******************************************************** DC.Title = MIRAME, TRAGI-COMÉDIE. DC.Author = DESMARETS de SAINT-SORLIN, Louis DC.Creator = FIEVRE, Paul DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Subject = Tragi-comédie DC.Subject.Classification = 842 DC.Description = Edition du texte cité en titre DC.Publisher = FIEVRE, Paul DC.Contributor = DC.Date.Issued content = DC.Date.Created = DC.Date.Modified = Version du texte du 12/12/2020 à 09:20:15. DC.Coverage = Turquie DC.Type = text DC.Format = text/txt DC.Identifier = http://www.theatre-classique.fr/pages/documents/DESMAREST_MIRAME.xml DC.Source = https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k70885t DC.Source.cote = DC.Language scheme = UTF-8 content=fr DC.Rights = Théâtre Classique, (creative commons CC BY-NC-ND) *************************************************************** MIRAME TRAGÉDIE DU CARDINAL DE RICHELIEU. M DC XXXIX. Avec Privilège du Roi. Par le Sr Desmarets de St Sorlin. Représenté pour la première fois au Palais Cardinal le 14 janvier 1641. Sire, Bien que l'usage des triomphes publics semble âtre aboli par toute la terre, la France a maintenant un lieu où l'espère que votre Majesté triomphera souvent, par les vers et par les beaux spectacles que votre grand Ministre y fera faire pour célébrer vos conquêtes. Mirame que je présente avec respect à votre majesté, n'a servi que d'un essai avant que d'y chanter louanges, et si mon travail a été suivi de quelques heureux succès en un sujet inventé, elle jugera, s'il lui plaît, de ce que je pourrai faire ne parlant de ses exploits véritables. Déjà les Ballets que l'on a vus depuis sa représentation, n'ont eu pour sujet que les victoires de votre Majesté, et tous leurs écrits n'ont parlé que des merveilles de sa vie. Mais j'ose lui dire encore que je prépare un ouvrage sur le sujet des la Justice de ses armes, et de la modération d'un si grand Roi dans ses glorieux succès, qui avec l'aide de la renommée de votre Majesté, volera comme j'espère par tout le monde. Je lui demande seulement un regard favorable, pour être animé dans une si belle entreprise, et pour me faire concevoir des pensées qui ne soient pas indignes de la grandeur de son nom, ni du voeu que j'ai fait d'être jusques au dernier soupir, SIRE, De votre Majesté, Le très humble et très obéissant et très fidèle serviteur et sujet, DESMARETS. PERSONNAGES. LE ROI. MIRAME, Princesse de Bithynie. ALMIRE, Princesse confidente de Mirame. ALCINE, Suivante de Mirame ARIMANT, Prince favori du roi de Colchos. AZAMOR, Roi de Phrygie. ACASTE, Connétable de Bithynie. ADRASTE, Prince sujet du Roi de Bithynie. ANTENOR, Capitaine de la côte. LE GRAND PRÉVOT. L'AMBASSADEUR DU ROI DE COLCHOS. SOLDAT. La scène est dans le jardin du Palais Royal d'Héraclée, regardant sur la mer. ACTE I SCÈNE PREMIÈRE. Le Roi, Acaste. LE ROI. Vous à qui j'ai commis mes secrets et mes armes,Acaste, si mes yeux répandent tant de larmes,Je n'ai point de regret que ce soit devant vous :Mais sachez que ce sont des larmes de courroux.Vous me croyez le Roi le plus heureux du monde ; Vous me voyez vainqueur sur la terre et sur l'onde ;Et d'un léger effort j'espère surmonterCelui dont l'insolence ose nous irriter.Les projets d'Arimant s'en iront en fumée :Je méprise l'effet d'une si grande armée : Mais j'en crains bien la cause, et ne puis sans effroiPenser qu'elle me touche et qu'elle vient de moi.En effet, c'est mon sang, c'est lui que je redoute. ACASTE. Quoi ? Sire ! Votre sang ! LE ROI. Oui, mon sang ; mais écoute :Je m'expliquerai mieux ; c'est mon sang le plus beau. Celle qui vous paraît un céleste flambeau,Est un flambeau fatal à toute ma famille,Et peut-être à l'État ; en un mot, c'est ma fille.Son coeur qui s'abandonne aux feux d'un étranger,En l'attirant ici m'attire le danger. Cependant que partout je me montre invincible,Elle se laisse vaincre. ACASTE. Ah, Dieux ! Est-il possible ? LE ROI. Acaste, il est trop vrai, par différents effortsOn sape mon État et dedans et dehors ;On corrompt mes sujets, on conspire ma perte, Tantôt couvertement, tantôt à force ouverte; ACASTE. Grand roi, que dites-vous ? LE ROI. Mirame a suscitéLe mal où je me vois par sa seule beauté.Celui de qui l'orgueil déjà se la destine,Qui de tant de vaisseaux couvre la mer Euxine, Arimant, favori du prince de Colchos,Troublé de son amour, vient troubler mon repos ;Et pour y parvenir sans le faire connaître,Il veut se prévaloir des forces de son maître ; .Il veut avoir ma fille, il la veut, ou périr. N'osant la demander, il la veut conquérir.Ne la méritant pas, ce jeune téméraireVeut se faire agréer par le mal qu'il peut faire.Encore me pourrais-je aisément consoler,Si sans plaire à ma fille on le voyait brûler. Mais le mal qui me tue est de voir que MirameÀ cet amour indigne abandonne son âme :Qu'elle cherche sa honte, en cherchant à le voir,Et contre mon désir, et contre son devoir.Déjà par ses souhaits il obtient la victoire, Il nous bat, il nous dompte. ACASTE. Ah ! Je ne le puis croire.Sire, le pensez-vous ? LE ROI. Quoi! ne savez-vous pasQue pour tenir en paix Colchos et mes États,Arimant vint ici ? Que par son entremiseAu fils de son seigneur ma fille fut promise ? Qu'en même temps le prince ayant perdu le jour,Arimant demeura quelques mois dans ma Cour,Et sut de telle adresse ensorceler Mirame,Qu'en la place du prince il se mit dans son âme.Depuis il n'a cessé de troubler mon repos : Pour commencer sa trame, il fit que sans proposLe roi de Galatie attaqua cet Empire.Mais la honte suivant ce que l'orgueil inspire,Arbas son lieutenant fut par moi surmonté,Et perdit la bataille avec la liberté. Arimant pour l'avoir en vain usa de ruse.Des armes de son roi maintenant il abuse.:Il veut l'avoir par force, il menace nos ports,Et pense nous réduire à craindre ses efforts.Mais quand je le rendrais oubliant cette injure, Arbas de son amour n'est que la couverture.L'amour de la princesse est son unique objet.D'un grand roi mon égal se voyant né sujet,Et voyant sa fortune au dessous de la mienne,Il veut en m'abaissant m'égaler à la sienne ; Et ma fille y consent, approuve son amour,Et trahit lâchement ceux qui l'ont mise au jour.Ce dessein sans raison fait qu'elle est insensiblePour le roi de Phrygie, Azamor l'invincible,Qui durant sa recherche a souvent par son bras Des efforts étrangers préserve mes États.Elle fuit son bonheur à soi-même inhumaine,Pour suivre indignement une espérance vaine. ACASTE. Sire, selon mon sens, Mirame n'aime rien.Elle méprise tout. LE ROI. Votre sens est le mien. Mépriser Azamor avec une couronne,Mépriser les conseils que son père lui donne,Son devoir et soi-même, est bien assurémentFaire mépris de tout sans aucun jugement.Mais si de ces mépris Arimant est la cause, L'ingrate en son mépris prise bien peu de chose.Cependant l'orgueilleux, enflé de son pouvoir,Tient sa flotte à la rade, et demande à me voir.Bien qu'il parle de paix, ce n'est qu'une finesse,Pour trouver un moyen de revoir la princesse. Mais de mon ennemi je déteste l'abord.Qu'il vous parle, il suffit : qu'on le reçoive au port.Il faudra lui donner quelque prince en otage.Allez, remarquez bien son geste et son langage.Toutefois attendez ; je veux premièrement De ma fille en ce lieu sonder le sentiment.Faites-moi la venir ; tandis, cette verdurePeut-être trompera les ennuis que j'endure.Combien, cruel amour, mets-tu dans les espritsDe désirs imprudents et d'injustes mépris ? Passion misérable, aveugle, téméraire,Et capable d'armer l'enfant contre le père.L'honneur et le devoir par toi sont terrassés,Et par toi des États ont été renversés.Mais vous, ô beaux jardins de ma chère Héraclée, Qui repoussez du pied l'orgueil de l'onde enflée,D'où l'on voit à même heure et des fleurs et des flots,L'horreur et le plaisir, le trouble et le repos ;Que me présagez-vous, ou la paix, ou la guerre ?Qui verra nos combats, ou la mer, ou la terre ? Mais Dieux ! La puis-je voir ? Calmons-nous toutefois.Savoir dissimuler, est le savoir des Rois. SCÈNE II. Le Roi, Mirame, Almire, Acaste, Alcine. LE ROI. Ma fille, un doute ici tient mon âme en balance.Le superbe Arimant plein de vaine espérance,Demande à me parler, et prétend de vous voir. Sous un espoir de paix, dois-je le recevoir ? MIRAME. S'il veut faire la paix, sa venue est ma joie.Si vous la concluez, je veux bien qu'il me voie.Mais s'il rompt avec vous, on pourrait m'obligerAussitôt à mourir qu'à voir cet étranger. Quoi ! Mirame verrait l'ennemi de son père ?À ce nom seulement je brûle de colère.Verrais-je sans dépit, verrais-je sans horreurCelui de qui l'orgueil couve tant de fureur ? LE ROI. Si du roi de Colchos il avait l'héritage ? MIRAME. S'il vous hait, il aura ma haine pour partage. LE ROI. Bien qu'il soit né sujet, il a de hauts desseins. MIRAME. S'il agit contre vous, il faut les rendre vains. LE ROI. Il prétend avoir Mars et l'Amour favorables. MIRAME. Ceux qui prétendent trop sont souvent misérables. LE ROI. Il se vante d'avoir quelque bonheur secret. MIRAME. Un amour bien traité devrait être discret. LE ROI. Il dit qu'il est aimé d'une fort belle dame. MIRAME. Ce n'est donc pas de moi dont il captive l'âme. LE ROI. Pourquoi rougissez-vous, s'il n'est point votre amant ? MIRAME. Vous me voyez rougir de courroux seulement. SCÈNE III. Adraste, Le Roi, Mirame, Almire, Acaste, Alcine. ADRASTE. Sire, ce prince heureux que la Phrygie adore,Ce vaillant Azamor vient vous revoir encore.J'en viens donner avis à votre majesté. LE ROI. Courage sans pareil ! Généreuse bonté ! L'un court pour me sauver, l'autre vient pour me nuire.Mon voisin me défend, mon sang me veut détruire.Mais Dieux ! que ferons-nous pour ce prince étranger,Qui pense à nous servir, au lieu de se venger ?Qui souffre vos mépris avec tant de constance, Et qui n'est retenu que pour notre défense ? MIRAME. Du prince de Colchos le sort précipitéAvec lui sous la terre a mon coeur emporté.Azamor est vaillant, je lui suis redevable :Je reconnais assez que ce prince est aimable : Mais ce que j'aime est mort : on ne me peut blâmerD'aimer ce que vos lois m'ont commandé d'aimer. LE ROI. Aimez donc Azamor, puisque je vous l'ordonne. MIRAME. Mais, qui n'a plus de coeur ne peut aimer personne. LE ROI. Même vous n'aimez plus ce qui vous mit au jour. MIRAME. J'ai beaucoup d'amitié, mais je n'ai plus d'amour. LE ROI. L'humeur d'aimer un mort se changera peut-être. MIRAME. Mon humeur peut changer, si le mort peut renaître. LE ROI. Ainsi donc de vos jours passera le flambeau ? MIRAME. Ainsi le veut le Ciel qui l'a mis au tombeau. LE ROI. Mais je crains quelque feu caché sous cette cendre. MIRAME. Mon coeur n'a point de feu, je sais bien l'en défendre. LE ROI. Acaste, que dis-tu d'un esprit si rusé,Qui sait cacher le feu dont il est embrasé ?La colère m'emporte. ACASTE. Ah ! Vous êtes son père, Sa raison reviendra, parlez-lui sans colère. LE ROI. Ma fille, au nom des dieux, pensez à votre honneur. MIRAME. Je n'ai jamais vécu sans l'avoir dans le coeur. LE ROI. L'honneur n'est point honneur, s'il ne se fait paraître. MIRAME. Il paraîtra toujours et mon guide et mon maître. LE ROI. Peut-il vous dispenser des choses que je veux ? MIRAME. Je vous l'ai déjà dit, je suis vos premiers voeux. LE ROI. Mes voeux vous ont portée à l'amour de Télame :Mais il n'est plus vivant. MIRAME. Il vit dedans mon âme. LE ROI. Un autre y vit encor, ce qui me fait mourir. MIRAME. Pour guérir vos soupçons, c'est moi qui dois périr. LE ROI. C'est trop de préférer la mort aux lois d'un père. MIRAME. Est-ce trop, que mourir plutôt que lui déplaire. LE ROI. Mais voici ce héros ; ah ! Courons l'embrasser :Cet excès de bonté ne se peut surpasser. SCÈNE IV. Azamor, Le Roi, Mirame, Almire, Acaste, Alcine. AZAMOR. Grand Prince, sur le bruit de la flotte ColchiqueQui pour vous attaquer couvre la mer Pontique,Bien que je sois du sang du prince de Colchos,Mon bras encore un coup s'offre à votre repos. LE ROI. Si je ne reconnais une amitié si rare, J'ai l'âme d'un ingrat ou plutôt d'un barbare.Vous me traitez en père ; et j'atteste les CieuxQue plus que mes enfants vous m'êtes précieux.Mais quelle récompense à ce courage insigne ? AZAMOR. J'en vois une trop belle, et dont je suis indigne. LE ROI. Pour les morts seulement, Mirame a de l'amour. AZAMOR. Donc pour être aimé d'elle, il faut perdre le jour. LE ROI. Enfin, de cette humeur le temps se rendra maître,Ma fille, ce secours se doit bien reconnaître.Nous ne saurions périr ayant un tel soutien. MIRAME. Je n'attendais pas moins d'un coeur comme le sien. AZAMOR. Un coeur comme le mien est un coeur tout de flamme,Qui possédant l'honneur de brûler pour Mirame,Prétend pour tout emploi la servir en vivant,Et pour dernier bonheur mourir en la servant. Mais d'où vient sur vos bras cette nouvelle guerre ? LE ROI. L'orgueilleux Arimant en veut à cette terre,Et je puis en deux mots vous dire ses desseins.Il veut que je remette Arbas entre ses mains.Il commande, il menace, et rempli d'insolence, Il croit nous effrayer du bruit de sa puissance :Puis il m'offre la paix, il demande à me voir.Nous consultons ici si je le dois vouloir.Mirame en son avis paraît un peu cruelle ;Et ne le veut point voir. AZAMOR. Nous le verrons pour elle. S'il ne vous satisfait, lors ce bras indomptéFera le châtiment de sa témérité. LE ROI. Acaste, afin qu'un jour, si l'on résout la guerre,J'en sois justifié devant toute la terre,Vous-même allez savoir ce qu'il veut proposer. Qu'Adraste soit otage ; allons nous reposer. SCÈNE V. Mirame, Almire, Alcine. MIRAME. Alcine, laisse-nous. ALCINE. Il voulait vous surprendre :Mais votre esprit adroit a bien su s'en défendre. MIRAME. J'ai dit par un discours véritable et menteur,Ce que dit ma raison, non ce que dit mon coeur. Je tremble, chère Almire, aux propos de mon père.Qui font voir ses soupçons et sa juste colère.Je me sens criminelle, aimant un étrangerQui met pour mon amour cet État en danger. ALCINE. Mais, qui ne l'aimerait ? MIRAME. Il n'est que trop aimable : Mais mon coeur pour l'aimer n'en est pas moins blâmable.Je me sens animer d'une imprudente ardeur,Contre mon sang armée, et contre ma grandeur.Au bien de mon pays je préfère ma flamme :Mais quel est ton espoir, misérable Mirame, Et quel est ton amour, qui fait que tu trahisTon honneur, ton repos, ton père et ton pays ?Quel bonheur, malheureuse, oseras-tu prétendre,Quand tu verras ton père et ton pays en cendre ?Sors de mon âme, sors, amour infortuné, Qui fais perdre le jour à qui me l'a donné,Et vois dedans mon coeur tes flammes étouffées,Toi qui veux sur sa tombe élever tes trophées.Ou même si mon coeur ne saurait sans mourir,Perdre ton feu fatal dont il ne peut guérir ; S'il ne peut t'étouffer sans s'étouffer lui-même,Je consens à ma mort, je l'ordonne, je l'aime.J'aime mieux immoler et ma flamme et mon coeur,Que conserver ma vie en perdant mon honneur.Ma mort conservera mon père et sa couronne. . Mais perdrai-je Arimant ? La raison me l'ordonne,C'est sous le nom d'amant un ennemi couvert.Le perdant, je ne perds que celui qui me perd.Hélas ! Quand par les yeux je fus ensorcelée,C'est lorsque ma raison devait être appelée : Quand l'aimable Arimant me parlAit en ces lieux,De la voix pour son prince, et pour lui par les yeux :J'écoutais de sa voix la trompeuse entremise,Cependant que ses yeux captivaient ma franchise.Mon amour s'attachant à ce visible objet, Je crus aimer le maître, et j'aimai le sujet.Serais-je maintenant de tourments agitée,Si dès-lors ma raison eût été consultée ?Mais le prince étant mort, qui couvrait mon erreur,Mon amour découvert est devenu fureur ; Et malgré ma raison, me fait être perfide,Funeste à ma patrie, ingrate, et parricide.Arimant se glissa dans mon coeur innocent.Mon feu caché s'accrut et se rendit puissant.Je ne pus le connaître au point de sa naissance, Et ne pus le dompter quand j'en eus connaissance. ALMIRE. Vos désirs sont trop beaux pour les faire mourir. MIRAME. Bien souvent, mais en vain, j'ai taché d'en guérir.Amour, maître inhumain des esprits qu'il anime,Rend mon coeur criminel jusqu'à chérir son crime ; Et par un traitement et cruel et nouveau,Étant cause du crime, il en est le bourreau. ALMIRE. Vous montrez que votre âme est pleine d'innocence,Faisant passer pour crime une légère offense.Ma princesse, laissez ces termes trop cruels. Ni l'amour, ni l'amant ne sont point criminels.Le seul but de vous voir est le but de sa gloire ;Soit qu'il fasse la paix, soit qu'il ait la victoire.C'est là tout son dessein. MIRAME. Quel crime, si je voisCelui qui fait la guerre à mon père, à mon roi ! ALMIRE. Mais ne savez-vous pas que sa puissante arméeEst de vos volontés seulement animée ? MIRAME. Qu'elle aille donc ailleurs. ALMIRE. Voyez votre pouvoir.Il met les armes bas, demandant à vous voir.Mais n'espérez jamais la paix dans cet Empire, Si vous ne consentez au bonheur qu'il désire. MIRAME. Le puis-je voir sans honte ? Ah bons dieux ! Je frémisDe voir que mon amour le rend notre ennemi :De le voir triompher de ma gloire ternie :Que son feu le brûlant brûle la Bithynie. Je frémis de me voir réduite à ce tourment,Qu'il faille abandonner mon père ou mon amant ?Mon esprit chancelant se trouve à la torture,Et sent combattre en lui l'amour et la nature,Je frémis quand je songe au trouble où je me vois, Que me plaindre de lui, c'est me plaindre de moi.Il a lieu de penser que j'aime son audace ;Et qu'il me plaît encore, alors qu'il nous menace.Enfin quel sentiment triomphera de moi ?Suis-je sans naturel, où serai-je sans foi ? ALMIRE. Mais quoi ? Vous le verrez. MIRAME. Comment le voir, Almire ? ALMIRE. Vous le verrez de nuit. MIRAME. Ah ! Que plutôt j'expire.Je ne le puis. ALMIRE. Pourquoi ? Dedans l'obscuritéIl peut vous venir voir avec facilité.Il en a le désir, l'adresse et le courage. Il sait l'état des lieux dès son premier voyage.Puis le brave Antenor est votre confident :C'est un homme discret, courageux et prudent ;Et de toute la côte étant le capitaine,Il peut dans ces jardins vous l'amener sans peine ; Puis le remettre en mer. MIRAME. Voudrait-il s'engager,Étant plein de prudence, en un si grand danger ? ALMIRE. J'ai su l'y disposer. MIRAME. Qu'avez-vous fait ? ALMIRE. J'estimeQue j'obtiendrai bientôt le pardon de mon crime. MIRAME. Ah ! Rompons ce dessein. ALMIRE. Le rompre ? Il est trop beau. MIRAME. Venir en pleine nuit sans suite et sans flambeauTrouver un étranger dont on veut être aimée ?C'est pour gagner un coeur, perdre sa renommée :C'est éteindre le feu qu'on désire allumer ;Et se faire haïr, croyant se faire aimer. ALMIRE. On sait votre sagesse, et puis on pourra croireQue vous traitez la paix, et que c'est votre gloire :L'État comme l'amour vous oblige à le voir. MIRAME. Que pour servir l'État je manque à mon devoir , ALMIRE. Craignez-vous les témoins durant une nuit sombre ? Les voiles de la nuit cachent tout de leur ombre. MIRAME. Je serais vue au moins de ceux qui sont aux Cieux. ALMIRE. Mais Amour qui le veut est le maître des Dieux. MIRAME. Ah ! Ne m'en parle plus, ton espoir est frivole. ALMIRE. Pourtant de votre part, j'en ai donné parole. L'honneur comme l'amour vous force à la tenir ;Et sur cette parole Arimant doit venir. MIRAME. Ah ! Que me dites vous ? ALMIRE. Il faut être hardie ;Et suivre ses desseins, quelque chose qu'on die. MIRAME. Hélas ! Vous me perdez contre ma volonté. ALMIRE. Vous verrez Arimant ; vous l'avez souhaité :Vous désirez la paix : vos discours et vos charmesAuront tant de pouvoir qu'il posera les armes. MIRAME. Le Ciel le veuille ainsi ! ALMIRE. J'en oserais jurer. MIRAME. Je veux donc bien le voir : il se faut retirer. ACTE II SCÈNE PREMIÈRE. Le Roi, Acaste, Azamor. LE ROI. Enfin il veut la guerre ! ACASTE. Avec un téméraire,Avec un arrogant quel accord peut-on faire ?Arimant sans raison, sans m'avoir entendu,Sans remise voulait qu'Arbas lui fût rendu.Je n'ai pu divertir l'effort de son armée, Et sa folle entreprise était déjà formée.J'ai fait pour l'adoucir d'inutiles efforts.Il a levé la voile, il menace nos ports,Le vent le favorise, et sa flotte qui vole,Déjà comme je pense, attaque Diospole. Pour dompter cet orgueil je m'y fusse arrêté ;Mais l'amiral jaloux de son autorité,Et le brave Eurilas qui commande à la ville,Se trouvant assez forts me jugeaient inutile. LE ROI. Voyez cet insolent, admirez son dessein, AZAMOR. Laissez-le moi punir. LE ROI. Il mourra de ma main.Oui, ce bras châtiera sa témérité folle.Nous sommes en ce lieu si près de Diospole,Que je puis en personne être présent partout. AZAMOR. Le Roi contre Arimant ? J'en viendrai bien à bout. ACASTE. Quittez, Sire, quittez, cette funeste envie,C'est à nous à combattre, et gardez votre vie.C'est à vous seulement à nous donner des lois. LE ROI. L'honneur seul est la vie et le salut des rois. ACASTE. La sagesse est leur gloire, et souvent l'imprudence Les prive en un instant des fruits de leur vaillance. . LE ROI. Si j'ai les cheveux blancs, j'ai le coeur vigoureux.Plus un prince est hardi, plus on le voit heureux.Le ciel à ma valeur se montrera propice. ACASTE. C'est dans l'extrémité qu'il faut qu'un prince agisse, Un prince comme vous au retour de ses jours.Si le roi de Colchos arrive à leur secours,Lors vous pourrez agir : s'il combat en personne,On verra roi pour roi, couronne pour couronne ;Mais Arimant pour vous n'est pas un digne objet. Laissez-le moi dompter, sujet contre sujet.Si l'amour d'Azamor ne poussait son courage,Il devrait comme vous éviter cet orage. LE ROI. Je suivrai mon dessein, adieu, n'en parlons plus :Je me sens, et je suis encor ce que je fus. SCÈNE II. Azamor, Acaste. AZAMOR. Acaste allons combattre : ah ! Que tout m'est contraireC'est pour servir Mirame, et je ne puis lui plaire.J'y vais avec ardeur, mais j'y vais sans plaisir,Puisque c'est une ardeur contraire à son désir.Mon secours lui déplaît : le pouvoir de ses charmes En même temps aiguise et rebouche mes armes.Je cherche à la servir, et je vois dans ses yeuxQu'en tout ce que je fais je lui suis odieux. ACASTE. Pourquoi le pensez-vous ? AZAMOR. Sa haine est trop visible.Mais, mon coeur, essayons de vaincre l'insensible. Devant ses yeux divins je puis en même jourFaire voir mon courage et mon ardent amour.Je serai trop heureux si le ciel me destineÀ surmonter tous ceux qui cherchent sa ruine,Et si le coup fatal qui m'en rendra vainqueur Me fait en même temps triompher de son coeur.Mais si ce téméraire est dedans son estime,Pourrai-je l'attaquer ? ACASTE. Serait-ce donc un crimeDe vaincre un furieux contre elle-même armé ? AZAMOR. S'ii est vrai qu'il l'adore, et qu'il en soit aimé, Il lui blessa le coeur, et lui fit une injure :Si je la veux servir faut-il que je l'endure ?Ce serait lâcheté ; non, il faut la venger Du coup qu'elle a reçu de ce prince étranger.Surmontons ce rival qui fait toute ma peine ; Et bien que la venger soit encourir sa haine,Faisons ce que l'honneur exige d'un amant.Oui, je la veux servir contre son sentiment ;Et puisqu'à sa grandeur son désir est rebelle,Il faut aller combattre et contre elle et pour elle, Et je veux que son coeur brûlant et glorieux,Blâme et loue aujourd'hui mon bras victorieux, ACASTE. La gloire suit toujours l'amour et le courage. AZAMOR. C'est au coeur que le coeur rend volontiers hommage.Je servirai l'État, et son père et son roi ; Peut-elle puis après s'animer contre moi ?En ce cas m'en venger, c'est prendre sa querelle.Oui, c'est venger Mirame, et non me venger d'elle.Allons, la nuit nous chasse, et Mars dès le matinFera voir de nos jours quel sera le destin. SCÈNE III. Mirame, Almire. MIRAME. La peur me fait mourir, chère Almire, je tremble :Je souhaite le voir, et le crains tout ensemble.Je veux et ne veux pas le bien que je prétends ;Et c'est l'unique bien toutefois que j'attends.Mon âme en cet espoir et contente et honteuse, Se trouve en même-temps heureuse et malheureuse.Je brûle et je frissonne, et j'aurai ce bonheurTrop tard pour mon désir, trop tôt pour mon honneur,Amour à nos plaisirs aime à mêler les crimes,Et donne plus d'ardeur aux feux illégitimes. La guerre est résolue, et par un attentatDans l'État je reçois l'ennemi de l'État ;Même dans le palais, et de plus dans mon âme.Faut-il que je nourrisse une perfide flamme ?Mais quoi ? Tous ces remords naissent hors de saison ; Et c'est pour une amante avoir trop de raison.Contre tous ces pensers, d'autres plus doux me flattent,Et je sens qu'en mon coeur mes désirs les combattent,Plutôt. ALMIRE. J'entends du bruit, Princesse, les voici. MIRAME. Est-ce lui ? ALMIRE. Je le vois. MIRAME. J'ai le coeur tout transi. SCÈNE IV. Arimant, Mirame, Almire, Antenor. ARIMANT. Mon astre dans la nuit éclaire en ce bocage.Hé Dieux ! En cet abord que j'ai peu de courage !Est-ce vous, ô beauté, Reine de mes désirs ? ALMIRE. Quoi ? Tous vos entretiens se passent en soupirs ? ARIMANT. Adorable beauté, je sens mon âme atteinte De transports, de respect, de désir, et de crainte.Vous causez mon silence ; et lorsque je vous voisPour être tout en vous, je suis tout hors de moi.Devant l'aimable objet des beautés que j'admire,Ayant trop à penser je ne sais que vous dire. Suppléez, ma Princesse, au défaut de ma voix.Vous êtes dans mon coeur, vous y donnez des lois :La peine que j'y sens vous est assez connue.Ma pensée à vos yeux s'y montre toute nue.Ou si vous ne pouvez y voir mon sentiment, Souffrez que devant vous je l'ouvre hardiment ;Et que l'ayant ouvert je vous y fasse lireCe que dans mon transport je ne saurais vous dire. MIRAME. Levez-vous, Arimant. ARIMANT. Souffrez-moi. MIRAME. Je ne puis. ARIMANT. Je vous adore mieux en l'état où je suis. Ainsi que mon amour, mon respect me l'ordonne. MIRAME. Quoi, Prince, voulez-vous que je vous abandonne ?Voulez-vous me déplaire et ne m'obéir pas ? ARIMANT. Admirable Princesse, ah ! Plutôt le trépas.Donc je vous obéis. MIRAME. Quelle cause soudaine, Avec tant de vaisseaux à nos bords vous amène ? ARIMANT. C'est pour vous apporter en triomphe mon coeur.Pour faire que du Roi mon amour soit vainqueur.Vous avoir de son gré, sinon à force ouverte.Enfin je viens chercher mon bonheur ou ma perte. Ou mourir à vos yeux, ou bien vous enlever,Si la force d'amour vous porte à l'approuver. MIRAME. Prince, vous m'obligez et m'offensez ensemble.Je veux bien votre coeur, et qu'hymen nous assemble,Quoique tout l'univers puisse penser de moi : Mais m'enlever par force à mon père, à mon Roi,C'est chose injurieuse à mon père, à moi-même.Mon coeur aime l'honneur, tout autant qu'il vous aime. ARIMANT. Encore que des rois soient auteurs de mon sang,Tout mon espoir s'éteint, pensant à votre rang. Mais par mon seul amour mon espoir ressuscite :Car l'excès en amour fait l'excès du mérite.Un père ne veux pas que je sois votre époux :Mais Amour qui le veut est le père de tous.La violence est propre au dieu qui nous anime ; Et porte en même temps l'excuse avec le crime.Ses feux sentis de tous, sont de tous approuvés ;Dans un fleuve de biens ses crimes sont lavés. MIRAME. Mon coeur vous suit par-tout, esclave volontaire ;Et me vouloir ravir, c'est me vouloir déplaire. ARIMANT. Dieux ! Que ferai-je donc en l'état où je suis ?Mourrai-je loin de vous, outré de mille ennuis ?Par la force d'amour, ni par celle des armes,Ne puis-je malheureux, conquérir tant de charmes ?Mirame avec le Roi s'oppose à mes amours. L'un refuse sa fille, et l'autre son secours.Consentez pour le moins que je porte la guerreÀ cette bienheureuse et malheureuse terre ;Heureuse de porter un miracle parfait,Mais qui se doit sentir du refus qu'on me fait. Mes armes ne feront qu'augmenter votre gloire.Car si dans vos États j'acquiers une victoire,Je remets à vos pieds ma conquête à genoux ;Et le roi trop heureux la reprendra de vous.Et vous rendrez par moi, quand je serai le maître, Et le bien et l'honneur à qui vous devez l'être. MIRAME. Puis-je avoir de la gloire avec tant de malheur ? ARIMANT. En faveur d'un amant souffrez quelque douleur. MIRAME. Si mon père à l'hymen se tient toujours contraire ? ARIMANT. J'aurai l'heur de vous voir, qu'à tout heur je préfère. MIRAME. Alors tous vos désirs seront-ils satisfaits ? ARIMANT. C'est le but de la guerre, et non de mes souhaits.Ayant reçu l'arrêt d'une triste défense,Je n'ose plus parler d'une autre récompense.Nous désirons des biens hors de notre pouvoir, Qu'on ne peut mériter, mais qu'on peut recevoir.C'est assez m'expliquer ; mon amour, sois modeste.Votre esprit pénétrant peut bien penser le reste.Mais puisqu'un tel espoir me flatte vainement,Puisque je vois Mirame injuste à son amant, Puisque ce qui se peut pour moi n'est pas loisible,Par la guerre mon bras tentera l'impossible.Je meurs de ne pas faire encor ce que je dois. MIRAME. Ce discours d'Arimant est plus séant à moi.Quand je pense aux faveurs que mon amour lui donne Je ne suis pas les lois que mon devoir m'ordonne.Je meurs de ne pas faire ici ce que je dois :Car je fais trop pour lui, s'il fait trop peu pour moi. ARIMANT. Faire trop peu pour vous ! Malheureuse impuissance !Recevoir trop de vous, quelle obligeante offense ? MIRAME. Je sais que doublement j'offense mon devoir.Sans témoins et de nuit ici me laisser voir,C'est mettre dans mon coeur cent témoins, qui sans cesseLui pourront reprocher son crime et sa faiblesse.Mais je veux bien faillir ; et par ce seul effet Je fais plus que pour moi vous n'avez jamais fait.Si le malheur voulait qu'on sût notre entrevue,Arimant ne perd rien, mais Mirame est perdue ;Il peut bien arriver que vos projets soient vains ;Mais vous n'aurez jamais qu'honneur de vos desseins. Pour moi je puis des miens recevoir de la honte ;Ainsi hasardant plus, mon amour vous surmonte.Toutefois cette honte a pour cause un amourDe qui la pureté peut bien paraître au jour,Un amour où reluit une innocente flamme. Oui, pourvu que les Dieux, Arimant et Mirame,Sachent qu'à d'autre mal je ne puis consentir,Je le commets sans honte et sans m'en repentir.Ma vertu répondra toujours à ma naissance.Mais que prétendez-vous avec tant de puissance ? Attaquer mon pays est s'attaquer à moi.Me vouloir voir par force est m'imposer la loi.Pensez-vous m'obliger me cherchant de la sorte ?Je ne puis excuser l'amour qui vous transporte.Vous m'armez contre vous, armant contre mon Roi. Vous aimant, vous m'armez moi-même contre moi.En ce cas mon honneur au combat se prépare,Et contre mon amour ma raison se déclare. ARIMANT. Vous armer contre vous ? Ah ! Que vous m'affligez.Que si vos sentiments se trouvent partagés, Mettez ce coeur en deux, afin qu'il puisse prendreTous les divers partis dont vous voudrez vous rendre. MIRAME. Et toutefois je crains. ARIMANT. Quoi ? Vous suis-je suspectDe trop d'ambition et de peu de respect ?Craignez-vous mon épée ? Ah ! Je brise mes armes ; Et puisque vous doutez du pouvoir de vos charmes,Je quitte mon épée et déteste mon bras.Je ne veux plus de coeur ; mais dieux ! Je ne puis pasMe passer de mon coeur pour vous aimer sans cesse.Je renonce à sa force, et garde sa tendresse. MIRAME. Êtes-vous raisonnable, Arimant ? Quel transport ?Êtes-vous furieux ? Êtes-vous vif, ou mort ?Un mot vous désespère et vous met en furie :Je ne veux plus parler. ARIMANT. Ah ! Parlez, je vous prie. MIRAME. Votre épée, Arimant : mais ne la rompez pas. Je vous en fais présent, et vous offre mon bras.Mais quant à votre coeur, le partage m'en blesse.Je le veux tout entier, avec force et tendresse.Mais vous avez le mien ; et seul vous animantVous vivrez pour moi seule, et par moi seulement. Si vous avez le mien en la place du vôtre,Vous avez tous les deux, puisque l'un est dans l'autre. ARIMANT. Ah ! Quel excès de gloire ! Ah ! Quel excès de bien ?Ce présent, votre bras, votre coeur pour le mien ?Votre coeur et le mien ? Tout me sera possible ; Et je me ferai voir désormais invincible. ALMIRE. Un moment en amour peut troubler les plus forts :Puis un autre moment apaiser les transports. ARIMANT. Je veux suivre vos lois dans l'ardeur qui m'inspire.Qu'ordonnez-vous de moi ? MIRAME. Je ne sais que vous dire. Mais je tremble en pensant que je vais engagerMon père et mon honneur, et vous dans le danger.Je puis les perdre tous, si Mars n'est pas propice ;Et perdant l'un des trois, il faut que je périsse. ALMIRE. Comment perdre le Roi ? Quelle inutile peur ? Sera-t-il au combat ? MIRAME. J'ai son sang dans le coeur,Je sens qu'il y veut être. ALMIRE. Il a l'âme bien haute :Mais nous le retiendrons, il ferait une faute. MIRAME. Au moins je vous hasarde, et mon honneur aussi. ALMIRE. Tous deux seront vainqueurs. MIRAME. Le ciel le veuille ainsi. C'est là l'unique espoir où mon esprit se fonde.Mais si je perds l'honneur, je ne puis vivre au monde :Si je perds Arimant, je mourrai de douleur ;Et si je perds le roi, je suivrai son malheur. ARIMANT. Vous cherchez vainement des sujets de vous plaindre, Perdez tous ces soupçons : vous n'avez rien à craindre. MIRAME. Qui peut cacher aux Dieux les injustes desseins ?Ils lisent dans les coeurs ; je dois craindre et je crains. ARIMANT. Rien n'est injuste en vous, bannissez toute crainte. MIRAME. Si mon honneur pourtant souffre la moindre atteinte, Je ne puis être à vous, ARIMANT. Peut-il être blessé ?Peut-il être pour moi par moi-même offensé ? MIRAME. S'il l'est, je suis indigne et de vous et de vivre.Dans vos hardis desseins j'ai honte de vous suivre.Et ne les suivant pas, avec raison je crois Que qui me veut par force est indigne de moi. ARIMANT. Je vois donc sans espoir cet objet plein de gloire,Dont même je serais indigne en ma victoire ?Quoi! j'en suis donc indigne, et le serai toujours ?Pleure, Arimant, le sort de tes tristes amours. Quoi ? Je ne l'aurai pas, et ne la puis prétendre ?Consomme-toi, mon coeur, et te réduis en cendre.Peux-tu vivre, Arimant, sans posséder son coeur ?Qu'Azamor mon rival soit plutôt mon vainqueur.Veux-je la posséder lui faisant une injure ? Y penser est un crime horrible à la nature,À la terre, à moi-même, aux puissances des cieux,Qu'on ne peut expier qu'en mourant à vos yeux. MIRAME. Hé quoi ! De mon épée ? ARIMANT. Et de plus par vos charmes,Par vos divins attraits, pour vous et par vos armes. ALMIRE. Il faut vivre, Arimant, sans plus vous tourmenter. ARIMANT. Quoi ! Vivre sans pouvoir jamais la mériter ? MIRAME. C'est trop la mériter que de vivre pour elle. ALMIRE. Il faut vaincre de plus. ARIMANT. Bien je vivrai fidèle,Et si Mirame veut, je vaincrai surement. ALMIRE. Suivez tous vos desseins, allez, heureux amant. MIRAME. J'y consens. ARIMANT. C'est assez. MIRAME. Surtout que cette épéeAu sang de mes parents ne soit jamais trempée. ARIMANT. Mais bien plutôt au mien, je vous en puis jurer. MIRAME. Le jour commence à naître, il se faut retirer. ARIMANT. Non non, ce sont vos yeux qui font cette lumière. MIRAME. Le soleil toutefois commence sa carrière. ARIMANT. Ah ! Soleil, trop jaloux, ou plein de vanité,Qui crois sur l'horizon faire voir ta beauté,Sais-tu bien qu'en éclat Mirame te surmonte ? Ne te hâte point tant pour paraître à ta honte.Ah ! Retarde un moment, cesse un peu de courir.Hélas ! Tu fais tout vivre, et tu me fais mourir. MIRAME. Il vous chasse, et sans fruit vos discours l'entretiennent. ARIMANT. Un astre me bannit, deux plus beaux me retiennent. MIRAME. Il faut nous séparer. ARIMANT. Je le veux et ne puis.Comment le puis-je faire en l'état où je suis ?Malgré tous les appas que vos regards répandent ?Votre bouche le veut, vos yeux me le défendent.Détournez vos regards. MIRAME. Je n'ai pas le pouvoir De perdre un des moments qui restent à vous voir.Prince retirez-vous. ARIMANT. Que faut-il que je fasse ?Mirame en même temps me retient et me chasse.Je veux vous obéir et ne puis vous quitter.Retardant mon départ, que dois-je redouter ? La mort ? En vous laissant je vais perdre la vie.Les fers ? Ma liberté par vous me fut ravie.Les tourments ? Sans vous voir j'aurai mille douleurs.La honte ? Le mépris ? L'outrage ? Les malheurs ?La perte de l'espoir d'une grande victoire ? Sans vous voir je ne veux ni puissance ni gloire.Ambitieuse ardeur qui flattez mes désirs,Autorité, fortune, éclat, pompe, plaisirs,Honneurs, palmes, lauriers, grandeurs, sceptre, couronne,Pour voir cette beauté mon coeur vous abandonne. Venez, tous les ennuis, venez, tous les tourments.Partez, craintes, dangers, douleurs, saisissements,Venez tous à la fois pour renverser ma joie ;Je ne vous fuirai point, pourvu que je la voie. MIRAME. Prince, consolez-vous ; votre vive douleur En même temps m'oblige, et me perce le coeur.Pensez qu'en demeurant au coeur de votre amante,Vous ne la quittez point, elle vous est présente,Elle vous suit partout : vous quitterez ce lieu,Et sans nous séparer, et sans besoin d'adieu. Le quitter est un mal, mais j'en crains bien un autre. ARIMANT. M'éloigner est ma perte, et tarder est la vôtre.Doncques il faut quitter ce bienheureux séjour. MIRAME. Oui, je vous en conjure au nom de notre amour. ARIMANT. Quoi donc ! Contre lui-même amour me sollicite. Amour m'a fait venir, veut-il que je vous quitte ? MIRAME. Il le veut, il le faut. ARIMANT. Dur combat de mes sens ! MIRAME. Prince, je ne dis pas tout l'ennui que je sens.C'est trop, retirez-vous. ARIMANT. Adieu donc, ma lumière,Je ne puis vous quitter, quittez-moi la première. MIRAME. Que ne puis-je plutôt me noyer dans mes pleurs !Adieu donc. ARIMANT. Ah ! Ma vie, ah, mon âme, ah je meurs. SCÈNE V. Mirame, Almire. MIRAME. Qu'ai-je dit ? Qu'ai-je fait ? Je suis bien criminelle.Que d'infidélités pour paraître fidèle !J'abandonne mon sang, mon pays, mon honneur, Mon devoir, ma raison, mon repos, mon bonheur,La grandeur de mon rang, la vertu de mon âme,Pour n'avoir pas le coeur d'abandonner ma flamme,J'ai fait d'un téméraire un amant glorieux.J'ai mis le fer moi-même aux mains d'un furieux, Qui feignant de m'aimer avec idolâtrie,Peut-être pour tout but veut perdre ma patrie.Je tremble et je crains tout : les feuilles de ce boisMe semblent devenir des langues et des voix,Pour dire les erreurs que l'amour me conseille, Et que pour les ouïr le monde est tout oreille.Pensé-je les cacher en ce bord écarté ?Mon crime est-il moins noir dedans l'obscurité ?Non, déjà chacun parle et se plaint de mon crime.Je me vois sur le point de perdre toute estime. Mes feux vont éclater : mon coeur ne peut mentir,Et ne peut se résoudre à feindre un repentir.Ah ! Mirame, à quel point te réduit ta misere ?De qui te plaindras-tu ? Sera-ce de ton père ?Non, il veut la raison : sera-ce d'Arimant ? Suivant ta passion, il suit ton sentiment.En plaignant mon malheur, je me plains de moi-même,Et chérissant mon mal, c'est mon crime que j'aime.Hélas ! Si mon amant n'était que dans mon coeur,J'y pourrais bien cacher cet aimable vainqueur ; Mais il est dans mes yeux et chacun l'y découvre.Ma bouche le déclare aussitôt que je l'ouvre.Et, qui plus est, mon coeur me défend de cacherCe qu'il a de plus doux, ce qu'il a de plus cher,Mais aussi, mon amour est rempli d'innocence. Amour qui fais mon mal sois aussi ma défenseLa vertu d'Arimant règle tous ses désirs,Dans le bien de me voir il borne ses plaisirs.En mérite, en valeur il est incomparable.Qui donc avec raison me peut juger blâmable ? Si je cède à l'amour, ayant bien combattu,Je sais loger mon coeur où loge la vertu. ACTE III SCÈNE PREMIÈRE. Mirame, Almire. MIRAME. Ah ! Que viens-je d'ouïr ? Les funestes nouvelles ! ALMIRE. Au moins tous nos soldats courageux et fidèlesOnt fait en ce combat des efforts dignes d'eux. MIRAME. Mais, l'amiral est mort. ALMIRE. En homme généreux.Ne pouvant mieux du sort repousser les injures,Lui-même en ses vaisseaux il fait cent ouvertures,Engloutissant ainsi, par un acte nouveau,Les ennemis et lui dans un même tombeau. MIRAME. Son courage me plaît mais son malheur me tue. ALMIRE. Encor n'est-ce pas tout, Diospole est perdue.Le gouverneur est mort ; son fils en ce malheur,Réduit dans le château, montre encor sa valeur. MIRAME. Que mon sort est cruel ! À quoi suis-je soumise ? On nous presse, on nous bat, une ville est conquise :Et je vois menacer par ce triste accident,Mon père et son État, d'un péril évident.Donc pour ce qu'Arimant veut posséder Mirame,Nos peuples souffriront et le fer et la flamme , Donc pour ce que mon coeur prend part à ses douleurs,Il nous fera verser et du sang et des pleurs !Donc cet ingrat amant me rendra misérable,Parce que je l'ai vu d'un oeil trop favorable ?Ne peut-il être heureux sans me faire périr ? Et faut-il qu'il me perde afin de m'acquérir ?J'aurais bien peu d'honneur, moins encor de prudence,De me laisser gagner par cette violence.Voudrais-je consentir aux desseins d'un amant,Qui de mes déplaisirs fait son contentement ? Et qui pour relever l'éclat de sa victoire,Veut détruire mon sang, mon pays et ma gloire ?Hélas ! Que justement je dois verser des pleurs,Puisque mon crime seul a causé nos malheurs !J'ai permis l'attentat, j'ai souffert l'insolence Qui de tout notre empire étonne la puissance,Malheureuse princesse ! Ah ! Que j'éprouve bienQu'un amour violent ne considère rien,Et qu'il engage une âme à plus qu'elle ne pense !Sa victoire me plaît, encor qu'elle m'offense. Quel désordre ! Je l'aime et je lui veux du malDe voir que son bonheur soit au nôtre fatal. ALMIRE. La fortune qu'on peint volage et passagère,Nous approche et nous fuit d'une aile si légère,Qu'on doit bien redouter ses divers mouvements. Arimant pourrait bien sentir ses changements. MIRAME. Si mes voeux sont reçus, bientôt cette volageTournera contre lui le fer qui nous outrage. ALMIRE. Mais, vous changez vous-même. MIRAME. Il n'est point de bonheurQui nous puisse flatter séparé de l'honneur. Bien que j'aime ardemment celui qui nous surmonte,Son bonheur me déplaît, car sa gloire est ma honte. ALMIRE. Sa gloire fait la vôtre. MIRAME. Almire, parle mieux.Nous demeurons vaincus, s'il est victorieux. ALMIRE. Mais ce n'est que pour vous qu'il gagne la victoire, Il soumet à vos pieds sa puissance et sa gloire.C'est de vous que dépend sa force et son bonheur. MIRAME. C'est volontairement qu'il me rend cet honneur :Mais tout notre pouvoir lui cède par contrainte ;Et le sort inégal fait mes pleurs et ma plainte. SCÈNE II. Le Roi, Mirame, Almire, Acaste. LE ROI. À la fin les vaincus sont demeurés vainqueurs :La fortune est changée ; hé quoi, Mirame en pleurs !Ô le trouble cruel que le destin m'envoie !Ma fille veut ma perte, et pleure de ma joie !Ô Prince malheureux, même dans ton bonheur ! MIRAME. Le Roi paraît troublé : que penses-tu, mon coeur ?Te verra-t-on content des malheurs de mon père,Tandis que ma raison déplore sa misère ? LE ROI. Sachons ses sentiments. MIRAME. Ah ! Que dirai-je au Roi ?Comment lui parlerai-je au trouble où je me vois ? LE ROI. Dieux ! Quelle impiété ! Pleurer de ma victoire ! MIRAME. Je pleure d'avoir su qu'Arimant plein de gloireDéjà sous son orgueil tient vos peuples soumis. LE ROI. Cela n'est pas. MIRAME. Comment ? LE ROI. Les destins ont permis,Qu'Azamor ait enfin ses palmes étouffées, Et dessus sa ruine élevé nos trophées.Tous ses braves soldats sont en fuite ou sont morts,Et lui-même s'est vu dompté près de nos bords. MIRAME. Ce récit tout nouveau me surprend et me change. LE ROI. Qu'Azamor est vaillant et digne de louange ! Je dois à ses exploits ma gloire et mon repos.Raconte-lui le tout, Acaste, en peu de mots.Écoutez le succès d'une belle entreprise. ACASTE. Arimant triomphait dans la ville conquise,Quand le grand Azamor d'un invincible coeur, Y vint suivi des siens pour vaincre le vainqueur.Arimant les soutient : chacun d'un grand courageRépand autour de soi l'horreur et le carnage.Ils se cherchent tous deux pleins de noble chaleur,Pour trouver un sujet digne de leur valeur. Du sang qu'ils font verser les places sont trempées.Ils se font un passage avecque leurs épées.Ils s'attaquent soudain, se portent mille coups,Et par la résistance allument leur courroux.La vaillance de l'un à l'autre se compare. Mais encore une fois la foule les sépare.Lors Azamor combat avec un tel effort,Qu'Arimant dans la presse est porté jusqu'au port.En vain il parle aux siens, il crie, il frappe, il tue.Il ne peut relever leur ardeur abattue. Tous se jettent dans l'eau ; resté seul sur le bord,De nos soldats ardents il soutient tout l'effort.Chacun craint ou ressent son invincible audace.Puis se jetant dans l'onde, encore il nous menace ;Et d'un bras négligent il fend le sein des eaux, Pour rencontrer la mort plutôt que ses vaisseaux. LE ROI. Je ne saurais juger par les yeux de MirameSi la haine ou l'amour règnent dedans son âme. ACASTE. Mais enfin Azamor ne pouvant endurerQue l'on voie à ses yeux ce chef se retirer, Ressent dedans son coeur un feu qui le maîtrise.Lors poussé du désir d'une si belle prise,Il se jette en la mer ; il combat sans reposD'une main Arimant, et de l'autre les flots.Arimant se défend, enfin on l'environne, On saisit ce guerrier, la force l'abandonne.En vain contre lui-même il veut tourner son fer.Tout bouillant de colère et trempé de la mer,On l'amène au rivage. MIRAME. Il est donc pris, Almire.Ah ! Qu'est-ce que j'entends ? LE ROI. Quoi ! Votre coeur soupire ? MIRAME. C'est avecque raison qu'il soupire et me bat,Puisqu'il appréhendait la fin de ce combat. LE ROI. Il est en mon pouvoir, ce guerrier téméraire.Nous saurons maintenant ce qu'il prétendait faire.Découvrez son dessein : vous avez ce pouvoir. Vous le verrez bientôt. MIRAME. Comment le puis-je voir ? LE ROI. Mon ennemi captif vous est-il redoutable ? MIRAME. Il est votre ennemi, mais il est misérable.L'un excite ma haine, et l'autre ma pitié.Mon coeur est attendri malgré l'inimitié. Si je le traite bien, je me fais un outrage :Si je le traite mal, j'offense mon courage. LE ROI. Enfin vous le verrez, l'orgueilleux étranger,Ou pour le consoler, ou bien pour nous venger. MIRAME. Pourrai-je consoler l'ennemi de mon père ? Donc ma langue à mon coeur se trouverait contraire,Ou pourrait augmenter les maux d'un affligé !Quoi ? Se venger encore après s'être vengé ! LE ROI. Le voyant, vous plaindrez le sort d'un misérable,Qui nous a voulu nuire et n'en est plus capable. MIRAME. N'employez point mes yeux à le faire mourir, LE ROI. Si vos yeux lui font mal, ils sauront le guérir. MIRAME. Vos soupçons sont cruels ; ah qu'ils me font de peine ! LE ROI. Qu'elle sait bien couvrir son amour et sa haine. MIRAME. En un mot je ne puis consentir à le voir. Je ne puis l'outrager, ni flatter son espoir. LE ROI. Je le veux, il le faut, c'est à vous de me plaire. MIRAME. C'est à moi d'obéir, c'est à moi de me taire. LE ROI. Acaste, cachez-vous derrière ces cyprès ;Et sans qu'elle s'en doute, écoutez leurs secrets. Un mot, une action, peut donner connaissanceDe ce qu'elle me cache avec tant d'assurance. SCÈNE III. Mirame, Almire. MIRAME. Il est défait, Almire ; et je sens que mon coeurAime Arimant vaincu, qu'il haïssait vainqueur.Hélas ! De tous côtés son sort me désoblige, Son bonheur me troublait, sa disgrace m'afflige.Comment puis-je espérer de guérir quelque jour,Si sa chute relève encor de mon amour ?Il ne faut qu'un seul coup de mauvaise fortune,Pour étouffer l'amour dans une âme commune : Mais mon ardeur s'accroît dans ses adversités.Les dieux qu'à nos autels j'ai souvent visités,Ont exaucé mes voeux comme étant équitables,Et non mes sentiments qui sont déraisonnables.Oui, je l'aime vaincu plus que victorieux. Tous adorent l'éclat, du grand flambeau des cieux,Moi j'aime mon soleil dans son éclipse même.Oui, je le dis tout haut, cher Arimant, je t'aime.Si ton sort est changé, mon amour ne l'est pas.Mon coeur qui veut t'aimer, même après le trépas, Verrait que son amour serait bien peu parfaite,S'il ne pouvait t'aimer après une défaite.Je t'aime dans les fers plus que dans ta grandeur.L'excès de tes malheurs redouble mon ardeur.Montrons en l'imitant une âme non commune. Il a pour son amour immolé sa fortune :Notre foi doit répondre à l'excès de sa foi :Sus, perdons tout pour lui, puisqu'il perd tout pour moi.Devoir, pudeur, sagesse, espoir d'une couronne,Père, État, joie, honneur, tous je vous abandonne. ALMIRE. Princesse, modérez cet extrême transport. SCÈNE IV. Mirame, Le Grand Prévot, Arimant, Almire. MIRAME. Ah ! Voici qu'on l'amene. Inconstance du sort !Dieux ! Que de changements arrivent en peu d'heures !Naguère il a quitté ces heureuses demeuresTriomphant de mon coeur, et je le vois captif. ALMIRE. Calmez votre visage. MIRAME. Ô bonheur fugitif !Ô destin ! Soutiens-moi, chère Almire, je tremble. LE GRAND PRÉVÔT. L'ordre nous est donné de vous laisser ensemble. SCÈNE V. Arimant, Mirame, Almire. ARIMANT. Il faut mourir, Pincesse. MIRAME. Ah dieux ! Pourquoi mourir ? ARIMANT. Pour n'avoir pu pour vous ni vaincre, ni périr. MIRAME. Le sort a de vos mains arraché la victoire :Mais vaincre le sort même est bien plus grande gloire,Qui sait bien supporter un accident fatal,En reçoit plus d'honneur qu'il n'en reçoit de mal. ARIMANT. Quiconque ne sait pas acquérir par les armes La beauté dont son coeur adore les doux charmes,Ayant eu le bonheur d'acquérir son amour,Est indigne à jamais de regarder le jour. MIRAME. J'estime les desseins que la vertu fait naître,Sans priser les succès, dont le sort est le maître. ARIMANT. Il vaut bien mieux mourir, que vivre sans honneur. MIRAME. Être aimé de Mirame est honneur et bonheur. ARIMANT. C'est un honneur si grand, qu'aucun ne le mérite :Moins que tous un captif contre qui tout s'irrite.Ô sort souvent contraire aux desseins généreux, Par qui les plus hardis sont les plus malheureux !Par ta seule rigueur le prince qui me dompte,Me charge maintenant et de fers et de honte. MIRAME. Si mon père vous traite avec sévérité,Vengez-vous de sa fille avecque cruauté. J'y consens, ARIMANT. Non pas moi : pour comble de misèreVous rendrais-je le mal que me fait votre père ?Ce serait achever ce qu'il a commencé.Je souffre, mais je vis, je ne suis que blessé :Mon mal n'est pas mortel, mais le vôtre me tue. Non, pourvu qu'Arimant languisse à votre vue,On ne le peut traiter avec tant de rigueur,Qu'il ne bénisse encor ses fers et son malheur. MIRAME. Vos fers seront les miens. ARIMANT. Ainsi sans la victoireJe triomphe captif, et suis comblé de gloire. MIRAME. Et vous la méritez. ARIMANT. Ainsi j'ai beaucoup fait.Ayant beaucoup tenté pour un si digne objet.Vivant dans votre coeur et dans votre pensée,Je bénis ma disgrâce et je la tiens passée.Je chéris ma prison : on m'y verra constant : Et doublement captif, on m'y verra content.Et la guerre et l'amour ravissant ma franchise,Je sens que je la veux, lorsque je la méprise.Le fer, le feu, la mort et l'horreur des Enfers,Ne sauraient m'empêcher d'être heureux dans mes fers. Je suis libre avec eux. MIRAME. Votre gloire est plus grandeQu'au pouvoir d'un captif, captive je me rende,Que si dedans un char superbement vainqueurVous traîniez après vous et mon père et mon coeur. ARIMANT. Aujourd'hui votre coeur acquiert une victoire, Dont nulle autre jamais n'égalera la gloire.Oui, j'admire ce coeur, dont la noble amitiéFait un objet d'amour d'un objet de pitié.Tout captif que je suis, cette voix que j'adoreM'obligeant de nouveau vient me lier encore. Donc par votre bonté mes maux sont surmontés ?Doncques je me verrai vaincu de tous côtés ?Prisonnier dans la guerre et tout chargé de honte,Faut-il que dans l'amour encore on me surmonte ?Un même sang deux fois me surmonte en un jour, Le père par le fer, la fille par l'amour. MIRAME. L'un vous a mis parterre, et l'autre vous relève. ARIMANT. Ce qu'il a commencé, votre bonté l'achève,Prenant part à mes maux, je veux et dois mourir.Votre douleur me tue au lieu de me guérir. MIRAME. Quoiqu'on ait résolu, même sort nous arrive.Vous serez prisonnier, et moi votre captive.Craignez-vous de vous voir enfermé dans des tours,Puisque vous enchaînez l'objet de vos amours ?Je vous verrai souvent, tantôt par ma présence, Tantôt par ma pensée et par intelligence.Je vous consolerai dans tous vos déplaisirs ;Souvent par mes regards, toujours par mes désirs. ARIMANT. Je vivrai trop content au cachot le plus sombre,Si par fois seulement je vois passer votre ombre. Si je suis par un mot certain de votre foi,Et si je puis penser que vous pensez en moi. MIRAME. Pourvu que vous viviez je vaincrai vos obstacles.Amour pour vous servir me promet des miracles.Quoiqu'on puisse opposer, j'en viendrai bien à bout. ARIMANT. Je n'ai plus rien à perdre, et pourtant je crains tout.Je crains. MIRAME. Quoi ? Quelle peur rend votre esprit malade ? ARIMANT. Que le grand Azamor enfin vous persuade. MIRAME. Il est mon ennemi, suivrai-je son conseil ? ARIMANT. Quel qu'il soit, ma Princesse, il n'a point son pareil. Il sera près de vous, et je crains sa présence.Je serai loin de vous, et je crains mon absence. MIRAME. S'il est loin de mon coeur, le tiendrez-vous présent ?Étant dans mon esprit, croirez-vous être absent ? ARIMANT. L'objet émeut les sens, l'absence est dangereuse. MIRAME. Nul objet sans vous voir ne peut me rendre heureuse. ARIMANT. Il est libre et vainqueur, moi captif et vaincu. MIRAME. Je mourrai sous vos lois ainsi que j'ai vécu. ARIMANT. Mais il est tout puissant, et je suis dans les chaînes. MIRAME. Aimant sans que je l'aime, il sera dans des gênes. S'il est victorieux, ce n'est pas de mon coeur ;Si vous êtes vaincu, vous êtes mon vainqueur. ARIMANT. Ah ! Je crains plus que tout l'éclat de sa couronne. MIRAME. Moi j'aime celle-là que la vertu vous donne. ARIMANT. Mais je suis né sujet. MIRAME. Vous l'êtes de mes lois. Azamor pour ce rang perdrait le rang des Rois. ARIMANT. Votre père peut tout. MIRAME. L'amour est volontaire ;Il ne craint le pouvoir ni d'un roi ni d'un père. ARIMANT. L'amour par le devoir se verra combattu :Et sachant mes défauts je crains votre vertu. MIRAME. La vôtre m'affermit. ARIMANT. Je crains l'obéissance. MIRAME. Plus que toute vertu j'estime la constance. ARIMANT. Ah ! Je me crains moi-même, et j'ai peur que mes sensNe puissent résister au mal que je ressens. MIRAME. C'est là toute la peur dont mon âme est atteinte. Ne craignant rien de moi, de vous seul vient ma crainte.Mon malheur toutefois viendrait-il de mon bien ?En dépit des destins, Prince, ne craignons rien.Contre leur tyrannie armons notre courage.Le sort à la vertu ne peut faire d'outrage ; Et sur lui notre amour remportera l'honneur ;De notre fermeté dépend notre bonheur. ALMIRE. Ne parlez pas si haut, Princesse, on vous écoute. MIRAME. Adieu, cher Arimant, je vais dans cette route.J'apperçois Azamor, je ne puis l'endurer. Puis j'entends quelque bruit. SCÈNE VI. Acaste, Mirame, Arimant, Le Grand Prévôt. ACASTE. Il faut les séparer. MIRAME. Adieu. ACASTE. Suivez votre ordre. ARIMANT. Ô bonté secourable !Prince heureux pour le moins autant que misérable. ACASTE. Leur flamme est trop certaine : il le faut éloigner. LE GRAND PRÉVÔT. Suivez-nous, vaillant Prince. ARIMANT. Où me doit-on mener ? LE GRAND PRÉVÔT. Dans un fort sur la côte, et loin de deux journées, ARIMANT. Nouvelle cruauté des dures destinées !Prince trop malheureux ! Ah ! Quitte ton espoir.Il faut perdre le jour perdant l'heur de la voir. SCÈNE VII. Azamor, Acaste. AZAMOR. Vous qui savez l'excès du mal qui me tourmente, Dites-moi librement si Mirame est contente. ACASTE. Elle a sujet de l'être et pourtant ne l'est point. AZAMOR. Quel malheur déplorable à mon malheur est joint ?Si Mars me favorise, amour me désespère.Celui-ci m'est cruel, quand l'autre m'est prospère. Voyez en quel état mon destin me réduit ?Un dieu me favorise, un autre dieu me nuit.Puis-je me dire heureux même dans la victoire ? ACASTE. Peut-on ne l'être pas étant si plein de gloire ? AZAMOR. Comment pourrais-je l'être, étant si mal traité D'un oeil plein de rigueur autant que de beauté ? ACASTE. Mirame cache bien les secrets de son âme, AZAMOR. Il manque à mon bonheur d'être aimé de Mirame :Ou plutôt à ma gloire il manque ce seul point,Que n'étant point aimé je pusse n'aimer point. Si son coeur à l'amour se fait voir invincible,Surmonter le mien propre est-ce chose impossible ?Je le puis, je le veux, il le faut, je le dois.Qu'elle garde son coeur, que le mien soit à moi.Oui, je la veux quitter. ACASTE. Ce changement me touche. AZAMOR. Hélas ! Ne craignez rien, mon coeur dément ma bouche,Mais où va la princesse ? Elle fuit de mes yeux,Et je suis à sa vue un objet odieux, ACASTE. Ah ! Ne le croyez pas. AZAMOR. Sa haine est trop visible,Sus, mon coeur, fais-toi voir, ainsi qu'elle insensible. Ou pour me conserver et l'honneur et le jour,Sois sensible au dépit, aussi bien qu'à l'amour.Dépit, faible ennemi d'une puissante flamme,Qui contre tant d'ardeur veux mutiner mon âme,Que tu combats en vain l'espoir de mes plaisirs, En formant un désir contraire à mes désirs.Oui, je me sens moi-même à moi-même rebelle,Quand je tâche d'éteindre une amour immortelle.La raison veut qu'on aime un chef d'oeuvre des Cieux,Qui ravit les esprits, et qui charme les yeux : La raison veut qu'on suive un dessein légitime :La raison dit qu'aux rois l'inconstance est un crime :Elle veut que je tâche à dompter mon rival,Que je tire un honneur de ce qui fait mon mal ;Qu'en un second combat je mérite Mirame : Que j'arrache par force une erreur de son âme ;Et que je fasse enfin qu'elle revienne à soi,Et dédaigne un sujet pour épouser un roi.Qui suit ses passions est souvent excusable :Et qui suit la raison est toujours estimable : Qui suit les deux, se voit heureux en ses désirs ;Et recueille la gloire au milieu des plaisirs.Surmontons le malheur par force ou par adresse,Par valeur mon rival, par devoirs ma princesse ;Et sans que le dépit tente ma guérison, Suivons nos deux vainqueurs, l'amour et la raison. ACTE IV SCÈNE PREMIÈRE. Mirame, Almire. MIRAME. Almire, il est donc mort ; et ce coeur généreuxN'a pu souffrir les lois d'un sort si malheureux /Mais, Almire, est-il vrai ? ALMIRE. Je n'osais vous le dire :Mais il est trop certain. MIRAME. Il est donc mort, Almire ! Ah ! Quel étrange effet de courage et d'amour !Je n'ai plus rien à perdre en ce funeste jour.Que tout dans l'univers s'abîme et se confonde /Périssent les humains, le ciel, la terre et l'onde /Rien ne puisse survivre à l'objet de ma foi ! Quoi ! la mort aurait pris mon Arimant sans moi ?Il serAit descendu dans la demeure sombre ;Et l'astre de mes jours ne serait plus qu'une ombre ?Ah ! Je ne le puis croire, Almire, il n'est point mort.Nos destins sont régis par un semblable sort. Il n'a pas succombé sous la Parque insolente ;Puisque j'étais sa vie, et que je suis vivante. ALMIRE. Il est mort, ma princesse. MIRAME. Almire, je me meurs; ALMIRE. Ah dieux ! Le coeur lui manque : hélas ! Que de malheurs ! MIRAME. Non, non, il n'est point mort, je le vois qui s'approche, Et son charmant abord fendrait un coeur de roche.Il m'invoque, il m'adore, il se met à genoux.Quel respect ! Quelle grâce ! Arimant, levez-vous. ALMIRE. Hélas ! Pauvre Princesse, elle semble insensée :Leur entretien passé revient en sa pensée. MIRAME. Almire, vois-tu pas son amoureux transport ?Ses yeux vifs et perçants ? Non, non, il n'est pas mort;Il m'écoute, il me parle, il dit que son arméeEst de mes volontés seulement animée.C'est pour moi qu'il veut vaincre, il ne peut dire adieu : Mais de peur que le jour le découvre en ce lieu,Il se faut retirer : ah ! que son coeur endure !Va-t-en, cher Arimant, va-t-en je t'en conjure.Entends-tu qu'il me dit, se fondant tout en pleurs,Je le veux, il le faut, j'obéis, mais je meurs. ALMIRE. Dieux ! Quel trouble d'esprit ! MIRAME. Il revient, chere Almire.On l'amène captif ; il ne sait que me dire.Ô pitoyable objet ! Il dit qu'il veut mourir,Pour n'avoir pu pour moi ni vaincre ni périr.Vivez, cher Arimant, sans vous je ne puis vivre. Ou bien si vous mourez je saurai bien vous suivre.Il se résout enfin dans un si triste sort.Il me promet de vivre, Almire, il n'est point mort. ALMIRE. Hélas ! Fût-il bien vrai ! Mais votre rêverieVous représente en vain ce qui n'est plus en vie. MIRAME. Quoi je rêve ? Il n'est plus ? Hé ! Qui l'a fait mourir ? ALMIRE. En vous perdant de vue, il a voulu périr.Sachant qu'on l'emmenAit loin de votre présence,Que de vous voir jamais il perdoit l'espérance,Il a voulu mourir, ne pouvant voir le jour S'il ne voyait encor l'objet de son amour.Resté seul en sa chambre avec un sien esclave,Vois, dit-il, à quel point la fortune me brave.Sauve-moi de ses mains, Arcas, je veux mourir.D'un seul coup, cher Arcas, tu me peux secourir. Dérobe aux ennemis la moitié de leur gloire.Retranche leurs lauriers, partage leur victoire.Ils me veulent vivant, ôte-leur ce butin ;Et sauvant mon honneur, achève mon destin.Qu'à ce noble dessein ta main soit occupée. Tu vois que par honneur ils m'ont laissé l'épée.Prends la, fais qu'elle serve à sauver mon honneur.Frappe, garde pourtant de toucher à mon coeur,À ce coeur invincible, à ce coeur tout de flamme,De crainte de frapper l'image de Mirame. Puis quand ta main fidèle aura fait son devoir,Va-t-en trouver Almire, et lui fais tout savoir.Ayant dit son désir, l'esclave l'effectue,Il regarde l'épée, il la tire, il le tue. MIRAME. Ah ! Dieux ! ALMIRE. Lors tout tremblant il est venu vers moi. Il m'a fait ce récit, puis tournant contre soiLe fer encor sanglant, pour ne le pas survivre,Il s'est percé le coeur, disant je vais le suivre. MIRAME. Arimant est donc mort ! ALMIRE. N'espérant plus vous voir. MIRAME. Donc ne le voyant plus, mourir est mon devoir. ALMIRE. Vivez pour lui, plutôt. MIRAME. Ah ! Conseil inutile. ALMIRE. La mort n'a qu'un instant, et la vie en a mille,Qui sont tous consacrés à ce qu'on doit chérir.Vivre pour ce qu'on aime est bien plus que mourir. MIRAME. Arimant est donc mort ! Ô fortune inconstante ! Arimant est donc mort, et Mirame est vivante.Puis-je souffrir le jour sans lui manquer de foi ?Puis-je vivre sans lui, s'il n'est mort que pour moi ?Que le ciel à mon sexe a donné de faiblesse ?Un esclave aujourd'hui peut plus qu'une maîtresse. Il a pu le tuer, et moi brûlant d'amour,Je n'ai pu par mes soins lui conserver le jour.Toutefois qu'ai-je dit ? Non, non, ce misérableDu meurtre d'Arimant n'est pas le plus coupable.C'est moi qui l'ai commis, ma main l'a fait périr, En lui donnant le fer dont il s'est fait mourir.Cependant cette main, cette main indiscrèteNe venge pas encor la faute qu'elle a faite ;Et me laissant survivre un trépas avancé,Elle n'ose achever ce qu'elle a commencé. ALMIRE. Il faut se consoler, ce mal est sans remède. MIRAME. Hélas ! C'est le sujet d'où ma peine procède. ALMIRE. Mais il faut la cacher, ou plutôt la guérir. MIRAME. Moi, cacher mon tourment ! Ah ! J'aime mieux mourir.Un esclave m'apprend qu'il faut que je périsse. Aurais-je moins que lui de coeur et de justice ?Il n'a pu d'un moment survivre son forfait.Sa main a réparé le mal qu'elle avait fait.Puisqu'il n'a qu'obéi, son offense est petite.Il s'est puni pourtant, il faut que je l'imite. Quoique de mon amant il ait fini le sort,Je suis bien mieux que lui la cause de sa mort. ALMIRE. En vain de ce transport l'extrême violenceVeut armer votre bras contre votre innocence.Au malheur d'Arimant vous n'avez point de part. Le dessein fait le crime, et non pas le hasard. MIRAME. Quand la mort d'Arimant ne seroit pas mon crime,Je veux servir au sort de seconde victime.Laisse-moi donc mourir, Almire. Justes cieux !Quel objet importun se présente à mes yeux ? SCÈNE II. Mirame, Acaste, Almire. MIRAME. Hé bien, que voulez-vous ? Parlez-moi sans feintise.Triompher des vaincus ? Ah ! La noble entreprise,Et digne sans mentir de vos rares exploits !Voulez-vous le tuer une seconde fois ?S'il eut plus d'une vie, ôtez-lui la dernière : C'est Mirame qui l'est, privez-la de lumière. ACASTE. Vous plaire et vous servir est tout ce que je veux. MIRAME. Azamor est-il pas au comble de ses voeux ?Sa victoire lui plaît autant qu'elle m'offense.Suis-je déjà sa proie, ou bien sa récompense ? Qu'il me possède ainsi que je fais mon amant.Pourvu que je descende au creux d'un monument,Je veux bien qu'il m'y suive, et je serai ravieQu'il triomphe de moi, triomphant de ma vie.Mais enfin dans l'état où l'a mis son bonheur, De la mort d'Arimant tire-t-il grand honneur ?S'il est vrai, cette gloire est un foible avantage,Puisqu'un esclave infâme avec lui la partage.Arimant pouvait seul se vaincre et se dompter :Son seul courage a pu cet honneur emporter : De ce fameux guerrier la perte est volontaire.Deux rois se sont armés afin de le défaire,Leurs armes toutefois ont été sans effet,Et quand il l'a voulu son esclave l'a fait. ACASTE. Il avait le coeur grand, mais encor plus d'audace. MIRAME. Contre ses ennemis ce défaut a sa grâce. ACASTE. Et contre ses amis, puisqu'il pensait en vous, MIRAME. Ce grand coeur se sentait, lorsqu'il pensait en nous.J'étais le seul objet de ce coeur magnanime.Son crime est innocent, si Mirame est son crime. ACASTE. En s'armant contre vous, pouviez-vous le souffrir ? MIRAME. Il s'arma contre nous, mais pour me conquérir.EstimAis-je un amant sans mérite et sans gloire ?Oui, j'aimais Arimant, et j'aime sa mémoire,Sans blâmer la vertu l'on ne me peut blâmer. ACASTE. La vertu d'une fille est de ne rien aimer. MIRAME. Ce que j'aime n'est rien, puisqu'il n'est plus au monde. ACASTE. C'est sur d'autres raisons qu'un sage amour se fonde. MIRAME. Il est vrai, par l'amour mon coeur fut abattu.Si ce fut une faute, elle devient vertu. L'amour après la mort devient une constanceQui des désirs passés découvre l'innocence.Un amour criminel fût mort à son trépas :Le mien ne peut mourir pour ce qu'il ne l'est pas.Azamor veut ma foi, mais Arimant l'emporte. Il est mort, il est vrai, mais ma foi n'est pas morte.Elle vivra toujours tant que dedans mon coeurVivra le souvenir de mon noble vainqueur.Puisqu'il est mort pour moi, désormais je veux êtreMaîtresse de ce coeur dont il était le maître, Et quand même l'amour pourrait mourir en moi,Jamais ne peut mourir mon invincible foi. ACASTE. Allons redire au roi ce que pense Mirame,Elle découvre assez les secrets de son âme.J'aime mieux vous laisser qu'augmenter votre ennui. SCÈNE III. Mirame, Almire. MIRAME. A1mire, s'il est mort, je mourrai comme lui. ALMIRE. Si l'âme d'Arimant en votre âme est vivante,C'est le tuer encor que tuer son amante.De grâce en sa faveur changez de sentiment.Vivez, sinon pour vous, du moins pour votre amant. MIRAME. Trop parler de mourir, qu'est-ce que vouloir vivre ?Il faut pour l'imiter et mourir et le suivre.Un esclave lui mit le fer dedans le sein :Esclave de ses lois je mourrai de ma main.Captif il sut mourir, je mourrai sa captive. Il perd pour moi le jour, et pour lui je m'en prive.Perdant l'heur de ma vue, il perdit tout espoir,Et moi je me perdrai ne pouvant plus le voir.Il est mort dans son sang, et cette violenceSeule de notre mort fera la différence : Car enfin désormais ce bien m'est défendu,Puisqu'en versant le sien, le mien s'est répandu. ALMIRE. Contre les traits du sort armez votre courage. MIRAME. En mourant, chère Almire, on surmonte sa rage.Mais, bons dieux ! Cachons-nous : j'aperçois Azamor ; Et je frémis d'horreur de le revoir encor. SCÈNE IV. Azamor, Almire, Mirame. AZAMOR. Que je plains, Arimant, ta fin infortunée !Que ta perte est sensible à toute âme bien née !Tu ne méritais pas ce traitement du sort.À ta vie était due une plus belle mort. Mais si tu l'as causée en l'ordonnant toi-même,Je ne puis excuser cette fureur extrême.Il faut vaincre le sort, ou bien lui résistantMontrer qu'on sait au moins mourir en combattant.Mais, Prince malheureux, s'il est vrai que ta vie Ait été sans ton ordre injustement ravie,Que le sort est cruel, dont l'arrêt inhumainT'a fait donner la mort par une indigne main.En le privant du jour on m'a privé de gloire :Déjà je m'apprêtais pour une autre victoire. J'en jure par les Dieux, oui, s'il eût plus vécu,Ce bras victorieux l'eût encore vaincu :Ou s'il m'eût surmonté, mon âme satisfaite,Eût même triomphé de ma propre défaite.Le sujet du combat est si plein de vertu, Que c'eût été trop d'heur que d'avoir combattu. ALMIRE. Dieux ! Qu'il est généreux ! MIRAME. Il a l'âme royale. AZAMOR. Il est vrai, sa vertu n'a jamais eu d'égale. ALMIRE. Prince, que faites-vous ? AZAMOR. Je me plains en ces lieux. ALMIRE. Nous vous avons ouï. AZAMOR. Dites-vous vrai ? Bons dieux ! ALMIRE. Vivez, Prince, vivez sans perdre l'espérance,La princesse est le prix d'une telle constance. AZAMOR. Je ne puis mériter tant de félicité. ALMIRE. On mérite, en disant qu'on n'a rien mérité. AZAMOR. Je ne veux que la voir. ALMIRE. Elle est ici. AZAMOR. Je tremble. ALMIRE. Je veux vous rendre heureux et vous unir ensemble. AZAMOR. Ah ! C'est trop. ALMIRE. Attendez, je m'en vais la quérir. AZAMOR. Mes yeux, il la faut voir, et puis il faut mourir.Dans un si doux espoir que mon âme est confuse :Mais que veux-je espérer ? Cette fille m'abuse. Je sais l'inquiétude et la douleur du Roi.Ils sont, sa fille et lui, bien contraires pour moi.L'un a de l'amitié, l'autre fait voir sa haine.Délivrons-les tous deux, leur tourment est ma peine.Il faut les soulager à mes propres dépens. Mon courage le veut, suis-je encore en suspens ?Il faut me dégager : je mourrai si je cède :Mais j'aimerai ma mort, puisqu'elle est leur remède. MIRAME. Tu me trahis, Almire, ah ! Qu'est-ce que je voiS ?Mais promettons-lui tout, pour l'éloigner de moi. AZAMOR. J'ai suivi jusqu'ici, dans l'excès de ma flammeL'aveugle passion qui régnait dans mon âme :Je suivrai désormais les vôtres seulement ;Mon imprudente amour mérite un châtiment.J'approuve vos mépris, j'approuve votre haine. Condamnant mon erreur, j'en approuve la peine.Plût au ciel que la mort rendant mon sort égalAvec ce malheureux et bienheureux rival,Je pusse au moins mourir des mains de ma Princesse,Lui des mains d'un esclave, et moi d'une maîtresse. MIRAME. Moi vous faire mourir ? AZAMOR. J'en bénirais le sort.Ne vouloir pas ma vie est bien vouloir ma mort. MIRAME. Avec quelle raison voudrais-je la poursuivre ? AZAMOR. Qui n'est digne de vous, n'est pas digne de vivre. MIRAME. Vouloir la mort d'un Roi prompt à nous secourir ? AZAMOR. Tout ce qui vous déplaît mérite de mourir.Puisque je vous offense en mon sort misérable,Je serai juste au moins punissant le coupable.Pour vous seule et par vous j'ai vécu jusqu'ici :Pour vous seule et par vous je dois mourir aussi. Je le puis devant vous et par votre présence :3e le puis loin de vous, outré de votre absence.Vos yeux sachant guérir les maux que font leurs coups,J'aurais bien de la peine à mourir devant vous.Il faut donc m'absenter de la beauté que j'aime, Et mourir pour me voir séparé de moi-même.J'aurai par ma retraite un trépas glorieux,Que refusent vos mains et qu'empêchent vos yeux.Vivre et ne vous voir pas est une mort certaine.N'espérer plus vous voir en est une inhumaine. Je m'en vais la souffrir ; et je mourrai content,Si je puis obtenir un bonheur en partant,Si Mirame consent que mon âme asservie,Du moins ose l'aimer tant que j'aurai de vie.Que si votre rigueur condamne mon dessein, Punissez-en mon coeur, tirez-le de mon sein,Châtiez son orgueil, contentez votre haine,Mettez ce téméraire en cent pièces, pour peineDe ce qu'il ne peut pas être entier et vivant,Sans qu'aussi son amour le soit en vous servant. MIRAME. Ah ! Le mien est touché ; mais du mal qui me tue. AZAMOR. Oui, puisqu'il plaît au sort, ma perte est résolue MIRAME. Quoi ! Vous perdre, Azamor ? AZAMOR. Je déteste le jourÊtre aimé quand on aime est le bonheur d'amour :Aimer sans être aimé c'en est tout le mérite : Mais au seul désespoir le dernier nous invite ;Et celui-là doit bien abandonner le jour,Qui mérite en amour sans mériter l'amour.Malheureux est l'amour dont la poursuite est vaine ;Plus malheureux celui qui fait naître la haine : J'ai tous ces deux malheurs, je vous suis odieux. MIRAME. Pourquoi le pensez-vous ? AZAMOR. Je le vois dans vos yeux.Hé bien ! J'ai trop aimé : c'est un crime excusable.Quand l'amour est heureux, son excès est louable :Le malheur fait le crime, et déplaire en aimant C'est être avec mérite un criminel amant.Mais qui n'espère plus fléchir une inhumaine,Doit éteindre l'amour pour éteindre sa haine.Je le dois, mais mon feu s'accroit incessamment.Pour éteindre l'amour, faisons mourir l'amant. Mon malheur et ma flamme à ma raison rebellePensent être tous deux de nature immortelle :Mais suivons les conseils d'une juste douleur ;Éteignons par ma mort l'amour et le malheur.Je sais que de mes maux mon espoir est complice : Je veux perdant l'espoir, sauver votre justice.Ainsi que mon amour mon crime est infini :Seul je suis criminel, seul je serai puni.Triomphez de ma perte ; enfin je m'abandonne,Je me vais dépouiller de sceptre et de couronne, Et de biens et d'espoir, en me privant du jour,Pour n'avoir jamais pu me dépouiller d'amour. MIRAME. Que chacun de nous deux de ses maux se délivre,Vous en cessant d'aimer, et moi cessant de vivre. AZAMOR. Par la mort seulement je cesserai d'aimer. C'est le flambeau d'amour qui me doit consumer.Puis-je cesser d'aimer, si la nature mêmeEn vous rendant si belle ordonne qu'on vous aime ?Donc mon amour est juste, et ne vous aimer pasCe serait faire injure à vos divins appas. Mais si je vous déplais je me tiens punissable :L'amour est innocent ; et l'amant est coupable.S'il vous offense seul, tout seul il doit périr :Ainsi l'amour doit vivre, et l'amant doit mourir. MIRAME. Non, je veux vous aimer. AZAMOR. Changement admirable, Qui pour être trop prompt me paraît incroyable :Mais que l'obéissance a pu faire en un jour !Princesse, amour forcé ne fut jamais amour.L'amour est dans les coeurs libre dès sa naissance.Ravir sa liberté c'est ravir son essence. Ce changement soudain oblige bien le roi,Qui veut que vous m'aimiez : mais que fait-il pour moi ?Un amour condamné n'agit que par contrainte.Vous ne sauriez m'aimer, ce discours n'est que feinte MIRAME. Prince, je n'aurai point d'autre mari que vous. AZAMOR. Princesse, puis-je croire un langage si doux ? MIRAME. Il sera vrai pourtant. AZAMOR. Quelle aventure étrangeFait qu'en un seul moment ma fortune se change ?Vous me le promettez ? MIRAME. Oui, je vous le promets.Allez le dire au Roi. AZAMOR. Trop heureux désormais. Mais puis-je vous quitter au plus fort de ma gloire ?J'obéis, et je vais lui conter ma victoire. SCÈNE V. Mirame, Almire. ALMIRE. Lui tiendrez-vous parole ? Ah qu'il s'en va content,Et que vous le rendez heureux en un instant. MIRAME. Oui, je la lui tiendrai ; c'est par là que j'espere Satisfaire Arimant, moi, les dieux, et mon père.Mais si tu veux qu'hymen allume son flambeau,Tu me viendras chercher dans la nuit du tombeau.Je veux suivre Arimant, Almire, et je fais gloireAimant son ombre encor d'épouser sa mémoire. ALMIRE. Donc avec quel dessein l'envoyez-vous au Roi ? MIRAME. Afin de le tromper en l'éloignant de moi.Quand quelqu'un nous tourmente, est-ce pas une adresseQue de l'entretenir d'une vaine promesse ?Ne m'importune plus, enfin je veux mourir. Si tu m'aimes, Almire, il faut me secourir.Il faut mourir, Almire, il faut être fidèle.J'entends, j'entends là-bas Arimant qui m'appelle,Qui blâme ma paresse, et d'une douce voixDe la fidélité me répète les lois. Au pied de ces jardins vois la mer agitée :D'un saut tu m'y verrais bientôt précipitée,Si je n'avais horreur qu'un perfide élémentMe servît à chercher un si fidèle amant. ALMIRE. Souffrez qu'avec le temps la raison vous surmonte. MIRAME. Mourir c'est mon honneur, et vivre c'est ma honte.Mon amour est connu, je ne le puis cacher.Voudrais-tu qu'Azamor me le pût reprocher ?Que puis-je dire au Roi qui soupçonne ma flamme ?Non, non, il faut mourir pour étouffer ce blâme. Je ne me puis sauver qu'en ne me sauvant pas ;Et c'est vivre pour moi que d'aller au trépas. ALMIRE. Oui, je vous veux servir, mais avec cette envieDe vous suivre en la mort aussi bien qu'en la vie.Si l'amour est un crime, il faut aussi punir Celle qui dans votre âme a su l'entretenir. MIRAME. Tu ne dois point mourir pour la faute d'une autre. ALMIRE. Consentez à ma mort, je consens à la vôtre. MIRAME. Noble et fidèle Almire, hé bien je ne dois pas,En t'aimant, t'envier un si noble trépas. Mais comment mourrons-nous ? ALMIRE. J'ai d'une herbe Colchique,Dont l'odeur au cerveau son poison communique.Vous savez que Colchos est féconde en venins :Nous mourrons doucement. MIRAME. Je rends grâce aux destins,Tout ainsi qu'Arimant eut de la Bithynie, Sa maîtresse, et le fer qui sa trame a finie ;Colchos me donne aussi de quoi perdre le jour,Après m'avoir donné l'objet de mon amour.Almire, pour guérir le mal qui me possède,Va querir ce poison, ou plutôt ce remède. J'entre en ce cabinet, c'est-là que je l'attends ;Si tu veux m'obliger, viens-y dans peu de temps. ACTE V SCÈNE PREMIÈRE. Le Roi, Azamor. LE ROI. Que je sens de plaisir d'une telle nouvelle !Doncques à nos désirs elle n'est plus rebelle.Elle m'offre un moyen, vous prenant pour époux, De satisfaire aux biens ; que j'ai reçus de vous ?Tantôt je la fuyais ainsi qu'une insensée,Qui perdait tout l'éclat de sa gloire passée,Qui trahissait son rang, son pays, son devoir ;Je brûle maintenant du désir de la voir. Quoi ? Vaincre un ennemi, gagner une maîtresse ?Vous triomphez deux fois. AZAMOR. Cette belle PrincesseÀ la fin veut bannir les tourments de mon coeur ;Et faisant aujourd'hui d'un esclave un vainqueur,Accorde à mes désirs une noble victoire, Dont l'heur des immortels n'égale pas la gloire. LE ROI. Mais qui s'en vient à nous avecque tant d'ardeur ?Adraste, que veux-tu ? SCÈNE II. Adraste, Le Roi. ADRASTE. Sire, un ambassadeurEnvoyé de Colchos tient sa nef à la rade. LE ROI. Quoi ? De mon ennemi ? Pourquoi cette ambassade ? ADRASTE. Il tient l'olive en main, demandant sûreté,Pour pouvoir être ouï de votre Majesté. LE ROI. Mais le dois-je écouter après un tel outrage ?Qu'il vienne toutefois, et sois encore otage.Je l'attends en ce lieu. SCÈNE III. Alcine, Le Roi, Azamor. ALCINE. Dieux ! Le dirai-je au roi ? AZAMOR. Bons dieux ! Que veut Alcine ? Elle est pleine d'effroi. ALCINE. Ah ! Sire, la douleur m'étouffe et me transporte.Mirame. LE ROI. Que dis-tu ? ALCINE. Que la princesse est morte. AZAMOR. La princesse ? ALCINE. Elle-même. Elle a fini son sortPar un subtil poison qui lui donne la mort. LE ROI. Alcine, qu'ai-je fait ? Tu sais mon innocence,Serais-je bien l'auteur de cette violence ? ALCINE. Ce billet que je viens de trouver dans sa main,Témoigne le sujet de son triste dessein. LE ROI, lisant. Azamor, je vous tiens parole. La Parque me dérobe à vous :Mais je n'aurai point d'autre époux.Vivez, que le ciel vous console. AZAMOR. Que le ciel me console ! il n'a pas ce pouvoir.Qui me peut consoler sinon le désespoir ? Quoi ? Je l'ai fait mourir ? Et ma perfide flammePensant gagner son coeur fut l'horreur de son âme !Mais voyons s'il est vrai. LE ROI. Je ne le veux point voir,Puisqu'elle a préféré la mort à son devoir.Sors de mon souvenir, malheureuse princesse, Déshonneur de mon sang, ennui de ma vieillesse.Si mes pleurs malgré moi sortent de leur prison,La nature les verse, et non pas la raison. AZAMOR. Je dois verser du sang si vous versez des larmes.Tournez-vous contre moi, mes imprudentes armes, Qui pensiez la défendre et la faisiez périr;Réparez votre crime? en me faisant mourir.Elle a voulu mourir pour éviter ma flamme.Je suis l'horreur, le crime, et la mort de Mirame.Amour infortuné que je conçus au coeur ; Qui me fis d'un rival le malheureux vainqueur,N'étais-tu pas content, sans devenir si traîtreQue de faire mourir celle qui t'a fait naître ?Hé bien, funeste amour, puisque tu m'as déçu,Fais-donc aussi mourir celui qui t'a conçu ; Et montrant les effets de ta fureur extrême,En me faisant mourir fais-toi mourir toi-même. LE ROI. Calmons à cet abord nos esprits et nos voix ;Grand Prince, faisons voir que nous sommes des rois.Voici l'ambassadeur. SCÈNE IV. L'Ambassadeur, Le Roi, Azamor. L'AMBASSADEUR. Je viens en cette terre De la part de mon roi, pour détester la guerre.Il sait bien qu'Arimant, grand Roi, ne devAit pasSans ses commandements attaquer vos États.Mais puisqu'à son regret cette faute est commise,Sans savoir le succès d'une telle entreprise, Pour obtenir pardon de sa témérité,Je recours de sa part à votre Majesté.Il sait que son dessein eut pour cause la flammeQu'il conçut en ces lieux des beautés de Mirame.Grand roi, si vous voulez qu'il en soit possesseur, Mon roi consent et veut qu'il soit son successeur.Souffrez donc qu'il aspire à cet honneur insigne :Sa vertu le requiert, sa naissance en est digne.Je découvre un secret qu'on ignorait encor,Il est fils d'un monarque, et frère d'Azamor. AZAMOR. Quoi ? Frère d'Azamor ? Je n'eus jamais de frère. L'AMBASSADEUR. Est-ce donc Azamor ? Ô fortune prospère !Il servira lui-même à l'éclaircissement.Je vous en apprendrai l'histoire en un moment.Le feu roi de Phrygie, en la guerre mortelle Que fit à ses États la Lydie infidèle,Voyant de toutes parts ses pays désolés,Ses sujets malheureux, et les palais brûlés,Avant ce grand combat que notre siècle admire,Où le prince en mourant rétablit son empire, Crut que les Lydiens cruels et triomphantsVoudraient avec le père étouffer les enfants.La valeur d'Azamor, dès ce temps estimée,Paraissait à quinze ans tout l'espoir de l'armée.La Reine mit alors un second fils au jour, Et mourant à l'instant troubla toute la cour.Le Roi, pour dérober son fruit à la fortune,Feint que l'enfant est mort, le commet à Neptune :Il l'envoie à Colchos, entre les mains du Roi,Son ami, son parent, le confie à sa foi. Un papier l'accompagne, où sa propre écritureAssure avec son sceau toute cette aventure.Voyez, grand Azamor, si vous la connaissez. AZAMOR. L'écriture, le sceau, je les connais assez. L'AMBASSADEUR. Arimant est ce prince, acceptez-le sans crainte, Mon Roi, pour l'agrandir, n'a pas besoin de feinte :Puisque sans demander vos États, ni vos biens,Comme à l'un de sa race il lui donne les siens.Les marques dont l'écrit porte le témoignageSe font voir en son corps, mais plus en son courage, LE ROI. Remède trop tardif, mal qu'on ne peut guérir ! AZAMOR. Donc il était mon frère, et je l'ai fait mourir. L'AMBASSADEUR. Arimant est-il mort ? LE ROI. Il est mort, et Mirame. L'AMBASSADEUR. Ô rigueur des destins ! AZAMOR. Mais trouble de mon âme !Malheureux Azamor, de qui l'amour fatal En si peu de moments a causé tant de mal,Funeste à ta maîtresse, et funeste à ton frère,Qu'attends-tu désormais pour comble de misère ? LE ROI. Je vous laisse, Azamor, vous m'arrachez des pleurs ;Et je sens que mon mal s'accroît par vos douleurs. SCÈNE V. Azamor, Alcine. AZAMOR. Hélas ! Que de malheurs ! Ô fortune traîtresse,Par toi j'ai fait mourir mon frère et ma maîtresse.Ô sort que ton caprice est plein de cruauté.Pourquoi découvres-tu ce que tu m'as ôté ?Pour mon mal seulement tu me le viens apprendre. Quoi ! Tu me rends un frère et ne peux me le rendre.Pourquoi, cruels destins, tyrans trop absolus,Sais-je que je l'avais lorsque je ne l'ai plus ?Cher frère, aimé d'un roi, révéré de la terre,Désirable en l'amour, redoutable en la guerre, À qui tout eût cédé, si le Ciel rigoureuxNe m'eût rendu plus fort pour être malheureux,Ce fer n'osa frapper le frère de son maître :Il respecta mon sang, je ne le pus connaître.Mais si dans le combat il épargna le tien, Je veux que pour ma faute il répande le mien.J'en ai fait mourir deux par ma flamme importune.Pour deux morts tout au moins il m'en faut donner une.Finis, triste Azamor, ta vie et tes amours.Parque, tranche le fil de mes malheureux jours, Puisque tu ne m'ourdis que des trames si noires,Que je n'acquis jamais que de tristes victoires.En l'une je perdis qui me donna le jour :Mon frère en l'autre, et celle où je mis mon amour :Il ne reste plus rien à mon malheur extrême, Sinon qu'en me vainquant je me perde moi-même.Ah ! Que le ciel pour moi fait voir de cruauté.Revoyons ce billet que tu m'as apporté. Azamor, je vous tiens parole. La Parque me dérobe à vous : Mais je n'aurai point d'autre époux. Vivez, que le ciel vous console. Je vous suivrai, Mirame, et ma constante foiFera voir qu'on ne peut vous dérober à moi.Je vous suivrai partout ; la mort n'a point d'abîmes Qui vous puissent cacher à mes feux légitimes.Donc elle a préféré les ténèbres au jour,Le cercueil aux grandeurs, et la mort à l'amour ?Et plutôt qu'être humaine à son amant fidèle,Elle a voulu paraître à soi-même cruelle ? Vous me tenez parole, en courant au trépas.Qu'elle m'eût obligé ne me la tenant pas !Elle vivrait encore, et n'eût pas fait injureÀ l'amour, à soi-même, aux dieux, à la nature.Vous dites que jamais vous n'aurez d'autre époux ! Donc il me faut mourir pour m'aller joindre à vous.Pour être son époux mon sang se doit répandre.Sa mort me la ravit, ma mort me la peut rendre.Vivez ; vous voyant morte ; ah ! Quel commandement ?Sa main me le commande, et sa mort le défend. Vivez ; hé, le moyen d'en conserver l'envie ?En ai-je le pouvoir ayant perdu ma vie ?Je cours après ma vie en suivant votre sort ;Et je vais la chercher dans le sein de la mort.Mais que me dites-vous, que le Ciel vous console ? Quel souhait ? Quelle douce et cruelle parole ?Douce, si je devais m'exempter du trépas ;Cruelle, sachant bien que je ne le dois pas ;Et que les nobles coeurs, quand le sort les outrage,Aiment bien mieux mourir que vivre sans courage ! ALCINE. Prince, tâchez plutôt à surmonter le sortPar votre fermeté, non pas par votre mort. AZAMOR. Non non, il faut mourir : mais conte-moi l'histoireD'une mort que j'apprends, mais que je ne puis croire. ALCINE. Je ne sais quel malheur a fini son destin : Mais je sais seulement qu'en son lit ce matinSon âme de tristesse et de douleur atteinteLa forçait en secret de pousser cette plainte.Quand même l'inconstance entrerait dans mon coeur,Voudrais-je me soumettre à ce nouveau vainqueur, Qui de cruels mépris m'accablerait peut-être,Pour l'avoir pris trop tard pour seigneur et pour maître ? AZAMOR. Ah ! Tu m'as abusé par ton discours flatteur :Sa perte vient de moi, j'en suis le seul auteur.Qui de cruels mépris m'accableroit peut-être Pour l'avoir pris trop tard pour seigneur et pour maître ?Qu'avez-vous dit, Princesse, accabler de méprisCelle qui fut du monde et la gloire et le prix ?Vos divines vertus se sont trop fait connaître.Pour l'avoir pris trop tard pour seigneur et pour maître ? Ah ! Dites pour sujet, qui soumis à vos lois,Eût comme un saint oracle écouté votre voix.Ah ! Que ne disiez-vous pour esclave fidèle ?Pour l'avoir pris trop tard ? Ô parole cruelle !Quand un amour parfait nous porte à nous unir, On peut commencer tard ce qui ne peut finir.C'était trop tôt pour moi, je n'en étais pas digne.Nul ne peut mériter cette faveur insigne.Quel désastre partout accompagne mes pas ?Contre mon propre sang j'ai livré des combats : J'ai desservi la fille en secourant le père :Mon bras a fait périr ma maîtresse et mon frère,Mon amour et mon sang : hélas ! Qu'attends-je plus ?Misérable vainqueur, vois quels sont tes vaincus.Vois même qu'ils sont morts, et leurs ennemis vivent ! J'en suis le principal que cent fureurs poursuivent.Donc si j'ai de l'honneur, tel que le veut mon rang,Du feu pour ma maîtresse, et du sang pour mon sang ;À ma flamme, à mon sang, si je ne suis un traître,Je dois venger sur moi les maux que j'ai fait naitre. SCÈNE VI. Alcine, Almire, Azamor. ALCINE. Dieux ! Almire était morte, et je la vois courir. ALMIRE. Ne vous étonnez point, le mal se peut guérir.Ne versez point de pleurs ; Mirame n'est point morte. ALCINE. Ô l'excès de plaisir que ce discours m'apporte. AZAMOR. Dieux ! N'est-elle point morte ? ALMIRE. Elle dort, croyez-moi. AZAMOR. Non, je ne te crois pas. ALMIRE. Qu'on appelle le Roi. AZAMOR. Je suis trop malheureux ! ALMIRE. Ce malheur n'est qu'un songe. AZAMOR. Ah ! Tu me veux flatter avec un doux mensonge. ALMIRE. Je n'ai rien oublié, Prince, pour vous servir.Et mon invention vous va bientôt ravir. AZAMOR. Mon âme est à l'espoir désormais insensible. SCÈNE VII. Le Roi, Almire, Azamor, Mirame, Acaste, L'Ambassadeur. LE ROI. Mirame n'est point morte ? Almire, est il possible ? ALMIRE. Sire, elle ne l'est point. LE ROI. Comment ? ALMIRE. Ne pouvant pasL'empêcher par raison de courir au trépas,J'ai feint que j'approuvais un dessein si tragique ; Qu'elle pouvait mourir par une herbe Colchique,Qui de sa seule odeur tuait en un moment ;Mais au lieu de tuer elle endort seulement ;Et Médée en usa pour siller la paupièreDu dragon qui jamais ne perdait la lumière. J'en gardois en secret, je courus la quérir ;J'en porte, elle la sent, et dort pensant mourir.Je l'ai sentie aussi, mais non si longtemps qu'elle ;Aussi j'ai moins dormi. AZAMOR. L'agréable nouvelle ! LE ROI. J'estime ton esprit, j'approuve ton conseil. Allons la secourir. AZAMOR. Courons à son réveil.Puis tâchons d'apaiser le transport qui l'anime.Que le ciel pour le moins me décharge d'un crime.Mais, cher frère, ton sang en ces lieux épanché,Sans cesse par mon sang me sera reproché. LE ROI. Son somme est éternel ; tu nous trompes, Almire. ALCINE. Grand prince, elle dit vrai, la princesse respire.Elle s'éveille enfin. MIRAME. Sombres et tristes lieux,Au moins laissez-moi voir le souhait de mes yeux ! AZAMOR. Ô bons dieux ! Elle vit ! MIRAME. Où sommes-nous, Almire. D'où vient ce jour si grand dedans le noir empire ?Chère Almire, vient-il de l'éclat radieux,Que l'âme d'Arimant répand dans ces bas lieux ?Je ne puis soutenir sa brillante lumière.Prince, mon espérance et première et dernière, Venez me recevoir, je cours après vos pas.Faites qu'on vous entende, où l'on ne vous voit pas. ALMIRE. Il n'est point en ces lieux. MIRAME. Ô cruelle aventure ?Il erre au bord du fleuve étant sans sépulture.Que vois-je ? ALMIRE. Votre père. MIRAME. Almire, il est donc mort ? Et le roi de Phrygie : ont-ils suivi mon sort ?Pardon, mon roi, mon père. LE ROI. Hé ! Bien, je vous pardonne,Ma fille il ne faut pas que je vous abandonne.Oui, je vous viens chercher en ce lieu bienheureux,Mais admirez l'ardeur de ce prince amoureux. Il vous cherche en tous lieux : il veut toujours vous suivre.Nous vivrons tous ensemble. MIRAME. Ah ! parlez-vous de vivre ?Ce mot est-il permis où domine la mort ? LE ROI. Oui, Mirame, il faut vivre ; et par un bel effortVaincre de votre coeur la douleur obstinée. Agréer d'Azamor le royal hyménée.Nous ne sommes point morts, ni lui, ni vous, ni moi.Arimant de la Parque a seul senti la loi.Mais s'il vivait encore, il vous prierait lui-mêmeD'accepter les désirs d'un frère qui vous aime. Azamor est son frère, et vous prendrez plaisirD'en apprendre l'histoire avec plus de loisir.Ici sont les jardins de la belle Héraclée.Ici de vos amis est la troupe assemblée. MIRAME. Ah ! Traîtresse, je vis. ALMIRE. Quittez votre fureur. MIRAME. Ah ! Son sang en autrui me donne de l'horreur.Son frère pour époux ! Ô malheureuse amante,Qui même sans ton âme es encore vivante,Faut-il qu'en ta douleur pour comble de tourmentOn te présente encor son frère pour amant ? Et qu'on pense qu'un noeud peut être légitime,Où son sang pour jamais te montrera ton crime ?Son frère pour époux ? Propos injurieux,Dont mon amour s'irrite et se rend furieux.Son frère pour époux ? Plus il lui serait proche, Je croirais de plus près en sentir le reproche.C'est inceste en amour, et digne d'un bourreau,Que de s'unir au sang d'un amant au tombeau. AZAMOR. Non, je ne prétends pas, équitable Mirame,Que vous deviez penser à soulager ma flamme. Je prétends seulement le pardon d'un trépas,Que moi-même à mon coeur je ne pardonne pas.Je vais trouver mon frère ; et de vos feux fidèlesJe m'en vais lui porter les aimables nouvelles. SCÈNE DERNIÈRE. Le Roi, Soldat, Azamor, Mirame, Almire, L'ambassadeur, Acaste. SOLDAT. Sire, j'ose en ce lieu prendre la liberté D'annoncer un bonheur à votre Majesté.Arimant n'est point mort. LE ROI. Ô dieux ! Est-il possible ? MIRAME. Pourrait-il m'arriver un bonheur si sensible ? SOLDAT. Ce prince entre nos bras n'était qu'évanoui. AZAMOR. Quoi ? Mon frère est vivant ? Que je suis réjoui. SOLDAT. Son coup par un bonheur coule au long d'une côte.L'esclave avait failli. AZAMOR. La bienheureuse faute ! SOLDAT. Le sang qu'il a versé causait sa pâmoison.Le coup n'est point mortel ; mais pour sa guérisonIl faut lui faire voir la beauté qu'il adore : Car s'il ne la voit point il veut mourir encore.On a fermé sa plaie : il tâche à la r'ouvrir. MIRAME. Ah dieux ! Le puis-je voir ? Puis-je le secourir ? AZAMOR. Je te surmonte, amour, sans être un infidèle.Ce qu'elle a fait pour lui, ce qu'il a fait pour elle, Couronne leur amour et rompt mes déplaisirs.Dedans mon propre sang s'étouffent mes désirs.En dépit de mes feux la raison la lui donne. LE ROI. Prince, la cédez-vous ? AZAMOR. L'amour même l'ordonne.Je la cède à l'amant qui possède son coeur. Arimant est vaincu ; mais mon frère est vainqueur.La cédant à mon sang, je la cède à moi-même ;Et consens que mon bien se donne à ce que j'aime. MIRAME. Vous me perdez pour femme et m'acquérez pour soeur. LE ROI. De deux amants conjoints vous serez possesseur. AZAMOR. Je serai trop heureux. MIRAME. Ah ! Quel excès de gloire ?Céder à son rival le prix de sa victoire,Et mêmes en vivant. Le voulez-vous, grand Roi ? LE ROI. Puisqu'un amour constant engage votre foi,Qu'Azamor y consent, qu'Arimant est son frère, Qu'il hérite d'un sceptre, il vous faut satisfaire. MIRAME. Ah, Père sans exemple ! Ah ! Prince généreux ! LE ROI. Que l'on délivre Arbas. Allez, vivez heureux. Fin de la Mirame de Richelieu. ==================================================