point profanée, Excite les rumeurs de la foule indignée ;Mes plaintes, mes efforts, tant d'outrage, mes cris,D'une fureur soudaine enflamment les esprits.Le peuple, en frémissant, l'étend sur la poussière,Arrache de son corps la pourpre consulaire, Le massacre ; et bientôt sous mes pas chancelants,J'aperçois dispersés tous ses membres sanglants. MAXIME. Détournez vos regards, ô Dieux ! De tant de crimes ! AUGUSTA. Maxime, un Dieu vengeur sait choisir ses victimes.Apportons-lui nos voeux et nos fronts abattus. Fléchissons Jupiter à force de vertus.Et toi, jeune étranger, à qui le ciel pardonne,Je protège tes jours que Vesta te redonne ;Mais quitte ces climats. AGATHOCLE. Ô ciel ! AUGUSTA. Et te souviens,Qu'un excès de vertu n'est pas toujours un bien. Laissez aux immortels, en pleine confiance,Le soin trop dangereux d'établir leur puissance.Vous êtes leur ouvrage ; ils ont borné vos droitsÀ pratiquer le bien, et respecter les lois. ==================================================